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CIHM/ICMH

Microfiche

Séries.

CIHM/ICMH Collection de microfiches.

Canadien Instituts for Historical Microreproductions Institut canadien de microreproductions historiques

1980

Technical NotM / Notes technique*

The Inetitute has attempted to obtain the beat original copy available for filming. Physical features of this copy which may altor any of the images in the reproduction are checlied beiow.

D

Coloured covers/ Couvertures de couleur

r~1 Coloured maps/

L'Institut a microfilmé le meilleur exemplaire qu'il lui a été possible de se procurer. Certains défauts susceptibles de nuire è la qualité de la reproduction sont notés ci-dessous.

Cartes géographiques en couleur

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Coloured pages/ Pages de couleur

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Pages discoloured. stained or foxed/ Pages décolorées, tachetées ou piquées

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Additional commenta/ Commentaires supplémentaires

Fold-out maps, charts, etc., may be filmed at a différent réduction ratio than the rett of the lioolt.

Bibliographie Notes / Notes bibliographiques

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Pages missing/ Des pages manquent

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Cover title missing/

Le titre de couverture manque

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IMaps missing/

Des cartes géographiques manquent

I I Plates missing/

Des planches manquent

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Additional commenta/ Commentaires supplémentaires

The images appaaring hara ara tha bast quality possible considaring tha condition and lagibility of the original copy and in iceeping with tha filming contract spécifications.

Las images suivantes ont été reproduites avec le plus grand soin, compte tenu de la condition et de la netteté de l'exemplaire filmé, et en conformité avec les conditions du contrat de filmaga.

The lest racorded frame on aach microfiche shali contain tha symbol ^ (maaning CONTINUED"), or tha symbol y (maaning "END"), whichava- applias.

Un des symboles suivants apparaîtra sur la der- nière image de chaque microfiche, selon le cas: la symbole signifie "A SUIVRE", le symbole signifie "FIN".

Tha original nopy was borrowad from. and filmad with, tha kind consent of the following institution:

Library of tha Public

Archivas of Canada

Maps or plates too large to be entirely inciuded in one axposura are filmad baginning in tha uppar laft hand corner, left to right and top to bottom. as many framas as raquirad. Tha following diagrams illustrata the method:

L'exemplaire filmé fut reproduit grâce à la générosité de l'établissement préteur suivant :

La bibliothèque des Archives

publiques du Canada

Las cartes ou les planchas trop grai.das pour être reproduites en un seul cliché sont filméos à partir de l'angle supérieure gauche, de gauche à droite et de haut an bas, an prenant le nombre d'images nécessaire. La diagramme suivant illustre la méthode :

1

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4

8

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HISÏOIHE

li£ LA

DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE

PREMIÈRE PARTIE

LES PRÉCURSEURS DE COLOMB

KXTIIAIT DKS MÉMOIRES

OE LA

SOCIÉTÉ BOURGUIGNONNE

OB

GÉOGRAPHIE ET irHISTOlRE

iWMMM

HISTOIRE

DE LA

DEPUIS LES ORIGINES JUSQU'A LA MORT DE

(^.HIIISTOPHE COLOMB

l'Ait

PAUL GAFFAREL

■■■•ol*ea«eui* ù la Faculté tlo» I^ettres de nijon,

TOME PREMIER

LES PRlXURSliUKS DE COLOMK

*'*titi*

PAIUS

ARTHUR ROUSSEAU, ÉDITEUR 14, Rue Soufflot, et Rue TouUier, 13.

180:3

:i

AVANT PROPOS

(Jiiaiid, ((Hiiinciit et [nir (jui rAinéii<|iU' l'ut-cllt' découverte ? (îertes, nous ne soinmes pus de ceuv (|ui, par amour du para- doxe ou par es|>rit de dénigrement, se font un jeu de contredire les opinions courantes ou d'attacjuer les gloires consacrées, pour nous, c<»nune pour tout le monde, Colomi) est et restera le véritable découvreur de l'Ainéricpie : mais les grandes dé- couvertes ne s'improvisent jamais, pas plus (pie les grandes inventions. Coloud» a eu des devanciers, et plusieurs de ses contemporains méritent d'être associés à sa gloire. Avant lui de nombreux savants s'étaient occupés de la forme véritable de la terre et avaient affirmé qu'au delà de l'Océan s'étendaient des continents inconnus, .\vantlui |»lusieurs capitaines s'étaient hasiirdés sur r.Vtlantique, les uih poussés par la tempête, les autres en (piéle d'aventures, c(!ux-ci entraînés par l'ardeur mercantile et ceux-là par la ferveur religieuse. Exposer les théories et les hypothèses de ces érudits, rechercher à traviMs les âges les traces de ces vaillants marins, raconter la vie de f^olomb et résumer les découvertes maritimes de ses contem- porains, en un mot discuter un problème de géographie histo- rique, dont il est difficile de méconnaître l'intérêt, telle a été notre intention.

T. I. 1

CHAPITHË 1

LKS COMMUNICATIONS KNTRK L AMKUIQU:-: ET \. ANCIliN CONTINENT ÉTAIENT-KI.LES POSSIMLES DANS i/aNTI- gUITÉ ?

Los relations entre rAinéricjue et le continent (|ue nous liahitons étaient-elles possibles dans l'antiquité? A ne consulter que les apparences, les communications entre les deux mondes paraissent bien difficiles. Plusieurs motifs s'opposaient, en ell'et, à ce que les anciens s'aventurassent sur l'Océan. Le premier était la terreur instinctive qu'ils éprouvaient à la \u«' de la mer. Comme l'écrit notre historien p(»ète, Miclielet t^l), " cette masse énorme d'eau, inconnue et ténébreuse dans sa profonde épaisseur, apparut toujours redoutable à l'imafrination immaine ». Lorsque les Aryas atteignirent pour la première fois ses rivages, et se trouvèrent en présence de ce grandiose spectacle, auquel rien jusqu'alors ne les avait préparés, ils n<' «aclièrent pas leur étonnement et leurs craintes. « C'est qu'ils virent la mer, lisons-nous dans un épisode du Mahababrata, l'Astika-Parva (:2), immense réceptacle des ondes, avec ses pro- fondes eaux, agitées d'un vaste bruit, terrible, infranchissable en ses profonds tournoiements, jetant la crainte au sein de toutes les créatures, formidable par les cris de ses monstres aquati(|ues,

(1) MiciiELET, La mer, p. 3.

(2 Ce passage est cité par Lenormant, Manuel d'histoire ancienne, t. 111. p. 439.

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4 l'UKMIKHK l'AHTIK. LES PHKCl'nSRIHS llR COLOMH.

Hc l)iilaii*;aiit sur ses riva^'cs au puissant SMurj|(> du veut, se cahraut dans snu a^'itatiou, et dansant (;à et en i-i>nniant ses mains pleines de vajrufs >. Telles durent (^tre les impressions de tous les peuples (pii, dans leiu's mi^'ralinns ou leurs courstN, arrivèrent Juscpi'à la mer. lùicoi-e aujourd'hui tous ceux cpii, pour la pi-eniière fois, assistent à ses }.'ifrantes(pies tra^rt-dies, éprouvent conune un sentiment iTelVroi. l'n nè|,'re Mak(»lolo, uounné Sekoueltou (l\ (pie Livin^'stone ramenait avec lui du rentre de l'Africpie, perdit la tête ipiaiid il apereut l'Océan et se ji'tu dans les flots. N(' voyons-nous pas les enfants fuir devant la va^'ue. et les animaux parta^:er cette répulsion ? Les plantes (dies-mémes semhlent se tordre et se rejeter en arrière au voi- sinage de la mer. 1/humaniié n'a triomphé de ce premier uiou- vement de terr"ur instinctive (pi'après plusieurs siècles d'édu- cation, et hien des j;énérations se sont sr,< , édé avant (pie l'on rencontrAt riiomme au c(eur i)ardé d'un M'iple airain, (pii, l<^ premier, osa sur un es(piif hraver les dan^'ers de l'Océan (2;.

illi rol»ur el aes triplex

Circu pecliis erat, qui lVa;,'lleni hiici

Conuuisil pela^'o raleni

Priruiis, uec lini'.iil piiccipitoiu .VTricuin

Deccrlaiilein Acpiilonihiis.

Si du moins ces premiers navifiateurs avai(;nt eu à leur dispo- sition de solides eud)arcatious el de hons instruments ; s'ils avaient eu, (M>mme les nôtres, un ffuide assuré dans la hous- sol(> ! Mais les profjrès Ac. la iiavi};ation furent hien lonîJrs. Nos ancêtres durent, pendant des siècles, se intenter de ce .«anpies rudimentaires, dont ou retrouve (îucore (piehpies déhris dans les couches organi(piesdu conuuencement de la période (piater- naire : grossiers radeaux, ou plutôt troncs d'arhres à peine (''quarris. inégalement creusés, et sans ajtpui extérieur potn* les

(1) LiVLNnsroNE, Voyagr en .Ifrii/iic (Tour du moiido, 1866).

(2) HoHACK, Odes, I, m, 0.

IIIAI'. I. COMMLMC. KNTHELAMKHiyUK ET LANC liO.MI.NK.NT.

raiiu's ; «c (|iii lui^iuo a l'ait conjcctuivr (in'oii ics dirifrcait avec, la iiiaiii(l). Il est vrai (|ii(' |i('ii à pt'U les navires se iicrlVrfion- tièrciif. On apprit à les niàtcr, à les pontcr; nii les pnin-vut «l'un {gouvernail {'1) ; mais ils étaient toujours mal construits et mal }fréés. De plus, les marins n'osaient |>as s'éloigner des côtes et perdaient aies doulder un temps précieux, domine ils n'avaient pour tout»? indication (pie des étoiles qui n'étaient pas toujours visililes, au moindre lirouillard, à la première tempête, ils étaient oldij.'és de suspendre leur marche, tmp heureux si les values ne les jetaient pas à la côte, si le vent ne les entraînait pas au lar};e, sans guides, sans signes de reconnaissance, hal- lottés au lias sur des mers inconnues. Au temps d'Homère, un voyage de llrète en Kgypte passait encore pour dangereux (3) et les |»irates osaient seuls l'entreprendre au péril de leur vie, Jus(prà Hérodote, l'Egypte fut pour les (Jrecs une terre mer- veilleuse (-i). Ce n'est (pic lentement, et a|»rès hien des hési- tations, (pie les marins se décidèrent à sortir d(^ la Méditerranée et à se ris(|uer sur rAtlaiiti(iue. Encore ne perdirent-ils jamais les côtes de vue. Dans leurs voyages ordinaires, ils paraissent ne pas avoir dépassé au nord les Iles ]}ritanni({ues, et au sud les parages du Séiu'gal.

De fantasti(|ues récits augmentaient encore les dangers de la navigation sur l'Océan. Dans la direction du Nord, c'étaient des montagnes de glace ou des hrouillards perpétuels qui arré-

(1) Le inustîc de Copeiihaîçue possède trois de ces barques (Wohsae, Cata- loffue de Musée, iio» 293, 4, "i). Le musée de l'académie de Dublin eu possède également trois. On en trouve dans presque tous les lacs Suisses (V. Thoyok, Hahitatiom lacustres. Desou, Palafittes du lac de NeufchiUel). De 1775 à 1835 dix-sej)t de ces canots ont été retirés de terrains bas, abandonnés par la mer près de Glasgow (Lykll, Antiquité de l'homme, traduction Chaper, p. 40). On peut encore étudier des spécimens analogues dans les musées d'Abbeville, Dijon, Lyon et Suint-Germain.

(2) Moutim-et, Origines de la navigation et de lapi'che, p. 16-19. (:l) HoMÈHE, Odyssée, III, 73, 319. XIV, 2*i7.

(4) Tout le second livre des Histoires d'HÉnonoTE.

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l'HEMIKHK l'AHTlK. LES PRKCLRSEL'RS DE COLOMB.

talent la maiThc des vaisseauv. Aussi quand les Arj^onautes (1) arrivent dans les mers septentrionales, ils remar(|uent avec épouvante (jue le vent ne soulùve plus les vagues et (pi'un siNîuce éternel régne sur les flots. Le Marseillais Pytliéas (i2), lial)itué au soleil <'t aux molles caresses de la Méditerranée, raconte, avec une sorte de terreur religieuse, qu'il s'est avancé jusque dans une région « l'on ne rencontn^ plus ni terre, ni air, ni mer, mais, à leur place, un conqiosé de «-es divers éléments, sans qu'il soit possible à l'hounne d'y naviguer ni d'y poser le pied. » Le Carthaginois Uimilcon (3) avoue qu'il n'a pas osé se hasarder sur cette mer innnense, couverte de hrouillards, nul souffle ne pousse les vaisseaux, et l'obs- curité cache de re<loutal)les ahinies. Dans la direction du Midi au contraire les prétendues ardeurs de la zone torride interdi- saient aux

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risquerait dans les régions du Sud ! Il serait hrùlé par le soleil. Telle étaiUlu moins l'opinion des savants les plus autorisés, de Strahon [A) reproduisant les théories d'ilipparque, de Pline le Naturaliste (il) et même de Ptolémée ((»).

Plus encore que les chaleurs insupportables ou <|ue les froids

(i) Apollonius de Rhodes, ArgouauliijXfs, V. H07.

(2) SthAbox, 11, i : « Ev oi; ojt: yf, y.aO'ajir.v irrrip/cv ï-:, ojtî Oa/.aia», ojT'ar,5, àXXà C'jy^w^xi Tt l/. tojtjdv -Àejaovt OaXaTTUi) Èotzo;, Èv »•) 9r,ai ■ZTiV ytJv xâi TfjVi OatXaTTav aidjoîîiOat xa't ■:« TjjjinavTa, xa't toutov (Îi; av osa;i.ôv stvai t<ov oXjdv, [^■r^^:î Tzor^Z'j'w \xt,-ï hXokov 'jzâoyovTa. »

(3) AviENCS, 0)'<i iiuiritima, V. 388.

Nulliis lia<c liJiit frctit ;

Nulliis rarinas oeqiior iUml iiitiilit, Dcsiiit qiiuil ulto Uabra propollcntia, .Niillusquo puppini spirilus cœli jiivot : Dehinc quotl œthram quodam aniiotu vostiut Caligo, scnipor nebula coiidut gurgitein.

(4) Stbaiion, II, 5: « 'AotxrlTOJ; oi ta; aXXa; ÎJiôva:, ti-,v tx?,v otâ -/.aujAa, T/jV 5: 3:à ^ùxo;. »

(5) Pline, Histoire naturelle, I, 61. II, 68. - Vi. 36.

(6) pTOLéMKE, VI, 16. llvciN, 1, 8. Machobe, Commentaire du songe de Scipion, II, 5.

(IIAI'. I. C.OMMLNU;. ENTRE L'AMÉHIQUE ET L'ANC. CONTINEiNT. 7

(•\(<'ssirs, les matelots iTiloutaient les monstros qui peuplaient l'Océan (1). Ces écuoils contre lesquels se brisent les flots, ee sont les Sirènes à la voix perfide; ces courants qui entraînent les navires, ce sont (l'edrayants animaux, chim«>res ou hippo- centaures ; ces plaintes du vent à travers la mûturo, ce sont les nymphes de la mer qui défendent leur domaine, et annoncent à l'audacieux explorateur une catastrophe imminente ; ces méduses et ces pieuvres (pii |)arfois apparaissent à la surface des flots, ce sont d'énormes serpents tout prêts fi engloutir navires et matelots. Aussi les marins, même les plus hardis, ne s'aventuraient-ils qu'en tremblant sur ces mers qui cachaient faut de périls, et l'Océun demeurait la région de l'épouvante et des mystères.

Les savants eux-mêmes, au lieu de les dissiper, augmentaient ces terreurs et ces illusions. Quelqueà-uns d'entre eux, plus hardis ou mieux inspirés, s'efTorcaienl:, il est vrai, de démontrer à leurs contemporains l'inanité de leurs craintes, mais on ne les écoutait pas. On les taxait même de folie, (piand leurs théories scientihipies combattaient les préjugés courants. Thaïes et les Stoïciens {'i) par exemple affirment-t-ils que la terre est sphé- rique et par conséquent que les antipodes existent, Plutarque, intelligence ouverte, esprit encyclopédique, n'hésitera pourtant pas à tourner ce système en ridi.ule, et, avec lui, d'autres savants débiteront avec assurance et soutiendront avec autorité les théories les plus absurdes sur la forme de la terre. Homère (i)

(1) UEniiKi» DE XivREY, TrodUioiis tératcliujiques. Ferdixand Dkms, Le Monde enchanté.

(2) l»i.uT.\nyLE, De placitix philoxophorinn, 111, 10.

(3i Id., De facie in orbe lunne, VIII : « Quelles absurdités ne débitent pas «es iihilosoplies ? Ne disaient-ils pas que la terre est sphériqua? Et pourtant die contient des profondeurs, des élévations, des irrégularités considérables. Ne (lisaient-ils pas qu'elle est habitée par des antipodes qui, comme des in- sectes ou des chats, s'accrochent après elle, en ayant la tète en bas et les pieds en haut. »

(il HoMKHR, Iliade, XVIII, 606, 7. Odyssée, XII, 1, 156. XX, 7. - XXI. liU.

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8

PREMIEHE PARTIE. LES PRECURSr'RS DE f.OLOM».

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n'avait-il pas avance! que la terre était un disque plat, entouré par le fleuve Océan, du sein duquel surgissent des colonnes qui supportent la voûte solide du ciel? D'après Pindare (1) la terre repose sur des colonnes de diamant ; d'après Xénophane (2) elle a, par ses parties inférieures, jeté des racines à une profondeur infinie, et n'est qu'un composé d'air et de feu Anaximandre et Hécatée se la représentaient comme une sorte de colonne en pierre assise sur une surface unie. Anaximène(3) en faisait un trapèze, Leucippe un tambour et Démocrite un large disque creusé dans son milieu. Ces étranges théories, patronnées par les poètes et par les philosoplies, c'est-à-dire par ceux dont les œuvres constituaient en ([uelque sorte la masse commune des connaissances populaires, s'enracinaient peu à peu dans les esprits. Aussi, à ces époques reculées les ignorants inspiraient d'autant plus de confiance que leurs affirmations étaient plus hardies, peu de personnes pouvaient- elles seulement supposer que, par delà le monde connu, exis- taient d'autres terres, dont elles n'étaient séparées que par l'Océan.

Terreur inspirée par la mer, imperfection des moyens nau- tiques, ridicules erreurs acceptées comme vérités démontrées, ignorance de la forme véritable de la terre, telles étaient donc les causes principales qui, dans l'antiquité, semblaient devoir interdire toute relation entre l'ancien continent et l'Amérique.

Malgré ces dangers et ces préjugés, malgré ces craintes et cette ignorance, les marins pourtant ne manquaient pas. Peu à peu grandissait le champ des connaissances. Les mystères s'éclaircissaient et l'Océan s'ouvrait à d< investigations de plus en plus fréquentes. On s'imagine trop communément que les anciens n'ont connu qu'une petite partie de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique. Même dans les meilleurs atlas les cartes du

(1) PiNDAHE cité par Plutarque, De fade in orbe lunée, VI.

(2) AÉJiopiiANB cité par Plutarque, De placitis philosophorum, III, 9.

(3) Id., m, 10.

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CHAI'. I. COMMUMC. ENTRE L'aMÉRIQL'E ET L'AXC. CONTINENT. !>

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monde visité par eux ne fiffurent (;ue le liassin de la Méditerranée avec l'Europe en deçà de l'Elbe, du Uanuhe et du Dniester. l'Asie jusqu'au Turkestan et au Pendjab, et r.\fri(|ue jusqu'au Sahara et au cap (iuardafui. Quelques savants seraient même tentés de restreindre encore cet étroit domaine. 11 est cependant démontré (pie les anciens s'étaient avancés jusipie dans la Halti(pi(> (I) et même qu'ils avaient reconnu l'Islande (2). En Asie ils avaient dépassé le (îan;;e. découvert l'Indo-Chine et avaient même pénétré jusqu'en Chine (3). En Afrique, le cap de lionne-Espé- rance (4) avait été doublé et toutes les eûtes du continent noir (5) reconnues. Le monde s'élargissait pour ainsi dire, et, de jour en jour, l'homme étendait son domaine.

En même temps se dissij)aient les craintes chimériques. On ne reculait plus devant les dangers signalés. On conunençait à taxer de mensonges les effrayants récits mis en circulation par les Phéniciens, sans doute pour éviter la concurrence, sur les périls de la mer extérieure, et on se lançait sur leurs traces. Ulysse, cette personnification de l'esprit d'aventures, ce héros de la ruse mais aussi de la persévérance, se faisait attacher aux mâts de son navire pour ne pas succond)er aux séductions des sirènes, mais il les bravait, et ses compagnons ne l'abandonnaient pas. liientôt des navigateurs, plus hardis encore, n'hésitèrent

(1) Keraoi.io, De la connaissance que les anciens ont eue du nord de l'Europe (Acadùinie des Inscriptions, t. XLV, p. 26-57). Wuieiui, Sur les relations des (Srecs et des Romains dans le nord et sur \es nntif/ues voies de commerce (Ueviic archéologique, mai 1860).

CJ) Lei.ewei,, Pi/tfiikis de Marseille et la géograp/tie île son temps.

(3) Hein ALI». Relations historiques et commerciales de C empire Romain avec fAsie orientale. Bihdwood. Manuel de la section des Indes britan- niques il l'exposition universelle de 1878.

|4) Gakeakei,, Eudoxe de Cyzique et le périple de V. Afrique dans l'anti- quité, 1874.

('>) AitBÉ l^Ei'iTKE, De his qiii antc Vascum a Gama Africain légère ten- tavvunt. ScMiAi'AiiEi.Li, La circumnavigation de l'Afrique par les Phéniciens au Vil" siècle avaiit le Christ (Cosmos de Guido Cora, déceni!)re 1881). (il iHALO, Le périple de l'Afrique au temps de Séchao (Société de géographie de Toulouse) .

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l'HKMIERK l'AUTIE.

LKS l'REr.rHSElHS DR COLOMB.

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plus il se (liri};er vers les n''}rions inconnues, et ce furent les savants (|ui les encourapùrent à pousser toujours en avant. « H n'est guère vraiseinhlahle, écrivait Strabon (1), que l'Océan puisse être divisé en mers distinctes par des isthmes étroits qui interceptent la navigation. Il paraît bien plus probable (pie ledit Océan est un et continu ; d'autant que ceux qui, ayant entrepris Je périple de la terre, sont revenus sur leurs pas, ne l'ont pas l'ait, de leiu- aveu même, pour s'être vu barrer et interce[)ter le passage par (juelque continent, mais uniquement par manque de vivres et par peur de la solitude, la mer demeurant toujours aussi libre devant eux. «

Rien en effet ne nous empêche de croire (jue les anciens se sont avancés très loin dans l'Atlantique. Un préjugé trop ré- pandu consiste à opposer des présomptions à des faits. Ceci n'a |ias eu lieu, dit-on, parce que cela ne pouvait pas se faire ; et les anciens n'ont pas connu l'Amérique, parce qu'ils n'avaient pas les moyens de la connaître ; mais on n'apprécie pas suffi- samment jusqu'à quel point les navigateurs peuvent compenser rimperfi'ction de leurs vaisseaux par leur hardiesse et leur «'xpérience pratique.

Des exeiuples modernes, en nous prouvant ce dont sont «•apables des barbares audacieux, nous feront comprendre com- ment les marins d'autrefois p-uvaient entreprendre des courses (|ui nous paraîtraient aujourd'hui inexécutables. Les Malais, avec leurs frêles esquifs, leur /»'0S, ont peuplé la plupart des îles de la mer du Sud (iJ). Les indigènes de Mozambique, encore aujourd'hui, s'aventurent dans l'Océan Indien sans autre guide que le temps, et sont parfois transportés à d'énormes distances. A l'époque Cook les découvrit (3), les Maoris de la Nouvelle-

(1) STiiABctx, I, r, 8. <> ()j/ '^TM r-,;:î;poj tïvo; àvTi::i7:roûor,î jtal y.w>uo'j'3r,; Tov ïr.'i/A'J^a. ;:Xoiïv àva)ipo'j;0TÎv3ct , à).Xà WJi anoptaj xat f,pe[jifa;, ôuSèv r,~ov Tf,; OaÀaiJT,; r/ojar,; tov rropov. »

(2/ Qlatheméhe, '.tlémoires de l'Académie des Insa'iptio7is et Belles- Lettres, 1845, p. 381.

(3) Cook, Voyarjes (édition 1784), t. I, liv. i, § 8.

niAI'. I. COMML'.NK.. r.NTHK l'AMKHIOLIÎ ET L'A.NC. CONTINENT. 11

ÎZi'IaïKlc allaient jusqu'à Taïti. T.e Révérend Eliis parle de plu- sieurs pirofifues arrivées à Taïti, et dont le.> maîtres étaient |<iri},'inaires de pays dont on ne soupçonnait pas l'existence dans [l'areliipel (1) ; il mentionne encore des voyaj^es des Wallis aux [Loyalty, séparées par un intervalle de 1,800 kilomètres. Parfois la tempête entraîne fort IoiH des barques et môme des vais- Iscaux. (lomara (2) racontait déjà qu'au temps de Gor*ès on Itrouva sur les cotes de Californie les débris d'un navire du Hatliay, c'est-à-dire de la Chine. 11 y a (|uelques années une lltanpie japonaise fut jetée aux Ixjuches de l'Oréffon, et son ?qui|)a}re fut retrouvé captif chez des Indiens de la haie d'Hud- pt»n [fi). On conserve au musée d'Aherdeen le kayak d'un )éclieur esquimau rencontré vivant sur la côte d'An},'leterre. A )lusieurs reprises, d'autres Esquimaux furent ainsi transportés lu Nouveau-Monde en Europe (4). Lcscarhot (5) rapporte qu'à la fin du xvi'^' siècle, le marquis de la Roche cherchait, dans me petite embarcation, un port aux environs de l'île Sahle, au llanada, quand il fut saisi par le vent d'est et jeté en quelques jours aux rivages de France. II serait facile de multiplier les jxemples et nous po rrions retrouver dans les trop rares ïuvrages de l'antiquité (jui nous ont été conservés, le souvenir le traversées analogues, soit entreprises en vertu d'un dessein Raisonné, soit dues uniquement au hasard. Qu'il nous soit au noins permis de considérer comme démor/tré que ces traversées, jossihles de nos jours, l'étaient déjà dans l'antiquité. Aussi bien, et nous ne sauricms trop insister sur ce point, ll'Amérique est beaucoup plus rapprochée de l'ancien continent Iqu'on ne se l'imagine d'ordinaire. Nos cartes, pour la plupart Itrès imparfaites, ne représentent le plus souvent le nouveau

(1) Ellis, Polynesian Resparches, t. I, p. 120.

(2) Gomaha, Hist. geii. de las Indias, p. 117.

(3) Wii.soN, Prehistovic mnn., p. 100. (1) Joi.v, l'Homme avaîit les métaux, p. 258. (o) Lescahbot, Histoire de la Nouvelle France (édition Tross), p. 396, 7.

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nioiulo que s(''jiar(> et cumme isolt'- dos coiitineiits qui l'cntourenf . Aussi nous faisons- nous, en g»''ii;^r''i, une très fausse idée des distances. L'Atlaiiti(i?ie, pour bcaucou}) de [lersonnes, est au moins aussi considérable que le Pacifique. C'est seulement en jetant les yeux sur une sphère terrestre les continents et les mers sont marqués avec leur grandeur relative qu'on se rend compte de la petitesse de rAtlanti(|ue à côté des immensités mystérieuses du Pacifique. On dirait un détroit et une mer. Encore <'e détroit est-il resserré et comme étranglé à trois endroits différents.

Du cap Roxos, j)rôs de l'archipel de Bissagots, non loin de la côte de Sierra Leone en Afn(iue (12° 20' Lat. N 19° li' Long. ()) au cap San Roque au lirésil (r>°2H' 17" Lat. N 37° 37' 2(>" Long. 0) la distance n'est (jue de 510 lieues marines à 555() mètres la lieue, c'est-à-dire de 710 lieues ordinaires à 4,000 mètres la lieue, à peu près la distance de Paris à Moscou en ligne droite, ou, si l'on préfère une distance maritime {)lus facilement appré- ciable, la distance de Gibraltar à l'ancienne Gyrénaïque.

Le second étranglement est formé par l'île Valentia au sud- ouest de l'Irlande entre le golfe de Dingle et de Baliins Kellig (r32« ir Lat. N 57" 40' Long. O) et la côte de Labrador. L'écartement n'est que 542 lieues marines, 750 lieues ordinaires, la distance de Paris à Nijni Novogorod ou de Gibraltar à l'iilgypte. C'est cette vallée de l'Atlantique qui a été choisie pour l'établis- sement du premier cable sous-marin (jui ait joint les deux mondes.

Enfin le Groenland, si on le considère comme faisant partie du continent américain, s'approche tellement du cap Rarclay dans la terre de Scoresby (69° 10' Lat. N 26» -4' Long. 0) du cap Wrath en Ecosse (5S° 39' Lat. N 18' Long. 0) et de Stadiand en Norvège (62° 7' Lat. N) qu'il n'y a entre ces divers points que 269 et 280 lieues marines, 373 et 388 lieues ordi- naires, la distance de Paris à Varsovie et Kœnigsherg, ou de Gibraltar à Tunis.

CHAI». I. C.OMMIMC. KNÏHK l/AMKniOriC ET L'aNC. r.ONTINK.NT. l'A

iJi' CCS trois ôtruiijrlcmciits de rAilanti(|ue, lo dernier atteint à peine la lon;;nenr île la moitié des deux antres, et ceux-ci si>nt s('|)arés |)ar moins d( (>(M> lieues marines. Sans doute le (Iroenl/ind n'est peuplé que par de misérahles lril)us d'I-lstiuimanx et de rares lùu-opéens, et, si son importance f;éofrraplii(|ue est jurande, il n'est (pie très secondaire pour le connnerce et la navijfation : mais rirlande et la cùfe de (luinée d'un côté, le Labrador et le Hrésil de l'anur. sont des pays autrement favorisés pur la nature. IJe plus les conmnmications sont encore facilitées par le fïrand nombre des îles ou îlots interposés, qui ont servi et servent encore de points de relAclie aux navif,'ateurs et diminuent sinjrulièrement les distances. Ainsi dans le premier étranglement, rlu cap Uoxos au cap San Rotjue, sont jetés les îlots de Las Rocas, Kernando de Noronlià, Pinedi» de San Pedro et Frencli Soal. Pour le second étran}:lement entre Valentia et le Labrador, existe un nombre si considérable d<' vigies et d'écueils (|u'on les a pai'tagés en six zones distinctes. Pour le troisième, entre le (îroeidand d'un côté, l'Ecosse ou la Norvèg(i de l'autre, la distance est singulièrement diminuée par l'Islande. lesFéroë, les Shetland, etc. Notons eidln que les Acores sont comme jetées au milieu fie rAtlanticjue, que de rend)oucliure du Tage à San Miguel des Aciires on ne compte que !2i7 lieues marines, '.W,i lieues ordi- iiiiires, et de Corvo, la plus occidentale des Acores à la Nouvelle 1m;osso que '.V'rl lieues marines, 577 lieues ordinaires.

N'est-ce pas ici l'occasion de rap|)elcr que, d'après une tradition (pii remonte aux [iremiers âges de l'anticpiité, et (jue nous croyons pour notre part conforme à la réalité, toutes ces lies faisaient jadis partie d'un grand continent, l'Atlantide, qu'un épouvantable cataclysme elfondra dans les abîmes et d(»nt il ne reste aujourd'hui que des faible débris. La (juestion de l'Atlantide a été si souvent agitée, et elle a donné lieu à de si importants débats, d'ailleurs elle se rattache si étroitement à notre sujet qu'il nous a paru difficile de ne pas la traiter à notre tour, et de donner au moins les raisons (|ui nous ont porté à croire <jue (u;

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PHKMIKHK l'AHTIK.

I.KS l'KKCCKSKIDS DK CuLo.MII.

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continent inystéricnx existait iuitrt'fois entre rancicrn't le non vcan monde, et lenr servait [)ar ('(Miséiiuent de lien de cimniinnication. Nons rac(tntei'ons pins loin riiistoin- des Atlantes : (jii'il lions snffise de rappeler ici (pi'à niu' é|>o(|ne, dont il est inipossijile de préciser la date, snrvint nn cataclysme éponvantahle (|ni honlevorsu l'nnivers entier. C'est alors, tr«''s pndialtlenient, (jiie s'onvrit le détn»it de Gibraltar, alors (|ne les Ktats Uarliarescpies d'anjonrd'lmi cessi'rent d'cUre une pres(|n'ile européenne, alors (|ue fut en},'loutie l'Atlantide : mais il en reste des débris, et nous pensons qu'on peut les rencontrer au milieu même de rUcéan Atlantique, dans l'immense espace ([ue déterminent les Acores, les Canaries, la mer des Sarjtasses et les Antilles. La science se prononc(!-t-elle en faveur de notre système? Les faits sont-ils d'accord avec la tradition ? C'est ce que nous allons examiner.

La géolojrie est une des sciences naturelles dont les progrès, •lepuis le commencement du siècle, ont été les plus marqués. Ses précieuses indications ont l'autorité d'un fait accompli, et lud, aujourd'bui, ne s'aventure sans elle sur le terrain des études préliistoriques. Un de ses princi{>es les mieux établis est (|ue, toutes les fois ipi'on découvre, dans les îles ou les contiiients séparés à l'heure actuelle par des bras de mer, et même soumis à d'autres conditions climatolofriques, les mêmes débris de plantes et d'animaux on en peut légitimement con- l'Iure <iu(î ces continents étaient jadis réunis. Sir II. Murchi- sun a prouvé de la sorte l'antique conuexité de l'Angleterre et de l'Irlande (1), Kdvvard Forbes celle de l'Irlande et de ri'iSpagne ["D, IJonrguignat celle de l'Kspagne et de l'Afrique du Nord (3). Plusieurs savants ont également cherché à établir que riMU'ope et rAméri(jue étaient réunies aux temps préhistoriques. Les uns se sont contentés de le supposer : Ortelius, Kircher,

(1) MciiciiisoN, Anniverxavfi aclrcttx, 1863.

(2) E. Forbes cité par E. Rkci.us, la Terre, p. ir).

(3) BoLiiouioxAT, Malacologie de l'Algérie, p. 312.

ciivr. I. c.oMMiMC. ic.NTRE i/a:ikiu(.»i K KT i/anc. co.ntinknt. !.*>

(liiifjiK'iK', MciiU'Il»', (^arli; les iiutr<'s ont essayi- de le pntiivcr: Ihill'uii, de Fortiu (IX'rhaii, (ladet, Samuel d'KMtrei. Mory de Saint-Vincent : oeiiv-ri enfin Teint réellement jimiivé |iar la (•uni|)arais(tn de la flore et de ia l'aune des deux euntiuenfs (1), Vai elVet, dans les terrains tertiaires de ri'iUnipe, on a r(>tri»uvé des tulipiers fossiles, des cypn'îs de la Louisiane, des robiniers, des paumes ou noix des Etats-Unis, des feuilles dérailles, de ma}m(dias, de sassafras, d'ifs, de se((uuias et d'autres arhres <|ui ne se rencontrent plus ((ue dans rAniéri(|ue du Nord. lîntre les deux continents les lifrnites de l'Irlande présentent une vétréta- tion analogue. Les fougères arborescentes d'Europe ressemblent à celles du Mexicpie {"1). La flore miocène de l'Europe centrale était la mémo que la flore actuelle de l'Amérique méridionale. Mômes analogies pour la faune : jadis, sur les bord de la Tamise et de la Seine, comme dans les couches miocènes des Mauvaises Terres du Nebraska, vivaient des rhin» éros, des madiairodus, des paléothériums, etc. Comment donc ex|)liquer cette confor- mité, sinon par l'existence d'un isthme, dune île ou d'un continent jeté entre les deux mondes et facilitant entre eux les cnunnunications? Et cette ile, ce continent, (pie sont-ils autre chose (pu» l'Atlantide?

Divers géologues ou géographes ont cherché à déterminer le contours de cette île, ou plut<')t de ce continent enfoui sous les eaux (3). Essayons comme eux de les retrouver. Il suflira de

(1) Ki.isKK Ukci.us, La Terre, p. 4(5. 11 cite les travaux iI'Oswai.I) IIeem, Ki.ee, (Jaidby, et surtout U.MiEuxs, Dir Vrrsunkciie Insel Mlantis.

{2i E. Fdiiime», De la (Ustrihution f/éoyrapliiffiie den foiif/cres du Mexiiiup (Sociélé holauique de Frauce, juillet 18G!), p. S2). " Les déduc- tious, dit-il. nous rauièncnt forcémeut à l'hypothèse d'un continent internuj- diaire, l'Allantidc, dont il ne resterait jilus que quelques sommités éparses, sous forme d'iles, dans l'Océan atlantique. »

(3) Blaciie, Mémoire sur Vile de Frislnnde (Académie des sciences, nSS). Caiim, Leltres américaines (traduction Lefebvre de Villehrune). Bonv DE Saist- Vincent, Esmi sur les iles Formatées. - .Mahcoc, Carte du glohe à l'éfioque jurassitjue. Boteliia, Pruehas (jeoloyicas de la existetiria de In Mlantida ; su fauna y su flora.

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rHKMlKllK l'AIITIi:

Li:s rKKcriisKi IIS i>k columii.

jeter leM yeux sur une des eartes (1) «le» l'Océan les diverses profctiideiirs observées sont iii(li<|uées par des teintes plus ou moins claires, et un examen siiperiiciel lions permettra <le déiiinvrir un vaste coiitiiienf déterminé par les Acores, les ('.aiiari«'s, les Antilles et de iiomitreuses vi^'ies. Ce continent est contourné par un fleuve maritime, le (luU'-Stream, <pii semlile liaifrner ses C(\tes, et partout il a gardé les traces de jj;igaiites(|ues liouleversemeiits. Ainsi, pour les Antilles, Oolomlt avait déjà remanpié (pie la Trinité et les îles adjac(>ntes avaient jadis faire partie du continent. Kn elVet l'archipel «pii commence ù la Trinité, se continue par Tahaf-'o etdrenade, et se proloiij:e en demi-cercle de Port(j-Uico au cap tîatoche dans le Yiicatan, par Haïti et (îuba, iiiar([ue une cliaiiie sous-marine, dont les îles ne seraient (pie les sommets, La iiu-r est peu profonde dans ces parafées, et toutes c(;s îles sont fort rapjtrocliées les imes des autres, [..e Tortujia, Margarita, (loche, la Sola, Testigos ne sont séparées du continent (pie par un mince détroit et très peu de fond. HIanquillu, Orchila, les llo(pies, Huenayre, (iura(;ao et ( Iriilia semblent les restes de terres submergées, et d'ailleurs elles sont dc^ mi^me formation géologi(pie (pie la côte de Vene- zuela ; ce (jui fait supposer (pie jadis elles faisaient partie de la terre ferme et n'en furent détjicliées qiu; par une secousse formidable, a Les différentes sources thermales qui sourdent au bord et au dedans même du golfe, et qui élèvent la tempé- rature de la mer dans r(!space d'une demi lieue carrée, l'huile

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e qui couvre la surlace de la baie, !a

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eaux .sulfureuses, les mines de |)oix élastique fréquemment

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(I Voir la carte dressée i)ar riii^'tiiiieiir V. de Botelha (Mapn del Oceano Athnitico Sptentrionat) et insérée dans les Mémoires du Congrès des Améri- cniistes du Madrid (1881).

(2) Troisième voyage de Colomb. Lettre au roi et à la reine. Navahkttk, Colcccton de los viajes y dr.icu/jrhnieiitos que hicieron pov mar lus Espa- nolc, etc., t. 1, p. 102 : « Y conjelnré que alli dondc son estas dos bocas <|ue algun tiempo scria tierra eoulinua a la isla de la Trinidad cou la tierra «le (îracia. »

C.IIAP. I. COMMIMC. KNTHK L'aMKHIUI'E ET l'aNC. CONTINENT. 17

iiiun<l<''('s, tout se réunit pour cuiistatcr l't'pocjuc rt'lativomeiit iinidcriic de cet événement -> (1). Le golfe et In lugune de Vlitracailto présentent encore des traces sensibles du grand iMiiileverseinent (|ui jadis lit connnuniquer le golfe avec l'Océan en engloutissant une niasse; considérable dv terrain. Les golfes de Paria et de Cariaco attestent aussi l'action d'une g ande irruption des eaux <|ui les découpa en formes étranges. Ce qui d'ailleurs sendtlerait jjrouver la formation récente; de ces terrains, c'est l'accroissement delà température qui indicpie une moindre é|iaiss(iu* aux cou(;hes terrestres. D'ordinaire la température s'accroit d'un degré par trente métrés de profondeur : Sur les côtes de (lolomhie et dans les Antilles, elle s'accroit d'un degré par l:i à L'i mètres (2). Des |)liénomènes analogues se sont produits sur la côte du Yucatan (3). D'après les traditions locales elle était jadis réunie à Cuba. Cette péninsule (;n ed'et, pres(|ue «•nfièrement dépourvue de fleuvos et de rivières, ne reçoit d'eau «pie par des puits immenses que l'on croit alimentés par des fleuves souterrains, tandis (|ue l'île de Cuba est sillonnée par de nombreux cours d'eaux.

D'ailleurs le continent américain presque tout entier se présente à nous comme ayant conquis sur les eaux, après la disparition de l'Atlandide, d'énormes espaces (i). Les Etats- L'nisentrc l'Atlantique et les Allegbanys, la Floride, la Louisiane, le Texas sont des terres abandonnées par l'Océan. Les bassins de l'Amazone et de la Plata sont de la même formation géolo- gi(|ue. La Patagonie est si évidemment un ancien fond de mer «pie les plaines de la région sont encore imprégnées de sel, c'est-

VAHETTK,

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Espn-

los

l)ocas

la

tierra

(1) CoDAz/i, Résume" delà Geoyvafiu de Venezuela, p. 467. ri) Maiicel de Sehh , Cosmogonie de Moïse comparée aux faits hislo- tiiiues, t. H, p. 322.

(3) Stepiiens, Incidents of travcl in Yucatan, I, 6. Bhasski ii dk UoiiiBoino, Archives de la Commission du Mexii^ue, II, 19.

») HiFKON, Epoques de la nature [dàiWon Flourcns), t. IX, p. 572. Joi.iBois, Dissertation sur l'Atlantide, p. 97, 98. d'Orbigxy, Voyage dans l'Amérique méridionale, IV, 188.

T. I. 8

18

l'KFCMIKHK l'AUTIK. LKS l'HKCl'USKlHS l)K (.((UlMIl.

iVdirc (|ii(> le grand cataclysrno a mis iiiiu incr iiniiiciiso à la place (ruii pays fortilc et nMnpIacé <li' vaste» mers par un vé- ritul>le c-diitiiient.

Aux vraiscMildances scieiitilupies s'ajoutent les traditions lu- cales. Les Claraïlies (1), lors de la (-«(iKpKHe, racontèrent au\ Espagnols (pie toutes les Antilles avaient jadis formé un seul continent, mais cprelles furent sul)itement séparées par l'action des eaux. Ils disaient encore (|ue les mornes, h's falaises et les escarpements de leurs îles furent transformés par cette inon- dation maritime. IjC souvenir d(^ cette convulsion géologi(pie s'est per|>étué à travers les Ages, et c'est touj«»urs l'eau (pii joue le rôle de l'élément destructeur. Ainsi les Kloridiens (:i) racon- taient que le soleil retarda sa course de vingt-quatre heures et que les eaux du lacThéomis ayant débordé couvrirent tout, sauf une montagne, se réfugièrent les seuls lionmies cpii furent sauvés. Les Californiens (IJ) parlent d'une inondation générale amenée par la colère de leur dieu Tchling. Les Iroquois disent que la terre fut inondée par un grand lac. Les Montagnais (4) du Canada raci»ntaient (pi'uu certain Messou étant entré dans un lac pour y chercher ses chèvres « ce lac venant à desgorger couvrit la terre, et ahyma le m(»nde, et généralement tous les arhres qu'elle avoit produits d'elle-même en furent cachez ». Les (;ia- uadiens d'IIochelaga [■',) «( font mention en leurs (^liansons <pie les eaux s'estant une fois dél)or(lées couvrirent toute la terre, et

ê-vi:

(1) lloKN, De ori(jinil)Us Atnericani.i, p. 88. » linimincrabilcs Messicaiii siiMis iiisiiliis iiiiuin olitn contiiiciitein fuisse : ita ex iiiajornm aiitii|ui.ssiiiia tradilioiii' ipsos iiicolas asscrerc labeiitibus sircnlis avulsas vi teinpestalis, cl cxigiii: IVc'lis divisas iii laiituin iiuiiieruin cxcievissi-. » CI'. RÉvii.i.i:, Histoire tlnx Cjraifjp^ (Nouvelle Revue), 1882 Borde, Histoire de l'Ile de la Tri- nitad, p .'H -(50.

(2) II. i>K CiiAiiKM^Kv, Traditions ntn''ricainos surin dêluqe (Revue ainé- ricainc, 'i'> série, [». 88-'J8i. Cf. Acost.\, Ds promulf/ationeEvanfjelii a/ntd Barbaros.

(!{) De Cii.\nENf;KY, oiivr. cilé, p. 9:{.

(4) SAo.vni), Hiitoiro du Canada, p. 502, édit. Tross, p. 467.

{")) LEsr,.\RR()T, Histoire de la Nouvelle France, p. 693, édit. Tross, p. 049.

CHAI'. I. co.mminh;. kntme r/AMKHiQiK KT l'anc. i:(>.\TIM„\T. I!»

furent tous les lioiiiiiu's iioyi'/, ('\t»'|it(' leurs fjraiids pères (|iii Si' sauvèrent sur les plus liants arhres du pays ». Voici la tra- (luetiuu (l'une lé^'ende Kscpiiuiaude, recueillie |iar le II. P. l'etilnt (1) : « L'eau avant envahi le j.'lt)lie terrestre, nu s'épou- vanta; les tentes des lioiiuues disparurent, le vent les emporta; on lia côt(! à côte plusieiu's Itanpies; les vaj:ues dépassèrent les uionta;:nes rocheuses. In ;;rand vent les poussait s(U' la terre, les lionuues se lireiit sécher, sans dmife au soleil, mais le inonde et la terre dispariu'ent. Par une chaleur adVeuse les hommes périrent. Par. les fhtls. ils périrent é}.'aletnent. Ils trendilaient, ils se lamentaient ; les arhri's déracinés flottaient au jjré des vaf.Mies... cependant un hoimne a|)pelé le fils du lliliou jeta son arc dans les flots : « Vent, ne souffle plus ! c'est assez, s'écria- f-il, après (juoi il jeta dans l'eau ses pendants d'oreille. La lin arriva ».

Pareils souvenirs se retrouvaient chez les hahitants de la Terre-Ferme et de la (bastille d'Or (2). Une lé^'ende llaï- tieniu', conservée |)ar frère Romain Pane (31, attrihue aussi à une inondation soudaine la formation des Antilles. F^es peuplades de l'Orénocpie désignaient ce cataclysme |»ar le nom de (".afenaman<»a (4), ce (pii veut dire suhmersion du faraud lac. Kidui, voici (>n rpu'ls termes saisissants les Quichuas, c'est- à-dire les hahitants primitifs de l'Kurope centrale, racontent cette ell'rayante inoiulafion dans leur livre sucré, le Popol Vuli (5) : « Alors les eaux furent gonflées par la volonté du

il) H.-P l'KriioT, [.ff Ero/iii/naux (Congrus améiiciiiiiste de Nancy) p. :);(().

CJ) IIkiihkha, Ui^loiia tjencml de las Imitas, II, 07. IV, 11!).

(.)) Humain I'ank, Histoire de Notre-Dame de Izamal, liaductioii Hr (II! llonrboiir;,', ]). 110 Cf. Lettres de Pierre Marti/r à Pompo7iiii, 1 \\\)'i ^Lu^t^(;s ili; Picne Martyr relatives aux découvertes inaritinics des i;ii()ls et des Portufçais, Irad. Gallarcl et Louvot, \^. 10).

(i) (iiMii.i.A, Orhioro illustrado (traduction Eidous), t. II, p. 1;>5.

(.■)) Vojnd Vuh traduction Brasseur de Bourbourg), p. 27, 29, .'H. Cf. Histoire d'un voyage au Brésil, § 26 : « Ils avoyeut fait mention en

, 1. I,

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l'HKMIKHK l'AiniK. I.KS l'IlKCLHSKl »S 1>K COUlMIJ.

cœur dn cit'l, et il se lit une jrraiulL' inondatioii (|ui vint au- dessus de la t(Me de ces nianiiequins et de cestMres travaillés de li(»is. Une résine épaisse descendit du ciel. L'oiseau ilécotcovacli leur vint arracher les yeuv de l'nrhite, le Canialotz vint leur trancher la tête, le Tainhalan hrisa et hroya leurs os et leurs

cartilafres. leurs corps furent réduits en poudre et dispersés

Alors on vit les hommes cotirir en se poussant, remplis de dé- sespoir : ils voulaient monter sur leurs maisons, et les maisons sV'croulant les faisaient tond)er à terre; ils voulaient monter sur les arhres. et les iU'hres les secouaient loin d'eux ; ils voulaient entrer dans les cavernes, et les cavernes se fermaient devant eux. Ainsi s'accomplit la ruine de ces créatures humaines ».

Que si maintenant nous nous transportons sur les archipels qui suhsistent au milieu de l'Atlantique, connue les derniers témoins de ieffondrement de rAtlanti<le, nous remanpierous d'abord que leur nond»re et leur position paraissent avoir singulièrement varié depuis les premières observations qui en ont été faites. Il est à peu près injpossihle d'établir la concor- dance entre les textes anciens et les archipels actuels. |)lacer [lar exemple l'île de Cerné qui fut pendant plusieurs siècles, le point de relAche des vaisseaux Carthaginois, et le Char des Dieux, et l'île des (iorilles, et les îles Purpuraircs? Dès 1534 Bordone (1) avouait qu'on n'était pas d'accord sur le nombn^ et la position des îles de l'Atlantique. 11 est en effei probable que les convul- sions souterraines ont à diverses reprises modifié la physiono-

mie du sol. Les archipels de l'Atlant

tique

sont les restes d'une

ancienne chaîne de montagne. L'action des forces volcan

iques

l'a séparée en fragments, et et se manifeste de temps à

conmie cette action dure encore autre, ainsi s'expli(jueraient la dis-

cliaiisons que les eaux s'estaus une fois telIcniciU débordées ({u'elles couvrirent tonte l.i terre, les lioinnies du monde, excepté leurs grands pères qui se sau- vèrent sur les plus hauts arbres de leur pays, furent noyez. »

(1) BdUDOXK, Liùro ncl si tjua vagionn de lutte l'Isole del tnumto cou li lor nomi mitic/ii et moderni (1334).

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CIIAI'. T. COMMIMC. KNTHK l'aMKRKHK KT L'ANO. CONTI.NKNT. i\

pjiritioii de certaines îles et le défaut de concordance entre les documents anciens et l'état des choses actuel. (1).

Il est certain (|u"à Madère, dans les (lanaries et au\ Acores, u se laisse partout aj>ercevuir IVMupreinte du feu, et d'énormes fra}j:ments de laves ont été lancés, dans toutes les directions, à de telles distances, qu'il est souvent difficile de se rendre compte de la position isolée on les trouve ». Dans ces trois archipels, les montafïnes o, une hauteur prodigieuse, hors de proportion avec l'étendue des îles. L(> terrain est sillonné par de longues anfractuosités et des couches de laves amoncelées. De loin en loin, fument enc(»re les volcans, dont les éruptions ne laissent pas (pie d'être très dangereuses. Pourtant le terrain de ces ai,'>'nels n'est pas entièrement volcanique; on y rencontre des débris de roches [>rimitives, granit, syénite, en un mot tous les indices de la jiériode primaire {"2). Un des géologues qui ont le mieux étudié ces îles, Doodwich (3), écrivait à propos de Madère et de sa voisine Porto Santo qu'elles n'avaient pu être créées par un volcan sous-marin. « Il est d'ahord irrécusahie (pie les masses de basalte ne formaient pas dans l'origine une roche d'une autre nature (pie la chaleur aurait dilatée dans la place (pi'elle occupait, et (jui se serait pénétrée de vapeur pour former la roche actuelle ; tout ser.ible prouver au contraire (pie ces masses se sont élevées li(|uides, et qu'elles se sont écoulées de la bouche d'un cratère. Kn second lieu, si l'île de Madère

iiiilo cou

(1) Hc.MB(ti.i)T, Voyage aux régionx l'qiiinoxiale du juuvean continent,. I, 327. " Quant à la question île savoir si l'arcliipcl des Canaries et les îles adjacentes sont les débris d'une chaîne de montagnes, déchirée et sub- mergée dans une des grandes catastrophes qu'a éprouvées le globe, ceci n'est nullement contraire aux lois reconnues de la nature ». heuthei-ot, llia- toire naturelle des lies Canaries, II, 87 : « L'action des forces volcaniques, qui a rompu l'ancien système de montagnes et l'a séparé par fragments, ne s'est pas restreinte aux îles Canaries. Elle s'étend sur un plus large espace, et l'on peut en observer les effets depuis les Açores jusqu'aux îles du Cap- Vert. »

(2) D'Avi7.Ac., Iles de l'Afrique (Univers pittoresque), p, 43.

(3; Hooowicii, Excursions in Madeira and Porto Santo, p. 107.

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22

l'RKMlKllK l'AHTlK.

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avait ('tt' oiiiiôrcnient cirre par un courant luariii, sa hasci, jo dirai mémo toute sa l)aso devrait tUro (composée de pierre ponce et de houille ; or, ces deux substances se trouvent en (|uantit»'' extrchnement petite et en couches alternantes avec la basalte et le tuf » .

Les Clanaries (1), malfrré leurs noml)reux volcans et les débris ijiués tlont elles sont parsemées, ollVent des traces j)lus fréquentes encore de terrain primitif. Remarquons tout d'abord que le pic de Teyde, dans Tile de Ténérifl'e, qui s'élève jusqu'j'i 3,710 mètres, sembh; par sa hauteur avoir eu jadis pour hase une terre bien plus étendue que les sept cents milles carrés de superficie de l'île actuelle. Bien que l'action des forces volcaniques (2!) soit partout visible, « nous avons retrouvé (3) dans l'archipel des débris de roches primitives, desjrranits jtarfaitement conservés, <»u qui, pour avoir épr^tuvé un feu violent, n'en existaient pas moins avant les incendies souterrains, des lits de sable ferruffi- neux (|ui n'ont éprouvé aucune altération, des couches d'arj^ile (jui ont conservé leur disposition et tous leurs caractères, enfin des amas de corps fossiles l'on distingue des productions marines et des empreintes de végétaux ». La syénite a été signalée à Fortaventura ; la syénite et le schiste nncacé à Gomera, Uuniboldt (i) qui résida (juelque temps dans l'archipel n'hésite pas à reconnaître ces îles comme le débris d'une chaîne de mon- tagnes déchirées et submergées par une des grandes convulsions du globe. Les côtes en effet sont presque découpées à pic et descendent si hruscjuement dans la mer que, principalement sur la bande orientale, les poissons ne peuvent déposer leur frai et

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(1) Beutiiei.ot, Histoire ncturelle des Canaries. Ciiii, v Nabanjo, Los Canarias.

(2) En 1492, 1528, 1585, 1705, 1106, 1730, 1735 et 1708 les Canaries furent bouleversées par des tremblements de terre. Voir GODRON, Sahara et Atlantide, p. 17.

(3) Bon Y DE Saint- Vi.NCKNT, Essai sur les îles Fortunées, p. 431.

^4) HL.Mr.oi,i)T, Voyaye aux régions cquinoxialer, du nouveau continent , t. I, §2.

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t:iIAl'. I. f.OMMUMC. ENTRE L'AMÉRIQI'E ET l'aNC. CONTINENT. 23

la |h\Ii(' est presque nulle (1). Le premier aspect de l'archipel est même si |)eu attrayant (juon ne s'explique pas qu'il ait si longtemps porté le nom d'îles Fortunées, mais le printemps éternel, la beauté du ciel et la fécondité du sol font vite oublier ces côtes tourmentées par d'affreuses convulsions et le confus entassement de rochers qui ne rappellent que trop le cataclysme auquel l'archipel dut sa création.

Les îles du Cap-Vert présentent (2) la même constitution physique et la même formation. Autour d'un pic, ancien volcan, dont les éruptions sont encore menaçantes, Saô Antonio, Paù de Assucar, (îordo, Fogo, etc. et qui par sa prodigieuse hauteur est tout à fait hors de proportion avec la petite île qui le renferme, des terres se sont effondrées, creusant entre elles des abîmes ; des montagnes se sont précipitées dans la mer d'un seul bloc, et plongent leur base à pic dans les flots pendant qu'elles cachent leur tète dans les neiges. L'aspect de ces îles est si tourmenté (|u'oii les désigna autrefois sous le nom d'îles des Gorgones : Immenses crevasses, cratères gigantesques, montagnes éboulées dans la plaine, tout y atteste encore l'action des forces souter- raines.

C'est siu'tout l'archipel des Açores qui fut violemment boule- versé et abîmé en grande partie. La surface de la plupart do ces îles est fort irrégulière, coupée par de hautes montagnes et de profondes déchirures, causées sans doute par l'action des pluies sur des matériaux peu consistants. Les reliefs se terminent brusquement à la mer par des rocs perpendiculaires qui semblent des nnu'ailles. Le sol a été si bouleversé qu'il est presque impossible de reconnaître la succession des couches stratifiées, et (jue les caractères observéssur un point sont presque toujours diamétralement opposés aux phénomènes qui se manifestent sur un autre point. Les éruptions volcaniques n'ont pas cessé.

(1) D'AvEZAC, Iles de l'Afrique, p. 123.

(2) I. LopKs DE Lima, E

fjuezas (l«4i , t. I. Das ilhas de Caôo Verde.

nsaios sobre a statistica da:, possessoes portu-

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24

PREMIERE 1 HE. LES PRECURSEURS DE COLOMIl.

Celles de llio, de ir>31, de 17oo et de 1811 ont laissé de lugubres souvenirs. En mai 1807 on signalait encore des eom- motions souterraines, et, les 1" et 2 juin de la mOme année, une bouche volcanique lançant des pierres et épanchant d'énormes masses de lave s'élevait à la surface de la mer entre Graciosa et

•ceira. Pourtant le terrain primitif se rencontre dans les îles us éloignées du centre et du foyer. Le schiste constitue 1 lie Santa Maria et le marbre est abondant dans l'île de Gorvo (1). Il se peut que toutes ces îles. Madère, Cap-Vert, Canaries, Açores, soient les restes d'anciennes chaînes de montagne. « Quand les feux souterrains furent devenus assez forts pour se faire jour dans le continent Atlantique et que les rochers les plus solides ne purent résister aux secousses qu'ils imprimaient au sol..., l'eau, qui cherche sans cesse à accroître son domaine, profita de cette crise et des fractures qu'elle occasionnait pour se répandre sur plusieurs points. Bientôt, par les effets réunis du courroux de l'Océan et des éruptions volcaniques, un continent disparut de dessus la surface du globe. Les fragments »^noini- unis et sans solidité qui en faisaient la masse furent entraînés par les courants (2) >>, et c'est ainsi qu'il ne resta bientôt plus que le sommet des anciennes montagnes de l'Atlantide.

Ce n'est pas seulement dans ces archipels, mais aussi dans la mer qui les entoure qu'il est facile de retrouver les tra(;es d'un continent submergé. Entre les Canaries et la côte Marocaine, la mer est si peu profonde que quelques géologues ont affirmé qu'une convulsion violente de la nature a seule pu séparer cet archipel du continent. Il suffit, en effet, d'explorer la côte d'Afrique (3) entre les caps Spartel et Bon pour y remanjuer

(1) BoiD, A description of the Açores, or Western Islands, frotn personal observation, 1835. Drolet et Morelet, Rapport fait au roi de Portuyul sur %m voyage d'exploration scientifique aux îles Açores, 1857. G. Hau- TUNG, Die Azoren in ihrer Aiisseren Erscheimmg und nach geognostichen Natur geschildert, 1860.

(2) BoRY DE Saint-Vincent, ouv. cité, p. 1860.

(3) GoLBERHY, Fragments d'un votjage en Afrique, t. I, § 2. Bory iik Saint-Vincent, ouv. cité, p. 440.

CIIAl'. I. COMMUMC. ENTRE l'aMÉRIQIE ET l'aNC. CONTINENT, "i.'i

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de nund)ren\ déchirements et des monta}j;nes séparées par des gor}îes très ouvertes et paraissant divisées par l'action d'un violent ellort. Entre Madère et les Canaries se prolonge sous les flots une chaîne sous-marine dont les sommets émergent de loin en loin :!:s Désertes, île Salvage, etc., et semblent ne faire des deux archipels qu'un seul système. Entre les Canaries et les Acores existent encore de nombreuses vigies, jadis men- tionnées par Frézier (I) et Fleurien (i), qui explorèrent ces parages. Ces vigies sont mêmes si nond)reuses qu'il est impos- sible d'en expliquer la présence sans admettre qu'elles appar- tenaient à un continent submergé (3). L'amiral Fleuriot de Langle a c(»nsacré à ces vigies éparses un important travail, dont nous allons présenter un tableau résumé (i\

D'après le savant observateur, on distingue six zones dans cette partie de l'Atlantique. La première est situé entre 12" et 18" de longitude ouest de Paris. Elle comprend six vigies ou écueils : Le liackall (57°, 39' '.Vr Lat. N. 15» W Long. 0) signalé en 1810 par le capitaine de VJ'Sndymiou, et (|ui depuis a figuré sur toutes les cartes marines ; "l" L'Helen (57" i5' et 15" 37' 15") sur lequel s'est perdu, en 18:24, le capitaine Erskine ; La Unche dite Kius (55» 18' 13° !29') signalée en 17M, à (juatre pieds sous l'eau, par le capitaine du FricndSIùn, Ait- Kins, revue, en 18

par

ipitaii

3t en

1852, par le capitaine du Fiugalto», Cronig ; 4" La /{oclie du Diahlt; observée en 1737 (i7"i2()' 13» 20') par le capitaine

(1) FnÉziEB, fielatiom de voijnge h In mer du Sud, r. 289.

(a) Fi.ELiiiEN (i)e;i. Le Neptune Américo-septentrio» J (1180), p. 60(i.

(.')) BuKFON {Epoque de ta nature, édition Flf.cns, t. IX. p. :}63) s'eu était douté : « Le grand intervalle de nier, écrit-il, entre l'Espagne et les terres voisines du Canada est prodigieusement raccourci par les bancs et par les îles dont il est semé, et ce qui pourrait donner quelque prohabilité de plus à cette présomption, c'est la tradition de la submersion de l'Atlantide. »

(4| Fi.EuniOT DE Langle, Oftnervations de vigies- et de /lauts fondu dans ll'Attantique septentrional au targr des Acores (Bulletin de la Société de I géographie de Paris, juillet 1865).

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l'HKMIKHK l'AHTIK. LES l'HKCLHSEURS 1)K COLOM».

a

Hrignon ot en 1818 (4(5" 3.'!' 15" !27'j par le cafjitiiino W. Peter; 5" J/^/yrfa (44° 45' 17° 45°). Dès 13()7, iKtus trouvons eet écueil indiqué sur la carte catalane éditée par Uuclier. Il reparait dans le Ptoléniée de 1519, et, dès lors, figure sur les mappemondes modernes. 11 a été observé, en 1730, par le capi- taine de Rock ; Vigie du VHanmhnl. Kn 1749, le capitaine (irifïe de rilaiinihal sifrnalait des i)risants danp:ereux par 43' 10' et l(i"40' : serait-ce par hasard le ménie liant fond que celui Heriu'ville, lonuuandant de Vh'lisfibt'lli, se tnmva engagé en 17i5 (44" Kf 13° S) et un coup de mer furieux lui enleva soixante et dix hommes de son équipage?

La deuxième zone est située entre 18° et 25" de longitude ouest. Elle comprend neuf vigies en hauts-fonds. Le banc de Kramer, ainsi nonuné du capitaine Alof Kramer qui le décou- vrit par 59" 47' et 19" ; Le banc du Lion (50" 42' 19" 50') reconnu en 177(5 par le capitaine Pickersgill et en 1831 [)ar le capitaine Vidal ; 3" fji Hoche du lirasil on banc de fei\ indiipiée déjà sur le portulan médicéen de 1351 (1. de Brazi), sur la carte de Picignano de 1307 (Insula de Bracir), sur le portulan de Mecia de Viladestes de 1413 (insola de Brazil), sur les cartes d'Andréa Bianco de 1430, de Fra Mauro de 1457, et de Ptolé- mée de 1519 : à partir du XV siècle on ne la retrouve plus ; 4" Les Hoches de Nègre. En 1722, par 48"10'— 22°40' le capitaine Nègre, de la Rose Sainte-Croix aperçut (juelques pointes de roche ; est-ce un des rochers couverts de coquillages et émer- geant d'environ 05 centimètres que le capitaine Michel, de la Catherine découvrit en 1753 par 48" 45' 18" 59', ou le haut- fonds, sur lequel déferlait une mer très blanche, que signalait en 1810, par 47" 50' 23" le capitaine de la JJellone, de Prigny ? 5" Cinq grosses tètes. En 1817, par 43° 28'— 23° 40' le capitaine Dichin, de la Confiance, découvrit un récif couvert d'eau; en 1854, par 44" 14" 23" 53', le capitaine Duprat apercevait une roche haute d'environ 15 mètres, et la même année, par 44°22' 21°27', le capitaine Persil remarquait une autre roche f t élevée, en-

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Ml 1854,

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ttiun'c (le l»risaiits utoros ne doiiiiaiit de f(jiul(|u'à 113 nit'tres ; <t" .\fiii/di( : cet îlot qu'il ne faut pas confondre avec l'îlot de même nom déjà signalé dans la première z<tne fut oliservé en ITd.'i, par 47° 12' 2.'l"3i>', par le ca|)itaine Nau de Bordeaux, (pii le décrivit connue une île blanche de la grandeur de l'île d'Aix. Kn 1717 le Père Gordeiro, dans son histoire des îles de r(Jcéanie { >ccidentale, le faisait figurer (iTo^O' :25»2V) parmi les posses- sions du Portugal, mais en 1738 le capit.iine lh-adf(irt, dn Jfdi'llfi/, par 'io° 10' 21'*37', eten 184ïile capitaine IJridou, de la TlitW-se, par M'}" 10' 22" 30', ne trouvaient plus (|ue des brisants (h; six ou sept pieds de haut. lifinr Lamarre. Ce banc fut signalé en 1820 , 42";n'- |)as de longitude) par le cj'.pitaine Lamarre de VA'mi- iii'-Marh'. Il rencontra de nombreux rochers sé[ .rés par des

,i<Miiau\ et leur assigna une étendue de vingt à vingt et un milles dans la direction du sud-sud-est au nord-nord-ouest. liane ilAdruher. En 183Î) le capitaine Adroher aperçut à sept ou liiiif mètres sous l'eau, par ^((".'iC)' et 10" 01' un récif de cinq milles d'étendue. Banc de. In Henriette. Ku 181(», par 37" 39' et 10° 4Î)', le navire la Henriette avait déjà trouvé dans ces parages un brisant fort étendu.

La troisième zone est située entre 25" et 30° de longitude

ioiiest. Elle comprend sept basses ou vigies. Vigie de Mar-

chdine observé en 1728 (par -48" 2(»° 39') par le capitaine

Marchoiue, du Prince-de-Conti ; Vigie de Hoittin, signalée tur la première fois en 1701 par le capitaine Houtin (iC)" 40' io^riO*) (]ui découvrit un rocher de -43 mètres de long sur 20 de large, et pratiqua des sondages tout autour ; mais dès 1727, ar 4()"20' 28" 49', la frégate la Galatre ne trouvait plus qu'un récif, en 1788, par 45" 48' 2(»"10', le commandant du liurhcnu, kle Segneville, ne signalait plus qu'une décoloration de l'eau, et en 1833, |)ar i()"30' 25» i8Gorral, capitaine de Co/?7H*\s/arforne parlait plus que d'un haut fond. /.« Vigie de Gosseauine. Dès 1(;27, par 4-4° 52' 28" 3 4', le pilote Albert de la Trcmhlnde avait Ail la mer se briser surunécueil. En 1819 le capitaine Coombo,

28

PHEMIKHK rAHTIK. LKS l'HKC.l HSKJRS I>K COLOMH.

(le la Patins, visita le diinger par M)"î>'ï 2H":H, et même réussit à arracher un goëmon qui tenait au fond. Eu IH'M), par 41^52' 28" 34, lo capitaine (Josseaunie dhservait des rochers émerfieant de l'eau, et en 1843, par 4.')"!' et 28Tj' le capitaine (^ornforth, de VOtfersponl, certifiait l'existence d'un hrisant. 4" lion f il' firreiw. Le capitaine Greeve, de YAnna-Cnthm'hia a[»ercut en 1745, par 44" 27°2r)',uue chaîne de rochers, prohahlement lu même que revit en 1711, par i.'l'lîJ'-- 27" 2o, le capitaine Curie de la D'uinu. .> liasse de VlAiphros'ini'. Vax IS.'il, par 43° 40' 29° î)', le capitaine Mestre, de VJ'Jnphrosiin', remarqua que la mer était décolorée, et trouva le fond à 82 et à 8') mètres. Viffle di' Gairhard't. Elle fut signalée en 1735 par le capi- , tainedu J)auj)lii)i, (îuichardi, cpii, par 42° 30' 20" 25', vit des roches élevées d'une di/aine dv mètres, mais en 182Î), à hi même latitude, le capitaine Mils, du 7'«//(f'>' n'en rencontrait [)lus que deux; en 182'.), par 42" 20' 27" 20', le capitaine Woodall, de Vludemnili/, signalait des rochers sur lesquels la mer défer- lait avec violence, et eu 1842, par 42" 51' 20" 35, le capitaine Alderson, du Mornhig-Star, trouvait des rochers élevés de trois mètres. 7' liasse de VAhnable Marie Jeanne. En 1777, par 41° 30' 29° 28' , le capitaine Voizard, de VAhnable-Marie- Jeanne, s'aperçut que la mer changeait de couleur, mais il n'eut pas le temps de sonder; en 1813, par 41° 7' 24" 59', le capitaine du Pei'setts trouva des hrisants.

La quatrième zone comprise entre le 30" et le 35" de latitude, comprend six écueils : Les Trois Cheiwinées. C'est en 1720 que le capitaine du Clos-Fernel, du Chai-de- Verne ^ signala, par 45" 57' 31° 54' trois têtes de rochers hauteur de 27 mètres environ. 11 leur donna le nom des Trois Cheminées à cause de leur forme allongée. Elles avaient d"- aru un siècle plus tard, car, en 1823, par 47° 55' 32° 04', VAmHié-du-Croisic ne trouvait plus qu'un fort brisant, et en 1831 , par Alo 55' 37" 20', le capitaine Hatena, de la Bonne-Mère, manquait d'échouer sur une longue ligne de brisants séparés en quatre groupes bien

(.MAI'. I. COMMIMC. K.NTHK I.AMKIUQIK KT l'aNC. CO.NTI.NE.NT. li.*.)

«lisfiiicts. Il est iK'Miimoins prnhaMc (|ii(' leurs (iliscrviifioiis s'adressaient à une autre vi^Mc, car en IH'ri, |iar 47" 'M' 'M" 11', le capitaine Koallovs, de Vh'df/lf, si^qialait encore trois têtes de rochers émergeant de '11 mètres. ^" ht Itttrht» du Mnr'nier fut indi(|uéepar le cai)itaine Swaintore, du Mar'nin- (|ui faillit s'y perdre en IH.'JI, par iC»" :K)' lUTi"'. W" La /{orlif /fntdn'sou, ainsi nonnnée |)arce(|irelle consiste en un fond rocheux très con- sidérahle, trouvé en iSriO, avec 87 et 17H mèfres de fond, par A'I^V.V IJl^^iO', par le capitaine llenderson, du riHiiicn-AWHe roche llenderson ressemhie à i" La /{nclic Moss- raii, trouvée eu IS'il |>ar le capitaine Mossurau, de V/ùlirard Kcinn/, qui dé- clare avoir vu la uu'r se hriser par iI}"H' lU"!!". .V' La /{nrhe du Fi/m ressemhie aux Trois Cheminét's. Elle fut sifîuah'M? eu 17(57 par le capitaine Ytreck, du Fijcu, ijui découvrit trois têtes de rochers par -47" ^' ;{3" (H)', mais sans trouver de fond ; et en 1S5(» par le capitaine Chardenni. du Duquesni' qui vit par 47" 'X 31° 7', trois têtes de rochers disposées eu trian}:lo émerf^eant de deux uà'tres et garnies à l'eutour de fucus. Signalons encore dans cette zone ()" Im Viq'to dv la Couslauça, formée par des hrisants aperçus en 1840 (IJ2" ^(>' 38" -45') par le pilote de la Cousiauça, Manuel Ferrecrà.

La cinquième zone, située entre 35" et 4'>", comprend neuf vigies : 1" /{ochers dv fiourjli. Ce sont deux rochers hors de l'eau {■U)° 33' 3o» "H)') ohservés en 1820 par le capitaine Heaufort, du Concnrd. ll" Lllc Jacquot fut signalée eu 1728 (.4r;o 40'— 38' 59') par le capitaine Bannehetche, de Saint- .lean-de-Luz, qui faillit s'y hriser ; en 1782 (40" 50' 42» 12') |)ar le capitaine Querval, du Jeum Frrdêric ; eu 1830 (-40^55' 41° 50') par Mate Legros du Scaflores, qui trouva une île de cent mètres d'élévation, et en 1858 (40" 52' 40" 20') par le capitaine Joh du Christ obal, qui ne rencontrait plus que trois têtes de rochers. 3" La basse d'AmhUmoni est formée par des hrisants situés par 44° 20' 35° 59', vus en 1087 par le capitaine •l'Anihlimont, de VArv-en-CU:l. La liasse Sargeac : c'est un

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rocluT roufrc (ill" ri"' 13" 1 V) siffiiah- en IT.'iO |»;ir le t'a|)ilaiiic Sarpcac, de la Mitr'ic-Him', ; à iu> |>as cinifoiKlrc avec uii liant l'orid (le ciiKi iiK-trcs, sitiu'' par K^l" W ',\\)" io', (lôcouvcrt la iii^'irio uniUH! par le capitaine llaiiii^'cau, du Lrznvd. W Le Itniu- l'^sjKifjtiid fiiiisi nommé en l'C»*.! par le caiiitainc Ifilcsias, dn Slscai', (pii romar(|na, par W" ^i' 38" iO, nnc décolo- ration d(> l'can et trouva lo fond à huit mètres scidcnicnt. Kn

1841,

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IW" 37', on observait un banc à fleur d'eau.

mais il avait disparu en 1857, carie capitaine VValstein, du /ilntiit- fn'i-f/, ne siffnalait plus, par -iO'^O' 30° "HY, (|u'une décoloration de l'eau. i\<> Itmtc dit IJruid. En 1803, par il» 2i' V.V îi.'i', le capitaine Castillo, de la Conslanra, avait déjà vu la mer se briser; mais c'est en 18il seulement, par 41" 10' 43° 55', (|ue le capitaiiu' Treadwell, du Driiid, aperçut une dizaine de roches à un mètre au dessus de l'eau. 7" Vif/ic de Clianieri'dit ainsi nommé du capitaine Chantereau, de VAiir/nsie, qui en 17:il, par 38" "24' il" 50', découvrit de forts brisants. hi Hoclii; drs 'froin Frères fut découverte en 1720 (40" 28' 43° 00') par le capitaine Sébastien, des Trnh-Frères, cpii trouva le fond à sept mètres. Enfin dims cette cinquième zone existent 0" Acv Ilocho.s ScDis Nom, (jui peut être se confondent avec les précédentes et qui furent observées en iH±l (38" 10' 30" 52') par le pilote espagnol de la Tr'iunfnnic ; en 1831 (38° 45' 30» 25') par le capitaine Ignace Natta ; en 1840 (37' .50' 35" 24', par Manoël Feneira ; en 1840 (38" 23' 30° 30') par le capitaine IJotte, de la Louise.

La sixiène zone, située entre 45° et 00» de latitude, comprend trois écueils : 1" La Hoche }fé(jiiet, fond rocheux à cinq mètres de profondeur, signalé en 17()8 par le capitaine Méquet, de (Iranville, par 40° 30' 47° 33', et qui se confond peut-être avec Les Roches Vierges, découvertes en 1829 (iO" 27' 53' 10') par le lieutenant Rose, de la Ti/ue, ([ui trouva le fond à quatre niètres, et en 1843 (4()° 30' 52" 4') par le cai»itaine llyder, du Jiélhel, qui trouva le fond à sept mètres. 3" La Roche

CHAI'. I. «'.(IMMIMC. KNTUK LAMKIllylK ET i/ANC. CONTINKNT. M

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If : (l(''S l7(K)im iiîivirc de Hordciuix avait sif.Mialt'' un

haiif et <|n('l(Hi.'s îlots par iO» :«()' .'il» :«>'). Kn \'-l''l U- capitaine llcrvaiiaiilf, (In (htnt/Ki'ninl, iAm'r\n\l à "<M> int-lrcs ilc distance, par il" i<»" 1', d'une part un roclier à tieur d'eau et de l'autre tniis brisants distincts. En 1818, par M)' .Vi' M" !'(", le capifiiine Konrnier, de VOsctir l'i hlisr tntuvait une roclie hors de l'eau. Le capitaine Maxwell eu sifjnalait tmis eu

IH-iC», |tar

ilo '■y iilo V,i, et c'était une véritahie chaîne de

rncliers cpie le capitaine de \\\iiinli(i rencuutrait en 18;Ht par

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il» :2()'

Il <'st donc prouvé (pi'an milieu de i'Océaii Atlanti(|ue, entre 10" et OO" de loufritude ouest de Paris, c'est-à-dire sur un es|iac<' considérahie, existent des brisants, des roches isolées, «niel(|ues îlots et des hauts fonds. Encore a-t-il été impossible de recueillir toutes les explorations nautiques, et l'Atlantique n'a été étudié (jue sur une petite partie de son inunense étendue. On aura de plus remar(|ué, dans cette loujrue énumératiou, cpie très peu d'observations concordent, (|ue tel écueil signalé à tel endroit ne s'y est plus retrouvé quel(|ues années |»lus tard, mais qu'il a été remplacé par un haut fond, ou récipro(|uement (|u'un haut fond s'est changé en une chaîne de brisants. Il se pourrait donc, d'uiu' part, (jue le nombre de vigies observées fût bien plus considérable et cpi'on ait aj>pli(pié à tort la même dénomi- nation à des positions dilféreuti's, d'une autre [lart (pie le travail souterrain des feux intérieurs (pii jadis engloutit la majeure partie de l'Atlantide ne soit pas encore terminé, et. par consé- (pient, que de nouveaux archipels émergent ou (pie d'anciens s'elfondrent subitement. Ne signalait-on pas, en janvier 18.')7, au large des Carolines et de la Floride, uik; immense irruption (l'eau douce ? Des courants boueux et jaunâtres sillonnèrent l'Océan et des milliers de poissons furent tués (1). En pleine mer la salure diminua de moitié et les pécheurs puisèrent pendant

(I) Ravskim) Tiiomassv, Essai sur l'/if/drolnf/ie. E. Heci.is, la nirr.

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iiii iiiitis (lo l'oau |Mjlal)l('. Ou eût dit le Houlèvciiiciit d'un

nuitiucnt.

FiCs anciciiH avaient déjà r<'ruar(|U('' (pic rAtlanti(|U(' était parl'uis ('(tiiuuc agité de uinuvcniculs couvulsifs. (l'était uiénu' v\u'z euK uniMipiniou répandue (|u'<iu nepuuvaitipiedil'ficilenient naviguer au-delà des coImuiu's d'Hercule, car la nier, disaient- ils, était obstruée [lar des déliris roclnMix, des hancs de vase et

surtout des agglomérations d'iierlies marines : ils n'hésitaient pas à attribuer la cause de ces agitations aux derniers tressail- lements de l'écorce terrestre, encore frémissante de l'épouvan- tahle cataclysme <pii engloutit l'Atlantide.

'< On ne peut naviguer au-delà de Cerné, écrivait un contem- porain de Darius I, Scylax de Guryande (1), car lu mer est eird)arrassée par de la vase et par des herbes ». « Maintenant encore, lisons-nous dans Platon (ïi), on ne peut parcourir cette mer (l'Atlantique), ni la connaître, parce que la navigation est empêchée par la vase très |>rofonde qu(! l'île a formée en s'abî- munt ». Ilérodot ' (3), racontant le voyage projeté du satrape Satnspùs autour le l'Afrique, affirme qu'il s'arrêta en chemin parce qu'il reconnut l'impossibilité d'aller plus loin. Plutar(|ue (i) rapporte qu'il ne faut voyager sur rAtlanticjue (|u'avec des bateaux à rame, car les eaux ne permettent qu'une lente navigation et sont rendues bourbeuses par la (juantité de vase

(Il ScYLAX DE Cavrandf. (édition Didot) : « Ks'pvr,; v/^ioy Ta irJMivx oyxSTt iiv. TZAfDTa oto ppa/ÛTr,-» OaXâzTT);, xal nr^XoCÎ, xai oûxci;. »

(2) Fi.ATON, Tintée : (( Aïo zal vùv ànopov xat àô'.epsûvrjTOV y^y^vs toÙxei T.ù^ctyoi, nr,Xoj xapTa [ii^îo; £;iroôwv ov-o;, ov f, vrjao; îÇo(X£vr, rapcV/îTO. » Ce renseignement est confirmé par le Scholiastn de Platon (Edition Tauclinitz, Vil, I». 2!)'»' : (( Tojto xat ot toÙ; âxEt'vT, xoroy; !a-opO'jvT;; Xs^ouaiv, m- -avTa TîvaXfiiSr; tov =xeÎ eivat "/«îipov. TEvayo; rii ÈTCtv Wùi ti; întnoXâÇovTo; •joaTa, ;:oaXoCp, xa; IJOTavrl; Èni9a'.vo|j.svr,; toûtco, r[ ;;riXn»5r, r.zkx^T^, rj o'.âjîpoyo:, r^ xâOupyot ■zôr.oi. »

(:{| Ukrodote, IV, 33 : « ToC! ;jl7j t.i^atjmzx'. It,'iljr,v raviîXî'iDa alttov Too: ïXîys, ::X'}Xo'^ r.y'tn» ?yvaTÔv Ëti aivai aXX'îv'a/îiOa'.. »

[\) Plutauquë, De faciu m orôe liins, § 26.

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Ouest de Fari»

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l-KS Ar't'ORTS Di; (ÎULK STHEAJI (Extrait ilc lu (iro<:ia|ililc tl'K. Hkci.us, llacliottc et C', Wilcurs).

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(IIAP. I. COMMUMC. ENTRE LAMÉRIOIE ET l'aNC. CONTINENT. 33

(ju'y d('|><)sent de iiomhieux affluents venus de terre ferme. 11 «'Il résulte de tels attcrrissements que lu mer en est épaissie, .Vristotc [l) sig:nale les danjfers de la navigation dans ces (laraijes. L'auteur anonyme du Traité des Merveilles (2) rapporte (|U(' des Phéniciens de (iadès rencontrèrent, après quatre jours de navigation, des régions pleines de varechs, jouaient de iKiinlMTUx thons. L'exa'ct Strahon (3) confirme ce renseignement et nous apprend (pie la chair de ces thons était fort estimée, parce (pi'ils se nourissaient d'une sorte de gland marin si ahondant qu'à l'époque de la mat'irité les côtes de Gadès et des alentours en étaient jonchées. Or ce gland marin n'est autre (|UL' le fruit en graines des sargasses arrachées aux hancs de r.\tlanti(pie et jetées sur les cotes européennes (4). Ces sargasses atteignaient parfois des proportions gigantesques et arrêtaient la marche des vaisseaux. Aussi les navigateurs n'osaient-ils pas se ris([uer dans ces {>arages dangereux.

Même pendant le moyen âge, persista cette croyance à la «lifflculté de la navigation dans l'Atlantique. Jornandès (5), riiistorien national des (ioths, disait, en parlant de l'Océan, que non-seulement personne n'avait jamais essayé de décrire les régions lointaines (ju'il baigne, mais encore que personne n'avait osé le traverser, parce que les algues arrt .aient la marche <les vaisseaux, les vents n'avaient plus de force, et que celui-là seul connaissait ces parages, qui en fut le créateur. » De

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il) AuisTOTE, MétcoroU>(ji(iues, II, 1, 14 : Ta o'à'Ço) aTT,Xwv ,'3sa/c'a \xh v.% Tov nfjXov, à-voa ô'satlv, «îj? èv v.oiXfi) -f^<i OaXâTtr,; o'ùur,;.

■1} De mirafjilitjus auscultationihiis, édit. Didot, p. 166. Voir le texte au chapitre intitulé Les Pliéiiicieiis en Amérique.

(3) SriiABON, III, 2, 7.

\'i) THÉoi'RAaTt, Histoire des plantes, IV, 7.— Aviesls, Ora niariti>na, \. iO'J.

(")) JoRNANDÉs, Historia Gothoriim. « Oceani vero intraiismeabiles ulte- riorcs fines non soluni non describere quis aggressus est, veruin etiani iiei; tîuiquani licuit transfretare , quia rcsistente ulva et ventoruni spiramine <|iiicscenle, impermeabiles esse scntiantur, et nuUi cogniti, nisi soli ei qui cos cunstituil. »

T. I. 3

34

PREMIERE PARTIE. LES PRECURSEURS 1)E COLOMB.

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nombreux romans de ("li<?vaIorie (1) parlent, comme d'une mer très lointaine, de la mer liétée. Or, bétée ne signifie pas gelée, mais coagulée, et c'est justement dans cette mer (jue l'auteur de l'Image du Monde, au cliapitre d'Aufrique et de ses régions, plaçait l'Atlantide de Platon, et conservait ainsi comme l'écho des traditions antiques. Les Arabes, ces hardis marins, (|ui semblaient avoir hérité de l'esprit aventureux des Phéniciens (2), hésitèrent eux aussi à se lancer dans l'Atlantique, car ils se le rejtrésentaient comme couvert de ténèbres, ou rempli d'une eau épaisse ou boueuse il était impossible de naviguer. Mohammed, l'auteur d'un traité de cosmographie intitulé le Parfum drs fleurs dans les merveilles de Vinwers n'écrivait-il pas encore, en 151G, que les eaux de l'Océan étaient troubles et que personne n'osait s'y hasarder à cause de la difficulté d'y na viguer ? Il se peut que, soit par ignorance, soit par préjugé, les écri- vains de l'antiquité et du moyen-âge aient singulièrement grossi les difficultés de la navigation dans l'Atlantique : il est néan- moins très probable que ces dangers existaient, et, s'ils ont en partie disparu aujourd'hui, n'est-ce pas que, par la suite des siècles, les commotions violentes (jui bouleversèrent si souvent cette mer, ainsi que les courants dont la force est si redoutable ont transporté ces débris en les désagrégeant et peu à peu doiuié à rAtlanti(|ue sa profondeur actuelle ? Ces courants, (jui durent encore, ont sans doute creusé cette mer qui, d'après les appa- rences, ne dut pas d'abord être si profonde. Ils minèrent et engloutirent des iles moins solides (pie les archipels (jui sub- sistent (le nos jours, et sur lescpiels pourtant leur action lente et continu;'lle ne laisse pas ([ue d'être visible, et c'est ainsi que. si rVtlantide disparut, ses débris émergent encore au-dessus de ses eaux.

(1) Voir au cli;ipitrc intilulé Los Irlainlais en Ainùriiiue tout ce qui csl relatif aux courses de Saiut-Braudau dans cette nier Bétée.

(2) Reixaud, Introduction à la traduction tir la géoqraphic d'Ahoulfrd'i. 1». 212, 21.'), 2S(). KDnisi, Traduction Jaul)ert, t. I, p. 345.

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Au «•oiifjn's AiiuTicanistc de Mfidrid, cii 1881, un des savants dont s'honore l'Espagne contemporaine, F. de Hotellia (1), eonsidérant conmie acquis le fait de l'existence de TAtlantide dans les limites que nous venons de lui tracer, clierciiait à en fixer les contours exacts. Après avoir exposé les causes (jui, à l'ori^Mue de ré|)0<|ue (piaternaire, diu-ent [)ro(luire TcH'ondrement des terres aujourd'hui couvertes |»ar l'Atlantique, après avoir montré comment ce cataclysme, coïncidant avec le soulèvement des Andes et de la chaîne volcanique Méditerranéenne, pro- duisit un épouvantable bouleversement à la surface du monde déjà habité, l'éminent iufiénieur présenta une carte de l'Atlan- tique sur laquelle étaient indiqués les sondafies exécutés jusqu'à ce jour. Imaginant alors un mouvement orographique qui aurait soulevé de 32i() mètres le fond de l'Océan et notant les sommets et les continents qui émergeraient au-dessus du niveau de la mer, il démontra sans peine que les limites des nouvelles terres correspondaient à celles de l'Atlantide disparue. Certes, ce pro- cédé est ingénieux, mais il est toujours dangereux de s'a]>puyer sur une hypotlièse. Aussi préférons-nous ne parler que de c(^ (|ui existe et non pas de ce qui pourrait exister. Or, ne résulte- t-il pas de la j)réseuce au milieu de l'Atlantique de tant d'îles et de fragments d'îles que jadis existait dans cet espace un immense continent, qui n'était, qui ne pouvait être que l'Atlantide?

En résumé, et sans tenir compte des nombreux écueils et rochers épars dans les six zones de l'Atlantique que nous avons énumérées, il existe, à l'heure actuelle, trois trajets directs de la Guinée au llrésil, de l'Irlande au Labrador, de la Norvège et de l'Ecosse au (Iroenland, et de nombreux trajets indirects par les îles qui parsèment l'Atlantique ; à ne considérer que la géo- graphie; physique, il s(> pourrait, par conséquent, que cette dis- tance ait été parcourue par de hardis marins, soit hasard de la

(1) 1''. DK HoTEi.HA, Pruchras geologicas de la existencia de la AtlaïUida, su faima ij su flora (Congrès américaniste de Madrid, t. I, p. 142-16.1).

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niKMIKmC l'AKTIK. LKS PHKCL'HSKIHS 1)K COLOM».

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tempête, soit volonté bien réfléehie de pousser en avunt, (!t (ju»; quelques uns d'entre eux, plus audaeieux ou plus heureux, aient découvert rAméricpie avant la date olfieielle.

Une autre eause [)liysique devait les aider dans ces voyages : c'étaient les courants marins, ces inunenses fleuves pélag;iques, (jue nous ont fait connaître les belles observations de Maury, de Humboldt, et d'E. Reclus (1). Le plus considérable et le mieux connu de ces courants, le (îulf-Stream ou courant du golfe, pousse, d'un mouvement lent mais continu, les eaux de l'Atlau- ti(jue vers les cotes du Brésil. Il contourne les Guyanes, le Vene- zuela, la Colombie, l'Amérique centrale, le Mexique et les Etats-Unis. 11 pénètre dans le détroit de la Floride, et coule droit au nord en longeant la cote Américaine jusqu'à la hauteur de Terre-Neuve. Les courants du pôle qu'il y rencontre l'arrêtent et brisent sa marche. Une lutte s'engage. Le Gulf-Stream ré- siste et finit par l'emporter, mais il semble que ses eaux tour- billonnent sous un tel choc. Une partie du courant s'engage dans les mers boréales ; l'autre, de beaucoup la plus considé- rable, se déploie en éventail dans la direction de l'Europe, elle arrive en deuv branches. La première baigne les côtes d'Islande, d'Irlande, de Norvège et pénètre dans l'Océan glacial jusqu'à la Nouvelle-Zemble ; la seconde arrive sur les rivages de France, d'Espagne, de Portugal et du Maroc ; mais, heurtée |)ar les terres, elle se replie sur elle-même en décrivant une ellipse, dont la grande axe serait la distance qui sépare les Cii- uaries des Bermudes, puis revient à son point de départ. C'est dans l'intérieur de cette ellipse que sont accumulés et comme emprisonnés par le (rourant qui les enveloppe d'énormes amas d'herbes, qui constituent la mer de Sargasses. Aucun de n(>s fleuves continentaux ne peut donner l'idée de ce gigantes(jue cours d'eau. Ses rives, d'un bleu sombre, se distinguent nette-

(l) Maiky, Georjvaphij oftiœ sea. A. de Humiioi.dt, Voyage aux ra- yions l'i/uino.viales du nouveau continent, .. I, liv. i. E. Hkci,us, La Terre, l. H, p. 8t.

C.IIAI'. I.

COMMUMC. ENTRE l'aMÉRIOIE ET L'aNC. CONTINENT. 'M

ment sur lu surface de l'Atlantique au-dessus de laquelle leur axe s'élève d'environ soixante centimètres. Il a ses rives indi- quées par des sillons d'écume. Quand le courant polaire le rencontre, la ligne de démarcation entre les deux niasses li- (piides est tellement précise, cpi'on distingue le moment le navire sort d'un courant pour fendre l'autre. Le frottement de ces masses coulant en sens inverse produit une série de remous et de tourbillons. A sa sortie du canal de Bahama, le (iulf- Stream s'élanc»; dans l'Océan par une, embouchure de plusieurs kilomètres de largeur et une épaisseur moyenne de 370 mètres. Là, sa vitesse ég>le celle des principaux fleuves de la terre, car elle atteint sept à huit kilomètres par heure, elle n'est ordi- nairement, quand il gagne en largeur ce qu'il perd en force d'impulsion, que de cinq kilomètres et demi Quand les vents ne s'opposent pas à sa course, il roule paisiblement dans l'At- lantique la niasse effroyable de ses eaux, quaiante cinq mil- lions de mètres cubes par seconde : Lorsque, au contraire, la tempête le retarde, il s'épanche avec fureur sur les terres Lasses du rivage, et les ravage impitoyablement.

Un des plus curieux phénomènes qui signalent le Gulf-Stream à l'attention des savants, des économistes et des négociants est le mouvement constant de translation dont sont animés ses flots. En supposant qu'une molécule d'eau revienne à la place d'où elle était partie, on a calculé qu'il lui faudrait trente-quatre mois pour se retrouver à son point de dé[)art. Un bateau qui serait censé ne pas recevoir l'impulsion du vent parviendrait en treize mois des Canaries aux côtes de Caracas. Il lui faudrait dix mois pour faire le tour du golfe de Mexique ; mais, en qua- rante-cinq ou cinquante jours seulement la force du courant le porterait de la passe de Bahama au banc de Terre-Neuve. Les eaux de l'Atlantique sont donc agitées par un mouvement lent mais régulier, qui porte constamment les objets flottants dans une direction déterminée. (Jràce à ce perpétuel circuit, la navi- gation a pu rapprocher le Nouveau-Monde de l'Ancien. La

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plupart (les inarins (|ui reviennent des Antilles nu îles Etats- Unis utilisent la forte de ce courant. Sans lui, les côtes Amé- ricaines seraient pratiquement plus éloignées de l'Europe qu'elles ne le sont en réalité, les colonies resteraient dans un déplorable isolement, et la civilisation, faute d'aliments, aurait été singu- lièrement retardée ou même arrêtée. Aussi letiulf-Stream est-il comme la grande route qui unit l'Ancien et le Nouveau-Monde. Cette grande route, ol>jectera-t-on, n'est connue et suivie que depuis peu. Dans l'antiquité, par conséquent, elle ne pouvait être qu'inutile. Assurément les anciens ne Tout ni découverte, ni parcourue, mais elle n'en existait pas moins, et, depuis des siècles, le mouvement de translation, (jui anime en quehjue sorte les eaux du Oulf-Strtîam, opérait des transports étranges qui n'avaient pas complètement échappé à l'attention. Ainsi Fernando Colomb (1) raconte, dans la Vie de son père, «pi'un pilote Portugais, nommé Martin Vincent, lui parla un jour d'une pièce de hois sculptée (|u'il avait trouvée en mer à cent cin- quante lieues à l'ouest du cap Saint-Vincent (2). Comme le vent, depuis plusieurs jours, soufflait de l'ouest, le pilote Portugais afiirmait ([ue cette pièce de bois, portée par un courant marin, venait des îles qui devaient exister dans cette direction. Pedro Correa, mari d'une des belles-sœurs de Colomb, et gouverneur de Porto-Santo dans les Açores, avait vu dans cette île un morceau d(! bois analogue, qui avait être jeté sur la plage par les mêmes courants. 11 avait, à diverses reprises, ramassé des cannes ou roseaux, d'une grosseur telle, qu'en les coupant d'un nœud à l'autre, on aurait pu en faire des l)arils contenant au moins neuf bouteilles de vin. « On avait aussi rapporté à

(1) Fernando Colomb, Histoire de la vie et des découvertes de Christophe Colomb (Traduction Muller), § 9, p. 32.

(2) Cf. Hehreha, Historia gênerai de las I?idias, liv. I. « Tonio un pedaço de madero labrado por artificio, i a que se juzgabar non con liierro, de lo quai i per aver ventado niuchos dias poniente, iniaginaba que a quel palo venia de alguna isla » .

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I.IIAI'. I. COMMLMC. ENTHE LAMÉKIOL'E ET l'aNC. CONTINENT. 30

l'ainifiil (ju'à Graziosa et à Fayal (1), quand le vont avait soufflé lun^:t('ni|is de roccident, on trouvait communément sur les rivufres une espèce de pin qui ne croit sur aucune des terres connues des navifrateurs ; (ju'en outre, à Florès, le vent avait nu jour rejeté deux cadavres, dont le visage très large, avait un aspect tout autre que celui des chrétiens. On ajoutait qu'au cap de la Verga on avait un jour aperçu au loin sur la mer plu- sieurs almadies ou barques couvertes, que le mauvais temps avait dû, à ce que l'on supposa, entraîner hors de leur route dans le trajet de l'une à l'autre des îles occidentales ».

Ces apports sont dus évidemment au Gulf Strcam, et il n'est pas inutile de faire remarquer que leur constatation, en quelque sorte officielle, encouragea Colomb dans sa détermination de voyager à l'ouest. Ces apports du Gulf Stream n'ont jamais cessé. En 1731, un bateau chargé de vins, faisant route de Ténériffe à Gomera, lutta pendant plusieurs jours contre la tem- |)éte, et, abandonné aux courants, arriva avec six hommes d'équi- page à l'île de Trinité {'•li. En 1704 un petit bâtiment chargé de blé et destiné à passer de Lanzarotte à Sainte-Croix de Téné- rifTe, fut entraîné sur la côte de Caracas (3). Les débris d'un navire anglais, incendié près de la Jamaïque, sont parvenus jusqu'aux rivages d'Ecosse. Vieira, l'historien des Canaries, rapporte que souvent des fruits ou des graines provenant d'arbres indigènes aux Antilles ont été jetés par lu mer sur les rivages des îles de Fer et de la Gomera (-4). De nos jours, le

(1) Fehnando Colomb, ouvrage cité, p. 32-33. Cf. Heiirera, ouv. cité : <c En la isla de Flores hechô la mar dos cucipos de hombres muertos que mostrabaiu teiier las casas niui anchas i de utro gesto que tenieii los chris- lianos. Otra vez se vieron dos canoas o almadias con casa movcdica que pas- sando de uiia o olra isla, los debio de hecliar la fuer^a del viento e como iiunca se muden vinierou a parar a los Açores ».

(2) Gu-Mii.i.A, Ormoco illustrado (Traduction Eidous), t. II, p. 208.

(3) Gi.ASs, History of the discovery and conquest of the Canary Ixlands, p. 5.

(4) HuMBOLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent, t. II, p. 251.

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PREMIKHE PAKTIE. LKS PHECLHSEUHS DE COLOMH.

Gulf Streain drpose encore jusqu'en Irlande, aux lléhrides et en Norwège, des graines de plantes tropicales, mimosa scan- dens, guilandina honduc, dolichos urens. Ilumboldt a ramassé ù Sainte-Croix de Ténérifle un tronc de < udrela odorata, couvert d'écorces et de lichens, qui avait sans doute été arraché à la côte de Paria ou de Honduras (1). Tout récemment, vers lu fin de 1887 (2j, un iuunense radeau composé de :2,700 troncs d'arl)rcs, et formant une navette effdéo de 180 métrés de longueur et d'un poids total de 11,000 tonnes fut soulevé par un ouragan près de Long-Island et abandonné ù la dérive. On s'élança aussitôt à la recherche de ces dangereuses épaves. Plus de cinq cents frag- ments du radeau ont été signalés, et on a reconnu que le courant qui les emportait se déployait en forme d'éventail dans la direction des Açores.En 255 jours, les épaves avaient franchi près de 6,000 kilomètres, à peu près un kilomètre par heure. Tel des fragments du radeau avait déjà presque atteint les côtes de France (3), Aussi bien on a souvent remarqué que de temps à autre le courant océanique dépose en Norwège des tonneaux bien conservés, remplis de vins de France, et qui proviennent de navires naufragés dans la mer des Antilles. On cite même des barils, remplis d'huile de palme, faisant partie d'une cargaison naufragée au cap Lopez (Congo français) et qui ont traversé deux fois l'Atlantique, une première fois de l'est à l'ouest, une seconde fois de l'ouest à l'est.

Il est donc incontestable que, dès l'antiquité la plus reculée, des marins ont pu être entraînés par le courant océanique, et être jetés, sans s'en douter, au nouveau monde. Nous n'en avons, il est vrai, aucune preuve certaine ; mais on cite pourtant, et cela dès l'antiquité, de nombreux transports, autrement

(1) HcMBOLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent, t. II, p. 254.

(2) Elisée Reclus, L'Amérique, p. 63.

(3) Le prince héréditaire Albert de Monaco a imaginé une série de flotteurs qui ont été retrouvés à des distances énormes du point ils avaient été lancés. Voir Société de géographie de Paris, J888, II, 191, 417, et 1801, 1, 530.

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COMMLMC. KMHK LAMKHlgi IC KT l'A.NC. CONTINENT, il

t'Xtraordiniiii'cs, (jiic jamais iicrsuiiii»' ne s't'st aviso de cnnlcslcr. Ainsi Pusidoiiius racdiitc (1) ((iic les (h'hris (ruii navin; (Jaditau fuivnt (Mitraini's par les ('«niraiits marins jus(|ii(' sur la côte d'Arabie, et Pline cl) confirme le mOme lait. On peut encore citer les débris d'un vaisseau qui, poussé par les courants occidentaux, fut porté de la mer Rou^'e à Tile de Crète (3). 11 est donc fort |)ossil)lo (jue les anciens, malgré l'imperfection de leurs moyens nauti(jui's, ou jJutôt à cause de cette imperfection, aient été p(jussés par les courants de l'Atlantique dans la direction de l'ouest, connue le sera par j'xemple dans la première anné(^ du seizième siècle, le Portugais Alvarès Cabrai (|u'un hasard analogue conduisit aux côtes brésiliennes.

Nous n'avons jusqu'à présent cherché à établir que la vrai- semblance, ou, si l'on préfère, lu possibilité des relations entre l'ancien et le nouveau monde pendant l'antiquité. 11 nous reste H examiner les diverses traditions en vertu desquelles certains peuples, de préférence aux autres, auraient [)orté leurs investi- gations de ce côté. On en compte quatre : Phéniciens, Juifs, Grecs, Romains. Nous passerons successivement en revue leurs prétentions respectives.

{\) Straiion, 11, 3, 4 : o ' àx.po7:p(;)prjv Trpo'fspovTa s; to qji-optov, Ssizvjvat TOÎ; vauv.XT-ipoi;, yv^vat Paos'.p'.twv ov.'

(2) Pi.ixE, Histoire naturelle, 67 : Iti siiiii Arabico, res gereiilc C. Cœ.sarc, Augusfi filio, signa iiaviuin ex Hispaiiicnsibiis iiaufragiis ferunltir agiiila.

(3) Massoudy, Les Prairies d'or (traduction Uaibicr de Meynardj, I, 363.— « On a déjà trouvé du côté de l'île de Crète des planclies de bois de teck, percées de trous, et reliées ensemble par des atlaclics faites avec des lilaments de cocotiers ; elles provenaient de vaisseaux naufragés qui avaient été le jouet des vagues. Or ce genre de structure n'est en usage que sur les cétes de la mer d'Abyssinie. On ne peut expliquer ce fait qu'en disant que la nier (jui baigne les côtes de Chine va se joindre à l'Océan. « Hkinai» {Introduc- tion à In géographie d'Aboulféda) cite un passage analogue rapporté par Abou-Zéid.

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CHAPITRE II

LES PHKNICIENS EN AMERIQUE

II

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Les Pliônicions furent les meilleurs marins de l'antiquité. Resserrés entre la Méditerranée et la chaîne abrupte du Liban, ils semblaient invités aux lointains voyages par cette mer, qui découpait sur leurs côtes tant de ports excellents, et par ces mon- tagnes qui leur fournissaient en abondance, pour leurs vaisseaux, du i)ois de construction, du fer et du cuivre. Gomme le pain journalier leur mancpiait, et que le sol de la région, maigre et stérile, ne suffisait pas à entretenir leurs multitudes qui toujours augmentaient, la nécessité les forçait à s'expatrier. En vain biUissaient-ils des cités gigantesques et des maisons à plu- sieurs étages (1) ; il leur fallait à tout prix jeter au dehors le trop plein de la population. Or le continent leur était fermé. Assyriens, Egyptiens, Perses, tous les possesseurs de la contrée se seraient opposés à leur établissement en terre ferme. Par bonheur la mer s'ouvrait à leur fiévreuse activité, et ce petit peuple, dédaigné par ses voisins, couvrira de ses colonies les côtes de la Méditerranée, s'avancera jusqu'au fond de la Bal- tique et du golfe Persique, fera le tour de l'Afrique avant Gama, et découvrira peut-être l'Amérique avant Colomb (2).

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(1) Strabon, XVI, 2. Toaaûxr) 8'£javôp''a y.v/^r^za.'. [As'/p'. xai vù'v, oi^ic -oXuopo'yOj; olxoSai xà; o'.xia;. Mêla, Géographie, II, 7.

(2) MovKRs, Das Phônizische Alterthum (2a volume, 2" partie). Heerex, Politique et commerce des peuples de l'antiquité. Hoefeb, Phénicie et Chaldée (Collection de l'Univers pittoresque).

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(lo sont en cnVt les Plu-nicioiis (jui, les premiers, fraiiehirent le reddutahle passafre des coloimes (l'Ilcrrule. domine tous l(!s vrais navifjateurs cpii redoutent la eoneurrenee, ils avaient pour principe de céder la place à leurs rivaux en matière commer- ciale. Chassés par les (Irecs, de comptoir en comptoir, depuis lu mer Egée jus([u'en Kspagne, et atteints par eux dans cette dernière contrée, ils n'hésitèrent pas à se déplacer encore et à chercher au loin des aventures plus profitahles et des régions [dus mystérieuses. Ils hruvèrent les dangers de la mer inconnue, (pii l)aignait les rivages de leur colonie la plus ïeeulée, et se lancèrent dans l'Océan, mais non pas sans hésiter. Voici com- ment un poète, qui travaillait sur des documents d'origine Phé- nicienne, Avienus, a parlé de ces dangereuses expéditions (1) :

il) AviENi», Ora maritima, v, 37o.

Ultra lias coluiiiiias, pmpter Europa:- latus, Vicos et iiibcs iiicoliB Cartliagiiiis Tenucrc qiioiidain : mos at ollis hic erat Ut planioïc tcxereiit fumlo rates, Quo cymba lergiiin fusior brevius maris Prœlaberetiir : porro in occidiiaiii plagam AI) bis cobimnis giirgitem esse iriteriniiium, Late patere pclagus, exteiuli saluiii, Himilco tradit. Niilhis bicc adiit fréta, Nullus caririas requor illiid iiitulit. Dcsiiil quud alto llabra propcllciitia Xullusquc puppim spiritiis ccrli juvet ; Dehiiic quod œlhram quodam ainictii vestiat Caligo, semper iiebiila coiidaf gurgileni, Et crassiore iinbiluiu perstel die. Oceanus isle est, orbis etfusi procul Circiinilatralor, iste pontiis maximus, Hic giirges oras ambiens, hic intimi

Salis irrigator, hic parcris nostri maris

Plerumque porro tciiiic tenditur salum,

Ut vix arenas subjaccntes oculat. Exsuperat autem gurgitem fucus frequcns Atqui! impeditur œstus hic uliginc. Vis bclluarum pelagus omne internatat, Multusque terror ex feris habitat fréta.

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« Au (Icli'i (If ces culoiiiics, le Iniifj; des rivajîcs de riMin»|ic, des villes et di's villa},M!s fuiTiit Jadis (iccii|k''s par <l('s (lartlia^iiiois. (l'était un usage cliez ees navigateurs de ('(nistruire des navires à fond plat et à large carène (|ui pouvaient traverser les parages peu proi'onds, Iliniileon raconte (ju'à parfii- de ces nuhnes colonnes, du côté dii couchant, connnence une nier sans hornes, vaste Océan qui s'étend au loin sans rivages. IVrsonne ne s'est hasardé dans ces parages ; jamais navigateur n'a pénétré dans cette mer, aucun vent ne pousse le navire au large, aucun souffle de l'air ne favorise la marche du vaisseau. En (»utre l'air est enveloppé de brouillards conmie d'un voile, la mer est tou- jours couverte dehrume, et uikî atmosphère épaisse y entretient un jour néhuleux. Cette mer est l'Océan, l'Océan qui gntndc autour des bords lointains du monde, l'Océan la plus grande des mers, dont les eaux font une ceinture aux rivages ; l'Océan qui se déverse dans la mer intérieure et alimente cette mer, notre mer à nous. . . . Les flots qui s'étendent au delà ont généralement si peu de profondeur (ju'ils cachent à peini; les sables du fond. L'eau est couverte d'une espèce de varecli qui abonde dans ces parages : cette végéfati(ni humide arrête les courants. Toute cette mer est peuplée d'énormes poissons qui la sillonnent L'épouvante y habite par la (juantité de monstres marins dont elle est remplie ».

Les Phéniciens affrontèrent ces dangers. L'Océan devint bientôt comme leur domaine ; peut-être même lui ont-ils donné son nom, s'il est vrai qu'Océan ne vient pas du sanscrit Ogha ou ogh flux, torrent, eau, ou du grec (.jxuj, rapide, mais du Phénicien Og qui signifie mer ambiante (1). Avant Homère ils avaient déjà fondé quelques colonies hors du détroit (2). Ces établissements prirent tout à coup une extension que rien ne pouvait faire prévoir, et plus de trois cents villes phéniciennes

(1) Huj.:>OLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent , I, 33. PiCTET, Origines Indo-Européennes, p. 116.

(2) Strabon, XVII, 3, 8. Scylax, p. 2.

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ciiAPiTHi: II. ii:s i'iii:.Nit;iK,\s k.\ amkiuoik.

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s'(''li'V<"'n'iit cumiiic |»iir ciirli.iiifciin ;»l sur la côte nccidciitiil»' de rArri<|ii»'. Ce nt'^iiM'iit pus des villis iiii|>n»vis(''«'s ou (!<• siiiipli's ciiiiiptniis (le rnimiicnc, mais dr vt-riliihlcs citi's. L'une d'entre elles, la ville du Lixiis, fut lucMiie, d'après la traditinu, aussi iinportiuite (pie (lartha^'e. |)e «es purfs Alrirains |»artirent à la déenuverle de iii»Mil»reu\ vaisseaux. Ou a conservé lo nom des eliel's de deux de ces expéditious, llaiiiiou (pii loiijrea la côte de r.M'ricpie et Ilimilcou «pii reiuoiifa celle de IKiirope (II. D'autres marins, plus hardis encore, prirent la haute mer dans la direc- tion de rOnesî, et non seulement ahordèrent les divers archipels <le l'Atlanticpie, mais encore parvinrent [>eut-(Hre juscpi'au continent américain.

Le s(»uvenir de ces voyages en Améri<pie ne nous a pas été conservé ; h^s IMiéniciens, en vrais ronnnercants qui n'ignorent pas le prix de la discrétion (2), se taisaient potu- mieux assurer leur monopole. Ils ne disaient rien des pays ils se procuraient les pnxluits précieux «pi'ils revendaient ensuite, et, de plus, répandaient mille hruits eiïrayants sur ces l(»intaines contrées. Les terribles légeiules, répétées et ampliliées par la crédulité grec(pie, sur les ardeurs de la zone torride ou les froids exces- sifs du |»ôle, et sur h's monstres gardiens de la mer, ont, sans doute, pour origine des récits phéniciens. Ils ne se contentaient pas d'inspirer la terreur ; ils coulaient im[)it(»yahlement le navire de l'imprudent étranger qui dépassait les limites réservées (3), ou bien, s'ils n'étaient pas en force, ils n'hésitaient pas à se sacrifier eux-mêmes |)lut«')t que de révéler le secret de la route suivie par eux (4). lîntre eux pourtant ils s'aidaient et soutenaient.

(1) Pour le périple d'Haiiiion, consulter les Geographi minores, I, 1. Pour celui d'Himilcon, YOra mnritbnn d'Avieiuis, dans les Pivla; latini minores.

(2) Stbabon, III, 5, 11. xoûnTovTEç tkr.anst. tôv ;:).0'3v.

(3) Id., XVIII, I, li). Kap/ri5ov;oj; oi y.arajrovtojv. sV Tt; Tmv Çevfov st;

(4) Id., m, 5, H. T(Ôv o: Pw;jiâitov ènaxoXojOovvTwv vajcXrJpw t-.v', 3wo; xal xj-.o\ voÎsv Ta i]xr.rty.9., -^Oo'vfij ô vay/.>,r;po; vmm ii; Tî'vayo; sJcfJaXî Tr,v vâov, Ir.x^x^ùi^ o'eÎ; tov ajTOv oXcOpciv xat toÙ; È;:oti2vo'j;.

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rRKMIERK l'AiniE.

LKS l'HKC.l'HSia'HS ItE COLOM».

Diiiis le temple de Molcarth, à (lartliagc, cos luil)iles négociants déposaient les relations de leurs voyages, ce (|u'on pourrait appeler leurs journaux de bord, et ils indiquaient à leurs compatriotes les routes à suivn;, les périls à éviter et les marchés à ( xploiter ; mais ce précieux monument fut détruit par les Romains et disparut avec Cartilage elle-même. On sait en cU'et. avec quel soin jaloux les vainqueurs s'attachèrent à détruire tout ce qui pouvait jterpétrer la mémoire de leurs rivaux al)ht»rrés.

(iràce au mutisme volontaire des Phéniciens et à la haine systématique des Romains, nous n'avons d(»nc aucun rensei- gnement exact sur ces voyages transatlanti([ues ; mais les (îrecs, (|ui n'avaient pas contre les Phéniciens les mêmes motifs de haine que les Romains, nous ont conservé sur ces traversées (luehjues détails intéressants, et, d'un autre côté, en Amérique même, les traditions indigènes et les souvenirs locaux nous fourniront peut-être siu' ce sujet des lumières inattendues.

Le premier problème à résoudre est celui de savoir jusqu'où les Phéniciens se sont avancés dans la direction de l'Ouest, et <juels sont les archipels ou les continents par eux découverts (1).

C'est de Palos, sur la côte d'Andalousie, (|ue partirent, (M1 liî):2, Colomh et ses conq)agnons, à la recherche d'un passage direct vers l'Inde : par une singulière coïncidence, un port très voisin de Palos, (îadès, fut le |»oint de départ des Phéniciens pour leurs excursions dans l'Atlantique. (Iadès était le grand entrepôt des Phéniciens en Espagne. Lorsque les colonies Mauritaniennes commencèrent à rivaliser d'inqwrtance avec cette métropole, de véritahies flottes sillonnèrent les flots jusipi'alors indomptés de l'Océan, («uidés par leurs instincts nautiques, servis par leur témérité, les Phéniciens décou\ rirent les uns après les autres hîs archipels semés dans l'Océan connue les arches d'un pont gigantesipie jeté par la nature entre l'ancien et le nouveau monde.

(Ij Ouvrage capital ilo Lei.kwki,, Div Entdcckttr <ji:n dcr Carthagov ini'l.

CIIAI'ITRK 11.

LKS l'IlKMC.lK.NS EN AMKRIQLK

Leur première station fut aux Canaries, dans ces iles (jue ranti(juité connut sous le nom d'iles Fortunées. Les (Canaries ne sont éloignées de la terre ferme (|ue de centtrent»' kilomètres et les Phéniciens exécutaient des voyages bien plus longs et plus dangereux, cpiand ils allaient |)ar exemple d'Espagne en Irlande, ou s'aventuraient avec de simples barques sur la (;ôte de Mauritanie juscpi'au delà du fleuve Lixus (1). C'est sur les indications des voyageurs Phéniciens (jue les (irecs coni.urent ces îles et en lirent la demeure des héros après leur mort ("l) : mais ils ne paraissent pas y avoir séjourné, tandis (|ue les Phéniciens y fondèrent très probablement de véritables colonies. Lorsque Juba d(> Mauritanie, 'avant l'ère chrétienne, composa les nombreux ouvrages, dont rensend)lc formait comme un inventaire des connaissances de l'antiquité (3), il remar([ua que ces iles Fortunées avaient jadis été habitées et qu'on y trouvait fréquemment des traces d'habitation humaine, sauf à (hnbrios. Ce sont peut-être les débris des colonies Phéniciennes, détruites à la suite de quelque révolution politi(jue, dont on a perdu le souvenir. Une de ces îles se nonnnait Junonia, ou du moins les géographes grecs et latins, qui ont décrit l'arcltipel des Canaries, l'ont toujours désignée sous ce nom. Or, Tauith, la grande déesse de (Cartilage, répond à Juuon, et les géographes n'ont probablement fait ([ue traduire la dénomination phénicienne. De plus le poète Avienus ('i;, dans son Ord Marilhiui, cuinposée

Griechen auf dnm Atlantkchcn Oican. ïradiiclinn allemaiiiti' do Karl UittiT, Hoiliii, 18:!l.

(1) Sthaiiox, II, 3, -i. ToJTOj; o!; -À;îv |J.3/pt "oî At'îou -oTa;j//j r.zy. T/;v Majpo'jiiav âXiîuo|x£Vou;.

i2) ItoMKiti:, Odi/fifiii'. lY, ;iC.'t. IIkskidi;, 1(i8. PixnAiu:, Oh/Diiiii/iios, II, 178 et fragments dos tlirùnos. Cf. i'r.i TAiincK., Vie de Srrturiits, S. (3) Pi.i.NE, //(«^ naturelle, VI, 37. (4l AviE.NL's, Oi'u inaritima, ItlrJ.

.... Post pelagia est iiisula

llei'ltaniin abundaiis, atqiie Saturno sacra.

Scd vis iii illa tanta naturalis est,

Ut si quis hanc in iiavigaiido accesscrit.

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l'HEMIKRE l'AHTlK. LKS l'HKCl'HSKl FIS UE COLOMH.

Cil };rando partie d'après des périples phéniciens, nous a donné, à propos de Texplorateur llimilcon, la description très recon- naissahle du volcan de Ténériffe. « Kn dehors des colonnes d'Hercule est une île consacrée à Saturne. La nature s'y montre d'une manière redoutable, car, lorsque un vaisseau s'en approche, les vagues de la mer (pii l'environnent se déchaînent avec impé- tuosité, ébranlent l'île, et la font tressaillir d'épouvante, tandis que l'Océan conserve le calme d'un lac ». 11 semble donc que les Phéniciens ont considéré les Canaries comme une de leurs stations commerciales.

Nous ne parlerons néanmoins qu'avec la plus grande réserve de prétendues inscriptions Phéniciennes trouvées aux Canaries. En 18(>!2, un allemand, le docteur Karl von Fritsch, avait signalé plusieurs caractères étranges gravés sur un rocher de Helmaco dans l'île Palma. Kn septembre 4873, don Aquilino Padron, curé bénéficier de la cathédrale de las Palmas, décou- vrit dans l'île de Fer, au sud de Yalverde, dans un site désert dit de los Letreros, de mystérieux caractères gravés sur une ancieime coulée de lave basaltique, très poreuse, mais dont la surface était unie sur une longueur de |)lus de quatre cents mètnîs. Vers la fin de 187^), le même curé trouva d'autres inscriptions plus complètes et plus importantes dans le ravin de Candia, non loin de l'emplacement de sa première découverte. Sabin Berthelot, consul de France à Sainte-Croix de Ténériffe, s'empressii de communiquer cette double découverte à la Société de géogra|)hie de Paris, et en fit l'objet d'un important mémoire (2). « Je retrouve bien là, écrivait-il, le type des ins-

Mox excitetiir prope itisulain marc, Quatiatur ipsa, et oiniie .subsiliat suluin Aile iiiliciniscens ; cœtero ad slagiii vieem Pelago silente. 1) Kahl v{ n Fritsch, liàsebililev von den Kanurischen Insein (Mitheil- uiijçeii von Pelermann, 1857).

2l Saiiix BERTiiKLor, Notice sur les naraetères hiéroglyphiques (/raves sur les roches volcaniques aux lies Canarien (Société de géographie Ae

les ins-

(MiUieil-

fs (/raves laphie de

CHAPITRE II. LES PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE. i9

criptioiis li('l)raï(iues, Phéniciennes ou Carthaginoises, mais j'y vois aussi beaucoup d'autres signes étranges, inusités : toutes ces variantes, toutes ces nouveautés me déroutent ». Quelques-uns de ces caractères resssembleut en effet aux lettres Phéniciennes, mais ils sont pour ainsi dire jetés au hasard. Quelques-uns, les plus remarquables, sont comme isolés, tandis que d'autres, inscrits à la suite, tantôt horizontalement, tantôt verticalement, suiit confondus au milieu de signes irréguliers. Quelles que snient la bonne volonté et la fertilité d'imagination des déchif- freurs d'inscriptions, il est impossible de démêler un alphabet uelconque à travers une pareille confusion. Si nous n'avions Ique cette preuve du séjour des Phéniciens aux Canaries, il faudrait renoncer tout de suite à soutenir notre opinion, car les inscriptions signalées restent jusqu'à nouvel ordre indéchif- ^Éfnihles. C'est la concordance des traditions antiques et Tunaii imité dans les relations géographiques qui nous permettent .s^gdavancer que les Phéniciens ont connu et sans doute colonisé '■' ccf archipel; mais jusqu'à présent les preuves matérielles de leur séjour font absolument défaut.

Même incertitude au sujet de l'archipel de Madère. Ces lies pourtant ne sont guère plus éloignées de la côte que les Canaries, et l(>s courants y poussent égah'inent les navires. On a prétendu (]u'elles correspondaient aux llespérides de l'antiquité, c'est-à- <lire aux îles du Couchant, à ces îles qui ont si souvent changé <!(' place dans la géographie ancienne, au fur et à mesure que s'étendaient les connaissances et les découvertes ; mais les Phéniciens n'ont jamais été présentés comme les découvreurs, et encore moins comme les colonisateurs des Hes|)érides : en parlant de la probai)ilité de leurs voyages à l'île de Madère, ous n'avançons donc qu'une simple conjecture. Nous serons

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'mis, février 1875). lu., Nuurdle découverte irhiscriptioiis lapit/aires jr> l'ile dp Fer (Id., sept. 187<>). 1d., .hitiquilés Canarienne)!, |». 12!)-181.

T. I. 4

30

l'KEMIEHK PARTIE. LES PRECURSEURS DE COLOMIJ.

ment à ropinion reçue, nous semltlent être ces fameuses Gassitérides ou îles de l'Etain, sur la position desquelles on a tant discuté. Hérodote est le plus ancien des auteurs qui ont décrit les Gassitérides. Parlant des extrémités septentrionales de rEuro|)e, il cite l'Eridan d'où vient rand)re et les Gassitérides d'où l'on extrait l'étain, mais il avoue qu'il ne sait rien de positif sur ces régions, et ne peut rien affirmer, sinon que l'Eridan est un fleuve, et les Gassitérides un archipel, et que l'ambre et l'étain sont des produits de ces terres lointaines (1). Strahon est bien plus explicite (i) : « Les îles Gassitérides qui suivent sont au nond)r(> de dix, toutes très rapprochées les unes des autres. Un les trouve en s'avançant au nord en pleine mer à partir du [tort des Artabres. Une seule de ces îles est déserte, dans toutes les autres les habitants ont pour costume de grands manteaux noirs, qu'ils portent par dessus de longues tuniques talaires, serrées par une ceinture au dessus de la poitrine, ce (jui, joint au l)i\ton (ju'ils ont toujours à la main quand ils se promènent, les fait ressembler tout à fait aux furi(»s vengeresses de la tragédie. Ils vivent en général du produit de leurs troupeaux, à la façon des pj'uples nomades, (pliant aux [troduits de leurs mines d'étain et de ploud), ils les échangent, ainsi que les produits de leurs bestiaux, contre des poteries, du sel, et des ustensiles de cuivre ou d'airain que des marchands Hrangers leur apportent. Dans le principe, des Phéniciens de(iadès étaient le seul peuple (|ui envoyât des vaisseaux trafiquer dans ceitc île, et ils cachaient soigneusement à tous les autres la route ((ui y iiièiie... A force d'essayer cependant, les Romains Unirent par déi'ouvrir la route de ces iles. (.W fut Publius Grassus qui y passa le premier et, comme il reconnut le [»eu d'épaisseur des filous et le caractère pacifi([ue d<N habitants, il donna toutes

(t) llKRondïK, II, II."). OJt^ vr,7/j; o;oa Ka^a'.TSfioa; sou^à;, i/. zw/ '> •/.aiai'Tîîo; îr/xr/ 'i'J'.'i.

(2) SriiAHO.N, III, 5, II. Tiailuclion ïardicii, l. I, p. 281.

niAPITRK II. - LES l'IlKNIClKNS K.\ AMKHIQIE.

51

les indications pouvant i'aciiiter la liltr»' pratique de ces parag<'s, plus éloifïnés de nous poiu-fant (|ue ne l'est la mer de Uretaf.'ne <>. Uiitdore de Sicile (1) se contente de faire renianpier (|ue u les [dus riches mines d'étain sont dans les îles de l'Océan, en face de riliérie, et au dessus de la Lusitanie, et qu'on les nomme pour cette raison les îles Cassitéridcs ». Pline l'ancien (2), dans le chapitre qu'il intitule iles de la mer Atlanti(jue, éuumère les des Fortunées et les îles Cassitéridcs, en face de la Geltihérie. Les autres géofïraphes, Solin (3), Uenys (il, le commentateur d'Kustathe (.">), et Nicéphore Hlemmydas (0) confirment (;es renseignements, et tous, sans exception, décrivent séparément les iles Cassitéridcs et l'archipel lîritannique.

De ces divers textes, il est permis de conclure que les Cassi- téridcs sont des îles, (pi'elles sont au nomhre de dix, qu'elles se trouvent au nord de l'Hspagne et à plusieurs journées de navi- gation du continent, (pi'elles renfermaient jadis des mines d'étain, mais (pie ces mines sont épuisées. Or, comme on a prétendu retrouver les Cassitéridcs tantôt en (lalicie, tantôt dans la presfpi'ile Armoricaine ou en Cornouailles, ou hien encore dans les petites lies cpii hordent les côtes de France et

(Il IJioixiitE \)K Sicile, V, 38.

(2) Pi.iNE, Hist. naturelle, IV, 36. Ex adverso Cclliberia; comphircs suiil insiilif, Cassiteiides dicta? Gnccis, a ferlilitatc plunibi. Cf. Id., XXXIV, 47.

(3) Soi.ix, 23. Cassitéridcs iiisulœ spcctant adversuin Ceitibcria; latiis : plunibi fertiles.

(4) Dknvs, Geof/mp/ii minores, t. II, p. ■"'Tif, v, 561.

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Nrjaou;, Ka-joiSa;, tdOt xaaatTî'poio ysv^OXrj, Xy/v.'î'. vai'ouaiv «Yauwv -aloô; I[îrÎp(ov. (jl Le comineiitateiir d'EisTATiiE (Id., p. 337) se conlciilc d'ajouter i|u'ioie des Castérides est déserte, et que l'élain se rencontre, non pas à lleur de terre, mais dans des mines.

(G) Nic.Ki'HoiiE \\\.v.\\y\s\)ks {Géographie synoptique, id., p. 462), reproduit le texte de Denys, mais en détaciiant avec soin les Cassitéridcs de rarcliijjel Ilritanniquo.

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l'HKiMIKUK l'AiniK. I.KS PKKCCHSKIHS l>K r.OLOM».

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(rAiifjIctcrrc , spoeialcinent l'arcliiiH-l des Sorliiij.Mi('s , nous n'avuns qu'à rocluMvIier si ces diverses positions irj)on(lent aux descriptions auti(|ues.

Les |>romontoires de (lalicio et d'Ai'niori(pie doivent tout d'abord (Hre écartés, puiscpie ce ne sont pas des îles. Il en sera de même pour le Cornouailles, mal;;ré la puissante autorité d'Anville, (pii se |)rononcait pour cette ré^'ion, sous prétexte (pie des caps tels (jue le lioleriuui (Lands'end), le Dumnonium et rOcrinuui (Lizard), séparés par des },^oii'es profonds, pouvaient être i»ris pour des îles par des étrangers (1). Aussi Itien ces promontoires ne sont pas à plusieurs journées du continent, puis(|u'ils en font partie, et, aujourd'hui encore, on y trouve <ie Tétain.

Les lies de la côte française seront éjralement écartées. Sans doute ce sont des îles, et elles se trouvent à |)lusieurs journées de navifration au nord de l'Espagne ; maison en compte plus de dix, elles sont éloignées les unes des autres, enfin et surtout elles n'ont jamais produit d'étain.

Les îles Sorlingues forment au contraire un archipel. Elles scjnt au nord de l'Espagne, très rapprochées les unes des autres ; elles ont produit et produisent encore de l'étain. Aussi, hou nondire de géographes, séduits par ces rapprochements, n'ont pas hésité à conclure (|ue les Sorlingues correspondaient aux (jassitériiles. Ils avaient ouhlié qu'on comptait seulement dix Cassitérides et ((ue les Sorlingues sont hien plus nomhreuses ; (pi'on ne les abordait (ju'après un voyage de plusieurs jours, tandis (jue les Sorlingues sont en vue des côtes Anglaises. Re- tnanpions enfin que Diodore, énumérant les mines d'étain

il) D'Anvili.e, Géographie, t. II, ji. 103 : « ()a .i tout lieu de croire «luc c'est à la pointe de l'isle Britamiique qu'il faut rapporter les Cassitérides, et, sans se borner aux petites îles ou rochers des Scilly ou Sorlingues, comprendre sous ce nom des i)romontoires qui, séparés par des enfoncements de mer à l'extrémité du continent, pouvaient être pris par des étrangers arrivant dans ces parages pour des terres isolées ».

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CIIAPITHK II. LF.S l'JlÉ.MCIENS RN AMKRIOL'E.

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«•(iiimics (le son temps, cito celles des Cassitéridcs, puis (cllcs (le (Îraiide-Hretiiîjne et partieulièreinent d'Ictis : auniit-il dis- tiii|.Mié tes deux centres de productif»!!, si les (iassitérides avaiei!t réellenieut («jri'espoudu aux Sorliii|Jrues (1)?

(»ù d(>i!c cliei-clier les Cassitéi-ides. siiKjn aux Acures, tn!niiie n'hésitait pas à le faii'e le gi-aiid eosnioiii-aphe de Xurenil)er^% Martii! Heliai!!!, (pii, dans so!i f^lulte de 149:2, dési}:iiait cet archipel sous le iiorn d'Açores ou Clutherides? Les Acores, (>!! etret, sont de tout point conformes à lu description des auteui-s anciens. On en compte dix (Sainte-Marie, Saint-Michel, les Fourmis, Terceire, Saint-Georges, le Pic, Fayal, (îi-aziosa, Corvo, Floi-è>), i-appi-ochées les unes des autres. Il faut pour y altorder, cpi'on parte d'Kspagne, de France ou d'Angleterre, plusieurs jours de navigation. Knfin les !nines d'étuin, dont on i-etrouve ei! |ilusieurs endi-oits la trace, ont cessé d'être pi'oduc- tives, comme elles avaient déjà cessé de l'être au moirient Puhlius Givissus, lieutenant de César, entre[)ritde les découvrir. Certains détails caractéristiques se sont même perpétués juscju'à nos jours : Les Acoi-éens portent encore le même costume qu'au temps de Strahon, ce costume qui les faisait ressemhler « aux furies vengeresses ». Le grand manteau noir dont ils s'enve- loppent est même devenu pour eux si important, (jue les paysans retardent leur mariage jusqu'à ce qu'ils aient acheté cette j)iè(:e essentielle de leur hahillemcnt (2).

Il parait que les premiers Européens qui ahordèrent aux Acores, à l'époque des grandes découvertes maritimes, rencon- trèrent sur le sol quelques traces du séjour des Phéniciens ; mais ces témoignages sont fort discutables. Ainsi, d'après une

(i) l)i')D()HE DE Sicile.

(2) D'AvEZAC, Iles de l'Afrique (CoUeclion de YUnivers pittoresque), p. 32 : « Dans toutes les saisons on porte le manteau. C'est un article si important pour la considération personnelle que l'on voit souvent un paysan difTérer son mariage jusqu'à ce qu'il soit assez riche pour acheter celte pièce essentielle «le son costume ».

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l'UKMlKHK l'AHTIK. LKS l'RKClHSKlRS I)K COLOM».

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tradition (l(mt rien ne ntiifiniic rautluMiticitc', les diMouvreurs P(>rtuf,'ais auraient trouvé à Corvo, sur le sommet d'une mon- tagne, lu statue d'un lionnne monté sur un eheval sans selle, la tôte découverte, la main |5^uuche posée sur la crinière du cheval, la main droite étendue vers l'ouest (1). Cette statue serait-elle d'origine phénicienne? Le cavalier étendant la main dans la direction de l'Amérique serait-il une de ces effigies de l'Hercule Tyrien, que les Phéniciens aimaient à ériger dans leurs plus lointains comptoirs comme une marque; de pris»; de possession ? Quel(pies savants n'ont pas hésité à l'aftirmer : Ont-ils donc <iuhlié que les Phéniciens n'aimaient pas i"i montrer aux peuples rivaux le chemin des |)ays qu'ils avaient découverts? D'ailleurs aucun des contemporains de Colomh n'a parlé de cette statue, et pourtant ils enregistrent avec soin les troncs d'arhres exotiques ou les cadavres de races inconnues jetés à la C('>te des Açores. Ni liehaim (2) qui séjourna longtemps dans l'archipel, ni liarros (3), ni (îrynu'us (I), ni Ortelius (5), ni les cartographes ou cosmographes du XVi"' siècle ne sont plus explicites à cet égard. Peut-être trouverons-nous le mot de l'énigme dans une description moderne des Acores, D'après Boid (0), un des promontoires de Corvo présenterait la forme d'une personne dont la main est tendue vers l'occident. La statue équestre est ^onc réduite à un phénomène naturel, et c'est seulement après la découverte de l'Amérique au XV siècle qu'on a imaginé de donner au rocher de Corvo sa signification mystérieuse. Ainsi

[i] Fabia y Souza, Historia del regno de Portugal, édit, 1730, p. 258 : (I. . . En la cumbre de un monte fue hallada una «statua de un liumbre puesto a cavallo en pelo. . . senalando al ponicnte ».

(2) JoMAKD, Monuments de la tjéorjraphie, planche 52, Mappemonde de Beliaim.

(3) Bakhos, Asia, dos fectosque os Portuguczes fizeramno descobrimento e conquista dos mares e terras do oriente (1552).

(i) GnvNAEUs, Novus orbis regionum ac insularum veteribus incognita- rum, una cum tabula cosmographica (1332). (S) Obtemls, Theatrum orbis terraruni (1570). ,{6) Boid, Description of the Azores (1833), p. 316-318.

CIIAIMTHK 11. LES l'IlÉNICIENS KN AMÉHIQUE.

t(tml)(>rait d'ollc-nu^nic cette prétendue preuve du séjour des Pliénitiens ;»ix Acores.

Nous accorderons plus de confiance, mais n(»n pas encore une confiance ulisoliie, au curieux renseignement donné par Tiievet, le cosmographe de Henri II, cpii visita les Acores en loot. 11 parle, dans su Cosmographie Unn-erseAk (1), de grottes situées au bord de la mer dans l'île Saint-Michel. On y pénétrait par une ouverture de cinq ùsix pieds de diamètre. Les premiers explorateurs s'attendaient à y rencontrer des trésors, « maison n'y trouva chose quelconque, sinon deux uionuments de pierre, dont chacun d'iceux n'estoit moins long que de douze pieds et demy, et large de quatre et demy ou environ. Ceux qui ont veu lesdits monuments, construits assez rustiquemcnt, m'ont assuré n'y avoir apparence ned'escriture, ne d'autre marque d'antiquité, mais le portraict de deux grandes couleuvres, ({ui estoient autour desdicts monuments, ensemble quelques lettres liéhraiques grandes de quatre doigts et si antiques qu'à grand'peine les |)ouvoit-on lire : toutesfois un Marainne, natif d'Espaigne, fils de Juif, homme versé aux langues, les peignit telles que je vous les représente icy.., et estoireut ces lettres au hault bout desdicts monuments, au bas ces deux aultres mots..., l'interprétation desquels je sursoye, la laissant à ceux qui font profession de ceste langue ». Thevet termine en racontant que plusieurs accidents eurent lieu, et qu'on mura la grotte afin de ne pas les voir se renouveler.

On aura remarqué les invraisemblances de ce récit et regretté (|ue l'auteur de la Cosmographie n'ait pas jugé îi propos de nous indi(|uer la position exacte de la grotte, ni l'a-)- ée on la mura. Remarquons toutefois que les Phéniciens aimaient à construire leurs tombeaux dans des grottes. Renan, dans sa mission de Phénicie, a retrouvé de véritables nécropoles, creusées dans le roc, à Djebel, à Amrit, et surtout à Mugharet-Ablon. De plus

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(1) Thevet, Cosmographie universelle, liv. XXII, p. 1022.

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l'HKMlKHK l'AHTlK

Lies l'HECURSELRS DE COLOMIt.

les serpents sont un motif d'ornementation tout oriental. Kniiu les canu'tùres figurés dans l'ouvrage de Tiievet ressemblent à des caractères sémitiques, llumholdt (1) les avait communiqués j\ un savant orientaliste, Wilken, qui, tout en regrettant (|ue lu copie ne fût pas plus exacte, essaya de les interpréter et crut pouvoir lire Taal ou Baal, ben Martbar Baal, ou Matliald BaaI. Ce sont des mots Pbéniciens bien connus. Combien est-il donc fi\cheux que Tlievet soit si conqjlètement dépourvu de critique, et qu'on n'ait pas encore retrouvé l'entrée de cette grotte murée si mal à propos !

La découverte en novembre 1749 de monnaies pbéniciennes à Corvo soulève peut-être moins d'objections. Le ressac des vagues dans une tempête avait mis à découvert un grand vase brisé contenant une quantité de monnaies. On les porta dans un des couvents de l'ile, et les curieux se les partagèrent. Neuf d'entre elles furent envoyées à Madrid : elles étaient en or ou en cuivre et portaient l'empreinte d'une tête de cheval ou d'un cheval tout enlier. Les dessins en furent publiés dans les mémoires de la Société de Gothembourg. Humboldt (i) (|ui les compara aux monnaies phéniciennes trouvées en grand nombre dans la Baltique et conservées au cabinet des médailles du roi de Danemark, remarquait une grande ressemblance entre ces monnaies de provenance si diverse. Il en concluait presque qu'elles avaient été perdues par l'un des négociants phéniciens, que le commerce de l'étain attirait dans ces parages. Avouons néanmoins que les preuves matérielles du séjour des Phéniciens aux Açores méritent confirmation, et que ce sont surtout les descriptions des auteurs anciens qui nous permettent d'avancer que les Phéniciens ont peut-être connu cet archipel.

Aussi bien ce qui nous confirmerait dans cette opinion, c'est qu'ils paraissent s'être avancés beaucoup plus loin. Ils ont, en

(1) Humboldt, Géographie du nouveau continent, t. II, p. 243.

(2) Humboldt, id., p. 22.

CIIAI'ITItK II.

LKS PIIKMCIK.NS KN AMKMlglK

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elFet, coimu la incr des Saluasses (|ui coiniiiciicc au larm* des Acoivs l't s'rtciid |»i'('S(|ii(' jus(|iraii\ Antilles (I). De lioiiiii' heure, ils ont sif,Miale l'exisU-nce de ces haiics d'alfiues fidffaiites et les (Jrecs ont eu coiiune l'éclio de ces relations. Scjlax de Caryaudie en parle dans son Pvrijdi'. « On ne |)eut naviffuei" au-delà de Gern»"', dit-il, car la iner est enil>arrassée par de la vase et des JM'rhes [t) ». Aristote était instruit de la diniculté de la navif^ation dans ces parages, c.ir il la sifrnale dans son Triùl('' di; Mrli'iirologie (3). L'auteiu- anonyme du Tra'iti' des Merveilles est très explicite à ce sujet : <• Ia's Phéniciens de (iadès (jui navij;uaient au-delà des c(»lonnes d'IUM'cuh', écrit-il, furent jioussés par un vent d'est, et, après (juatre jours de marche, arrivèrent dans des régions désertes, pleines de van'chs, ils trouvèrent (h's thons en ahondance (i) ». Théophraste, dans son J/lstoire des Plantes (îjj, parle aussi des Sargasses, dont il admire la force et la grandeur : « L'algue, dit-il, croit en pleine mer au-delà des colonnes d'Hercule. Elle atteint, parait-il, des pnjportions gigantescpies con)me htngueur et comme largeur ». Avienus, enfin, dans sa tradition du J*èri/)le d'J/imilroii (()), mentionne la mer des Sargasses. (( Au-dessus

1.:

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(I ) Gakkahei., La Mer ile.i Sargasses (Société de géograpbiu de Paris, 1872 . ('2) ScYi.AX ((Jeoj,'. minores). Kî'pvr;; vrjioj ir.z/.zî'/x rrjy.i-i 317. nXwTà ôià [3pay'jTr,Ta OaÀaTTi;; zat ;:r,ÀoO /al ■^■jy.ryj-. (3) AiiiSTOTK, Météoroloijie, II, i, U.

(■i) De mirabilibu^ auscultationihus (Edit. Uidot, p. 106). <l>oivixa; toÙî 7.aTO'.x.o:vTa; tx ràc-;,îa zaÀojijiEva ï\i<i -Xcovia; llfa/Asiojv <:zr).wi àr,r,- Àtf.hr; avc'p.) f,[i.:pa; TETTapa; -apaY'VciOa! v.ç -l'va; totio'j; !,o/;[jio'j;, s'j/.oO; rXr;p£tî, lip'faiv EÙfîT/.caOai 'jr.ip^fixXkov Oûvfov Tzlffio^.

(5) TiiÉopiiHASTK, Hisf. plantarum, IV, 7. r-vEta; os çjxo; èv [xh xf, È'Çe.) Twv a-rr/wv Ilca/Xs'twv OaXâaar,, Oaùijia t: ijle'yeOo;. ai; ça^i, /«t ;:ÀâTo;, [xstl^ov «Iji rra/aiaTtaîov. iC) AviENcs, Orn maritima, V, 403.

Exsupcrat auteni gurgilem fucus frcqucns Atquc iinpeditur œstus liic uligiiie. Sic nuUa laie (labra propelluiit rateiii. Sic segnis liumor œquoris jugri stupel.

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l'IlKMIKUK l'AIITIi:. LKS l'IlKlIlHSKI IIS ItK roMiMll.

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(les Ilots se dressent des iil}.iies iioiuhreiises, (jui, |»ar leiireiitr»!- rmisemeiit, Inniieiit mille ulistiicles. Aiiniii soultle ne |i(iiism' en avant le navire. Les l|<»ls restent inniioliiles et paresseux. Des algues en (|uantité sont semées sur l'ahime et souvent elles arrêtent la marche des vaisseaux, (m'elles retiennent eonune avec des joncs ».

Les IMiéniciens ont-ils été réellement arrêtés dans leurs expéditions par la masse des sar};ass«'s flottantes, ou l)ien ont-ils, suivant leur habitude, exajiéré les danjrers de la navi- gation dans ces parajics pour eu éloi^'uer les vaisseaux étran- j:ers? Nous le croirons (Tautant plus volontiers que, d'après la tradition, ils auraient dé|»assé même la mer des Sargasses et auraient ahordé rAuu'rique.

Deux écrivains ;;re(;s, rauteiu" anonyme du Tra'itr di's Mi'rri'ilh-s, et Diod(»re(le Sicile, ont en ell'et |)arlé d'une ^'raiule ile, véritable contineni situé en dehors des colonnes d'Hercule, à plusieurs journées de navif^ation de la terre ferme, les l'héniciens auraient été poussés |)ar la tempête, (^juune ces passaf.'es sont curieux, nous les citerons dans l(!ur iniéfiralité. Voici le premier (l) : « Dans la mer qui s'étend au-delà des colonnes d'Hercule, on raconte que les Carthaginois ont décou- vert ime ile (lésert(>. Elle était couverte de forêts à essences variées, parcourue par des fleuves navijrahles, féconde en productions de tout ffenre et éloif^née de plusieurs journées de naYi^:ation. Les Carthaginois, attirés par la fertilité du sol, y lirent de fréquents voyages. Quelques-uns même s'y établirent; mais le sénat de Carthage menaça du dernier supplice tous ceux (|ui dorénavant éniigreraient dans cette ile ». H voulait à la fois arrêter l'émigration qui prenait de trop fortes propor- tions et se réserver, en cas de malheur, une retraite assurée ».

Adjicit et illiid pluriinurn inlcr giir{;itcs '

Exstare l'iicuin, et sœpe viigulti vice Retinere piippim. (1) De mirabilibiis nuscuKationifnis; Mil. Didot, p. 88, g 84.

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ciiAi'iTin: II. LES niKNir.iKNS v.\ AMKiiiyriî.

idc «Ml ■m'os (le sol, y )1 iront; ■e tous ml ait à )ropoi'- isiiiri' ».

Dindon- s'exprime «'Il res ternies (l) : « Un côté de la Lihye, on fniine niie Ile dans la liante nier, iVuuv étendue ennsidéralde, et située dans l'Uréan. Klle <'st éloi^'iiée de la Liltye d<' pliisieurs joins de iiavi};atinn, et située dans rnccident. Son S(d est l'ertile, niniita^rneiix, peii plat et d'une faraude beauté. Cette ile est [traversée par des fleuves navi^'ahles. ( In y voit de iiotnhrenx [jardins plantés de toutes sortes d'arltres et des ver^rers traversés

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l'eau douce. Un v trouve des maisons de

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IranipaJine somptueusement construites, et dont les parternîs sont

l<»riir., ùo berceaux couverts de fleurs, ("/est (pie les lialtitants xissent la saison de l'été, jouissant voluptueusement des liieiis |ue la cani|ia^'iie leur fournit en abondance. La réjrioii uionla- lense est couverte de bois épais et d'arbres fruitiers <le toute fîspèce ; le séjour dans les montafrues est embelli par des valbnis M de nombreuses s(turces. Kn un mot toute l'île est bien arrosée; d'eaux d(»uces (|ui contribuent non seulement aux |)laisirs des lialtitants, mais encore à leur santé et à leur force... T/air y est si tem|(éré (|ue les fruits des arbres et d'autres produits y croissent m abondance* pendant la plus grande partie de l'année. Knfiii cette ile est si belle (pi'elle parait plut(H le séjour lienreux de »|iiel(pu's dieux que celui des bomnies. Jadis elle était inconnue à ( ause de son ébjijrnement du continent et voici comment elle fut découverte. Les Phéniciens «exerçaient do toute aiiti«piité un ( niiiinerco maritime fort iHondu. Ils établirent un frrand nombre ili' co|oni«îs dans la Libye et dans les pays occidentaux do l'Eu- inpe. Leurs entreprises leur réussissaient à souhait, et, ayant ac(piis do grandes richesses, ils tentèrent de naviguer au delà (les ((donnes d'ih'rcnlo, sur la mer «ju'on appelle Océan.... IN'iidant (ju'ils longeaient les C(Hos de la Libye, ils furent ji'tés par des vents xiolents fort loin dans l'Océan. Battus par la ti'in|)éte pondant plusieurs jours, ils abordèrent enfin dans file dont nous avons parlé. Ayant pris connaissance de la richesse

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(1) DioDOME DE Sicile, V. 1i)-20. Trailuction Hoefer, 11, p. 19-20.

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PREMIERE PARTIE.

LES PRECURSEURS UE COLOMB.

du sol, ils cominuniqu(''r('iit leur découverte t<iut le moudc. C'est pourquoi les Tyrrhéniens, puissants sur mer, voulaient aussi y envoyer une colonie ; mais ils en furent empOchés par les Carthaginois. Ces deruiers craignaient d'un côté (|u'un trop grand nombre de leurs concitoyens, attirés par la beauté de cette ile, ne désertassent leur patrie ; et de l'autre ils la regar- daient comme un asile dans le cas il arriverait (pielcpic malheur à Cartilage ; car ils espéraient cpi'étant maîtres de la mer, ils pourraient se transporter avec toutes leurs familles dans cette ile qui serait ignorée de leurs vain(jueurs ».

Quelle est cette ile merveilleuse? N'a-t-elle jamais eu de réa- lité que dans l'imagination du philosophe et de l'historien (IV? Cerfe« l'auteur du Traité des Merveillea a enregistré dans son ouvrage bien des légendes absurdes, et Diodore a trop souvent conservé, en guise de faits historicjues, des traditions mythiques pour que nous ne pesions pas son témoignage avec la plus grande rigueur ; mais, d'un autre côté, le pseudo-Aristote ;i donné sur cette ile bien des détails précis, et Diodore en ii décrit les beauté" pittoresques avec un enthousiasme trop sin- cère pour être de commande. On croirait lire les récits images des premiers voyageurs du xvP' siècle, qui débarquèrent au Brésil ou au Mexique. Il semble avoir éprouve les émotions délicieuses dont nos pères furent saisis lorsque Bougainvilic. au dernier siècle, leur montrait Taïti, la Nouvelle-Cyfhèrc sortant du sein des flots avec sa couronne de palmiers et su ceinture de fleurs. Sans rien affirmer encore, admettons dom que les Phéniciens découvrirent une grande île au-del« des cn- lonnes d'Hercule, à [)lusieurs jou. lées de navigation du con- tinent, qu'ils y faisaient de nombreux voyages et qu'ils étaicni fort jaloux d'en conserver la possession exclusive, afin de s'y

(1) Tel était l'avis de Montaigne. Ensais, I, .10. Des Cannibales : >< Ccsli narration d'Aristote n'a non pins d'accord avec nos terres neufves », Ainsi pensait ég.-ilenient Hcckman, le commentateur le plus érudit du Iraili De mirabilihux auscultationibus.

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r.HAl'ITRE II.

LES PllKMClKNS K.\ AMKRIQUK

01

triiiisporfcr, eu cas do besoin, oux et leurs familles, de môme (|ne les llidiaiidais soiif^'èrent un inonient à émiffrer à Batavia, Iurs(|ut' l'arniée de Louis XIV meniiea Amsterdam : il nous reste à déterininer la [uisition de cette île.

(losselin I) prétendait la retrouver dans Fortaventure ou Lancerute, ilei'ren et lloefer dans Madère ; mais les raisons <|u'ils allètrueiit sont médiocres (-2). Jamais les Canaries ou Madère n'ont eu de tleuves navijialdes ; jamais ces archipels n'ont été pris pour des continents. Serait-ce donc (jue la des- [cription <le cette ile, bien ((ue fabuleuse, indi(pie une vague connaissance de l'Amérique (3). ou croirions-nous avec llorn (4), ravec Landaf.'i), Ordonez (0), Cabrera (7), IJocliart (S) et quchpies ^autres érudits (pie cette ile correspond exactement au ncmveau '■^continent ?

Certes, il serait imprudent d'aflirmer, ainsi ((ue l'iui de ces savants, Robert Comtaeus (9) (pie l'Amériipie toute entière a été peuplée par les Phéniciens ; nous ne distinguerons pas non plus, comme a cru devoir le faire llorn, trois grandes émi-

il) (lOssKMx, lirrhcrc/ms sia- la (jéuf/vriphio si/xtématii/uc rt i)Ositivp dp< |«»c/'e?îs.

(2) Uf.eren, Coinwcrcp de l'antir/ititii, tratl. de Suckiui, t. IV, § 5. (.1) W'esscling, dans son Commentaire de Diodore, s'ex|)i'imait en ces Itermcs : « Fabulis adfinia snnt q\v,v de hac insnla [n'odniitur ; id tamen liiidicantia ol)sciirani Imjns regionis, quam Ameiicani vocamus, famam in ICarthaginiensium iiavij;ationibiis ad veterum aures dimanasse ». (V) Hors, De onijinil/us Ameriranis, p. 1!».

(r»i Lakda, Relation dea dioaes du Yucatan . Iraduclion Biassenr de iourboiirp;. (61 Ordoxe/, Historia de la creaciun dcl vielo ;j de la tierra. (7l Ca"<bkra, Drscriptio7i nf t/ie ruinti of ancient rit;/ di.wovered near ^alcmjae.

(8) UociiART, Phnletj vel Canaan, p, 645 : « Vel nus(inam est Ikvc insula, vel nna est ex insulis novi orbis, ant pars ali(|na Brasilia\ qnam, littorilxis ^nmdmn satis peragratis, Phirniccs acceperunt pro insnla ».

|!M HoRx, onv. cité, p. 1!). « Sententia ejus est : Americanos omnes a 'liœnicibtis ortos, et uiiam banc gentem vastum ilhim orbem et babitare et l(jtexisse, ila ut ex abis provinciis luilli ante llispanos prœter Pliœnices eo ïenerint > .

l.,i|ejlUJ'W!lVF ^'-/'«M'

[^^p«w^»ipp?îB»w^wii»w^^ep

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l'REMlKRK l'ARTiK. Li:s l'RKClIHSKCHS DE COLOMU.

},^ruti(>iis Pli(''ni('U'iuu's en Aint''ri(|uc (1), lu proiniôn» s(tiis l.i direction d'Atliis, fils du Ciel et frèrt' de Saturne, qui dmiiifi son nom au continent, à la nier, et aux liahitants du pays ; hi seconde telle (|ue la rapportent le [)seudo-Aristote et Diodore : la troisième enfin au temps d'iliram et de Salonion ; nous n'admettrons pas davantafre roj)inion de Cahrera. (pii fi\e h l'époque de la première guerre puni(pie la date de la premièri' immifrration carthaginoise en Ainéri(pie (il) : ces affirmations ap|)artienneiit au domaine de la fantaisie, et, à force de har- diesse, tond)ent [)resque dans le ridicule. Contentons-noiis d'énumérer les principaux motifs qui poussaient les Phéniciens dans les mers occidentales et les probabilités de leurs voya^res dans la direction de rAméri(jue.

On sait déjà (pie trois cents villes Phéniciennes prospérèrent à la fois sur la côte occidentale d'Afri(|ue (3). Leurs liahitants eurent à soutenir de lonjjues et interminables luttes contre les })euplades indifiènes, Plierésiens ou Nif^ritiens, de même (pic nos colons du Sénétral repoussent les atta(|ues incessantes des Toucouleurs ou des Bambarras, et ils finirent par succomber dans cette lutte 'néfiale. Tous ne périrent pas dans la f^uienc finale. Les uns restèrent dans le pays à titre d'esclaves nu d'alliés. On a cru retrouver leurs descendants dans cette étraiiiic po|)uliition des Uoohies de Fernandopo, (pii vivent à jiart, sans s(> mêler au\ iMu-opéens ou aux uèpres et dttiit la langue ne res- semble à aucune langue voisine et présente des rapports in- times avec les idiomes asiati(pies (4). Les autres montèrent sur leurs vaisseaux et cherchèrent une nouvelle patrie. L'Atlanti(pii'

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il' III

(1) lloiix, id., p. 20, 02, ni.

(2) Cauhkua, cité i)ar l'abbû Douieiiccli {lievite Américuine, 2"= sério, 2, p. 102).

(3^ Straron, XVII1,3, 3. 'Ev -v.; iÇf,; /ôX-ot: /aTOi/.'a; ÀsvEaOai na).a:a: Tjoiwv, a; 'fr||iO'j; ivjj.>. \i\t'^, où/. :XaTTOvtov f, Tpiay.O'îifDV -oXs(ov, ai '/■■ 'i>aoo'ja;oi zal o'. Nty^ilTai ij^-ocOriiav.

(4) TiUKHC.ELix, Journal d'un lialeinicr, et Hullctin de la Socirté 'I' fjéograp/iie tir Ptiris: (juin 18()7).

CllAl'ITRK II. LKS IMIKMCIKNS KN AMEHIOIK

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s'ouvrait devant eux et leurs marins s'y étaient aventurés à plusieurs re[>rises. Ils s'y ris(|uèrent à leur tour et s'établirent dans le continent entrevu par leurs explorateurs. Autrement, comment e\pliqu(>r la disparitii»n soudaine de trois cents villes et ranéantissenient d'une [topulation civilisée (|ui n'aui'ait laissé ni traces sur le sol. ni souvenirs dans l'iiistoire?

Nous savons d'un antre côté, par le témoijfiiage de Pline (1), (|ue les Canaries étaient désertes lors(|ue les Romains y ahor- dèrent, et pourtant ils y rencontrèrent des ruines d'édifices.

donc sont allés ces Phéniciens insulau-es? H est peu prohahie qu'ils se s(»ient dirijrés vers les côtes (lauloises ou Espafjnoles, puisipi'ils fuyaient les Ilomains, et ([ue la (laule et ri<]s|);it;ne étaient déjà en partie terres romaines. Ils n'auraient certes pas cherché un refuge précisément dans le pays de leurs oppres- seurs, alors que la mer lihre s'ouvrait à eux. Ils durent, eux aussi, s'embarquer sur leurs vaisseaux, et chercher au-delà de l'Océan une autre patrie, «pii ne pouvait être (jue rAniéri(|ue. L'Amérique était donc le seul asile ouvert aux émigrés Phéniciens de la côte Africaine ou des archipels de rAtlanti(jue. Il est vrai (ju'on ne connaît ni l'emplacement ni le sort de ces nouvelles colonies, et l'exact Polybe i) ne |tarle point de ces établissements, lui qui enregistre avec, tant de soins tout ce (|ui intéressait le commerce de (larthage. L'existence de ces colonies traiisatlanti(pies était pourtant affirmée par une tradition (|ue les Grecs connaissaient vaguement, de même que nos matelots n'ignorent pas (|ue nous avons jadis possédé le Canada et une partit" de l'ilindoustan. Si les Phéniciens n'ont pas été plus explicites, c'est (piils en fiuriit empêchés par letn- prudence cunnnerciale et surtout par racharnement extraordinaire avec Romains firent disoaraitre tout

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souvenu*

(1) Pi.iNK, Histuire naturelle, VI, ',\'l.

(2) Poi.YBK, dans le Ircnte-quatiièiuc! livi(! de son liisloiru, dont il m; rostc (lue des fraj,'inents, § 3.

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l'RKMIEIlK l'AHTIi:. LES PRIXUHSKL'HS UK COLOMK.

Iiiterrogoons rAiiK'rujUc cllc-rrK^mt'. P(Mit-iHre a-t-clle ((in- scrvt' (jiKîlquo trace du sôjour des Phéniciens (juelqiuî inscrip- ti(»ii, (iiiel([ue uioiiuinent, (juelquo débris de leur religion ou

de leur langue.

Au xvi" siècle, lorsque les Espagnols et les autres Européens ai)ordérent au Mexi(|ue, au Pérou, et dans toutes les contrées du nouveau continent (pii jouissaient d'une civilisation relati- vement avancée, les indigènes les accueillirent avec empres- sement, pres([U(! comme des frères dont il attendaient le retour. Toutes les traditions Américaines en effet, sans exception, indiquaient l'Orient, c'est-à-dire l'ancien monde, et non l'Occident, c'est-à-dire l'Asie, comme le berceau des ancêtres. Ainsi, au Mexi(jue, l'empereur Montezuma, quand il eut sa première entrevue avec Cortès, lui tint le discours suivant, que le Conquistador a soigneusement conservé dans une de ses let- tres (1) à Charles Quint : c Depuis longtemps nous savons par les titres que nos pères nous ont laissés, que ni moi, ni aucun habitant de ce pays n'en sommes originaires ; nous sommes des étrangers venus de fort loin sous les étr darts d'un roi, qui s'en retourna dans son pays après la coii([uète, et ([ui fut si longtemps à revenir au Mexique, (jue ses sujets avaient déjà formé une nombreuse population lors de son retour. Ce roi voulut ramener ses sujets avec lui, mais ils ne consentirent pas à le suivre et encore moins à le recevoir pour maître. Il repartit seul, et nous assura qu'il viendrait un de ses descendants pour subjuguer le pays. Suivant le point de l'Orient dont vous dites venir, suivant tout ce que vous nous racontez du roi qui vous a envoyés ici, nous croyons d'autant plus fermement qu'il est n(»tre roi naturel, (jue vous ajoutez qu'il y a longtemps qu'il a entendu parler de nous. Nous sommes certains que vous ne nous trompez pas : vous pouvez donc être assuré (jue nous vous reconnaissons pour maître, comme représentant du grand roi

(I) Fkunanu Coutks, Lettre II à l'Empereur Charles Quint. Traduction Vallée.

CHAPITRE II. LES l'IlÉNICIENS EN AMÉRIQIjE.

03

dont vous nous parlez, et que nous vous obéirons ; vous pouvez

(.idonncr absolument dans tous le pa -s qui m'appartient, et

tout ce (|ue nous avons est à votre disposition ». L'infortuné

souverain était tellement persuadé de la légimité des droits des

nouveaux arrivants qu'il essaya d'en convaincre ses propres

sujets. Quand il se vit forcé de reconnaître son impuissance et

(le céder à la supériorité des armes Européennes, voici le

discours (pi'il tint aux Mexicains pour leur proposer d'accepter

la suzeraineté de Cliarles Quint (l). Aussi bien que moi, vos

prédécesseurs vous ont appris à connaître (lue nous ne sommes

pas naturels de cette contrée. Us vinrent tout d'abord d'une

terre lointaine, conduits par un chef auquel ils étaient soumis.

Longtemps après ce chef revint et trouva (jue nos aïeux s'étaient

mariés avec les femmes du pays, et avaient bilti des villes qu'ils

avaient peuplées de leur nombreuse postérité. Vous savez aussi

qu'ils refusèrent de l'accompagner lorsqu'il repartit pour son

pays, et même de le recevoir pour suzerain de celui-ci. Alors

il s'en alla, en les menaçant de retourner avec des forces ou

d'en envoyer de si considérables qu'elles réduiraient notre pays

A l'obéissance ».

On aura remarqué la singulière ressemblance que présente ce discours avec la tradition rapportée par le pseudo Aristote, et d'après laquelle les Carthaginois ne devaient pas liabiter l'île Merveilleuse, de peur d'oublier leur patrie. Il est vrai que le pseudo Aristote ne rapporte pas que les colons aient refusé d'obéir, et que Montezuma n'indiquait ni le pays d'où venait ce peuple, ni l'époque de son émigration, mais les traditions Mexicaines sont unanimes à déclarer que ces étrangers étaient blancs, barbus, fort industrieux, et qu'ils devaient un jour ou l'autre revenir pour soumettre le pays (2). Deux de ces traditions

(1) Antoxk) de Sous, Conquête du Mexique, Iraduclion île Tlioiilzii, I. il, p. 187. Cf. Pierre Martyr, Décades, IV, 6.

("Il Cf. IxTLiLXOciiiTi,, Histoire des Chichimùques (traduction Teriiaiix- Coiiipaiis, p. 3) : « D'après ce (pion voit dans les histoires des Uimèiiiies et

T. I. 5

00

l'HF.MIKRE PARTIE. LES PRECURSEURS DE COLOM».

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inôritiiiit une mention spériale : la première est celle de Quet- zalcoluuitl, et la seconde celle de Votan.

A une épo(|ue inconnue, mais fort reculée, une vinjîtaine de chefs, ohéissant au commandement suprême de l'un d'entre eux, nommé QuetzalcoluiatI, auraient ahordé, montés (pfils étaient sur plusi(!urs navires venant de l'est, à Païuico, grand port inté- rieur, situé sur la rivière du même nom, qui se jette dans le Tampico. Ils étaient de bonne apparence, vêtus dliahits longs en étoiïe noire, qui s'ouvraient par devant, Mancs de teint et portant de longues harhes. Bien reçus partout, ces étrangers arrivèrent à Tulan, la capitale du pays, et payèrent l'iiospitalité ({u'on leur donnait en enseignant aux indigènes mille secrets industrieux pour travailler les métaux et sculpter les pierres. Voici comment parle de QuetzalcohuatI le franciscain Bernardin de Siihagun (l) qui recueillit avec tant de soin, et dans les premières années de l'occupation Espagnole, les traditions mexicaines. QuetzalcohuatI fut estimé et tenu pour Dieu. On l'adorait à Tulan depuis les temps les plus reculés. Son temple très élevé avait un escalier dont les marches étaient si étroites (|u'un pied ne pouvait y tenir. Sa statue était toujours couchée et couverte de mantas. Sou visage était fort laid, harhu, et In tète allongi'c. Ses sujets étaient tous des ouvriers dans les arts mécaniques, très adroits à travailler la pierre verte appelée chalchinitl, à fondre l'argent et à faire bien d'autres choses en ce genre. Ces métiers avaient tous leurs principes et leur origine

lies Xicalanqucs, ils vinrent du côté de rOriont, dans des vaisseaux ou des eanots, et dél)arquèrent dans le pays de l'otoiiclian, ils s'établirent, ainsi i|ue sur les Imrds de la rivière d'Atoyor, qui eoule entre l'nebla de los An- ;;e!es et Cholnlan i). Cr.AViGEno, Storia antiijnn (/ri Mexico, I, 146. Vkyiia, Ili.ifiD'ia (tnthjua de Mexico, XIII. Ce dernier alTirnie que ces étrangers, venus de l'Orient, délianinèrcnt dans la haie de Vera Cruz. Urasseur de IJenrbourg, dans son Histoire des nations civilisées du Mexitfiir et de l'A)uth-if/i{C centrale, a réinii un grand nombre de témoignages con- cordants à cet égard.

(I) Saiiaocx, Histoire de la Noiirelte Espagne (Traduction Jo\irdaneti. III, 3, p. 202.

r.llAPITHE II. LKS l'IlKMCIENS EN AMÉHIQIE.

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dans Qucfziilcolmatl. l('((Ut'l possédait dos maisons de la piiMTc piTcicusc appck'c clialcliinitl, ou fal)ri(|ui'('s on arfïcnt, en nacre roufrc et lilanclic, vu turquoises et plumes riciies ». Les nou- veaux débarqués send>lent donc avoir appris les arts industriels aux indifrénes. Ce sont eux encore ((ui leur enseiîïnérent les procédés variés de la teinturerie, |»rorédés auxcpiels justement excellèrent toujours les Phéniciens u On S(>mait et tm récoltait, écrit Sahafïun, du coton de toute couleur, rouvre, écarlate, jaune, Itrun hIancliAtre, vert, Ideu, noir, orangé et fauve ». Après avoir séjourné dans diverses réj.'ions, Quetzalcoliuatl et ses compa- }.Mions se disposèrent à renter chez eux, mais on ne leur permit de repartir qu'à condition « de laisser ici Fart de fondre l'argent, de travailler les pierres et le bois, de peindre, de faire des teuvres en plume, ainsi que bien d'autres métiers » (1). Encore durent-ils promettre leur retour (2) et ne partir que par convois successifs.

Telle est la tradition : Des étrangers venus par mer, et du côté de l'est, ont séjourné quelque temps en Amérique, appris aux indigènes des métiers (ju'ils ignoraient, et disparu après avoir promis leur retour. Cette tradition se retrouve, avec cpielques modifications, dans tous les états de l'Amérique centrale (3). Elle laissa des traces profondes dans l'imagination populaire, car, aux premiers jours de la conquête espagnole, les Mexicains prirent les compagnons de Cortès pour les descendants

il Sahm.i.n, (iiiv. cité. Liv. III, § t:}, p. 21S.

;îi IxTi.ii.xocinïi., Histoire des Chicfiinu'i/urs, Iraduclioii Ternaiix-C.imi- |i;iiis, [1. (') : (( Fil (jnittiiiit cette nation, Qnetzalcolniall lenr dit (lue dans nn leni|is à venir, il reviendrait et que sa doctrine serait reçue ; ({u'alors leurs l'iilanls seraient scii^netn-s et posséderaient le pays, mais qu'eux et leurs di.'s- ceiidants éprouveraient lieaucoup de calamités et de persécutions >■.

i:j) ToiKjci'MMiA, Munavquia Indiamt, IV, 1-t. VI, 24. (jOmaka, Chronira de lu Niirca Ei<pana, % 222. Laxda, Hclation des choses du Yiiratnn, traduction Brasseur de Hourbourg, p. .S.')! : c La tradition rapporte que la race de ce pays vint partie du couchant, partie du levant. » ()()(;( h.i.i;d(). Historia de Yiicathan, liv. IV, § 3, p. 17(i. PnESCorr, V.nti- i/iii'te du Mexii/uc, traduction Pichot, t. I, p. 48, 237.

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l'UEMIKHK PAHTIK. LP:S PRECirHSElRS DE COLOM».

de ce Qiu'tzalcohuatl, dont ils attendaient tonj<jnrs l'arrivée. Il fallut de luiifîues années ot bien ties cruautés (^onuiiises par les concjuérants [tour détromper les indigènes. Encore ne renon- cèrent-ils pas à leurs espérances. Ils se consolèrent de leur <»|)pression, en attendant le retour de ce liienfaitcnr d(; leur race : de même que les Portugais attendirent longtemps leur roi Sébastien tué à Alcazanjuivir, de même que les Juifs attendent encore leur Messie. Même à l'heure actuelle, cette croyance est tellement eiu'acinée dans les esprits, que, lors de la royauté éphémère de Maximilien d'Autriche, on exploita leur superstition pour leur représenter ce jeune homme au teint pâle, à la longue harhe, et venant de l'est, comnu' celui (pii devait réaliser leurs chimérique es[)érances.

Quel ionc le pays oriental d'où sortirent Quetzalcohuatl (!l ses compagnons ? Ordonez, Juarros, Moraës, Clavigero, Ca- brera (1) et plusieurs autres affirment que les innnigrants étaient des Phéniciens. Ils font en effet remarcjuer la couleur noire des vêtements de ces étrangers, et la comparent aux vêtements noirs (jue portaient les Phéniciens de Gadès et des Gassitérides. Ils rappellent que les grandes industries Phéniciennes furent celles de l'ornementation, de la ciselure, de la teinturerie, et des constructions maritimes, (jue les Américains apprirent de ces étrangers. Ils démontrent enfin qu'un seul peuple dans l'antiquité, le peuple Phénicien, était capable d'entreprendre d'aussi dangereuses traversées que celle de l'Atlantique. Nous ne nous prononcerons [)as aussi (Catégoriquement, car il est fort

il!

(1) Ces auteurs sont tous cités par Brasseur do Bourbourjj, dans son His- toire des nations civilisées du Mexique et de VAincriijue centrale, I, 17. Voir également Hohn, De orir/ini/jus Americanis, p. Wi. I..ANn\, Relation des c/toses du Vucatan, p. 334. ToiiyuE.M.\i)A, Monaniida Indiana. Ce dernier pensait qu'Haïti fut d'al)ord colonisée par les l'Iiéniciens, qui se répandirent ensuite à Cuba et au Mexique, et il ajoute : » Comme gens de raison et de valeur, ils purent connaître l'art d'édifier de somptueux monu- ments et d'assujétir les autres nations, mais la connnunicatiou leur avant manqué par la suite des temps, ils seraient devenus gens rudes et barbares.»

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(liriicilc (le (lémcMcr la vt'i-itô an iiiilicu (!<' n's i'('ns('ij.'iit'int'nts vajriics et sans jnvcision. An moins unrons-nons constat»'' (|no les Mexicains et tons li's indigènes de rAmériciuo Centrale croyaient à la venne dans lenr pays d'indnstrietix étrangers, arrivés par mer et originaires de l'orient. Ces étrangers sont-ils des Phéniciens? Certes lenrs voyages sont [lossildes. ils sont même vraisemblables, mais ils ne sont pas autlienti(|ues.

bi légende de Votan, pins singulière encore (jne celle de QnetzalcoluiatI , confirmera peut-être ces probabilités et ces vraiseiid>lances (1). Kn 1091 Francisco >îunez de la Vega, évécpie de Chiapas de las Indias dans l'isthme de Tehuantepec, ayant a|)pris (pie l'on conservait avec vénération dans une chétive maison de la vallée du Soconusco un manuscrit en langue fzendale, couvert d'hiéroglyphes, des figures symboliques et des vases en terre cuite de grande dimension, que les Indiens, depuis vingt siècles et plus, se transmettaient pieusement de main en main, se fit livrer le manuscrit et les reliques Indiennes. « Le tout fut brûlé publiquement, écrit l'évéque (:2), sur la place pnbli(pu' de Huéluiét.ui, (piand nous fîmes notre visite pastorale en 1091 ». Au moins le pieux iconoclaste eut-il la précaution, avant de détruire ce manuscrit, de s'en faire expliquer le contenu. Nous savons, gnke à lui, qu'il contenait l'histoire d'un certain Votan, (|ui serait venu en Amérique avec de nombreux immigrants et (pii était originaire d'un pays situé de l'autre c«!»té de' la mer des Antilles. Il rangea sous sa domination tous les peuples du centre de l'Amérique, et leur enseigna les éléments de la civili- sation. Bientôt arrivèrent de nouveaux immigrants. A quatre reprises, Votan rentra dans son pays natal pour y chercher ou des auxiliaires ou de nouvelles méthodes agricoles et industrielles.

(1) De CiiAnENCEv Le Mythe de Votan (Actes de la Société de philologie, 1871). Bhasseub de Bounnounci, Histoire des nations civilisées du Mexique et de l'Amérique centrale, I, 43.

(2) Nlnez de la Veoa, Constitucioncs diocesanas del obispado de Chiapas, p. 8. 31, § XXVII, p. 10, no 36, § XXXIl.

70

l'IUCMIKHIC l'AHTIK. LKS l'HKCI HSIU HS l»K COLOM».

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Ses coiiipatriotcs et sis sujets acceptèriMit avec [diiisir les conseils de son expérience, et il mourut au comble de la puissance en laissant l<> souviaiir de ses réfornKîs civilisatrices.

Cette léffende a été racontée en termes un peu dillerents par Ordonez de (^evallos, le savant auteur du Vidfjc drl Mmido. Cet écrivain avait composé un traité spécial intitulé /'rahaiiza dt' l'olnti, mais (|ui est resté inachevé ou (pii a (lis|)aru. Ses manuscrits sont conservés à Mexico, Tahhé Hrasseur de bourhourg les consulta. Voici, d'après lui (1), (|uelle serait la version d'Ordonez. Votan se serait vanté d'être de la race des serpents, de tirer son orij^ine de Cliivim « et d'être le premier liouune, envoyé par Dieu en cette réfjion, pour partager et peupler ces terres qu'aujourd'hui nous appelons Améritpie. H indique la route (|u'il suivit, et ajoute (|u'aprés s'être établi dans ce dernier pays, il fit divers voyages à Chivini, <pi'il alla en Kspagne, à Rome, à Jérusalem, (piil vit le grand temple de Jérusalem, et, de là, passa en Bahylonie, il vit les ruines d'un grand édifice, que les hommes construisirent pour s'élever jusqu'au ciel, et que les hommes avec qui il conversa l'assu- rèrent que cet édifice ou tour fut l'endroit Dieu donna à chaque famille un idiome distinct. Il fixe l'époque de la transmi- l^ration des Indiens en Amérique, nous fait connaître l'endroit les Mexicains eurent leur premier établissement, etc. ».

Un troisième écrivain, P. de Cabrera, a repris cette légende en la précisant davantage (Î2), car il donna la description du manuscrit tzendale, brûlé par l'évéque do Chiapas. « Au sommet de la première page les deux continents sont teintés en difTérentes couleurs, dans deux petits carrés, placés aux angles et parallèlement l'un à l'autre ». Le premier, représentant l'Eu- rope, l'Asie et l'Afrique, se trouve marqué par deux figures ver- ticales en forme de S, le second représentant l'Amérique par

(1) BnAssECKDEBounBOUHG.cité par CharcncGy (Le Mythe de Votan, i>. 11).

(2) Cabreba, Description of the ruins of an ancient city, discovered near ;Palcnque, p. 33, 76.

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CIIAI'ITHK II. LES IMIKNIC.IENS EN AMEHIQUE.

71

ilciix fi}.Miri's linrizuntalcs de mi^rno forme. L'auteur déclare se iH.nuner Vntau Gliivini. Il était de race étrangère et conduisit sept familles au continent Américain, o Après leur avoir assigné des terres, il revint dans son pays natal en deçà de la grande mer ». Il retourna par la route (|ue ses frères, les serpents, avaient tracée, y laissa des signes, et passa r ar la maison des treize serpents. VAxi'm, il s'établit délijiitivement au nouveau continent, les descendants des sept premières fannlles (pi'il avait tout dabord conduites avec lui, le reconnurent pour leur

<.lief.

Voilà certes un étrange récit. Quel est ce Votan? Que signi- lient ces voyages? Les interprètes ont le champ libre. Aussi ont-ils d(tnné carrière à leurs hypothèses. Le plus affirmatif est Cabrera. Il reconnaît sans hésitation dans Ghivim le Givin ou Hivim de la IJible, descendant de llétus, fds de Ghanaan, et dans les treize serpents les treize Ganaries ; il va même jusqu'à tixer la date précise du voyage de Votan à Rome, qui aurait eu lieu en 290 avant Jésus-Ghrist, sous le consulat de P. Gorne- lius Rufus. M. Onffroy de Thoron (1) affirme que Votan est d'origine Phénicienne, et que son nom signifie serpent. Il croit avoir retrouvé son point de départ, Valoun Ghivin, à l'est de Tanger, à la rivière Valoun, et son point d'arrivée Valoun Votan, dans les grandes ruines qui existent encore aux environs de Gindad Real de Ghiapas. 11 pense que la demeure des treize serpents est Haïti , célèbre par ses cavernes sacrées Ton entretenait des serpents vivants. Gertes ces commentaires sont ingénieux, mais ils le sont peut-ôtre trop et ne constituent pas une preuve sérieuse. Il nous faut avouerque ces traditions amé- ricaines sont trop vagues pour nous permettre d'avancer autre chose que la vraisemblance de voyages dans l'Atlantique, entre l'ancien et le nouveau monde, et cela à une époque très reculée. Que nous soyons disposé à ne voir dans Quetzalcohuatl et dans

(1) ONFFitoY DE TiioRON, Lcs Pliéniciens à nie d'Haïti et nur le continent mnéricain, p. 21, 23.

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l'HKMIKHK l'AHTIR.

LKS I'HÉ(:i;hsfu;hs de colomii.

Vntfiii (juc (les pcrs()nllJl^(■H iiiytlii(|U(.'s, ou <|ii(' nous les pre- nions au contraii'c |miui' les clicts des iiniiii^raiitsqui arrarliait'nl à la harharic les tribus sauvages de i'Aniéri(|ue ceutrale, un fait inconteslaltle nous paraît se dégager des brouillards de la tra- dition, c'est ((ue les deux inondes conutuuiicpièrent |)ar l'inter- uiédiair(> d'une |>opulation énergique et hardie; ut, s'il nous était permis d'énoneiM- une conjecture, nous croirions vcdontiers que le seul peuple capable «l'enfreprendre à travers l'Atlantitpie CCS voyages hardis et ré|)étés était le peuple Phénicien,

A défaut des traditions, les langues, les mœurs, les religions ont-elles gardé la trace du séjour des Phéniciens en Améri(pie, et trouverons-nous sur le sol même des preuves matérielles de ces antiques relations des Phéniciens avec le nouveau confi- nent?

La langue Phénicienne est h peu près inconnue. (Jesenius évaluait à neuf cent trente seulement le nombre des inots pai' venus jusqu'à nous (1). En y ajoutant quelques autres mots fournis par les inscriptions récemment découvertes, nous arri- vons à un peu plus de mille. Mais le Phénicien ressemblait au syriaque et à l'hébreu (2), et, en comparant ces langues iuix lan- gues américaines, nous trouverons quelques resseiiiblances qui avaient déjà frappé les premiers écrivains qui s'occupèrent de l'Amérique. Il est vrai que ces rapprochements ne sont, la plupart du temps, que des coïncidences fortuites, et qu'aucune des langues américaines, soit par sa grammaire, soit par son vocabulaire, n'a jamais ressemblé aux langues sémitiques.

Si donc on rencontre quelques analogies entre certains mots de quelques-unes des langues américaines et les langues sémi- tiques, cette coïncidence ne prouve ni même n'indique une commune origine. Ces réserves une fois faites, mentionnons, mais surtout à titre de curiosité, que le préfixe Car, que les

(1) Gesenius, Phœnicix linquse reliquis ex inscriptionibus et numix, p. 346-347.

(2) HoEFER, Phénicie (Collection de l'Univers pittoresque), p. Ii4).

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icniriciis liK

■ttaiciit voloiiliiTs (Icviiiit le imin de .ciirs villos, (:artliaj;('. Cai'fcja, Carfiia. se rclnnivc dans pivs de tn»is cents noms df |M'ii|»l('s on de Inraliti'^s, dont le (li<lit>iiiiiiin' d'AIccdo

donne la nonicnclatuiv i i|dèt(' (l). Les niot= nlié'ùciens (^)iich;

feu, foyer, maison, fur, action de creuser la terre pour en tirer do l'eau, et Okov, amas de terre i»u de pierres formé par une excavation ont tValcment leurs analojiues dans une foule de noms ("2) de lieux répandus dans les deux Américpies et spécia- lement aux alentours de la mer des Antilles ; mais il ne faudrait pas exa^rérer la portée d'étymolo^^ies souvent fort <-ontestaldes. Si, à la rijj;ueur, on peut retrouver la racine Pœinis dans les mots Panucus, un des plus anciens souverains de l'Amériipie centrale, Pinoles, les premiers lialtitants du ( luatemala, et Panama qui a survécu h toutes les révolutions politiipies, n'est-ce point une exajrération manifeste (jue d'avancer, avec lloru (3), que deux des anciens rois dllaïti, Mafrimahe et Ma|;oricli, rappellent le n<im de Maj^^on ; deux frrandes familles indii^ènes de (Juada- laxara, les Uarscinmza et les Harcimeca celui de Uarcii, et nojr<»ta, la capitale de la Col<iud>ie, celui de JJogud ou iJocchus ? Trouvera- t-on, ainsi (jue (iarcia (4), que les Giorotegani et le Corrihicani du Nicaraj,'ua sont les frères des (Carthaginois, ou que le mot Gannihale dérive du phéuicien llannihal ? Ces fantaisies philo- logiques ne sont j)lus de mise aujourd'hui et il nous faut réso- lument avouer <|ue, si jamais les Phéniciens ont colonisé

(!) Ai.cKDo, Dicciiitwrio ycogrnfko-ldstorko de las Indian occtifeiitules (T America 1186-89). Nom indigi-iie du Vt'siiézuéla Caro ; aflluoiit du Para Caranaca ; aflluenls di; rOrénoque Caroiii et Carabana ; |irovinco péruviuMiiie Carabaya sur le conlin du leriitoiii! des Indiens Caiangue.s; Caraïbes des An- tilles ; villes ou villages de la Colombie Caracollo, Caracolo, Carigayas, Caral- macra, Caraibamba, (>ai'aima, Carainulla, Caramanta; du Venezuela, Caracas, Carabobo, Cariaco, Caioia; du Hrésil, Caitivello, de Cuba, Cardenas, etc.

(2) Queretaro, Queratoco, Querio, Quero, Qnerobamba, yucnium.ica, etc. Curai, Curalmara, Curalmari, Curalmasi, Curay, Curampa, Curanari, Curapo, Curaxi, etc.

(3) Hors, De ofigi7iibus Américains, p. 115, 117.

(4) Gakcia, Origen de los Indios de el nuevo mundo, § 63.

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/4 l'KKMIKRE l'AHTIK. LICS l'HKCUKSKCRS 1)K COLOMB.

TAmôriquo, ou bi(Mi ils ont tout de suite renoncé à leur idiome national, ou .. an cet idiome n'a laissé que des traces insai- sissables (1).

Les religions américaines et phéniciennes ne prouveront pas da- vantage la communauté d'origine : nous constaterons néanmoins de curieuses analogies. De tout temps et dans tous les pays, les sacrifices humains ont été en honneur, mais ce qu'on n'a retrouvé (|u'en Phénicie et en Amérique, ce sont les sacrifices de petits enfants. A Tyr et à Cartilage ("2), comme au Mexique et au Pérou (3), on n'hésitait pas à jeter au feu ses propres enfants pour apaiser le courroux des dieux. On a mémo retrouvé dans la Caroline (4) des statues d'airain creuses, dans lesquelles on enfermait ces victime» de la superstition. Cette conformité «l'usages est à tout le moins singulière, surtout quand on se rappelle que les Phéniciens ont introduit ces rites sanglants dans toutes leurs colonies ; mais a-t-on le droit de conclure de cette ressemblance, peut-être fortuite, entre les usages à une commu- nauté d'origine absolue entre les Phéniciens et les Américains.

(1) Aussi ne menliorinuns-nous qu'à litre de curiosité les étymologies pro- posées par M. Onirroy de Tliorou, dans sou livre, d'ailleurs très iutércssant Les Phénk-iens H l'ile d'Haïti et sur le royitinent Amdriroin. D'après Iim les uiols Aztèques, Kinaniès, Cliichimèques, Tolléques, Tsendal, Tséquil, Nahuatl, Cuba, Yucatau , Copau, Guatemala, etc., seraient des substantifs Phéni- ciens, très légèrement altérés. Nous lui laissons la res|ionsabilité de cette théorie. Voir pages 26, 28, 20, 30, 31. Le même auteur prétend encore qii'Haïti fut une coloiiie Phénicienne, et il essaye de le démontrer en énu- inérant cent-deux noms empruntés au Taino, c'est-à-dire au dialecte parlé par les anciens Haïtiens, et dont l'étunologie serait * -uicienne, p. 1)1-105.

(2) DiODORE DB Sicile, passim. Lactanck, i. ...aution Divine, I, 21. Plltarque, De la Superstition, § 15. Ji sti.n, .WIII, 6. XXIll, G, 12. EusKBE, Préparation évangéliqiie, IV, 0. Munter, Religion de Car- thage, XWl.

(3) (JoMAHA, Histoire l'Inde, IV. Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes, V, 17. HEnitEnA, Histoire générale des hauts faits des Castillans dans les iles et la terre ferme de l'Océan, V, 44. Landa, Relation des choses du Yucatan, p. It'i5. Pbescott, La Conqu('te du '>ce.vi(/ue, I, 3.

(4) HoR.N", De Originilnis Americanis, p. 126.

CIIAI'ITKU; H.

LES l'IlKXIClENS E.N AMKRIQLE.

Si ces derniers avaient ri''l)ituiU', ainsi (|ue les Phéniciens, d'élever sur les routes des monceaux de? pierres pour se concilier les faveurs de la divinité, quand ils étaient en voyage (1) ; si les uns et les autres baisaient l'air en signe d'adoration, et s'ils se saignaient eux-mêmes pour arroser leurs idoles, de bonne foi ces rapprochements ne sont-ils pas quelque peu forcés et ne soimncs-nous pas plutôt fondé à reconnaître que, si les Phéniciens ont jamais colonisé l'Amérique, l'influence de leurs religions y fut dans tous les cas à peu près nulle ?

Nous en dirons autant des [)rétendues ressenddances pour les usages de la vie conunune. 11 se peut que les cases haïtiennes resseudilent aux mapalia phéniciens (2), ou (|ue la coill'ure des Phéniciens (|ui se rasaient la tête en ne laissant flotter au sommet i\u crâne qu'une toufle de cheveux à hupielle ils donnaient i'iisuite différentes formes, soit reproduite par les habitants du Nicaragua et du Yucatan, c'est-à-dire des pays oià l'on ci-oit (|ue les Phéniciens ont surtout séjourné ; mais d'autres ;)euples habitent des maisons semblables et se coiffent de même, sans que personne se soit avisé d'établir le moindre rapport entre eux ol les Américains. Aussi bien la plupart de ces coutumes sont f<jrt naturelles. Si, par hasard, quelques ressemblances curieuses se présentent, ce n'est pas une raison pour conclure à l'identité de races absolument dissemblables sous d'autres rapports.

Il est cependant un point qui mérite un examen attentif: nous voulons parler de la ressemblance qui existait entre les industries phéniciennes et américaines.

( )n sait que les Phéniciens s'étaient rendus célèbres par leur adresse dans les travaux métcllurgiques. Presque toutes les

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{\) Paul Maucoy {Tour du Monde, ii» 149) a retrouvé au Pérou cette coutume prétendue Phénicienne. Les voya^ iurs indigènes élèvent des tas de l 'erres, dits apac/tectas, eu l'honneur de Paciiacamuac, le maître de l'Uni- vers, et ces tas sont toujours grossis par la dévotion des passants.

(2) HonN, ouv. cité, p. 120.

[■\) De Fkhussac, Bulletin des Sciences historiques, t. VI, p. <o2.

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PHEMIKHE PARTIE. LES l'RECLHSErUS ItE COLOMIl.

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mines do l'Ancicn-Monde (int otô coiinuos ot exploitées piir eux(i). ATliasos, à Samothrace, au mont Pangée les mineurs passaient pour \q^- dieux du pays, les Kahires, en Espagne l'on retrouve encore la trace de leurs travaux, en (iaule l'on a cru découvrir dans le Morvan et dans les monts Arrée les procédés (ju'ils employaient, partout les Phéniciens ont tiré parti des richesses minérales du sol. Ils savaient aussi donner aux métaux les formes les plus variées et les plus délicates. Qu'on se rappelle les (;hefs-d'reuvr(> que Salomon fit exécuter poul- ie temple de Jérusalem par des ouvriers Phéniciens (2). L'anti- quité vantait aussi les coupes Sidoniennes et les bracelets d'or ou d'argent garni d'ambre et de [lierres précieuses qu'on fabriquait àTyr (3). Que si maintenant n<jus nous transportons en Amérique, nous y rema^-querons la même habilité de fabrication et les mêmes procédés ingénieux. Ainsi, les habitants du Darien et du Guatemala, et les Mexicains fondaient des plats en métMJ de huit faces, chacune d'un métal différent, et sans soudure apparente ; des poissons ou des oiseaux, dont les écailles ou les plumes, tantôt d'or, tantôt d'argent, se succédaient sans la moindre trace d'un raccordement artificiel (4). On trouvait encore chez eux, à l'époque de la conquête, des statues d'un seul jet, vides à l'intérieur, min'^'^^s et déliées au dehors ; des perroquets et des singes automates, etc. (o). Parmi les présents que fit

(1) DioDouK DE Sicile, passim. Hokkeh, Phénicie, p. 55. Sciiui./. el Paillette, Bulletin de la Société géologit/ue (Décembre 1849). ^2) Rois, I, 8, 13-50.

(3) HOMÈHK, Iliade, XXIII. 741. Odyssée, X ,', 451). VinoiLE, Enéide, 1, 724. Athénée, XI, 279. PACsAPiiAs, IX, 41, 42.

(4) Hekhera, ouv. cité, II; 7, 13. Tomql'emada, Mo7iaiquia Indiana, XIII, 34. OviEDo, Uistoria genend de las Indias, III, p. 124. F. XÉRÈS, Conquista del Peru (traduction Ternaux-Compans/ IV. CAnLi, Lettres américaines, I, 277, 355. •- Prescott, Conquête du Mexique (tradiictioii Pichot), t. I. p. 112.

(5) Voir dans l'Histoire véridique de Bernard Diaz la triomphante énu- niération des objets d'art et des pièces d'orfèvrerie emportées du Mexique en Europe par les Espagnols. Pierre Martyr, Décades, IV, 9 ; V, 10.

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CllAlUTRE H.

LKS l'IlK.NIClENS EN AMERIQUE.

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rinca Atahualpa aux Es|»a};iiuls do Pizarre, on remarqua une statue de hcrfrer avec ses moutons en or, parfaitement travaillée ; des pailles d'or massif surmontées d'épis qui faisaient illusion, (|uafre lances d'or, dix à douze statues de femmes {rrandeur naturelle, etc. (Jn conserve encore dans les nmsées d'Amérique et dans ([uehjues collections Européennes des vases à dessins éiiiaillés et des pièces d'orfèvrerie d'un travail exquis. Enfin, les indi^^ènes connaissaient la trenqx' du cuivre, et l'on retrouve de temps à autre des armes (tu des rasoirs en cuivre, admiraldenient effilés, et (pii remontent à une très haute antiquité.

Quel est donc le peuple ipii apprit aux Américains à si bien se servir de métauv ."'' Leurs traditions s(jnt unanimes à ce sujet : Ce fut un peuple étraiifier, déjà fort avancé dans la civilisation, mais dont le souvenir avait disparu, .\insi, à l'épociue de la con(juôte espagnole, les Caraïbes étaient incapaldes de creuser dans le roc les cryptes et les immenses souterrains qu'on trouvait dans leurs îles. Les Haïtiens ne pouvaient même se rendre cuiupte des travaux gigantes(iues que nécessitaient les mines ahandoiuiées depuis de siècles, et retrouvées jusqu'à seize milles de profondeur, par Barthélémy Colondt (l). Au moins savaient- ils (|ue leurs ancêtres avaient profité des leçons d'étrangers fort industrieux, mais ils avaient oublié à la fois le nom de ces étrangers et le secret de hiurs {)rocédés.

Une peuplade américaine, éteinte de nos jours (:2), faisait exception. C'était la tribu des Macares, forgerons héroïques qui résistèrent longtemps aux Espagnols, puisque soixante iuis après Colomb, les Macaronas des forges de Sainte-Marthe con- servaient encore leur indépendance. Ces Macares s'étaient

;1* HoitN, De Originihua A)tierir(niis, ji. 200. « [iivenit spocus aUijsinios et velustissinios ; licnc ami fodiiia protL-ndebatur ultra milliaria sex deciin, iiigi'iis profecto argiiineiituiii gentes cam olitu iiisulam acocssissi; nietallicas, «luales al) --mni iovo Phœiiiccsft Hispaiii fueruiit. »

r2 ItKASSKiH DE UoL'nitocii(i, IntrodurtioH à lu traduction tir Lnndu, KrUition des choses du Yiiia*a)i, \>. .\('.VII-X(A hl.

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l'RKMlKHK l'ARÏIE.

LES l'KKr.l'HSKinS DR COLOMB.

jadis rôpandus sur une vaste étendue de pays, oùleur nnin s'(>st conservé. Une des branches du Mississipi se nomme Macaret. L'île Macare est à remlxjuclmre de rOrénoque et un des liras de ce fleuve porte le même nom. Nous retrouvons dans le Cumana Macara|)ana, dans l'Ecuador Macaro, en Colomltie la province de Macarabita et le cap Macarie. Or les Macares, de tout temps réputés pour leur habileté dans les arts métallurtriciues, avaient certaines coutumes qui les rapprochaient des Phéniciens. Ils dressaient partout des colonnes gigantesques, parfois de forme humaine, qui. le jour, indiquaient aux voyageurs la route à suivre, et, la nuit, servaient peut-être de phares. N'est-ce point l'usage phénicien des colonnes indicatrices que nous retrouvons à Samothrace, aux détroits de Messine et de (îibral- tar, en un mot partout les Phéniciens se sont établis? Deux de ces colonnes, élevées par les Macares, subsistent encore an confluent du Garare et de la Magdalena. Elles sont sculptées ci cann<^lées, d'une hauteur prodigieuse. On les considère «ommc les génies tutélaires des montagnes et des fleuves, et on va les visiter en pèlerinage. Les Macares plaçaient ;\ cAté des morts, dans les tombeaux, de petits simulacres de ces colonnes. En 1787 Méry de Saint Vincent trouvait encore à Haïti de ces sinuilaf'res dans les grottes qui servaient de sépultures aux races disparues. Quand ils se mettaient en route, les Macares ('mp(trtaient avec eux ces petites effigies (|ui leur servaient dv dieux protecteurs. La conformité de ces usages, et la ressem- blance des j)rocé(lés industriels indiquerait donc que les Macares seraient d'origine Phénicienne, ou tout au moins qu'ils auraient subi l'influence Phénicienne.

Oiï sait (Micore (pie les Phéniciens étaient d'habiles céramistes et d'incomparables teinturiers (1). Ces deux industries ont toujours été très florissantes en Amérique. Il suffit de parcourii'

(I) Edouard Geiihahd, l'r/jrr die Kunst der Pli<v7iizier, Berlin, 18i8.

HOEFER, P/l('/ll'C(>. p. S(!-1U'f.

CIlAPITRr: II. LKS niKMClKNiS EN AMERIQUE,

7Î)

les (•((llcr.tions d'aiiti(|iiit{''s Ain«''ricaiiU!s, ocllt's par exemple du Muséum fur Krdkuiide de lierliii, dis|)osées avec tant de science et d'ingéniosité pîir le docteur Hastian, ou celle du duc d'Ossuna k Madrid, pour se convaincre de la firodigieuse liahileté des iMitiers Américains. Telle de leurs statuettes en terre cuite {D, tel (le leurs vases peut être comparé aux productions les j)lus réputées de la cérami(|ue p:rec(|ue ou étrusque. Or, à l'heure actuelle, ils seniltlent avoir oublié l'iiahileté d'autrefois. Ils se contentent de formes convenues, ils n'ont plus ni l'invention, ni le génie, qui jadis inspirait les aut«>urs des ces vrais chefs- d'o'uvre qu'il nous a été donné d'admirer aux congrès améri- canistes de Madrid, de Berlin et de Paris ; mais tous parlent avec orgueil de leurs anciens maîtres, et, chose curieuse, ils s'accfjrdent à dire que ces maîtres étaient étrangers. Quant aux ébjffes teintes, elles ont délié l'action du temps. Les bandelettes qui couvraient les momies retrouvées dans la nécropole d'Ancon, par MM, Reiss et Steuhel send)!ent sortir de l'atelier du teinturier (2). Les conquistadores du xvi" siècle s'extasiaient sur lu solidité et le brillant des étoffes mexicaines et péruviennes (3). De nos jours les iudigèiu's ont encore conservé le secret de tissus à cou- leurs variées qui rappellent les -xij-y.y.-lx r.i-'/.oi. des femmes Sidoniennes, tant vantées par Homère (4): 11 semi)le (|ue ces ouvriers Américains se transmettent ainsi, par hérédité, des procédés, qu'ils n'étaient pas capid>les d'inventer, mais seule- ment d'imiter. Qui ^^mc leur a conuuuniqué cette extraordinaire habileté dans la céramique et la teinturerie, sinon le peuple qui dans rauti(|uité porta ces deux industries à leur perfection ?

1 Voir la statuette du musée de Derliu qu'on nomnii' le boiillon du Yucalau. Elle a été reproduite par le docteur Bastian {Vcrd/fcntlirhiDiycn nus (le»i Koiiiglic/inn muscuin fur riilkerkunde heraus(jflfjehen cou dcr rencaltiDig, Berlin, i888)

(2) Beiss et Stecbel, Reiseii in sial-americn. Les momies d'Ancon sont aujourd'hui déposées au musée d'ethnographie de Berlin.

(3i Samaiiin, ouvrage et passage cité, p. 207.

(4) HoMKnK, Iliade, XXIV, 229.

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l'iic objection se |)résente : Si les Pliéiiicieiis ont récllenieiit connu rAniéri(|ue, |)our'(|uoi n'y ont-ils pas iiirernii leur domi- nution ? Pounjuoi, supérieurs connue ils l'étaient aux indigènes, se sont-ils contentés de les initier à la civilisati(»n, sans essayer de les fondre eu un grand peu{)le ? Mais les négociants en général s'occupent peu de politi([ue. De plus ces premiers colons, s'ils ont existé, ont été nécessairement peu nombreux, et bientôt la métropole, an lieu de la protéger, interdit l'émigration dans ce continent nouvellement découvert. D'ailleurs on oublie trop que, lors(jue une race s'établit en contpiérante dans un pays, elle y rencontre un génie local, invincible, qui réagit bientôt sur les conquérants eux-mêmes. Comme le nombre fait la force, au bout de ([uelques générations, les vaincus ont conquis leurs vainqueurs. N'est-ce pas ainsi que les Neustriens devinrent les Normands, et (jue les Tartares se convertirent en Cbinois? Telle fut sans doute l'histoire des colons Phéniciens d'Amériijue. Ils devinrent bientôt plus Américains que les Américains eux-mêmes. Us se mêlèrent à la population environnante, et oublièrent jusqu'à leur origine.

Au moins trouvera-t-on sur le sol Américain (pielque trace matérielle du séjour des Phéniciens, quelque monument authen- ti([ue qui convaincra les plus incrédules? On a si bien compris cette nécessité que quelques partisans déterminés de la colonisation de l'Amérique par la Phénicie ont créé de toutes pièces de prétendus monuments Phéniciens. Il est vrai que ces diverses supercheries archéologiques ont tourné à la confusion de leurs auteurs.

lîn 18G9 le monde artistique et savant fut mis en émoi par la découverte d'une statue gigantesque, d'origine Phénicienne, trouvée à Onondaga, à plusieurs mètres au-dessous du sol, dans des fouilles pratiquées pour reconnaître un prétendu gisement de pétrole. Voici ce qui s'était passé : Un certain Morton, de Hulfalo, poussé par je ne sais quelle étrange fantaisie, s'avisa de faire tailler dans un bloc énorme de pierre, pris dans les

|i parla tienne, |>1, dans Isement Ion, de s'avisa luis les

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«ai-fii'n's (lu fort DoiIk»', «Ihiis l'Iowa. une sfatue en |)i('(l par le

s(iil|ttcur Koolcy. Aliii de ne doiiiun- l'ôvcil àpersumic, on garnit

(!<' tapisseries riiitéricur de l'atelier, puis dos acides et des

cuuleurs lialiilemeiit ai)pli(piées donnèrent à la statue une

apparence de vétusté fort re- pectalde. Quand elle l'ut terminée,

on \-\ déposa dans une ralss(î innnense et on la eoinluisit

à Omiuda^^i. Morton la lit ensuite eid'ouir à la profondeur il

la retrouva sans peine <leu\ mois plus tard. Hientitt on ne parla

plus (pie du géiuit Phénicien de rUnondaga. Mais trop de

personnes avaient été mises dans le secret. Quand l;i fraude fut

découverte, Morton fut saisi d'un désespoir si violent ([u'il se

peudit à un arhre. tout près de l'endroit il jtrétendait avoir

découvert son |j:éant Phénicien.

■le lie sache pas que lin si tragicjue ait été réservée à l'iiiveiitciir (le l'inscription IMiénicienne du Parahyha dans le Brésil : aussi hieii cet archéolojrue ultrafantaisiste a gardé un prudent anonyme, (le fut le ll{ septemhre ISTi «pie le secrétaire de l'Institut historicpie, géographi(|ue et etlino- graplii(pie du lirésil reçut une lettre, signée Joatiuin Alves (le Costa, accompagnée de la copie d'une inscription en caractères étranges, cpii aurait été trouvée sur une pierre cassée en ([uatre morceauv dans sa propriété de Pouso Alto, Par ordre de l'Institut le savant directeur des musées de llio de Janeiro, Ladislau de Soiiza Mello Netto étudia l'inscription et n'eut pas de peine à en déterminer le caractère oriental. 11 essaya même d'en donner une traduction. La voici : « Ce monument de pierre a été dressé par des Cananéens Sidoniens qui, pour aller fonder des comptoirs en pays éloigné, montagneuv et aride, sous la prot(5Ction des dieux et des déesses, se sont mis en route dans la dix-neuvième année du règne d'Hiram notre puissant roi. Us partirent d'Asion- gaher dans la mer des Joncs, après avoir emharqué les colons

(1) Ladislau Netto, La vérité sur l'inscription de h: Paralu/hu. Rio-de- Jaueiro, 188."J. Sc.iii.ottman'x, Die Pkoenizier in Brasilirn (lenacr LilU;- rutrizeitiiiig 187-4, ii» 30), llevuc criti(iue ilu 31 octobre 1874. T. I. 6

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LKS l'HKCCnSKlJIlS HE cor.oM».

sur dix navires, et ils naviguèrent ensemble le lourde la grand,' terre pendant deux ans. Ils furent ensuite sé[)arés du cunnuandaiit de la flotte et entraînés loin de leurs conipagnons. Ils sont arrivés ici douze lioiruries et treize femmes sur cette côte inconnue, dont moi le malheureux Métu-Astarté ai pris possession. Que les Dieux et les Déesse; nu; soient en aide ! >> (lerfes, si rinscri|)tioii n'est [)as apocryjdie, elle constitue un document (l(^ premier ordre et prouve le séjour des Phéniciens dans le nouveau mondcî : mais ce fut justement la précision des détails (pii éveilla les soupçons de M. Netto. Il rechercha le signataire de la lettre d'envoi, et ne trouva nulle part ce mystérieux Joa(piin Alves de Costa. La propriété de Pous(» Alto ne fut pas non plus retrouvée, même (piand on la cluM'clia sur les rives de la Para- hyba do Sut. Fort excité par sa déconvenue, M. Netto s'avisa d'mi stratagèmes : sous le jjrétexte d'avoir (|uel(|ues renseigne- ments scientiliques, il écrivit aux ciiu| ou six Brésiliens, cpii avaient qmihpie connaissance des langues orientales, et, dans les réponses qu'il reçut, reconnu! l'écrittu'e de rintrouval)lc Joaepiin Alves do Costa. La supercherie était démontrée, et l'inscriptiitu de la Parahyha ne méritait plus (pie l'honneur d'être placée à côté du géant de l'f Jnondaga.

C'est avec la ménu' prudence (pie nous parlerons dune galère antique scul[)tée sur un rocher de l'île de Pedra sur le Rio Negro, justement dans le pays des Macares, et dont Brasseur d(! ]k)url)ourg a donné le curieux dessin (l). Même réserve à propos de la conmmnication du docteur Lund, de Lagoa Sauta du Brésil, à la Société Royale des antiquaires du Nord, siégeant ;i Co|)enhague(i2), On aurait découvert, en 1831), dans la itrovinco <le Bahia, mie grande ville al)andonnée, de construction tort ancienne, et dont les édifices étaient en pierre de taille. On y

(1) Hhassiuii iik Uouneocno, Inlin'lwUon ii ta traduction du Pojjol. Vuh, p. LXIX.

(2) Société dos antiquaires du Nord, 18;}!I-4U, p. 2l). Id. l8'«U-i4, p. 15'J, 180.

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liras drnit iHcndu luniilrait de l'indcv la dirrclion du nord. iJès l'anucc suivanfc, IS'd>, la rirf.'alt' danoise Hrlinic déltan|ua à llaliia, et les lieutenants Svensnn et Scliiilz, avee le naturaliste Kruj^er, lurent eiiar;.'és d'examiner les ruines; ui.:!snul clieiuin n'éfiiit praticalile et (iii ne connaissait ini^ine pas reui|»iacenienf exact de hi \ille. L'arclieV(^(|ue de Haliia. M«i' llonuialdo, or- donna liien à un de ses pnHres de lui adresser un ra|>|torl |»réa- lalile sur la situation de celle ville, et |>rouiif de se charj^^'r de l'exploration, mais rien ne lut exécuté. .Nous (>n sommes encore rédiùts aux conjectures sur cette imti(|ue cil('(pii peut être Phé- nicienne fiait aussi hien que (chinoise, ou plufiH n'av<tir jamais existé que dans i'imafriiiatiou de ceux cpii voulurent hien la dé- couvrir.

(l'est avec lii iiK^ine incrédulité que nous examinerons de soi- disaut perles Phéniciennes, (pi'on a retrouvées un peu partout siu' le sol xVméricain ^1), par exemple, dans la province hré- silieime de Sao Pedro do Rio (Irande do Sul et aux Ktats-L'nis. Schoolcraft a décrit et représenté ((uel(|ues-unes de ces [lerles ["1).

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Ainéricaniste de Uerlin, en 1888, M. Netto uou

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coniiuuiiKpie nue de ces [»erie

mais, loin de iienstr, ave

Moiiut et Nilsson, qu'elles prouvent la présence des Phéniciens en Amérique, nous leur attrihuuns une ori},'ine heaucoup plus moderne. Nous croyons, en effet, qu'elles sont (Uî f'ahrication véintienue, et (|u'elles Jlfîuraienf au nomhre de ces ohjets (|ue les premiers navigateurs Espagnols, Portugais et Français ont a|»portés au Nouveau-Monde, pour les distrihuer aux indigènes, afin de s'attirer leurs honnes grAces et leurs sympathies (3). C'est

(1) Ladislau Netto, Invcstigacioes sobre a arclieoloyia />rflsî7ezm (Arcliivios (11) Miiseo Nacional, |i. 441-443) 1885.

(2j ScuooixHAi'T, Indian Trihcs of tin; United statcs.

(3) Ainsi le navire l'Espoir, commanJé par le capitaine de Gonneville, qui visila les côtes Ihésilienues en 1503 avait des rassades dans son cliargenieiil. Cf. Gakiaiiei., Jean Amjo (Société de géograpliic de Rouen, 1889).

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ce qnt' nos vieux navifîahuirs iioiiunaiciit des rtissndt'x. On trouvaient de ces passades à lM)rd de tous les vaisseaux (|ui s'aventuraient aux terres nouvelles. Dès lors (juoi (rétoiinant si (|uel(|ues-uns de ees fragiles ornements ont été conservés par les indigènes? A vrai dire, on n'a jus(|u'à présent trouvé eu Amérique (pie deux monuments, dont ranthenticité est incon- testable, et (pii méritent un examen sérieux ; ce sont, le rocher de Taunton Hiver et l'inscription de (irave-Greek.

Dans l'état de Massachussets, comté de Bristol, territoire de Berkeley, sur la rive orientale du Taunton-lliver (Coliannet des Indiens), par 41" iri' 30" de latitude nord, s'élève un rocher de couleur rouge, qui a ([uatre mètres de hase et un mètre soixante-dix centimètres de hauteur. Il porte une inscrip- tion en caractères mystérieux qui ont exercé la sagacité des é|»igraphistes. L'explication la plus curieuse est celle de Mathieu qui pensait que les caractères furent tracés par les Atlantes, en l'an VMH avant Jésus-Christ (1). Moreau de Dammartin voyait dans ce monument un fragment de sphère céleste orientale, ou plutôt un thème astronomique pour un moment donné, cju'il li.xait au iio décembre à minuit (2). Le colonel Wallancey tâche de prouver que l'inscription est Sibérienne (3). Schoolcraf^, en soumit une copie à l'examen d'un chef Indieu, Ghingswank qui l'expliqua comme rappelant la victoire d'une tribu américaine (4). Des antiquaires danois, Charles Rafn et Finn Magnusen, ont reconnu, ainsi que Leiewell et M. (Iravier, des caractères runiques se rapportant aux aventures des Scandinaves dans le

II

(1) Matihec, cité par Vardisii, Hccherclifs fitr lex Anfi'/uilcs tir l'Ami:- rique septentrionale, p. 70.

(2) .Moreau i>k D.v.muautin, La Pierre de Taunton (Institut liistoriquui, t. IX, p. Ur>- 154

(3) LuiiliocK, L'Homme avant l'Histoire, tiaductioii Barliicr, p. 228. Colonel Cliarles Wai.i.ancky, Oliserratiom of the American Inscription (Société (les Antiquaires de Londres, 1787), t. VIII, p. 303.

(4) Li nnocK. ^/^ supr. p. 228.

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CIIAPITHK 11. l-KS l'HKMf.lKNS EN AMÉRIOIK.

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Massachusscîts (I). D'autn-s savants enfin l'attrilmcnt aux Phéni- ( ions (i). Kn 1783 le révérend Erza Stiles, prêchant devant le gouverneur do Connectieut, citait ce rocher comme la meilleure preuve dos voyages Phéniciens au nouvonU monde. Court de (îélielin, Tingénieux auteur du Monde primitif, donnait égale- ment à celte inscription une origine phénicienne, et essayait do l'interpréter. M. Onffroy de Thoron en a mémo donné l'explication suivante (3) : « Envieux de la fortune, pour causer les ruines, il pillait on frappant : sa vie voluptueuse s'est écoulée comme l'onde rapide. » Pourtant, si on essaye de suivre ces ingénieux commentateurs sur le fac-similé de l'inscription, on n'y voit rien autre chose que des traits informes, tels qu'en [)ourrait former un enfant «|ui. pour la première fois, tient une plume entre ses mains. Il est prohahie que le rocher do Taunton- River est et restera une énigme indéchiffrahle. Ce fut peut-être un signe de reconnaissance pour les marins étrangers qui, les premiers, s'aventurèrent dans ce pays inconnu, et couvrirent à la hâte ce rocher de signes caractéristiques pour eux et pour leurs successeurs ; mais , s'il appartient à une civilisation étrangère, nous n'avons pus le droit de conclure qu'il s'applique aux Phéniciens plutôt qu'à tout autre peuple navigateur.

Quant à l'inscription de Grave-Creek, elle a été trouvée dans les montagnes du mémo nom, à l'ouest des Alleghanys, près de Wheeling, canton de Marshall, en Virginie. On la découvrit da.:s une sorte de tumulus, décrit par Schoolcraft (i). Après

(1) Leleweel, Mémoire sur les frères Zcni, p. 82. Gravier, Décou- verte (le l'Amérique par les Normands (avec un rac-simile de l'inscription), p. 94. Hafn, The Dighton Roch-lnscription (Magazine of American his- (ory (IHTJ).

(2) Court de Gerelix, Monde primitif, VIII, p. 500-509 (avec fac-similc (le l'inscription). Cf. Yates and Moultox, History of tlie states of Newyork, including its Aboriginal and colonial Armais (Ncwyork, 1824), t. I, p. 86. L'un et l'autre soutiennent la même hypothèse.

(3) Onffrov de TnonoN, Les Phéniciens à Haïti, p. 45.

(4) Scnooi.cRAFT, Travels in the central portions of tlte Mississipi Valley.

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LES l'HKClKSKlRS llK COLOMB.

uiu' première empreinte à la eire, on en lit im estampage en pliUre (1), L'i pierre sur laquelle est gravée Tinscription est eompacte, ovale, assez dure pour résister à la pointe d'un cou- teau. Klle devait à sa longue inhumation une couleur foncée. Ijes caractères sont anguleux, sans doute à cause de l'instrument grossier du graveur qui ne lui permettait pas d'arrondir les traits, mais très lisibles, bien (pie peu profonds. Cette conser- vation parfaite a même fait douter de l'authenticité du monu- ment, Elle s'explique pourtant par l'enfouissement séculaire au fond du tumulus. En même temps que l'inscription, on exhuma un cadavre qui portait encore un bracelet au bras, des pierres précieuses, des armes, des colliers et des poignets en métal. Dans les autres tumulus du voisinage, on a également trouvé une pierre imagée de forme sphérique, une pierre ornemen- tale sculptée, des anneaux de porphyre et l'image informe d'un être humain. Il semble donc, à première vue, que l'inscription n'a été inventée ni découverte pour les besoins de la cause.

Restait à déehiiTrer les caractères : ils sont disposés en trois lignes parallèles, chacune de sep* lettres, dont plusieurs sont reconnaissables à première vue comme phéniciennes. School- craft avait renoncé à traduire celte inscription (2), parce qu'il y retrouvait non seulement du phénicien, mais encore de l'étrusque, du runique, de l'ancien gai'l, de l'anglo-saxon, de Tapalachien, du creek, etc. Pourtant les érudits qui ont fait de cette inscription l'objet de leur examen s'accordent à lui reconnaître, dans son ensemble, tous les caractères d'une inscription sémitique.Turner, professeur d'hébreu au séminaire de New- York, pensait qu'il fallait y voir un alphabet sémitique, à cause du rapport qui existait entre le nombre de ces caractères et celui des lettres de l'alphabet hébraïque, mais cette supposition tombe d'elle-même,

(1) M. Schwab, Revue archéologique, fév. 1857.

(2) ScHOOLCRAiT. Brief of a runic inscription fotindin North America ^Société des Antiquaires du Nord, 1840-1H44), p. 119.

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CHAPITRE II.

LES l'IlÉNICIENS EN AMÉRIQUE.

87

attondu que certaines lettres sont reproduites plusieurs fois et (|ue d'ailleurs on n'a jamais déposé d'alphabet dans une tombe.

Jomard, qui (omposa deux mémoires à oe sujet (1), préten- dait que les caractères de Grave Creek sont identiques à ceux dont se servent les Touaregs du Sahara, que ces derniers avaient reçus des Phéniciens : aussi n'hésitait-il pas à affirmer que l'inscription de Grave Creek était d'origine phénicienne. Plusieurs orientalistes ont pensé de même (2), mais ils n'ont plus été du même avis dans l'interprétation. Voici la traduction de Maurice Schwab (3) : •< Le chef de l'émigration qui s'est rendu ensuite dans ces lieux (ou dans cette île) a fixé ces statuts à jamais ». Opport, partisan de la même théorie, traduit tout différemment: <■ Sépulture de celui qui a été assassiné en cet endroit. Puisse Dieu, pour le venger, frapper ses assassins en leur tranchant les mains, l'existence ». Pour être complet, il nous faudra men- fionner une troisième interprétation, qui ressemble très peu aux précédentes. M. Lévy-Bing en a pris la responsabilité au congrès américaniste de Nancy ( i) : « Ce que tu dis, tu l'imposes, tu brilles dans ton élan impétueux, rapide comme le chamois ». Lequel de ces trois orientalistes croire de préférence ? Nous ne tenterons pas de trancher le débat (5).

Nous parlerons avec une égale réserve, d'une autre inscription trouvée le 10 janvier 1877, parle Révérend F. Gass, en présence <le témoins sérieux, à la base d'un mound conique situé sur la

(1) JoMARi), Notes sur une pierre gravée, trouvée dmis un ancien tumu- lus Américain, et, à cette occasion, sur l'édition Libyen. Seconde note, 1846.

(2) Castelnau, Voyage dans l'Amérique du Sud^ t. IV, p. 262.

(3) ScHWAH, ouv. cité.

(4) Lévy-Bixg, hiscription de Grave-Creek (Congrès Américaniste de Nancy, t. I, p. 219).

(5) Au Congrès Américaniste de Luxembourg en 1877 (t. II, p. 7), après lecture du colonel Chas. Whithleney sur les Fraudes archéologiques corn- tnises aux Etats-Unis, et après déclaration de trois archéologues émincnts, Georges Squier, Daniel Wilson, E.-H. Davis, la question a été tranchée : la fameuse inscription est apocrypho.

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88 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEIRS DE COLOMB. ,

ferme de Cork, non loin de Davenport dans l'Io\sa{l). C'est une tablette d'argile bitumineuse portant gravée au droit une scène funéraire et au revers une scène de chasse. Dans la scène funéraire, au sommet d'un tumulus est allumé un grand feu, sans doute destiné ù brûler trois cadavres déposés sur le sol. Treize hommes grossièrement figurés dansent autour du bûcher en se donnant la main. Le soleil dardant ses rayons, la lune dans son plein et de noml»reuses étoiles sont représentées au ciel. Au-dessus de ces astres, fort étonnés de se trouver réunis, deux bandes sont couvertes de signes et tout le haut de la tablette est également rempli de signes. On en compte 98, dont 74 différents et 24 qui se répètent. On est donc en présence d'une inscription. En quelle langue est rédigée cette inscription ? Est- elle phénicienne ? est-elle américaine ? Nous laissons à d'autres plus compétents le soin de se prononcer.

En résumé, il en est des inscriptions de Grave Creek ou de Davenport comme de toutes les traditions que nous venons d'énumérer sur les établissements phéniciens en Amérique. Jusqu'à nouvel ordre on n'a le droit de rien affirmer. Peu de problèmes sont aussi intéressants à discuter, mais, avant d'eu donner une solution définitive, il faudrait d'autres preuves et des arguments plus solides, qui manquent encore et proba- blement manqueront toujours.

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(!) R. J. Gass, Account of the discoverrj of inscribed tablets, with u description by Dt t. Farquharson (Proccdings of the Davenport Acadcmy of natural science, juillet 1877). (Cf. Congrès américaniste de Luxembourg, t. II, p. 158-160).

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CHAPITRE III

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LES JUIFS EN AMERIQUE.

Plusieurs ('orivains ont cru sériousemont, et iiffirmé avec une sorte de conviction passionnée (|ue rAmériqiie avait été non seulement découverte, mais encore peuplée par les Juifs. Horn, dans son curieux livre de l'origine des nations Américaines, a dressé, non sans malice, la liste de ces écrivains (1) ; mais c'est de sang froid (|ue (îregorio Garcia qui passa douze années dans les missions Américaines et s'appliqua à l'étude des antiquités, affirme (pie les Américains descendent des Juifs (2). Montesinos, le visitador de Lima, qui sans doute eut en sa possession les manuscrits du savant évéque de Quitt», Luis Lopez, soutient que les dynasties Péruviennes ont une origine liébraïque (3). Ce système a été également défendu, avec un grand luxe d'argu- ments, par l'anglais Thorowgood en 1050(4) et par le Suisse Spizelius en 1601 (5). Un Israélite, Manassé ben IsraiM, a composé à ce sujet un traité spécial qu'il a pompeuse-

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(\) HoRN, De Orighii/jtis Amevicanis, p. 5 et suivantes.

(2) Grrgohio GAnr.iA, Origen de Ion Indios de cl Niteio Mundo, r Indias Occidentales (Valence, 1607).

(3) MoxTEsi.NOS, Mdmoires /nstoriques de l'ancien Pérou (Collection Tcrnam-Compans) 2"'» série, volume 7.

(4) Thomas Tiiohowoood, lews in America or prohabilities that the Américains are of that race. Londres, 1650. 2™» édition, Londres, 1660.

^5) Spizclu'S, Elevatio relafionis Montezinianae de repertis in America tribiiôus israeliticis, et discussio argumenlorum pro origine gentium ame- ricanarum Israelitica a Manasse ben Israël congtiistarum (Bâie, 1661).

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LES l'HKCrnSKIHS l»K CdLOMH.

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nient intitulé l-^sjn'Vdtizn ilr Isravl (1). An (li\-luiili(''ni(' siècle, <lnniillu i^:i), Adair (U) et Court de (Jéhelin (i) partageaient encore ces étranges théories. Pres(|ue de nos jours, un riche anglais, lord Kingshurough's (oj, consacra la plus grande partie de sa belle fortune, tout son temps et toute son intelli- gence à lu coûteuse publication d'une collection d(^ documents Américains, iin|irimés avec luxe, illustrés avec magnificence et distribués avec générosité, pitar établir à son tour cpie les Américains procédaient des Juifs. On se souvient, enfin, (|ue le fondateur d'une religion à tout le moins singulière, mais qui n'a peut-être pas encore dit son dernier mot, Joi^ Smith, le chef des Mormons, affirmait (pie l'Amérique avait été peuplée par une colonie sortie de Uabel à l'époque de lu confusion de langues, et plus tard par un second essaim échappé à lu destruction de Jéru- salem, sous Sédécias. Ne serait-ce qu'au point de vue littéraire, le pr(d)lème mérite donc les honneurs d'une discussion sérieuse. Il est incontestaiile que les Juifs ont joué et jouent encore nu grand rôle dans l'histoire de l'humanité. Leur activité inouïe, leur persévérance, leur génie connnercial, et surtout leurs malheurs les ont dispersés dans toutes les directions. Plusieurs siècles avant Henjamin deTudela, un des enfants d'Israël aurait pu, lui aussi, tracer la triomphante énumération des établis- sements Juifs répandus dans tous les pays alors connus. Les Juifs sont-ils allés jusqu'en Amérique? Les uns se prononcent pour l'affirmative ; le plus grand nombre est d'un avis opposé. A nous d'examiner les pièces du procès.

(I) Menasse» ben Ishabl, Origen di; los Amerkmios. esto es espsranza de Israël. (Amsterdam, 1650). Ce curieux ouvrage a élé réimprimé, avec un savant commentaire, par Santiago Pérès lunqucra (Madrid, 1881).

(2| (iuMiKLA, El Orinoco illustrado (traduction Eidens), 1758.

(3) James âdair, The history of tlie American Indians, 1771.

(4) Court de G£bem!(, Mojide primitif, t. Vlli.

(5) LoRi) KiNOSBOROur.n's, Antiquities of Mexico, 1830-1848. Voir surtout dans le tome VI : Argument to show that the Jews in early âges colonis'id America.

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niAlMTRE III. LKS Jl IKS KN AMKIUOUE. W

Assiirriiu'iit nous ne coiisicltToiis point rdiiinu' sérifuses l<>s raisons alhyiuVs par le bon U'srarlxtt dans son Hislonr d>' la Nouvelle France (1) : «« Quel cniptVlu'nifnt, ('crit-il, y a-t-il do croin- (pic Noi' ayant vï'tn trois «ont cinfpiantc ans apn-s le lJt''lu}.'t' n'ait hiy-ini'smo en le S(»in et |>ris la pcino ilc pt'upler,

ou plustot n'|ioupK'r cos païs-là Luy (pii avoit la connois-

sancc de millo choses que nous n'avons point par la traditive des sciences infuses en notre premier pure, du(|uel il peut avoir veu les enfans, ignoroit-il ces terres occidentales, où, par avcn- tin-e il avoit pris nais^^ance ? Certes, en tout cas, il est à présumer ([u'ayant l'esprit de Dieu avec luy, et ayant à rétalilir le monde par une spéciale élection du ciel, il avoit (du moins par renouunée) connoissance de ces terres-là, auxquelles il ne luy a point esté plus difficile de faire voile, ayant |)euplé l'Italie, (|ue de venir du bout de la mer Méditerranée sur le Tibre fonder son laniculum, si les histoires prophanes sont véritables, <'t, par mille raisons, y a apparence de le croire ; car, en quehiue part du monde qu'il se trouvoit, il estoit parmi ses enfants ».

Nous n'admettons pas non plus l'itinéraire de fantaisie tracé par le père (iumilla qui suppose que, 131 ans après le Déluge, 178S ans après la création du monde, «|uelques descendants de Ciliam passèrent des îles du Oup Vert à Pernambuco, et de se répandirent sur toute l'Amérique (2). Ces imaginations singu- lières n(> sont excusables que parce qu'elles furent sérieusement débitées.

( l'est avec la même réserve que nous nous permettrons d'exa- miner certaines prophéties, plus ou moins explicites, au moyen des(|uelles on a essayé de prouver que la découverte de l'Amé- rique avait été prédite par la Bible. Christophe Colomb (3), dans

(1) Lesgarbot, Histoire de la Nouvelle France (édition Tross), p. 23.

(2) GuMiLLA, El Orinoco illmtrado (trad. Eidous), p. 179.

(3) Navahrbtte, Colleccion de los viajes y descutmmientos, t. I, p. 392, p. 8i) » ...Yo estaba bien seguroque esto no vernia à mcnos, y cstoy de contino, jierque es vcrdad que lodo pasara, y no la palabra de Dios, y se compara todo

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l'HKMIKHE l'AUTIK. LKS l'RKCl'KSKlKS l)K CdLOM».

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la rcliitioii do son troisième voyage, «écrivait au roi et à la reino «rKsiiagiU' : « JVtais l>i«'ii sur (|U(' mes prédictiitiis s»' rôali- serau'iil, rt je continue dVlre du nuHne avis, |iuis(|u'il est vrai

que tout passera excepté la parole de Dieu Or, Dieu parle

bien clairement de ces contrées, par la bouche d'Isaïe en plusieurs endroits de l'Kcriture, quand il affirme que c'est de rHs|)ague (|ue son saint nom sera répandu ». Les seuls passages de la Bible qui nous aient paru avoir quelques rapports, et encore très éloignés, avec les événements en question sont les suivants : << Voici le nom du Seitrneur (|ui arrive de loin (1). Voici des hommes (|ui viendront de loin, ceux-ci du nord et de la mer, <;eux-h\ du continent austral {"2). Le petiple que tu ignorais, tu l'appellerais, et les nations qui ne l'ont pas connu accourront vers toi (3). Moi je suis attendu par les îles, et les navires sorit disposés sur le rivage pour amener tes fils de ces loin- taines contrées (i). Voici que maintenant je crée de nouveaux cieux et une terre nouvelle (3). Il en est comme des cieux nouveaux et du nouveau continent que le Seigneur a dressés devant lui ((>) ». Mais, à part cette mention d'îles et de terres nouvelles qui peut s'appliquer à l'Océan tout aussi bien qu'à l'Amérique, il nous faut avouer que ces prédictions sont conçues en termes si vagues et si généraux qu'elles peuvent s'appliquer également à des faits très divers. On s'étonne vraiment que de

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lo que dijo ; cl cual luii claro hablô de estas tierras por la hoca de Isaias en tantos lugares de su Escriptura, aflrmando que de Espana les séria divulgado su sanlo nombre ». ^1) IsAiE, XXX, 27 : « Ecce nomen Doinini venit de longinquis ».

(2) Id., XLIX, 9 : « Ecce isti de lon{;c venient, et ecce illi ab aquilone et mari, et isti de terra australi ».

(3) Id., LV, U : « Ecce gentem quam nescicbas vocabis, et gentes quae te non cognoverunt ad te current » .

(4) Id., LX, 9 : « Me enim insulae cxspectant, et naves maris in principiu, ut adducam fllios tuos de longe ■.

(3) Id., LXV, 17 : « Ecce enim creo cœlos novos et terram novam «. (6) Id.. LXYI, 22 : « Quia sicut cocli novi et terra nova, quœ ego facio stare coram me, dicit Doniinus ».

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CIIAI'ITHi: III. LES JIIKS KN AMKIUQIT. 93

^Tiiiids «'sprits aiciif .ittaclit' de riiii|ii»rfaii(c à do toiles iiidi- catioiis; mais los lioininos d'autrofois aiiiiaioiit A so souvonir du t('iii|>s|»assi'',surtnut(|uandilsylr<iiivaioiitd"aiili(|uos prôdictiniis, qu'ils crdyaicut sincôrouiont voir so rôalisor à leurs youx. N'uu-

l)li<iiis [tas d'ailleurs, pour ce (pii re}.'ardo doloinl», (|u'il vivait à une épiupie et se trouvait dans un pays i»ù toute thénric^ nou- velle n'était acceptée (pie si elle était conrornie à la foi reçue, et appuyée sur une ou |)lu; ieurs citations Itililiipies. Tout»' question étant avant tout une (juostion tliéolo<ii(pio, on comprendra (pie los passantes (pie nous venons de citer aient pu à la rifrueur être interprétés commo une indication stiriisaiito à la découvorto do rAinéri(pie.

On a cru é}:alomeiit retrouver dans la prophétie d'Ahdias raimoiice de {grandes découvertes f!:éo^'raplii(|ues : « et rarmée de ces enfants d'Israël p(»ssédera ce (pii était auv (!lianiméons Jiis(pi'à Sarepta of ceux do Jérusalem (|ui auront été transportés dans le Hosplioro poss(>deront les villes du Midi (1) ». 13'aprés los coininontateurs, Sarepta serait la (Jaule, le Hosphore répondrait au délr(»it de (îihraltar et les villes du Midi aux réjjions Améri- caines: mais ce ne sont làcpiodes liypotlièses à peine sérieuses et au\(piollos il est mémo impossible de s'arrêter. D'autres pas- safies de la Uihie nous éclaireront peut-être davantafre.

Ce ne sera point le <piatrième livre d'Esdras dont on a encore torturé lo sens dans res|)oir d'y trouver (piehpie allusion à la future découverte du nouveau monde. Ce livre appartient à un firoupo d'écrits apocalyptiques, forgés aux proiTiiors siècles du christianisme, et qui de honne heure furent considérés comme apocryphes, à tel point que Luther los comfjarait aux fahles d'Esope (3). Christophe ColomI) cite pourtant ce passage d'Esdras,

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(1) Abdias, V, 20 : « Et tiansinigratio excrcitus liujus filionim Israi-l (iiiinia loca Clianaiiœorum nsque ad Sareptam, et tiansmigralio Jérusalem ifiiic iii Dosphoro est pos.sidcbit civitates austri . »

(2) AcoSTA, Histoire naturelle des Indes (Traduction Hegiiault, p. 30).

(3) FABnicius, Codices pseudnveteris Testamenti, t. Il, p. 114-180-191.

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l'HKMIKHK l'AHTIK. LKS l'HKC.IHSErHS l»K COI.OM».

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cf, fort (le l'autorilt' (le llo^<'r Hacoii (I) et de Pierre <r.\illy, trouve iliiiis le verset suivant rumine une annonce de la ilé- eonverle : « Le troisième jour vous avez ordonné aux eaux de se rassenihler dans la septième partie de la terre {'2) ». Il cite j-ncoi'e un autre passage : « Il apparaîtra le continent (pii est main- tenant caché (II) ». De ces d«'ux versets le premier s'e\pli(pie aisément, (|uand on se rappelle (|ue les juifs [tartageaient la surface d«; la terre en sept zones ou climats : dés lors il devenait natiu'el (|u'ils rassemblassent les eaux dans une de ces sept zones. Quand au second verset il serait sans doute plus convain- cant, mais faut-il y voir autre chose (ju'une de ces vagues prophéties, connue on en trouve tant dans la Hihie?

|j<'s saintes Ecritures parlent encore de trois |>uys mystérieux : Ophir, Tarsis et Parvaïm ou Paruim, dans lesquels .,.' a cru, mais à tort selon nous, retrouver l'Américjue. Voici hv; passages de la HihIe il est parlé d'()pliir(i) : « Le roi Salonion envoya aussi ime flotte à Asiongaher prés d'Elath, sur la mer Rouge, en Idumée. liiram eud)an|ua sur cette flotte ceux de ses serviteurs (pii connaissaient les choses de la mer, dt; concert avec les serviteurs de Salomon. .Vrrivés à Ophir, ils y ramassèrent (|uatrc cent vingt talents d'oripiMIs portèrent au roi Salomon. La flotte d'iliram, <pii portait de l'or d'Ophir, apporta aussi de ce pays du huis, de l'encens en grande quantité et des pierres pré-

ili ItiKiKM Uacox, 0/((/.s' mnjiis «idit. Lomlrcs, 1733, p. 183). « Et ne ali(|iiis inpcdiat liuiic aiictoritnteiii dicciis qnod liber illc est apocryphus, dicen- diiiii esl qiiud sancii illuin lialtncrinit in iisu, et eo iti offlcio diviiio iituiiti)r>'.

(2 KsDHAS, IV, (). « Et leitia die iinperasti aquis coiigregari in septim« Wvviv parte ».

.1) il)., IV, 7. <i Et apparesceiis o.stendctur quie mine subducitur terra. »

(4) l{ois, I. IX, 2(i, 27, 28: « Classein quoqiic fecit rex Saloinoii in Asion- };aber quoB est juxta Ailatli , in littorc maris Ilnbri, in terra ldum(n:i. Misitquc Hiram in classe illa serves suos viros iianticos et gnaros maris cuir: servis Salomonis. Qui, quuni vcni.sscnt in Ophir, smnptuni inde aiirnm qna- dringeiitonim viginti talentoruni detulerunt ad regem Salomonem. Sedi'l classis Hiram, quaî portiibat aurum de Ophir, altiilit ex Ophir ligna, tiiyniif.i milita nimis et gcnmias pretiosas ».

CHAPITRE III. l.KS JIIFS K.V AMKHIQIIK fS

cicust's », et plus l(»iii(l) : F^c roi .Insa|»liat avait mis sur iiht (U's vaisseaux pour (liorclicr l'or d'Opliir ». est tcUc Opliir inystrriciisc? Jamais pcut-fHrc prohlômc m''o^raplii(|ii<' ne rct ut do solutions aussi variées, [jcs uns se prononcent pour l'Inde {'1) et les autres pour l'A rallie (.'l). (lelui-ti plare Ophir en .\rmé- nie (4), celui-là en Phryjîie (a), d'autres enfin, sur les côtes orientales d'Alri(jue ((») , et tous luttent d'inf;éni<»sité et d'érudition pour soutenir leurs liy|»otlièses. Il en est d'autres enfin (pii, plus hardis, se déclarent en faveur dv l'Américpio et même du Pérou. Cl» )|»lie Colond» le premier s'ima}:inait avoir découvert le pays d'Opliir, quand il arriva sur la rôle du Verafçua (7), « S'il en est ainsi, écrivait-il, je suis certain «pie les mines de cette île sont les mêmes que celles de Verafiua,

[{} Hois, I, XXil, 40. Ucx ven» Josapliat fcccral classem iii mari (|iiic iiavi- {;arcnt iii Ophir pniptcr auruiii.

(2) JosÉPiiK, A>iti(juit('s Judaïques, VIII, t). I^iimcmi -i, S(tvi(j(itio S'ila- monis Ophivitica illustrata (ttUK)). Ciiajipoi,i,i(».>i, Efiypte sous les Pharaons, I, (58.

\'.\) lUicHAnr, (leoijraphia Sacra (lG-i6l, t. II, p. .38. .Miciiaki.is, Spki- Irijium yooip'aphio' Heùr.Torutn cxtcrsp (17il8-70i, t. Il, p. 181. ViscEsr, Histori/ of the commerce and navigatioti n/' t/tp anciens in tlie Indian Océans |8."i7). Tvchsex, De cotnmi rcio llcôr,voru)ii. Si.kt/k.n, Mé- moire sur les tril/iis d'Arabes notnades le Sj/rie. NiKiii un, ItvsilireiliuJi / von Araôien (1817), t. III. •- Gosskmii, l\echerchi>s sur la giioijraphie des anciens, t. Il, p. 'Jl.

(4) C.M.siKT , Dissertation sur le paijs d'Ophir (Colleclimi des Irailôs jçédjçrapiiiqiies, La Haye, 1730), p. 287.

(■)) Haiidt, Disscrtutio de rcgione Ophir (Ilcimstadt, 1718).

(C) La .Mmitixikke, Dictionnaire géofpaphique, 1758 (ailicle Opliirl. - D'Asvii.i.K, Géographie ancienne. Bhuce, Travels to discover the source/i of the Nilus in the years 170S-1777 [Indaciion Castcra . Dklisi.k pk Sai.es, ouvrage cité, t. VI, p. 3I!>. Gksemi's, Scriptur.e lingu.rquc Pheniciœ monumenta quotquot supersunt (Leipziçf, 1837). De QrATRE- MKHE, Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-I..cttres 1845), p ;tl9. Hi Miioi.DT, Comsos (l. II, p. 403).

(7) Navakrette, ouv. cité, t. I, |i. 4r)7 . •< Si asi fuerc dij-o que aiçuellii minas de la Aurea son unas y se conviencn con estas de Verajçua, ipic como yo dije arriba ee alarga al Poniente veintc jornadas, y son i;n una distancia lejos del polo y de la linea. » Cf. Piemue Martyr. Décade I, p. H.

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l'REMIKHK l'AHTIi:. LES l'RECUnSEURS DE COLOMB.

ptiisqu'cllo est sitiKu; à vingt jouriUH's vers lo rouchant, et qu'ollc se trouvo ('loignéc du pôle et <lo la ligne équinoxiale ». Toute luie légion do commentateurs a pensé, comme lui, retrouver (>pliir en Américfue. Ce sont Arias Montanus, Robert Estîenne, Jean liecan, Euguhinus, (Jenehrard, YataMe, Possevinus et Morniuns (1). Ortelius n'hésite même pas à donner le nom d'( >phir à Haï 't au Pérou dans celle de ses cartes qu'il intitule (Jeographia Sat ra Cette opinion fut encore partagée par Monte- sinos, par Ulloa, et par beaucoup d'autres savants, on pourrait dire presque jusqu'à nos jours (2) : Elle n'est pourtant guère soutenahie, comme nous allons essayer de le démontrer.

Les arguments de ceux qui croient à la similitude d'Ophir et de l'Amérique ne sont pas en effet très sérieux, et vraiment Acosta a beau jeu, (juand il les énumère pour les tourner en ridicule (3). La principale de leurs raisons n'est-elle pas la prétendue ressemblance des noms d'Ophir et de Pérou ! Or, si l'on en croit Carcilaso de la Vega, ce nom de Pérou serait à un accident fortuit : Les premiers Espagnols qui déi)arquèrent (hiiis cette contrée; demandèrent à un pécheur nommé Béruquel était le nom de la contrée. Ce dernier, ne comprenant qu'à demi, se nomma, et dès lors son nom fut donné au pays qui s'appelait en réalité Tahuantinuyo (4). Il est vraiment par trop puéril «le fonder sur un simple rapprochement de mots l'identité de deux pays. D'ailleurs comment su[»poser que les Juifs aient connu le Pérou plut<)t qu<' le Brésil ou toute autre contrée riveraine de

(i) Tous CCS auteurs sont cités par Hohn, De Originibus Americanis, p. 7, MoxTANcs pour ses Antiquitét Judaïques, Becan pour ses Origines .1?!- tnoerpianx, EuGuniNus pour son De fluxu et refluxu maris, Genebuaiiii pour sou Isagoge rabbinica, Vatable pour ses Annotations au livre des rois.

(2) Voir de IUvero, Revue des races latines, t. XIV, p. 192.

(.'<) Acosta, Histoire des Indes (traduction RegnauU), p. 27, 28, chapitres XIII et XIV.

(i) (Jaucilaso de la Vega, Commentaire des Incas (traduction Baudouin, 1715), t, I, p. 15.

CHAPITRE m. LES JUIFS E.\ AMERIQUE.

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i'Atlanti(jno ? Us auraient donc, en partant de la mer Rouge, traversé l'imniense mer Pacifique (1). Mais ce voyage est autrciiient invraisemblable que la traversée de l'Atlantique.

( >pliir n'est donc pas l'Amérique. Nous en dirons autant de Tarsis. La llible parle en termes fort vagues de Tarsis, comme d'un pays éloigné, très fertile, abondant en richesses agricoles ft iiiéta!lurgi(pies, mais elle ne fixe point sa position. « La flotte (Iti roi et la flotte d'IIiram allaient par mer à Tarsis une fois t.ous les Iniis ans (ou une traversée qui durait trois ans) : EIL en rajqMtrtait de l'or, de l'argent, des dents d'éléphants, dos singes et (les paons » (2). Il est seulement probable que Tarsis était à l'occident, puisque le prophète Jouas s'embarque à Joppé sur la Méditerranée, et non plus à Elath ou à Asiongaber sur la mer Rouge, pour se rendre à Tarsis (3). Aussi les commentateurs ont-ils donné libre carrière à leur imagination, quand ils ont clicrché l'emplacement de Tarsis. Cilicie (4), Asie Mineure (5), Tliasos (0), Espagne (7), Carthage (8), tous les pays occidentaux

Il 11 est vrai qne rien n'arrête l'imagination des commentateurs. Deux (IViilrc eux, de Frauclieville (Mémoires de l'Acudémie de Berlin, t. XVII) cl Court de Gébclin (Monde privtitif) n'onl-ils pas prétendu que les Juifs s'arrè- lai(!nt en route dans nu cer'ain royaume de Juida, sur les fleuves Jaquin et IMuaat, colonie orientale Fondée par Salonion pour favoriser le commerce en Afrique ! Ce royaume paraît à tout le moins aussi imaj^inai.e que les préteuHns voyages des Juifs ^au Pérou.

(2) Uois, t. X, 22 : « Classis régis pcr marc cum classe Hiram semel per très annos iltat in Tharsim, deferens inde aurum, et argentum, et dentés «•icpliantorum, et siniias, et pavos ». Cf. E/.écuiel, cliap. 27, V. 12.— P.vn.v- I.II'OMKNES, II, !), 10.

'■<] JoNAS, I, 4. n Et descendit in Joppein.etinvcnit navemeuntcminTliarsis».

(i) C'est l'opinion de Josèphe, Anselme, Nicolas de Lyra, et dom Caluiet rilés par Franchevillc (ut. sujjra).

(.') Ainsi pense de Ribera.

()) Système de Lcclcrc et de Franchevillc.

H; Théorie de Pinedo, (îoropius, Bochart et (Jesenius. C'est même la théorie que semblent confirmer les travaux les plus récents. Movers dans son histoire Phénicienne [Gv.schichtc dcr Colonien, p. r)fli-6l4) a prouvé i\ peu près complètement l'identité de Tarsis et de l'Espagne.

(8) Les Septante, Thcodoret et Valable se sont prononcés pour Carthage. Voir Calmet, I)i-serlalion sur le partage des enfants de Noé (Bible, I, 4ol). T. 1. 7

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PREMIERE PARTIE. LES PRECURSEURS DE COLOMB.

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ont été les u s après les autres désignés par eux. D'après Saint Jérôme, Tarsis répondrait à tous les pays au delà de la nier ; d'après Lipenius et (irotius à l'océan ; d'après Horn et Moréri à rAméri(|ue (1). Cette dernière hypothèse ne parait guère fondée.

Le principal argument de Horn et Moreri est leur explica- tion de scmel ni ti-es annos, qu'ils interprètent par un voyagi; de trois ans, car, avec les moyens nautiques dont on disposait alors, l'Amérique seule, et non pas Carthage ou l'Espagne, était assez éloignée pour n'être ahordée qu'après un voyage de trois ans. Mais, comme semel in ires annos signifie tout aussi bien qu'on ne faisait ce voyage que tous les trois ans, il faut recou- rir à d'autres arguments pour prouver l'identité de Tarsis et de l'Amérique, et ces arguments on les cherche encore.

Quant au pays de Parvaïni ou de Paruim, un érudit mo- derne, Onffroy de Thoron, croit l'avoir trouvé dans la vallée de l'Amazone. La Bible rapporte que Salomon orna sa maison de belles pierres précieuses et que l'or venait de Paruim (2). Or, les deux rivières aurifères de Paru et d'Apu Paru, au pluriel Paruim, qui forment l'IJcayali, et la rivière, également aurifère, de Paru, qui sort des monts Tumucumac, en Guyane, finissent leurs eaux dans le grand "ouraiit de l'Amazone. Par une curieuse coïncidence, ce fleuve, dans une partie de son cours, porte le nom de Rio Solimoens, c'est-à-dire de Salomon. Onflroy de Thoron, en conclut que les flottes de Salomon allaient ch-^rcher de l'or dans ce pays aurifère de Paruim (3), et il retrouve dos étymoloa:i('s hébraïques dans une cinquantaine de dénominations géogra- plnijucs de la région. II a même dressé la carte du Paruim bibli(|ue, sur les deux rives de l'Amazone, entre les montagnes

(1) UoHN, De Oviginii/ttfi Amerkanis, p. !)4-200. tionnairc historique (article Opliir).

(2) PARAUP(tMK^^:s, II, § [\, v, 6.

(3; Onkfiioy de Thcuo.n, ouv. cité, p. 7i-89.

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f.llAI'ITRE m. - LES JlIFS K.N AMERIQUE. W

(luyanaises et les affluents de la rive droite du fleuve. Il est vrai (pie CCS priHendues preuves tirées de la philolofjie nous ins- pirent de la défian e. Aussi, tout en rendant justice à Tingé- niosité et à l'érudition du commentateur, suspendrons-nous provisoirement notre jugement, et chercherons-nous ailleurs (pi'en Améri(|ue le Paruim de Salomon.

S'il paraît aujourd'hui certain qu'Ophir, Tarsis, et même Paruim doivent être cherchés autre part que sur le continent américain, est-il vrai que les peuples de la Palestine n'ont jamais dépassé la Méditerranée? Est-il vrai que jamais aucun d'eux ne s'est aventuré sur l'Atlantique? Procope a pourtant conservé une fort curieuse légende qui pourrait, à cet égard, modifier nos idées (1). A l'époque de l'invasion de la Palestine par Jésus (Josué), fils de Navé, tous les peuples maritimes de Sidon i\ l'Kgypte, Jébuséens, Gergéséens et autres, abandonnèrent leur patrie, et s'établirent en Afrique, le long de l'Atlantique. Us y bâtirent des villes, y fondèrent des colonies, et leur langue y était encore en usage au cinquième siècle de l'ère chrétienne. Sur l'emplacement deTigisis, près d'une source très abondante, ils avaient construit un cluUeau fort et élevé deux stèles de marbre blanc, portant une inscription phénicienne (pii sigui- ti.iit : << Nous sommes ceux qui avons fui loin de la face du

(1) Pkocope, De Bello Vandalico, H, 10 {Cjllec{ion de la Bijzantine, 183.3, p. 449). EvraÙOa fJixrjVTO ëOvr, ;:oX'javOpw-ôtaTa, Ti^-^nxiv. -i /.al lïij'/jiato! /a; aXÀa atra ôvo|i.aTa 's'yovTa, oi; ôrj ctWx îj tûv 'K|5sai'fov '.i-.oo'.x y.aÀsT. Ojto; ô Xâi; ir.z: àî;i.a/ov -t /pTiiia -ôv :nr;XoTr,v aTpaTrjôv sloov, l^ XjOwv TÛv -aTp!«ov sÇavâarav-î; J-' Atyôrrou 6|idpov ô'jTr,; syalpr^Tav. "KOva •/(ôsov o'jSa'va asioiv ho>.y.r\'Z(».rs^x'. sOp'j'vTs;, l~z<. h PtX'^ûr.ZM -oXjavOoojn'a :/ -aXatO'j r^v, È; At[5ÛT,v ÈaTotXr,7av. IIoXsi; oi/.taavTs; -oXXâ; Çya-aaav Ai,jjr|V [xr/f. aTr,Xojv tûv 'IIpaxXcO>v iV/ov, sv-aiiOâ xai s; i\i.ï ^:r^ ^vM/joy 5(ôvr, /pdiiJiEvot »'i)xr,vTai. 'Eo£?|xavTO xai opouptov èv Noi»|jiiôta t.('Ai:, ou vjv -oX;; T^'yia;'; iatt te /.a? ôvo;AâÇ£Tai. "EvOa Tc^Xaf 3uô h. Xi'Owv Xcuxwv -iT.'j<.r,<i.vii\ ày/ 1 ^^i'^Tii etai TJ); ixeyiXrjs, Yp3t[xjj.aTa ^oivtxixà ÈYy.£y.oXa;jL;ji;v« i/'ij'sx'. Tf, <I)0'.v''x(ov YXùiaarj Xs^ovia tijoê : f,[J.îî; iaijLÈv sjvovte; à::o rpo;');:ou 'Ir,Jo3 Toû Xtjtuou ulou Nau^.

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l'HEMIERE l'AHTIK.

LES PRECURSEURS DE COLOMB.

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hrigand Jésus, fils de Navé ». Que devinrent ces Chanunécns ainsi repousses jusqu'aux extrémités occidentales de l'Afrique? Hardis marins et commerçants intrépides comme l'étaient leurs ancêtres, et de plus poussés par la nécessité, n'est-il pas pro- bable qu'ils se sont lancés sur l'Océan qui s'ouvrait à eux? Ils eurent bientôt découvert les îles (|ui le parsèment (1). Ces Mes, il est vrai, étaient désertes, quand les Romains les retrou- vèrent (:2), mais rien n'empêche de supposer qu'elles ont été abandonnées par leurs premiers habitants, émigrés en Amé- ri(|ue, et ces habitants ne seraient autres que les Ghananécns dont Procope a raconté l'exode.

On a môme pensé retrouver aux Açores les traces de ces Chananéens. Nous avons déjà parlé de la grotte mystérieuse de Saint-Michel, décrite par Tiievet dans sa Cosmographie univcr- scllt' (3), et de l'inscription en caractères sémitiques qu'il y avait relevée. Ces caractères, avons-nous dit, ressemblent aux lettres phéniciennes : mais l'alphabet chananéen est identique, et les Chananéens, tout aussi bien que les Phéniciens, peuvent être considérés comme les auteurs de cette inscription.

C'estencore à Saïut-Michel (jue, d'après Manassé ben Israël {l)\ des Kspagnols auraient trouvé une tombe avec des caractères sémitiques, qui signifiaient Mehetabel Suai, fi'.s de Matadhel : mais on ne sait c'_' qu'est devenue cette prétendue inscription, ni par qui elle a été découverte : en sorte que, jusqu'à nouvel ordre, on est obligé de la considérer comme inventée pour les besoins de la cause.

Nous ne citerons que pour mémoire (5), et par scrupule d'exar-

1^11 SiirtAs (Lexique (édition Hckkcr, 18ôi) au mot Xâvaav raconte c^tte grande cmigiation en ternies à peu près analogues.

(2) Pi.i.NE, Histoire Naturelle, V, 1, lii.

^3) Voir plus haut, p. 55.

(4) Manassé ken Isiwf.i., E.y)era7i[ri iL' Israël, p. 26-27.

(5 Samiei, IJAni.ow et N. ItoE Buadn'f.ii, A history of a stune heariwj hehreir iin'cription, found in an American mound ^Congrès Américaiiisle de Nancy, t. II, p. 192-197).

CIIAl'ITHE III.

LES JL'IFS EN AMEIUOL'E.

101

titude, la prétendue découverte faite par David W^rick à Newark dans l'Ohio, dans un tumulus qui paraissait remonter à une haute antiquité, puisque des arbres y avaient poussé dont la croissance supposait une durée de ci; j siècles, d'un (^ofTre en hois rempli d'ossements (1 ) . Au milieu de l'argile et des cendres d'os calcinés qui remplissaient ce cotTre on aurait tnmvé un crilne et dans ce crAne une pierre de trois pouces de longueur, couverte de caractères qui resseml)laient à des lettres hébraïques. On avait donc en mains la preuve certaine de la présence de Juifs en Amérique avant Christophe Colomb : mais la découverte était apocryphe. Elle fut dénoncée par le colonel Whittleney (2) dans un factum retentissant, et au Congrès américaniste de Luxembourg, un de ses anciens défenseurs (3) était obligé de faire ce piteux aveu : « La pierre de Newark a fort mal répondu à l'attente publique ». Reconnaissons d'ailleurs, comme on pourra s'en convaincre par l'inspection de cette pierre, que, même d'origine hébraïque, elle demeurerait indéchiffrable.

Il n'en est pas moins probale que des Chananéens, expulsés de leur pays par les Juifs, ont occupé une partie des côtes africaines et colonisé les archipels de l'Atlantique. De se sont-ils répandus en Amérique ? C'est ce que nous ne pouvons avancer que sous toutes réserves, et vraiment Horn nouy semble bien affirmatif quand il prétend retrouver dans le nom de deux Lucayes, Madanina et Guacana, la preuve de l'origine madianite ou chanaéenne de leurs premiers habitants. Ce sont des procédés que réprouve la critique moderne : aussi est-ce j)lutôt pour ne pas être accusé d'inexactitude plutôt que par conviction ([ne nous avons parlé de ces voyages chananéens.

Nous raconterons avec la même réserve la prétendue émigra-

[i) FosTER, The prehistork Races of the iinited States, 124-126.

(2) Colonel Whittleney, Archseological Frauds. Id. Inscribed Stonex, Licking County, Ohio (Western Reserve and Northern Ohio Historical So' cicty, 53, march, 1881).

(3) Stronck, Repères chronologiques de l'histoire des Mound Buildern (Congres Américaniste de Luxembourg, I, 313).

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102 l'HEMlÈRK PARTIR.

lES PRÉCURSErHS DE C.OLOM».

tioii des Juifs eu Amérique, lorsque; Salmanasar eut renversé le royaume d'Israi'l, et emmené les dix tri! ms (mi captivité (1 ). On suit que bon nombre de Juifs plutôt que de, suivre leur vainqueur, s'enfuirent alors avec leurs familles et se dispersèrent dans toutes les directions. Quelques uns d'entre eux, avec la vigueur et la pronqititude de détermination qui a toujours caractérisé leur race, n'hésitèrent pas à mettnî le désert entre eux et leurs oppresseurs, et reprirent les routes tracées jadis par leurs ancêtres dans leur exode d'Egypte. Arrivés sur les bords de la mer, et repoussés comme impurs, ils durent continuer leur pénible chemin et le poursuivre, le long des côtes de la Méditer- ranée jusqu'à ce qu'enfin ils arrivèrent sur l'Atlantique. De telles migrations n'ont rien de bien extraordinaire. N'est-ce pas ainsi que les Phocéens quittèrent volontairement l'Asie Mineure pour se fixer sur les côtes arides et pelées de la (laule (2)? N'est-ce pas ainsi que les Francs, internés sur le Bosphore, s'échappèrent à travers toute la Méditerranée, et rejoignirent leurs compagnons à l'embouchure du Rhin après avoir doublé l'Espagne et longé la (iaule? (3) De même firent ces Juifs, qu'excitait le double amour de la religion menacée et de la patrie perdue. Une fois en vue de l'Atlantique, la mer leur était ouverte. Il est possible qu'ils s'y soient aventurés et n'aient pas tardé à la franchir.

Lord Kingsborough's leur fait suivre un autre chemin (4). 11 prétend qu'à travers toute l'Asie ils remontèrent jusqu'aux glaces Sibériennes et traversèrent le détroit de Behring afin de se soustraire aux horreurs de la famine. En butte aux attaques des sauvages, ils se seraient peu à peu répandus jusqu'au Mexique et au Pérou, et y auraient fondé de grands empires.

Plus encore que la route suivie par les Juifs, ce qu'il nousi

(1) Rois, IV, n.

(2) Hérodote, I, 162-167

(3) Histoire Auouste.

(4) Tour du Monde, 391 (juin 1867).

r.llAPITRE m. LES JUIFS EN AMÉRIQUE.

108

importe de connaître, c'est la réalité de leur séjour en Amérique. Kxiste-t-il on un mot, entre t jx et certains peuples de l'Amérique, surtout du Hiidi, des analogies dans les traditions, dans les coutumes, dans la langue, dans les traits du visage ; analogies (|ui nous permettraient de conclure que les Chananéens et les Juifs se sont peu à peu avancés d'une rive i\ l'autre de l'Atlan- tique, en passant par les îles intermédiaires ?

Le souvenir de la double émigration des Chananéens et des Juifs semble avoir été conservé par quelques traditions locales. Un des premiers historiens de la conquête, le froid et conscien- cieux llerrera (1) écrit « qu'un grand nombre d'Indiens avaient appris de leurs ancêtres que la terre de Yucatan avait été peuplée par des nations venues de l'Orient, et que Dieu avait délivrées de l'oppression en leur ouvrant un chemin vers la mer ». Landa (2), témoin oculaire et l'un des principaux auteurs de la conquête du pays, dit aussi : « Quelques anciens du Yucatan prétendent avoir entendu de leurs ancêtres que cette tern; fut occupée par une race de gens qui entrèrent du côté du levant et que Dieu avait délivrée en lui ouvrant douze chemins vers la mer. Or si cela était vrai, il s'en suivrait que tous les habitants des Indes Occidentales seraient descendus des Juifs ». Des traditions analogues ont été recueillies, tout récemment encore, chez les Montagnais, peuplade de la Nouvelle Bretagne, par un observateur dont on ne saurait récuser la haute compé- tence ou la froide impartialité, le Père Petitot (3). Quelques écrivains sont encore plus explicites. Lizana et Torquemada tracent avec précision la route de ces tribus errantes d'après les documents indigènes qui étaient en leur possession (4), et affirment que les populations de l'Amérique Centrale venaient

(1) Herreha, llistoria gênerai de las Indias, IV, X, 8.

(2) Landa, Relation du Yucatan (traduction Brasseur de Bourbourg) .

(3) Pèhe Petitot (Nouvelles Annales des Voyages), février 1869.

(i) LizANA, Histoire de Notre-Dame de Izamal (traduction Brasseur do Bourbourg), p. 357. Tohquemada, Monarquia Indiana (1723).

104 PRKMIKHE l'ARTIi:. LES PRÉCURSEURS DE COLOM».

(le Guba^ mais après avoir habité successivement les Antilles, les Canaries et l'Afrique. Or on sait conilùen Colomb et les premiers navigateurs ou historiens de l'Amer. que avaient ét«''. frappés de la ressemblance qui existait entre les insulaires des Antilles et ceux des Canaries. Herthelot, dans sa récente histoire des Canaries, constate la même analogie, et de plus établit que plusieurs noms de personnes et de localités étaient identi(|ues dans les deux archipels. Que si maintenant nous rapprochons ces traditions Américaines de la tradition conservée par Procope et Suidas et de la dispersion des tribus juives sous Salmanazar, nous co. .aterons entre ces divers récits une grande ressem- blance. Reconnaissons pourtant qu'il faut nous défier de la tendance qu'ont toujours eue certains écrivains, et en parti- culier les historiens de l'Amérique, à. forcer les analogies entre l'ancien et le nouveau continent, et que, pour confirmer les traditions que nous avons énumérées , nous avons besoin d'autres preuves.

Ce ne sont pas les ressemblances qu'on a cru trouver entre les coutumes juives et américaines qui triompheront de notre défiance. Manassé Ben Israël (i) rapporte, en effet, que Monte- sinos, voyageant dans l'Amérique Méridionale, reconnut dans son guide un Israélite qui l'assura que bon nombre d'Indiens, ayant la môme origine que lui, habitaient les Cordilliôres, mais Manassé était juif lui-même, et l'on connaît l'orgueil national de cette race et son ardent désir d'étendre sa puissance et d'augmenter sa renommée : certes, s'il avait pu prouver son assertion, il n'aurait pas manqué de le faire ; or, non seulement il garda le silence à ce sujet, mais encore il avoue qu'il ne parle que par ouï-dire. En effet les voyageurs qui ont traversé les Andes, depuis Humboldt jusqu'à Casteinau et Paul Marcoy n'ont pas trouvé trace de ces prétendus Juifs.

Il est vrai qu'Adair, voyageur et marchand anglais du xviir

(1) Manassé ben Israël, ouv. cité, p. 4-6,

CIIAIMTHE III. LES JflFS KN AMiiRlyi:!:.

10.">

siècle (1), qui vécut ({uatrc aus parmi les Indiens, et «t'>serva leurs coutumes avec intériH ; que (iumilla, supérieur des riiissioiii (le rOrénoqiu! et recteur <lu crdiège de Cartliagèae eu I7iti ; ipu^ lord Kinjishorougirs, le systématique compilateur des aati(|uités Me\i(!aines, et que plusieurs autres écrivains ont fait au sujet de la prétendue similitude entre les coufunu?sjuives et américaines (le curieuses remarques. Ainsi les .\méricains du Midi, de même que les Juifs , olfrent à Dieu les prémices de leurs rt'coltes. Us célèbrent toutes les nouvelles lunes et font au commencement de septembre une grande cérémonie d'expiation. Cliez eux, comme au temps de Ilutl», le frère du défunt prend la veuve pour épouse ; chez eux la purification, le bain, le jeune sont en usage à des époques déterminées. Us ont même une arche sainte, soigneusement enfermée dans un sanctuaire, et la portent devant eux à la guerre, en prenant soia que jamais elle ne touche terre. Adair, Gumilla et Kingsborough's en concluent volontiers que les Américains descendent des Juifs.

Les ressemblances les plus étranges ont été signalées par le Pèr(î Petitot chez les Déné-Dindjiés, tribu Américaine (jui s'étend sur d'énormes espaces, de la mer d'Hudson aux monts des Cascades (2). Ces barbares, de même que les Juifs, pratiquent la circoncision. Ils imposent à leurs femmes et à leurs filles, à l'époque menstruelle, une séquestration absolue. Ils les relèguent même à ce moment dans des huttes de branchage, elles doivent vivre la tête et la poitrine couvertes d'un capuchon, sans qu'il leur soit permis de suivre ou de traverser les sentiers frayés, ni de monter en pirogue (3). Après leurs couches, les

(1) Adair, The History of the American Indiatts. KiNcsBOHOtiiH's, Antiquities of Mexico, t. IV, p 45. Gumilla, op. cit., t. 1, p. 186.

(2) Père Petitot, Les Dené-Dindjiés (Congrès Américaniste de Nancy, t. II, p. 26).

(3) Léritique, XV, 19. Mulicr quae redcunte mense, patilur flnxuni san- guinis, scptcm dics separabitur. Cf. Plassard (Société de géographie de Paris, juin 1868) constatant que, chez les Guaranos de rOrcnoque, la femme en couches et la femme réglée sont considérées comme impures. On

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KMi l'HKMIKHK l'AiniK,

LKS l>nÉ(.l'HSKIIHS DR COLUMH.

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IViiimcs s'iilistiendroiit «le tout cnmnu'n'c chariM'l puiidaiit (|iianint(> jours (1). Kilos nourriront hMirs rnfants au moins pendant trois ans [il). ICIlcs ne se marieront rpicdans Icurtriltu, «^t de pn-lériMice avec leurs l(oaux-fr(''res (IJ). Les Den<^-l)indjiés, de nuhne cpie les Juifs, éproiivont inie grande n^pufjnancc à manipuler des cadavres (4), ou nK^ine à les touflier (.*>). Ils hrùlent les liardes et les ustensiles ((i) des défunts. La viande de cliieu est par eux considérée comme immonde (7). Jamais ils ne mandent certaines parties du corps des animaux, surtout les nerfs des jambes (8). Lorsqu'il leur arrive de tuer à la chasse queUpie gros animal, tel (pi'un élan, ils en ramassent le sanp dans la panse de la héte, et l'ensevelissent dans la neige. Si c'est un petit animal ils le saignent aussitAt(O). Ils ont même conservé des traditions qui rappellent étrangement certaines croyances bibliques. Ainsi, bien qu'habitant un pays ne peut vivre aucim serpent, ils connaissent le serpent et en font l'esprit du mal. Ils identilient son nom avec; celui du mal et de la mort, et affirment qu'il s'unit A la première femme. Ils croient encore î\ l'œuvre de la création pendant six jours, à l'unité de l'espèce humaine, au péché originel, au déluge, aux géants antédiluviens et h la diffusion

porte i\ celte dernière, dans une cabane isolée dont elle ne doit pas sortir, tout ce dont elle a besoin.

(1) Lévitique, Xil, 2.

1,2) Macchabées, VU, 27. Lac triennis dcdi et alui.

(3) Nombres, XXXVI, 7. Lévitique, XVIII, 6. Id., XXI, 14. Omnes viri duccnt uxores de tribu et cognatione sua.

(4) Nombres, XIX, 2. Qui cetigerit cadaver hominis proptcr hoc septeni dicbus erit immundus.

(5) Nombres, XIX, 16 Si quis in agro tctigerit cadaver hominis, sJve os iliius, sive sepulcrum, immundus erit septem dicbus.

(6) Nombres, XIX, 14.

(7) Deutéronome, XXIII, 18. Non ofieres pretium carnis in domo domini tui quia abominubile est apud Dominum tuum.

(8) Genèse, XXXII, 32. Lévitique, V, 14. Sanguinem universœ carnis non comedatis, quia anima carnis in sanguine est.

y) Lévitique, XVII, 13. Si venatione ceperit avem vel Teram, fundat san- guinem ejus, et operiat itlum terra.

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ciiAi'iTiii; m. i,Ks jriKS en amèhkji'k.

107

(lu laiiKaKc, domines liihiiqiics dont lu prôscnce au milieu de ces sauva^'cs (h'iiotc, en (Icliorn de toute explication matériel le |ilausil)le, à tout le luniiis iiiu> haute anti(|uité. Notons encore que c»'s Deni-Diiidjiés racontent (|u'ils ont lonf,'temps vécu f ec (les élranfîers (|ui se rasaient la tête, portaient en ffiierre des \étements couverts d'écaillés (cuirasses), des boucliers de peau, (les (*as(pies de hois, et des couteaux au Ixiut d'un long manche (lances). Ces étrangers, n(»nuiiés Kfivi Detelli ou Têtes pelées, Mialtraifaient les Uené-Dindjic's, et les forcèrent à chercher au loin une autre patrie.

Assurément ces analogies sont frappantes, mais elles n'ont |ias été constatées par tous les voyageurs, et d'ailleurs mie cou- luitie, niénu' étrange, peut se retrouver dans hien des pays, sans (pie les habitants de ces pays soient de même race. Pour n'en citer qu'un exemple, la circoncision était prafi(piée chez les Kfhiopicns, les Arabes, les Phénéciens, les Colciiidiens, etc. l-llle l'est encore aujourd'hui par tous les Mahométans. Qui donc pourtant s'aviserait de prétendre que ces peuples étaient ou sont tous de même ruce?

(le (|ui nous frapperait plus encore «pie ces anylogies de cou- tumes qui peuvent n'être qu'accidentelles, c'est la perpétuité de lu langue. Les Juifs, encore aujourd'hui, ont fidèlement con- servé, comme un dép(jt précieux, leur langue nationale : ils ne l'auraient certainement [)as oubliée en Américiue si, réellement, ils y étaient allés. Remarquons, néanmoins, que les Juifs doivent la conservation de leur langue à la fn'quence de leurs communications, et il p^ut se faire qu'une petite fraction d'entre eux, isolés et comme ,/erdus au milieu d'un peuple immense, ne nîcevant aucune nouvelle de leurs compatriotes, et forcés, |»)ur se faire comprendre, d'adopter la langue de leurs voisins, aient, après quelques générations, oublié l'idiome national. Quelques mots hébreux pourtant se seraient conservés. Ainsi, Sagard Théodat (1), prétend qu'il a entendu les Américains du

(1) Sac.ard Théodat, Histoire du Canada (1636), édition Tross, p. 292.

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1()8 PHKMIKKK PAHTIK.

LKS l>HKI.( HSKl'KS l»R COLOMIi.

Nord cIiiiiiUm' Alléluia ! mais le naïf voyageur entoiidait pi'olia- hlciiuMit de iiouveaiiv convertis i\ la religion catlioliciiK», (|ui a conservé ce mot hébreu dans sa liturfrie. D'ailleurs, connue nous espérons le démontrer |>lus tard, la région, fut signalé ce chant de joie chrétien et juif, fut, à diverses reprises, et hien avant Lescarhot, occupée par des colons chrétiens, soit Irlandais, soit Northmans. Il n'y a donc rien d'étonnant à celte continuité dans l'expression des sentiments joyeux.

Les ressemblances signalées par Adair seraient plus impor- tantes (1). Ce voyageur rapporte, en effet, que certaines tribus Péruviennes portcmt sur la poitrine une coquille blanche est gravé le mot liébreux Urim. Klles chantent en outre ,1e Mes- chiha, llo Meschiha, Vah Meschiha », c'est-à-dire les trois syllabes du mot Jéhovah, coupées par trois appels au Messie. Adair affirme encore (jue les coupables sont nommés lia Ksit Canaha, c'est-à-dire pécheurs de Chanaan, et ([u'aux offices religieux les prêtres apostrophent les distraits en leur disant : « Tschi Haksit Canaha », c'est-à-dire pécheur de Chanaan. Ces analogies sont étranges, mais ni assez frappantes, ni assez convaincantes pour entraîner la conviction, et d'ailleurs le témoi- gnage d'Adair est trop isolé pour qu'on ait le droit d'en conclure l'identité des langues hébr&ïque et péruvienne.

Telle fut pourtant l'opinion de quelques savants. Le docteur Heinsius, membre de l'Académie de Berlin, pensait que le Péru- vien dérive directement de l'Hébreu (2). La Condamine trouvait aussi des ressemblances, mais il ne citait que six mots Hébreux ayant avec le Péruvien des rapports plus ou moins éloignés (3). Court de Gébelin (4), toujours exagéré dans ses assertions,

(1) Adaih, ouvrage cité. Voir le cinquième argument (p. 37-74), qui traite de la langue des Indiens.

(2) Pelloutier, Mémoire sur les rapports des Celtes et des Américains (Académie de Berlin), 1749.

(3) La Condamine, Rapport sur les monuments du Pérou au temps den Incas (Académie de Berlin), 1746.

(4) Court de Gebbmn, Monde primitif, t. VIII, p. 525.

r.iiAi'iTKi: III.

MIS JI'IKS KN AMKnigi'K.

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(Ircssiiit un (lirtioimnirc de ces mots, et, rien qu'à la Icttn' A, en ('iiiiiiK'rait (-iiu|uaiit(>-(|natn> : mais la |ilii|)ai't de sos assimi- lations sont toreros, et il tant |M)nr les admettre |)lns (|ne de la Itonne volonté. Le téinoi^na^'c d(> \lalon(>t serait inoin> sns- |te('t(l). Nous lisons, en eiïet. dans les Mémoires «le ce froid et l'oiiseiencieiix oliscrvatetir, (|ii'un Juif établi à Surinam, (>t iioiiuné Isaar Narci, lui aurait at'tirmé (|ue les sulistantirs d(> la iaiijfue «les(Jalil)is, c'est-à-dire des Indiens de la (luyane, étaient d'origine lié|)raù|ue, surtout les sultstantils (|ni désignaient les choses. Kniiu, (ra|)rès le rapport d'un voyaf,'eur moderne, C.as- telnaii, un IsraJ'Iite, di^ Siuitarein sur IWinaxone, lui aurait iiidi(pié |)lus de cinquante tenues (>inpnmtés auv idiomes du pays et tout à fait semIdaMes à ceux des llélireux {"1).

La |)liilolo}fie est une science trop moderne, ot ses procédés d'iiivestifrations sont déterminés (le])uistn»p ])eu de temps, p>ur ne pas avouer notre déliance à l'égard de certaines théories, en vertu (les(pielles lesérudits du dernier siècle, et peut-être même (|uel(pies savants contemporains sont portés à conclure de (■criailles identifications, peut-être accidentelles, à une coimnu- iiauté d'orif^ine entre certaines laujrues. Les exemples «pie nous avons allégués à propos de la prétendue ressemltlance entr«' les langues juive et péruvienne ne nous semltlent jus(prà nouvel ordre, ni assez nombreux, ni assez précis pour entraîner notn». conviction. Tant qu'on n'aura pas démontré (|ue ces deux langues ont les mêmes j)rocédés soit dans la structure de la phrase, soit dans la formation des mots, et nous ne pensons pas que cette prouve ait jamais été donnée, nous n'hésiterons pas à affirmer que ces ressemblances ne sont dues (|u'iui hasard, et, par conséquent, que la cidonisation de l'Amérique par les .luifs n'est pas établie par la perpétuité de leur langue au nouveau monde. . - .

(1) .Malolet, Mémoires, t. I, p. lo8.

(2) De Castelkac, Vogar/e dans l'Amérique Méridionale, t. IV (Cuzco).

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110 l'REMIÈRK PARÏIK. LES PHÉCinSElRS 1)K COLOMIl.

La perpc^tuitô du type, si rôellianeiit clic existe, serait plus rcmar(|uai>le. Quelques voyageurs l'ont constatée, et, comme le type juif n'est pas un de ceux qu'on puisse aisément confondre avec d'autres, s'il s'est .conservé en Amérique, c'est que sur ce continent s'est produit un phénomène très intéressant de trans- mission héréditaire.

L'abbé Brasseur de Bourbourg, qui a longtemps vécu parmi les Indiens du Guatemala (1), s'exprime en ces termes sur leur compte : « Nous avons eu souvent l'occasion d'admirer parmi les populations Indiennes du Mexique et de l'Amérique centrale des types Juifs ou Egyptiens. Plus d'une fois également nous avons observé dans ces contrées des profds semblables à celui du roi de Juda sculpté parmi les ruines de Karnak. Une fouit; d'étrangers ont remarqué avec autant de surprise que nous dans certains villajres guatémaliens le costume arabe des hommes et le costume juif des femmes de Palin et du lac d'Amatitlan ». Ces observations présentent un vif intérêt. Il serait à souhaiter qu'elles fussent répétées par d'autres voya- geurs et conduites avec plus de rigueur scientifique. Si réelle- ment l'Amérique a été peuplée et colonisée par des Juifs, on ne parviendra jamais à le démontrer qu'en étudiant la conforma- tion physique, (ju les singularités du type indigène ; mais, à l'heure actuelle, le problème n'a pas été suffisamment élucidé. <Jn peut même dire qu'il n'a pas été posé, puisque i on ignore si ces Américains, qui ressemblent aux Juifs, descendent d'une émigration plus ou moins considérable qui aurait eu lieu sans laisser de traces authentiques dans l'histoire; ou bien s'ils ont pour ancêtres des Juifs débarqués en Amérique aux premiers jours de la conquête. C'est dans cette direction, et rien ((ue dans cette direction qu'il faut s'engager pour trouver le secret, si longtemps cherché, de la présence des Juifs au Nouveau

(1) Brasseur de Boiuiioiko, Histoire des nations civilisées de l'Amdrit/i/i' lentralr, t, I, p. 17.

CHAPITRE III.

LES JUIFS EN AMÉRIQUE.

111

Monde avant Colomb. Autrement, toutes les ressemblances, ou, |)uur être plus exact, toutes les analogies que nous avons signalées dans les coutumes, dans la langue, dans les traits du visage, ne nous donnent, jusqu'à nouvel ordre, aucun droit de conclur'-! à la réalité de ces voyages transatlantiques.

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CHAPITRE IV

LES GRECS ET LES ROMAINS ONT-ILS CONNU l'aMÉRIQUE ? TRADITIONS. THÉORIES. VOYAGES.

Les Grecs et les Romains ont-ils connu l'Amérique? Cette «[uestion, au premier abord, semble toute résolue. Ni les uns ni les autres n'ont jamais eu grand désir de pénétrer dans les régions inexplorées. La terre, pour eux, fut toujours étroitement bornée, et lorsque, par hasard, ils franchirent ces bornes, ils furent arrêtés par les dangers prétendus ou réels de l'Océan. Leurs voyages en Amérique sont donc peu vraisemblables. Pourtant, si le nouveau monde n'a pas été découvert par eux, ils en eurent du moins comme le pressentiment, on dirait pres(jue la réminiscence, car ils en ont parlé à diverses reprises comme on parle d'un pays entre aperçu en songe, dont on s'efforce au réveil de ressaisir par la pensée les contours perdus.

Afin de procéder avec méthode dans ce rapide examen, npus établirons une distinction entre les traditions, les théories et les voyages : les traditions remontent au premiers Ages de l'humanité et elles ont été si persistantes qu'il importe d'en' suivre la série à travers les siècles. Quelques-unes des théories sont rigoureusement vraies et elles ont conduit les navigateurs à des résultats sérieux. Quant aux voyages, bien que quelques- uns ))araissent présenter des garanties d'exactitude, nous ne nous croyons pas le droit d'affirmer qu'un seul d'entre eux soit authentique. i

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«•.IIAIMTRK IV. LKS CHECS KT LKS ROMAINS.

113

Nous examiiUTons successivement ces traditions, ces théories et ces voyages.

1. Les traditions.

Les fradititjns se groupent autour de trois noms : l'Atlantide, le continent Cronien et la Méropide.

Solon est le premier parmi les anciens qui se soit occupé de l'Atlantide. Il avait beaucoup voyagé et s'était lié avec les prêtres (le la ville égyptienne de Sais (1). Ces dépositaires de la science antique furent interrogés }»ar lui sur l'histoire des temps reculés et i< il r(îconnut (ju'on pouvait jjresque dire (|u'au|irès de leur s(icn<'e, la sieiuie et celle de tous ses compatriotes n'était rien ». Un jour, voulant engager les prêtres à parler de l'anti- (|uité, il se mit à leur raconter ce que nous savons de plus ancien, Phoronée dit le Premier, Niohé, le déluge de Deucalion et de Pyrrha, leur histoire et leur postérité, supputant le nombre (les années et essayant ainsi de fixer l'épocpie des événements, l'n des prêtres les plus âgés lui dit: <( O Sulon, Solon, vous autres Grecs, vous serez toujours enfants, il n'y a pas de vieillard parnii vous ». « VA pourquoi? » « Vous êtes tous, dit le prôtre, jeunes d'intelligence, vous ne possédez aucune vieille tradition ni aucune science vénérable par son antiquité ». Fort étinné de ce discours, Solon conjura les prêtres de lui apprendre exactement ce qu'ils savaient de l'histoire de ses aïeux, et il apprit alors que jadis ses ancêtres avaient glorieusement lutté contre un peuple conquérant, les Atlantes, (jui étendait sa domi- nation sur l'univers presque entier, mais dont la patrie disparut i-n un seul jour anéantie par de grands tremblements île terre et des inondations. Séduit par la beauté tragi([ui! du sujet et

(!) Platon, Le Timé' (traduction Cousin), p. lOlJ. I.e nieillcur foninicn- liiiiu (lu Tiniéu est celui de M. Tli. lleini Martin.

T. I.

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114 l'HKMIÈRE l'AnTIK. LES 1 .CLKSKIRS l»E COLOMH.

désirant ('lever un monument à la },'l(»ire de ses conipatriotes, le législateur athénien résolut d'occuper les loisirs que lui donnait la tyrannie de Pisistrate en composant un poème sur la guerre des Athéniens et des Atlantes. La vieillesse l'empêcha d'achever son «T-uvre, et ce fut un malheur, car, d'après Platon (1) : S ' >n se fut livré sérieusement à la poésie, s'il eût achevé l'ouv qu'il avait rapporté d'Egypte, si les factions et les autres mau\ (pi'il trouva ici ne l'eussent contraint d'inter- rompre ses travaux, seliju moi, ni Hésiode, ni Homère, ni aucun autre poète n'eût surpassé sa gloire ».

Platon ne se contenta pas d'un hommage stérile. « S'emparant de ce sujet comme d'une helle terre aliandonnée, et qui lui revenait par droit de parenté, (2) il se fit un point d'honneur de l'achever et de l'embellir. H y mit un vestihule superhe, l'entoura d'une magnillque enceinte et de vastes cours, et y ajouta de si beaux ornements, qu'aucune histoire, aucune fable, aucun poème n'en eurent jamais de semblables. Mais il l'avait com- mencé trop tard ; prévenu par la mort, il n'eut pas le temps de l'achever, et ce qui manque de cet ouvrage laisse aux lecteurs autant de regrets (jue ce qui en reste leur cause de plaisir. De tous les temples d'Athènes, celui de Jupiter Olympien est le seul qui ne soit pas fini ; de même, entn» tant de beaux ouvrages (|ue la sagesse de Platon a enfantés, son Atlantide est le seul «ju'il ait laissé imparfait ». Ainsi s'exprimait Plutar(|ue (3), et, tout en faisant la part d'une certaine exagération laudative, nous ne pouvons que confirmer son jugement, car nous possédons encore cette (inivre inachevée de Platon ; c'est celui de ses dialogues (|ui est intitulé Gritias ou de l'Atlantide. Hn voici une analyse sommaire.

^l) Pi.AiiiN, /.'• Tiinifc, p. 105.

(2) Platon avait pour mère Péricliciu'!, fillo de Glaucon, fils de Gritias, fils de Dropiilas, fri-re de Soloii.

(3) PuTAiiQii:, Vir de Solon ledit. Uidot, p. il.j, § 32 . «... m; yàp f, -ÔX'.;twv 'AOr|Vx;(i)v to 'OXj;x-îtov, ojt-.); f, IIXaToivo; ao^'ixTÔv '.VTXavtixov :v -oXXoT: /.a/.oT; |j.ôvov spYOV àrcÀi; ïi/r/.jv ».

CIIAI'ITHK IV.

LKS (iMEC.S KT LKS KOMAI.NS.

II 5

Neuf mille ans avant l'époque (Ui discouraient ensenihle Sitcrate, Critias, Tiniée et Herinocrate, « s'éleva une guerre générale entre les peuples qui sont en deçà et ceux cpii sont au delà des colonnes d'Ile; ••.'<>. Athènes fut à la tête de la première ligue, et à elle seule acheva toute cette guerre. L'autre était dirigée par les rois de rAtlantide. f^ette ile était (1) |>lus grande (|ue l'Asie et l'Afrique, mais elle fuf submergée par des trem- Idoinents de terre, et, à sa place ou ne rencontre plus (pi'un humus (|ui arrête les navigateurs et rend la mer impraticable ». Les rois Atlantes descendaient de Neptune. Depuis plusieurs générations, ils régnaient sur cette île : « Leur empire {"!) s'étendait sur un grand nombre d'îles, et même en deçà du détroit, jusqu'à l'Egypte et à la Tyrrhénie ». La postérité de l'aîné d'entre eux, Atlas, se [)erpétua toujours vénérée. Le plus âgé de la race laissait le trône au plus Agé, et ils conservèrent ainsi le pouvoir dans leur famille pendant un grand nombre de siè'les. Ils amassèrent d'innombrables richesses grâce au com- merce et aux productions du pays : or , métaux , aromates iiiiimaux domestiques et sauvages, vignes, blé, fruits de toute sdile et particulièrement « ce fruit ligneux qui ofl're à la fois (le la boisson, de la nourriture et des parfums (3) ». Leurs villes étaient splendides, leurs palais magnifiques. Us avaient creusé de grands canaux voguaient les trirèmes. Dans la capitale ils avaient bâti des gymnases, des hippodromes, des bains. Ils n'avaient pas oublié les casernes, ils connaissaient même '(!s corps d'élite. La capitale présentait tous les avantages j'un

(1) Platon, Cvitiua, traduction Cousin, p. 252 (édit. Didot, p, 251) : (( '>'■ 'f,; 'ATÀavTioo; vT^aou PaaiXst;, ^v or) AtjEÛT); xa? 'Aaia; [Xc:îoj[j.»|aov oiaav "cyaiji3v li'vat -OTî, vù'v o' G-ri astdji.tov ouatxv xr.oçm -r,Xôv toî; èvOr/o: :-/.:oya'.v i-'i to ;:av -s'Xayo;, d'iaTS [i.r/,î'~i -opîJcaOa'., xwX'jTrîv ~apa;y£;v ».

(2) Id., p. 262 et p. 250 : « "ApyovTc; [jlÈv jtoXXwv àXXwv /.tn-'x to -i)>ayo: vrlidiv ï'ti oi [i-î'/pt 'A'.YJHTO'j xal T'jppr,vi'a; -wj Èvtô; Sî'jpo îràpyovTï; )).

3) Id., p. 263 et 256 : « Kai tôv oao: ÇjX'.vo; noiiaTa /.at [ipoaa-:* y.x: aXîl|ji|j.aTa çiipiov )).

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» rUKMILHK l'AHïli:. LKS l'UKClHSKlUS IIK COLOMH.

|)urt (lo mer, car << le «'anal et Ir plus };:i'aii(i port (''taicnt ((tuvcrts «Uî navires et de niarcliands qui arrivaient de fous les pays du monde, et dont la foule produisait la nuit et le jour un mélange de tous les langafres et un tumulte eontinuel » (l).

Le reste du pays répondait à la beauté de la caiiitale. La plaine immense (jui entourait la ville, entrecouj)ée de canaux. f(»rt peuplée, donnait deux récoltes par an. Une armée formidaltle j^ardait le |)ays et deux cents gros vaisseaux défendaient ses a|»proclies. Les dix rois Atlantes, maîtres al>s«»lus (lans leurs états, se rassend)laient à des épocjues fixes, tous les cin(| ou six ans, et réglaient en conmmn toutes les aflaires litigieuses. Us réalisaient ainsi la répul)li((ue idéale «|ue révent pour notre Kurope certains théf»riciens. Pendant de longs siècles se maintint le bon ordre sur cette terre privilégiée ; mais, soit (jue les rois ne fussent pas restés fidèles à leurs engagements, soit (|ue les peuples se fussent lassés <le cette félicité sans nuage, le désordre et l'anarcliie régnèrent à leur tour. Kmporlés par la passion des con«iuétes, les rois .\tlantes réussirent d'abord à étendre leur domination, mais ils se brisèrent contre la résistance d'Atbènes et de ses alliés. Dès lors commença la décadence et bientôt Jn|)iter (i) « voyant la dépravation do cette race autrefois si vertueuse, voulut les punir pour les rendre plus sages et plus modérés. Il rassembla donc les Dieux dans le sanctuaire du ciel placé au centre du monde, d"où il domine tout ce qui participe <le la génération, et, lors(|u'ils furent tous réunis, il dit »

Le Critias s'arrête brusquement ici, mais, dans un autre de ses dialogues, le Timée (3), Platon avait également parlé de r.Vtlanlide, et nous savons, grâce à lui, ([ue Ju[)iter ordonna la

(1) Platon, Critia-t, |t. 268 et |i. 2.")8 : (( "< )o3 àva-AOj; za\ o [xÈy'.ito: AVif,"/ kVîjxsv -m'aiv) /.a- :;j.-'j_ofov à-iiy.v'>j;i.3V(ov -âvToOsv, -M'ir^'/ /.v. 0fjou,3ov -avTooa-'Jv /.tj-ov -.i ;a-0 ' /|;x:'oav y.a: o'.i vj/.tq; 6-o -ÀrjOoj; rapcyoafvdjv ».

(2) lu., |i. 275 dp. 201.

(i) Pi.ATOx, Timée (Iradiictioii Cousin), p. 111.

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(".IIAIMTHIC III. U:S CHKC.S KT LKS lUIMAlNS.

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(l('stni(:ti<»ii par IV'.ui et par le Icii de cotto terre maudite, et (pie ses ordres impitoyables furent rifrourensenient exécutés, (le passage du Timée est trop important pour ne pas être cité en entier : « Parmi tant de grandes actions de notre ville, dont !i mémoire se conserve dans nos livres, disaient à Solon les |)rétres de Sais, il y on a surtout une (ju'il faut placer au dessus de toutes les autres. Ces livres nous apprennent ([uelle puissante armée Athènes a détruite, armée qui, venue à travers la mer Atlantique, envahissait insolemment l'Eunqje et l'Asie ; car cette mer était alors navigable (1), et il y avait, au devant du détroit <pie vous appelez les colonnes d'Her(u!<>. nue île plus grande que la Libye et l'Asie. De cette île on pouvait facileme.t passer aux autres îles, et de celles-là à tout le continent qui borde tout autour la mer intérieure, car ce (jui est en deçà du détroit dont nous parlons ressemble à un port ayant une entrée étroite ; mais c'est une véritable mer, et la terre qui l'environne un véritable con inent. Dans cette île Atlantide régnaient des rois d'une grai, de et merveilleuse puissau'îe ; ils avaient sous leur domination l'île entière, ainsi que plusieurs autres îles et quelques parties (lu continent. En outre, en deçà du détroit, ils régnaient encore? sur la Libye jusqu'à l'Egypte et sur l'Europe jusqu'à la Tyrrhénie, Toute cette puissance se réunit un jour pour asservir d'un seul coup notre pays, le V(Jtre, et tous les peuples situés de ce C('»té du détroit. C'est alors qu'éclatèrent au grand jour la vertu et le courage d'Athènes. Cette ville avait obtenu, par sa valeur et sa supériorité dans l'art militaire, le commandement de tous les Hellènes. Mais ceux-ci ayant été forcés de l'abandonner, elle

(1) Platox, Timée : (( Tors yàp ;:o(;£'jat[xov jjv sxe? ;:EXaYo;. vf,aov yxp -îo TOj (iTÔjiaTQ; î'./sv. 0 y.aXsîTat, «S; za-z. UfAEt;, 'Ilpa-'.Xï'ou; iTïîXa;. "HSs vf,ao; à[j.a Ai^jt^; r^v xa; Aai'a; jjL£î!^a)V, r;; ir.i^ctzôv z-\ là; àXXa; vrjwj; Toî; tôt' Èyi'yveto Tzopvjoi^iivoi;, sx Se t(ôv VTjawv im Tf,v zaTavTixpy -àsav T;r£!pov, TJ-jV ;:£p"i tov àXr,Oivôv sxsîvov ;:dvTOi(. TàÔE [aIv yàp ô'aa svtÔ; toû (JTO|xaTo; Xe'yojjiev, !j/a;v£Tat X!|jLf,v otevov Ttva ëia7:Xouv ë/ojv. 'Exjîvo 03 -jAayo; ô'vTw;, r, r.t^d/ojioi. xj'Ô -^f, -avT£X(ÎJî àXr,Oûî ôpOoTaT ' àv XsyoïTO fJ;:£rpoî ».

IIH l'UKMIKUi: l'AHTli;. LKS l'HKClKSKlHS 1>K COLOMlt.

brava seule les plus ^^mikIs diinj^ers, arnMu l'iiivasiuii, ériffea (les trophées, préserva de l'esclavafre les peuples encore libres et rendit à une entière indépendance tous ceux qui, connue nous, demeiu'ent en deçà des colonnes d'Hercule. Dans la suite de {grands trenddeinents de terre et des inondations engloutirent, en un seul jour et en une luiit fatale, tout ce (pi'il y avait chez vous de guerriers, et l'île Atlantide disparut sous la nu>r : aussi, depuis ce temps, la nier est-elle devenue inaccessible et a-t-elle cessé d'être navigable par la quantité de limon que Tile abîmée a laissée à sa place ».

Tel est le double récit du Critias et du Tiinée. Ce récit est-il authentique dans tous ses parties, et devons-nous l'accepter dans ses moindres détails? Assurément non. 11 est certain (pie la description de l'île Atlantide, le tableau séduisant qu'en trace Platon, le conseil des rois Atlantes, leurs lois particulières, tout cela nous paraît fictif et allégorique. Les annales des peuples anciens ne comprenaient guère que rénumération des règnes, des batailles et des généabjgies. Les prêtres Eg\[itiens surtout, habitués qu'ils étaient à l'extrême concision de leurs hiéro- glyphes, n'auraient jamais conservé dans leurs histoires, et par consé(iuent n'auraient pas donné à Solon tous ces détails des- criptifs ou moraux. Ils sont dus à la brillante imagination de Platon. Le philosophe, dans le T'unée, voulait prouver à ses interlocuteurs qu'il existe des Dieux vengeurs du crime et rému- nérateurs de la vertu. L'histoire du peuple Atlante comblé de bienfaits tant qu'il est juste, anéanti par une catastrophe sou- daine quand il a cessé d'obéir aux lois divines, était parfai- tement appropriée à ce sujet, et on comprend qu'il ait brodé (juelques fictions sur cette trame ingénieuse, afin de rendre la leçon plus frappante. Au moins le fonddu ré. est-il vrai ? Assu- rément oui. « Toutes les fois que Platon avance une pure fiction, /écrivait un de ses plus savants commentateurs, Marcile Ficin (1),

(1) Marcile Ficin, Argumentum in Timaetim, p. 5iG : « Quidam solam

CIIAI'ITHK IV. LKS C.HFXS ET LES HUMAINS.

119

il il grand soin de le dire cxpressénient ». Or, quo lisons-nous au conunencemcnt du Tiniée (1). « Ecoute, Socrate, un récit Ition étrange, et pourtant parfaitement vrai, tel que Solon, le plus sage des sept sages, Ta fait autrefois ». Et plus loin [''l) : <( Quelle est donc cette action cpie le vieillard Critiiis racontait, non comme une vaine tradition, mais connue un fait réellement accompli |>ar cette ré[ml>lique dans les temps anciens, d'aprùs le récit de Solon? » Remarquons, en outre, que Critias, dans le dialogue (jui porte son nom, invoque Mnémosyne, la déesse de la mémoire, « car, dit-il (3), la plus grande partie de ce que j'ai à dire dépend d'elle ». Il a tellement peur des objections qu'il les prévient, et a grand soin de faire remarquer ([ue, si les héros Atlantes portent des noms à tournure hellénique, c'est ({ue les Egyptiens avaient traduit ces noms dans leur propre langue, et (|ue Solon n'a fait que les imiter. Si donc Platon revenait avec tant d'insistance sur la réalité et l'authenticité de son récit, c'est qu'il en était persuadé lui-même et voulait faire passer cette persuasion dans l'esprit de ses interlocuteurs. N'avons-nous pas le droit de conclure, abstraction faite des ornements poétiques dont nous parlions tout à l'heure, que le fond du récit est rigou- reusement vrai, c'est-à-dire que réellement il a existé ime grande île, au-delà des Colonnes d'Hercule, dont les habitants ont joué pendant plusieurs siècles un rôle prépondérant, mais (pii a disparu en queb^ues heures dans un cataclysme ?

allcgoriam dixcrunt, scd hos redarguuiit probatissirni (inique Platon icorum, aftlrmantes quidcm liistonam, quia dixcrit Plato factuiii esse valdc inirabile sod ouiiiiiuio vemin. Serisum procterea Platoni nihil usquc tcmerc molienti allegoricum existimat adhibcndum. » Cf. Argumentum in Critiam, p. 601.

(1) Platon, Timée, édition D.idot, p. 199. "Axous or,, w i^wxoaTï;, Xci^oj aàXa [xàv otTorrou, navTâ-ao; oz iXrfioîji, in; 6 xwv'enTa ao'^wv oo^ùkaTo;

(2) Id. AÀXà Srj ;:oîov ïpfo^ to3to Kpitia; Xsvoiisvov |i.£v, «î); ::payOàv ôvTto; Onô TfiîSî tfj; ::oXc'wî «pyaîov Sirjysîxo xatà Tf,v i]dXtovo; àxo»Jv ;

(3) Id., p. 254. S/sSôv yàp Ta ;iey"^* 'iî^'v» '^'^v XÔywv iv TaÛTïj ~fi Osû, -âvT' sat'i.

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im) l'HEMlKHK l'AiniE. LKS l'HKCUHSELRS l»E OOLOM».

Le r6c.\[ do Platon a pourfaiit soulcvi^ Wwn des (•(tnlradictioiis. D(^s ranti(|uit<'> , certains philosoplu's se prononcèrent contre l'Atlantide. Les Néoplatoniciens surtout coudiatfirent son exis- tence. Longin ne voyait en elle qu'un simple développement littéraire sans portée historique. Amelius retrouvait, <lans le récit de l'effondrement de l'Atlantide, h* conduit des étoiles fixes et des planètes ; Numérius, la lutte du bien et du mal ; Origène celle des bons et des mauvais génies. Proclus, qui nous a fait connaître ces diverses opinions dans son Coinmeuinire sur le Timée, cite encore, mais sans les nommer, d'autres philosophes pour lesquels l'Atlantide n'était qu'une allégorie, sans liens avec l'histoire réelle, mais qui cachait de profondes doctrines sur la nature de l'univers.

Le moyen Age ne souleva point cette question ; mais, lorsque les découvertes de Colomb curent, en quelque sorte, renouvcdé le problème, l'existence de l'Atlantide fut de nouveau et réso- lument niée. Acosta, le consciencieux historien des Indes (1), Bernard de Malin Kroot, le savant commentateur (2), Fabricius, l'éditeur de la Bibllolheca Gnvca (3), n'hésitaient pas à se pronon- cer contre Platon. Le géographe Gellarius (4) essaya de discuter l'existence de l'Atlantide, mais il ne parvint à prouver que sa disparition, ce qui n'avait jamais été contesté. Tiedemann (5)»

(1) Acosta, Historia natural y moral de las Indias (traduction Hcgnault, 1598), p. i^ : « Je ne porte point tant de respect à l'authoritô de Platon, quoy qu'ils l'appellent divin, qu'il me semble difficile de croire qu'il ait peu escrire ces choses de l'isle Atlantique, pour une vraje liistoyre, lesquelles pour cela ne laissent point d'cstrc de pures fables ».

(2) B. DE Malin Kroot, Paralipomena de historicis grxcis, p. 9o.

(3) Fabbicius, Bibliotheca Grœca, liv. m, § 3, p. 98.

(4) Cellarils, Notitiaorbis antiqui, sive geographia plenior, t. il, p. 164. « Obstant alia : vicinitas ostii ad columnas Herculis, aiitc quod dicitur sita fuisse, a quo longissime abest America.... deinde rcgum illius insula3 im- perium, et bellum cum Atheniensibus gestum, et insuliB ulteriores in quas ex Atlantide navigatio instituta fuerit. Quid plura ? ait Tj^av'aOr;, disparuit insula, nusquam superest ».

(5) Tiedemann, Dialogorum Platonis argumenta^ p. 399,

CIIAI'ITIIF, IV. Î.KS CHKCS KT LKS IlOMAINS.

121

raldx' (iiT\ss('iit (l), Ilisiiiaiiii (:2), irAiivilU» [',\) liii-iiit^mc ii'ii|)|)Hrt('iit point coiitiv lii r(>alit('> du rontirit'iit cii^'ldiiti d'ar^:!!- iiicnfs (lôcisifs. Hartnli fait du iV'cit de Platon iiii itot'iiic allr- jrori(|iU' et satiri(|iio dans hMHicl il croit rccoiiiiaîtrc les principaux ('•vcncnicnts de la fîni-rrc du iVloponncsc [\). Au \l.\'' siôclc, (îossclin (.')), Uckcrt ((>; , Malte Hrini (7), Lctronnc (H), A. Uhiiinc (î)), Ploix (10), s'accordent à s(»utenir ipie l'Atlantide n'a jamais existé (|ue dans la hrillante imagination du philosophe athénien. Th. [I. Martin (II) |)ense (|U(( l'Atlantide n'est (pi'une liction ingénieuse des K}rypti<'ns p(»ur se concilier l(!s sympathies j;rcc((uos. Nickiés (lii) eidln attrihue cette croyance à une illusion (ro[)ti((ue, à unt' sorte de mirage.

Sans se prononcer aussi ouvertement, plusieurs écrivains se sont contentés d'émettre des doutes. Ainsi Montaigne énonce

ill CiiEYssK.NT, O/jservathiis crifù/itos sur l'Atlantiih' iJomiiiil ties Sa- vants, février 17*î>. (2) HiSMANX, Seul' Wclt tind Memcheiu/pucliichtc laiipeiidicc), t. I, p.

{'.\) D'Axvii.i.K, (h'oijfdfihie iincictmc, t. III, p. 12:i : ■< Lu narré de l'ialoii est le récit d'nti Athénien qni vent illustrer sa patrie, et on voit dans et; ipi'il débite sur la patrie des Atlantes un philosophe occupé de spéculations |ihis inai^niliques (|ue vraisemblables ».

(1) Uartcji.i, Hcflcxiuns impartiales sur le proijvès réel nu apparent i/ue les sciences et les arts ont fait dans te xviii» siècle e?! Europe, liv. I. Il n'est cependant guère probable que Platon ait caché les Spaitiates sous le nuni des Allantes, et, si la petite île Atalanta, au nord de l'Huripe, fut, au rapport de Thucydide. sé|)arée du continent lors de la guerre du Péloponnèse, C8t-cc une raison pour conTondre la grande Atlantide et la petite Atalanta?

(5) (îosSKi.ix, liéoyrapliie des anciens, 1, 141.

(6) L'ckeut, (ieogriiptiie der Griechen und Homeni, I, p li'i. II, p. l'J2.

(7) Maltk-Bklx, Géofjraphie universelle (édition 1840), I, 20.

^8) Lethoxxk, Essai sur les idées cosmor/raphiijues qui se rattachent au nom d'Atlas (Bulletin universel des sciences), mars 1831.

(9) A. IliiixxE, article Amérique dans l'Encyclopédie nouvelle.

(10) I\oix (Revue d'anthropologie), mai 18S7. (il) ïii. H. -Martin, ouv. cité. I, 3;i0.

(12) NiCKLKs, Mémoires de l'Académie de Stanislas (1864), p. .308.

l±l l'HRMIKHi; l'AHTIK.

I.KS l-nÉC.rHSElHS l»K CdLOMU.

le l'ait, mais sans l'iu'(!oiii|>a};ii('r de n'-flcxioris (1). Hun'oii (:>), McînU'Iic {'<Vj i'I Ilaynul [A) n'aflirmciit ni ne nient. \j' jésnifc Lalilan «listiiif^nc avec soin les npininns contraires niais ne se prononce pas (.">). Voltaire semble tantôt croii'e à l'Atlantide t't fanlôl la rejeter (tî). Le marquis de Saint-Simon tour à toiu' nie et allirme (7). Ihunholdt reste indécis (H), c.ir <i les prolilèmes d<' la {«'éojfrapilie m\tlii<|ue des Hellènes ne peuvent (Hre traités selon les mûmes principes (pie les prohièmes de la {géographie pt»sitive ; ils olVrent connue des images voilées à contours indé- terminés ». Stallhuum, im des derniers connnentateurs de Platon, croit ipie le fond du récit est vrai, mais qu'il a été singu- lièrement modilié (!)). IJeudant enfin touche avec réserve à celte (pieslion (10) : « Nous m- saurions nier positivement l'exis- tence de r.Vtlantide, ensevelie sous les eaux, suivant les tra- ditions égyptieiuKîs, en un jour et une nuit ».

(1) .MoNTAKiM:, Ks'<«/.9, I, 30. « Platon introduit Selon racontant avoir appris dos proshlro 'e la ville de Sais.... 11 est bien vraisemblable que cest e\tr(^nle ravage d'i m ayt faict des cliaii{;cniciits cstran{;es aux liabilations du la terre, mais il n'y a pas grande apparence que cestc isic soit ce monde nouveau que nous venons de découvrir ".

{•?.) \Uvvos, Histoire naturelle (édition de t74'J), t. F, p. 313.

(3) Mk.ntki.i,e, Encyclopédie métlunlique uu.i mots Atlnntis et Attantica, t. I, p. 250.

i't) IIav.nai., Histoire philosophique des deux Indes, t. X, p. 45. ."i Lakitau, Md'urs des sauvages américains comparées aux mœurs des premiers temps, t. I, 2, 27.

(t)) V(ii.TAU<i:, OKuvres complètes (édition I78i), t. XXXVIII, p. 450. « L'engloutissement de l'Atlantide peut être legardé avec au moins autant de raison comme un point historiipie que comme une fable ; le peu de profon- deur de la mer Atlantique jusqu'aux Canaries pourrait bien être une preuve de ce grand évétienent, et les ilcs Canaries pourraient bien être les restes de l'Atlantide a.

(7) Sai.nt-Simon, Nyclologues de Platon, nuit, p. 27. Dissertation sur un passage do Platon et sur l'ilc Atlatitidc, p. 20 et 74.

(8) HuMBOLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent, t. I, p. 169.

(0) Stai.i.bai'm, Commentaire du Critias. Critiam censcamus simillimum fabulic alicui romanensi, liistoriœ veritatc non omnino destitutic. (10) Beloant, Eléments de géologie, p. 19.

CAAI'ITIU; IV

LKS liHKCS KT I.KS HOMAI.NS.

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de tion t. I, num

A|>n'« «•eux (|iii nient et cimix qui (litntciit, passons à crux (jui 4'i'()i*>nt. licur iioiiiIm'c est cunsidéralilc, surtout iliuis ranti(|uité, et la |)r(>s(|U(' unanimité de rcs téiiioi^Miap's est niénic une preuve sérieuse de l'existence de l'Atlantide. Ainsi i'astronoiu<> lùidoxe de Ciiide, contetnporain et disciple de IMuton, regardait roiunie véritalde l'histoire ra((»ntée à Solon paF* les prêtres de Saïs(l). Sfralion, «lont le; scepticisme scientillipie s'affirme en tant d'en- droits, n'iiésit(> pus à proclamer (pie l'opinion de Posidonins est plausilile {'Ij. Pline l'Ancien se prononce dans le même sens (U) : *< La nature, dit-il, a retranché totalement certaines régions, léiiioin premièrement cetti^ Atlantide est aujourd'hui la mer du niùme nom, et qui, s'il en faut croire Platon, avait mie étendue immense. Le platonicien Pliilon le Juif (i) ad(q>te purement et simplement ropiiii(»n du maitre. Un autre platonicien, Crantor (.'>), aurait retrouvé la tradition de l'Atlantide chez les prêtres de Sais, (|ui lui montrèrent des stèles, toute cette iiistoire se trouvait écrite. Proclus, à (jui nous devons ce rensei}:iiement sur (Irantor, nous a|)prend éj;aleinent (pi'un certain Marcellus(()), auteur d'un livre perdu intitulé les Kthiopiques, rapportait (jue des traditions sur l'Atlantide avaient été recueillies par des v(»ya}ïeurs dans une île inaccessible de l'Océan. Un certain Zoticos avait composé un poème sur l'Atlantide (7). Proclus

^1) DioiiÈNE Lakuce, Vlil, 8.

[2) SiRAiiON, II, 3, C : « ^olls nt! pouvons qu'approuver ce que dit Posi- donius des soulèvenients et des atTaissenieiits du sol et eu géuéral de tous les cliaugeuieuts produits soit, par les Ircuiblemeuts de terre, soit par ces causes analogues que nous avons nous-mêmes énumérées plus haut. Nous approu- vons aussi qu'il ait, à l'appui de sa thèse, cité ce que dit Platon île l'Atlan- tide, que la tradition relative à cette ile pouvait bien ne pas être une pure tirtion ".

3) Pline, Histoire naturelle, II, 02. In totum abstulit terras, priinuni omnium ubi Atlanticum mare est, si crcdinuis Platoni, immense spatio.

(•4) Phii.on i.e Jlik, De i Indesifuctilnlité du monde, p. 9G3.

(5) Puoci.Ls, Commentaire de Timée. p. 24.

(G) ID., id.

(7) PoHi'iiTHE, De vita Plotini (édition Didot), p. 106. ISuvrjv ôà xai

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LKS l'HKClHSKrilS DE COLOMlt.

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lui-iiK^iic, ainsi que son maître Syrianus, et latniili(juo, tout en conjccturunt que Platon avut choisi ce fait historique pour eu faire l'emblème de la lutte éternelle de l'esprit contre la matière, ne mettaient nullement en doute sa réalité. Ce témoignage a d'autant plus d'importance que Proclus enregistre avec soin les opinions contraires (1). En dehors de l'école d'Alexaiulrie, dont on pourrait suspecter les attaches platoniciennes, la croyance naïve à l'existence de l'Atlantide se retrouve dans Ammien Marcellin (2). Deuv apologistes du christianisme n'éprouvent |»as plus de scrupules que l'ami de Julien l'Apostolat à affirmer l'existence de ce continent englouti. Arnohe va mémejusqu'à fixer l'époque de l'invasion de l'Eufope par les Atlantes (3) ; (juant à Tei'- tullien, il parle à diverses reprises de l'Atlantide, mais sans douter un seul instant de son existence (i).

L'antiquité croyait donc à l'Atlantide. Philosophes, poètes, historiens racontaient à l'envi ses merveilles et ses malheurs. Peut-être même le souvenir de l'ile mystérieuse s'était-il conservé directement dans la religion Athénieniu>, puisque, dans la fête d(îs petites Panathénées, on portait (>n procession un péplum hrodé, l'on voyait comment les anciens Athéniens, élevés et soutenus par Minerve, avaient été victorieux des Atlantes (5). Pendant le moyen âge au contraire la croyance A

ZfÔTixo;, xptT;'-/o; ts xai ;:otrjTi)'.o;, o; rôv ATXavT>.-/.ôv ii; ::oir[<iiv [iET^jJaXî jrâvj ;iO'.r,Ttxfo;.

(1) Phoci-ls, ouvrage cité, p 24, 52-59, 61.

(2) Ammien Mahcei.i.i^, XVII, 7. Siiiit et clinsnialim, qui, grandiori tnotti patcfaclis subito voratrinis, terraruni purtem absorbent, ut in atlantico mari Europœo orbe spatiosior insula.

(3) Absobe, Adversiis gentes, liv. I. Il croyait que cet événement était contemporain de l'invasion des Assyriens sous Ninus.

(4) Tertci-men, De pallio, 25. Apolo(jétiqu<\ 4i^, .Mcmorat et Plato niajorem AsiuR vel Africœ terram Atlantico mari ereptam.

'^^) Scholiasle de Platon (édit. Didot. frag. IV, \k •»42) : « N'hésitons pas ù reconnaître que cette légende est peu vraisemblable. Proclus, dans son commentaire du Timée, parle bien de ce péplum, et ajoute rpril représentait la victoire des Athéniens contre les barbares, mais il ne dit pas (}uc ces bar-

niAlMTKK IV. I.KS CHKCS ET LES ROMAINS.

125

rAlliintitle so trouva à |n'U prôs intorrompue (1). C/est surtout dans les temps iiindcrucs, au niouicnt furent do nouveau agitées eu lùu'ope les ([uestions qui jadis avaient passionné l'antiquité (pie la eroyanee à IWtlantide rencontra de nombreux partisans, (lolomli l'ut un de ses plus chauds défenseurs. Oviedo(:2), l'iiis- torien des Indes, l'orientaliste (Jeneltrard (II), Christophe llec- man, le père Kin'her(4), croient tous à l'Atlantide et e\|>liquent sa disparition par le déluge biblique, lludbeck (t)), Kurenius(O), Haer (7), Tournefort (8), Van Eys (9), Olivier (10), Sauuiel d'Kngel, Fabre d'Olivet, Carli, (11), de la Morde, Cadet, Uailly (1^) et Uelisle d(> Sales (13), pensent de même. Citons

bares étaient les Allariles, et plus loin il ajoute que, dans celte môme fiMc, les Alliéniens célt'bi'aient aussi leur victoire contre les Perses et leurs autres victoires iiistoriques. Les barbares re|)résentés sur lu pepUini étaient donc, très probablement, des Perses et non des Atlantes n.

(1) Au sixième siècle, (losmas Indicopleustes, citais sa Topoyrnjiliii' chi'P- //>;)?('• (Montl'aucon, Nova coilectio patrum et scriptorum j;raccorum, t. II, p. 114-125, l:\\, 13G, 138, 186-J92, :}.K)-:i42) parle encore de l'Atlantide, mais pour l'acconnuoder à sou système cosnio};raplii(iue. Avec ce sinjçnlier com- mentateur do Platon, on ne peut citer pour toute cette période ipTune carte lie r Atlantide qui tijçure dans un Macrobe du x^ siècle. Cl'. Sa.ntahk.m, Cos- )iiQ(jra}ihii.' et l'dvloyvdphie du tnoye?t-f)'jc. 11, 42.

(2i OviEDO, L(i hi.iforid f/encral de las Indias.

(3) Genebhad, Vhrouoijrfiphia sacra (l.'iSO), liv. I. Ukimann, Hintuna, nrhi.i fcrrtintin (1680). De iusulis, § 5.

('») KiuciiKR, Expycitatiii de Atlnntido lHntoni'<. Munt/iis su/dcrriiiirus.

(.ï) llLDiiKf.K, Atlantira siri' Maidirirn rrra Itt/dieti posteromin sedes ad potvia. Upsal, 1675.

^6) EroKMis, Atlantiai Orientalis (traduit du Suédois en latin par Hen- liorn), 1764.

(7) Hakh, Ksuni hixtovir/un et rriti' ue sur li's AtUuitii/ucs, Paris, 1762. Avignon, 1835.

(8i TontNKHJHï, Voijuije du Lerant, lettre XV, t. II.

(9) Vax Evs, Disscrtntio de Platane Mozaizante. FraucIbrt, 1715.

(10) Oi.iviKU, Dissertatiiin sur Ir Critias do Platon, M^'o.— Sami ki-u'Enoei., Comment f Amérique a-t-elle étt} peuplée d'hommes et d'animaux '.' 1762.

,11) Caiii.i, Lettres Américaines (traduction Lelebvre de Villebrunei 1788. De i,\ Houdk, Histoire abrégée de la mer du Sud (1791).

vl2) Baim.v, Lettres sur i Atlantide et sue l'histoire ancienne del'Asie, 177U.

(13) Dei.isi.e de Sai.es, Histoire nouvelle de tom les peuples du tnonde, réduite aux seuls faits qui peuvent instruire et piquer la curiosité.

1

I I

120 l'HEMIKRK PAHTIK. LKS l'IlKCrHSKlKS I>E COLOMB.

oncoro «lu xix" siècle (îravos (1), Daviès, Lfitreillc (:2), Hoiy de Saint-Vincent, (3) de Fortia d'Urban, IJunsen, Villcinain, Jolilxtis (i), lloisel (5j, Denisot, Novo y Colson (('»), de Hotellia (7), les docteurs Amegliino et Lagneau (8), le pro- fesseur Uorsari, qui reconnaissent la réalité historique de l'Atlantide. H est vrai que leurs raisons ne son* pas toujours très sérieuses, et qu'ils prêtent le flanc aux attaques de leurs adversaires, mais nous ne voulions pour le moment que consta- ter, dans les temps modernes, le grand nombre des croyants à l'Atlantide et la continuité de cette croyance à travers les Ages.

Ce n'est pas tout que d'avoir pour soi lu tradition historique : il faut encore que les données de la science ne combattent point cette tradition. Or, en s'en tenant au texte même de Platon, une grande île existait : elle a disparu. Ce |)hénomône est-il possible d'après les données de la géologie et de la physique générale du globe ?

Quand la terre se formait, de soudains cataclysmes, ana- logues à celui qui fit disparaître l'Atlantide, bouleversaient la face du monde. Ainsi que l'écrivait un de nos plus illustres contemporains, Darwin (9) : <( Le temps viendra les géo-

{\) (îiiAVKs, voir plus loin, p. 131 .

(2) ClAUEi, Mt'moires sur les jcn^pcx et autres pierres précieuses de la Corse, n8,ï. Lathkille, Mémoires sur divers sujets (F histoire naturelle des in^/'ites, de t/éoyraphie et de chronologie, 1810.

(.'il DiiKY DK Saint-Vince.nt, Essui sur les lies Fortunées. {«'oiitia d'Uhhan, Essai sur quelques-uns des plus anciens monuments de la géo- graphie, 1802, t. I, p. 5. BiNSKN, Egyptfs place in iiniversal history,' l. IV. p. 421 .

(i) .loMROis, Dissertation sur l'Atlantide. Vili.emai.n, Histoire de la littérature française au xin" siècle, lettre XIV.

(5) IloisEi., Les Atlantes, 1874.

\f>i Novo V Colson, la Ultima teoria de la Atlantide (Société de géogni- pliic (le Madrid) .

(7) L)KlioTEi.iiA, Pucljras geologicas de laexistencia de la Atlantida, 1881.

(8) D' A.MEG111N0, Lu Antiquedad del Homhre en cl Plato (188ii). Df Lagneau (Société d'anthropologie, 1864, p. 748. 1880, p. 450).

(9; Dauwin cité par Ueci.is [La Terre), p. 808. Cf. Le préambule des

CIIAIMTKK IV. Lies (JHKCS KT LKS HUMAINS.

1-27

logui's considiM'eroiit le repos de l'écorce terrestre pendjuit toute une période de son liistoire comme aussi improhahie que le serait le calme absolu de ratmosplière |)en(lant tante une saison de Tannée ». Dès l'antiquité on peut citer de iiond)reuv phénomènes qui présentent une grande analof^ie avec celui qui amena la ruine de l'Atlantide. « Démodés, dans ses histoires, écrit Strahon (1), raconte que de terribles trenddenu'iits de terre furent autrefois ressentis en Lydie, en lonie, et jusqu'en Troade, qui engloutirent des villages entiers, convertirent des marécages en lacs et sulunergèrent Troie sous les eaux ih\ la mer. Par une cause analogue, l'ile de Pharos, la Pharos d'Egygte, située naguère en pleine mer, n'est plus à proprement parler qu'une presqu'île ; Tyr et Clazomènes pareillement. Nous-méme, lors de notre voyage à Alexandrie en Egypte, nous avons vu la mer, aux environs de Péluse et du mont Gasius, se soulever tout »i coup, inonder ses rivages, et faire de

la montagne une île Démétrius de Gallatis, dans son

relevé des tremblements de terre ressentis en Grèce, nous iipprend qu'une portion notable des îles Lichades et du Cenoeum fut engloutie, (|ue Phalares méuie fut en quelque sorte rasée tout entière jusqu'au niveau du su], (pi'un même désastre eut lieu à Lamia et à Larissa, etc. Enlin, l'un rapporte que l'ile Atalanta, près de l'Eubée, s'ouvrit juste par le milieu et livra passage aux vaisseaux, et qu'en certains endroits l'inondation y couvrit la plaine jusipi'à une distance de vingt stades ». 11 serait facile de multiplier les exemples {'!) : ainsi l'Acarnanie et l'Achaïe sont couvertes presque entièrement par les eaux des g(dfes d'Ambracie et de Gorinthe. La Pro|)ontide

Epoques (le In Nritiire de Bii'kon : « La nature s'est trouvée dans (lillérciils états, et la terre a pris successivement des formes différentes. Les citnix eux- mêmes ont varié, et toutes les choses de l'univers physique sont, conuiie l'cilcs du monde moral, dans un mouvement continuel de variations sucees- sivcs ».

(1) Sthauo.n, I, 3, 17.

(2)lD., 1,3,20.

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1:28 l'REMIKRI': l'AKTIK. LES l'RÉCrRSEURS DE COLOMll.

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et le pont Eiixin suhmorgont de vastes plaines en Asie et en Europe. Tant<)t la mer se creuse un chemin à travers l'ilelles- pont et le IJusphore de Tlirace (1), tantôt elle sépare la Sicile de l'Italie, Chypre de la Syrie, Euhée de la Béotie, l'Afrique de l'Espagne, la (Jaule de la (îrande-Bretagne, ou hien elle engloutit Pyrrha et Aulissa, Hélice et Bura dans le golfe de ilorinthe, la majeure partie de l'île de Cos et la moitié deTynda- ris en Sicile. Quelquefois c'est au milieu des terres (|ue s'af- faissent le mont Cyhotus et la ville de Curète, ainsi que Sipylus de Magnésie. Un continent tout entier disparaît même, au grand effroi des contemporains, la terre Lyctonienne ou Lycaonienne.

Tous ces phénomènes se sont produits à l'époque historique. Ils sont tout aussi prouvés que l'affaissement, au vi'' siècle de notre ère, de la ville d'Herbadilla que recouvre aujourd'hui le lac de (irandlieu (i2), ou que la brusque séparation des îles Jersey, Guernesey et autres d'avec le Cutentin (3) ; ou que la formation du Zuydersée en 1170 (4) ; du Dollartsée en 1277 et 1287 ; (lu Bieshoch en 14"21 ; ou que le trend>lement de 1003. qui causa de si terribles ravages au Canada et changea en un ospace immense, entrecoupé de lacs et de ruisseaux, près de cent lieues de pays autrefois occupées par des montagnes et des ntchers ; ou ((ue le treud)Iement de loGG qui abîma sous les eaux plus de soixante lieues carrées dans la province chinoise de Ghansi ; ou que la disparition sous les eaux, en 1819, sur une étendue de quatre-vingt-quatre lieues carrées, de la plaine de Sindrée aux bouches de l'Indus (o) ; ou que l'effroyable érup- tion du Krakatau en 1882, dont on ressentit les secousses sur

(1) Oiii'iiÉE, Poème (les Argonaute-; (édit. Tauchnitz , V. 128-16!t.

(2) Pklcmet et Cii.vxi-AiRE, Description topograp/iique et stalistique de lu France.

(3) Elisée Reclus, La France, i>. 093. 639-G49. (4i Id., L'Europe septentrionale, p. 222-224.

(5) ZuRCiiER et Maroou.é, Le Monde sous-marin, p. 2"1.

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CUAPITRE IV. LES GRECS ET LES ROMAINS.

129

(rénonnes espaces (1). Ce n'est donc pas une exagérîition poé- ticpie (2) ou une fantaisie d'artiste qui a inspiré ces beaux vers à Ovide (3) :

Vidi ego, quod fuerat quondam soiidissima tellus,

Esse fretniii ; vidi fictas ex œquore terras,

E procul a pelago conchaj jacuere marinai,

Et vêtus inventa est in niontibus anchora summis :

Qiiodque luit campus, vallem decursus aquaruni

Fecit, et oluvio nions est deductus in .iiquor,

Eque paludosa siccis humus aret arenis.

Le grand cataclysme ^ui détruisit l'Atlantide ne ressend>le-t-il pas à tous ceux que nous venons d'énumérer? Sans doute, un tel bouleversement ne s'est pas accompli à l'époque bistorique ; Platon lui-même en fixe la date à neuf mille ans avant lui ; mais ce n'est pas une raison pour le nier. Sans qu'il soit besoin de recourir aux milliers de siècles de la cbronologie cbinoise ou indoue, nul aujourd'bui n'ignore que l'univers existait bien avant les six mille ans de la cbronologie classique. Par conséquent, puisque la tradition bistorique et la science sont d'accord pour reconnaître l'existence de l'Atlantide, nbésitons pas à nous ranger parmi ceux qui croient à l'autlienticité du récit Platonicien.

L" Atlantide a existé : mais quelle était sa position ? Les opinions varient à l'infini. Les uns ont pensé, avec Rudl)cck(4),

(1) Edmond Cotteau, Krakatau et le Détroit de la Sonde (Tour du Monde, 1886).

(2) Plusieurs savants : président de Brosses, Korster, Dumont d'Uiville, Uroca, Moerenhout, Martin de Moussy, etc., pensent que jadis existait dans le Pacifique un grand continent, déterminé par les îles Havaï, les .Marquises et la Nouvelle-Zélande, qui ne seraient que les sommets des terres enj^lou- ties. Ce n'est qu'une hypothèse, mais fort legitmie ; à plus forte raison pou- vait jadis exister dans l'Atlantique un continent dont les Antilles, les Arores Ole , sciaient comme les dernières arêtes. Cf. i>e Urossks. Narif/atiiDis aii.v ferres Australes. Gabriel Laionu, bulletin de la Sociétù de iji-o- fjraitliie (juin 1867).

(3 Ovide, Métamorphc^es, liv. xv.

(i Voir pour l'exposé de ces divers systèmes et leur réfutation Gakkahei,, L'Atlantide (Revue de géographie, 1880).

T. I. 9

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^

130 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOM».

que l'Atlantide était l'ancienne Suède, et les autres, avec ihrl'er, les provinces septentrionales de l'Allemagne baignées par la Bal- tique. Bailly retrouvait l'Atlantide dans le Spitzherg, et Delisle de Sales dans la Méditerranée. Kirchmaïer la plaçait en Afrique, dans l'ancien lac Triton, et Jolibois dans les régions de l'Atlas et du Sahara. Un savant contemporain, dont il est difficile de résumer la compétence, Berlioux (1), a cru retrouver dans l'Afrique Septentrionale l'emplacement de l'Atlantide, et u même essaye de raconter l'histoire des rois Atlantes. C'est encore une opinion peu commune que celle du Flamand Grave (2) et de l'Anglais Davies qui prétendaient découvrit- l'Atlantide en Hollande. D'autres savants, également étranges dans leurs conceptions. Van Eys en 1715, l'avocat Marseillais Claude Olivier en 1726, le Suédois Kuréiiius en 1754, et Bai^r en 1702, dirigeaient leurs recherches vers la Palestine, Latreille vers la Perse, Moreau de Jonnès (3) en Crimée. Tous ces écri- vains n'ont, de parti pris, voulu tenir aucun compte du texte de Platon. Us ont placé l'Atlantide soit en Europe, soit en Asie, en deçà, par consé(jU('nt, des colonnes d'Hercule, «•! presque tous ont voulu la reconnaître dans des contrées encore existantes. C'en est assez pour démontrer le mal fondé de leurs théories.

(1) Berlioi'X. Hhtoire de l'Atlanlis et du l'Atlas primitif, 1883.

(2) Voici le titre exact de l'ouvrage de Grave : nous le citons à cause de la rareté du livre et de soa étrangeté : « Répuhlique des Champs-Elysées ou Monde ancien, ouvrage dans Icqiccl on démontre principalement que les C/un/iptlili/sées et CEnfer des anciens sont les noms d'une ancienne répuhlit/ue d'hommes justes et religieux, située à l'e.rtrémité septentrionale de lu Gaule, et surtout dans les lies du Bus-Rhin . . . que les Elyséens, nommés aussi sous d'autres rapports Atlantes, llijperboréens, Cimmériens, ont (ici Usé les anciens peuples, y compris les Egyptiens et les Grecs, que les dieux de lu fable ne sont que les euihlt'mes des institutions sociales de l'Elysée, que la voàle céleste e'it la tableau de ces institutions et de la philosophie des législateurs Atlantes, etc. » Davies soutint la niôine tlièse dans ses Antiqux linguœ Britannic.v rudimenta.

(3) MoKE.\r DE Jo?i.\És, Géographie préhistorique, l'Atlantide, p. 103-1.(7.

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CIIAI'ITHK IV.

LKS CRKCS CT LES ROMAINS.

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D'autres savants, mieux ins|)irés, ont, conformément au\ indications Platoniciennes, cherché l'Atlantide au-delà des colonnes d'Hercule, mais ils ont eu le tort de la placer en Amé- ri(|ue, ouhliant qu'elle n'existait plus.

Dès loî>3 (Jomara affirmait que l'Atlantide correspondait à l'Amérique (l) ; en loOl (îuillaume dePostel, le savant orien- taliste, alléguait une prétendue étymologie mexicaine pour pro- poser d'appeler Atlantis le nouveau continent (2). Wytfliet, un des meilleurs géographes du xiV siècle, étahlissait l'identité de ces deux continents (3). Bacon y croyait aussi, mais dans un ouvrage de pure fiction et qui est resté inachevé (-4). Le Suisse Bircherodius essayait de prouver qu'il fallait chercher du côté de l'Amérique la position de l'ancienne Atlantide (ÎJV Lamothe Levayer (6), le sceptique et érudit auteur de la Gi'ographie du Prince, voyait « dans le Timée et le Critias quelque petite apparence de l'Amérique ». Sainte-Croix (7) et Garli (8) étaient (lu même avis. Ce dernier, dans ses Lettres américaines, a même dépensé heaucoup de science et d'imagination pour prou- ver sa thèse. B est vraiment singulier que ni lui ni ses devan- ciers n'aient été arrêtés par le texte de Platon, hien affirmatif sur ce point, que l'Atlantide a disparu en une seule nuit à la suite d'un effroyable cataclysme et qu'il est par conséquent inu- tile de la chercher dans une région encore existante. Emportés par leur désir de retrouver l'Atlantide au Nouveau-Mond?. ils ont oublié que l'Atlantide n'existait plus. Quelques cartographes

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(1) GoMARA, Historia de las Indias, fol. 119.

(2) PosTEL, CoAmographicœ discipUnœ compendiitm cum s!/7iopsi reriiin toto orbe fjesfarum, p. 13 et 57.

'i) Wytfliet, Histoire universelle des Indes orientales et occidentale!^, p. 60.

(4) Bacon, Nova Atlantis, 1638, p. 364.

(5) BinciiERODirs, De orbe novo non novo, Altorf, t683.

(6) LAMOTiiE-LEVAYEn, Géographie du prince, p. 2t.

(7) Sainte-Croix, De l'état et du sort des anciennes colonies, p. 24.

(8) Tout le deuxième volume de l'ouvrage de Cari.i (traduction Lefebvre tic Villebrune.

\',\ll l'UKMIKKK l'AHTIK. LKS l'UKiUmSKL'HS I)K COLOMII.

ont |»ai1ii^:('' ces illusions. A lu fin du xvii'' sioclc, (Juillaunu! Sansoii [l] piihliait dans son f;raiid atlas une carte de rAinériquo partagée entre les fils d'Atlas, et il intitulait gravement cette fantaisie géographique : IVovus orbis, pol'nis allcrn conlincus, sirt' Ailmtiis insnla a M. Sniison antiqultati rrsiitiita, niiiir di'inuni mnjori forma delineafa, et in deceiii régna juxln dccem Nepdini fiiinn dlslr'ibuta, pneterea insidic nosir.rque riinllnenfis rof/iones qn'ibtis hnpenwere Allanlis regcs, nui quas itrniis ientaoere. \a\ rroirait-on ? Un autre cartugraplie, Robert de Vaugondy (2, partageait encore l'Amérique entre la postérité d'Atlas dans son Orhh Velus in utroquc continente juxia men- tem Sansoninnam distincins nec non obseroationibus astrono- niicia redactim. Tout récemment, au congrès des Américanistes de Copenhague, qui eut lieu en 1883, un fantaisiste, M. Ste- phens Blackett (3), n'affirmait-il [)as que l'on retrouve les races (|ui hahitaient les différentes parties de l'Amérique lors de la <;on(jnéte espagnole; en les comparant avec lt!s races (jue les anciens auteurs ont nommées comme habitant l'Atlantide. Ainsi les Titanides correspondent aux Totonaques, lapetus aux Zapo- tèques, Atlas aux Aztlans, Mala aux Maïas, Typhaeus aux Tapys, indiens de l'Amérique du Sud, etc. Ces singularités géographiques, pour ne pas les qualifier plus sévèrement, ne sont (ju'un jeu d'esprit, et c'est décidément hors de l'Améritiuc (pi'il nous faut chercher l'emplacement de l'Atlantide.

Nous avons essayé plus haut d'établir que l'Atlantide se trou- vait jadis dans l'immense espace que déterminent les Açores, les Canaries, la mer des Sargasses elles Antilles. Nous n'avons

(1) Carte 82 de l'atlas de 1680.

(2) Editions de 1748 et 1702. Les Etats-Unis formaient la part de Gadciros et le Mexique celle d'Atlas, dont la capitale s'élevait sur l'emplacement de Mexico. Amphères avait pour lui le Venezuela et la Guyane. Le Pérou appartenait à Evemon, la Bolivie et le Paraguay à Mnésée, la Confédération Argentine à .Mestor. Plus modestes ou moins bien partagés, Azaes, Elasippcs et Diuprcpes se contentaient du Chili et de la Patagonic.

(3) Bl.\ckett, The lost history of America (Congrès de Copenhague, p. 139.

CHAPITRE IV. LKS GKECS KT LES ROMAINS.

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pas i\ revenir sur cette démonstration, (|ue nous nous sommes ciïorcé de rendre proltante On nous pardonnera d'avoir insisté sur ce problème historique, non seulement i\ cause de son importance, mais aussi parce qu'il se rattachait directement à notre sujet. 11 est certain que la croyance à l'Atlantide ne fut [)as sans avoir une grande influence sur la découverte de l'Amérique. Colomb y croyait. Tous ses contemporains y crurent également, et, dans l'antiquité, ce fut certainement la tradition que l'on conserva avec le plus de soin, et que l'on se transmit avec le plus d'exactitude de génération en génération. H était donc nécessaire d'en parler longuement et de prouver (îomment i\ travers les Ages, et par un travail inconscient de l'esprit humain, ces vagues notions se transformèrent peu à peu, et aboutirent aux merveilleuses découvertes maritimes du xV et du xvi" siècle.

La tradition de l'Atlantide n'est pas la seule que nous ait léguée l'antiquité relativement à l'existence d'un continent au- deliï des mers connues et dans la direction de l'ouest. Plutarque a conservé le souvenir du continent Cronien, et Elien celui de la Mérop'ide.

Le continent Cronien est mentionné dans le traité de Plu- tarque intitulé De fac'ie in orbe luniv (1). C'est un résumé dogmatique des opinions de l'antiquité sur notre satellite. Un certain Sylla raconte à Lamprias, frère de Plutarque, qu'il a rencontré <\ Carthage un étranger fort au courant de toutes les sciences. Cet étranger venait d'acquérir du renom en découvrant des parchemins sacrés qu'on avait transportés secrètement hors de l'ancienne ville, quand elle avait été détruite. Il arrivait d'une île mystérieuse située dans les profondeurs de l'Océan Atlan- tique. H y était resté trente années, remplissant les fonctions de prêtre de Saturne, et la décrivit en ces termes à Sylla : (2)

(t) Pliîtarque, De facie in orbe lunée (édition Didot), p. 1151-1153, § 29. (2) Traduction Bétolaud {Œuvres morales), t. IV, p. 119.

IIM l'KKMlKHK l'Ainii;. LKS l'Hl-XXHSEUHS UE OOLoMII.

« Rioii Ht; s'oppose à ce (jue je déhute à la fucoii d'Homère : Ogygie est une île éloignée eu lu mer, à ciu(| journées de navigation de la (iraude Bretagne et à l'ouest (1). Trois autres îles, à égales distances de cette île et entre elles, sont placées eu avant et tout îi fait vers le point le soleil se couche pendant Tété. Dans une de ces îles, suivant les traditions mythologiques <les IJarhares, Saturne fut emprisonné par Jupiter. Sous la surveillance de son fils, il résidait dans la plus reculée et au delà de la portion de mer qu'on appelle mer Saturnienne. Les barbares ajoutent {"2) que le grand continent qui entoure en cercle la grande mer, un peu moins éloignée des autres îles, est à environ cinq mille stades d'Ogygie, et que l'on ne peut y aborder (ju'avec des biUiments à rame. Les eaux en elfet ne permettent qu'une lente navigation, et sont rendues bourbeuses par la (juantité de vase ([u'y déposent de nombreux affluents venus de terre ferme. Il en résulte de tels atterrissenients que la mer en est épaissie : elle prend une sorte de consistance, à ce point (|u'on l'a cru glacée. La partie de ce continent qui longe la mer est occupé par des Grecs (3). Ils s'étendent sur un golfe qui n'a pas moins d'étendue que les Paludes Méotides, et dont l'embouchure répond précisément en ligne droite à celle de la mer Caspienne, Ils s'appellent et s'estiment des continen- taux, et ils donnent le nom d'insulaires (4) à ceux qui habitent notre sol, attendu qu'il est entouré parla mer de tous les côtés. D'après eux, aux peuples de Saturne se mêlèrent plus tard

(1) 'ÛY"Y'''1 v^'o;- ôpôjiov 7)[aepwv rMzt BpîtTav^aa ànfyouaa nXiovzi Tcpô; iar^pav. "Etspot Sa Tost; Vaov Èît£ivr,ç àçeaTwaa'. xat aXX*)Xti)v, -poxsîvTai ji-âXiara xatà ouîjjiàî f,X;ou Ospivà;.

(2) Tr,v 8$ |j.EYâXT,v fj-£ipov, 69 'rj; rj |j.sy*^i1 rspisysiat x'jxX«[) OoîXaTTa, -ffi 'Q^uy;'*; ~£pt r.iv:a. y.ta-/_iX''o'j; aiaôfo'j; y.(i>r.-/^^t'3'. ;:Xo''oi'3 y.o[t.iÇo[i.iv(o.

(3) T^ç ôà f,::s{pou 7:pô; tfj OaXàTTr; xaTOtxeîv 'EXXrJva; r,zp\ xo'X;iou oox ^attdvw T7); Maifôttooî.

W KaXs'iv Se xai vo[JLfÇciv exei'vouî, Ti::£ipwxaa (xàv iuiôuç, vr,(jialTa; Toù; TaÛTTjv tfjv Y^v xaTOtxoùvTaî.

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CHAPITRE IV. LES GRECS ET LES ROMAINS.

135

roux qui, venus avec Hercule, furent laissés dans cette contrée ; et l'élément grec, déjà éteint et dominé par l'influence de la lanjrue, des lois et du régime barbares, se trouva comme ranimé gr.ke à cette adjonction qui lui donna une nouvelle puissance et un nouveau dévelojipement. Voilà pourquoi chez eux les pre- miers honneurs sont pour Hercule et les seconds pour Saturne. Quand l'étoile de Saturne, par nous appelée Phémon, et par eux Nyctouros (gardien de la nuit), est arrivée au signe du Taureau, ce qui exige une révolution de trente ans, ils procèdent à un sacrifice préparé longtemps d'avance, On organise aussi une expédition maritime dans les conditions suivantes : Des habitants désignés par le sort montent chacun sur un nombre égal d'es<|uifs ; ils ont soigneusement ménagé tout ce qui est nécessaire pour un voyage à rame sur une mer aussi étendue, et pour un aussi long séjour en pays étranger. Une fois partis, nos navigateurs éprouvent, on le conçoit bien, des fortunes diverses. Ceux (jui ont échappé aux hasards de la mer com- mencent par aborder dans les îles opposées, habitent des (irecs. ils voient le soleil se dérouler moins d'une heure durant trente jours. C'est ce qui constitue la nuit. C'est une espèce de crépuscule léger, entre chien et loup comme on dit, et (|ui régne après le coucher du soleil. Ils restent durant ([uatre-vingt-dix jours, au milieu d'hommages, de soins affec- tueux, et estimés, proclamés personnages saints ; après quoi les vents les remportent de nouveau au delà de la mer. Nuls autres n'habitent leurs îles, à l'exception d'eux mômes et de ceux qui y furent envoyés avant eux. H leur est permis de retourner dans leur patrie, quand ils ont été voués treize ans au culte du Dieu ; mais ils préférèrent naturellement, pour la plupart, terminer leur séjour ; les uns par habitude, les autres parceque, sans travail et sans embarras, tout leur est fourni en abondance pour les sacrifices et les cérémonies du culte, ou bien en raison de ce qu'ils s'occupent toujours de certaines études savantes et (le philosophie.

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130 PREMIÈHE PAUTIR. LES PBÉCL'HSELRS DE COLOMH.

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Rien (II! plus merveilleux (|ue la nature de cette île. L'air y est d'une douceur charmante. Quel(|ues uns pensaient à la quitter. I^ Dieu les en empocha en venant se présenter i\ eux comme on ferait à des familiers et à des amis. . . Pour ce <|ui est de Saturne lui-même, il réside dans une grotte profonde. Il y est endormi sur un rocher étincelant comme de l'or, et c'est le sommeil que Jupiter a imaginé de lui donner pour lien. Des oiseaux qui ont établi leur demeure sur le haut d'un rocher viennent en voltigeant apporter au Dieu l'amliroisie. L'île entière est parfumée d'une odeur délicieuse qui s'exhale de ce rocher comme d'une source. ... ».

Strabon (^1) n'aimait pas le genre hAtard qui consiste i\ mêler, non par ignorance, mais comme simple ornement poéti(|ue, le mythe î\ l'histoire.. Ces mythes pourtant ne sont pas un simple divertissement de l'esprit. Ils tiennent k un système d'o|)inions antiques, dont certaines parties sont parvenues jusqu'à nous. La légende, conservée par Plutarque, est sans doute un de ces fragments. On pourrait, en effet, dans cette légende, distinguer deux parties : la première toute mythique et la seconde géogra- phique. Nous ferons bon marché de la partie mythique Elle se rattache vraisemblablement au culte mystérieux de Saturne, de cette vieille divinité toujours refoulée vers l'ouest et le nord- ouest, comme si les brouillards et les glaces de ces contrées avaient pu la faire disparaître. Le nom de mer de Saturne, en effet, ne s'appliqua-t-il pas d'abord à l'Adriatique (2), puis aux mers qui baignent l'Europe au nord-ouest (3) et enfin ù l'Océan septentrional (4) ? La seconde partie au contraire est plus réelle. Elle se rattache à la géographie des temps historiques et nous fait comme entrevoir les régions boréales, dont on soupçonnait

(1) Strabon, I, n, xi.

(2) Scholiaste d'Apollonius, l\, 321.

(3) Argonautiques, V, 1029. Denys le Peiuégète, V, 32.

(4) Plutarque, ut supra. Crbuzer, Symbolique (traduction Guigniaut), t. Il, p. 213, 215, 225.

c.iiAiMTnr: iv. les chkcs ft les homains.

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l\'\istcnr('. Kssayoïis de dégager te (|iril peut y avoir de vrui (lu tout «u moins do vraisciidilaldc dans ce rf^cit.

Dans la direction dt* rttucst- nord -ouest, et au-delà de la (îrande-liretagne, s'étendent donc un certain nomlire d'iles, dont la plus recnlé(> est éloifïuée de vingt jours de navigation. Il serait assez diriicile de jtréciser la situation de ces îles : remarquons néanmoins cpie de l'extrémité de l'Kcosse aux Féroi', des Féroi» à l'Islande et de l'Islande au Groenland, même avec les faibles moyens d(ï navigation dont disposaient les anciens et en tenant compte du peu de précision des renseigne- m(!nts de ce genre, on pouvait aller facih'meiit en vingt ou vingt-cinq jours de la firande-Hretagne au (Jroenland en passant par ces des intermédiaires. De plus, l'Kcosse, les Féroi', l'Islande et le (iroenland sont à peu prés à égale distance les unes des autres et toutes dans la direction indiquée de l'ouest-nord-ouest. Enfin on avait déjà ohservé dans ces parages les [iliénométies météorologi([ues, qu'on y étudie encore aujourd'hui. Ne sait-on pas en eiïet que, sous le cercle polaire, an solstice d'été, le soleil estprescpie toujours sur l'horizon? Le 2i juin, au moment de son coucher, il l'effleure, pour ainsi dire, sans disparaître entièrement, et remonte tout de suite après. Ijt^moine Dicuil. dans son naïf et grossier langage, disait que « cette nuit était assez claire pour qu'on put enlever les poux de sa chemise » (1).

Ainsi donc, au delà do la Grande-Bretagne, et dans une région le soleil, pendant prés d'un mois, est presque toujours au dessus de l'horizon, c'est-à-dire dans la région boréale, les Grecs auraient découvert quelques îles. Ils seraient même allés plus loin, et auraient abordé un grand continent, qui entourait l'Océan (2). Gin(| mille stades, environ deux c-ent cinquante

(1) Dicuil, De mensura orbis, § VIII, 2 : u Ita ut nihil teiicbrarum iti minimo ipso spatio fiât, sed quidquid liomo operari voliicrit, vel pcdiculos de cainisia abstrahere, tanquam in prœsentiam solis potcst »

(2) Ne serait-ce point les iles dont Pline parle en ces termes {Histoire natu- relle, IV, 15) : « Timaeus historiens a Britannia introrsns sex dierum navi-

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lus l'HKMIÈHK PAHTIE.

LES PRKCURSELIKS 1)E COLOMH.

lieues, séparaient ce continent de l'île Ofïygie. Les côtes, et surtout celles d'un golfe aussi grand que le Palus Méotides étaient liahitées |»ar des Grecs. On ne se servait dans ce pays que de hateaux h rames, car la navigation était lente et difficile, à cause de la grande quantité de vase déposée par les cours d'eau, ou bien en(;ore de la gl;ice qui embarrassait la surface des flots. Quel est ce continent entouré par l'Océan? Quel est ce golfe dont la navigation est si dangereuse? r<(>rtes nous ne nous chargerons pas de résoudre le prohième. Quelques géographes ont été plus affirmatifs. Horn se déclare en faveur du Groen- land (l). Ortelius se prononce pour l'Amérique {"l). On est même allé juscju'à prétendre que le golfe, aussi grand «jue le Palus Méotis, correspondait à la mer d'iludson ou au détroit de Baffin. Nous ne pouvons qu'enregistrer ces opinions, et constater qiie les Grecs croyaient à l'existence d'un continent au delà de ces îles boréales, dont la situation correspondrait en ed'et assez exactement à celle de l'Amérique.

Est-ce à dire qu'il faille prendre il la lettre les indications de Plularque? Assurément non. Dans cette description des îles et du continent Cronien, il a donné libre carrière à son imagination. Si, connue il le prétend, des Grecs étaient établis depuis des siècles sur les rivages de ce golfe, s'ils se considéraient comme habitants d'un continent, et traitaient leurs compatriotes d'insu- laires, si en un mot ils avaient conservé le souvenir de leur origine, ils ne se seraient pas abi\tardis au contact de leurs

{çalioiio abosse (licit iiisulam Mictim... ad eain Britannos navigiis vitilibus, coris circuiiisiitis, navigare. Sunt (jui et alias prodant, Scandiani, Durnnam, Bcrgos, inaxiiiianque omnium Ncrigcn, ex qua Tliulen navigetiir ».

(1) IIoun, De Originihus Amcricanis, p. l.")5 : << Gronlandiic nomcn eliani antiqiiissiinivS geugi'a|)liis notuin. Quid illud marc, quod supra Uubeas et Scaiidiam est, Cronium dixeruiit ab ci adjacente Cronia, sive Saturni insula, qiiain etiam Ogygiam vocarunt, ut ex Plutarchi libro de imaginibus in Luiia

put(!t ».

(2) Ohtei-ils, De orbe terrarum : « Ego quoque liujus (Amcric-e) nicn- lionem ficri a Plularcho, in l'acie de orbe luna;, sub nominc mp^ni continentis, pulo ».

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CIIAI'ITRE IV

LES CHECS ET LES ROMAINS.

139

v(»isius, ils n'iuiraioiit ouhli»'' ni leur langue, ni leurs usages; ils auraient en un mot hiissé des traces visibles et (lurahles de leur séjour. Peut-être le philosophe de Ghéronée a-t-il siini>lenient cherché à flatter l'amour-propre de ses vaniteux concitoyens ; mais, tout en faisant la part de la fantaisie, nous croyons (|ue le fond même du récit n'a pas été inventé. Les (irecs o.it réellement entendu parler d'îles et de continents situés au delà de IWtlantiqup, et dans la direction de l'ouest. Peut-être même (piel(iues-uns d'entre eux s'étaient-ils aventurés dans ces lointains parages, car il est telle circonstance du récit de Plutanjue (pi'il est difficile d'inventer, par exemple la permanence du soleil au dessus de l'horizon à certaines époques de l'année et la difficulté de la navigation dans ces mers. Or les mêmes phénomènes physiques se reproduisent encore aujourd'hui dans les mêmes contrées, et, si Plutarque dans son récit a précisément indiqué le seul endroit de notre hémisphère s'accomplit ce singulier phénomène, et une des rares mers la glace entrave la navigation, c'est sans doute (ju'il les connaissait, vaguement |)eut-étre, mais enfin d'une façon quelconque. Les ()rn«>ments lie style et les fantaisies mythiques tiennent, il est vrai, trop de place dans son récit, mais les inventions greccpies n'anéantissent pas la réalité du fond. Plutarque s'est fait couune l'interprète d'événements réels, «pi'il peut avoir arrangés à sa guise. Ayant entendu parler d'îles lointaines, de grandes terres découvertes dans un pays étranger, au delà de l'Atlanticpie, il trouva l'occasion excellente pour associer la vraise'nhiance géogra|)hi(pie aux mythes religieux. II lui fallait pour servir de résidence cachée à Saturne quelque Ogygie Homérique, quelque île lointaine dont tous soupçonneraient l'existence et personne ne connaîtrait la position précise. Cette île sera le pays d'où jadis, d'où peut-être hier, revenaient les marins dont il écoutait les récits merveilleux. Aussitôt il hrodera sur ce thème, en respectant autant (jue possihle la vraisemblance, et c'est ainsi que des brouillards de la fable ou des récits obscurs de quelque grec anonyme sortirent le continent Cronien et les îles qui l'avoisinaient.

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no PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCLRSELRS DE COLOMH.

La Môropide, dont Elien (1) Ji raconté l'histoire, n'a |tcut-(Hr('. pas plus existé que rAtlantide ou que le continent Cronien, ou du moins il est tout aussi difficile d'assigner une position exacte à ce nouveau continent qu'aux terres décrites par Platon et par Plutarque, mais le récit d'Elien, dont nous allons donner une rapide analyse, prouve, de même que les traditions conservées par le philosophe et l'historien grecs, la perpétuité de la croyance à l'existence d'une grande terre occidentale.

Silène, roi de Carie ou de Mélos suivant les uns, de Nysa en Afrique suivant les autres, joyeux compagnon et gai buveur, avait mis en pratique, plusieurs siècles avant Epicure, la philo- sophie du bonheur. Jupiter l'avait pourtant choisi comme pré- cepteur de son fds Hacchus, car Silène cachait sous une appa- rente bonhommie une science profonde, et, quand il discutait quelque question morale ou philosophique, on l'écoutait avec, respect et admiration. Seulement ce n'était pas chose aisée que de l'arracher à ses plaisirs habituels. H fallait user de ruse et de violence. Miaas, roi de Phrygie, le fameux Midas dont les longues oreilles ne sont peut-être qu'un symbole de son ardeur à l'étude, attira Silène à sa cour, et, usant du même subterfuge que le Chromis et le Mnasyle de Virgile, parvint à lui arracher quelques-uns de ses secrets. Dans un de ses savants entretiens, son hôte lui décrivit, en détail, un continent mystérieux, la Méropide, et ce sont les fragments de cette description, jadis écrite par Théopompe, qu'Elien nous a transmis.

L'Europe, l'Asie et l'Afrique sont des îles, autour desquelles circule l'Océan (2). En dehors de ce monde existe un continent unique, d'une immense étendue. 11 est peuplé de grands ani- maux. Les hommes qui l'habitent ont une stature double de la nôtre, et la durée de leur vie s'allonge dans la même proportion.

<1) Elien, Histoires variées, III, 3 (édition Didot, p. 329). (2) Id., id. « Tr]v (aIv Eùp(ûrtr,v x«i t^jv Au^av nal trjv Atj3uTJv vrjdou; EÎvai, a? 7:£ppipfeîv xyxX(i) tov 'Qxeavdv, i'tizzipov Sa eivai [/.o'vr^v Èxsivr^v tf|V

ÈÇw TO'JTO'J T03 XOa[AO'J, X. T. X ».

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CHAPITRE IV

LKS CHEC.S ET LES ROMAINS.

141

Ils (Hit beaucoup de {îi'iindes villes et sont régis par des nueurs et des usages tout à fait diflerents des nôtres. Silène rapportait (|ue deux de ces villes surtout étaient importantes. Elles ne se ressemblaient en rien. L'une se nommait la guerrière (Makkimos) et l'autre la pieuse (Eusebès). Les Eusebiens vivent toujours en paix. Ils ont de grandes ricbesses. Ils n'ont pas besoin pour récolter les productions de la terre de cbarrues et de bœufs ; ils n'ont riiabitude ni de cultiver leurs cliamps ni de les ense- mencer. Ils sont exempts de toute maladie, et passent de la vie à la mort le sourire sur les lèvres et le c(eur joyeux. Ils sont si vertueux, si ennemis de toute dis[)ute (|ue les Dieux eux-mêmes résident souvent parmi eux. Les Makkimiens, au contraire, sont très belliqueux. Ils naissent avec leurs armes, et sont toujours en guerre. Ils ont soumis à leur domination les peuples voisins. Cette seule cité est la maîtresse d'un nombre considé- rable de peuples. Près de deux cents myriades d'babitants vivent dans cette ville. Ils meurent quel([uef'ois de maladie, mais c'est un accident fort rare : c'est dans les combats surtout qu'ils périssent, à coups de massue ou de pierres, car ils ne peuvent être blessés par le fer. Ils possèdent une cpiantité ((insi- dérable d'or et d'argent, à tel point que l'or est cliez eux UKtins estimé que cbez nous le fer. Silène racontait que les Makkimiens avaient eu autrefois l'intention de conquérir nos îles. Us pas- sèrent l'Océan au nombre de mille myriades de soldats, et arri- vèrent jusque chez les llyperboréens; mais quand ils apprirent que nous regardions comme iieureux ces peuples, dont la vie s'écoulait obscure et sans gloire, "Is méprisèrent une telle con- quête et dédaignèrent d'aller plus loin.

La plus étonnante partie du récit de Silène était la suivante : « Des hommes appelés Meropes habitaient dans ce continent des îles nombreuses et peuplées. Cette région se terminait à une sorte d'abîme, appelé Anostos, ou sans retour. Il n'était ni téné- breux, ni lumineux, mais rem|)li d'une amosphère opa(|ue. sombre et rougeiUre. Dans la contrée coulaient deux fleuves,

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142 PREMIÈRE PARTIE.

LES PRECURSEURS DE COLOMB.

dont l'un s'appelait Volupté et l'autre Jrislesse. Ils étaient l'un et l'autre hordes d'arbres qui ressemblaient à de grands j>latanes. Les fruits qui poussaient sur les arbres du fleuve 7'risU;ssi; avaient une singulière propriété : celui qui les goûtait fondait en larmes, passait le reste de sa vie dans les pleurs, et finissait par mourir de chagrin. Les fruits cueillis sur les rives du fleuve Volupté produisaient un elîet tout contraire. Celui qui en goûtait perdait le désir de ce qu'il avait le plus recherché. Il oubliait ce qu'il avait le plus chéri, et, rajeunissant graduel- lement, repassait tour à tour de la vieillesse à l'Age viril, à lu jeunesse, à l'adolescence et au premier Age, jusqu'à ce (ju'eniin il retournât au néant ».

Elien n'accordait aucune confiance à Théopompe. Il le consi- dérait comme un simple mytliologue et non comme un historien, u Si quelqu'un trouve vraisemblable le récit de l'écrivain de Chio, dit-il (1), libre à lui. Pour moi, sur ce point comme dans ses autres ouvrages, c'est un insigne arrangeur de fables ». Pas plus (ju'Elien, nous ne croyons aux fleuves merveilleux, aux arbres étranges et à l'abîme sans issue de la Méropide. Nous n'admettons pas davantage l'existence des Eusebiens et des Makkimiens. Le récit de Théopompe est sans doute un roman sentimental. Il a voulu, comme Morus ou Cabet, décrire les merveilles d'une terre idéale, ou bien encore, comme Swift, faire la satire de ses contemporains: mais, ainsi qu'il arrivt; fréquemment dans les ouvrages de fiction, cette histoire, dont les héros portent des noms de fantaisie, et dont l'action se passe dans un pays imaginaire, n'en est pas moins réelle par quelque point. N'a-t-on pas retrouvé dans le grand Cyrus de M"" de Scudéry un récit détaillé et fort exact de la bataille de Itocroy ? Il en est peut-être de même de la Méropide de Théo- pompe. C'est une allégorie, mais, malgré les ornements ridicules

[\) EuEN, ut siipm Kai Tajta il Tto r.h-o; ô Xto; Aî'ywv r.zr.ii-CfJiOM.

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CHAPITRE IV. LES GRECS ET LES ROM;* INS.

143

et les fabuleux récits qui la déparent, elle repose probablement sur quelque fait autbentique. On peut, par conséquent, sous les voiles qui la recouvrent, trouver un fond de réalité.

Quelle est cette vérité ? Nous ne prétendons pas, avec Lefebvre de Villebrune, le traducteur de Garli, que le passage d'Elien nous transporte au Pérou ou au Mexi(|ue, surtout si, au lieu de Makkimoi, on lisait Makkikoi (1) ; nous ne croyons pas non plus avec Perizonius(2), un des plus savants commentateurs d'Elien, que les anciens avaient eu quelque vague connaissance de l'Amérique : on peut néanmoins affirmer que l'auteur de ce fragment s'est emparé d'une vieille tradition, et l'a transformée en allégorie, en satire ou en roman. L'indication de cette contrée occidentale, la singulière conformité que l'on a pu constater entre les Atlantes et les Makkimiens, qui eux aussi se dirigent de l'ouest à l'est pour conquérir le monde, toutes ces coïncidences ou plutôt toutes ces analogies nous démontrent que les anciens n'ont jamais cessé de croire à l'existence de vastes continents au-delà des mers.

Atlantide, continent Gronien et Méropide, tels sont donc les trois noms aiitour desquels on a b.'iti d'audacieuses théories, mais qui du moins affirment la perpétuité des traditions rela- tives à l'existence d'un grand continent occidental.

Avec le progrès des temps peu à peu les notions se préci- sent. Aux vagues traditions succèdent les conjectures, dont (juelques-unes seront marquées d'un caractère scietitilicpie, et rrayeront la voie aux prochaines découvertes.

11. Les Théories.

Parmi ces conjectures, il en est une très familière à l'antiquité,

(Il Cahli, Lettres Américaini's, t. II, p. il.

(2) EuKN, édition Pcrizonius (1101), p. 217 : N'on diibito quin vetcrcs aliquid scivcrint, quasi per umbraut et caligiiicm, de America ».

iH F'HEMIÈRE PARTIE.

LES PRECURSEURS DE COLOMH.

et qui exerça une grande influence sur l'esprit des voyageurs et des géographes. Colouih l'invoquait encore cpiand il cherchait à faire approuver ses projets. Elle est relative à l'existenccî d'un continent au-delà de l'Atlantique, d'une terre opposée à la nôtre, ou, pour employer l'expression consacrée, d'une antichtone.

Ainsi que le remarque Humholdt (1), « l'idée de l'existence prohahie de quelque autre masse de terre, séparée de celle que nous hahitous par une vaste étendue de mer, devait se présen- ter dés les temps les plus reculés. H paraît si naturel à l'homme de rêver à quelque chose au-delà de l'horizon océanique, que, même à l'époque la terre était considérée comme une sur- face plane ou légèrement concave, on pouvait croire qu'au-delà de la ceinture de l'Océan homérique il y avait quelque hahita- tion des hommes, une autre oîzojasvr,, le lokaloka des mvthes indiens ». Sans doute divers préjugés empêchèrent longtemps les anciens de croire qu'ils pouvaient directement connaître ces terres mystérieuses, mais ils en eurent toujours comme le pres- sentiment. Les plus grands esprits sont unanimes sur ce point. Un passage ohscur d'Anaxagore, conservé par Simplicius (2), est relatif à un autre monde, non pas imaginaire, ni perçu uni- quement par l'intelligence, mais réel et tomhant sous les sens. Pythagore (3) croyait aux antipodes, et son disciple Philo- lalis (4) supposait que la terre et son antichtone se mouvaient parallèlement dans un orhite commun autour du soleil. Platon (5) et Aristote (G) étaient persuadés de l'existence des antipodes ;

(1) HuMBOi.DT, Histoire de In géographie du nouveau continent, t. I, p. 110 (■2) Si.Mi'UflL's, édition Scliaubacli, p. 89, 93. 110. yf:i

(3) DiofiKXE Laerce, VII, ii6. Etvat ôà xai àvit-ôSa; xai ta f,[xîv zâro) îy.îi'vcp'.; avw.

(4) Philolaus, édition Uocckh, p. 115-117.

(5) DioGÈ.NE L.vEKct:, III, 24 : Kal ;:pôjTo; sv 9'.Xoao9;a àvT'.-ooa; (ôvo'jjia'jî.

(6) AiuSTOTE, De cœlo. II. 14 : 'llTr,; y?;; av siV, -coiyeps'.a toù o/^[jiaTo: a'.Ti'a ayaipciEtor-jî oùaa. 'Hti 5i O'.â ttJ; twv àirptôv çavtaiia; [xovov oavspôv OTi r.cpi^pzQT];, àXXà xat zo ;j.c'yeOo; où/ oùia [JLîyâXr, . . . 'Eviot yàp •*v ÀipTZTw [jLEv aiTsps; ôpûvTat y.al -spt KÛTTpov, kv toÎ; -poa «pxTOv •/topioiç oy/ ôpàivTat.

MACROBII IN SOMNIUM SCIPIONIS EXPOSITiO,

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(1) CiCÉBON,

'< Vides hiibitar iibi habitatur, ^ modo interrupt sud partiin obli gloriam certe ii illc est, in quo geniis ; liic aul vos pai'te contii ribus, latcribus Atlantic'um, qii Iniito iioininc q

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CIIAI'IÏHE IV.

LKS (ÎHKCS KT LKS ROMAINS.

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<•(' dernier |intuv;iit la sphéricifé de lu terre parce fait que, dans une éclipse de lune, l'ombre de la terre se montrait circulaire sur le dis(|ue lunaire, et aussi parce que, quand on voyageait vers le sud, on découvrait de nouvelles étoiles. Or, si la terre est spliéri(pie, ajoutait-il, faut-il supposer (juc l'autre partie de la sphère est uni([uement rouverte d'eau, ou hien, plutôt, <|u'il s'y trouve d'autres terres dont le climat vaut le nùtn;, d'autres masses continentales dans lescjuelles se répètent les mêmes |»hc jmènes climatériques que chez nous ? Cicéron ( I ) n'hésitait pas à se prononcer en faveur de la seconde hypothèse. Il com- prenait, avec l'instinct du génie, quelle était la vraie forme de la terre, et il avait, par une merveilleuse intuition et dans un magnilique langage, prouvé la nécessité des anti|»odes et la con- tinuité de l'Océan autour de notre continent : « Tu vois sur la terre les habitations des hommes disséminées, rares, et n'occu- pant qu'un étroit espace ; tu vois même entre ces petites taches (jui forment les points habités de vastes déserts interposés ; tu vois enfin ces peuples divers tellement séparés que rien ne [leut se transmettre de l'un à l'autre ; tu les vois jetés et là, sous d'autres latitudes dans un autre hémisphère, trop éloignés de vous pour que vous puissiez attendre d'eux aucune gloire », et plus loin : « Deux zones sont habitables, la zone australe dont les peuples sont vos antipodes, race étrangère à la vôtre ; enfin cette zone septentrionale que vous habitez, et encon^ dans quelle

(1) CtcÉRON, République, liv. VI, 12, 13, traduction Villomaiii, p. 382 : << Vides habitari iii terra raris et angiistis in locis ; et in i|)s> iiiasi niacnlis, ntii habitatur, vastas solitudines intcrjectas ; uusquu, qui inc( t terrani, non modo intcrruptos ita esse, ut nihil inter ipsos ab aliis ad alios nianare possit sud partiin obliques, partiin ctiani adversos stare vobis : a (juibns exspectarc i;loriaui corte nullain potestis ». « Duo sunt habitabiies, ((uonnn australi» ille est, in que qui insistunt, adversa vobis urgent vestigia, nihil ad vestinni j,'(!nus ; hic autein alter subjeclus aquiloni, qucni intolilis, cerne quani tenui vos pai'te contingat. Oirniis enini terra, ([ua* colitnr a vobis. angnsla vcrli- cibus, lateribus latior, parva quaidain insula est, circunifusa illo mari, quod Allanlicuni, quod Magnum, quod Occanuni ai»pella(is in terris ; ijui tanien linito noinine quain sit parvus vides ».

T. I. 10

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140 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS I»E COLOMH.

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faible proportion vous apparticiit-cllo ? Toute cette partie de la terre occupée par vous, resserrée vers les p(Mes, plus l.irfre vers le centre, n'est (ju'une île de toutes parts baignée par une mer qui s'appelle l'Atlantique, la Grande Mer, l'Océan, ronuiie vous dites sur la terre, et pourtant, avec tous ces grands noms, tu sais quelle est sa petitesse ». Macrobe (1), le commentateur de Cicéron, reprenait cette théorie en ramplifiant. Il divisait l(> globe en quatre masses continentales, deux pour l'hémisphère boréal, deux pour riiéniisphérc austral, de telle sorte qu'un navigateur, en allant de l'est à l'ouest, devait forcément rencon- trer sur sa route le continent des antipodes qui n'avait pas encore été découvert à cause des chaleurs de la zone torride.

Il (>xise donc, d'après Cicéron, deux continents habitables, et d'après Macrobe quatre. Ces continents il est vrai n'ont pas encore été reconnus, mais, forcément, on les découvrira, lorscpron aura réussi à surmonter les obstacles de la zone torride. Telle était la théorie courante. Elle a été généralement adoptée par les géographes de l'antiquité. C'est ainsi que Strabon {"2) se prononce en faveur de l'antichtone. » Qu'appe- lons-nous en effet terre habitée? Uni(piement cette portion de terre que nous habitons, et qu'à ce titre nous connaissons. Or il peut se faire que, dans la même zone tempérée, il y ait deu\ terres habitées, plus même, surtout à proximité de ce parallèle qui, passant par Athènes, coupe toute la mer Atlantique ». Poin[)onius Mêla (II), adopte également cette théorie. « Y a-t-il

(1) Macmobe, Commentaire du sonf;e de Scipioji, II, 9 : « Ab ortetito voro duos siiitis rcrtiridit, iiiuiin ad cxlrcmitatcin sepluiitrionis, ad australis altcruin riirsiisiiut; al» occiderile duo pariter ciiasciiiilur sinus, (^inuciii terrain quadi'i- tidaiii dividiiiit, ol siiii^ulas, ut supra dixinuis, haltitalioiius insulas faciuiil. Naiu iuter nos et australes lioniiucs ineaiis ille por calulaiu zonani, lolanKim; eiugeiis, et rursus utriusrpie regiouis exlreuia liuibus suis ambieus, biuas in superiore atque inl'eriore terraî superficie insulas facit ».

(2) Strabox, 1, i, (). KotXoj;j.£v Y«? 'jîwj,u.:'vr,v '.yj ot/.ou|X£V xai YV'op:Ço[A£v. 'EvOc'ysra'. Si sv xf^ aj:?) zy/.pi-:'!) Çfovrj y.x\ oj'i otxojas'va; S'.va-. r, /.al -Àei'ou;

(3) PoMPONiL's Mbla, De situ orhi^, I, 9 : « Quod si est alter orbis,

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Cf. /o. '■"■•■V. His\ *"'f,'', cir slare, et mic iiied """ l'atio

(3) /d.,

C.IIAIMTHK IV. LKS CHKCS KT LKS KOMAINS.

147

nti autre muiule, ('crit-il, et, dans la directujii du midi, des coiiliut'iits ((pposés au nôtre, œ système ne me seudiie pas éloifiiiè de la vérité (1) ».

On nous pardonnera d'avoir cité, malgré la monotonie de cette énumérati(»n, tous ees passages empruntés aux philosuplies et aux savants de l'antiquité. Ne démontrent-ils |.as en eiïet que les anciens avaient ridé(! hien arrêtée d'une aiititiitone ou continent opposé? Or, et c'est ici que nous rentrons dans notre sujet, c'est surtout dans la direction de l'ouest qu'ils ont cherché à découvrir cette antichtone. Il est vrai que la description qu'ils en donnent mantpie de précision, et que poètes ou philosophes ont ouvert, à propos de ces mystérieuses contrées, lihre carrière à leur imagination, mais ils les ont toujours cherchées du côté le soleil se couche. N'est-ce point au-delà de l'Atlantique qu'Homère a placé ses Champs-Elysées (â), « ce pays l'on ne connaît ni les tempêtes, ni l'hiver, murmure toujours un doux zéphyre, et les élus de Jupiter, arrachés au sort commun des mortels, goûtent iMie éternelle félicité? » C'est encore au-delà de l'Occident (|uil nous faudra chercher le pays des Gimmériens (3) « ce peuple

stmlquc opposili nobis a nieridie antichtoiies, ne illud quidei.i a vlto nimiiim abscesserit. »

(1) Ce ne sont point les seuls témoignages qu'or? puisse alléguer en faveur do la croyance des anciens à la sphéricité de la terre. Voir Manilius Astro- nomica, I, 373-377.

Quod si plana foret tcllus, seinel orta per omnem

Deliceres. pariter toti miserabilis orbi.

Sed quia per tercteni deducta est terra tiniorcni,

His modo, post illis apparet Délia terris,

Exoriens simul atque cadens. Cf. Id., II, 220-224. Virgile, Georgigues, I, 247-251. Pi.ixk i.'an- <:iK.N. Histoire iiuturelle, II, 65 : « Ingens hic pugna litlerarum, con(ra.|ne vulgi, circumfundi (errœ nudique homiiies, conversisque inter se pedibus slare, et cunctis similem es.>s cœli vcrticem, ac simili modo ex quacunique l'iiile nicdiani calcari ; illo quœrcnte cur non décidant contra siti : tanquain non ratio presto sit, ut nos non decidere mirentur illi. »

(2) Homère, Odyssée, VI, 41, 542.

(3) lu., XI, 14-li).

HH l'IlKMIKHK l'AHTIK. LKS l'URCIÎHSKI'MS l)K COLOMB.

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inulliouriMix (|ui, tuiijours ciiviroiiiii! d'ôimisses tt'nôliros, no jttuit jiiriiais des niyoïH du soloil, ni (|UHtid rct astre itimitc aux lii'ux, ni (|uand il dcscciid sur la tcrn' •>. A !'( )(>(-id(>nt ciicuro les iiicrvcillfs du palais d'Alcinoiis et les jardins cncliautt's fie ScJM'ria (l), ainsi (juc la ((mtrt'M' cliarmanlt' dont parlf Hésiode {'!) : «Jupiter Saturnien leur pei-niet de vivre et d'habiter à l'écart des liuinniis et il les établit aux extrémités de lu terre, loin des inunortels, sous le sceptre de Saturne. (îes héros fortunés jouissent de la quiétude, au milieu de l'Océan tempé- tueux, dans les iU's des iiienheureux, la fertilité (hi sol fait fUîurir trois fois chaque année l'arbre aux fruits suaves ». La contrée tnystéri(Mise <tù l'auteur du Prométhée enchaîné place ses (îorjidues (IJi, la terre bénie du ciel (jue Pindare assigne c(jnmie séjour à ses héros ^i) sont aussi dans la direction de l'ouest. (Jue dire de cette étrange contrée dont parle Lucien dans son I/istoiri' \'i'ri table (.'i), et que décrivait sans dout(! .Vntonin Diogène, dans un ouvrai^e aujourd'hui |)erdu, intitulé: Des choses hicroi/afjles qu'an vi>il (in-deli'i de l'Océan (G) ;' C'est parce (jue le héros de ce roman voudra connaître la limite de l'Océan et les h<»mmes qui en habitent le bord opposé (jue, suivi de cin(|uante j(Uines }iens de son àf,'e, il se lancera dans l'.Vtlan- tique (7). Ce ne sont pus seulement les poètes et les rouianciers, mais

11) IloMÉKR, Odyssée, lu., IV, 507. - VII, 188 Cf. Wei.kkh, Die Ilome- rise)ien Phocakcn unit die Insdn dtr Seliijer . Vinkt, Les Paradis pro- fanes (Ik'vuc de Paris, 18.'.'.

(2) IlÉsioDK, Travaux et Jours, 16T-173. Cf. Id., Tliéoijonie, V, 274- 27(5.

(3) Escuvi.i;, Prométhée enchainé. Conseilla lo.

(4) Pindahe, Olympiques, II, fragments des Thrcnes.

(5) Li'ciKN, Histoire rérital)le, traduction Talbot, I, 340-117.

(0"; POBi'HYKE, Vie de P/jl/iar/ore (édit. Didot), p. 81)i. A'.oyi'voj; o ' ;•/ -v.;

(7) Lucien, ouv. cité. Ka'i to [JouA-ila-. aaO^îv -.î -j -ï'm; ia:-. toj Q/.Eavoj ■/.x\ T''v3; o! -fpav x.aTOi/'.oCîvTs; «vOpwnoi.

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CIIAriTIlK IV. LKS «HKCS KT I.KS lUtMAINS.

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les Hiivaiits «TX-nu^ines qui cnticiit ù rcxistencc (!«' ferres éloi- gnées dans la diructimi de l'ouest. Aristote sait (|u"il existe d«'s îles dans- rAtIanti(|ue (1), les unes plus faraudes, les autres plus petites (pie notre continent, mais il n'en connait ni le nombre, ni la position exacte et assure (pi'il ne les a pas visitées. Kratostliène {"!), plus at'lirmatil', nientioiuie dans cette direction ime ou plusieurs des au-delà de celles cpi'on y avait déjà recon- nues. Kn eflet, le savant bibliothécaire d'AUixandrie, qui recevait de tous côtés tant de documents divers, eut sans doute entre les mains (pielipie relation aujourd'hui [((îrdue. Sa hardiesse lui valut les critiques de Strabon, (|ui ne trouvait nulle part les îles signalées par son |)rédécesseur, mais croyait pourtant «prelles pouvaient exister. Il citait même à l'appui i\c ce système la curieuse opinion de (Iratès de Malle, qui affirmait l'existence d'un continent au-delà de l'Atlantirpu" et prétendait cpu», sur ses côtes, devaient se trouver d'autres Ethiopiens. « Il s'appuyait (3) sur ce que ce nom d'Kthiopiens désigne pour nous toutes les populations méridionales répandues le long de l'Océan, et qui semblent former la bordure extrême de la terre habitée ; il conclut que, par analogie, on doit concevoir au-delà de l'Océan l'existence d'autres Ethiopiens occupant, par rapport aux diffé- rents peuples de cette seconde zone tempérée, et sur les bords dudit Océan, la même situation extrême. » Pline, Mêla, tous les géographes latins ou byzantins sont du même avis, et c'est

(1) Aristote, De mundo, 111 (édil. Didot), t. lll, p. 629 : » IloXXà;

v.at àXXa; v/jao'jç £txôî tî^îSe àvTirôpOiJLOu; à;:oO£v x-îaOai, Ta; iji:v [jif/'î^oy; aÙT^î, Tàç 3'eXixTTOuç, fjjjiîv 3s -âaa; ttXïjv ttjîSe aopâiou;. »

(2) Strabon, 1, m, 2. « Wzni'z-.fjy.z 3à/.a\ rep\ twv 'e'Çoj 'Hpa/XEÙov atTjX'îiv roXXot; (luOtiiScai , KepVTiV te v^aov xat «XXou: totcou; ovoiaaî^ojv Toù; [Ar,Sa(iou vuvi 8eixv'j|ji^vou;. »

(3) Strabon, I, H, 14. << "QaTzep oùv ot i:àp f,[xîv 'AiOiottsî oûtoi Xs^oviai o't ;:pôs jjiear,[A[îiav y.ey.Xt'ixevot Tzxp' oXtjv Tf,v o!xou(i.£vr,v 'éay^axot tûv aXXo)v napoixoùvTeî Tov 'QxEavôv, ouTta; oiExai Seîv xa\ TiEpav toù ' ÛXEavoy voiEioOai Tiva; 'AtO'ona; £(j/_(xto'jî twv àXXwv '.oiv Èv tt) k^pa syxpotTto, rapoixoSvTe; TÔv aùtôv toOtov «ôxeavov. »

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150 l'RKMlKRK l'ARTIK.

LKS rKKCUHSKURS DE COLOMR.

toujours du côté de l'ouest qu'ils cherchent les îles et les terres nouvelles, dont ils affirment l'existence.

L'hésitation n'est donc pas possiMe. Sauf de rares exceptions, l'antiquité tout entière a cru h l'existence d'une ou de plusieurs antichtones et elles les a (cherchées dans la direction de l'ouest et au-delà de l'Atlantique. 11 est vrai que rien n'est précis dans ces indications, et que ces ilos ou ces continents, dont on parlait sur la foi des poètes ou des philosophes, personne ne les avait visités. Bien plus, on regardait comme inutiles tous les voyages qu'on entreprendrait dans cette direction : « Au-delà d'Ierné (c'est-à-dire l'Irlande) se trouvent peut-être d'autres îles, mais il n'y a pas grand intérêt à les chercher, écrit Strahon (1), car les hypothèses suffisent à la science... Ajoutons qu'au point de vue politique, il n'y aurait également aucun avantage à connaître ces contrées lointaines avec leurs hahitants, surtout si ce sont des îles qui, faute de comnmnication facile, ne peuvent rien pour nous, soit en bien, soit en mal ». Nous reconnaîtrons encore que ces contrées transatlantiques ont été choisies par les romanciers d'alors, par Lucien et par Antonin Diogéne par exemple, dont nous citions tout à l'heure les œuvres, comme le théâtre des exploits de leurs héros imaginaires ; nous avouerons enfin que les descriptions les plus étranges se sont mêlées à cette idée vraie et que l'antichtone ou le pays des antipodes sont devenus le séjour des peuples extraordinaires, Astomes, Acéphales, Tétrapodes, Monocolcs, Sciapodes, et des animaux fantastiques, dont les bestiaires du moyen âge ont précieusement conservé le souvenir (2). Mais, de nos jo'irs, les notions les plus étranges prennent encore naissance avec une merveilleuse facilité. Ainsi sait-on pourquoi les progrès des Espagnols aux Philippines furent si rapides ? C'est que les indigènes, en

(1) Strahon, II, v, 8. « To S'sxelOsv ètcI xrjv 'I^pvrjv où-Ahi Yv<i5pi[j.ov, Ko'aov fiv Tt; Osir,, oùS ', v. jîEpaiTEpo) ett o'r/.rJat;j.a èiTiv, où8È Set cppovttÇstv Toî; Ir.aw) ÀsyOEÎat. Ilpdî te yap £7:taTr([ir,v àpxeî i:ô Xapstv. »

(2) Bergeh de Xivbey, traditions tératologiques .

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CllAPITRK IV. LES GRECS ET LES HOMALNS.

131

voyant les Espagnols se nourrir de biscuits de mer, fumer du tabac et porter une longue épée, les prirent pour des monstres redoutables qui mangeaient des pierres, vomissaient du feu et avaient une queue pointue (1). A plus forte raison devait-on, i\ une époque d'ignorance générale et de crédulité universelle, forger les contes les plus incroyables sur ces pays que, d'ailleurs, on ue connaissait pas.

Donc, tout en faisant la part des préjugés et des superstitions, de l'indifférence et de l'ignorance, des erreurs et des confusions, il n'en reste pas moins établi que la croyance à l'existence de continents opposés au nôtre était, bien que vague encore, universellement répandue.

Un grand philosophe, Sénéque, s'est fait comme l'interprète de cette croyance quand il a prédit, en termes si clairs, qu'on y a vu comme l'annonce certaine d'événements contemporains, la découverte du Nouveau-Monde. Voici cette prophétie, fort re- marquée par Colomb, et citée après lui par Pierre Martyr, Oviedo, Herrera, et plusieurs des historiens de l'Amérique : « Un temps viendra dans la suite des siècles l'Océan brisera les liens dont il enserre le monde ; à tous s'ouvrira le grand continent ; Typhis découvrira de nouvelles régions, et Thulô ne sera plus la terre la plus reculée » .

Venient annis sœcula seris, Quibus Oceanus vincula reruni Laxet, et ingens pateat tellus, Typhisque novos delegat orbes, Nec sit terris ultima Thule (2).

Faudrait-il ne voir dans cette prophétie que l'expression poé- tique de la théorie des hémisphères inconnus (3) ? Il y a pourtant dans ces vers un tel cachet de précision ; ils annoncent

(1) Ameiliiox, Histoire du commerce et de la navigation des Egyptiens sous le règne de Ptolémée, p. 92.

(2) Séneque, Jtferf^e, II, 371.

(3) ViviEA ^K Saint-Martin, Année géographique, i867, p. 296.

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152 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMH.

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si bien \er, futures découvertes, qu'on est plutôt tenté de croire, avec Leibniz, que Sénèque a réellement annoncé la décou- verte de l'Amérique (1). L'enflure même et la majesté du style contribuent ii donner à ce morceau une couleur prophétique, dont aurait été dénuée une simple hypothèse géographique. Ortelius (2), rappelant que Sénèque était Espagnol, pensait que, de préférence ù tout autre, il pouvait ainsi pressentir et annonc(!r le nouveau continent; mais n'est-il pas plutôt vrai que l'idée de cette découverte flottait alors confusément dans les esprits ?^ On s'occupait beaucoup de lointains voyages. Les centurions de Néron tâchaient de découvrir les sources du Nil (3). L'intérieur de l'xVfriquc s'ouvrait aux ardentes investigations du Cornélius Balbus (4) et le roi Juba, dépouillant les rares ouvrages (Cartha- ginois qui avaient été épargnés, écrivait ses commentaires sur l'Afrique. La carte de l'Empire, dressée par ordre d'Agrippa, avait besoin de nombreuses corrections (5), depuis ([ue les légions, dans leurs courses victorieuses, avaient parcouru la Germanie et la Grande-Bretagne (0). Est-il besoin de supposer, comme le fit Gronovius, un '^es commentateurs de Sénéque, que ce dernier avait beaucoup voyagé et était devenu un des plus savants géographes de son temps ? Mais, à certaines époques, tout le monde s'occupe de voyage. Ainsi, quand Henri de Viseu s'établissait à Sagres et lançait à la découverte ses hardis pilotes, l'Europe entière s'intéressait à leurs travaux. Quand eurent lieu les grandes découvertes maritimes du xvi" siècle, lors(jue deux

(1) Leibniz, édition de Genève, 1768, t. VI, p. CiT : « Sénèque, dans le Médée, a prédit la découverte de l'Amérique » .

(2) OnTELlus, Theatrum rmindi.

(3) Sénèque, Questions naturelles, VI, 8, 3 : « Ego quidcm centuriones duos, quos Nero Cacsar, ut aliarum virtutum, ita veritatis aniantissimiis, ad investigandum Nili caput miserat, audivi narrantes ». Cf. Pi.ine, Histoire naturelle, VI, 29.

(4) Pline, Id., V, 5. Beruoux, Les Ancietmes explorations et les anciennes découvertes de l'Afrique centrale (Revue do géographie, V, 7)

(5) Ahhien Marcellin, XXII, 12.

(6) Pline, Histoire naturelle^ HI, 3.

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CUA PITRE IV,

LES CHEC.S ET LES HUMAINS.

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cents ans plus tard Gook et Boufïainvillo appelèrent l'attention surTOcéanie, lorscpie de nos jours toute une légion d'intrépides découvreurs s'abattit en (pielque sorte sur l'Afrique et en prit possession au nom des droits supérieurs de la civilisation, une véritable fièvre de curiosité s'empara de tous les esprits. De même, au premier siècle de l'ère chrétienne, quand les Romains, maîtres de l'univers connu, se hasardèrent dans les pays inexplorés , prédomina un semblable désir d'augmenter les connaissances géographiques. Sénèque , par sa fortune, sa réputation, sa position auprès de l'Empereur, était, plus que personne, à même d'ôtre un des premiers et des mieux ren- seignés. De plus, il était ini des savants les plus érudits de son temps. Les vieilles traditions Phéniciennes et Grecques se con- fondirent dans son esprit avec les données nouvelles, et c'est ainsi (|ue, mêlant les formules inexactes de la science antique aux tâtonnements encore obscurs des récentes découvertes, il composa sa fameuse prédiction.

Le grand bruit qui se fit autour de cette prédiction, dès que les faits en eurent constaté la réalité, engagea un Portugais, un certain Jacobo Navarcho, à commettre une supercherie archéo- logique, dont Ortelius a conservé le souvenir (1). En 1500, il fit graver sur un marbre de méchants vers latins, auxquels il affecta de donner une forme archaïque, et un sens énigmatique ; puis, quelques années plus tard, en 1508, supposant le marbre suffisamment détérioré, il feignit de le découvrir et le montra i\ des curieux enthousiastes comme une inscription sibylline. Si- bylline était-elle, en effet, pour la difficulté de l'interprétation : u Les rochers auront roulé sur cette inscription et ces caractères réguliers, lorsque tu verras. Occident, les richesses de l'Orient. Le Gange, l'Indus, le Tigre, vraiment ce spectacle sera mer- veilleux, échangeront entre eux leurs productions ».

(1) Ortéul'S, The'ttrum orhis terravum, pi. 2. L\ Poi'ELM.mére (Histoire des Trois Mondes, I, § 5, p. 13) croyait encore, quand il écrivait son ouvrage, en 1532, à la réalité de cette inscription.

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154 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.

Volventur saxa litteris e'. ordine rectis, Quuni videas, Occidons, Orientis opes. Gange?, Indus, Tigris, erit niirabile visu, Merces commutabit suas uterque sibi.

Ce jargon emphatique éveilla les soupçons d'un savant jurisconsulte. César Orlando, qui n'eut pas de peine à découvrir la fraude, et, dès lors, fut oubliée la prétendue prophétie.

Aussi bien la prophétie de Sénéque pouvait induire un anti- <juaire peu scrupuleux à la tentation d'en fabriquer une semblable, puisque, le 4 juillet 1860, le congrès des États- Unis de Colombie, réunis à Bogota (1), en déclarant qu'il acceptait le don fait par le général président Mosquera d'une statue de Christophe Colomb, a décidé ([uc cette statue serait érigée à Colon dans l'isthme de Panama, et (jue le piédestal porterait sur une de ses faces la prédiction de Sénèque (2). 11 était difficile à la fois de rendre un plus bel hommage à celui qui retrouva l'Amérique , et de mieux reconnaître la profonde impression laissée par les vers du tragique latin?

Les Grecs et les Romains n'ont pas cru seulement à l'existence d'un continent opposé, d'une antichtone, au delà de l'Atlantique. Ils ont essayé d'en trouver le chemin sinon directement, au moins par leurs hypothèses scientifiques. Une de ces hypothèses est remarquaide par son caractère d'absolue précision, et c'est en la faisant passer de la théorie dans la pratique que Colomb a trouvé l'Amérique.

Les anciens croyaient en effet à la possibilité d'une commu- nication entre l'Atlantique et la mer des Indes. Homère (3) parle

(1) Vivien de Saixt-Martin, Année géographique, 1867, p. 295.

(2) Celte statue existe. Elle a été donnée par l'impératrice Eugénie au général Mosquera, parent éloigné de la famille Montijo : « Colomb, droit et fier, protège de la main droite une toute petite femme, nue, craintive et courbée, mais fort jolie, si jolie qu'elle rappelle plutôt une charmante pari- sienne costumée en source, qu'une indienne trapue, lourde, aux traits écrases ». A. Rkci.us, Tour du Monde, 1880.

(3) HoMKRE, Iliade, Vil. 422. VIH, 485.

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CHAPITRE IV.

LES C.RECS LES ROMAINS.

ù plusieurs reprises de rOçéan qui entour la terre, et dont les flots facilitent les relations entre les peuples les plus «'«loignés. Cette id(^e, soutenue et reprise par d'autres poètes (1), est confirinée par le témoignage d'Hérodote (2). « Toute lu mer que parcourent les Hellènes, dit-il, et celle (jui est hors des colonnes d'Hercule, à laquelle on donne le nom d'Atlantique, et la mer Erythrée ne forment qu'une mer m. Ce que le grand iiistorien avait compris pour ainsi dire par intuition, d'autres écrivains plus versés dans les connaissances positives l'affirmè- rent avec plus d'autorité. « Ceux qui supposent, écrit Aristote(3}, que le pays autour des colonnes d'Hercule n'est pas éloigné de rinde, et qu'il n'y a qu'une seule mer, ne me paraissent pas s'être heaucoup trompés ». H se fonde, en effet, sur une ingénieuse conjecture, dont les récents voyages ont démontré l'exactitude, à savoir qu'aux deux extrémités du monde alors connu, c'est-fi-dire aux Indes haignées par la mer Erythrée et sur les rivages de l'Africjue Occidentale baignés par l'Atlantique se trouvaient les mêmes animaux (4), singes, éléphants, croco- diles, et les mêmes plantes, palmiers, roseaux gigantesques, etc. Donc, le pays intermédiaire, bien qu'inexploré, non seu- lement devait exister, mais encore avoir les mêmes produits. Oatès de Malle croyait aussi à la communication de rAtlanti([ue et de la mer des Indes, puisqu'il admettait la réalité du périple de l'Afrique par Ménélas (3). Eratosthène, le grand géographe

(1) OnpuÉB, Jupiter et Junon, édition Hcrmatin, 1863.

(2) HÉRODOTE, 1, 202. « T/jv [xh yàp "EXXrjve; vajTtXXovTat nàaav, r, k'Çdj airjXojv OâXaaua f/ 'AxXavTt; y.aXou[jLSVT) , /.«• rj 'EpuOpr) [xi'a Tuy/

(3) Aristote, De cœlo, U, 24 : « Aïo toÙ; Û7:oXa|A6âvQVTa; a'Jvâ;:T£'.v -£îl Ta; 'IIpaxXEtO'j; aT/JXa; "dxrov tto j^epl tTiV 'lv3ixf,v, y.at toûtov Tpoj:ov sîvat tjjV OotXaTTav [Jifav, [at] X;av ù;ToXa[jL[3âv£iv onziitz ôo/.âîv. »

(4) Id., Il, 14 : « As'Yoyat TSXfiatpdjjLEvot x«t toÎ; ïXc'faa'., oti àjjicpOTê'poy; -où; td7:oJî toÙ; ÈT/aTsûovTa; -^évor, xjtwv àariv, «o; :i-/«t(t)v 3tà To auvârteiv àXX^Xoc; toSto ;:s-ovOdtojv. »

(5) Cratés de Malle, cité par Strabon, II, i, 9.

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156 l'nKMIKPR I'AHTIF:. les I'RÉCURSKIHS dk c.olom».

dont nous no conniiissons plus los »ruvrcs (jue par fVapinonts. pensait do rnùmo : «Toute la mer ext(^riouro, disait-il, no forme qu'un seul et m<^me courant, (tu, en d'autres ternies, la mer Hesperienne ou Occidental»' et la nier Krythrée n'en font (|u'une (1) ». 11 est plus explicite encore dans un autre passaf^e : « On pourrait, dit-il, aller sur mer depuis l'Iliérie jus(pi'à l'Inde, en suivant le même parallèle, n'était l'immensité de l'Atlan- tique (2) ».

Il est vrai (jue cette théorie soulevait parfois d'ardentes contra- dictions. Ilipparque, par exemple, soutenait que l'Océan ne formait pas une seule mer, mais qu'il était comme coupé par de frrands isthmes qui le partageaient en plusieurs bassins par- culiers(3). Après lui Marin de Tyr, Ptolémée et leurs disciples croyaient à la séparation des Océans, et leurs opinions furent acceptées par un hou nombre de savants jusque dans le moyen- àge ; mais, après Aristote et Eralosthène, Posidonius proclama à son tour la continuité des Océans (4) et la prouva par son récit du voyage d'Eudoxe de Cyzique, depuis les bords de la Mer Rouge jusqu'à l'Ibérie. Il la démontra encore en faisant re- marquer qu'on avait trouvé dans la Mer Rouge les débris d'un navire de Gadés ([ui y avait été entraîné par les flots. Strabon, lui-môme, malgré sa réserve ou plutôt malgré son scepticisme scientifique qui ne lui permet de croire (ju'à ce qui lui semble surabondamment prouvé, adopterait volontiers cette théorie de la proximité de l'Espagne et de la merdes Indes. Partout les

(1) Strabon, 1, m, 13. « Tr,v èxto; OâXaTtav aTra'jav aupioCîv eivai, ojata •/.al Tr|V 'Ea-fpiov za! t))v 'EoûOpav OâXaTtav [jiiav eiva;. »

(2) Id., F, IV, 6. « "D-iT ' V. [i.T) To [jls'yeOoî toj 'AiXaviiz-où ^îEXàyoui; sxtiSXuE, xav TzlîXv rju.à; kx tî;; 'I[3îp!a; s'.; Tr,v 'Ivoix/jv ô'.à toù aù-O'j -apaXXrîXo'j ».

(3) Stbabon, II, 1, 9.

(4) Id., II, m, 4. Gakfarel, Eudoxe de Cyzique et le périple de l'Afrique dmis l'antiquité (Mémoires de la Société d'émulation du Doubs, 1813). Abbé Lepitre, De his qui ante Vafcum a Gama Africain légère tentaverunt .

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(.IIAI'ITHK IV.

LKS (IRKCS KT LKS ROMAINS.

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lutinrncs altcignin'nt rcvtrémitc'' do lii terre, dit-il, ils ont trouvi^ rOc/'iiii (1), (< et pour les parties le fait n'a pu «Hre vérifié exac- tement j)ar les sens, le rais^nneiuent la étaltli de même ». Il affirme mémo [•!) « (pie l'espace encore fermé à nos vaisseaux faute de relations établies entre luts marins et ceux (|ui exécutent en sens contraire des |)éri|)les anaJd^iues, est peu considérable, à en juji'er |»ar les distances parallèles (|ue nos vaisseaux ont déjà parcourues ». Les jiéoffraplies latins repreuuent la même idée en termes à peu près identicpies. « T(tute la mer qui s'étend entre l'Inde et (îadès, écrit Solin, ()$) on |»eut, d'après .|ul>a, la parcourir pour peu qu'on soit poussé par le vent d'est ». « Le spectateur curieux, ajoute Sénè(pie, (i) fait fi deTétroitesse de son ancien dcunicile. Quel est, en effet, l'intervalle qui sépare les Indes de l'extrémité de l'Espafîne ? C/est un espace* (|ui peut être l'ranclii en (jueUpies joiu's par un navire (|ue pousserait un vent favoralde ». Ces divers passa|^es étaient connus de Coloml). 11 aimait à les citer, et les appli(|uait à ses propres projets. Ne sait-on pas aujourd'hui qu'en se dirigeant vers l'Occident, il cherchait non [»as un continent nouveau, mais une route [>lus sûre et plus c(»urte pour se rendre d'I^lspagne au\ Indes?

Donc ces deux croyances de l'existence d'un continent au delà de rAtlanti(|U(! et d(> la continuité des Océans existaient dans l'antiipiité, mais elles flottaient confusément dans les esprits. ^5)

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,1) SiRABO.N, I, 1, 8 " Ka- ô'-oj ô; -f] aiaOr^asi Àai'JEîv oô/ îiTi^pÇsv, ô

{'Ij Id. » Tôoï /îi-J;i.:vov anXouv /|;i.;v [J-î/p'- vj'v to) arj iJ'iir.^a,'. ;j.r|0î'v3iî aXÀ/{}.0'.; T(oj àvT'.nip'.-XaovTC'jv oJ -ô/.u, i" ti; auvciOriaiv à/. TtTiv -apa/.- X/JA(ov o'.aiTrj[xàT(ov tojv £'j;x.T(ov f||J.'.v. o

('■i'^ Soi. IN, § 5ti : c( Oiniir illiid mnrc ;ib Iiidia iisiiuu ad Gadcs volait Juba intfïlligi riavigabili; C.ori tMiiluiu flatibiis »

(4) Sénèijl'k, Questio'u iintureUes, V, '■>& : « Tmic coiitL'mnit ciiiiosiis spectatot- (loiuicilii priuris aii^iistias. Quaiitiuii ciiiin est ({iiud ab iiltiiiiis litlo- l'ibiis IlispaniiC usqiiu ad liidos jacct ? Paucissiniorum dioriiiii spatiuiii, si iiaveni suus veiitus iiuplevil .

(ô) Les tiiéories antiques paraissaient si bien fondées an baron de Zacli i|n'il écrivait qu'au teiniis de Sénènue les voyages d'Espagne en Amérique

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158 PRiîMiÈni': pahtie.

LES l'H'XUnSEL'HS 1>K COLOMll.

Repoussécs par les uns, adoptées par le plus g:rand iioniltre, elles laissaient entrevoir la j)ossii>ilité de navif^ner de|)uis l'extrémité occidentale de l'Europe et de l'Afrifjue jus(ju'au.\ Indes, Aussi est-il hors de doute que, perpétuées à travers le moyen Afre, elles entraînèrent Colond» à la découverte du nouveau monde, ou du moins à entreprendre le voyage dans le(|uel, sans ([u'il s'en doutât, il découvrit le nouveau monde.

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III. LES VOYAGES.

Stralion «...as apprend que, de son temps, d'assez nombreux navi};ateurs se hasardaient dans la mer extérieure, autrement dit dans l'Océan Atlantique : sans doute ils étaient obli},'és de rebrousser chemin, mais encore avaient-ils fait quelques pas en avant et donné l'exemple (1). Il est probable que, sur leurs traces, s'aventurèrent de hardis conipaj,Mions, de même que sur les pas des Portu},Mis au xV siècle s'élancèrent bientôt de nondireux compétiteurs. Ce fut ainsi que s'étendirent et se précisèrent les connaissances géographiques.

Quelles furent en effet les connaissances précises et positives des (irecs et des Romains dans la direction de l'ouest, au delà des colonnes d'Hercule? (2) Deux groupes d'îles paraissent avoir été piirticulièrement visitées par eux. Ils les nommaient les Fortunées et les Ilespérides.

Lorsque Sertorius, fuyant la tyrannie de Sylla jusqu'aux

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(levaient ôtrc fréquents. Sans partager l'cnthoiisiasme scientit'Kiiie de l'émi- nent auteur de la Correspondance astro7iomit/ue (1826, t. XIV, p. 386) iccduiiaissons au moins que les Grecs et les Romains s'étaient avancés dans rAllantique au delà des Colonnes d'Hercule, et que leurs voyages dans cette direction étaient fréquents.

(1) Stuabon, II, V, 8.

(2) Ln.KWELi-, Die Entdcckungen iler Carthatjer und Grlcchen auf detn atlantischen Océan (traduction allemande de Ritter), Ucrlin, 1831.

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CHAIMTHK IV. LKS CHECS KT LKS HOMAI.NS.

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extrômité de rKspagiK;, arriva à Gadès, il y rencontra des pirates qui venaient de visiter deux îles situées dans l'Atlantique; à environ dix mille milles de Gadés. Ils lui en vantèrent beaucoup le sol fertile et le climat admirable, (les pirates étaient sans doute Espa{inols d'ori^nne. Ecrasés par les envaliissenrs de U'ur pays, et disposés par leur caractère à t(Hit supporter, sauf la privation de leur indépcmlance, les Ks[>agnols étaient alors, plus ((ue tout autre, habitués aux lointains voyages. Séduit par leurs récits enthousiastes , espérant trouver au milieu de l'Océan la liberté et le rej)os qui lui manquaient en Europe, le général Romain eut un instant la pensée de s'em- barquer pour ces îles mystérieuses, mais il ne put décider ses compagnons à le suivre (1).

Après Sertorius cet archipel fut mieux connu. Les (Irecs l'avaient nommé Bienheureux, les Latins le désignèrent sous le nom de Fortuné. C'est à ces îles qu'Horace (2) faisait allu- sion :

Nos manet Oceanus circiim vagus : arva, beata

Petamus arva, divitos et insulas,

Heddit ubi Cererom tellus iiiarala qiiolaiinis.

C'est d'elles encore que parle Pline en racontant, d'après Statius Sebosus, ({u'à 7."jO milles à l'ouest de Gadès, on trouvait successivement Junonia, Pluvialia, Capraria, Planaria et Con- vallis (3). Le roi de Numidie Juba, qui avait établi des teintu- reries de pourpre sur les îles voisines de la cote des Autololes, s'était informé des îles Fortunées (î), mais il leur donnait des noms différents: Ombrios, Junonia, Capraria, Nivaria elCanaria; il avait sur leurs productions et leur climat des renseignements étendus. Ptolemée en énumérait six qui se succédaient du nord

(1) Plutarque, Vie de SertoviU'^, VIII. 1832, p. 196.

(2) Horace, Epodca, XVI, 41 .

(3) Pm.nk, Histoire naturelle, IV, 31.

(4) ]}\.\}iv., Histoire naturelle, IV, 32.

-Cf. Salluste, éilitioii Gelulacli,

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au sud (liUH l'drtln^ suivant : Nin<ruaria. (lanaria, (lapraria, Pliivialia, .liUKiuia, Aprositos ^ I). (les ilcs t'taiciit (loue ('oiiuucs cl des couununuatious ivjjrulirrcs cxistaicul entre elles et le (•(»ntiiient. Jadis m(Mne elles lurent liahitées. I^e nii Juha racontait qu'on y trouvait fré(juennnent des traces d'habitations inunaines (2). ]a' wm\ de Canaries (|ui a survécu, le nombre dos îles, la distance ({ui les sépare du continent, tout donc nous porte à croire (pie les anciens ont réelleniont connu l'archipel des Canaries.

Nous serons moins allirmatii" jtour un autre groupe d'iles dont le nom se rencontre fréijuennnentclie/ les auteurs anciens, les llespérides. On sait que le nom d'ilespérie désifjna d'abord tous les pays du couchant. ICn Euroj»' il passa de la (îrèce à l'Italie, puis à l'Espaj^ne. Imi A l'ricjue riles[)érie désijrna (l'abord la partie du grand désert se perdit l'armée de Cambyse (3) ; plus tard nous le retrouv<ms au midi de la Cyrénaïque (4); le périple d'ihuinon {•>'] le reporte sur les bords d(! l'Atlantique, près (lu fleuve Lixus, dans ce pays Hercule alla cueillir des [lonnnes d'or. Lorscpi'enlin le Samien (lolaeos ((»), sans se lais- ser effrayer par les contes d'Hésiode sur les (Jorgones, et sans craindre la rivalité des Phéniciens, franchit les colonnes d'Her- cule et prit possession de l'Atlanti(iue au nom de ses compa- triotes, rilespérie recula une seconde fois. Itllle quitta le continent et se réfugia dans les îles. 11 est difficile d'assigner à ces îles une position précise. Tant(*»t on les nomme Hespérides, tant('»t (îorgades ou Atlantides ; mais les renseignements sont si con- fus et tellement contradictoires, les récits des voyageurs si tron- qués, si défigurés par des dépositions ignorantes ou des

(1, Ptoi.kmék, IV, (5.

(2j Pline, Ilistoin; u'iturclb;, IV, 'M.

(;î) Hérodote, UI, 26.

(4} SiHviiOX, IJvre sur l'AIVique.

(5) Pi.iNK, lli-ttoirf natnrellr, VI.

,6; HÉnoDOTE, IV, 1.32.

- r.r. II.., VI, 37.

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raiAPiTRK IV. LKS r.nEcs et les romains.

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iiuMisoiifîi's intéressés, (|iril est impossible dVtahlir hi concor- dance de cet archipel avec les iles du Cap-Vert, ou de Madère, ou tel autre groupe de l'.Vtlanticpie. il denieiwe seidenient pntuvé (pie l'.'s (Irecs et les iloinains connaissaient vajruenient, dai.s la direction de l'ouest, d'autres iles (|ue les Fortunées.

Un seul auteur, Patisanias, a parlé d'un autre archipel, celui des iles Satyrides, dnnt remplacement est encore plus problé- matique. « Kuphémos de Carie, a-t-il raconté, se rendait en Italie. Les vents le détournèrent de sa route et le poussèrent jusfpie dans cette mer extérieure, (pii n'est pas encore f'réipientée. Il V trouva de nombreuses iles, les unes désertes, les autres peuplées d'hommes sauvages. Les matelots ne voulaient pas ap|)rocher de ces dernières, ayant abordé précédemment dans (juelques-unes, et sachant de (juoi leurs habitants étaient capa- bles ; ils s'y virent ce|tendant encore forcés. Les matelots don- nèrent à ces iles le nom de Satyrides. Leurs habitants sont roux et ont des queues aussi lonj^ues que celles des chevaux, lis accoururent vers le vaisseau dès qu'ils l'aperçurent. Ils ne parlaient point, mais ils se jetèrent sur les femmes pour les violer. .\ la fin, les matelots épouvantés leur abandoimèrent ime femme barbare, et les Satyres, peu satisfaits des jouissances naturelles, assouvirent huir brutalité sur toutes les parties de son corps (1) ».

L'exactitude et la bonne foi de Pausanias sont universelle-

(i) Pausanias, I, 23 : « "E?r, Sa 'T^j^Tjao;, Kào àvf.p, -Xewv s; 'haX;av, àjjiapTSîv ûnô àvEiiùiV to'j T:\o\i xai 3; Tr,v È'îfo OâXa'Jîav, È; rlv oÙxî't'. ;:Àioujiv, iX^vf/<)f,von. Nrlsou; 31 sivai |jiîv EÀeycV àprj(i.oy; ;:oÀXà;, èv ii TXJTa'.ç oîxîîv àv3pi; otypiou;. TaÛTai; ojx àOslsiv vrîaot; rpo;i'T/£!v toÙ; vaÛTa;, o;« -ootîî'j'v t: ;cpoT/ovTa; zat Ttîiv Èvo'.v.O'jvtwv où/. a7:-!pti>; Ëyovtaç. BiaiOTjvat S'oOv /.«l tots. TaÛTa; xaÀstaOat [xh irto vxjtwv i]aTup;'3a;, sivat Toù; £votxoyv-aî xaî nypjbouî, xal tn-wv ou ~oÀù |ji£''ou; Ëyj'-v ;-'i toî; tay(otî oùpà;. To'jto'j;, t'»; rjiOovTo, xaTa3pa[jiovra; ït:\ Tr,'/ vauv ^tov/jv |^3V 0'jSs(jL''av isvat. rat; Si yuvâiÇiv èr:'./ etpsîvTaî; Èv -^ vj);. TeTwo; ol, ôs^aavTa; Toy; vaÛTa; [îàp,3apov y^valxa è'xCJaXî'.v è; xrjV vtjuov. 'El Ta'jTrjv oùv ujîptÇe'.v TOj; SaTÛpou;, [iôvov ^ xaOfaTrjXcV, àXXà xai 7:av ôfioitu; oûjxa. T. I. H

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102 l'HKMIKRK l'AHTIK. LES PHÈCUHSEURS DR COLOMB.

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meut rccomuies et aiipréciées. Il a donc certiiiiiciiicnt ciiti'iKiii racoiiUîr le voyupe (ri<]iiplieiiius de Curie, et ce voyage, selon tonte vraiseird)lance, a iHw exécuté. Il nous reste à déternii- IMT flans (|nelle direction, et à essayer de retntnver les Safyrides. Certains auteurs ont pensé (jue les Satyrides correspondaient aux Antilles. Kn elVet les insulaires des Satyrides avaient la peau roufje, de niônie (|ue les Américains , et plus particulière- ment les Caraïbes des .\ntilles. Tueurs instincts hestiaux et leur luxure frappaient d'étonnement les (Irecs, de même (jue les |»re- miers conipiistadores espaf^nols ne trouvèrent pas <rex|)ressions assez éner}.'i(pies pour déplorer les déhauclies et lesnweurs hon- teuses des .Vniéricains. Quant à la (pieue des Satyrides, il est fort possible ipie li's matelots d'Iùipliemos aient été tntmpés, ainsi (pi'il arrive aux voyaf,'(!urs (pii se contentent d'un examen superliciel, et (|u'ils aient pris pour un appendice naturel ce (pii n'était (pi'un ornement. Un des missionnaires (jui purent encttre étudier sur place les munirs des Caraïbes, le [»ère Lalitau, dit expressément ([u'avant d'aller au combat ces insulaires s'ornaieni de (pieues |)osticbes enlevées aux animaux (l). C'est encore ce (pi(ï t'ont aujourd'hui certains Indiens du l-'ar-West (:2). Nous faut-il donc conclure de ces curieuses ressend)lances (pi'Euphe- mos a découvert (juehpi'ime des Antilles? Mais ces ressemblances ne sont que des coïncidences. D'ailleurs le retour d'Euphemos en Europe aurait été tout aussi extraordinaire que son arrivée en Améritpie, et il est plus (|ue i)robable que sa découverte ne serait restée ni isolée, ni stérile. La relation de Pausanias peut donc ne |)as étn; fabuleuse, mais elle s'applitiuc à d'autres îles (ju'aux Antilles, et nous n'avons le droit de nous en servir (pi'avec la plus extrême prudence.

Nous en dirons tout autant, et avec encore moins d'hésitation, de certains voyages exécutés en Aniéri(jue par les Grecs et les

(1) Lafiiac, Mœur^ des sauvar/cs comparéex aux mœurs des premiers tempf, 1, 29.

(2) De Lanoyk. Les Mandans (Tour du .Monde, 1869), 163.

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CIIAIMTIll': IV. l,KS CRKCS KT LIS HoMAINS.

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Uoinaiiis, et dttiit U'h tniccs aiitliciitMjiit/y iiiii'ait'iit ('tr conscrvi'cs au iKiiivcaii iiiniiilc. Il parailcait (1) iiu'iiii lahniirtMir (irtcrra aux (Mivintiis (le Muutcvidco luic picrrr tniiiul.iii'c tluiit l'iiiscriiiti m |Mirfail : " Sous le r(''f.Mit' (l'Alexandre, (ils de lMiili|»|te, roi de Mai'éduiiie, dans la s(ii\aiile-i-iii(|uièine olympiade, IMoleiiiaius ». Que d'iiivraisciiiMauces arruiiiulées ! .\iiisi doue un ^ivr du iioiu d(> l'toleiiiaios aurait été jeté par la tempête ou eoiiduit par un autre luotil' (|ue nous ijinoroiis siu- la (("île d'.\iM('ri(pie, dans l'estuaire de la IMata, et ses couipa^'iKUis auraient éri^é en sou lioiiiieur un luonmuent funéraire, dont lUie seule pierre aurait été conservée ! Ilemanpioiis tout d'alxtrd (pie les ins('ri|)lions de ce ^'eiire sont toujours trop convaincantes, et pourtant (pii \eut prouver trop ne prouve rien {"l). De niéme (pi'on n'a conservé dans les chants hascpies ou Itretons que les chants relatifs aux événements U's plus connus, dont l'Kskuara ou l'Armoriipio furent le thé.Ure, ainsi, c'est au temps d'.Vlexandro, c'est-à-dire de celui do t(jus les Grecs ipii a laissé le plus {rrand nom, et dont on connuit, en eiret, les projets de voyajîe et de circuiiK iiavijration (pie ce monument fut construit, et il fut construit en riionuenr d'un IHolemaios, c'est-à-dire d'un firec «pii [tortait le inéme nom (pie le fondateur de la dynastie des Laj::ides. .Mexandre, le coiupiérant de l'Asie, le vuljiarisateur des id(''es lielléni(|ues à travers tout l'ancien continent, et Ptolemaios, le fondateur de cette dynastie frrecque (|ui valut à l'Kfjypto trois siècles de pros- périté, certes les deux noms sont liahilement choisis [tour auf^menter l'eflet. Rien ne manque à l'inscription, pas mémo la

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(1) Journal de l'InatvucAion puhlujue, juin 1833.

(2) A. DE BAuiiiftr.KMY, Manuel île nuniisuiati'iue ancienne (Rorel), 188C, p. 410 (lu rappciulicc : » Il y a (iuel(|ues ann(jes ([ue l'on parle de la décou- verte, eti AnK'iriquc, d'un trésor dans un tombeau. Ce trésor était composé de monnaies grec(|ues de l'époque d'Alexandrc-le-Grand, cl permettait aux arcliéologucs, trop peu circonspects, de divaguer k jierte de vue sur la décou- verte plus ou moins ancienne du Nouveau-Monde. Ce ne fut que quelque temps après que l'on découvrit la supercherie, et même le marchand qui avait vendu les pièces transportées au delà de l'Océan «.

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date exacte, (ycst justoinont la précisidii tlo ces détails (|ui iiuus inspirera des doutes. Il faut toujours se délier des paysans (jui trouvent à point nonnné un débris antique sous le site de leur charrue et des savants (]ui, par hasard, se présentent toujours à temps jiour ap|irécier la valeur ilu uioinnuent et empêcher l'ijjnorant de le détruire. Les supercheries arcliéoloj,'i(jues rap- pellent les prétendues découvertes que ne mancpieut pas de l'aire les ouvriers, lors(|triui souverain étrani^cr ou (piel(|ue voyageur de distinction visite les ruines de Pompeï. Aussi hien que prouve un monument îuii(|ue et qui a vu ce monument ? Quel est le umsée (|ui renferme l'inscription de Montevideo, ou tout au moins sa reproduction?

Ta's inventeurs anonymes de la trouvaille ont si i)ien compris la nécessité de ne pas avoir un unitjue témoignafie de la présence des (lirecs en Amérique (pi'ils en ont hien vite trouvé de nouveaux, tel |»oint (pu', pendant (piehpu* teuq)s, le serpent de mer et les préteiulues inscri|)tions f;rec(pies de laPliitaont défrayé les faits divers de maint journal. On ne s'est |»as, en elVet. arrêté en si beau chemin. HientiH on trouva des ai'uies de guerre avec des inscriptions greccjues, des paniers avec ornementations grecques. Bien plus, « on a trouvé dans les fouilles exécutées aux environs de Panama un vase eu terre cuite, contenant un nond)re considérahie de monnaies romaines en hronze, frappées dans le lu'' et iV siècles de notre ère. On | 'ruit toutefois siqqioser, à défaut d'autre preuve |)ositive de tommunication entre les anciens Romains et r.\méri(jue Uîéridionale, ([ue ces monnaies avaient été enfouies par ([uelcpie numismate ou archéologue espagmd, (jui habitait rancienne ville de Panama, lors(pie celle-ci a été saccagé»^ et détruites en 1(>70 par 1«î boucanier irlandais Morgan (i) ». Kn pareille occasion, pounpioi trouve-t-.-u toujotu's du bronze, rarement de l'argent, jamais de l'or? 11 est rare pourtant (jue Vim thésaurise de la monnaie de

(\} Maucel iiK Skhhks, La Coxmoijonin de Moïse, j». 3Ji.

CUAI'ITHK IV.

LES C.HKCS KT I.KS lUIMAlNS.

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Itillim. Si un lloriiaiii du iV si("'(l(' est venu en AnuTiriuc, il a prendre avec lui de l'or plutôt que de l'argent on du cuivre. Le vase était renfermé cette monnaie, (|u"est-il devenu? On sait iuijourd'hui déterminer l'àfic exact de tous les objets en arjfile. Comment d(jnc a-t-on sacrifié si léjièrenient une preuve décisive à l'appui de la thèse qu'on voulait soutenir? Quant au prétendu numismate? (jue la crainte du boucanier Morjran aurait poussé à enfouir son trésor, son evistence est tout aussi proldé- mati(pie que celle du Romain voyajieur du iv'' siècle. Celui-lù seul a vécu qui eut la prudence de ne confier à la terre que des monnaies de peu de valeur et la chance ines|iérée de les trouver au moment favorable.

Ce n'est pas au reste la première fois que pareille découverte fut signalée (1). Au connnencemenî de l'occupatiem espasrnole on trouva dans une mine américaine une pièce de monnaie à l'effigie d'Auguste. L'arclievétjue de Cosenza, Johannes Ru- fus l'envoya au souverain Pontife (;2) ; mais que prouvent dix, quinze, vingt pièces de monnaies antitiues ? C'est seulement quand on en rencontre un grand nombre, et en divers endroits, ((u'il est conforme aux règles de la criticjue historique de conclure à la réalité de certains rapports entre le pays l'on trouve la monnaie et le pays elle est iahriquée : d'autant plus qu'en pareil cas ce ne sont pas les monnaies seules, mais aussi les monuments, les usages, la langue qui attestent le séjour et l'établissement d'un peu[)le. L ". prétendus monuments grecs, n'hésitons pas le dire, sont donc complètement apo- cryphes.

On s'est encore avisé d'établir ime certaine identité entre les

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(1) La Poi'F.i.i.inikhe, Histoire îles Trois Motidcs, I, 5.

(2) IIOKN, De oriijinibus Amcricnuis, p. i;i : « Hoinaiios iii Amcricam venissc Muriiimus Siculus putabat argumciito iiuiimii aiilicpii etl'uçieiii Aii- {,'iisli ie|)ra'sciitaritis, et iii Aiiioriiur lodiiia lepcrli ; (lueiu suninio pontifiei .lohai nés Riifus, arcliiepiscopiis Coiisciitiims, rnisit : scd immmum illum vcl siippusiluni fuisse, vel ab llispaiiis illatuni et casii aniissini piital ». Cf. (iRTELi is, TfirnfrKin or/tis terrannn, planche 2.

Utii PHKMIKHIC l'AHTIK.

LKS l'HKClUtSKlJHS 1)K COLOMll.

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langues grecque ou latiiie et américaine; mais les analogies <|u'on s'est etrorcé de découvrir sont t-^llement arbitraires (|u'on peut les considérer coimni» non avenues. Ainsi Court de (iél)elin rapprocha la racine Fr',, terre, des mots virginiens okké, okkeil, okkekonit, okketanganish, okkekontou (|ui signi- fient terre, monde, champ, jardin, |tays (1). Ilorn trouvait une certaine ressemhlance entre le virglnien mw et le latin liomo(!2), entre les mots brésiliens anga, ara, palia, pi, aya (|ui signifient Ame, air, poitrine, pied, désert et les mots latins correspondants anima, aer, pectus, pes, avia; entre les mots péruviens paula, mamaty, gœnali, tonimerou (jui signifient pugilat, mamelle, genou, tonnerre, et les mots l.U'ns correspondants pugilatus, inummae, genu. tonitru. Hradfort cite aussi ({uel((nes mots analogues (3). Il paraît que neuf mots grecs se retrouvent dans l'idiome chilien (4). Enfin un érudit américain, Lopez de Montevideo, élevant ces singularités à la hauteur d'inu' thénrie scientifique, a prétendu (|ue la langue Quiclma dérivait du grec ou plut«)t de l'Arien, et a dressé un vocabulaire Aryo- Quichua (o). Nous citerons (juebpies-unes de ces étyniologies. Elles ont à tout le moins le mériti le l'étrangeté. Ainsi Quito, la ville de l'Equateur, viendrait du gnîc Kôttoî, arc -en-ciel ; korak, le corbeau, dériverait de KofaÇ ; akallu, le bec des oiseaux de 'Afxw; akatanka, grattoir à chair de "A/avo; ou "A/.avOo; ; ana- komel, im[)itoyable, de N£/.o;; ankayllini, se plaindre, de 'X^/m', antes, les andes, de 'Avt-!; aratihua, fermier, de Acoi'w, 'Apatrip ; kapulu, bouton de fleurs, delvs^aÀrJ; kakallu, langue, de rXoiiaa; hirka, muraille, de lljpyo^; chanka, genou, de Tovu; hamiui, marcher, de Baîvf»; luittius, rouge, de "Eoto ; kokkea, ordure,

(1) CoiiKT m Gehemn, Monde primitif, VIII, 511».

(2) HoHN, De oviyiniùiis Americatiis, p. 32.

(3| BitAUFOUT, American antiquities and Hesearc/ies in to tlie origin and hislon/ of the red Hace (1841)

(4 Castelnau, Vui/nge divin i Amérique méridionale, t. lY, p. 266.

(5) V.-l'. LoPE/, Les Races Aryennes du Pérou ; leur langue, leur reli- gion, leur histoire (1871).

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CHAPITRE IV

LES GRECS ET LES ROMAINS.

167

(le Kâxy.r, ; kokori, place chaude, de Kâw, Kaût.); kokou, jonchée, <1(' Xci'c) ou Xsupto ; kokori, or, de Xfùao; ; sUikka, maigre, de "KÀay'Jî ; totopius, forger, de Tû-tw ; mati, front, de M^t;; ; muka, sarigue, de Mlo; ; onkoni, être malade, de'Oyxo;; rimani, parler (le Pr,[xa, etc.

Un sait que les philologues ne reculent jamais devant les conséquences de leurs systèmes, mais nous ne les suivrons pas sur ce terrain dangereux. Lihre à eux d'admettre toutes les i)izarreries que hon leur semhlera! Nous n'en concluerons pas moins, avec Rivero, que, pour un mot étranger analogue par le sens et par le son avec un autre mot américain, on trouve neuf mille termes américains, pour lesquels aucune analogie n'existe. 11 en est donc des preuves philologiques du séjour des Grecs et des Romains en Amérique comme; des preuves emprun- tées aux monuments et aux monnaies, c'est-à-dire qu'elles n'ont jamais eu de réalité que dans l'imagination ou la bonne volonté de ceux qui les ont mises en circulation.

De tout ce qui précède semble résulter que jamais ni les (irecs ni les Romains ne mirent le pied en Amérique. Ce sont au contraire les Américains qui, au premier siècle avant l'ère chrétienne, parvinrent peut-être en lîurope. Nous voulons parler du voyage forcé de quelques américains jetés par la tempête sur les côtes européennes, voyage qui a été fort contesté, mais qui nous paraît sinon prouvé, du moins vrai- semblable.

Cornélius Nepos , cité par Pomponius Mêla , raconte ([ue Metellus Celer, étant proconsul en Gaule, reçut en présent d'un roi deslioiens (juelques Indiens, arrachés par la tempête à leurs rivages et entraînés jusqu'en Germanie (1). Pline rapporte le

(i) PoMPONiL's Mêla, III, 5, vin. « Testem rei Q. Mcteiluin Celcreni adjicit (C. Ncpos) ciiin que rctulissc commémorât, Qiium liallio! pro consule prœ- cssct, Indes quosdani a rcge Boiorum donc sibi dates, unde in eas terras (Icvenissent reqnirendo cognovisse, vi tempestatum ex Indicis œquoribus abreptos, emensosquo quie intcrerant, tandem in Germaniœ littora exiisse »,

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168 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.

môme fait en termes à peu prfîs identiques, sauf qu'il nomme le roi des Suèves (1) au lieu du roi des Uoïens (i). Ce qui ressort de ce double témoignage, c'est que, peu après la conquête de la (iaule par les Romains, des Indiens étaient venus par mer sur les côtes de Germanie. Au temps de Mêla et de Pline, on croyait encore que la Caspienne communiquait directement avec l'Océan Septentrional et la Haltique (3). La traversée de ces Indiens sexpliquait naturellement par la circumnaviga- tion de l'Asie Horéale (4). llahelais, qui s'intéressait à ces Indiens, accomoda cette supposition aux découvertes géogra- phiques : « Et suys en ceste opinion, dit-il, sauf meilleur jugement, (jue telle routte, de fortune, fut suyvie par ces Indiens, qui navigèrent en Germanie, et feurent honorahlement traictez par le roy des Suèdes, en temps que Q. Metellus Celer estoit proconsul en Gaule (u) ». Huet, le savant évéque d'Avranches, crut également que ces Indiens étaient parvenus en Germanie par l'Océan, la Caspienne, et le Palus Méotis (('») : mais un pareil itinéraire est tout aussi fabuleux que celui des Argonautes. Pelloutier soutenait que ces Indiens étaient des Africains, mais il n'alléguait aucune preuve sérieuse (7). Vos-

(1) Pline, Histoire naturelle, 11, C". « Idem N'epos de se|iteiitrioiiaH circuilu tradit Q, Mctello Céleri, L. Afratiii in consulatii coUegie, sed tuni Galliœ pro consuli, Indos a rege Suevorum dono dates, qui, ex India, com- mercii causa, navigantes, tcnipestatibus cssent in Germaniam abrepti ».

(2) Les manuscrits donnent diverses leçons ; Boioruni, Botorum, Betorum, Baîtorum, Lidorum, Lydorum, Getorum, Gotonum. M. de Cenleneer, le dernier écrivain qui se soit cecupé avec une rare compétence de ce curieux problème géographique, pense qu'il faut lire Rœtorum, et qu'il s'agit d'un de ces chefs Rhétiens, dont plusieurs cohortes avaient été cantonnées le long du Rhin. Cf. ScHOENEMANN, De Cohort. Romanis auxiiiariis, 1881}. ]). 26.

(3) On le croyait '^ncore au temps des Arabes : ainsi Edrisi fait communi- quer ces deux mers.

(4) Mentionnons p'-irtant l'opinion de Hansen {Die Chrorogmphie des PomponiiiK Mêla) et de Bunbury (.1 historij of ancient geography, 188:j), qui nient la réalité du voyage.

(5) Rabelais, édition Jeannet, t, IV, p. 33.

(6) Huet, Histoire du commerce des anciens, p. 358.

(7) Pelloutier, Mémoires de l'Académie de Berlin, 1743, p. 186.

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Cll.M'ITKK IV.

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siiiH pensait (juc c'étiiient ch's |{r('toiis(l), maison aurait rccdiinu leur langage, et d'ailleurs, les conuniniicatiuns devaient (Hre tro]) fréquentes entre la (îennanie et la (îrande-Hretagne j)our (|ue l'arrivée sur le littoral (Jerniain de marins bretons fût signalée coimue ini fait extraordinaire. Vivien de Saint- M 'rtin en fait des Slaves, des Vendes ou Vinidi, (|ui, depuis les temps les plus reculés, habitaient les eôtes de la IJaltiipie {iL]. L'n érudit Scandinave, Schiern, n'a-t-il pas prétendu cpie le mot Indus n'étant pas un mot ctlmologi(jue mais bien géogra- phicpie, et les Indiens existant tout aussi bien dans l'Asie lioréale que dans l'Asie Méridionale, les Indiens de Metellus Celer ne pouvaient être et n'étaient (pie des Lapons (3) 1

Reste une dernière li\p(jtbèse : Pourquoi ces Indiens ne seraient-ils pas des Américains, des pécheurs ou des matelots, surpris |)ar la tempête et jetés au large ? Ue tels événements sont plus fré(pients qu'on ne le sup|)oserait au premier abord. Le cardinal Sylvius Aeneas Piccolomini (ij raconte, dans sa Description du Maitclf, que des navires et des négociants Indiens, eu ll(>(>, sous le règne de Frédéric Harberousse, furent jetés par la tempête sur les côtes de (lermanie. lieinbo (ù)

(1) Vossics, Oljserriitionfs ad Pompoitiiis Meliini, p. 210.

(2) ViviKN l)K Saint-.Mahti. "lisfoii'c (lu la ;j(in/jrai>liie, 187;], p. llfi.

(3) SciiiEiiN', Une énigme pt/i>io;/rap/iitjiee dp l'antiquité (Mémoire.'; de la Société des Antiquaires du Nord, 1881), p. ?4:;-2!i8.

(4) Syi.vil's ylvvEAS, /!,</> Euioilt qiw elegantiasinia descriptio (1.'J3!l, II, 8. » Nos apud Ollionein legimus sub imperatoribus Teutonicis ludicaiu riaveni et Inilos uegotiatores ia (îernianico littore fuisse dcprehensos, quos ventis agitatos injçratis ab orientali plajja venissc coiistabat ». On ne trouve aucune allusion à un fait semblable ni dans lu Chronique d'Otlion de Frejsingen, que citait Piccolomini, ni dans sa relation des exfdoits de Bar berousse, ni dans l'ieuvre de ses conliiuiateurs Uagewiu et OIto de Saint- biaise. 11 est probable que Piccolomini citait une Histoire d'Autriche, attribuée ù Othou de Kreysiugen, et qu'on croit perdue.

(5) benibo cité par Hori\ {I)n oriijini/nis Americanis, p. 14). « Navi»^ liallica, dum in (Jceano iter non longe a Hritaunia faccret, uaviculnm ex uiediis abscissis viiuiuibus arborum (|ue libro solido coritc\tis œdilicataui cepit ; in qna honiines eraut septem, mediocri stalura, colore suhobscuro.

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170 PREMli:itK l'AHTIE.

LKs i-hkcihsfaîrs de colomij.

rapporto, dans son Hhiniro de Verihi'., (ju'nn vaisseau français, <'u l.')()8, rencontra non loin <lcs côtes anjrlaises un liateau fait en écorcc et en joncs. H était monté |»ar sej>t hommes de médiocre stature, de couleur rouf^e, à la face longue et étendue. On ne pouvait comprendre leur lanfiage. Six d'entre eux mou- rurent. Le septième, nn Jeune homme, survécut, (!t fut présenté au nii Louis Xll, qui se trouvait alors dans le Maine, (k's inconnus ne pouvaient être que des Américains. Tout indicjue leur origine, la construction de leur l)arqu(>, les traits de leur figure, la couleur de leur peau. Aussi hien de pareils voyages, de plus difficiles même, ne sont pas impossihles. En 1()82, un Esquimau fut jeté, avec son kayack, au sud de Pile Eday (1\ et en lG8i un autre édioua à Westray, la ])lus occidentale des Orcades. Un de ces hateaux fut exposé à Edimhourg (!t l'autre conservé dans l'église de Hurray aux Orcades. En i738 (pielques Indiens, occupés à lii pèche aux Iles Juan Fernandez, se dégoû- tèrent de leur genre de vie, et, avec un simple canot, sans pro- visions, sans agrès, ahordèrent à Val[)araiso (2). Les résidents Européens de Yokohama (3) onttous connu rinter|)rété José H ico, un Japonais entraîné avec son frêle esquif et porté juqu'à San- Francisco par le grand courant é(|uatorial qui haigne les côtes de ÎNiphon et décrit vers la Californie une courhe de quelques mil- liers de kilomètres. Il se peut donc que le vent ait jadis jeté à la fttjte européenne (juelques américains; car la distance n'est pas

lato et putente viiUu ; corum senno intcllij;i non ])nterat : Ex ils sex iiiorteni obierunt ; uiius adolesceris in Aiilercos, ubi rtix erat, vivus est perduetus ». (i; James Wallace, An nccoiint of t/ie Ulauds Ot-kney.

(2) lIi.LOA, Mémoires philosophiques, historiques, physiques, coiicernanf la ilécouvcrte de l'Amérique, etc. (traduction I.efebvre de Vil!ebnine),t. 11, p. 327.

(3) Aimé HiiMiiEnT, Voyage au Japon (Tour de Mond.,1863, 3.")) : « Depuis 1782, quarante et une barques japonaises sont venues échouer à la ci'ite amé- ricaine, et vingt huit de ces naufrages out eu lieu jrastérieurement à l'année 18b0. Ces quarante et un naufrages sont simplement ceux dont il a été pris no'e ». V. Allen, La très ancienne Amérique (Congrès Américaniste de Luxembourg, I, 81. On cite, au siècle dernier, cinquante et un cas de navires japonais poussés par les courants sur les côtes Américaines. Cf. 0. L(*;w, Mittheilunyen von Petermann, 1877, p. 138.

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r.llAl'lTHK IV.

LES tiRECS ET LES ROMAINS .

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tellement graiulc. ainsi que nous l'avons déjà démontré, qu'elle ne puisse être franchie en quelques jours. Cette conjecture est si vraisemhlahle (|u'elle avait frappé les premiers historiens de la conquête au xvr siècle, «i Qui sait, dit l'un d'entre eux, (îomara (1), si les Indiens de Metellus Celer n'étaient point des .Vméricains du Lahrador « Je crois, écrit un autre, le }xéo}ïraplie XN'ytfliet (i2), (jue ces Indiens ne venaient point, comme l'on cru certains auteurs, des extrémités de l'Urient ou de l'Occident, mais (pie c'étaient des Américains du Lahrador, de l'Kstotiland ou de tout autre pays voisin, et tous ceu\ qui se rendent compte des différences de climat penseraient comme moi ». Sans affirmer, comme Wytfliet, que ces Indiens étaient orijçinaires du nord de l'Amérique, nous croyons avec Inique, réellement, ils venaient du nouveau monde.

Il paraîtrait même, mais cette conjecture semhle hien hasardée, (pie nous possédons le portrait d'un de ces Américains. Il existe en effet au nmsée du I ouvre une tête en hronze antique (3), ou plut(')t une situla de hronze ayant la forme d'une tête d'homme, vigoureusement moulée, dans hKjuelle un savant critique et con- naisseur, Egger, croyait reconnaître un des indiens de Geler (4). Nous pensons pourtant que cette histoire aurait eu un tout autre retentissement, et que d'autres écrivains que Mêla ou IMine en auraient parlé, si la réputation de ces étrangers se fut étendue au point qu'on gravAt sur le hronze l'empreinte de leurs traits (5). Mais si la situla n'est pas le portrait d'un de ces

(1) GoMARA, Historia gênerai de las Indian. p. 7, édit. 1553. Ca tambien (lizeii coiiio cil tiempo dcl empcrador Federigo Barbaroxxn aportaron a Lubec ciertos Indios in una canoa.

(2) Wytiliet, Descriptionis Ptolemaicœ augmentum. v Indos non ex ultiinis Orientis ot Uccidcntis partibus, iiti quibusdam visiim est, sed ex hoc Laboiatoris et Kstotilandiœ aut vicinis terris venisse constanter teneo, ine- ciinique sentiet ([uicumque cliniatis ratioiiem expenderit. »

(3i Ce bronze, dont raulhcnticité est indiscutable, provient de la collection Kdniond Durand, que le roi Charles X acquit pour le Louvre en 182o. (4 ) EocEti , Mi'moircs de la Société des Antiquaires défrance ( i 859) , p. 83-89. {5) M . Leenians, le savant directeur des Musées Hollandais, pense que la

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172 I'UKMIKRK PARTIK. les I'RKC.IHSKIRS I»F. COLOMIt.

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Indiens au moins est-ollel«' portrait d'un Anirricain? Ce lironzc classé sous le niinu-n» H-H\ ('«t ainsi (iécrit dans le catalofriie de Loni^jM'rier (I) : <■ lUisle d'esclave enlièreirietit rasé ; ses oreilhîs sont {grandes et tombantes. Le liant du cràMe s'ouvre au moyen d'une cliarnière et forme couvercle. Au dessus des oreilles sont placés (les anneaux dans !('S(|nels s'ajuste une anse riioldle tiguraut une liranche d'arbre avec des uteuds .. Il suflit de jeter les yeux sur ce bronze pour se convaincre (jue tinit en lui rappelle la race rouge du nouveau moiule. Le crâne est dolicbo- céphale, le front fuyant, les oreilles longues et basses, les sourcils fortement anpiés, le nez aijuiliu, les lèvres grosses, le maxillaire inférieur arrondi. L'im|iressiou d'ensemble est saisissante. Pour la rendre plus sensible, M. de Ceuleneer (2) a imaginé de représenter (juebpu's types d'Indiens actuels (II), et de les rappriM'ber de la situla du Lftuvre. La ressemblance est extraordinaire. C'est bien le type d'un Américain, et d'un Américain des Etats-Unis qu'on a sous les yeux.

La réalité du voyage des Indiens de Metellus (leler nous paraît donc établie ; et c'est la seule traversée de l'Océan Atlan- ti(|ue, mentionnée par les écrivains d(; l'antiquité cbissique, (jui nous semble rigoureusement démontrée. Nous pensons néanmoins que la notion d'un continent transatlantique, bien (|ue confuse, ne se perdit jamais, et, si les voyages des tirées et des Romains eu Ainéri(|ue sont imaginaires, au moins cmt-ils ou comme le pressentiment de ce nouveau inonde, (pi'il était donné à une autre époque de retrouver définitivenu'ut.

situla est une caricature llomainc, mais les caricatures se présentent surtout sur les vases et les terres cuites, et sont d'ordinaire bien plus petites <|ue le bronze du Louvre. En outre le travail n'est jamais si soigné.

(1) De Longpériek, Soticc da l/ronzcs atitù/ue.i erposés cUms /rs ynleries du Musée du Louvre, 1868, p. 143.

(2) De Ceclenker, Ti/pc d'f?ulien du Nouveau Monde repréxenté sur titi lironze antique du Louvre, 1890.

(:)) Ces types sont empruntés à la collection Catlin, conservée à l'United States National Muséum de Washington.

siti:la en bronze (A|)|iai'lcnant au imisfe du Louvre).

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CHAPITRE V

1,1 :s COMMUNICATIONS KNTIIK I. AMKllIQUE ET l/ANCIKN MONDK ÎITAUÎNT-EIJ.KS l'OSSIHI.KS AU MOYli:N-A(;E 1

Pciulaiit le uiuytMï-.'ifîe s'arnHt'iit It's pntffirs de la stiiMico >;(''oj.n'a|ilii(|ui'(l). Après les {^raiidi's gucM'res (jui suivirent l'iiiva- sioii (les Harharcs, (juaitil l'esprit de séparation et d'isolement succéda à l'union roinaine, cliaipie peuple désonnais concentra son activité dans ses propres frontières. On renon(;a à i>en |)rès coiuplètenient au\ relations extérieures, et, par suite, au com- merce, à la navigation et aux découvertes. Les Vandales eurent il est vrai une flott(> importante, mais ce n'étaient (jue des pirates. Les Aiifîles et les Savons ne savaient, avec leurs bannies légères, que c(»urir d'ime rive à l'autre, pilliM- une ville ou remonter un Heuve. (loths de l'est ou de l'ouest, Loud)ards et Francs n'eurent pas d'antre marine. Les successeurs dégénérés des Césars romains [)ouvaient à peine garantir Constantinople des iittatjues de ses ennemis (^). (jharlemagne, dont le génie prévoyant ne négligeait aucun détail, ouvrit des relations avec les pays alors connus, mais, après lui, tout disparut, et de son œuvre gigan- tes(|ue il ne resta que d'impuissants déitris (3). Ce n'est que J>eaucoup plus tard <[ue les Républi(iues italiennes au midi, les péclieurs norwégiens, danois et islandais au nord, ainsi (jue

(T, Daunou, Histoire de la géographie. Vivien de Saint-Martin, His- toire lies découvertes yéographifjiies.

{"2} Urapeyron, L'Empereur Héracliui. Rambaud, Constantin Porphy- rof/éui'te

(3) (iAFFAREL, De Francix commercio rerjnantibits Karolinis.

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171 PREMIÈRK PARTIE. LES F'HÉ<:LRSEURS DE COLOMB.

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les moines irlandais, se Ianr«>rent de nouveau dans d'aventu- reux voyages ; mais, pendant cinq siècles, faute de marine, les connaissances géographiques diminuèrent au lieu de s'étendre, et de regrettables erreurs furent commises. 11 semble parfois qu'effrayés par les ténèbres (|ui s'épaississent, é[»ouvantés par les opinions étranges et contradictoires (pii se pressent autour d'eux, les hommes aient oublié la terre. Ils se croient dans une immense tombe, dont la trompette du dernier jour pourra seule soulever la lourde pierre.

Aussi, sauf de rares exceptions, le />^ mensuraprovinciarum orbis ierru% de Dicuil (1), le Traité de, Vadminhtration de VEin- pire, par Constantin Porphyrogénète, la Description du Dane- mark, par Adam de Brome, les Relations d'Other et de Witlfstan, insérées dans la traduction de Paul Orose par le roi Alfred, Vltin&raire, de Benjamin de Tudela. nous ne trouvons plus au moyen-Age de monument géographique original. Ou bien on se contente de copier ou de traduire à peu près textuellement un ouvrage ancien, ainsi que le fera par exemple, au xiir siècle, Blemmydas, dont la Géographie synoptique n'est (|ue la paraphrase poétique de Denys-le-Périégète ; ou bien, au foinl de quelque cloître ignoré, on réunira sans la moindre critique, comme V Anonyme de Raeennc, des fragments empruntés à divers auteurs, et rédigés avec tant d'ineptie (ju'on ignore jus- qu'à l'épocjue géographique (ju'a essayé de décrire ce compila- teur (2). Gène sont pas seulement les enfants et les paysans de

(1) DicuiL, £>(,' mensnra provinviarum orbis terne. Edition princcps par Wallicnaër en i806, édition critique par Letronnc en 1814. Auam de Brème, De situ Danix et reliquarum quœ trans Daniam sunt reginntim nutura, éditions de 1615 et de 1629. Constantin I'orphyrogénéte, Traité de l'administration de l'Empire, éditions de Meursius (1610-1617) et de Banduri (1711). Alfred le Grand, Histoire de Peut Orose, édition de 1773. Benjamin de Todela, édition Edouard Charton, insérée dans les Voyageurs anciens et modernes, t. II, p. 156-222.

(2) D'AvEZAc, Jean et Gabriel Gravier, Le Ravennate (Société normande de géographie, 1888).

CIIAP V.— COMMUNICATIONS AVEC LAMKHIQUEAU MOYEN AGE. 175

lu [H'crniôro oroisiide (|ui s'imaginent (\i\v Jt-rusuleni est tout pp«>s d'eux (1) ; un abluMie Cluiiy, \mô par h; comte Uourcard de fonder un monastère de son ordre à Saint-Maur-des-Fossés, n'osera pas se rendre à cette invitation, parce que les environs de Paris Ini semblent trop éloignés de son couvent(2/. (luillaume, ahhé de Saint-Uénigne de Dijon, donnera la nu^me excuse au duc de Normandie, «|ui le priait de fonder une abbaye dans ses états (3). L<;s Northmans établis en Neustrie oublièrent luen- tôt la position de leur ancienne; patrie (4). En 1095, les moines de Saint-Martin-de-Tournay cliercbèrent, sans y parvenir, à découvrir l'abbaye de Ferriéres (5). Même à une épo(|ue plus avancée, les re|»résentants en cjuelque sorte officiels de la science commettront de pareils erreurs (('»). Ainsi Vincent de Beau vais ne connaîtra pas la Baltique, et son contemporain Albert-le-(irand ne lui attribuera l'inqjortance (jue d'un simple golfe !

dette ignorance tenait à des causes multiples : au culte des l'niversités pour tout ce qui venait de l'antiquité, et à une aveugle; confiance dans les légendes cbrétiennes. Toutes les cartes, jusciuVi la fin du xv^ siècle, figurent au nord de l'Europe le pays des Amazones. On y trouve également comme villes florissantes, Troie, Ninive ou Cartilage, Quant <iu Paradis Ter- restre, bien cpi'il change de situation, il est toujours représenté avec un grand !"ixe d'enluminures, de dorures et de feuillages verdoyants. I nmour du merveilleux était une nouvelle cause d'erreurs. On ne saurait croire à (|uel point nos [)ères aimaient les récits fantastiques de voyages dans des pays merveilleux. Pour n'en citer qu'un exemple, (iiraud de Cambrai obtint un tel

(1) GUItLAl'ME DE NOOENT, II, 6.

2) Sphe.nuel, Histoire des découneries, § 28. (3) Bollundistes, \" janvier. Chronique de Saint-Béniyne. (i) Guillaume de Jumiéges, I, 2. {^)) AcHKRy, Spicilegiutn, t. II. p. 00. i6) Dal.nou, Histoire de la géographie, § 3.

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170 PREMIÈHE PAHTIK. LES I'RÉ«:URSEUKS DE COLOMB.

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«uccès par le rôcit de son voyage en Irlande que, dans toutes les villes il passait, il était obligé de donner une triple lecture de sa description (1). Le premier jour était réservé aux pauvres, le second aux docteurs, aux clercs et aux étudiants, et le troi- sième aux bourgeois. Kt p(»urfant il racontait qu'en Irlande les oiseaux poussaient sur les arbres {% , les poissons avaient les dents d(»rées, et des monstres couraient la campagne, moitié liommes, moitié taureaux. Les crapauds et les serpents mouraient en tou- chant le sol (3;, et les femmes ne pouvaient accoucher dans une ile de la côte (i). Il était certes bien facile de le convaincre d'imposture, mais de véritables multitudes se pressaient autour de lui. On eût dit que ses contemporains aimaient à être trompés.

La cause la plus fréquente et la plus sérieuse de l'ignorance géographique au moyen-i\ge fut la persistance de certains pré- jugés dont le clergé se fit comme l'interprète trop complaisant. Les prêtres, en qui résidait alors toute la science, avaient conçu d'étranges systèmes sur la position et la forme de la terre. Eminents par leurs vertus, mais peu familiarisés "vec la réalité des choses, ils imposaient leurs opinions préconçues à des populations d'ailleurs trop ignorantes pour les discuter. Ainsi ils ne croyaient pas à la sphéricité de la terre. Il est certain que, si on s'en tient à la lettre des Saintes-Ecritures, la première idée qu'elle suggère est celle de la platitude de la terre, entourée

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1) GiRALDus Gambhkxsis Bafiy), Topographia Hihernix (édition Camdcii, Francfort, 1602).

(2) lD., p. M : « Sunt et avcs hic multœ, quœ bernacœ vocantur; quas inirum in inodum contra naturam natura producit, aucis quidem palustribus similes, sed minores. . . Ex succo ligneo marinoquc occulta nimis admirandaquu âuniifiii ratione, alimenta simui incrcmcntaquc suscipiunt. Vidi multotics oculi:» mcis plusquam mille minutie hujusmodi avium corpuscula in littorc maris ab uno ligno dependentia, tcstis inclusa et jam formata. » Voir l'histoire des •croyances sar la bernache dans BurKOM (Histoire naturelle des oiseaux), «dit.

1783, t. IX, p. 93.

(3) ID., § 30, 31, 3S.

(4) ID., § 14, p. 82.

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l/lliAGE DU MONDE DE PIEnnK D'aILLY (148;j).

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CllAP. V. COMMUNICATIONS AVEC L'AMÉRIQUE AU MOYEN AOE. 177

'e tous oùtos par la mer, et aux extromiU^s de laquelle le ciel .'orme cotnine uue voûte solide, (|ui soutient la couche des eaux sup«''rieures. \\vr. un pareil système, la théorie des Antipodes est, en elfet, inadmissilile. D'ailleurs, s'il existe au-delà des mers des êtres ayant une nature sen.iilahle à la nAtre, «jue devient le dogme di? l'unité humaine ? Ces doutes, non résolus, avaient conduit la plu|iart des Pères de l'Eglise à rejeter l'exis- tence des Antipodes comme une fiction aussi contraire à la foi qu'à la raison. « Y a-t-il quelqu'un, écrivait Lactance (1), d'assez extravagant pour se persuader qu'il y ait des hommes dont les pieds seraient en haut et la tête en has; (jue tout ce qui est couciié en ce pays soit suspendu là-bas ; ([ue les herbes et les arbres y croissent en descendant et (jue la grêle et la pluie y tombent en montant? Faut-il s'étonner que l'on ait mis les jardins suspendus de Babylone au nombre des merveilles de la nature, puisque les philosophes suspendent ainsi des champs, des mers, des villes et des montagnes? ». De même «aint Au- gustin démontrait (2) « qu'il n'y a pas de raison de croire à cette fabuleuse hypothèse d'hommes qui, foulant cette partie opposée de la terre, le soleil se lève quand il se couche pour nous, opposent leurs pieds aux nôtres. Cette opinion ne se fonde sur aucune notion historique... Mais fùt-il démontré que le monde et la terre ont la forme sphérique, il serait trop absurde de pré- tendre qu'après avoir franchi les immensités de l'Océan , (|uelques hommes aient pu, hardis navigateurs, passer de cette partie du monde dans l'autre pour y implanter un rameau dé- tiu'hé de la famille du premier homme ». Isidore de Séville (3) ne

il) Lactance, Institution dieine, 111, 24 : « Quid ? llli qui esse contrarios vustigiis nostris antipodas putant, nuin aliquid loqucrcntur? Aut est quisquam tam incptus qui crcdat cssc hotnines, quorum vestigia sint superiora quam (■apila ? »

(2) Saint Augustin, De civitate Dei, XVI, 9.

(3) Isidore de Sévii.le, Originas, IX, 2 : « Jam vcro iiis, qui anlipodic ilicuntur, co quod conlrarii esse vestigiis nostris putantur, ut, quasi sub

T. I. 12

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178 l'RKMIÈRK PARTIE. LKS PRÉCURSEURS DE COLOM».

croit pus, lui non [ilus, aux Antipudi-s : << Ct'ux (|u'oii iioirniio les Aiitipod«!s, patro que on croit qu'ils iiiarclicnt en sens inverse de nous, et que, placés cpi'ils sont au-dessous de nous, leurs pieds sont o[)posés aux nôtres, il n'y a pas de raison pour croire à leur existence », Telle est enconî l'opinion de saint Justin, de saint Hasile, de saint (irépoire de Nazianze, de saint Ainhroise, de saint Jean (Ihrysoslôme, saint (iésaré»*, de Procope de (iaza, de Severianus de (lahala et de Diodore de Tarse (1). L'exposé le plus complet de la doctrine de l'épocfue est la Topographie C/inUieune, de Gosnias Indicftpleustes (:2). (le voyageur Egyptien revient naïvement aux traditions an- ciennes. Non seulement il nie la rotondité de la terre en s'appuyant sur toutes sortes de raist ns tirées d'une physique passablement étrange , mais encore <> si nous passons aux An- tipodes, dit-il, nous verrons aussitôt cond)ien sont ridicules ces contes de honne femme. Si les pieds d'un lionmie sont opposés à ceux d'un de ses semblables, que ce soit dans la terre, l'eau, l'air, le feu, ou tout autre corps, comment tous deux peuvent-ils rester debout, comment l'un et l'autre peuvent-ils vivre la tétc en bas?Cest!.i, certainement, une hypothèse absurde. Et quand il vient à pleuvoir, comment dire que la pluie tombe sur les deux? Elle tombe bien sur l'un, mais sur l'autre ne mon- terait-elle pas plutôt ? » Ces raisonnements enfantins de Cosmas sont à la hauteur de sa cosmogonie. Ne prétend-il pas démontrer

terris positi, advcrsa pcdibus iiustris calcant vcsti(;ia, niilla ralionc credundiiiii est. »

(1) Tons CCS pères et docteurs sont cités, avec les passages correspondants de leurs œuvres, par Letronne, OpinioHs cosmographiqiies des pères de rEijIiae (Revue des Deux-Mondes, mars 1834). On peut consulter égale- ment Jr)LiiDAix, De l'influence dAvistote et de sen mterpvèfes sur la décou- verte du S'ouveau-Monde (Journal gÔNéral de l'instruction publique, année 1861).

(2) La meilleure édition de l'ouvrage de Cosmas Indicopleustes a été donnée par Montcauco.n, Collectio nova patrum et scnpto'-um graecorum^ t. n, p. 43 (17 lO) Voir Ë. Gharto.v, Voijaijeurs anciens et modernes, t. Il, p. 1-30

r.llAI'. V. COMMUNICATIONS AVEC i/aMKHIQUR AI' MOYKN AC.K. 171)

(|(U' le tidx'riiach' de Moïse est lii véritiililc image du iiiondt*, que la terre est carrée et renfermée avec !(• soleil, la lune et les autres astres dans une sorte de cafre Mli!un;;ne, duiit la partie siipérieiUT forme un douille ciel (i)?

Sans doute (|uel(|ues liomnii's se rencontraient (|ui répugnaient à accepter connue articles de foi ces affirmations sans fondement, mais ils étaient forcés de s'y eoufiirmer sous les peines les plus graves. Kusèhe de (îésarée s'étant hasardé, ('ans son Commen- lairt! SU7' les psftinm's, à dire que la terre était ronde, se repentit l)ientôt de sa témérité et revint à l'opinion commune (!2). Photius, analysaii» les ouvrages de Cosmas et de Diodore de Tarse (3), laisse voir qu'il ne partage pas leurs erreurs, mais de foudtien de précautions n'use-t-il pas pour envelopper une aussi téméraire pensée ! L'Irlandais Virgile fut moins prudent (i). Il exposa publiquement la théorie des antipodes et soutint qu'il y avait un autre monde et d'autres liommes. Dénoncé comme hérésiarque par son rival de gloire et d'éloquence, Boniface, il fut déféré par le pape Zacharie à la juridiction du duc de Havière, Odilou (748). On ne sait trop quel fut le résultat de iencpiéte (5). D'après la tradition, Virgile aurait du rétracter ses

(1) Cette opinion se perpétua : Au temps de PInlippc-Augustc, Alain de Lille, dans son Anticlatidianus, sera le seul à soutenir que la terre n'est pas oariéc, mais ronde. Voir Kerdixand Denis, Monde Enchanté, p. 23.

(2) CùlU'ctio nova patrum, etc., f, 460 : « Cujus in Hnibus antipodes l'abu- lus»; liabitare creduntur ».

(3) PnoTiis, Bihiiotheca Grxca, VU, 2, liv. xiv.

(4) D'Achehy et M.vbiixon, Ada sanctorum ordi7iis Sancti Benedicti in sxculorum classes disMùtita (Sœculum, I({) p. 72. Lettre du pape Saint Zacharie, t. XV, inter Bonifacianas epistolas. Le pape l'accusait d'avoir dit : u Quod sciiicct alius mundus et alii homincs sub terra sint, aliusquc sol et luna >'.

(il) On peut consulter sur Virgile de Salzbourg, X..., Nouvelles remar- ques sur Virgile, Homère, et le prétendu style poétique de l'Ecriture sainte JTIO). liEncEn de Xivuky, Traditions tératologiques, p. 186- 188. Alfred Webb, A compendium of Irish Biography, comprising Sketches of distinguished Irishmann, 1878. Notons d'ailleurs qu'il n'est )|ucstion de ces controverses ni dans la Vie anonyme de Saint Ebehrard de

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IHO l'IlKMIKm: PAHTIi:. I-KS I-HKCI-HSKIHS I»K COLflMH.

npiiiictns <'t l('« rejeter sur un n-rtaiii Virfiilc «l'Arles, fuvori do Cliildclx'rt II, (>t mort en ^>i\. Il serait ini^iiie allé se jiistilier à Home, et, bien (iii'il eût prouvé (|ut> les irlandais étaient en euunuuuieatinn ré^'ulière avec un uiondc» trausatlauti(|ue, su sentant ineapaltle de résister à la plus ^M'aiide force du temps, il se serait rési^:né à luie rétractation. La soumission de ce nouveau 4ialilée l'ut l>ien accu(>illie. puiscpie, peu tlannées après l'erKpiéte, il fut sacré évéque de Sal/liour^ji TtJi) et plustard canonisé (lliH). Les savants se le tinrent pour dit et la théorie des antipodes fut dés lors coiidauuu'e. llahan Maur, pur exemple, en parle à peu près dans les mêmes termes «pie Lactance ou Saint- Augustin (1). Au X'' siècle, un interprète de Hoèce déclare cpie cette théorie est contraire à la foi. {"1). « Loin de nous, s'écrie- t-il, la [»ensée de croire à Texistence des antipodes : c'est une ynnce de tout point contraire au christianisme ». Guillaume de Couches (pii pourtant se signale (dus d'une fois par ses opinions hardies (3), se range en cette occasion au sentiment général et incline à penser «|ue, s'il y a des antipodes, nous n'en avons pas lu certitude, faute de couummicjuer avec eux. Ces opinions étranges persisteront jusqu'au xV siècle, car les conseillers de la reine Isahelle à Salaman((ue et à (îrenade, opposenmt encore à Goloud), pour le détourner de ses projets, des considérations analogues sur les antipodes i\).

Solz/ioiir;/, ni dans le Livre iten inlrarles de Virgile, l'un et l'autre publias dans le Acta Sawtorum nrdinin Sanrtis Benedicti.

(1) Uaiian Macii, De toiivcrso, 1. XI', §2.

(2) Ctasuicornm auctorum o Vaticmiis codicihus, t. IV, p. 353 (Ilomc, 1831) : « Absil ut nos quisquaui aniipodum fabulas recipeie arbitrctur, quie sunt tldci chrisliano^ omnino cuntrariic ! »

(3) GciLbALUE DE CoMciiEs, Pfiilosop/iia minor, IV, 3 : « NuUus tamen nosti'uui ad illos ncquc illurum ad nos pervcnirc potcst ».

(4) Geraldim. Itinerarium ad regiones sub xquinoctiali plaga consii- tuta:<, Romii!, 1631, fol. 204. « Multi antistites patritc Hispanœ nianifcstum reaui pênes cos esse plane assei'cbant, co quod Nicolaum a Lyra totam terrai huniamc compaginem ab insulis Fortunatis in oricntem usque supra marc extcntuni nulla latera iiabcrc pcr inferiorcui partein sphœrœ obtorta dicit. Et Divus Adrelius Augustinus nulles esse antipodas affirmât ».

niAI'. V. COMMIMCATION' AVEC l'aMKHKM K AI MoVKN ACK. 181

Oïl avait aussi cuiisorvc' au uio^cu-à^c les |»r»''jujî(''s anti(|U('s sur la xnnc torridc. Dos W v" si«\'h', l'aul Ornsc, Pliilost<trf,'(' et Mnïsf (If Klinrcu se pronnuraicut en favrur «li' la tlic-orif «le ritili.'iliitaliilitô de la /on<> torridc (1). Jean IMiilopouus, ^ram- iHairicu alcxaudriu du vi''si(>cl(>, r>rrivait : >< (JucNjucs |i(>rsniuu's ont s()U|i(;onn('', se coufomiaut à uut> tradition ahsurdc, (|u<> l'Ocrau .it!auti<|U(> va se rrunir dans la partie ori(.*utal(> avec la uior Krytluvc, ce qui est rvideunnout faux, car il faudrait (luc rOcnui se prolon^cAt tout au travers de la Lihye et dans la zone forrid»' inOuic, il est impossible (|ue des hoiuines puissent naviguer h cause de la chaleiu* brûlante qi •è};ne ("l) ». dette erreur »'tait acceptée par les savants les plus ré|)utés (|ui lu propafçeaient dans leurs écrits. Ainsi nous la retrouvons dans Isidore de Séville (3), Marcianus Capella (i), (Jréf^oire de 'l'ours (5) et Héde le Vénérable ,t»). Le manuscrit 4830 de la Hil>liotbè(|ue Nationale donne trois cartes insérées à la suite du LHh'i' [rofariim sancti hidori, (|ui prouvent toutes les trois qu'on ne croyait pas (pi'il fût (lossible de pénétrer dans la /one torride (7 . Au xii" siècle, Honoré d'Autun, l'abbesse Herrade de Landsberg, (îeoffroy de Saint-Victor (8), Hugues Metellus et le poète philosopbe Bernard de Chartres renouvellent ces vieilles

;i) Tous cités par Santareu, Cosmographie et Cartographie du moi/en- igc, F, 310.

(2) PniLopoNLs, De creatione mundi (cilé par Letronne, Journal des Savants, 1831 p. 547.

(3) IsiDOHE DE Sftvii.i.E, Origines, XIV, 5 : « Extra Ires partes orbis, quarta pars trans Ocr .m est, quic nobis ardorc solis incognita o«t •.

(4) Marcianus Capeli.a, Satgritrcon inédit. Kopp, 1836), p. 503 : « Media- vcro llainmis atquc aniiclis ardoribus torridata propinquantes animantium comburit occasus » .

i5) Jacob, Géographie de Grégoire de Tours.

(6) Bède ue Vénéharle, Mundi constitutio (cditl612), t. I, p. 324 : «... quœdam mundi partes teiiiperie sua incoluiitur, quœdain immanitate frigoris uni coloris cxistunt inhabitabiles ».

(7) Santabkm, ouv. cité, p. 24, 50, 69,

(8) Geoffroy de Saint-Victor, Microcosmtts, f. 18. « Mediam vero zonaia caloris intempérie, proptcr pcrpetuam soiis prœsentiam, intiabitabilem ».

182 l'HICMlKHIC l'AHTIK. LKS PRÉCl'RSEniS 1)K COLOM».

tlirories. Au iiiilit'u du siôclo suivant, et nialgn'' le progrès des coiui.'iissancos nautiques, Nicépliore Hlouunydas H) affirmera oueore (|ue la ( l>:;îeur de cette zone est un oi)stacle insurmontable à la navigation (2). Sacrohnsco, le fameux cosmographe anglais dont la Sp.t'ra tnimdi fit pendant (piatre cents ans autorité dans les écoles, Vincent de Heauvais lui-inôme partageait cette erreur et avec lui pensaient les chefs de l'Eglise ou les représentants les plus autorisés de la scieii L'un d'entre eux, Albert de SHxe, prétendra même <pie non sommes séparés de ces régions par ces déserts coupés de hautes montagnes, (|ui ont la propriété d'attirer la chair humaine connue l'aimant attire le fer (II). Pierre il'Alhano répétera ces fahles ridicules sans les cond)attre (4), malgré sa réputation méritée de savoir et de ferme jugement. Jusqu'au xiV" siècle, fidèles à l'anticpie tradi tion, Hrunetto Latini /.M et son illustre élève le liante, llanuif de; llygeden, Nicolas Oresme, Mandeville et Hoccaee |(J) croient encore tpie les chaleurs excessives empêchent de connaître une partie de l'univers (7).

Ce double préjugé de la non-existence des antipodes et de

(1) Nic(''pliorc Blcniinjdas, cité par Letbosne, Opinions co^moffraphquex des Pères de l'Eglise, p. I"J, 20.

(2) Sacho Hosco, De Splurrn mimdi (ôdition de Lyon, 1531) : « Illn ij^itur zona quir est iiiter duos tropicos dicilur inhal)ilal)ili$ prupter cale- rem solis discurreniis super illam ». Cet ouvrage eut 2i éditions au w* siècle, et plus de quarante de ir>ul à 1(U7.

(3) Ai.RRRTUs Saxonii 8, Qii.TstiouPs de cœh et nutido, 1. ii, p. 26 : >< Suul quidam montes, qui habent naturam attralicndi carnem humanam, sicul magnes attrahit fcrrum, et htcc est causa quarc nidius transit ».

(4) Petkub de Ai.nANo, Conciliator controvetsiiirum tfuw inttr p/iiloso- phos et mcdicos vcnantur, Diff. 67

(5) BnuNKrro Latim, // Termo (édit. Venise, 1533). Il aOlrme qu'en Afrique, au-delà du pays des Garamanles, il n'y a que des déserts per- sonne n'habite jusqu'à l'Arabie (ove nulla persona habita in fino in Arabia), ei cela à cause de la trop grande chaleur du soleil.

(6) Hoc.cACK, De mojdiàus et diversis nominiôus maris.

(7) Tous cités par Santareh, Cosmographie et cartographie du moyen- àge, I, 76, 78, 108, 137, 139, 141, 147.

riIAI'. V. —COMMUNICATIONS AVEC LAMÉHIQUE AU MOYEN AGE. 183

riiilial)ital>ilité de la zone torride devait, pour de longues années «Mii'ore, accréditer de fatales erreurs et empêcher tout progrès géograplii(pu'. Plus encore que l'ignorance ou que les scrupules tliéttlogiques, une autre raison s'opposait encore à ce «jue les marins s'aventurassent hors des mers connues. L'Océan, en eiïet, passait pour l'asile des monstres (1). C'est (|ue vivaient l'odontotyramus, assez gros pour avaler un éléphant entier, et le serpent qui se dressait du sein des Ilots et poussait de lugulires gémissements avant de se jeter sur les niateU)ls pour les dévorer. (Vest que le harca engloutissait les navires, surtout (pie le kraken, en respirant au soleil, étreignait de ses Itras multiples les imprudents (|ui n'avaient pu fuir à temps. Cosmas exprime en ces termes la frayeur que lui faisait éprouver à lui et à ses compagnons la vue de l'Océan (2) : (( Les matelots et les passagers les plus expérimentés disaient que nous appro- chions de l'Océan et tous criaient au pilote : retourne à gauche dans le golfe, de peur ([u'emportés pur le cf»urant dans l'Océan, nous ne périssions ; car l'Océan, entrant dans le golfe, soulevait de vastes flots et la vague nous entraînait vers la pleine mer. C'était un spectacle pénihie qui nous glaçait de frayeur ».

.\ ne considérer que les apparences, il semhie donc que la notion d'un continent opposé au delà de l'Atlantitjue ait été, pendant tout le moyen-Age, comme anéantie? Il semhie surtout (pi'aucun n.ivigateur n'ait osé s'aventurer sur cette mer de l'ouest, si féconde en dangers et en catastrophes. Pourtant, malgré cette ignorance à peu prés générale, et malgré ces causes d'immohilité, quelques savants avaient conservé de justes notions sur la forme de la terre, et de hardis marins se risquaient de temps à autre sur l'Océan.

Dans le chaos qui suivit les invasions harhares, la science géographique avait été fort compromise, mais, peu à peu, grâce

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(1) nKHOKii DK XivBEY, TradUionn tératologiques. marins. ["i) Cosmas Indicopleustes, ouv. duS (édition Charton), p. 12.

Landrin, Monstres

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18i PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.

H l'ôtude attentive des texte "., grAce aux sources nouvelles que le zèle des traducteurs ouvrit en Occident à l'érudition, prAce surtout aux efforts {rénéreux de quelques esprits dV'lite pour secouer le joug du passé et s'engager résolument dans la voie du progrès, une sève plus abondante circula dans les écoles chrétiennes et vivifia la géographie comme les autres connais- sances humaines. Une partie des erreurs anciennes disparut, les vérités déjà connues furent confirmées, et la Bihie ne resta plus l'autorité unique et exclusive. Quelques docteurs, et parmi eux celui dont la parole faisait autorité. Saint Thomas, allèrent môme jusqu'à prétendre que l'écrivain sacré avait parfois aci ommodé son langage à l'inexpérience de ceux auxquels il s'adressait, que les expressions dont il se servait pouvaient être entendues de diverses façons, et que tout passage en contradiction avec des faits certains devait être écarté (1). Aussi quelques savants rompirent-ils sans plus tarder avec les préjugés de l'école, en affirmant hardiment non seulement que la terre était sphérique et la zone torride habitable, mais aussi qu'un grand continent existait dans l'autre moitié du globe et qu'on le décou- vrirait en s'avançant dans la direction de l'Atlantique.

Isidore de Séville avait déjà parlé de la sphéricité probable de la terre (2), mais il ne l'avait admise que sous toutes réserves. Béda. plus affirmatif, en donna la preuve (3) : C'est que, du

(1) S. Thomas, Summa theoloyix, II, i, 68 : >< Nihil auctorilate scrip- turœ dcrogatur, si diversimodc cxponatur, dunimodo hoc fli-miter tencatur, quod sacra scriptura nihil Talsum contincat. Constat tamcn in scriplura sacra multa mctaphoricc tiadita esse, qux secundum plaiiam supcrilcicin liltcrin intclligi non valent. Duo sunt obscrvanda : primo quidein ut vcritas scrip- turœ inconcusse tencatur ; secundo, quum scriptura divina mullipliciter cxponi qu'^at, quod nulli 3xpositioni aliquis ita précise adhœrcaiit, ut si cerla ratione constiterit hoc esse Talsum, quod iiliquis sensuni scriptura; ctse credebat. id nihiiominus asscrere prœsumat».

(2) IsiDOBE DE Séville, Ettjmologicon, XIV, 5.

(3) Béda, De natura rerum, § 46 : « Orbeni tr-rac dicimus, non quod absoluti orbis sit forma, in tanta montium camporumquc disparitatc, sed cujus amplcxus, si cuncta linearum comprchendantur ambitu, figuram abso-

fim

CHAI'. V. (.OMMUNICATIONS AVIX LAMKHiyL E AU MOYEN ACE. iS.'i

point (|ue nous occupons, nous aperce V(»ns les astres (|ui sont au nord sans voir ceux «pii sont au midi, et <|ue, récipr<j(|uenient, si nous lial)itions les réfjions n:éridionales, nous ne verrions pas ceux du nord, la convexité du «ol ne permettant pas, dans ce ras ni dans l'autre, d'embrasser à la fois les deux pôles ». Nous^ trouvons la même doctrine chez Scot Krifrène et Uemi d'.Vuxerre, ;'insi (pie chez Uahan Maur (1) et plus tard clu'z Adelhard de Hath, Honoré d'Autun et (îuillaume de Conches {i). A partir du treizième siècle c'est pour ainsi dire une opinion courante, dont il serait superflu de rechercher la trace dans les écrits du temps. Qu'on en juge plutôt par le grand nombre des ojivrages composés (lès cette épo(pie, sous le titre de Traité de la S|)hèn . Tel d'entre eux, <'elui de Jean de Sacroixtscit, eut jusqu'à soixante- cin(| éditions, et au moins autant de commentaires (3) !

La théorie de l'hahitahilité de la zone torride ne triompha cpie |)lus tard. Le fameux comte de liollstadt, Albert le (Irand, (pie ses contemporains, effrayés par l'universalité de son savoir, prirent pour un sorcier, dit expressément, dans s(m Liber Cdsmographicua de iiainra locoriiin, (pie toute la zone torride est habitable (-4). Pierre d'Albano , au commencement du XIV'' siècle, se fit l'ingénieux propagateur de cette doctrine : « Pttdémée, dit-il, a seulement fait remanpier (pi'aucun témoi- gnage direct ne lui avait fourni la preuve (pie les contrées- é(juinoxiales fuss;'nt liabit<^es, et, en ce point, beaucoup de cosmographes, dont l'hésitation n'est pas excusable, puis(prils

liili orbis cfflciat. Inde ciiim fit ut .scptcntrionalis plagie si(]cra nobis scmpcr aiiparcant, meridiaiia* iiunquam ».

(1) Haran .Malii, De i'niverso, XII, i. « Forinaiu tcrrœ ideo scriptma orbuiii vocal, co quod rcspicicntibus cxtrciiiitatciu ejus circiilus seinper appa- rcat, qiiein Gracci orizonta vocaiit ».

\i) Cilés par Joukdmn, Mémoire sur l'influence d'Aristot'!, etc., p. 7.

(3) Les plus connus de ces traités fuient composés par Campanus de No- varre mort en 1300, par Cecco d'A.scoli (1257-1327) et par Nicolas Orcsme.

(I) Ai.iiEKT i,F. Ghand, Liher Cosmographicus de natuva locontni tStras- liourg, 15IF)), fol. 14bet23«.

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186 PREMIÈRE "ARTIE. LES PRÉCURSElîRS DE COLOMU.

pouvaient invoquer le témoignage de Suint Jeun Dani.iscène, ont imité sa réserve. Aujourd'hui l'incertitude n'est plus possible, et il n'y a que les gens peu instruits, oapaltles de croire que les régions équinoxiales sont inliahitahles et que l'Océan occupe partout l'espace compris entre les deux tro- piques » (1). Nicolas Oresme, grand maître du collège de Navarre, mort évéque de Lisieux en 1382, auteur d'un Traité de la Sphère dédié a Charles Y, s'exprimait en ces termes (2) : « Aucuns dient que la tierce plage, qui est souhz la v(»ye du soleil entre les deux tropiques est inhabitable ; mais les autres dient que c'est très noble et très atrempée habitacion, especialement vers le milieu, soubz l'equinocial, et ce fut l'opinion d'Avicenne. Et ceulx qui maintiennent ceci arguent ainsi : que si elle estoit inhabitable, ce seroit pour trop grant chaleur, mais il n'en est pas ainsi. » Cette théorie fut dès lors acceptée, et même enseignée. Ainsi que la précédente elle devait contribuer à étendre les connaissances géographi([ues.

La croyance la plus utile au redressement des erreurs sur la forme véritable de la terre fut celle de l'existence d'un ou de plusieurs continents au-delà de l'Atlantique. Les savants, qui se firent les interprètes de cette théori -, renouvelaient une doc- trine ancienne. Nous avons déjà vu que Cicéron, Macrobe et d'autres écrivains pensaient que les deux hémisphères que l'Océan sépare l'un de l'autre sont, en outre, coupés à deux reprises par les eaux, de manière que la surface de la terre se trouve partagée en quatre continents, deux dans l'hémisphère boréal et deux dans l'hémisphère austral. Ce singulier système nous le retrouvons chez Cuillaume de Couches (3), et chez un écrivain du commencement du treizième siècle, Geoffroy de Saint-Victor, qui s'exprime ainsi {A) : « Les philosophes éta-

(1) Petrus de Ai,bano, Conciliatorcontroversiarum(]UX inter philosophos et medicos versant ur, fol. 100.

(2) Nico! A3 Oresme, Traité de la Sphère, § XXIX.

(3) Guillaume de Conçues, Phiiosophia mitior, IV, 3.

(4) Geoffroy de Saint-Victor, Microcosmus, cité par Jourdain, p. 8 :

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CHAI'. V. COMMl'MCATIONS AVEC l'AMKHIOII: AU MOYEN AGE. 187

Missent par des raisons trOs plausililes l'existence en quatre

points du monde de quatre portions de terre ferme non seu-

-lenient habitables, mais encore habitées. En effet, selon les

philosophes, la terre est partagée, ainsi que le ciel, en r •/[

zones Comme le grand Océan divise deux fois chaqre zone

tempérée, elle est partagée en deux continents, ce qui, pour les deux zones, donne quatre continents, deux dans l'hémisphère supérieur et deux dans l'hémisphère inférieur. Les deux con- tinents qui ont la même longitude dans un hémisphère différent se font face, non pas, il est vrai, directement, et leurs habitants s'appellent anthùtes, c'est-à-dire placés les uns en face des autres ; les deux continents qui ont une longitude différente, celui-ci dans l'hémisphère du nord, celui-là dans l'hémisphère (lu midi, se trouvent aux deux extrémités d'une ligne qui passe par le centre de la terre ; aussi leurs habitants sont-ils appelés Antipodes ». Albert-le-Grand, sans être aussi explicite, admettait également l'existence de ce continent opposé (1). « Les mômes rliniats, dit-il, se répètent dans l'hémisphère inférieur, de l'autre côté de l'équateur, il existe deux races d'Ethiopien. , ceux du tropique boréal et ceux du tropique austral. L'hémisphère infé- rieur. Antipode du nôtre, n'est pas tout à fait couvert d'eau ; il est en grande partie habité, et, si les hommes de ces régions éloignées ne parviennent pas jusqu'à nous, c'est à cause des vastes mers interposées ». Le contemporain d'Albert-le-Grand, Vincent de Beauvais,

<< Nnturalis philosophiis prubabili valdc ra Jone in (|iiatuor locis muiidi quatuor partes aridas asserit apparaisse, et singulas non solum habitabilcs sed et liabi- lalas esse. Docet enim quinquc esse cœll terras vel cœli zonas.... Magno Oceaiio utram((uc zonam (tempcratam) bis dividente et sic quatuor aridas fnriciite, ita ut duiic quw. in cadem zona sunt, altéra in inferiori, altéra in supcriori hemispherio, indirecte quidem, sibi contra posito) sunt. Quarum et habitatores anthctos, id est contra positos vocant. Quœ vero in diversis zonis »unt, altéra sursum, altéra dcorsum, qui» per médium terrtc se respiciunt, dirccta sibi contra positionc opponuntur, undc et earum habit.itores antipodes vocant. »

(l; Ai.bert-le-Grand, ouv. cité, fol. 23».

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188 PRKMIÈRK l'AHTIK. LKS l'RKt.l RSKIRS UK COLOMB.

cliarfît'i par suint Louis de (;oni|)Ost'r une sorte d'encyclopédie, put, dans son Spéculum Quadruplex, (|ui se rattachait étroi- tement à la relifîion, liasard<'r (piehjues idées nouviîlles. Ainsi parlera-t-il des terres situées au delà de l'Océan, et de la qua- trième partie du monde. << Après les trois parties du monde, dit-il, et au delà do l'Océan s'étend vers le Midi une (piatrième partie. Les ardeurs du soleil nous empêchent de le connaître ». Comme on le voit, Vincent de Beauvais n'est pas encore dé}ra}jé des vieux préjugés. Il confond les idées justes et les erreurs, les théories savantes et les mythes géographiques, mais il cherche pourtant des explications scientifiques. Ce fut le Pline de son époque (1).

Un autre savant du xiii'' siècle, Roger liacon, fut hien su- périeur à Vincent de Beauvais connue érudition et comme intuition scientifique. Le docteur admirahle, comme l'avaient si hien surnommé ses contemporains, eut, en effet, la gloire d'affirmer hardiment que, d'après les lois de la nature, une grande terre inconnue devait exister en Occident, mais il ne prétendit jamais <jue cette terre fût inaccessihle : « La mer, dit-il (2), ne couvre pas, comme on le prétend, les trois quarts de la terre. Déjà il est évident qu'une grande partie de ce quart doit se trouver au-dessous de nos régions habitées, car l'Orient est rapproché de l'Occident et la mer (pii les sépare est petite.

(1) Vincent de Beauvais, Spéculum quadruplex iiaturah, liv. xxxii, § l'i, |i. âill : << Extra trcs autcin partes orbis qur.rla est trans Occanum : Interior est in ineridie, quœ solis ardore incognila nobis est ».

(2) Roger Bacon, Opiis majus . « Hoc igitnr marc non cooperit ires quartas terrtc, ut œstiinetur. . . . Jam patet quod niultuni de quartu illa sub nostra erit habitatione, propter hoc quod principia Orientis et Occidentis sunt propc, quia marc parvuni ea séparât ex altéra parte tcrroc, et ideo babitatio intcr Orientcm et Occidentem non erit medietas œquinoctialis circuli, nec medictas rotunditatis terroc. Quantum autem hoc sit, non est temporibus nostris mcnsuratum, nec invenimus in libris antiquorum, ut oportet, certill- catum ; nec mirum quoniam plus medietatis terro) , in qua sumus, nobis ignotum. .Manifestum est igitur quod a fine Occidentis usque ad finem Indite supra Isrram erit longe plus quam medietas terrie » .

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cil Aï». V. COMMUNICATIONS AVRC l'aMÉRIOIE Ai: MOYEN AGE. 180

Aussi, la terre lml)it('e entre l'Orient et l'Ooeident ne d«''passe- l-elle pas la moitié du cercle é(|uino\ial. ni le milieu de la sphère céleste. Mais (juelle est cette d: -tance? (Jn ae l'a pas mesurée (le notre époque, et les l'vres anciens ne nous donnent à cet éirard aucun renseif?nement. Qu'y a-t-il donc d'étonnant si plus de la moitié de la terre (|ue notis habitons nous est inconnue? Il est donc manifeste (joe, depuis rextréme Occident jusqu'à j'i-xh-éme Inde, il doit y avoir une surface comprenant plus de la iriititié de terre ».

Ainsi donc, par la seule fon-e du raisonnement, Roger Maçon (l) avait compris qu'il devait exister, en opposition à notre continent, une autre grande terre jusqu'alors inconnue, et cette terre il affirmait ([u'on la découvrirait dans l'espace qui sépare l'extrémité occidentale de riîurupi; de l'extrémité orientale de rinde. Il était impossible de mieux indiquer la position de l'Amérique. Malheureusement, Iiors des cloîtres et des univer- sités, personne ne connaissait les conclusions du docteur admi- rable. On s'efforçait même de les cacher, car ce don de prophétie clfrayait et il fallut la toute puissante protection du pape (lléinent IV pour rendre à la liberté le pauvre moiius jeté en prison parce qu'il axwiit été supérieur à son siècle.

Le terrain n'en était pas moins bien préparé, et bientôt s'imposèrent ces doctrines, qui d'abord n'avaient excité que des iléliances. Ce qui surtout contribua à répandre ces théories nouve"es, ce fut la persuasion l'on était que la distance qui sé|)arait l'Europe de l'Inde dans la direction de l'Atlantique n'était pas considérable. Nous savons déjà que les anciens croyaient à la proximité de ces deux continents (2). Aristote

(1) llogcr Bacon Tut un véritable rcfonnateur. Ce puissant génie, le véritable riiiidaleur de la science expérimentale, annonce et prépare, pour ainsi dire, les inventions des siècles postérieurs : ballons, leviers, lunettes, cloches à jdongenrs, armes à feu. paquebots et chemins de fer. Voir dans la Biographie nnivenellp. de Didot Hœfer l'article Roger Bacon, et surtout VÉtiide sur Hof/cr Bacon, par Charles.

(2) Voir plus haut, chapitre iv, p. 154-137.

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100 PRKMIi:»K PARTIK. LKS l'RKCIRSKlJHS DE COLOMB.

s'était à ce propos, et ;'i diverses reprises, expliqué très c.liiire- ment. Or Arist<»te fut iefiraad éducateur du moyen âge (1). Ses ouvrages, traduits dans toutes les langues de l'Europe, formèrent comme le fonds commun de la philosophie et de la science. Ses principes furen* aveuglement acceptés et commentés avec passion. Il suffit |)arcourir les ouivres des maîtres les plus autorisés de la scheiasticpie pour se rendre compte de rintluence qu'il exerça. Souvent on se contente de le traduire, parfois (»n le paraphrase, jamais on ne le discut(î. Voici comment Averroc's le plus céléhre de ses interprètes Arahes, s'exprime au sujet de sa conjecture sur le peu d'éte"dne de l'Atlantique (2) : « Aristote donne la preuve suivante de ai petitesse de la terre : c'«;st que l'horizon des lieux les statues d'Hercule sont placées, c'est- à-dire l'extrémité occidentale de la mer hahitée, est proche de son extrémité orientale, et qu'entre les deux régions il existe

une seule nier continue Aristote ajoute que ces deux

contrées sont peu éloignées, parce qu'elles produisent l'une et l'autre des éléphants. En effet les animaux qu'on ne rencontre pas dans tous les pays, mais dans un seul, sont particuliers à ce pays, par la raison que c'est le climat approprié à leur nature. Dès lors les régions qui les produisent ne sauraient être à une distance hien éloignée, car l'éloignement suppose en général la dissemhlance ».

Les écrivains du treizième siècle les plus familiers avec le péripatetisme et la philosophie musulmane, Alhert le Grand, Saint Thomas, Roger Bacon, s'expriment en termes à peu près identiques. Le premier, dans son Commentaire du iraité du ciel et du monde, dit expressément qu'entre l'horizon de ceux qui hahitent près de Gadès, et l'horizon des Indiens, il ne peut exister qu'une mer de médiocre étendue; (3). Saint Thomas

(1) Jourdain, Recherches sur l'dge et l'origine il<'s traductions latines d'Aristol" Id., De ^influence d'Aristote et de ses interprètes sur la découverte du Nouveau- Monde.

(2) Jourdain, ouv. cite, p. 17.

(3) Albert le Grand, De cœlo et mundo. liv. ii. Tract, iv, § 11, i. Il,

CHAI». V. COMMUNICATIONS AVEC l'aMKRIQL'E AU MOYEN AOE. 191

n'viciil à deux reprises sur cctto tliéorii'. Uuns sou /•Sx/msitinn des linrs du ciel et du mnude, il reproduit l'Iiypollièse de lu proximité du «continent orienta! et de rcxtréinité des côtes d'Kspafine et (i"Afri(jue (1). Dans soti (^tnniiirulairr des Mi'lritrt's, il iiidi(}ue seulement que l'IJcéaii .Vtlanti<|Vie a deux rivafîes opposés, lun aux colonnes d'Hercule, l'autre à l'ex- trémité orientale de l'Asie (2). Roger Hacon reprend, en les déveioppiuit, les arffunients d'Aristote (3), et, avec la netteté ordinaire de son esprit, démontre la possibilité de la navifjation entre les deux continents. Il semhie dès lors (pie cette croyance soit admise par tous, car nous la trouvons enseignée par les professeurs de l'université de Paris, par exemple par Nicolas Uresme et par Pierre d'Ailly (4).

Ces diverses théories dénotent chez les savants qui les mirent en circulation une singulière connaissance de la forme générale de la terre. Que si nous changeons les noms, et faisons dispa- raître (juel(|ues erreurs qui sont comme le signe de répo<|ue, la |)lupart des passages que nous av(jns cités ne seraient pas déplacés dans les ouvrages modernes. H est certain qu'Alhej't le

|i. HO : « liitcr cniin orizontcm habiluiitiiim iii climiitu illo juxla (Indes Hcr- culis, et iiri/oiitein liabitaiiliuin iii liidia, non est iii niudio, iil diciint^ iiisi i|uoddaiii mare parviitn ; scd marc dcnaiiuin meta est clinialis illius ex occi- dciitali parte ».

(1) Saint Thomas, cité par Jourdain, p. 21 : » Et idco non videntnr valde inciedibilia opinari qui volunt coaplare, secunduni similitudineiu et piupiii-

ipiitatein, locnm in exlremo occidentis situm loco qui est ciica mare

Indicum in exlremo Oricnlis, et dicnnt nnum esse mare Oceanuni quod coiitinnat n traque loea ».

(2) lu., p. 22 : <• Quod est circa terniinuni Indicum, ex parte Oricntis, et quod est circa columnits Herculis, ex parte Occidentis, non videntnr posse copiilari ad invicem, ut sit reditns ex alia parte, et sic tota ista porlio terrœ sit liabitabilis continue, quia impeditur accessus propter mare. »

(3) Rouer Bacon, Opiis majus (édit. 1750), p. 137 : « Et vocatur Oceanus, ut principiuni Indiic possit esse multuin extra mcdietatem ci|ninoctialis circuli sub terra, accedcns valdc ad flnein Hispaiiii». »

(V) Nicolas Oresme, Traité de la sphère, tout le clia|iitre des climats. Pierre h'Aii-ly, Imago mttndi, § 4'J.

VM imu:mikiik pahtik. i.ks i'HKciuskuhs i>k colomii.

(iriin<i,'(|U(* Viiici'iit de licaiivais, Saint Thomas et Ilojrcr Hacoii oui «Icvaiico leur siôclc, qu'ils cNiTcrrciit nue (diissantc influence sur leurs coiiteiniMirains et (|u'ils coiilirnièreut dans leurs au(ta(;ieu\ projets les marins (|ui déjà s'aventuraient sur l'Océan.

Parmi les savants dont les d'uvres eurent à travers les Ages comme un long retentissement, Dante mérite une place i\ part, (let Homère chrétien d<»nt les poèmes étaient déjà vivement goûtés par set cunteinptu'ains, parle à diverses reprises des ï'toilos de l'autre hémisphère et des continents inconnus . « (J frères, dit son f/h/ssi-, vous (pii à travers mille périls êtes parvenus jusqu'à cet Occident, si peu «ju'il vous reste encore à jouir de vos sens éveillés, ne vous refusez pas à la gloire de •découvrir par delà le soleil un monde encore inliahité ».

0 fralli, dissi, che per cenlo uiillie Perigli sitHe giunti ail Occidenle, A quesla tanto picciola vigilia De voslri seiisi, che del rinianente, Non vogliate negar l'esperienza Diretro al sol, del niundo seiiza génie.

Quand les hardis marins se sont décidés à suivre leur •capitaine, <( notre poupe au levant et le gouvernail prenant à gauche, nous fîmes des ailes à ce vol insensé. Déjà la nuit voyait se déployer devant elle toutes les étoiles de l'autre hémisphère ; l'astre polaire ne se montrait plus qu'à l'extré- mité de l'horizon : nous avions vu cinq fois reparaître le gloh»; argenté de la lune, depuis que nous entreprenions ce grand voyage, quand nous aperçûmes une montagne que la distance rendait encore obscure, et qui était la plus haute que j'eusse encore observée. Nous nous livrâmes à une joie qui bientôt se changea en douleur. Il s'éleva de cette terre nouvelle un tour- i)ilIon qui vint frapper la proue du vaisseau; trois fois la

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(I) Dante, l'Enfer, chant xxvi, terzo 45 et suiv.

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CHAI'. V. COMMUNICATIONS AVKC l'aMÈHIQIE AU MOYKN A(1K. lOIi

t('tii|MMt' (if toiirticr U- navir»', puis «'Ile fracassa la poupe, ft, niiniiic il |»lut à Dieu, I'Ociniii se reforma sur nous ».

, Tulle It! slelle qim dt'll' allro polo Vidt'a la nollc, ol iioslio, laiilo basso Che linn siirgcr à fiior dcl inaiin siiolo...

(jiiaiulo lu'apparvt- iina iiioiitagua bruna

I»er la dislaiizia, e perveiiiii alla lanto Quanto vedula non n'avero alcuna

(le passa},'(' a siii^'ulièreineut préoccupi'' Icïs l'oinnientateurs de Dante. Lt^s uns, (iran};ier, Moutonnet, Venturi et Lombardi, croient (jue le poète entend par cette iiiontag:ne la montagne du l*urffatoire, au liant de la((uel!e il |)lace le Paradis Terrestre. Uivarol rappelle «|ue, du t«'mps de Dante, « il courait déjà (piebptes bruits (pi'il existait un autre inonde au-delà des mers ». (Jinguéné l'auteur trop dédaigné d'une excellente bis- toirc de la littérature italienne (1), remarque avec raison que Dante était un des savants de son époque le plus au courant des trjiditi(»ns anti(|ues et dt!s théories nouvelles, et il ajoute : " Ne serait-il |)as possible cpie Dante eût eu (luehpie connais- sance ou quelque idéci de la grande catastrophe de Pile .\tlan- fide, qui paraît avoir été [»lacé(; dans l'Océan qui porte son nom ; que cette montagne d'où s'élève un tourbillon destructeur l'ut le volcan de Ténériffe qui, depuis longtemps éteint, domine sur les Canaries, anciens débris de la grande île, et qu'enfin le poète eût voulu consigner cette tradition dans son ouvrage?...

1) GiNf.UENÉ, Histoire de la littérature Italienn», 1 U, p. 108-100. foici l'appréciation de Cantu dan» son Histoire Uîiiven ..'e ; « Nous placc- l'iins parmi les hommes de suiuneu Dante Ali^hieri, qni sut tout ce (|uc l'on connaissait de son temps, et pressentit quelques-unes des connaissances ulté- rieures. 11 indique clairement les antipodes et le centre de {gravité de la terre. Avant Newton il assigna à la lune la cause du flux et du reflux ; avant (îalilée, la maturation des fruits par la lumière ipii on fait évaporer l'uxyi^ènc ; avant Linné il déduisit de leurs orgaues sexuels la classidcation des végé- taux ; avant Leibniz il signala le principe de la raison suffisante ; avant

liucon il indiqua l'expérience comme la source d'où dérivent nos arts humains». T. I. 13

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19i l'Rr.MIKHIC l'ARTIi:. LKS l'RÈCURSEIRS I)K COLOMH.

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Ne poiirrait-oii pas cndro aussi, cl pfiit-tMrc avec plus de vraisciiihlunce, (pic, (pioicpu; rAiuci'i(|uc ne fut |ias «'iicoro découverte, il courait déjà des bruits de rexistcuce d'ua autre monde, au-delà des mers, et (pie Uaute, attentif à recueillir dans son |)oème toutes les coimaissanccs ac(|uises(le son temps, lie né^lif^ea pas même ce iiruit si iiii|)ortaiit par son ohjfl, tout c(»ufus (pi'il était encore? »

CiCtte explication nous semhie très plaiisiitle. On peut à lion droit c(»iisidérer la Diriin' CniiK'dic coiiiiik! le résumé des connaissances de l'épocpie. Sans doute les indications du j)octe man(|ueiit de [irécision, mais Strahon, c(^ juge sévère, accordait à Homère la foi la plus absolue. Pounpioi traiter Dante avec plus de rigueur? Son ouvrage est de pure fiction, et ce n'est pas à un poète (|u"il faut demander toute la rigueur d'un rai- sonnement scientifique. Que ce soit de sa [)art de l'érudition ou de l'intuition , un écho des voyages contemporains ou une création |)(jéti(pie, Dante, dont Colomb aimait et appréciait le génie, a exercer sur son esprit une certaine iidluence, et, plus d'une fois, dans ses longues méditations, le futur amiral dut relire les merveilleuses aventures de l'Ulysse Dantes(]ue.

Aussi bien ce n'est pas le seul passage de la Divine Comédie qui prouve que son auteur avait des notions plus étendues (pie les cosmograpbes de son temps, et comme le pressentiment des futures découvertes. Souvent il fait allusion à la sphéricité de la terre, et le Paradis, qui surmonte la cime de la montagne du Purgatoire, est situé selon lui dans les mers de l'hémisphère austral, aux antipodes de Jérusalem (1). 11 parle aussi plus d'une fois des étoiles nouvelles, et mentionne même la plus brillante des constellations australes, la fameuse croix du Sud (^) : « Je me tournai à droite pour considérer l'autre pijle; j'aperçus quatre étoiles cjui ne furent jamais observées que par

(I) 0A.4TE, Purgatoire, chant iv, xxi. (2)lD , Purgatoire, I, 22.

CUAI'. V. COMMl MCATIONS AVEC L'aMKHIOI K Al MOYEN AdK. 195

les premiers liahilants de la lerre. L«' eiel paraissait se réjouir (le leur éclat. () eontrée du nord, toi <|ui ne peux eontetnpier CCS astres él»louissauts, (pie je te plains dans ton veuvage! »

In ini voisi a nian désira, e poHJ mente Ali'alli'o polo, e vidi (piattro slelle Non visle mai ftior (ir.illa prima ^'eiile, (iodcr pareva l'ciid di ior liammello. t)h ! stïtlcnU'ioiial vedovo site, Poi che privato se di misar quelle !

Ces (pjutro étoiles sont-elles iinajîinaires ? Telle est ropiiiion de Streckfuss, eotnrnentafeur allemand de la Divine (Comédie (I), mais il est bien peu pr(d)al>le que Dante, (jui vient d'énu- méror plusieurs étoiles sur le nom et la position destpielles aui'un doute n'est possil)le, ait de lui-même inventé la Croix du Sud? Aurait-il jiropliétisé son ajiparilion (i), ou l)ien, connue le croit un autre de ses commentateurs, Lomiuirdi, ces (piatre étoiles ne sont-elles .(pi'un symbole des vertus cardinales? Sans av(»ir l'esprit prophéti(jue, et surtout sans faire de la théologie astronomique, Dante entendit sans doute parler de cette hrillunl»* constellation. La Croix du Sud est visible dans le sud de l'Egypte et dans l'Ilindoustun (3). C'est peut-être de cette constellation (pie parlait déjà Aristotc, quand il faisait remarquer qu'on V(jyait en Egy[)te des étoiles qui ne brillaient point dans notre liémisphère (V).En tout cas, à l'époque à laquelle écrivait Dante, le 1310 à 1314, les négociants Pisans ou Vénitiens fréquentaient (b'jà ces contrées, et, par conséquent, a\ aient observé la constel-

(1) Streckfuss, Die Goettlvhe Comœdie, p. 179, 228 (1834).

ii) Ainsi le croyait un des plus anciens commentateurs du Dante, Andréa Corsali. Voir sa lettre à Codius, du ('(janvier 1515, ins(;'rée dans la RaccoUa <li Viarjiji do KaMUSIo (I, 177).

(3) Lettre de l'amiral Rossel '■ Artaud de Montor (traduction de Dante, p. 178). HcMBOLDT, Histoire n. la Géographie du Nouveau Continent, t. Il, p. ;i23.

|4) Abistote, De cœlo, II, 14 : a "Eviot yàp iv 'AiYti::T«i> fxàv Mzépzi ùocSvTai /.ai nepi Kû;;pov, èv Totî Jîpôç «pxiov 3e yç^oipioi; où)^ ôpwvToit ».

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lidioii (le la (îroix «lu SikI. Lt-s Arnlics, i|iii se sont n'-|iaii(|iis «laiis loiilcs les ilin'ctidiis, et iliiiit les roiiiiaissaiiccs s(i('iilili(|ii('s <l(''iii(»iitn'iil «lu'ils riifciit les v«''rila!)lt's lit-rilitTs de It-coh- (l'AlcxaiKlfic , avaiciif cf^alfiiicnt sif.Mi.ilt'' ('cltc cuiistcllatioii. (Ju('l(|ii('s-iiiis lit' Icnis |»laiiis|»li('r('s avaient |»i'iil-iHn' passé snus les yeux (lu |K»t"'t('. Il existe un fclolte dressé en ICj^ypte par (laïssar l>eu aheu C.asscui, en li:J.'i, Iniifrteuips ctniservé eu Por- Ui\in\, accpiis eu l"Si par le rardiiial llur^^ia, <U (pii a été l'dhjet d'un savaul travail d'Asseuiaui «le Tripoli, en 1"!H) i I). (le ^Itihe, l'on distin^'ue la (îmixdu Sud, uii tout autrt! iiUAw analuf^ue, fut peul-(Hre (-(insulté par Dante. D'ailleurs, si l'on admet (pie Dante a ('(Hinu ces étoiles, j;ràc.(î aux n(''^'(i(iauts Italiens venant do l'Orient ou aux planisphères arabes, il n'est pas telleuieiit coutraire au l)(tr' sens de suppttser (pie ces rensei^'neineuls peuvent lui avoir été donnés par des voya^^eurs ou des cosuio- };raplies «pii avaient vu la (Iroix du Sud dans les mers Occi- dentales. Les Vénitiens et les (léiiois, dès les premières années du xiv" siècle, s'étaienl d('Jà Tort avancés dans l'AtlaulitpK' et le loii},' des ( ôles (r.\rri(pie, I(îs (lénois surt(»ut (pii avaient donné à rarcliipel de Madère des dénominations Italiennes {'i). Il est donc possilile (|ue ce soit par des rapports occidentaux (pie Dante ait eu connaissance de la (Iroix du Sud, et uiénie, ce devait être une notion fort l'épaiidiie, car le poète n'en parle (pie par allusion, comme s'il devait être com|iris de tous. La vision de Dante iittllVe donc rieii de siu^iulier, et, si les comnieu- tateurs se sont émerveillés de sa science, c'est, comme le re- mar(|ue avec es|)ril un de ses traducteurs, .Artaud de Montor, f|ue l(!s lcct(!urs de vers ne lisent pas Uîs livres des savants, ou l>i<!n que les lecUîurs des oiivrajics des savants ne lisent pas les écrits des poètes.

(Il Simon Assbmani , (Holtu^ nrle^ti^ Ciifim Arnliiru* Muxei Hofi/iiiiii iHiisfrntus, Pmloiic, 1710.

2) D'AvK/AC, Sotire d>'x diirnurerti's /'ailes au iiioi/fn-tUff! (lima l'Oconn Atlantiijur antéfinireinent aitx f/raiiilfs exiilortitioiis Portiii/aises du XV» siMe (Nouvelle» amiiiles îles V()yin;(.'», 184")).

CIIAP. V. CdMMrNICATIONSAVKC l/AMl^JlUOri: AU MOYK.N ACK. 107

Il lions r.'iudni r(>|H'ii(laiit faii'c iitic ('\('('|iti<iii |i(iiir (loloinlt. Il liniiit D.'iiilc, et ii(> iK'^Mip'ait pas pour anluiit la lecture de» ouvrages scieiitiiupies. Il est vrai (pie e'est à ics derniers ou- vrages ipi'il réservait sa prédilertioii et particiilièreiiieiit aux travaux d'iiii de nos ciinpatriotes, IMerre d'Ailly (I), (pi'il cite sans cesse, et (pi'il seinide c(»iisi(lérer conuiie un maître in- faillilile. Bien (pie Pi(>rre ne soit (pTuii simple compilateur, souvent (l(''pourvu de criti(pie, rr fut, en cMet, dans les (''ci ils du cardinal arclutvtMpie de C.amhrai , et spi'-cialenient dans son fni(i(/(t Mintd'i, (pie l'amiral [misa ses principaux arguments et s'initia aux tli(''ories anti(pies. On conserve eiic(»re à S(''ville {^) \\\\ exem[»laire ini|irim('> en liîM>, avec des cara(t("'res gotliirpies, (le V/iiKit/d Miiin/i du cardinal (rAill> '^ur les feuillets de garde sont dessiiK'es et tn^'s liahileinent colori(''es des spli(''res armil- laires. Les marges sont couvertes d(' n<»tes r(''(lig(''es en latin, d'une ('criture fln«^ et serive, trac<''e de la iiK^me main (pii a pa- reillement anu(»ti' le Marco l»ol(» (•diU'i par KraïK'ois de l'epuris et l'histoire d'/Kneas Silvius. Toutes ces iKttes sont altrihiK-es ;i (lolomi) (.'{). Il avait, en ell'et, beaucoup prati(pi('> Pierre d'Ailly, et aimait à le citer, parce (pi'il lui l'ournissait les sources an- ciennes dont il avait hesoin, et (pie de plus il ('tait nMwuinii et ap|irouv('' [i.ir l'Kglise. Dans une lettre de 1 108, a(lress(''(; d'Haïti .iu\ iiKuianpies (Cspaginds, (lolomlt cite ou plut('it traduit tex- tuellement t(tnte une page de V/nidffti Miindi [K). Il y trouvait non seulement r(''nuinerati(»n des auteurs anciens (pii cndent i\

(t) DiNAix, Ndtir.f! hutovUiuc et, littiirtiirr sur /'. il'Ailly (C(iinl)r.'ii, 18:?4), 2) IIariussk, liihlinfherd niurriruiKi rrfus/iHsimii, Additidiis, p. xv.

(;)) (le livre |ior''î anjoiird'liui la rubn(|iifi (i. (J. 178-'J1. Las Casas avait déjà si/iiah'; ce vuliiino ^l^iv. I, fj 28, l. I, .')I3) : « Yo hali(!, en urio libro viojo di! (".risl(il)al ('.(don, de las obras de {'«dro d<! Aliac» escritas esta» pala- bras en la iiiarKcti del tralado de iniaKiiu* iiiiiiidi ».

(4) Navahkktk, o(iv. cil(';, l. I, p. 409. c Kl Aristotel dice (|uc este miiiido es pe(|ii(Mi oy es (d agiia riiiiy poca, y (|U(! i'acilriieiile se |uiede |iasar de KspanA a In» Indias, y (!slo (■,nrillr(na el Avcroys y le aleiça el cardeiial Pednt de Aliaco, aulorizaiido este dieir y aqnal de SeiiC(a, etc. ».

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108 F'HHMIKRE PARTIR. - LES PRÉCURSGI'RS DE COLOMB.

la facilité d'une communication entre l'Atlantique et la mer des Indes, mais encore l'opinion du cardinal qui l'encourageait dans ses propres idées (1). « En allant d'un pôle à l'autre, écrivait Pierre d'Ailly, la mer s'étend entre les dernières limites de l'Espagne et le commencement de l'Inde ; l'eau couvre les trois quarts de la terre. Donc les parties extrêmes de l'Occident et de l'Orient sont très rapprochées (2), attendu qu'une petite merles sépare » ; et plus loin (3) : « Il y en a qui disent que la région située entre le tropique d'hiver et le cercle antarctique est d'un climat tempéré, et aussi hien habitable que la région nous sommes. Ils disent aussi qui\ y a des Antipodes qui peuvent occuper des régions et des habitations comme nous, et qui ont l'hiver quand nous avons l'été, et réciproquement le printemps quand nous avons l'autonme ; mais il n'y a pas de communi- cation entre les Antipodes et nous, à cause de la zone torride et

des chaleurs tropicales Au reste pour des questions de ce

genre, ce n'est pas tant sur l'imagination que sur l'expérience et les probabilités qu'il faut fonder sa croyance (A) ».

Assurément ces théories sont fort discutables : mais que signifient et cette affirmation, si souvent répétée, de ia petitesse relative de la mer qui sépare l'Espagne de l'Inde, et ces vagues pressentiments d'un monde nouveau ? Est-ce un simple écho des traditions antiques ? Est-ce plutôt prescience de l'avenir? On comprend qu'un esprit mystique et exalté, comme l'était Colomb, ait été singulièrement impressionné par cette lecture. La parole de l'Evangile : et in omnem terram exivit sonus eorum (5), ne s'est pas encore accomplie, avait écrit Pierre

(1) Pierre d'Ailly, Explicit Ymago mimdi de scriptura et e.r pturihus auctoribus recollecta, anno Domini 1410, sans date.

(2) Id., Quià principium Orientis et Uccidentis sunt prope, qiium mare parvum ea separet ex altéra parte terrtc.

(3) Id , Voir tout le chapitre vu de l'Imago mundi, intitulé : de Varietate opinionum circa habitationem terrx.

(4) Id., « In his rébus non tam imaginationibus quam experimcntis et probabilibus historiis rcputo certitudinaliter adhaerenduni ».

(5) Psaume xix.

niAP. V. COMMUNICATIONS AVEC L'AMÉRIQUE AU MOYEN AQE. 199

(l'Ailly . aussi Goloml) quand il aura découvert l'Amérique, s'imaginera avoir prouvé, par ses voyages, les paroles du psal- miste : à tel point que l'auteur du premier psautier polyglotte, imprimé à Gènes, en 131G, par l'évéque de Nebbio, Giustiniani, donnera, dans les notes de son ouvrage, une courte biographie de Colomb, en guise de commentaire à ce verset (1).

Pierre d'Ailly est donc un de ceux qui exercèrent la plus grande influence sur les détermination de Colomb, et son ouvrage jette le jour le plus vif sur les connaissances de l'époque. On était alors, pour ainsi dire, dans l'attente d'un monde i)ouveau. De nombreuses cartes témoignent à la fois des progrès de plus en plus marqués de la géographie et de la croyance persistante à une terre transoccanique. On n'avait donc pas encore retrouvé l'Amérique, mais la notion de ce continent flottait confuse et inconsciente dans tous les esprits, aussi bien que de nos jours, bien que personne n'ait encore pénétré au p(Me Nord, on sait vaguement que le jour de cette découverte ne tardera plus.

Les savants et les érudits n'étaient pas les seuls à prévoir le subit agrandissement des connaissances géographiques. Les marins ne manquaient pas, qui, par instinct ou par vaiUance, s'engageaient dans ces mers, au-delà desquelles les attendaient tant de merveilleuses découvertes. Les courageuses populations qui, sur les côtes de l'Océan, se livraient à la grande poche, s'aventuraient parfois si loin, ou bien étaient poussées par la tempête à de telles distances, que parfois elles découvraient des terres jusqu'alors ignorées. Ce sont les pécheurs de baleines dont les courses extraordinaires méritent surtout notre attention. La baleine aime les eaux profondes et la haute mer. Rarement elle se hasarde jusqu'en vue des côtes. Attirés par l'espoir d'une si riche proie, les pécheurs mettaient à la mer leurs frêles

(1) Giustiniani. Psnlterium Hebraeum, Grsecum, Arabicum et Chaldatum, cum tribus latinis interpretationibus et glossis, Gône» in-3» 1316. Noto marginale sur la psaume xix.

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20() PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE C(i JU.

canots et les dirigeaient vers cette montagne vivante, qui fuyait devant eux. Entraînés au large et comme enivres par le danger, ils oubliaient la distance, et passaient, sans s'en douter, d'une île à l'autre. Ainsi, sans doute, furent découvertes les îles jetées entre la Scandinavie , la (irande-Bretagne et le Groenland, ainsi le Groenland lui-même et U-étre l'Amérique. Sans parler des jx^cheurs qui contrihu ainsi, au moyen-Age, à

étendre les connaissances géograpi..ijues, tous les peuples du nord qui se firent pirates, entassés ([u'ils étaient dans un pays glacial, ils ne pouvaient donner libre carrière à leur activité dévorante, cbercbérent de leur côté de grandes aventures sur l'Océan. Au moment les autres peuples de l'Europe avaient à peine quelques navires, les pirates du Nord prenaient, pour ainsi dire, possession de l'Océan et des terres nouvelles, quil cacbait dans ses mystérieux lointains.

Un autre mobile, plus puissant encore, fut l'ardeur religieuse. Mus par une force étrange, obéissants à un esprit de propa- gande, dont ils ne se rendaient peut-être pas compte, les missionnaires chrétiens montaient sur leurs vaisseaux et mar- chaient droit devant eux, se fiant au hasard qui les conduisait Dieu avait décidé qu'ils iraient, et, dans leurs courses hardies, initiaient à la civilisation des peuples jusqu'alors inconnus (1). Avant Boniface connaissait-on la Germanie, avant Anschaire les pays du Nord, avant Rubruquis et Plan de Garpin l'Asie Centrale? Quelles indications précieuses pour la géographie fournissent encore les Lettres Edifiantes et les Ayinales de la Propagation de la Foi ! Et cet apôtre de l'Afrique, ce grand et héroïque Livingstone, n'était-il pas lui aussi un missionnaire ?

(1) Roger Bacon {Opus majus, p. 189) avait déjà remarqué l'importance des découvertes géographiques dont on était redevable aux missionnaires : « Co- gnitio locorum mundi valde necessaria est reipublicaî fidelium et conversioni

infldelium qui loca mundi ignorât nescit non solum quo vadat, sed quo

tendat, et ideo, sive pro conversione infldelium proflciscatur, aut pro aliis Ecclesiae negotiis, necessc est ut sciât ritus et conditiones omnium nationum.»

CUAl'. V. COMMUNICATIONS AVKC l'aMÉRIOLE Al; MOYEN AGE. 201

On peut donc raffirnHT, «ans crainte d'(Hre démenti, (|iiel(|ues- uns des missionnaires, non seulement chrétiens, mais aussi musulmans ou Imudhistes, furent d'intrépides voyageurs, et, ftar leurs explorations, ils contribuèrent singulièrement à étendre le cercle des connaissances géographiques.

Ce n'étaient pas seulement la né(;essité, l'amour de la gloirir ou la ferveur religieuse qui lançaient ainsi dans l'Océan barques de pêcheurs, flottilles de pirates et vaisseaux de mis- sionnaires. De tout temps ce fut comme un instinct de l'huma- nité de rêver au-delà de l'iiorizon. L'enfant voudrait savoir ce que lui cachent les montagnes qui bornent sa vue ; il cherche à deviner les terres inconnues dont il soupçonne» l'existence par delà la ligne bleue formée par la mer. Les grctssiers pécheurs, les pirates ignorants ou les missionnaires enthousiastes du moyen-i\ge se laissaient, eux aussi, aller à la pente des rêveries. Ils se demandaient si, peut-être, au-delà de l'horizon, n'exis- taient pas des îles ou des continents. Sans doute ces conjectures étaient pour la plupart sans consistance, mais une idée qui simplement a traversé l'esprit suffit souvent à mettre sur la voie d'importantes découvertes, .\ussi rangerons-nous ces désirs inconscients, de même que les courses des pécheurs, des pirates et des missionnaires, au nombre des principales causes (jui amenèrent les grandes découvertes du quinzième siècle.

Il est vrai que l'histoire de la géographie, pendant le moyen- Age, ne présente sur ces voyages à travers l'Atlantique que de confuses tradition •-, mais encore nous faut-il étudier ces tradi- tions, car nous n'avons pas le droit de conclure que, pendant ces longs siècles d'ignorance, les relations étaient matériellement impossibles entre l'ancien et le nouveau continent.

CHAPITRE VI

LES ILES FANTASTIQUES DE L OCEAN ATLANTIQUE : SAINT-BRANDAN. LES SEPT CITÉS. ANTILIA.— BRASIL

Les anciens avaient plact^ à l'occident la Terre des Bienheu- reux, les îles Fortunées ou le dernier asile de Saturne. Lorsque le christianisme eut partout remplacé les anciens cultes, ce fut le Paradis Terrestre qui occupa les imaginations (1) ; ce furent aussi ces archipels mystérieux, dont parlaient les livres sacrés, et les saints persécutés devaient trouver le repos et le hon- heur (2). Or quand il s'agit de fixer la position soit du Paradis Terrestre, soit de ces îles reculées, presque toujours, soit simple hasard, soit prescience singulière, les spéculations des théolo- giens ou des érudits se dirigèrent de préférence au-delà de l'Océan. 11 est vrai que les commentateurs sont loin de s'accor- <ler sur la position du Paradis Terrestre. A mesure que s'éten- dront les connaissances géographiques, il s'éloignera dans un vaporeux lointain, comme ces terres merveilleuses qu'on aperçoit dans les mirages ; mais tout le monde croit à son exis-

(1) D. Calmkt, Commentaires sur la Bible (Dissertation sur le Paradis) t. I, p. 331. Santarem, Cosmographie et cartographie du moyen-âge.

(2) EsDBAS, IV, 6, 7. Psaume %. Latent insulœ multa; ; fili hominis, loquere ad habitatorcs insulœ. Cf. Saint Pkosper, De vocatione, liv. m : » In extremis iniindi partibus sunt aliqusD nationcs, quibus nondum illuxit gratia Salvatoris, quibus tnmen illa mensura generalis auxilii, quoc desuper hominibus est, non negatur ».

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CHAI'. VI. LES ILKS FANTASTIOl'KS l»K l/oCÉAX ATLANTIQli:. :203

tence, et c'est en général dans la direcUon de l'ouest que le cherchent les savants de l'époque.

Les Esséniens croyaient déjà que les justes allaient jouir de la félicité parfaite dans des lieux de repos situés au milieu de l'Océan (1). Saint Clément de Rome pensait qu'au-delà de l'Océan existaient d'immenses terres parmi lesquelles se trouve le Paradis (2). Saint Ephrem, Tertullien dans son poème de Jugement du Seigneur, saint Basile dans non Hexaniernn, saint .Amhroise dans son traité sur le Paradis sont du même avis (3 . Ceux-là même qui ont énoncé les théories les plus liizarres sur la forme de la terre ont parfois à ce sujet comme des éclairs de raison qui illuminent leurs œuvres. Ainsi le cosmographe ano- nyme du xm" siècle, édité par Pertz, n'hésite pas, malgré ses fabuleux récits, sur la position du Paradis Terrestre (i). Isidore de Séville le place dans les îles Fortunées (o|. Saint Avitus lui consacre tout un poème, et, reprenant les données anti- ques, l'installe bien loin au-delà des mers connues (G). Gosmas liidicopleustes lui-méiie n'écrira-t-il pas (7) : « La terre est divisée en deux parties par la mer que l'on nomme Océan : l'une est la partie que nous habitons ; et l'autre, au-delà de l'Océan, est celle qui se réunit au ciel. C'est dans cette terre qu'habitaient les hommes avant le déluge ; c'est aussi (ju'était situé le Paradis ».

Ces recherches pieuses et ces naïves conjectures nous lais-

il) JosKPiiE, De ùello Judaico (II, xi, 8, 9»). 'Arooa;vovTat Tr,v j-èo 'iixc'avov ôtahav à-oxjîdOat.

(2) Saint Clémknt de Rome, Ep. I ad Corinthios. (Collectio pairum qui tempore apo^toloniin vixerunt) vol. i, p. 158-159.

3) Tous ces auteurs sont cités par Lethonne (Journal des Savants), 1831. Cf. du môme auteur, Opinions cosmographigties des Pères de l'Eglise \Reviie des Deux-Mondes), 1884.

(4) A. Mal'Ry, article Paradis de Y Encyclopédie moderne.

(ij) Isidore de Séville, XIV, p. 193.

(6) Avitus, De initio mundi. Edition Sirmond, 1643, V. 523.

1,7) CosMAS INDICOPLEUSTES, Topographie chrétienne de l'Univers, traduc- l»'".' Charton (Voyageurs anciens et modernes), t. II, p. 10.

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2()i l'HKMIKHK l'AHTli:.

Li:S l'MKCLHSEUHS I»E COLOMH.

sont iuijnurd'liui à peu pn'-s intliiïôrcnts ; mais roportons-nons à CCS cpoqiios de fui ardente et non raisonnce, et ce cliarnie iW mystère alors si puissant se révélera à nous. Serfs courltés sous la glèbe, soldats mourant sous le sabre des infidèles, moines rêveurs et méditatifs, tous alors élevaient leurs pensées vers un monde meilleur qu'ils disposaient à leur guise, et ce monde inconnu ils l'aimaient comme on aime l'espérance. Longtemps en effet se maintint la croyance à l'existence du Paradis dans notre univers. Saint Honaventure et saint Tbomas d'.Vc(piin décrivaient avec entbousiasme ; le premier le plaçait même sous réqualeur, au-del;\ des lieux babités, et c'est la position qui lui est encore assignée dans lu fameuse carte catalane de linr)-8(1). Dante croyait le trouver aux antipodes de Jérusalem(2). (îolomb pensait que la vaste masse d'eau qu'il rencontra dans le golfe de Paria sortait de l'immense fleuve du Paradis dont parlent les Pères de l'Église (3). Vespucci partageait cette opinion (4). Acosta y souscrivait également (5). Certes cette croyance ne fut pas la cause dos découvertes postérieures, mais elle contribua à encourager les voyageurs, et il nous a fallu la mentionner jjour prouver la singulière perpétuité des croyances relatives à un monde transatlantique.

Les cartograpbes du moyen-Age ne se contentaient pas de placer à l'ouest le Paradis Terrestre ; ils semaient encore dans

(1) Maury, article cité.

(2) Dantr, Purgatoire, IV. 22. XXI, 20.

^3) Colomb, Lettre d'Haïti à Ferdinand et Isabelle, édition Navarette, I, 408. Grandes indicios son estes del paraiso terrenat, porquel sitio es con- forme a la opinion de cstos santos c somos leologos, y asimismo los senales son muy conformes, que yo jamas lei ni oi que tanta cantitad de agua dulcc fuesce asi adentro é vicina con la saladu ; y si de alli del paraiso no sale, parece aun major maravilla, porque no creo que se sepa en el mundo de rio tan grande y tan fondo.

(i) Vespucci, Relation de voyage. Edit. Hylacomylus : « Et ccrte si Paradisus tcrrestris in aliqua sit terric parte, non longe ab illis regionibus distarc existimo ».

(.')) Acosta, Historia général 69-71.

r.llAI'. VI. LKS ILKS KAMASTIOIKS DE l/oCKAN ATLANTIQUE. 203

rOcraii un (-ertiiiii iioiiiIiit d'ilcs iiiia^Mnairos, «ju'ils plaçiiicnt sous le pati'tnia};!' de (|ucl([uo saint rcnoiiinK', et associaieut ainsi leur désir dV'tendn; les connaissances fr»''Ofrra|)lii(|U('s et de les concilier avec les données reli{;ieuses. Parmi les îles fantas- ti(|nes, inventées par la crédulité des cartojjraphes, un«; des plus célèbres est l'Ile de Saint Urandan (I). (^e n'est pas en ellet seulement dans la lé},'ende (pie s'est conservé !e s(»uvenir (lu saint irlandais ; nous en trouvons la trace persistante dans la ^M''tif:raplii(> du moyen-Afîe, et même dans la f.'éo}îraphit! contemporaine. Vincent de Ueauvais est \ peu près le seul écrivain sérieux (|ui, auXllI'' siècle, ait pr(»t(»sté contre la réalité des découvertes de Hrandan. » (^ette léf^eudc est remj)Iie de dé- fiiils apocryphes, écrivait-il, je la crois fausse de t<»ut [toint (2) ». Ses contemporains au contraire l'or.t acceptée, sans même en discuter l'authenticité. Tous les traités }réofrraphi([ues d(! répo(|ue, toutes les cartes mentionnent l'île découverte par le saint voyaf^eur. Dans un manuscrit du X'" siècle, conservé îl la hililiothèque de Turin, sont déjà mar(|uées sur l'Océan des îles encore anonymes, mais (pii seront hientiM désif^nées par le nom du saint, (jui passait pftur les avoir d(?couvertes (3). llonorius d'Autuu, dans son /mufjo Mundi composée en H30, en parle en ces termes : « Il y a dans l'Océan une certaine île ajrnSihle et fertile entre toutes les autres, inconnue auv hommes, découverte par (pieUjue hasard, puis cherchée sans ({u'on pût la retrouver et appeh'e l'erdue. C'était, dit-on, celle vint jadis Saint Urandan ». La mappemonde de Jac(]ues de Yitry et Vlninr/o Mttndi de Robert d'Auxerre (1205) mentionnent l'île du Saint Irlandais. Dans le

( I ) (îAFFAREi-, Les Voywjes de Saint-Bnindun ^SociùttJ (1(! géographie 'le Uocherort), 1881. p. 11. Peschel, Zeitalter der Enfdeckumjen, p. 31).

(i Vini:e.nt de Bkauvais, Spéculum historiale, liv. xxi, § 81. « Eain peregiinatioiiis liistorinin, propler apocrypha qiuedain delirameiita, quic circa viiluiitiir coiitinuri, mcndacem existimo ».

(3' Le manuscrit est cité par Santahkm, dans son Essai sur la Cosmo- i/raphie et la cartographie du moijen-ûge. Il est reproduit par Jomahu , Monmni'nts de la géographie, ri» 58-51), I.

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•HWi PRKMIKHE PARTIR. LKS PRÈCIRSKIRS nE COLOMH.

Portulim (lu XIV'" sit'rle i\iu\ l'on conserve h lu liihliotlièquc de Siiinl Marc ù Venise (i), non loin île la côte occidentale de l'Irlande, une île relevée d'enluminures et d'or est désignée par cette légende : « La nutntagna de Sto Hrandan >>. I^a carte de Pizzigani {"l) (13(17) représente le saint tendant les liras vers les îles (pii portent son nom, Isole Hrandany. Ce sont trois îles, dont la plus méridionale, de fornie ronde, est appelée Isola Marirniga, la seconde, très écliancrée. Isola (Canaris, et la troisième, foute petite, Isola Urandani. Le Portulan de la Bildiothèque municipale de Dijon (.3), qui parait avoir été composé au commencement du XV" sièle, a conservé le nom de cette ile. La cîirte ancônitaine de Weimar (li2i), la carte génoise de Ueccaria (1454), la mappemonde de Fra Maure (1157), celle de Henincusa (1480), enregistrent soigneusement l'île de Saint Hrandan, et toujours dans la direction de l'ouest. Nous la trouvons ;iussi marquée sur la carte de Heliaim (4), c'est une grande île occidentale placée près de l'équateur, avec l'inscription suivante : « L'an 5(iu après Jésus-Christ, Saint l'<randan arriva avec son navire dans cette ile, il vit beaucoup de choses merveilleuses, et, après sept ans écoulés, il s'en retourna dans son i>ays ». Sur la magnifique mappemonde peinte sur parchemin par ordre de Henri II, l'île de Saint Brandan est marquée entre l'Islande et Terre-Neuve. Elle conserva cette place dans la carte de Sébastien Cabot (G) (1544), dans l'atlas de Mercator (7) (1569),

(1, .Matkowit/., Handschriftlichr Schifferkarten in den Bibliotheken zu Venedig (Société de géographie de Vienne), 1882.

(2) JoJiAHD, ouv. cité, pi. 44. 45.

(3) Gakfarkl, Portulan inédit de la bibliothèijue de Dijon (Commission des Antiquités de la Côlc-d'Or). 1870.

{■i) L'île est marquée à l'ouest des Açores. Elle est fort échanrrée et porte 2ette légende : « Nacli Cliriste Geburlh 565 Kahm S. Brandon mit seineii Schifîe auf dièse Insul der dasclbs vil wunders bcsahc, und ubcr sicben Ja!ir darnach wieder in scni haudzogc ». Jomard, ouv. cité, pi. § 2, 52 bis.

(•5) JoMARD, Monuments de la géographie, planche 23, 24.

(6) ID., pi. 60-07.

(7) ID., no 76. Mercator la nomme S. Brftndani.

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I.IIAI'. VI. LKS ILES FANTASTiyiES l»K l'oCÉAN ATLANTiyiK. 207

«lans hxCoxmnrjrdphic Un\vn'SPlli'.iWV\\i'\i^\.[\) (li>7()). OrteliuH lii rii|i|)i'o(-liait de risliindc [i.]. Le Uijuiiiiais Morisnt, auteui' d'une Hialm'in orhh lunrllimi, se gardait hii'ii de ruuhlicr. Nous la rt'trouvous oucorc au XYIII'' siècle. Kn 17.*).*) (lautier la (dacait au ('in(|iiièni(' dcfri'é <iut'st de l'ilc de Fer, sous le ->{)" do Lat. N. {•\) ,\u XLV siècle eulin, elle existe encore : seulement elle a voyage et ne cesse de voyager ; car on désigne sous ce nom une ih; dont la position varie singulièrement, puisijue on la place même dan» la mer des Indes, tantôt au nord, tantôt au sud ou à l'est dos Mascareignes (-1).

Lue singulière et persistante illusi(»n géographique a contril»ut" à faire croire à l'existence de cette île errante. D<; temps à autre les habitants de Madère crtjyaient voir à l'horizon se profiler les contoin's de cette ile : aussitôt ils s'emharquaient, mais au moment ils distinguaient les sinuosités de la côte et les moindres détails de la campagne, soudain elle disparaissait en s'ahimant dans les flots et les vapeurs de la mer. La curiosité fut si vivement excitée par cette île imaginaire et l'on crut si fermement à sa réalité qu'en 1484 un insulaire de Madère, Diimingues do Arco , se faisait concéder par la couronne de Portugal, une ile qu'il voyait chaque année, et (|u"il s'engageait à aller chercher (o). Trois ans plus tard, en 1187, un véritable traité était signé entre le Portugal et le Terceiran Fernando de L'Imo (jui voulait la con(|uérir à ses frais (G). Môme après Christophe Colomh, on la cliorciiait encore. Les Portugais, (|uand ils arrivèrent en Amérique, croyaient l'avoir retrouvée.

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(1) TiiKVKT, Cosmof/raphie iinivsrselln, ]). 903.

{i) OiiTKi.ics, T/iealrum orOis terranim, carte 5.

(3) Galtikii, carte 4 annexée ii ses Oh^iervations sur l'Histoire naturelle.

(i) Voir les atlas de Moxin (1831), Dkioi X et Leuoy (1861), Stieler (1867),. et les cartes générales de l'Afriiiue.

(r)) IIauuisse. tes Corterenl, p. 42.

(<)) D'AvEZAC, lies de l'Afri'fuc (Univers Pittoresque), p. 21. Was- hington IiiviNC, Vie (le C. Colomfi, appendice N" 23, traduction Dciau- conprcl, t. IV, p. 258.

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Kii ir>17, |i)rs(|iit> lùiiiiiaïuit'l (le INirtiigal ahaïKionim ses iiivtcii- tioiiH sur l«'s Cîmarics, il > comprit «v\|iri'ss(\m('iit l'ilc cacliée. Kii l.'l-Jd mit' ('\|H'>(lilii>ii parfit des Canaries à sa n'clicrchc, sous le (-ommaïKlfiiiciit «le F(M'iiari<lu dt* Trnja cl de Fernando Alvarc/, mais «>ll»> ne fut pas plus liciinMisc (pic Icsprcccdcntcsil). Kii l.'»7() un certain Pedro Vellia allirma (pi'il avait di'lianpié tians ccîtte ile, et UK^me (pi'il \ avait reiiianpié des traces de pas Immaiiis doubles de l'ordinaire. Il avait mi'me trouvé uiu> ci-oi\ clouée à un arlire voisin et les restes d'un feu prohahlement allumé pour faire cuire <les poissons à écailles. Aux environs paissai(>iit denond)reux troupeaux. .\u moment les matelot» s'apprêtaient {\ le. poiu'suivre, mu* tempét(î s'éleva (|ui les força d«! re^'af^ner leur navire. En un instant ils perdirent la terre de vue, et, l(»rsque la tempête fut passée, ils ne purent jamais retrouver l'île mystérieuse (i). La véracité de ce récit fut conjirmée par une enquête solennelle dirigée par Pedro Ortez de Funez, inipiisiteur de la (Irande (^anarie, él, sur la foi de ces renseigne- ments pourtant bien vagues, Fernand(» de Villa m1)os, régidorde Palma, voulut encore tenter l'aventure, mais 1 ne réussit pas davantage. C(tmme p(»urtaut les apparitions s»' multipliaient, et (juo toutes les fois elles étaient constatées par un grand nomhre de témoins, un(î véritable (iévre de curiosité s'empara des (Canariens. En IHOi départ de Lorenzo Pinedo et (i. Perez de Acosta. En 1721 don Juan de Mur, gouverneur de l'archipel, confie à Gaspard Uoniinguez un navire qui part de Santa-Cruz et y rentre après plusieurs mois de courses inutiles sur l'Océan. L'île était toujours en vue, mais nul ne pouvait se vanter d'y avoir débarqué. Le 3 mai 1739 prés de quarante personnes l'apercevaient encore distinctement. Elle paraissait consister en

il'i ViERA V Clwuo, Noticias de la historia gênerai de /«.s" islas de -Canuria ;i 777-1783), liv. i.

(2) NuNEZ DE hk Pena, Conquista ;/ antiquedades de las Islas de la Gran •Canaria, 1676.

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CIIAP. VI. LKS ILKS FANTASTIOI^ES DE L'OCÉAN ATUNTIQI'E. 200

di'ux };nm<los inonfafriwîs s('|)an''(?s par une vallrc, et, avec un télescope, la vallée semhlait remplie d'arltres (1).

Si (Iniic cotte tradition est fausse, au moins fut-elle persistante. Kn vain essaya-t-ou de l'expllipier. Les uns ont prétendu (pie cette île servait de =.i jour au mi Visifjotli lloderik, le vaincu d(! Xérès la Froutera, <mi au roi de l*ortu},'al Séhastien, la victime d'Alcazanpiivir; les autres y ont chenille le Paradis terrestre, Va\U\ et Knocl\ avec d'autres sajjes, attendent le jufrement dernier (2). Peut-être ne faut-il y voir (pi'un phénomène physicpie, (piehpie iuira},'e analogue à la Kata Mor;;ana du détroit de Messine. (îette explication est (rautant plus plausihie rpie les dessins de cette île fantasticpie la représentent comme allongée du nord au sud avec deux cimes inégales séparées par une dépression : ce cpii rappellerait tout à fait l'île de Palma quand on l'aperçoit du large en venant de Ténérill'e ou de la (îoniera. .\ussi hien sans rappeler ici (jue, du sommet du Tavfîète, on aperçoit les éruptions de l'Ktna (II"), et (pie, par un heau temps, on découvre la (lorse de Nice ou de Oaimes, sans même enrcfristrer les curieuses observations de Hiot dans son mémoire sur les llrfr(tcihms c.rlriun'd'nm'iroi, (4) contentons- nous de rappeler (pi'on [>ent, du ca|) Hojador, surtout pendant les éruptions et {ïrAce au reflet des nuafres (pii |>lanent au-dessus du volcan, apercevoir Ténérif^;. Il se pourrait donc (pie, des Canaries, grAce à la réfraction, on découvrit Palma ou toute autre île de l'archipel.

Saint lirandan n'était pas le seul des saints du christisanisnie sous le [)atronnage du(|uel avait été jdacée (piehpie contrée imaginaire. Une autre légeinh* chrétienne, celle de l'île de Sept tlités, eut un grand retentissement au moyen âge (.">), et contrihua

(1) ViEBA, ouv. cité, t. I, § 28.

(2) D. Calmet, La Ri'iln commenter, I, :J5'». (;») Ross, Hellenkfi, I, 2.

(4) UiOT {Miimoires du l'Institut, 1810), t. I, p. 267.

(5) Gakfarel, L'ile des Sept Cites et l'île Antilia (Congrès des Atnéri- caiiistes de Madrid), t. 1, p. 198-214.

T. I. 14

V.

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210 l'RlCMIKRE PARTIE.

LES PRECURSEURS DE COLOMR.

à tourner l'attention i)ul)li(|ue vers les mers occidentales, déjà (|uel(jues savants s'accordaient à trouver l'emplacement du Paradis Terrestre. On racontait qu'à ré|)o(|ue de la con(|U(He de l'Esitafriie par les Aralies, après la défaite d(; Xérès la Frontera et la disparition du roi lloderik, se|)t évé(|ues, sous ladirecti(ju de l'un d'entre eux, l'archevêque de Porto, s'endiar- (|uèrent, suivis di; leurs ouailles, et poussèrent droit devant eux sur l'Océan. A|très une loufîue navigation, ils abordèrent une île inconnue et s'y fixèrent après avoir hrùlé leurs vaisseaux, (ionune ils étaient se|»t et (jue chacun d'eux se construisit une demeure |)articulière, l'île prit le nom d'île des sept Cités. Klle il depuis figuré sur un certain nombre d(! cartes. Martin liehaim sur sa fameuse carte de Nuremberg (l Wîi) la dessinait avec la légende suivante (1) ; « Quand on se reporte à l'année 741 après la naissance du Christ, lors((ue toutes l'Espagne fut envahie [)ar les mécréants d'Africpie, alors l'île noirnnée Sette Citade, ci-dessus figurée, fut peu|)lée par un arclievéciue de Porto ou P(»rtugal, avec six autres évé([ues et des chrétiens, liommes et feu)iues, lesquels, s'étant enfuis d'Kspagne sur des vaisseaux, y vinrent avec des bestiaux et leur fortuiu' ». Même après la décou- verte de l'Ainériipie, Kernand Colomb croyait à l'existence de cette île, et en racontait l'histoire en termes à peu près identi- ques : « On racontait ([u'au huitièmes siècle de l'ère chrétienne, sept évéques Portugais, suivis de leurs (juailles, s'étaient embar- (jués pour gagn(!r cette île, ils avaient hàti sept villes, et ((u'ils n'avaient plus voulu (piitter, ayant d'ailleurs hrùlé leurs vaiss;'auv et Uîurs agrès pour s'interdire la possibilité du retour » (2).

(Il JdMAiiii, oiiv. citi!, plaiiclics 52, r)2 liis.

{ij KkkkinaM) CdMiMii, Vie de l'amiral, ^ 4. Itiiyscli, dans la carie intitiih'c uiiiversalior (Ojçiiiti (iiliis tabula ex recciilibus coiifecta observatioiiibus, qu'il a ajoutée à sou éditiou de Ptoleniée (Uouie, 1508), mcutioiiiie cette, légende, et inscrit sur .sa carie, entre les Açores et Es[ia(çnula, une île Autilia avec la légende suivante : » Tenipore régis Uudcrici ((ui nltimus in liispania terra (i3llios rcxit ad hain insulam a facic barbnrorutn qui tune Ilispaniam invasc-

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CHAI'. VI. - - LKS ILi:S FANTASTIOl-'KS 1)K l/oCKAN ATLANTIOLUC. !2ll

Sans discuter ici la réalité (iii la fausseté tJo cett(! léf^eiide, nous roconnaitntns cependant (|ue l'instinct de tons les peuples conipiis est de rêver un jour de restauration. T>es Juifs ne croient-ils pas encore à leur Messie llhérateur et triomphant? Les (lallois ont Ion;j;tenips espéré le retour de leur héros natio- nal, Arthur. Les Irlauflais dWméricjue sont attendus par leurs compatriotes d'Europe puur tenter le prand ceuvre de la restau- ration nationale. Quand les Incas furent renversés par les l']s[»af.^nols, leurs sujets se racontèrent entre eux que les descen- dants d'Ataunal[>a reviendraient un jniu' relever Panticpie monarchie des fils du soleil. Ijc^ même dans la péninsule <'spa- t,n.ioIe où, d'après la tradition, un grand nomhre de (ioths s'étaient soustraits à la domination aralie et avaient trouvé un refuge dans l'ile des Sept Cités. Aussi comprend-on que cette légende se soit fidèlement conservée dans les souvenirs popu- laires, et même (pi'avec le temps elle ait été emhellie et augmentée, bientôt, en effet, on 1:0 se contenta [)lus de men- tioiuier l'île mystérieuse, on prétendit l'avoir retrouvée. En Mil, un Portugais, poussé par la tempête dans l'Atlantique, aurait débarqué dans une île inconnue il trouva sept villes, dont les hal)itants parlaient le portugais (1). Ces derniers auraient voulu le retenir, car ils se refusaient à toute commu- nication avec leur ancienne patrie, mais il parvint à s'échapper et revint en Portugal, il raconta à don Henri de Viseu ses étonnantes aventures (2). Ce prince réprimanda vivement le

rant fugissc crcdiiiitiii-. Habent arcliiepiscopuin cuni 6 aliis episcopis

quare u iiiiillis iiisula .scptciu civitatiini appellatur. » L'île des Sept Cités fijçiire encore sur la carte de Gérard Mercator (Rupeimonde, 1538) et sur celle de Mercator (1587).

(1) tloKN, Dn Orifjinihus Americanix, p. 7 : <i Année MCCCXLVII, Por- liigallus «[uidatu navigans extra frctuin Heracleum adversis ventis in rcniotain insulam, occidentem versus, abrcptus fuit, et in ca invenit scptcin civitates, i|ua; Portugalloruni lingua loqucbantur, et interrogabant au Mauri adliuc vuxarent llispatiiain, unde, amisso Koderico, fugati suit ».

(2) Ce détail est confirmé par Ferdinand Colomii, ouv. cité, § 9 : « Le capitaine et les marins reprirent la nier en toute ]ii\lc et firent voile vers le

21:2 l'KKMiKKi: I'autik.

LKS l'KKCniSKlHS l)K COLOMB.

ciipitainc pour sNHrc onfui sîins avoir coinplôtr ses renseijfiie- nients, <'t II' marin offrayt'' ue reparut plus. Néanmoins cotte histoire fit du bruit : les érudits de r«''po(jue identifièrent la prétendue découverte avec l'île phénicienne nuMitionnée par Aristote et par Diodore de Sicile. Dès lors elle prit place sur les cartes, sous le nom que nous lui connaissons, île des Sept Cités. (Jn n'avait même pas perdu l'espoir de la retrouver. Le 10 novembre li7'), don Fernando Telles, un Portugais, se faisait donner l'investiture des îles qu'il pourrait découvrir dans l'Océan (1), et il était expressément stipulé que cette donation pourrait s'étendre au Setle Gidades, dont on avait perdu la trace. Le 3 mars liSO un autre Portugais, de Terceira, Fernando Ulmo, se faisait donner une autre île qu'il supposait être celle de Sette Gidades, et le contrat de cession était enregistré par devant notaire. Même après la découverte de l'Amérique, l'île mystérieuse ne disparut pas Elle figurait encore sur le planis- phère de Henri 11, et jusque sur la carte de Mercator en 1509. On a cru retrouver cette île à Saint-Midtel, une des Açores (2). A l'extrémité orientale de cette île s'étend une vallée d'environ trois lieues carrées ; c'est un ancien cratère, semblable à une immense chaudière. Il est entouré de montagnes escarpées, avec

Portugal, certains que l'infant les louerait de leur conduite. Le prince, au contraire, les en blània sévèrement, et leur ordonna de retourner vers cette île, d'y scjourner et de venir lui rapporter ce qu'ils y auraient vu. Ces gens, pris de frayeur, s'en allèrent avec leur navire et ne reparurent plus en Por- tugal. Entre autres détails, ils avaient dit que les mousses du navire, ayant ramené sur le rivage du sable pour nettoyer leurs ustensiles, avaient reconnu que ce sable était pour les dcur tiers d'or tin »: Cf. Hgrrera, Historna gênerai, liv. I : •< En tienipo dcl infante D. Enricpie de Portugal coriformenta corrio in navio que liabia solido de Portugal, i no pan^ hasta dar as cU a, paro que los marineros terminendo que no los quemasen el navio ilos detuviessen de holvieron a Portugal inuy alegres contiando de receberi mercedes dcl infante, cl quai los nialtrati^ por naversc vcnido sus mas raçom, i los niundù bolver, pero que el nucse i los marineros no la osaron liaver isoldes de el reino numa mas bolvieron «. «

(1) JoMARD, ouv. cité, pi. 23-24. 70.

(2) D'AvEZAC. Ilex de l'Afrique, p. 74.

(;ilAI> Lies ILES FANTASTIQLKS DE l'oC.ÉAN AïLANTIQUE. 1213

deux petits lacs dans le fond. Le sol est de lave et de pierre [»once, niais recouvert d'un liumus fertile. Quelques misérables chaumières répandues dans la vallée composent un hameau qui porte, en effet, le nom de Sept Cités. Serions-nous en présence des sept villes jadis iiàties par les proscrits? Mais, à première vue, plusieurs milliers d'entre eux n'auraient pas pu vivre et prospérer dans un espace aussi étroit. Sans doute les tremhK;- ments de terre sont fréipients aux Açores (1). Ils peuvent avoir détruit les villes et transformé le sol ; mais au moins trouverait- on encore les débris des maisons et rien de seuihlahle n'existe. Le nom seul s'est (conservé et encore jurerait-on qu'il est d'origine moderne et que le hameau actuel des Sept Cités a été ainsi dénommé par quelque érudit en quête de souvenirs rétros- pectifs. Ce n'est donc pas aux Açores qu'il faut chercher l'île des Sept Cités.

Ce ne sera pas non plus sur le continent américain. On le croyait pourtant au xvi*-' siècle. Le Père franciscain Marcos de Niza, sur la foi de vagues récits, s'enfonçait en 1539 dans l'Amérique du Nord, du ctjté de la Californie, avec l'espoir de trouver dans une contrée, nommée Cibola par les indigènes, les sept cités de la légende. Accompagné de trois franciscains et d'un nègre qui prétendait connaître la route, il atteignit des régions inexplorées et raconta, à son retour, qu'il avait vu dans le lointain sept villes resplendissantes, dont il avait pris posses- sion au nom du roi d'Espagne (2). Ses récits enthousiastes déci- dèrent le départ d'une expédition considérable, commandée par un gentilhomme de mérite, Francisco Vasquez de Coronado ; mais la petite armée, après avoir supporté bien des fatigues,

(1) CoRDEiRO, VAmérique et le l'ovtugnis ^Congrès des Aniéricanistes de Nancy), t. I, p. 264.

(2) La relation de ce voyage est insérée dans la collection Tërnaix-Compans, Voyages, relations et mémoires pour servir à l'histoire de la découverte de l'Amérique, 1'» série, vol. ix, p. 256-284. Cf. Dans le môme volume, p. 2i7-235, Instructions données par Autojiio de Mendoza, vice-roi de la Nouvelle-Espayne, aie père Marcos i'- Niza.

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214 ruEMiKHK rAHTii:

LKS l'RKCl'HSKrHS l>K COLOMIt.

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arriva au pied d'un rocher aride, sur le(|uel s'élevait eu effet Cibola, village si peu considérahle « (|u'il y a des fenues de la Nouvelle Espagne (pii ont meilleure apparence » (l).

Le Cibola du xvi" siècle, ce Tomhoucfou américain, comme l'appelle ingénieusement llumholdt ne réalisa donc point les rêves des premiers conquérants ["l). On n'y trouva ni sept cités chrétieimes, ni peuple ayant gardé de vieilles traditions, mais Cibola n'en existait pas moins, dans un pays voisin du Rio (iila, non loin des sources du Rio del Norte, et, chose singulière, lu région comprenait soixante-dix bourgades réparties eu sept provinces. II paraîtrait môme qu'aujourd'hui à Zuni, ville prin- cipale de l'ancien Cibola, se rencontrent des Indiens à cheveux blonds et à visage clair. « A leur aspect, s'écriait Catlin, on est tenté de s'écrier : Ce ne sont pas des Indiens ! Il y en a beaucoup parmi eux, dont le teint est aussi clair ([ue celui des sang-môlés. Parmi les femmes en particulier, plusieurs ont la peau presque blanche, et les yeux gris, bleus ou couleur noi- sette ». 11 est vrai que ces indications n'offrent rien de précis et nous ne devons pas oublier que Cibola est le pays des mirages, puisque, en lîiiO, Vasquez de Coronado ( i) prit pour des hommes vêtus de blanc et send)lables à des religieux de la Merci quehjues- uns de ces grands hérons blancs que les Espagnols nomment

(1) Tehnal'x-Compans, p. 364-382, Relation du voyage fait ù la Nouvelle Terre sous les ordres du général Francisco Vasquez de Coronado, rédigée par le capitaine J. Jaramillo. (]f. même volume, p. 349-303, Lettres de Vasquez Coronado, gouverneur de la Nouvelle Galice, et (lu., p. 1-24G), Pedro de Castaneda de Nagera, Relation du voyage de Cibola entrepris en 1540, l'on traite de toutes les peuplades qui habitent cette contrée, de leurs mœurs et coutumes.

(2) HuHBOLDT, Histoire de la géographie du nouveau continent. 11, 204. Cf. J.-H. Simpson, Coronado's march in research of the seven Cities of Cihola, and discussion of their probable locution (Smitlisoniaii Institution, 1869, p. 209-240). Vivien de Saint-Martix, An7iée géographique, 1872, p. 239.

(3) Catlin, Letters and notes and the manners, customs and conditions of the nort American Indians, I, 93.

(4) Vasquez de Coronado, ouv. cité.

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<;ilAF'. VI. LES ILES FANTASTIQl'ES DE l'oCÉAN ATLANTIOl'E. 215

fncore soldados, parceque, vus de loin et à contre-jour, ils res- semblent à des sentinelles ; mais l'existence de ces Indiens à teint piile et dans une région rigoureusement divisée en sept cantons, n'en est pas moins singulière, surtout si on la rapproche «l'une curieuse légende rapportée par Sagahun, historien sans grande critique, mais qui eut le mérite de rapporter fidèlement les traditions indigènes (1). Il s'agit de l'origine des Nahuatl. « La relation qu'en donnent les anciens, dit-il, est qu'ils vinrent par mer du côté du Nord... On conjecture que ces naturels sortirent de sept grottes et que ces sept grottes sont les navires ou galères dans lesquels arrivèrent les premiers colons ». Ces premiers colons étaient-ils les diocésains des sept évéques visigoths et le Cibola l'on rencontre encore aujourd'hui des Indiens à teint hlanc correspond-t-il au pays des Sept Cités, nous n'oserions l'affirmer, car ce nombre fatidique de sept peut n'être qu'au simple hasard, tout aussi bien que la présence d'une race blanche dans les régions de Cibola : nous devions toutefois mentionner ces analogies, sans nous permettre pour autant d'établir une concordance absolue entre le Cibola et l'île des Sept Cités.

Une autre île que les cartographes du moyen Age men- tionnent encore fréquemment, et parfois même confondent avec l'île des Sept Cités, est l'île Antilia. Les uns trouvent un certain rapport entre Antilia et l'Atlantide (2) ; les autres, versés dans la connaissance des langues orientales, ont pensé qu' Antilia correspondait au Gezyret-el-Tennyn ou île des serpents des cosmographes arabes (3) ; en effet, sur quelques cartes du xiV et

(1) Saiiaol'n, Histoire des choses de la Nouvelle Espagne, T, t8.

(2) D'AvEZAC {[les de l'Afrique), p. 28), cite un document géographique de 1455 portant la désignation suivante : « Geste islc est appelée de Antillis. Platon asseure que ceste isle estoit presque aussi grande que l'Afrique, et il dit que dans ccstc mer se veoient de grands heurtements des courants, qui passeraient sur ceste islc sablonneuse, à raison desquels sables la susdite islc s'est presque effondrée par la volonté de Dieu, et ceste mer est appelée mer de Batture ».

(3) BuAciiE, Mémoire sur Vile Antilia (Mémoires de l'Institut, 1806).

210 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.

du xV siècle est figurée une île près de laquelle un homme est dévoré par des serpents. Cette île s'appelle Antilia, ce qui pourrait bien être la traduction de l'AraheTennyn. On a encore prétendu que l'étymologie d' Antilia était ante insula, île anté- rieure, et, dans ce cas, Antilia ne serait qu'une réminiscence de cette île mystérieuse de l'Océan qu'Aristote nommait àvn;:ci- pUaoç et Ptolémée ir.po<:'.-:o; (1). Quelle que soit l'origine de cette dénomination, elle existe, et c'est à nous de suivre sa fortune à travers les cartes et les traités géographiques.

Pedro de Médina, écrivain espagnol du xvi siècle (2), rapporte que, dans un Ptolémée offert au pape Urbain VI, qui régna de 1378 à 1389, il remarqua l'île Antilia qui portait la légende suivante : « Ista huula Antilia , allquando a fAtsiiams est inventa, sed modo quando qmerituv, non invenitur ». H est probable qu'il ne s'agit ici que d'une de ces cartes supplé- mentaires que les savants ajoutaient aux manuscrits de Ptolémée, au fur et à mesure des découvertes géographiques, afm de mettre en quelque sorte au courant leur auteur favori, car nous ne trouvons l'île Antilia marquée sur aucune des cartes datant du xiV siècle. Il est vrai qu'on a encore voulu trouver l'Antilia sur la carte dressée en 1367 par Pizzigani (3). On distingue en effet sur une île très à l'ouest dans l'Atlantique deux statues figurées avec la mention suivante : « sunt statuse qux stant ante ripas AntiUix, quariim quxin fundo ad securandos homines navigantes, quare est fusum ad ista maria quousque possint navigare, et foras porrecta statua est mare sorde quo non possint intrare nautx ». Mais la carte de Pizzigani est d'une lecture difficile. Ad ripas Antilliie se lit tout aussi bien

(1 Aristote, De mundo, III. ^

(2) Pedro de Médina, cité par d'Avezac (lies de l'Afrique, p. 27), est l'au- teur du Regimienlo de navegacion (1563) et de YArte del navegar (1555).

(3) JoHARD, ouv. cité, plancbes 4445. Cf. Humboldt, Histoire de la Géographie du Nouveau Continent, t. Il, p. 177. Buache, ut supra. - ZURLA, Viaggi Venezziani, t. H, p. 374.

CIIAi'. VI. LES ILES FANTASTIQUES DE L'OCÉAN ATLANTIQUE. it\l

que Ad ripus AtitUio, et mèrno Ad ripas istins insiil.T. Ce n'est donc pas au xiv" sic-'cle qu'on trouve IWntilia mentionnée avec [H'écision.

A vrai dire la première indication (certaine de l'Aiitilia ne peut (Hre livée (ju'à l'année lAAA, épocjue à lacpielle, d'après Ueliaini, un navire espagnol s'approcha pour la première fois de cette île et la lit connaître à l'Europe (1). Dès lors l'Antilia figure en elFet sur presque toutes les cartes. On la retrouve sur le Portulan Ancônitain de 147i, conservé à la hil)liotlièqu(? grand-ducale de Weimar, et sur celui du Génois Heccaria ou Hecclaria conservé à la liihliolhèque de Panne (2). La carte du Vénitien Andréa Bianco, dressée en 14IUI, et publiée par Fornia- leoni en 1789 (3), celle du (iénois Hartolomeo Pareto, dressée en 1455 et publiée par Andrés (i), la mappemonde de Fra Maure en 1457 et la carte d'Andréa Henincasa dressée en 147(» mentionnent pareillement l'Antilia. Le mathématicien florentin Toscanelli, qui fut le correspondant de Golomh et le conlh-ma dans sa résolution de chercher à l'occident la route des Indes, avait dessiné avec; soin une carte du vo^'age à entreprendre dans cette direction, et l'Antilia y figurait comme station inter- médiaire sur la route de Lisbonne aux Indes par l'ouest. Dans la lettre qui accompagnait cette carte, il parle de l'Antilia comme d'un pays connu : « Depuis l'île Antilia que vous connaissez, jusqu'à la très noble île de Cippangu, etc. » (5). Malheureusement la carte de Toscanelli est perdue, et il esta peu près impossible d'évaluer avec précision les distances fixées par l'érudit florentin.

(1) JOHARD, ouv. cité, j)l. 52 : Remarquons toutefois d'après Herrera (Hintoria gênerai) que << en las cnrtas de niarear antiguas se pintabam algunas islas por aquelles marcs, especial meute la isîa que decian de Antilia ».

(2) D'AVEZAC, lies de l'Afrique, p. 24. Humboldt, ut supra, t. Il, p. 190.

(3) FoHMALEOM, Suggio sulta nautica antica dei Veneziani.

(4) Andrés, Note sur une carte géographique de 1455.

(5) Toscanelli, Lettre à Colomb, publiée d'après l'original, par Barrisse. {Don Fernando Colon, historiador de su padre). « Ab insula Antilia vobis nota ad insulam nobilissimam Cippangis^ etc. ».

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Il t'st vrai (|U(î imus possédons V\ ^\u\n\ dresst'' quehjues aiinécs plus tard par lîcliaim , et (jui n'est à ce qu'on croit cpi'une reproduction de lacarte dciToscanelli. Or l'Antilia y est nianpiée sous l(î ;J3' de longitude occidentale. Urtelius et Mercator la dessinent encore dans leurs atlas (1). Va\ général toutes ces cartes lui donnent une forme rectangulaire, et en font un pays à peu près aussi grand (pie l'Espagne. Les côtes sont décrites avec une grande apparence d'exactitude. On y reti'ouve les mêmes détails que dans ces terres imaginaires du pôle nord ou du pôle sud qu'on dessina avec tant de soin dans les atlas jusqu'au xviii" siècle. Donc à partir de xiv" siècle tous les marins ont cru à l'existence de l'Antilia : il nous reste à déterminer la position (|u'ils lui assignaient.

Chercherons -nous l'Antilia dans l'archipel des Canaries? Mais ces îles avaient été visitées dès le xiii" siècle, vers 1275, par le Génois Lancelot Maloisel, et en 1291 par Tedisio Doria et les frères Vivaldi, d'autres Génois. Pétrarque, en 1304, nous affirme qu'une flotte de guerre génoise avait pénétré aux Canaries toute une génération avant lui. Au xiv" siècle, cet archipel fut encore reconnu et visité en 1341 par Angiolini del Tegghia, en 1360, par deux navires espagnols expédiés par Luis de Lacerda, cnl377parleBiscayen Ruys de Avendano,enl342 par F. Lopez, en 1380 par le Castillan Ureno (2). L'atlas cata- lan de 1375 édité par Buchon, la carte de Mecia de Viladestes et le Portulan de la hihhothèque municipale de Dijon marquent ces îles. Au commencement du w" siècle, lorsque Jehan de Bethencourt partit de Normandie avec le dessein hien arrêté de conquérir les Canaries, non seulement il emmenait avec lui de France des interprètes canariens, mais encore la chronique rédigée par ses aumôniers nous apprend que ces îles étaient

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(1) Obteuu?. carte 5. .Mebcator, carte 3.

(2) Gravier, Recherches mr les navigations européennes faites au moyen- âge aux côtes o:cidentales d'Afrique (Congrès de géograpliic de Pari en 1878, p. 459-497).

CIIAP. VI, LKS ILES FANTASTIQUES DE L'oCÉAN ATLA.NTIQl E. ilO

ili'puis longtemps fmiiicntt'cs par les marins (1), Si donc lu premier»' notion authentique de i'Antilia date seulement de lili, comme nous l'avons établi |)lus haut, les (lanaries étant connues depuis bien plus longtemps, ce n'est pas dans cet arclii[iel ([ue nous devons cluM'clier I'Antilia.

L'archipel de Mad»'re, depuis longtemps visité par les A rahes, avait aussi, dès le xiV siècle, été signalé jiar les Européens, (!t particulièrement par les Italiens (2), car toutes les cartes mari- times d(î l'épcHjue donnent aux îles des dénominations italiennes, Insula di Legnano, Déserte, Salvage, Porto-Santo, etc. Ce n'est donc point encore qu'il nous faut chercher I'Antilia.

L(>s îles du Cap-Vert ont été découvertes à une époque hien |)lus ré(;ente (3). C'est en lioGque le Vénitien Ca da Mosto et le (jénois Antonio Usodi Mare reconnurent les premiers ces îles, mais elles sont peu éloignées de la côte, tandis que toutes les cartes du temps représentent I'Antilia au milieu de l'Océan et ne cessèrent jamais de la représenter en même temps que l'archipel du Cap-Vert.

( donc trouver cette Antilia fantastique ? Buache se pro- nonçait en faveur des Açores {\), bien que les Açores fussent connues et dessinées dès le milieu du xiV siècle, si du moins on en croit le Portulan Médiceen de 1351 (5). Aussi bien si I'Antilia eût correspondu à Saint-Michel ou à toute autre île du groupe açoréen, on ne l'aurait plus figurée sur les cartes de l'époque, qui, au contraire, représentent simultanément, ainsi que celles de Bianco ou de Behaim, I'Antilia et les Açores.

L' Antilia serait-elle l'Amérique? A propos de la carte de Bianco, qui marque deux îles séparées par un détroit, Antilia

;l) Gravier. Le Canarien, p. 2246.

(2 D'AvEZAC, Iles de C Afrique. Gravier, ouv. cité.

(3) J. Loi'EZ de Lima, Ensayo sobre a stntistica dus possessocs portu- gttezttu, Lisboa, 1844.

(4) Buache, ouv. cilé.

(5) D'AvEZAc, lies de l'Afrique. Gohdeybo, Historia iiisuluna rias ilhas a Portugal suageytas no Oceano occidental, Lisboa, 1717.

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220 PHEMIKHK l'AUTIK. LES l'UKCLHSKlRS DE COLOMH.

et la Mail Satuiluxio, un googi-aplic allfiiiaiid, Hasscl, |in>t*'ii(| que ces deux îles correspoïKleiit aux deux parties du roiitiiieiit américain que l'on croyait en effet, aux premiers temps de hi découverte, séparées par un détroit. Foniialeoiii n'hésite pas à ral'firmer (l), mais cette liyp<»llièse n'est sout»'iiue par aucun argument sérieux. Il est prolialtleipi'inspirés p;ir je ne sais (pieile, réminiscences anti(|ues et par de vagues traditions, les carto- graphes du moyen-Age conroiidirent sous le nom nni(pie d'.\n- tilia les côtes de plusieurs îles récemmont découvertes. Ainsi Beccaria, dans sa carte de liU."), appelle Antilia et l'arcliiitcl qui l'entoure Insulie de novo repte (re[ierta!) (2). Puis, à mesure que ces iles furent mieux connues, cpie leurs contours, leur grandeur et leur position furent déterminés avec précision, on se tttntonta d'éloigner dans la direction de l'ouest cette ile ima- ginaire, qui servit désormais à désigner toutes les découvertes encore incertaines. L'Antilia fut l'ilespérie du moyen-àge : elle recula toujours, comme celle de l'antiquité, devant les explora- teurs hardis et les voyageurs aventureux.

Antilia disparaîtra en effet des cartes, dès que le Nouveau- Monde sera découvert. Si aujourd'hui ce nom s'applique encore à tout un archipel, c'est l'effet d'un pur hasard géographicjue. Colomb, Oviedo, Acosta, Goinara et les premiers historiens espagnols de l'Amérique ne parlent jamais de l'Antilia. Les mappemondes ajoutées suivant l'usage aux éditions de Ptolémée ne la mentionnent pas davantage. Sur les cartes de Juan de la Gosa ou de llibeira il n'y a pas trace du nom des Antilles. Dans le recueil italien de Joutes les îles du monde par IJenedetto Bordone (3), dans VIsokmo de Porcacchi (4), dans la Cosmo-

(1) KORMALEONI, OUV. cité.

(2) JoMARD, ouv. cite, planche 8.

(3) Bordone Uiro nel quai si vagiona de tutte l'hole del mondo, Ve- nise, 153i.

(4) TiiOMAiiO Porcacchi, l'Isole piu fatnose del mondo, Venise, 1590.

OHAP. VI. LES ILKS KANTASTIOIKS l»E l/oC^AN ATUNTIOl'K- ^^2i

l/r(ij)liir (r.\ii(li'('' Tlifvct (1), «laiiH lu Ih'scriptnm (1rs /ndfs ncn- ilnilnh's |iiir llcrrora (ii), jaiiiais ne llpiirc le iiotn (rAiitilIcs. Ii'ar<'lii|i(>l (|iii porto aujoiinriiiii rc iimii est (Irsi^Mir sons la (ItMioiiuiiatioti (l(> Liirayt^s, (larailics, on Itirii «Micorc de (laiiicr- cancs (II). Sans doute Picrrt' Martyr avait déjà propose'' ce nom dans ses Ih'raili's (l), et .Xnicri^'o Vcspncci, la srnie l'ois (|n'il cite (lolonil), parle anssi dWntilia (.'>), mais, malgré cetti; donlile autorité, le nom dWntilles, pendant eneore tont nn sièele, devait être inronnn. (Vest seulement à partir du xvii* sièele qne la grande céléhrifé des cartes d(! W'ytfliet (<>) et d'Ortelins (7), qni, sans doute par souvenir d'érnnition, avaient l'ait revivre cette appellation, li\a pour toujours sur les cartes d'Américpie le nom d'.Xntilles.

LWntilia n'a donc été (prun mythe géograplii(pie , mais aiupiel on cessa de iToire |(eaucou|> plus vile «pi'on ne l'avait l'ait pour l'île de Saint Hrandan. Seidement, par nn singulier hasard, aucune terre ne porte aujourd'hui le nom du saint Ir- landais, tandis ipie le rnagniti(pie archipel de la mer du Me\i(|ue a conservé le nom qui ne lui fut définitivement aftrihué (pie l(iugtem|is après sa découverte. Ce mythe, (juelle (pi'ait été sa l'orfune, nous j)rouvedonc, une fois de plus, comhien était prt)- fondément gravée dans les esprits la croyance à l'existence d'iles ou de continents dans l'tJcéan Atlantique,

(1) TiiKVKT, Co.imOf/raphie Utiivrrselle, Paris, 157.').

2) IIkhiikha, Hàtoi'ia gennivil de los hechos do los Cnslpllannu m las /.v/r/s // Tirrra firme del mnr Oceann.

(IJ) lIcMi-.oi.DT. lïhtoire de la Géographie du Nouveau Continent, t. Il, |i. 10!t-;00.

(i) l'iKitHK Mahtyii, Décades, 1, jt. tl : « In Hispaniola Ophirain insulain se rcpcrisse refert Columbiis, seil, cosmographoruiii tractu diligcnler conside- rato, Antilim insiihc suiil illaî et adjacentes aliœ «.

(■■>) IIyi.acojiyi.is, Cosnioyraphiâs introductio : « Veiiimus ad Anligliœ in- sidain, (]uain paucis niiper ab annis Christophoru$ Columbus discoopcruit ».

()) Wytki.iet, Descriptionis PtolemaicT augmentum, 1 597, carie 5, Novi orliis pais Borscalis.

(7) Omtri.ius. Toutes les cartes de son atlas relatives à l'Amérique.

1 /

"i^l i'hkmikhk i'aiitik. i,ks pHKcrnsKins i»k (.(ilomii.

vmri ^

Nous iivDris ciicnrc à (>iir('f,'istn'r (rautrcs îles, dont rcxislciirc est tout .'iiissi |)rol)l<'>inati(|ii(>, mais ait\(|U(>ll('s on croyait au riioyiMi-àp', avant la date orilcicllc de lu «Ircouvcrtc de l'AnK'- ri(|ii('. l'n ivcit (|u<'l('on(|ue de voya^*', mt^nic invraiscnddalilc, se iTiiandait-il, (|Ucl(|U(> marin nrcnait-il rionrunc terre la trom-

peuse <-i|)|iaren('e d'un niia^'c à l'Iiori/oii, il annonçait an retour sa prétendue découverte. Aussitôt les carto^raplles se mcîttaient à r»euvre. Assttciant leurs désirs à de confuses n(»tions, ils créaient (|uel(|ue terre uouveIN', (|ni ne disparaissait des cartes (pi'a|»rès des découvertes l)i(>n autlienti(|ues. Telles lurent les trois îles (pie, d'ordinaire, on trouve manpiées à cAté d(î l'An- tilia sur la plupart des cartes et porlidans (uie ikjus citions plus

haut : la première, à vin^rt lieues envinui à l'ouest d'Aiitilia, et parallèlement à elle, est de r(»rme carrée ; elle: a nom lloyllo : la s(>conde (>st à soixante lieues au nord ; on la nonune La Mail Satanaxio ou San Atanaf,'io ; la dernière, eiilin, au nord d«> la seconde, complète le f^roiipe et s'a|»pelle 'raninar ou Danmar.

1)(^ ces trois îles celle (pii se retrouver sur le plus j^raiid nomlire de rartes est l'ile de la Man Satanaxio ou de la Main de Satan, (lelfe deiiominatioii est siiifiiilière. Devons-nous y voir (piehpie va|.Mie reflet de la lép'mh» de saint nraudan, oinpiehpie nouveau c(Hite sur les daiifrersde l'Océan ? Fttrmaleoiii (I), en consultant à la l)iltliotliè(pie Saint-Marc, de Venise, l'atlas d'.Vndrea Ilianco, sur leipiel Danse de Villoisou venait d'appeler l'attention de l'Kurope savante , avouait naïveinent (pi'il avait lonj^temps clierclié l'explication de ce nom. X iovci' de c(»nsulter les vieux auteurs, il découvrit un roman de (lliristol'oro ,\rineno, intitulé // /*rllrfjriiiti'/f/i(i di Ire f/ioiuanii, dans leipicd on parlait d'une certaine contrée de l'Inde, où, tous les jours, uikî grande! main sortait de l'eau, saisissait les matelots, et les entraînait dans laluine avec leurs navires, dette main ne pouvait être (pie la main de Satan, d'où I(î nom d<tnné à l'ile mystérieuses : Nous

(I) FOII.MAI.EO.NI, oiiv. cili'î.

CHAI'. VI

l,i;S ILKS KANTASTKMÎKS llK l/oCKA.N ATLWTH.MK. ±l'.i

croyons, an contraire, (jnc (Ihistoloro Ai'uicno s'est ins|>iré de cette léfjemle, mais (|n'il ne l'a pas inventée. ICIie evisfail hien avant Ini. Pendant, lonl le nn»\en-à^,^e on a placé l'enfer dans ces réj:ions Septentrionales de rAtlanti(pie, où, tont justement, les cartographes avaient l'hahitnde de pliicer l'ile en (piestion. Ainsi, la carte de rAtlanli(|ne insérée dans la /{iirrolla t/i Vitiifffi de Hanmsio (I) plaçait an nord de Terre-Neuve l'ile des Dialiles, dont on voyait, en eU'et, voltif!:er à Teiitonr tonte uniM'oliorte ; llnyscli, dans son atlas de l.'iOT-l.'JOS, insérait dans cette ré(.,Mon de l'Océan, ime insida da>monnm {li) ; (".orte- real donnait é;;alemenl à une Ile sin* la côte de Labrador le nom (l'Isola de los Uemoiiios [',\) ; Tlievet, enihi,dans sa CusiiKif/rd-

ces

ftliit! iinirn'sallt; {A) {\î>Ti'))y raconte avec candeur les s(»idrran et les persécutions (pr(;ndnrent les mallienrenv indigènes on les navigateurs européens conduits par leiu' mauvaise fortune dans l'archipel des Démons ('»). Mais, (pielle (pie soit l'explication donnée, l'existence de l'ile en (piestion demeure toujours pro- lilémati(pie. S'il nous était permis d'aventurer une hxpothése, nous croirions volontiers (pie les navij,Mteurs de l'épiMpie ren- conlrèrent, en s'aventiirant dans l'.\llanti(|ue, (|uel(|iies-uns de

pie, (piel(p

ces };i;;aiites(|ues iceher},^s , ou moiita^iiies (

le ul

ice

arracUes

aux '(aïKpiises du pi'de et entraînés au sud par les courants, dont la rencontrer ass(>/ fre(pieiite est, iinhiie aujourd'hui, si redoutée par les capitaines, (les icelierfi:s, (piand ils se heurtent

iue un navire

iiilenl

à pic, et, comme ils ariiveiil à

l'improvisle, escortés par d'épais lirouillards, ils pai'aissent

réelleiiieiit sortir du sein des (lots, comme sortait la main de

Satan, pour précipiter au fond de l'ahiuie matelots et navires.

UiK- antre explication, heaiicoiip plus natiu'elle, consiste A

(1) ItAMiisio, Uureulln tli viii//i/i, (. Il, '.\'A\.

(2) llrvsi;ii, ('111111111 (l(! Plohîiiicc, l.iOH. {',\) IIaiiiiishic, /.m dnrtevntt/

4) TiiKVKi, Costnoi/rap/iie IJniver.sfllf.

(:;) Viiii ciKuiio k;« cartes do Lafrcri (Venise, l.'i66l l'I de il. Meic.ulor (1587)

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22!i PREMIÈRE PARTIE.

LES PRECURSEURS DE COLOMR.

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lire San Anatafîio au lieu de Man Satanaxio. Le dérhiffrement des portulans du moyen à'^c qui sont parvenus jusqu'à nous, est très difficile, et, pour un lecteur dont les connaissances paléo- };raplii(jues seraient médiocres, comme l'étaient, par exemple, celle de Formaleoni, le premier éditeur de l'Atlas de Bianco, on peut lire indifl'éremment l'une et l'autre leçon. En ce cas, la prétendue île de Satan serait tout simplement l'île placée sous l'invocation de saint Atlianase, ce qui était plus conforme aux habitudes des marins de l'époque.

Quelle que soit l'origine de cette appellation, nous ne sommes jias fixés sur la position de l'île, pas plus que sur la position des deux îles voisines, Royllo et Tanmar. Elles disparurent succes- sivement des cartes, même avant l'Antilia, qui, du moins, a laissé son nom à un immense archipel, tandis que ces îles fan- tastiques sont rentrées dans l'obscurité. Elles n'en seraient même jamais sorties sans le singulier et très persistant pressentiment des marins et des érudits de l'époque, relativement à l'existence de terres à l'occident.

Nous en dirons autant pour l'île de Bracie, Berzil ou Brasil ([ue les cartes du moyen âge dessinaient an milieu de l'Atlantique. On les trouve, par exemple, sur le portulan médicéen de 1381. La carte catalane de 1375 (1) en mentionne môme deux sous le même nom et la carte des frères Pizigani (1367) (2) en compte jusqu'à trois : la première au sud sous le parallèle de Gibraltar, la seconde au sud-ouest de l'Irlande, accompagnée de deux navires et d'un homme dont on ne voit plus que la tête, car il est dévoré par des serpents ; la troisième au nord de la précé- dente avec une bête fantastique qui enlève un homme dans sa gueule : elle porte l'inscription I" de Mayotus seu de Bracir. Elle > st dénommée Brazil sur le portulan de Mecia de Vila- destes (1413), les cartes d'Andréa Bianco (1430) et Fra

(1) Tasto et Bucmo\ Notice d'un atlax en langue catalane, manuscrit de Tan 1375, conservé ^ a7'mi les manuscrits de la Bibliothèque roijale.

(2) JoM\RD, ouv. cité, planches 4i-4;j.

1

36?)

FRAGMENT DE LA CARTE DE

CARTE DE PICIGNANO (1367)

//

ClIAP. VI. LES ILES FANTASTIQUES DE l'OCÉAN ATLANTIQUE. 225

Mauro (1437), et toujours elle figure à l'ouest de l'Irlande. Nous lui trouvons le même nom et la mt^me position dans les Ptolé- mées de 1513 et de 1519, dans le tr»>s curieux atlas manus- crit de la l)il)liotliè(jue de la Faculté de Montpellier (1), composé peu après le voyage de Magellan, dans le portulan de Malartic qui date de 1535, dans le Ramusio de 1550 et dans Vlsolnrio de Porcacclii (1572) ; un siècle et demi après la colonisation des Açores par le Portugal on continuait à placer une île de Brazil au nord ou au nord-ouest de Gorvo. Les atlas de Lafreri (1566), d'Ortelius et de Mercator (1587) marquaient encore ce nom. Le souvenir de cette île errante s'est même conservé jusqu'à nos jours dans le Brazil Rock, rocher ou plutôt fond rocheux indiqué sur les cartes modernes de l'Atlantique à quehjues degrés à l'ouest de l'extrémité la plus occidentale de l'Irlande (2;.

L'identité de ce nom avec celui d'une des plus vastes contrées du nouveau monde peut paraître singulière. Indiquerait-elle quelque mystérieux pressentiment de la découverte d'Alvarès Cahral? Il n'est pas besoin d'aventurer cette hypothèse. Il en est en effet de Brasil comme d'Antilia. Ces noms furent appliqués à des terres inconnues avant d'être fixées définitivement. Par un curieux hasard, un hois rouge, propre à la teinture des laines et des cotons, commença à désigner le pays d'où on le tirait, Malabar et Sumatra ; puis ce nom fut appliqué à une île de l'Océan on crut le retrouver, et enfin à la contrée américaine qui l'a conservé (3). Il se pourrait encore que Brésil rappelât le souvenir de la terre mystérieuse chantée par les bardes irlandais et gallois. Ce mot peut en effet se décomposer en deux racines gai^liqucs, /}7-eas grand et î île. Le Brésil serait alors la

(il Cet atlas (in-4», 22 cartes, Tfl) appartenait jadis à un conseiller au Parlement de Dijon, de Clugny. 11 a, tans doute, été composé par Baptisla Agnese, l'auteur du Portulan de Marlatic. Cf. Gaffarei, {Mémoires de la Société Bourguignonne de Géographie et d'Histoire, 1889).

(2) Voir la carte d'Irlande de l'atlas de Stieler (édition de 1867).

^3) Gaffadel, Histoire du Brésil français au xvi» siècle.

T. I. 15

'■'l"4

226 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.

grandi* îlo, et corrospondrait à Tvd'iq Mnr le grand rivage ou /'//• Mnr la gnindo terre, dont parle lu légende de Gondla le Ueaii. Aussi l)ien rappelons, à titre de curiosité, qu'en Angleterre on crut longtemps à rexistence de cette île mystérieuse. « Le 15 juillet 1480, des navires appartenant à John Jay le Jeune, jaugeant 80 tonneaux, sortirent de IJristol pour naviguer à l'ouest de l'Irlande jusqu'à File de Urassyle. Le 18 septemltre (1481 ?) on apprit que Thomas Iloyd, le marin le plus expert de l'Angle- terre, (pii commandait l'expédition, après une navigation de près de neuf mois, hattu par la tempête, avait été forcé d'entrer dans un port d'Irlande pour laisser reposer ses navires et ses matelots, sans avoir découvert ladite île (1) ». Même au XVIF siècle l'île de Hrasil ou O'Brazil n'était pas encore oubliée. Voici en effet ce (|ue nous lisons dans un ouvrage publié en 1084 (2) : « Des îles d'Aran et du continent de l'ouest paraît souvent visible l'île enchanteresse que l'on nomme O'Ikasil et en irlandais Heg'araii ou la petite Aran, aujourd'hui l)annie des cartes de navigation. Est-ce ime île réelle rendue inaccessible par ordre spécial de Dieu comme une sorte de paradis terrestre, ou bien le résultat d'une illusion produite par de légers nuages apparaissant à la surface de la mer ; ou encore faut-il y reconnaître le séjour de quelques mauvais esprits ? Ce sont des questions qu'il ne nous appartient pas de juger » .

Que le mot de Drasil ait pour origine le nom d'un bois de teinture ou qu'il soit comme l'écho d'une vieille légende,, nous rangerons cette contrée parmi les îles fantastiques, ou plutôt parmi ces terres voyageuses dont le souvenir s'est perpétué par la tradition, et qui n'ont conquis qu'à une époque relative- ment moderne la certitude de leur existence.

(1) tinirariwn Wilelmi Botonei, ilict de Worcestre, cité par Haurissk, Colomb, I, p. 317.

(2) R. O'Fi.AiiEKTY, A Chorographkal deacriptioîi of We^t or //. !ar Con- naught (168*). Dublin, Irish Aich. Soc. 1846, p. 68-69, cité par Hamy, Les origine de la cwtographie de l' Europe Septentrionale (Bulletin do (Géographie historique et scientiflqiic, 18S8).

r.llAP. VI. LES ILES FANTASTIQt'KS DE l'oC.ÉAN ATLA.NTIOl'E. 227

Dans ces môincs |»arag('s, c'cst-à-dirc ciitro rirlaïuU.', Tcrre- NcMivo ot les Açores sont ('{ïaicmont marquées les deux îles Mayda ou Asrnaïde et Isla Verde (1). Apr^s la diM-ouvorte de l'Ainérique, elles figurent avec régularité sur les cartes, mais leur [(osition est incertaine. De nos jours elles sont encore niar(|uées, ou plutôt signalées, comme écueils à (-viter. et sous les noms de Maïda et de (Ireen Rock, Leur existen<'e n'est donc millement |trohlémati(|ue.

Ainsi donc sept cités ou .Vntilia, La Man Safanaxioou Brasil, voyages réels ou imaginaires, terres chimériques ou îles existantes, ' , géographes du moyen-Age, mêlant d'antiques traditions à des découvertes récentes, ont toujours placé à l'ouest ces prétendues contrées. Assurément ce n'est point encore Ifi r.\méri(|ue, mais c'est déjà la direction de l'Amérique.

(1) Allas Catalan de 1367, Portulan de Marlalic de 1535, Ptoléniécs de 1513 et li)t9, etc. Isolario de Porcacchi (15'72). Cf. Flelriot de Lanole, Mé- moire sur les vigies de l'Atlantique. (Bulletin de la Société de Géographie de Paris, juillet 1865).

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CHAPITRE VII

VOYAGKS DES ARAHKS DANS L ATLANTIQUE.

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De tous les |)(>u[)I('s qui, au moyen-Age, malgré les dangers réels ou prétendus de l'Océan, osèrent s'aventurer sur ses flots, il en est trois, les Arabes, les Irlandais et les Northmans, qui semlilent ne jamais avoir oublié les traditions antiques. Ils n'ont pas un instant ressé de naviguer dans la direction de l'ouest, (Mjmme s'ils avaient eu la prescience de futures découvertes. Il est même probable que plusieurs d'entre eux abordèrent en Amé- ritjue bien avant Colomb. Nous essayerons de le prou 'cr en recueillant dans les œuvres de leurs poètes ou de leurs histo- riens les traits épars qui nous permettront sans doute de substi- tuer des faits précis à de vagues légendes, et de reconstituer un chapitre trop oublié de l'histoire^ ancienne de l'Amérique.

On sait le grand rôle joué dans l'histoire de la civilisation par les Arabes. Humboldt les considérait non sans raison comme les successeurs des Romains pour le développement et l'agran- dissement de l'univers (1). Cette race mobile et robuste, ignorante mais non grossière, était douée d'une vive imagination et cepen- dant attentive à tous les phénomènes de la nature. Dans toutes les sciences, et particulièrement en géographie, ils rendirent les plus éminents services. Conquérants, ils font connaître des

(1) IIljiboldt, Costnos, t. H, p. 246, 249, 491. Cf. le beau portrait du génie Arabe tracé par Herder, Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité, t. XIX, § 4 et 5.

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CIIAP. VU. VdYACKS l»KS AHAHKS DANS L'aTLAMIQ! E. ±1*.)

pays iiiyst(''ri('ii\ ; voyageurs et coiiiiiiciTiiiits, ils étudioiit les rossoui'ct's (le ces pays (I). Le Coran recoiiiriiaiide en elVet le commerce et l'industrie eonimc des ()('(U{)atioiis agn-ahles à Dieu. Aussi, négocianti^ et soldats nuirclièrent-ils ensend)le à la coïKiinHe du monde, les caravanes furent protégées |)ar les armées, et les généraux, en défendant les marchands, crurent accomplir un devoir non moins sacré (jue celui d'exterminj'r sans |>itié les intidèles. Fje Tliibet et une partie de la Chine, la Tartarie et une partie de l'Africpie intérieure furent -tins! parcourues et décrites par les Arabes. Du côté de l'occident, malgré la hardiesse de leurs marins et l'audace de leurs pirates, leurs progrès furent moins rapides. Ils répandirent pourtant leur langue et leurs chiffres jusque dans l'extrôme nord. Un trouve encore de leurs monnaies sur les hords de la Dalti(|ue et en Laponie (2). Ils connurent d'une façon certaine les îles Ca- naries, peut-être Madère et les Açores. Quelques-uns d'entre eux poussèrent même, à ce que prétend la tradition, jusqu'en Amé- rique.

L'Océan inspirait pourtant aux Arabes une sorte de terreur religieuse. Il était pour eux le théâtre des plus elfroyables aven- tures, le séjour des monstres et des mauvais génies. C'est sur l'Océan que Simbad le Marin, représentant symbolique des

1

(1) Dès les premiers siècles, les Kalifcs ordonnèrent à leurs généraux de faire décrire les pays soumis. De tant de glorieux travaux parmi lesquels on peut citer ceux d'Eumsi (Traduclion Jaubert, Délassements de l'honnne désifeux de connaître à fond les diverses contrées du monde), d'iBN al Olaudi {Perle des merveilles), d'AnocLFEDA {Vraie situation des pai/s), de Maçoudi {Les prairies d'or et les tnines de pierres précieuses, traduction Barbier de Meynard et Parvet de CourteiHe), d'iBN Halkal {Indicateur des pays par ordre alphabétique), d'Eb Bakoli {Merveilles de In toute puissance sur la terre), d'IsN Batoutaii {Voyages, traduction Defréméry et Sangui- nelti), Abd ai, Hatif {Description de l'Egypte, traduction de Sacy), etc. Cf. Lelewel {Géographie du moyen-âge), t. 1.

(2) HuHBOLDT, Cosmos, II, 265. Leopuld de Ledebuii. UOer die in den Baltischen Laiidern gefundeneti Zeugnisse eines Handelsverktrs mit dem Orient zur zeit der Arabischen Welthersschaft, 1840.

"l'M) i'hkmiTjif. I'ahtik. li;s i'AKcirskirs i»k r.oLOMU.

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iK^gociiints aralu'H du iimycu-Agc, ('prniivf l(»us ses iniillicurs. Kdrisi parle ilc l'Océan coiniiu'cii aurait (tarlé h; vieil Kscliyie (1), cumule i*ytlieas parU; de la luer (glaciale. <> Les eaux de cette mer, dit-il, sont é|»aisses et de couleur somhre. L(!s vaj,'ues s'y élt''veTit d'une facou ed'rayaute. Sa profondeur est considérable, ryohsciu'ité y rèf;ne continuellement; la navi;;ation y est diffi- cile, les vents impétueux, et, du cMù de l'occident, les bornes en sont inconnues ». Hien qu'il ait composé son ouvrai^e à la Un du xiV siècle, en 1377, Ilni-Klinidoun, semble éprouver une sorte de terreur religiiMise en parlant do. rAtlanti(jue (2) : (i C'est une vaste mer sans liornes, écrit-il, les navires n'osent se hasarder hors de la vue des côtes, parce (pi'on i|;nore les vents pourraient les pousser, vu (ju'au-deli\ de cette mer il n'y a point de terre (|ui soit habitée. Quant aux mers dont les limites sont connues, les navires y navif,'uent, parce (jue h^s marins savent par expérience les vents |)euvent les conduire ; mais il s'en faut de beaucoup (ju'il en soit ainsi pour l'Atlan- tique, parce qu'il n'en connaissent pas les bornes, et, quoiqu'ils connaissent la direction des vents, ils ignorent jusqu'où leur souffle pousserait les navires qui |»ourraient se trouver envi- ronnés de brumes, et faire naufrage ».

Malgré les dangers que présentait la navigation de la mer Ténébreuse, les Arabes ne laissaient pas que de s'y aventurer. Ils croyaient qu'elle était remplie d'un nombre incalculable d'îles, les unes désertes, les autres habitées, celles-ci enfin possédées en propre par des sorciers ou par des animaux fan- tastiques. Ibn-al-Ouardi prétendait que ces îles étaient si nombreuses (ju'on ne pouvait les comptei (3). Edrisi fixait leur nombre à vingt-sept mille (4), et il en énumérait quelques- unes : Sura, Sauli, « dont les habitants ressemblent plutôt à

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1) Edbisi, ouv. cité. Trad. Jaubert, t. II, p. 36.

2) Ibn-Kiialdoun, Prolégomènes historiques. Trad. de Slane.

3) Ibn-al-Ouardi cité par d'Avezac, Iles de l'Afrique, p. 15.

4) Edrisi, ouv. cité, p. 198.

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CHAI'. VII. VOYAGES DES ARABES DANS i/aTUNTIQI'K. 231

(les r(>iiiiii(!s qn'i\ tl(!s lioiniiios. Les dents leur surtciit (!«• la bouclic, leurs yeux élincelU'ut coiiune des éclairs et leurs jiimhes ont l'apparence de Itois lirùlé. » Mnstachiin fut jadis ravagée par un dragon u cpie tua Alexaiulre » A (îallian « les insulaires sont de forme humaine, mais portent <les ttMes d'animaux (1) ". A llaea « vivent des oiseaux semhlahles à des aigles, rouges et armés de grilles ; ils se noiu'rissent de coquil- lages et de poissons et lU' s'éloignent jamais de ces parages. On dit aussi <pie l'ile Uaca produit une espèce de fruits sem- hlaljles aux figues de la grosse espèce, et dont on se sert coiimie un antidote contre ' 's poisons. L'auteur du L'wre des M''rri'illes raconte qu'un roi de France, informé de ce fait, envoya sur les lieux un navire pour obtenir les fruits elles oiseaux en question, mais le navire se perdit, etdefmis on n'en entendit plus parler», (lliaslend était jadis peuplée, mais ses habitants émigr«'rent en Kurope ; (|uant à Laça, « cette île a cessé d'étn^ habitée parce que les ser|)ents s'y sont excesssivement imdtipliés (2) ». Ces ren- seignements sont si peu précis et i appellent tellement les contes dont la princesse Schehérazade amusait son irascibleépoux, qu'on ne saurait déterminer en détail la synonymie géographique de de ces îles, d'autant plus que les Arabes ne marquent jamais aucune distance, et, par là, ouvrent la porte à toutes les conjec- tures.

Il paraît cependant que les Arabes ont réellement connu les îles Canaries. Voici comment en parle Edrisi (3) : « H y a deux îles nommées les îles Fortunées d'où Ptolémée commence à compter les longitudes. On dit qu'il se trouve dans chacune de ces îles un tertre construit en pierres et de cent coudées de iiaut. Sur chacun d'eux est une statue en bronze qui indique de la main l'espace qui s'étend derrière elle. Les idoles de cette espèce sont, d'après ce qu'on rapporte, au nombre de six ». Mais

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(1) Edri»!, p. 200.

(2) Id., ouv. cité, p. 200.

(3) Id., ouv. cité, 1, 10.

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232 PREMIÈRE PARTIE.

LES PRECURSEURS DE COLOMB.

au deli\ des Canaries les iiulioiitioiis donni'os |)ar les Arabos sont vagues ot nuHiu' contrudictoiros. Ils ne s'accordent que sur un point, l'ignorance à peu près absolue Ton est sur les pays baignés par la mer Ténébreuse. << Personne ne sait ce (jui existe au deli\ de cette iner ténébreuse, écrit encore Edrisi (1), personne n'a pu rien apprendre de certain à cause des difficultés (pi'op- posent à la navigation la profondeur des ténèbres, la hauteur des vagues, la frécpience des tempêtes, la multiplicité des animaux monstrueux et la violence des vents. Il y a cependant dans cet océan un grand nombre d'îles, soit habitées, soit désertes, mais aucun navigateur ne se hasarde à le traverser, ni à gagner lîi haute mer ; on se l)orne à côtoyer sans perdre de vue les rivages. Les vagues de cette mer, hautes comme des montagnes, bien qu'elles s'agitent et se pressent, restent cepen- dant entières et ne se fendent pas. S'il en était autrement, il serait impossible de les franchir ».

Les Arabes néanmoins s'étaient parfois aventurés fort loin sur l'Océan. Une de leurs expéditions parait, moins que les autres, dénuée des caractères de l'authenticité, bien (pi'elle soit encore enveloppée de légendes et pleine de contradictions ; car il send)le vraiment que les Arabes, de même race et de môme caractère que les Phéniciens, aient pris plaisir à ne rien nous laisser de certain sur ces contrées, ils retrouvaient leurs traces, de même qu'ils les avaient déjà observées sur toutes les côtes de la Méditerranée et de la mer Rouge. C'est Edrisi qui a gardé le souvenir de cette exploration de l'Océan, et il en parle comme d'un fait déjà ancien. Or comme il composa son ouvrage en Hoi, il nous faut reporter bien avant cette date la curieuse expédition des frères Maghrurins (2).

(1) Edrisi, U, ouvr. cité, p. 2, Cf. Id., p. 10, et 104.

(2) Hartmann, Africa Edrisii, 312-319. Buaciie, Mémoires de l'Institut, t. IV, p. 27.— HuHBOLDT^ Histoire de la Géographie du Nouveau Continent, t. H, p. 137. Webb et Berthelot, Histoire naturelle des Canaries, Ethnographie, p. 10. J. da Costa de Màcedo, Memoria cm que se pre-

(IIAI'. Vil. VOYAC.KS DES ARAllKS ItANS L'ATLANTIQrK. ltX\

Avant (|U(' les Ai'iil)os ('iisscnl l'VaciK' Lishoniic, et ils n'en l'un'iit rhass(!s pur les (llurtu'ns (|u'oii lliT, huit d'ciitrc eux, l'tahlis dans cette ville, l'oriiièreutie pntjet (i'é(|ui|ier un vaisseau, et départir à la découverte dans la direction de l'ouest. » Voici comment la chose se |»assa (l). Ils se réunirent au nomhredehuit, tous proches parents, et, a|>rès avoir construit un navire de transport, ils \ emhanpièrent de l'eau et des vivres en (piantité sulfisante pour une navigation de plusieiu-s mois. Ils mirent en mer au |)reniier souffle de vent d'est. .\près avoir navigué durant onze jours ou environ, ils arrivèrent à une mer dont les ondes épaisses exhalaient une odeur fétide, cachaient de nom- hreux récifs, et n'étaient éclairées tpie faihiement. (îraijïiiant de périr ils chanffèrent la dii'cction de leurs voiles, coururent vers le sud durant douz(> jours, et atteignirent l'île des Moutons, ainsi nommée parce (jue de nond)reux trou|)eaux de mnut(nis y paissaient sans herger et sans personne pour les garder. Ayant mis pied à terre dans cette île, il y trouvèrent une source d'eau courante et des liguiers sauvages. Ils prirent et tuèrent (piehpics moutons, mais la chair en étîiit tellement amère (pi'il était impossihle de s'en nourrir. Ils n'en gardèrent (pie les peaux, naviguèrent encore douze jours, et aperçurent enlin une île <pii [laraissait habitée et cultivée ; ils en appnichèrent afin de savoir ce (pii en était ; peu de temps après ils furent entourés de hanpies, faits i>risonniers, et conduits ù une ville située sur le iionl de la mer. Us descendirent ensuite dans une maison ils virent des hommes de haute stature, de couleur rousse et basanée, portant des cheveux longs, et des fenunes (pii étaient d'une rare beauté. Us rtistèrent trois jours dans cette maison.

tend'' provar qw os Aro/jvs ?iaô conhecarâo as Caiiaria^ nntcs dos Pnrtii- (jaezes (1844). Ii>., A ddi ta ment os a pvimi'irà parte da meiiwvia sohre as vcvdiidciras epocas cur ijur principiaraô as uossas naveyacoés e descoliri- mentos ?io Oceano Atlantieo (lluciicil de rAcadéniic île Lisbonne, t. XI, part. 11). (1) Ediusi, ouv. cilé. T. 11, p. 2().

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i'M l'HEMlÈRE PARTIE. LES PHÉCURSEURS DE COLOMB.

Le ([uatrièmc ils virent venir un homme, parlant la langue aral)e,qui leur demanda qui ils étaient, pourquoi ils étaient venus, et quel était leur pays. Us lui racontèrent toutes leurs aventures. Celui-ci leur donna.de bonnes espérances et leur fit savoir qu'il était intei prête.

Deux jours après ils furent présentés au roi qui leur adressa les mêmes questions, et auquel ils répondirent, comme ils avaient déjà répondu à l'interprète, qu'ils s'étaient hasardés sur la nier afin de savoir ce qu'il pouvait y avoir de singulier et de curieux, et afin de constater ses extrêmes limites. Lorsque le roi les entendit ainsi parler, il se mit à rire et dit à l'interprète : « Explique à ces gens-là que mon père ayant jadis prescrit à (juelques-uns de ses esclaves de s'embarquer sur cette mer, eeux-ci la parcoururent dans sa largeur durant un mois, jusqu'à ce que, la clarté des cieux leur ayant tout à fait manqué, ils furent obligés de renoncer à cette vaine entreprise ». Le roi ordonna de plus à l'interprète d'assurer les Maghrurins de sa bienveillance, afin qu'ils concassent une bonne opinion de lui, ce qui fut fait. Ils retournèrent donc à leur prison et y restèrent jusqu'à ce qu'un vent d'ouest s'éfant «levé, on leur banda les yeux, on les fit entrer dans une barque, et on les fit voguer durant quelque temps sur la mer. « Nous courûmes, disent-ils, environ trois jours et trois nuits, et nous atteignîmes ensuite une terre l'on nous débarqua les mains liées derrière le dos, sur un rivage nous fûmes abandonnés. Nous y restâmes jusqu'au lever du soleil dans le plus triste état, à cause des liens (jui nous serraient fortement et nous incommodaient beaucoup; enfin ayant entendu des éclats de rire et des voix humaines, nous nous mîmes à pousser des cris. Alors quelques habitants de la contrée viiu'ent à nous, et, nous ayant trouvés dans une situation si misérable, nous délièrent et nous adressèrent di- verses questions auxquelles nous répondîmes par le récit de notre aventure. C'étaient des IJerbers. L'un d'entre eux nous dit : « Savez-vous quelle est la distance qui vous sépare de votre

tniAP. VII. VOYAGES DKS ARABES DANS l'aTLANTIQI^E. 235

pays? » et sur notre r«''ponse négiitive, il ajouta ; « Entre le point vous vous trouvez et votre patrie, il y a deu\ mois de cliemin ». Celui d'entre ces individus qui paraissait le plus considérable disait sans cesse : Wassafi ! ( Hélas ! ). Voilà pourquoi le nom du lieu est encore aujourd'hui Asafi. C'est le port dont nous avons déjà parlé comme étant à l'extrémité de l'Occident ».

De ce curieux récit d'Edrisi, il ne sera pas sans intérêt de rapprocher une narration semblable, qu'a conservée Maçoudi dans ses Prairies d'Or[l) : « Un habitant de l'Espagne, écrit-il, nommé Kach Kach, natif de Cordoue, réimit une troupe de jeunes gens, ses compatriotes, et voyagea avec eux sur l'Océan dans des embarcations qu'il avait équipées. Après une absence assez longue, ils revinrent tous chargés de butin. Au surplus, cette histoire est connue de tous les Espagnols (2) ».

Nous mentionnerons encore une tradition rapportée par Abou-Abdallab Mohammed (^3), qui aurait vu dans une ancienne relation que des marins envoyés par Alexandre (?) à la décou- verte de pays inconnus, avaient rencontré, dans une mer loin- taine et inexplorée, un navire monté par des hommes originaires dun grand pays situé au-delà de la mer environnante ; « et pourtant, dit-il, nous n'y avions jamais supposé autre chose que la mer. Que Dieu discorne la vérité de cette histoire ! »

Quelle conclusion tirer de ce triple récit? De (Juignes, dans sa traduction des Extraits d'Ihn Al Ouardi, prétend que ces hommes à la face rouge et aux cheveux longs sont des Peaux- llouges, et que par conséquent les Maghrurins sont parvenus aux côtes d'Amérique. N'est-il pas plus vraisend)la]>le d'admettre,

(1) Maçoudi, Les Prairies d'or, traduction Barbier de Mcynard, t. l,p. 258.

(2) 11 s'Kgit bien cnlendu de l'Espagne Musulmane, car Maçoudi vivait au siècle, à l'époque ses coreligionnaires possédaient encore la majeure partie de la Péninsule.

(.3) Abou-Abdau.ah-Mohamhed DiMASHOL'i, en 1256, mort en 1337, a composé Ce qu'il y a de plus remarquable dajis les temps en fait de mer- veilles de la terre et du ciel. Traduction française par F. Mchron.

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236 PREMIFIRE PARTIE, LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.

avec Tychsen (1) et Malte-Brun (2), que les Maghrurins étaient parvenus à quelque archipel, aux Açores ou au Cap-Vert. Sans doute, ces îles étaient inhabitées, quand les Portugais les re- trouvèrent ; mais la population primitive, précisément de race basanée et à longue chevelure, les Guanches, pouvait bien être celle que rencontrèrent encore les navigateurs Arabes.

Humboldt pense que les Maghrurins ne sont allés qu'aux Canaries (3) ; mais cet archipel était parfaitement connu des Arabes, et désigné par eux sous le nom de Khaledat ou Khalidat. Ibn Said parle de ces îles et des colonnes sur lesquelles était gravée l'inscription : « On ne passe plus loin (4) ». Ikkoui dit que « les îles de Khalidat sont situées à l'extrémité duMoghreb (.'i). Dans chacune d'elles, il y a une figure qui est comme un fanal pour les navires, et les avertit qu'au-delà desdites îles il n'y a point de route à suivre ». Nous avons déjà cité le passage d'Edrisi il est question de cet archipel. Il est vrai que les renseignements des géographes Arabes sur ces îles sont tel- lement confus qu'il se peut que les Maghrurins aient cru découvrir les Canaries, lorsqu'ils les retrouvaient seulement, tant les communications étaient rares entre cet archipel et les côtes de Maroc ou d'Espagne.

D'Avezac est d'avis que l'île des Moutons, à douze journées ouest de Lisbonne, puis à douze journées Sud, ne peutêtre que l'île de Legname des portulans néo-latins, plus tard appelée Madeira(G), et dont le nom italianisé présente, en effet, une cer- taine analogie avec la dénomination Arabe El Aghnam. On ne trouve plus aujourd'hui dans cette île des moutons, mais des

(1) Tychsen, Neiie oriental und exegetische Biàlioteck, t. VIII, p. 54, par Humboldt, Géographie du nouveau continent, t. II, o. 139.

(2) Malte-Brun, Géographie universelle (édit. 1840), t. I, p. 190.

(3) Humboldt, ut supra, t. II, p. 140.

(4) Ibn Saïd, cité par Santarem, Géographie du moyen-ùge, I. 41.

(5) Bakoui, Notices et extraits des matiuscrits de la Bibliothèque du Hoiy t. Il, p. 397.

(6) D'Avezac, lies de l'Afrique, p. 18.

CIIAP. VII. VOYAGE DES ARABES DANS L'ATLANTIQUE. 237

(lièvres dont la chair est efFectivement rendue amère par une plante, le eoqueret, qu'elles broutent cpielquefois. Quant à l'autre ile, il ne se prononce pas, mais ce ne peut ôtre TAmô- rique. Non seulement Edrisi rapporte l'opinion du roi de l'ile, mais encore il dit expressément dans plusieurs autres passages (ju'au-delà de cette île on ne trouve aucun lieu habité, et on ifinorc ce qui existe.

Si donc les Aral)cs se sont avancés assez loin dans l'Atlan- ti(|ue, nous n'avons de leur passage ou de leur séjour en Amé- ri(iue aucune preuv»; ; aussi, n'hésiterons-nous pas à conclure (|u'on aurait tort de les ranger parmi les précurseurs de Colomb.

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CHAPITRE VIII

LES IRLANDAIS EN AMERIQUE AVANT COLOMB. COLONISATION DE l'iRLAND 1T MIKLA

L'Irlande au moyen Age ne fut pas seulement la terre dos saints, mais aussi le pays des voyageurs. Energiques et re- muants, fiers de leur indépendance, les Irlandais semblaient avoir hérité des qualités de leurs ancêtres légendaires, les Phé- niciens (1). Comme eux ils aimaient le changement et l'activité, comme eu\ ils n'hésitaient pas à porter dans d'autres régions leur génie d'entreprise. La mer, qui de toutes parts les entou- rait, les attira de bonne heure. Elle parlait à leur imagination avec ses couleurs changeantes, ses horizons mobiles et les merveilleux phénomènes dont elle est le théâtre. Aussi ne crai- gnaient-ils pas d'affronter ses orages sur leurs barques recouvertes de cuirs grossièrement cousus (2), qui rappellent les baïdares des modernes Esquimaux , et qui déjà frappaient d'étonnement les marins de l'antiquité. « Un peuple nombreux s'agite là, écrivait Avienus (3), ayant l'esprit fier et une grande

(1) De UouoEMo;«ir, l'Age de Bronze, p. 2oîi, 371. De Lasteyiue, Revue des DeuxMonilt's, 15 avril 1807.

(2j Le corium, curica ou curacli des anciens Celtes est décrit par César {De Betlo civiti, 1, 54). Lucain (P/iarsale, IV, 130-5). Pline (Hist. natu- relle, VII, 57K SouN (Polyhistoria, 72).

(3) Avienus, Ora maritima, 98-107. Multa vis hic gentis est, Superbus nuimus, efficax solertia ...Non lii carinas quippe pinis tcxere, acerevc norunt. Non abiete, ut usus est, Curvant faselos ; sed rei ad miraculum, Navigia junctis semper aptant pellibus, Corioque vastutn sœpe percurruii «alum.

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ij:s ihlvndais kn amkiuolk avant COLOM». "l'.V.i

iu'tivité. Tous sont livri'scxclusivenient aux soins du coinnionc, ils traversent la mt'r dans leurs canuts, les(|uels ne sont |>fls fabriqués en bois de pin ou de sapin, mais fal)ri(|ués en [>eaux et en cuirs ».

(À' fut surtout (piand l'île devint chrétienne (|ue les Irlandiiis éprouvèrent comme un impérieux l)esoin d'aller chercher et de porter au loin la science et la foi. L'Irlande mérita hien le surnom d'Ile des Saints, à cause du {îrand nombre de ses mo- nastères, de l'instruction de ses prêtres et surtout de l'entraî- nante ardeur de ses missionnaires. Un les trouvait dans tous les pays et sur toutes les mers d'Occident. Dans leurs visi(jns mysti(iues s'offraient à eux des peuples à initier à la loi du Christ. Excites par la lecture des livres saints et des ouvrages scientifiques alors connus (1), et comme enfiévrés par l'habi- tude de la méditation religieuse en face de l'Océan, les saints d'Erin, à partir du Yl" siècle, cherchent des mondes inconnus à con(|uérir à la foi nouvelle.

Pendant que Columba et ses disciples immédiats parcou- l'ent, la croix en main, l'Europe barbare (2), d'autres moines, leurs compatriotes, s'aventurent sur l'Océan et ont la gloire de découvrir des peuples ignorés et le bonheur d'en faire des chrétiens Vers l'an 503, se trouvant à la cour de lirudeus, roi des Pietés, en présence du chef des Orcades, Columba avait déjà eu l'occasion de recommander à ce dernier (3) queUjues-uns

(1) Diciiii, {De mcnsura orhis terr.v, S T, édition I.etronne) cite t'riscien, Soliti, Pline, Isidore do Seville, Philoemon, XénopJion de Lampsaque, Pjthéas el Onôsicritc.

(2) Lt vie de Columba a été inscrite par Adanman, et insérée dans la col- l(T,tion des HoUandistes, à la date du "1 juin. Elle a été rééditée par W. Rkeves, Dublin, 1857. On peut encore consulter sur Columba Mackenzie, Sctotcli writers; Butler, Lifeof the fnints; Jounson's, Jouniey fo tfic Western l^/es.

{'X) .\i)AM.NAN, ouv. cité. « Aliqui ex nostris nuper emigraverunt, desertum iv. pelago intransmeabili invenire optantes, ipii forte post longos circuitus Urcades devenerunt insulas; huie regulo, cujus obsides in manu tua sunt, diligenler commciida ne aliquid adversi intra terminos ejus contra eos fiat ».

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S-iO l'REMIKRK PAHTIE. LES PHÉCrHSKrUS DE COLOMB.

de ses moines qui s'étaient aventurés surrOcéan. « Quehjues- uns des noires, lui dit-il, ont émigré dernièrement avec l'espoir de trouver un pays désert, dans la mer impénétrable ; peut-être après de longs détours arriveront-ils aux îles Orcades ; fais donc des recommandatii»ns pressantes à ce chef, dont tu as les otages en ton [touvoir, alin (|u"il ne soit pas fait d(! mal aux nôtres dans la limite de ses Etats ». F^es successeurs iuunédiats de Columba suivirent son exemple et continuèrent leurs périlleux voyages (1). Dans les siècles suivants ce mouvement d'émigra- tion s'accentua encore. « Les essaims sacrés des moines ir- landais, écrivait saint Bernard, se sont répandus sur toutes les nations étrangères. On aurait dit une inondation (:2) ». « L'ha- bitude des voyages est devenue (diez eux une seconde nature », disait au ix*" siècle Walafrid Strabon (3) ; et un autre de ses contemporains s'exprimai* ces termes : « Que dire de l'Ir- lande, qui, méprisant les u^ngers de l'Océan, émigré presque tout entière avec ses troupeaux de philosophes et descend sur nos rivages ? » Ces troupeaux de philosophes, dont il est ici parlé non sans une nuance d'ironie, avaient été organisés en confréries par Golumba et par ses disciples immédiats (-4). On les nommait tantôt les Ciildêes, c'est-à-dire, d'après une éty- mologie assez contestable, les Gultores Dei, tantôt les Papae, c'est-à-dire les Clercs (5). Leur fondateur leur avait donné pour

(1) Voir la prophétie de Saint Mociita de Luoiimooh dans la Vie de Co- liimba par Adamnan : « Nomen columlxc pcr omnes insularuni oceani pro- vincias divulgabitur riotum ».

(2) Saint Bernahd, Vie de saint Malachie, p. 5. « In extcras ctiam nationep, quasi inundatione facta, illa sese sanctorum examina efTuderunt »

(3) Cité par Montalembebt, Moines dOccident, IX, 1.

(4) D. Bouquet, Préface de la vie de saint Germain, t. VIII, p. 503. u Quid Hiberniam ineinorem contempto pelagi discrimine, penc totam cum grege philosophorum ad iiostra littora migrantcm ».

(5) Ce mot est actuellement réservé par les catholiques pour désigner le sou- verain pontife, mais on le retrouve, sous une forme plus ou moins altérée, et avec le môme sens, dans l'allemand pfaffe, le russe pop, le polonais pop, le magyar pap, et le fmnoh pappi.

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iiiiAi". VIII. m:s i»l\m).\is i:.\ amkkiuik avant colomii. iil

rostiiiui' l.'i tuni(|ii(> MiiiicIm' s.itis dont*' |).'ir iilliision au |)lii- maiTt' fil' rniscaii syiiil)olii|ii(' dont il portait le lU)in(l). Les Papat' toiiscrvi'n'nt piciisciiiciit cette fiiiiiipic, (|iii devint pour eux eoinme nu sijriie distiiietil', et la transportèrent dans tous les pays les entraîna leur Innueiu' voyafreuse.

Nous n'avons pas à raconter iri les courses, soit des Irlandais, soif des Papae. à travers l'Kurope barbare ou Ui bassin de la Méditerranée. .\f tachons-nous à leurs pas seulement dans la direction de IWtlanticpie et des réf;;iôns occidentales, ils feront d'importantes découvertes et réussiront ni<"'nie à l'onder des colonies.

Il y a deux parts à faire dans ces voya^res ; la première, toute de tradition, mais de tradition persistante, est manpiée par des léjrendes srdt d'oriffine païenne, s((it (rorif.^ine chrétienne. La seconde repose sur (h's témoi>;na^'<s plus authentiques ; elle est marquée» par les voyaf^es des Papae dans l'Atlantiipie et par la cn|,. lisation de Tlrland It mikia ou petite Irlande. .Nous les étudierons successivement.

Le premier de ces Irlandais au cu'ur intrépide dont la légende a conservé le souvenir se nonnnait Condia le Beau (i).

ill l'apat! vero prnptcr all)as vestes, iiiiibus ni cleriei iiHliicluiiilur, voeali siiiit, unde in tetitonica linjçua ommes cleriei papie tlicuiitur iKhkvk (liiiioMcox NdUVKGi.t; dans Monumenta historien Xorvegia- 1I88O1, p. 8!), 208).

i2i La légende de Conillu a été eonscrvéo par le Lenljtir nti h uiilhri, ou livre de la brune [ican, ainsi nommé à cause de la couleur dn parcliemin sur leipicl est écrit le manuscrit. L'autenr du iioénie se nonimait .Moelnuiiré. Il vivait vers l'an 1000. Le Leabar nn h ui'f/iri a été publié en 1870 par r.\ca- (léniie royale d'Irlande. I^a légende de Condla a été rééditée et traduite en anglais par J.-(>. HRinxic CnowK dans The Jowndl of the Hoynl historical (ind anheolofficnl Asxociatiou of Irelaiid, 1874, série, t. III, p. 1. Voir également Krnkst Winoisu, Jrisnhn tPxtf mit Woprtrrfiuch, Leipzig, 1880,

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2i2 PHEMIKHE l'Ainii;. Lies l'HKClHSKlHS l»K C.OLOMI».

Il (Hait (ils (le Cunu Cl(.'t Cliatliuc, roi (t'Irlaïuli! de lll'-i à l.'iT de notre (;re. Un jour, se trouvant avec son pure sur le sonnuetde rUsnecli, dans le Mcath, une fenuiie lui appaïut et lui annun(;a ({u'eli'.' habitait » le pays des vivants, l'on ne connaît ni la mort, ni le péclic'', l'on est perp(''tuelleinent en i'(Hes ». Elle l'invita à le suivre : «i Viens avec moi, (Inndla le Roufj:e, au ((tu lacheti', à la belle l'ace et aux joues vermeilles, tu ne perdras rien de ta jeunesse ni de ta beauté jusipi'au joiu- du terribli; jugement ». Le vieux roi, (|ui l'entendait sans la voir, recourut auv incantations des Druides pour se débarrasser des obses- sions de l'inconnue ; elle disparut en efl'et, mais en jetant à Condla une pomme. Le jeun(^ prince toud)a aussitôt dans une noire tristesse, il repoussa toute nourritm-e et toute boisson, et ne mangea plus (|ue de cetti; jiouune, (pii restait intacte. Au bout dun mois, l'incomuie reparut et ren<»iivela son invitation. Conn sur|(ris, car il entendait sans voir, interr(»gea son lils. « Je suis bien perplexe, répondit ce dernier. J'aime les miens par dessus tout, mais le chagrin me ronge à cause de la dame ». (!eile-ci dit alors d'une voix mélodieuse; : a Heau jeune lionune, pour étr<î exempt de la tristesse (|ue fe causent tes devoirs, c'est dans mon cm-rach (es(piit'i de cristal (pie nous devons nous réuijir, si nous voidons gagner le tertre de Hoadag. Il est une autre terre (pi'il y aurait proiit à chercher. jJien ((u'elle soit éloignée et (pie le soleil baisse, nous |M)uvons l'atteindre avant la nuit. C'est le pays (|ui charme l'esprit de (juiconcjue se tourne vers moi ». A peine eut-elle achevé, que Gondla se jeta dans le canot de cristal, cjui bientijt disparut dans un lointain brumeux. Depuis ce jour personne n'a r(!vu Condla.

dette légende était populaire en Irlande. On la retrouve sous diverses formes, et modifiée parles civilisations et les religions différentes ; mais le fond s(d>siste le même : il s'agit toujours

et surtout Dealvois, lu Grande Terre de l'Ouest d'après les documents cel- tiques du moyen-'Ujc (congrès aiiiériciiniste de Madrid), 1881 ; Id., l'Elyscc transatlantique et l'Eden occidental (Hcvue do l'histoire des religions), 1883.

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CIIAl'. VIII. LES IRLANDAIS KN AMKlUOrR AVANT COLOM». îl\'\

(run vnya}{(! par mer, dans la dircctioii de l'ouest, à la rcclu'n'lie (rime terre iiierveilleiis(!, et les Irlandais se laissent toujours entraîner avec uii" sinj^ulière facilité à ces loini.iincs entre- piises. Dans une autre lép:eii(le, |»res(|ue aussi populaire ipie la |irécédeiite. celle de (luculain, prince de Caialaiftue et Miilr- llienuie, dans ITIster, il est (piestion d'un pass situé à l'ouest, lin delà de la faraude mer. Il se iionnne tantôt Diutsid, collines des Fées, tantôt 'Peu, uiaj:. Trofïai^'i, la |)uissante plain(> de Tru}:aif;i, et le plus souvent Majr inell ou plaine des Délices. On y trouve de tout en abondance. Les aritres sont toujours cliarjrés de fruits, et t(d de ces fruits est assez j^ros pour nourrir trois cents lioiiuTies. (Vest (pi'on admire l'arbre d'arfient au som- met ducpiel brille le soleil, et la fontaine cpii ressend)le à la 1 urne d'abondance de l'anticpiité classi(pie, et la cuve d'by- (Iromel (pii ne désemplit jamais, surtout (pie vivent des fenmies d'une beauté res|)leiulissante, dont la plus belle, Kand, lille d'.Md Arbal, a pourtant été délaissée par son mari .Macnannan. Fand a entendu parler du héros Cuculain, et demande sa main. Cuculain, (pii a déjà femme et maîtresse, lie sait trop (pie répondre et envoie deux fois en reconnais- sance un de ses serviteurs. Séduit par les rapports entbou- siastes de son messajier, il se décide à passer la mer, aborde en .Ma;; mell et épouse la belle Fand, puis il retourne en Irlande an|)rès de son ancienne fenmie, la jalouse Emer, mais en compajrnie de sa nouvelle épouse. Les deux rivales se ren- (■(jiitrent, mais, au lieu d'en venir aux mains, elles font assaut lie générosité. Tout finit par s'arranger, lors(jue l'infidèle Mao iiaiman revient chercher Fand ; et Guculaiu, (|ui ne peut se consoler de son départ, boit un breuvage magique (pii lui donne l'fmbli (1).

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(1) I.(!s aventures de Clcl'lain ne sont connues que par des extraits juxta- posés do textes différents, que le compilateur n'a pas toujours réussi à accorder. On les trouve dans le Leaùar na h uidhri, p. 43-50, déjà cité. Cf. E. Wimu.sh, Irisr/ie texte, p. 20.'i-227. Cinnv, the Atlantis, H juillet 1858, p. 370-392,

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ii'i l'iir.MiKiii: l'AitTir.. i.i:s i'iikc.ihski us kk tiiiuiMii.

lu .'iiiti-c licrus tif la Ic^imkIi' irhiiidiiisc, Lr>M<j:,iirr, st-iiiMc avoir |ilii4i viilitiiticrs iiccuiniiioilr sa vie au\ cxi^M'iircs de <.i iiotivcllo situation. C/rlait lt> liU <l<' ('.n>iiitiiaii(l (lass, roi ilr ('.otiiMii^'lit. Il s r>tait (<iiil)ai'(|iH' |MMii' allrr sccuiirir aii-ilclà des iiicfs le l'ui <l<'s Sids, |''iarlia iiiar llctacli. Il nlitiiif en n'ciini- pensc la lillc de a' dcrnici' et se retira avec elle dans le Diiii iiia^' iMcll Mil plaine de la ritadelle de-^ Délires. An Ixint d'un an de séjiinr, il revint en C.onnan^dit : mais nmnne son hean-pére l'avait averti <pie, s'il mettait pied à terre, il m* pourrait pa-^ rentrer an Ma^: nndl. Léojiaire resta sonrd an\ snpplicjdioiis de son père, et répondit à ses oH'res d'al>di(pier en sa l'avem" « (|n'mi(' seule nuit chez les Sids valait mieux tpie tout le niyamne paternel ■>. l'Ji elFet. il alla rejoindre sa femme l'I ^((uverner le .\[aj;' rncll (1^

Le Ma;.' mell n'est pas la seule ré^:ion transatlantitpie dont il est parlé dans les |éf:endes irlandaises. Il est enraiement (piestinn d'autres eonfrees tout aussi merveilleuses, abordent les rianns, ei's liéros dos poèmes ossianiipies. dijnt le nom, [larail- il, a été usin"|ié par les modernes Kcnians. Les Fianns sont le«; ennemis des IJananns. Us ont réussi à les expulser d'Irlande, et les ont ol)lij:és à ehercher un refn^c dans les lointaim's réfîion^ au delà de rAtlanti(|ue, dont on connaissait vaj,nieinont l'evis- teuee. Los Danaruis. luen (praeclimatés diuis li-ur nouvelle patrie, n'ont pas ouMié |(> sol natal, et y font de temps à autre de pa-;saf;ères desrentes. Seulement, connue ils sont devemis magiciens, ils rectnuvnt à de miséraldes artifices pour assouvir leur venficnce. L'un d'entre eu\. Avaria, se iu('tamorphose en pirate, se cacite sous le nom de (liolla iJeacair et entre an service du chef <\o^ Fianns. |"''ionn Mac ('junhail. celui (pic Macpherson innniu'talisera hien des siècles plus tard sous le

Il janvier ISV.i, |i. '.I8-I_'i, :t6J-:tf'(!). Kkacvuis, Elysc fr(tits/itl<intii/io\ 2ÎMI-2!»;».

ili ItoiiKirr Atkinson. T/ir liool; oj' I.rin^ti't\ xùincHini' rnllrd thi' Bo"l: <>f Glendalowjh, Dublin, 1880, j.. iT.j-JIfi.

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CHAI'. Mil.

I.KS IIILAMt.MS \:\ AMKItlUl K WAM Cnl.uMII. 'J'».»

iiuiii il*' |-'iii;;;il. In jiiiir il l'iitraiin' ;'i sa siiitr (|iiiii/( Kiiitiiis cl les l'ail iiiuiilcr sur un cheval (lialHili(|uc, i|iii inarciic |ilus \ilc (|U(' le vent, «'t IraviTsc la ^M-andc uicr. Les llols s'nnvi'enl «levaiil eux, cl hientùf ils alxinlcnf dans la grande lenc de l'oiiesi, les allcndeiil les Danaiins. Kiunn s'élance ii leur |iiiursuil(', aide par deux vaillants ciiin|ia^'iions, JM'ratlalJi cl Knll-I^icaldiar. et, ,1 travers les leui|M''les cl les lenèl»res. s'enjiaji'c dans Incéan. Ils arrivent près d'une i'imIm' à pic dont le soiiiinet se perdait dans les images, l-'iuiin réussit à l'escalader <■! inunte sur un plateau iiiid)rap'', au milieu dinpiel coule uiu' l'raiclie l'nntaine uardée par un ;;éanl. Après mainte aventure extraonlinaire, à fnrce de lialtre la merci d'errer d'ile en ile. les hraves irlandais linissenl par relioiiNcr le Dananii Avaria, et delixrent leurs cumpatriot(>s [\).

Le lilsde j'^innn, Oisin, bien pins coniui snus le nom d'Ossian, est aussi le liérits d'une léjicnde dont le retentissement fut autre- ment coiisidéralile, car elle s'est perpéinée à travers les siècles, et la l'ontaine de .jouvence l'ait en (|uel(|U(' sorte partie, même à riieiu'e actuelle, des connaissances populaires. Vers le milien du xvii'' siècle, un harde (|ue l'on cntit être Michel (loniyn a tondu de vieilles traditions païennes et des léjiendes ciirétienn«'s et composé un poème, dont le |irinci|)al épisode est intitulé : '/'/>•- iiti-)i-of/ <«i Ifi lù»itai>i<' (Iv JoiiiH'Hce [i). Oisiii, aveujile, ciiargé d'années, mais ayant toujours conservé la croyance aux divinités de sa jeunesse et le culte idéal de la vertu et du courajic, est accueilli par Patrice, le saint national de l'Irlande. Kntre le représ(!ntant du druidisine et le cliampion du christianisme s'engagent de terrihies controverses. Le vieil Oisin ne peut

ill W. Jovi.K, (>l(l Crlfic lioinana'i, |i. 223-2'i;t, O'Cciiiiv, Loctuvfi: itii l/if iiitinu-rript itidto-ials, IMG-318.

i2) Ce pociiie a été cdiU'i par Uhy.v.n ()'L(m)*ky (Dublin, iHM) et réédité par la (ialtii: l'niaii, The lai/ of Oisin in tlip Youny. Cf. ItKAi vois, Eden Iransatlfmti'iue, p. 1(00-307. I''. IIatki.y M'ai»ki., Ossiiin and t/ie Ch/di; Fing<d in Ireland, Osmr in Irr/and <>c Ossian hixtovical and authontir, (ilasjrow, liS7."l.

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> l'UKMIKKI'; l'AKTIi:.

I.KS l'ItKCI IISKI IIS l»i; COl.U.MIl.

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«niitcMiir sa l'iinMir, mais !,> saint le taliiic t>ii ' oriaiil de lui raruiitcr des liisldircs du temps passé, et le Ik'tus ('cltiiiiii' ne résiste jamais an plaisir de se .nclln' cii srèiic, al»»rs (jii'il était Jeune et plein d'ardem-. (tisin laconte (pie, se Irunvaiit avec snn [>C>n> Kionii, il vit un junr apparaitri^ une jeune Mlle d'iiiK' mer- veilleuse heauté. |<]||e se UHinmait Niamli, (la lirillante) et arrivait de la jurande terre de l'ouest, le 'l'ir-ua-ii-o^. " ("/est la plus délirieuse ((Mitrée (pii existe, lui dit-elle, et la plus eélèltre au inonde ; les arhres y sont eliari^ésde fruils et de Heurs ; le miel et le vin y sont en al)ondaiir(>. lue l'ois lu ne craindrns ni la UKU't, ni la décrépilude, lu vivras dans les l'êtes, les jeux et l(S festins, tu entendras résonner mélodieusement les rordes de la harpe, lu auras de l'arj^cnt, de l'or, Iteaucoup de joyaux, cent épées, etc. u. Disin accepta sans trop se l'aire prier Tinvi- tution de Niamli, et, après avoir pris confié de son père l''ionn (!t, de son lils Os^ar, se rendit à Tir-na-n-o^. Niumli devint son épouse et lui diinna trois enl'anls ; mais on se lasse de tout, même du honlieur. Après ti-ois siècles d'une existence Itieii- lieureuse, Oisin voulut retourner en IrlamIe. Niamli consentit à son départ, mais en le prévenant (pie, s'il descendait de clieval, non seulement il ne reviendrait pas à Tir-na-n-oji, mais encore aurait S(tn A^e réel. Oisin accepta ces conditions et partit. A peine déhanpié en Irlande, son desapoinlement fut faraud. Personne ne h; reconnaissait. Tons les l^'ianns étaient morts. Des roiices et des chardons poussaient sur !'em|)lac,eiuent de son aiici(Mme résidence, Almhuin. A ce moment, plusieurs homm(!s l'appelèrent à leur aide, écrasés (pTils étaient |)a ne lourde dalle. Oisin, sans d(!scendi'e de son cheval, leur t(^iiUit la main, mais la san^tle du coursier se rompit, il l'ut jeté à Uwvo, et devint anssit(M vieux, caduc A aveu};le.

Tir-na-n-o;;, on, si l'on préfère, la fontaine de Jouv(înc(^ a, depuis Ossian, été céléhr(''e hieii des l't/is, et c'est toujours à rouest (pie l'ont placée les dilléreiits écrivains (pii ont raconté 4'ett(; lég(înde. t'.."tte fctictii passionna les Irlandais, oortés (pi'ils

<:IIAI'. Mil. l,KS IMUNliAIS KN AM^HIOUK AVANT COLOMIl. "217

«■'liiifiif V("'s le mci'vcillciix, cf cclii diins iiii(> (''|im(|ii(' (m'i ((iiiiiiicii- raiciil les (ItMiniivcrlcs diiiis l'iiiiiiiciisil('' ,;■ ■< mers incxploircs. Aussi Wu'u, iikHiic an xvi'" sirclc, ri'^spafiiiul Juan de; Solis, (|ui (loui'lanl aurait (Mrc rclain'' par rcvprricuc»' de ses conlciu- p(tra us, uc parlail-il pas à la r(Hi(pi(M<' de ccKc rniitaiuc lucrvcil- Icusc l'ou Intuvail à la l'ois la sauf*'- cl le raji'uuisscnicu! ; cf «•(nidiicii de f^rucralions, cucore apn'-s lui, out-ollcs cru à rcxistcMcc ^i^' celle source de vie?

Assiu'éuieiit loiiles ces lé;,M'nilcs païeiuies soûl étraiif.'es et

l'ahul

euses, niais on l<'s a trop <

<léd;

liL^iées. l'illes caclitMit «'il elVet

iiii fond de vérité. Si les persuimaj,'es soûl iiiveiilés, si leurs aveiifiires lie sont pas croyaldes, au moins ce (pii se dé^a},^' de ces histoires c'est la persistance de la croyance à une grande terre occidentale, au delà de l'Océan, et à la l'réfpience des relations qui existaient entre les Irlandais et les lialtitants de ce iiioiid(> transatlantiipie. i^es lé^'endes chrétiennes cpi'ii nous reste inaintenant à exniniiier sont é^^^lelllen^ remplies d'évé- iienieiifs extraordinaires, et les héros dont elles céléhrent les exploits sont sans (iuiit(> imaginaires, coinine pouvaient l'être C.oiidla le Iteaii, rioiin ou ( Hsin ; mais elles coiilirment la réalité des voyages entrepris par les Irlandais dans la direction de l'ouest, et à ce titre elles niériteut de notre part un exaiiKui attentif.

Saint Hrandan (1) est le principal héros de la léf^endc

(Il Kiir Saint IIuandan un peut coiisiiIIim' ihitis la cDlIccliuii des llolluinlistus (édition l'altiié, l. lit, p. liriîl-dOIl) les Aria S(i)if/iiri/)ii tiuiii. - .Iiiiinai,, /a Lé(ji'iulc ttitine. de S. Urundtiiiif'n, avec une traduction iiii';diti! en proso et en poé.sies lotnanes, l'aris, 1SU6. TnoMAs Wiiicinr, Saint Hnnulan, a me- (liiii'iuil If'i/riitl ()/' l/ii' sf'ti, in )'ni/li>)/i irrsr an'/ /«ose .l'eicy Socicîly, vol. XlVl. Londres, 1811. Mev, W. T. IU:ks, Vi/n Sonrti Itrrmiiini, texte latin, p. "J.'il-2'i'>, et traduction ati;çlai»e, p. .M.'^rOil <le /./iv.s' o/' t/ir Caui/irn- Hritis/i Sninls of tlif /i/'flt tind inancdin/r ^urn'diuii cimturirs, IH.'IS. - Kahi, S(;iiiioi:ni;ii, Snurt llvnnddu, )'i>i Intinniarhi-r nnil il ci dciitsr/ie tcxlc, Krlaniçeii, t871. - IIkmma.n yrc.iMKii, Notice sur cetto It'^tçende et texte anglo- uoiinan<lilaus les Hoin/inisc/ii- Htudien d'Kd. Uoelitner, Stiasiionrg, 1S71-1875, p. 5;):t:i«7. - I''. MdiiA.N, Al tu Sinifti lirmdani, Ituhlin, 1872. Francisouk

^48 l'HEMIÈIll': l'AHTlK. LKS l'HÉCUKSElHS 1»K COLOMIt.

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chrétiemu'. Le récit de ses aventures ii été répandu au nioyeii- i\y;o non seulement en Irlande, mais dans rEuru[ie entière, et même il eontrihua à tourner ratten'inu |iul)li(|ue vers ces mers occidentales, déjà certains savants avaient placé le paradis terrestre. Les merveilleuses traversées de cet Ulysse chrétien, qui [tendant plusieurs années erre à travers rAtlantique et découvre, non sans danger, des îles et des continents, les prodiges, les invraisemblances, les absurdités même de ses aventures ont eliarmé bien des générations. Raoul (llaber nous rapporte qu'au ti-mps du roi Robert on ajoutait une créance absolue au.v fables delà vie de saint Rrandan (1). Irlandais, (îallois, Normands, Anglais, Français, Allemands et Castillans les ont racontées. Klles ont été traduites dans toutes les langues. Peut-être ont- elles pénétré jusqu'en Orient. En France elles faisaient partie du domaine de la poésie populaire, car nous lisons dans le Itoman du lic.nurd :

Je fot savoir Ion lai Breton

Et de Merlin et de Koiicon,

Del roi Artur et de Tristan,

Del Chievrefol, de saint lirandan (2\

11 est donc indispensable de connaître une légende ipii everça sur les contemporains une si grande iuliaence et déte/mina quelques-uns d'entre eux à suivre l'exemple du saint.

Brandan était Irlandais. On ignore le lieu de sa naissance.

Michel, les Voyages merveilleux de saint Brandan ù la recherche (hi pa- radis terrestre, Paris, 187G. Paul Gaffarel, les Voyages de saint Itranilun et des Papœ dans l'Atlantique au moyen-Age (Société de {géographie de Uo- chefort), 1881.

(1) lUouL Glaueh, Historiarum libri quinque, II, 2oédit. Proust, p. 27-28.

(2) Rien qu'à notre Bibliothèque nationale il existe onze manuscrits de cette légende ; Strasbourg en i)ossédait jadis un. On signale encore celui de Sainl-Gall, et plusieurs en Angleterre. L'abbé de la Rue a donné une tra- duction française dons ses Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les trouvères, t. II, p. 68-87, Nous nous sommes constamment servi de la traduction latine de Jubinat et de l'édition en langue romane de Francisque Michel.

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ClIAP. VIII. I.KS IULA.MIAIS K.N AMICHIOIK AVANT COI.UMIt. ^V.>

Les IJollandistcs la fixent à l'année i(»(). Il lut coinhiit. dès sa tendre enraiicc, à l'aliliaye de (ilnainscliedniil, près du iiKUit Liiaehra. Ce in<»nastère était dirifi:é par une sainte reimiie. Ita. (pii prit l'entant en frraiule aU'eetiun et lui lit donner une excel- lente instructidii (l). Dans ce milieu mvsficpie, entouré de feininos qui exaltaient jus(ju"à la passion un esprit déjà tout [lorté à la ferveur relijrieuse, liraudan devint coiiniie reniant du miracle. Il jouissait du d(jn de prophétie; un venait de fort loin consulter les oracles de sa sajiesse enrantine. Jeune lioiinne, il entra dans les ordres sacrés, et, coumie il était de grande l'aniille, devint promptement alilié. Les lioimeurs ecclésias- ti(|ues nall'aildireiit pas son ardeur. Il parcom-ut l'Irlande et \ fonda de nombreux monastères. Le j)lus célèlire d'entre eux fut celui de Cluainsfert dans le (lonnaught, dont il se réserva la direction suprême. Trois mille moines lui obéissaient. I^es plus célèbres d'entre eux furent saint i'^ircy, le patron de Péntnne, A s;iint Macluvius ou Macbutus, dont le nom est aujourdimi porté par la lière cité de Saint-Malo. (pii lu cli(»isit poui- son médiateur céleste. La ré[)utation de sainteté de iSrandan était si bien établie cpie les |irétres romains venaient le consulter et lui SOU' ttaient des cas de conscience. |{ient«'>t il ne se contenta |iius d'administrer les affaires spirituelles de l'Irlande : son imaf^inatiou le transporta dans des m»»ndes nouveaux, au-delà de rUcéaii, (tù l'avaiPut précédé les héros païens (londia, Léofïaire, Fiann et Oisin. Hientôt il résolut d'aller <on(|uérir ces iles mystérieuses à la foi du (Ihrist, et dis|)osa tout pour une longue expédition.

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(I) On nous snura ^ré d'avoir n!|irotiiiit dans sa iiaïvtîté le iiassajçt! suivaiii des IJullaiidistcs : >> Saiicta Ita cuiu ^;audiu iiia^iio acce[iit saiictuiu iiilaiileiii, et iiuti'ivit euin (|uin(|uc ariiiis, diligebat<iue valde. Et rideiis gloriofa virgo lia cuMi jucundo IVeiiuciiter aiiiiiio inteiiogabat eiim dicens : » () sanctc iiilaiis, <|uid IcctiHcat te ? •> Paiviilus dicebat piierili loquela : « Quia le video inilii loqui et alias tibi sini..v.s sanclas vir^iiies ; istin seinper me lœtilicaut tendîtes nie in manilius suis ». Uieebat ei sancta : « Sit de te, l'ili mi, ^an- diuiii in C(olum ».

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^;)(> l'HKMIKRK l'AHTIR.

LRS l'HKC.rRSEURS DK COLOMIl.

nraiidan uvait été déjà [irécédé dans cette direction |)ar un moine, Mernoc, et par leur maître commun, Harintus. Mernoc le premier avait (|uitté son monastère et s'était établi dans une île de rAtlanti(|ue, prés du mont de la Pierre, Il y vivait avec <iuel(iues relij;ieux de fruits, de racines et et de léfrumcs, ne sortait de sa cellule que pour assister aux offices. Pourtant, de temps à autre, il faisait des absences de (juel(|ues semaines, et, ([uand il revenait, ses liahits étaient impréfrnés d'une odeur délicieuse qui persistait au moins pendant (juarante jours (1), « Ne voyez-vous pas, disait-il à ses frères étonnés, que je re- viens du Paradis ? » Ou remanjuera la persistance de cette odeur, siu'tout quaiul on se rappellera que les anciens voyageurs ont été unanimes à mentioiuuT l'air embaumé de l'Amérique tropicale. « Voici venir de la terre, écrivait l'un d'entre eux, le naïf Lescarbot (12), des odeurs en suavité non pareilles, ap- p(»rtées d'un v«'nt cliaud si abondamment (|ue tout l'Orient n'en saurait produire davantage. Nous tendions nos mains comme pour les ])rendre, tant elles étaient palpables ». Mernoc n'avait pas oublié son île natale. 11 y revenait de temps à autre. Dans un de ses voyages, il persuada à son maître lîarintus de l'ac- compagner, et le lit monter dans une barque qu'envelop|)èrent bientôt des brouillards si épais (|ue les voyageurs ne pouvaient se distinguer de la poupe à la proue. Mais le soleil dissipa les

(1) JuBlNAL, ouv. cité : 11 Nonne cognoscitis iii odorc vestimeiitoruni inco- runi quoil in Paradiso I)ei fuinius ? » Tune rcsponderunt fratres dicenles : Il Abba, novinuis quia fuistis in Par.idiso Dei, nain sippe per fiaganliani vestiinenloruni abbatis iiostri probavimus ipiod penc usquc ad quadraginta <lics nares nostra^ tenebanlur odore ».

(2) Lescarbot, Histoire de la Nouvelle France, édition Tross, Paris 1866, liv. IV, § 12, p. 51."). Cf. Premier voyage de Colomb, lundi 8 octobre | 11 L'air était doux comme en Andalousie ; c'était un i)laisir de respirer cet air (jui vraiment était embaumé. ■> Verrazano avait également remarqué ces brises parfumées qui annonçaient le continent américain. Bari.ow, auteur d'une description de la Carolin , écrira encore en 1584 : « VV'o snielt so sweet and so strong a smell, as if we liad becn in tlie midst of sonie délicate garden, abounding witli ail Kinds of odoriferous flowers ».

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V.

CIIAI'. Vlll. LKS IHLANDAIS K.N AMKHigiK AVANT (-.((LoMll. ^ol

nuages, ot liicntùt ils upcnurent vcm's l'ouest une graiule terre ;'i liKjuelle ils abordèrent. Ajirès (juinze jours de niarrlie à tra- vers des prairies en fleurs et des arbres chargés de fruits ils n'étaient encore arrivés <(u'au niilieii de lile (1), et ils s'apprê- taient à traverser un grand fleuve qui coulait de l'ouest à l'est, lorsqu'iui ange leur apparut et leur défendit d'aller j)lus loin, car au-delà du fleuve commençait le paradis. Ikrnoc etBarintus (tl)éirent et roiournèrent en arrière, liarintus revint même en Irlande, et ce sont ses récits enflammés qui décidèrent Brandau à se lancer sur ses traces.

Hrandan fit part de ses intentions à une centaine de nmines, qui s'embarquèrent avec lui. Ce premier voyage fut malheu- reux (:2). La tempête, la famine et surtout l'inexpérience de l'é(pupage faillirent à plusieurs reprises entraîner la perte totale de l'expédition. Il fallut rentrer en Irlande sans avoir trouvé l'île Mernoc s'était établi avec ses compagnons.

(îet insuccès, loin d'anéantir les espériuices de lirandan, les surexcita. 11 s'occupa tout aussitôt d'un nouveau voyage. Cette fois il ne prit avec lui que (piatorze moines (11), parmi lesquels son disciple favori, Machut ou Maclou, lireton du pays de dalles, fils du gouverneur de Gimicastum (Winchester). Les jtieux aventuriers s'embarquent pleins d'espoir sur une barque légère dont la membrure était couverte de peaux de bœuf cousues ensembles. Ils emportaient des vivres pour quaraute jours. Au moment de partir, trois fières se glissent au milieu d'eux malgré les remontrances de Brandau et ses tristes pres-

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(1) JriilNAL, 2-3. Quum sletisset navis ad terrain, ilesccndimus nos et i'œpimus nos circumire et ambularc illani insulani pcr quindecim dics et non pntuiinus fineni illiiis invenirc... ))orn) quinto decirno die invenimus lluvium \ergeiiteui ad orieiilalem plagani ab occasii.

(2) Ce premier voyage n'est raconté que i)ar les Bollandistcs. « Quuin navigio lassati, quani qu.erebant insulam invenire nequirent, peragratis Orca- dibus, ceterisqne aquilonensibus insulis, ad patriani redeunt n.

(3) Le nombre des compagnons de Brandan n'est pas le même dans les diverses relations.

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sciitiiiR'iits. l'ciidiiiit (|iiin/(' Jours If xciit soul'lla de lest, |Hiis lomhii suhitciiiciit. Lfs iimiiics roiimicnciiciil h «c ilci ouiM^cr, car ils vunuaiciil ;"i la rame, sanssiivoir ils allaient, et «'laiciU à l)(»ut (le forces cl tic vivres; mais ItiMiitlaii les rassura. Au Ixiut (l'iiii uiois ils arrivent à une ;:ran<lc il(>, mais ne tniu\eut (le port (le (léltar(|ueiueiit (|u aitrès avoir loiifié les (ôtes iiendaiit fntis jours. Ils vout de à uu cli;iteaii di'sert. <jù ils trouvent lun' taille servie et. desmeuldes spleudides 'r(>ut<' par le.leiuou, un des moines d('>ro|)e un lianap A'ov, mais il est puni de sa faute par la mort. l"ip<Hi\antes par cet .iccident. les compa- ^uoiis de lirandan reprennent la mer et arrivent dans ime autre île |)aissaient des l>rel»is toutes Idanclies et jzrosses connue des liœufs. Cette fois un liomme leur apporte à mauficr et se fait JM'nir nar eux (luand ils repartent. .Vnrès (iuel(|ues jours de

piel(pies j(

navigation, ils se trouvent en vue dun Ilot is(d('' (|ui leiu' parait (•(tnmiode pour prendre \\n peu de re|»os. Ils y tclèltrent les oflices de la nuit et du matin, et appn'tent leui' icpas. mais à peine le feu est-il allnnu' (|ne l'île se met en mouvement.

Itrundiin leur disl : < Krèrcs, savez Purqiieï poiir oiil. avez ? N'est pas lenc, aiuz csl, lieste U nus feïnies notre teste ; l*eissuns de mer sur les greimns. .Ne inerveiili's de ço, siMf^'unrs, Pur 10 vus volt Deus ci mener Qui il voieit plus ascuer : Ses merv(;illcs cuin plus V(,'rrez, Vai lui plus niult niielz cr(;n-ez(l).

il) Francisvle Michel, ouv. cit»';, vers 170-47!). La version latine (jilitéo par .lultiiial ost .si naïve qu'on nou.s saina un; ilii l'avoir re[ii'odiiite ici « Ex|»orlavcrunt cirncs crudas Uc navo ut illas (loincdcrent solo, et. ,ii8i;es i)uus sccuni tulerant de alia iusula, posuuruut (jue caccabuui super ij^tiein ; nuuin autein niinislrarent ligna igni, et l'ervere cirpissel caccabus, <(Bpit illa insula se niovere sicut uiida. Fralres vcro cucuricruul ad naveiu, implorantes patrociniuni patris sni : patcr auteni singulos illos pcr iiiauus iiitus in navein

illAI', VIII. l,i:s !HI.\M».\I> I:n A.\ir;ilinri-: A\A.\T lUH.n.Mll. "i.'ill

dette |iii''te||<lMe Meét.iit en elVef iill |M»is><tn. [M'ilt-r'fre iiiie li.ileiiie lli. (|ii('. r|,iii> leiif ii.iïve iuiiunmee. les iiioiiii's avaient prise |iMUf ini vi>c solitaire. .\u>si liien [larcil fait devait se ii'iii'ineler en {IVM). si tontel'His nu ajinifet'ni ,t la lettre adrcsséi^ par l'irii- Kalkendoi-j'. évr'*|iie de Nidros, an pape Léon .\. \du- laiit ii'lrhrer la messe antri' jtarf (|iie ^iir nn liatean. ce prélat aurait également di'hanpK' sur un îlot, cpii salVaissa dès (pt'il ent Uni le saint sarrijice {"Ii.

(jnelipies jiinrs après ce curieux incident de leur voyaf.'c. les moines irlandais aliordèi-ent une ile verdovaiite arrosée par de Irais riiisseanx. IjCs arlm-s et les rochers étaient couverts d'oiseaux ijui venaient familièrement se jttM'clier sur ré[)aulc des Moineaux déitanpiés Saint Itrandan, coninte yUx^i tard saint l'rani'ois il'.Vssise avec les hirondelles, enfra^'ea la conversation avec eux. Ils lui apprirent ipie d'aiifres ils étaient devenus oiseaux, et lui prédirent l'avenir. Le saint ahhé entonne le 7'/' hfiiiii, les oiseaux raccompagnent, et le- frères uoùtent un délicieux repos de cin(|uante jours rians cette ile(|u'ils iionuiient le Paradis des oiseaux, llenianpions à ce pro[)os (pie les voxa- jiciiis ipii. à une épo(pie relativement moderne, retrouvèrent les .\coies. s'étonnèrent An j:rand nondtre et de la familiarité des oiseaux de cet archipel ; aussi hien le nom même des Acores \ieiit du portufjais acor qui siu'nille milan. l>ntor. I.,a carte ca- talane de (laliriid de N'alseipia, composée en 1 iîJK, et sur Lupielle (lf.MU-e l'ai-chipel. mentionne en cet endroit la Vlha de Osels. Krnctnnso {}\), dans >a Chronique, s'extasie sur les

liaxit. rcliilisi|ui' oiimilms dcliilis in ii!snl,i iil.i, iiavcm solvcnmt ut abirenl. l'iHTii cadnii iiisiila se inovit iii Occanniii - . Cf. ItAOi i. (ii.AHKii, II, 2.

(1 I.P Beatiaii'c d'Anmur par Uk.iiauu l'OlJKNiVAi., manuscril du siècle ijiii faisait jailis partit- de la citiliTlioii l)iiJot, représente le vaisseau de lliaiidan d'ahoiii aiirlé près de la lialeine, puis soulevé par le monstre iiiiiriii. (À's deux miniatures, tiuenient exécutées, ont été rv'|co(luites pai' Lacuoix, les

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(l(''li(i('us('s iiK'Iodics (ju'oii entendait toujours dans les hois do San \1ij;u('l. Il raconte nuMiie, avec une naïveté cliarniante (|(n ra|)|ielle sinf^nlièrenient la légende irlandaise, (|u'il assista à un concert dont les chanteurs étaient des pinsons, des serins, des merles et des tourterelles. Il se pourrait donc cpie le Paradis des oiseaux correspondit à l'une des Acores.

Les compagnons de lirandan s'arracliènnit à ce lieu de {\ô- lices et reprirent leurs voyages. Leur prochaine station devait être l'ile d'Alhaeus, cette ile fameuse l'un des premiers apôtres de rirland(>, Alhaeus ,'1) ou Ailldie, gêné |>ar les hon- neurs (pi'il l'ecevait, avait résolu de se retiriM- pour vivre en ermite. Ils y arrivèrent après trois mois de navigation, mais en lirent le tour pendant ([uarante jours sans trouver un s(;ul port. A la lin, ils s'engagèrent dans un étroit goulet qui ne pouvait contenir «pi'un navire. A peine déhanpiés, ils furent reçus par un vieillard silencieux (|ui les conduisit à un monastère vingt-(piatre moines observaient depuis longtemps la règle du silence le |>lus ahsolu. Ils n'éprouvaient aucun hesoin corporel ; ils n'avaient même j»as lu peine d'allumer les lampes de l'autel, (pii s'illuminaient soudainement. liranilan aurait bien \ouln prolonger s((n séjour dans ce |)ays merveilleux, mais le temps de la Pà(pio api)rochait, et les frères avaient promis de la célé- brer dans le Paradis des oiseaux.

Pendant cinq ans encore durent ces courses étranges. Glnupie année, à la même é|)0(pie, une force inconnue les ramène iui Paradis des oiseaux, mais à travers les aventures les plus extra- ordinaires. Tantôt ils rencontrent une mer dormante ils ne voguent (pi'avec peine et souffrent du froid; sans doute la mer Hétée, c'est-à-dire coagulée, dont il est tant parlé dans les romans de chevalerie {"1) :

(1) John Coi.dANUs, Arta snjitortim vetcrh et majorts Scotix vel Hihev- iii.T, Louvaiii, t645, p. 241.

(2) Roman do la C/iarreffr, V. 3U0'J. Chamo7i (rAntioche, VII, 115.— Auherii Iv Doiirf/uifjnon. liornan du Renavt, t. III, p. 309. Roman du

CHAI'. Mil. LKS IULAMIAIS KN AMÉRIQUE AVANT COuTSl». :2.'».'>

Ddi'iuiuilt! iiitrr mit c iimilf (]lii il siylcr liir ml lorlc. Puis qu'iiiil (intit. III <|iiinzfincs, Freidiii' Inr ciiii piu' les vciiuîs (1).

'raiitnt l'oiseau (iripliti i^), (|iii, de s.i simtc; puissaiiU" fiilt'vi- |( s vaisseaux et les laisse retomher sur les rncliers. i>ù ils se brisent, s'élunee (•(tiitre eu\ et va les saisir, i(irs(|u'il est tué par iiii autre <jiseau plus redoutable. .Aujourd'hui un éiiornie poisson s'élance ronire eux |iour les dévorer (3), lorscpi'il est atta(pié et tué par un monstre marin plus ^'if;antes(|ue eneore. i/'s moines se repaissent des débris de ce [)oisson et S(; ravi- taillent pour trois mois. Demain ils arrivent près d'une ile ils ne peuvent descendre, mais dont la pieuse population chante (les caiifi(pies en leur honnem*. Voici (pi'ils débarquent près dune ile couverte de forêts, poussent des vignes chargées de grappes. Il s'en dégage des effluves parfumées, coiume d'une cbaiidire pleiiu' de pommes (i). (le trait (pie n(jus avons d(''jà signalé dans l'histoire de Mernoc seuible indi(juer (pie les pieiiv voyageurs étaient alors bjut près de rAuiériijue tropicale. Plus loin, ils traversent un(> uier si transparente i|u'ils distiuguent les énormes poissons qui s'y jouent '."J,. Hieutôt la tempête les pousse vers un endroit horrible, ([ui n'est autre que la bouche d(^ l'enfer (0). Un volcan se dresse devant eux, peut-être riléda ou le Heerenherg de Jean Mayen, qui fait au loin bouil- lonner la mer, et remplit l'atmosphère de vapeurs sulfureuses. iJautres iles retentissent sous le marteau des (îycbqH's (7).

comte (If l'oiti.er!<, V. 1203. Ficnibrns. V. :27i7. Bdutluin dr Sr/ioiirc^ V, 11.-)!), utc.

(1) FiuNc.isijuK MiciiKi,, V. 8%-8'J'J.

(2) II... 1002-1031.

(3) II».. V. o;;i-iooi.

(I) Siciil lulor duinus plcnoe iiornis piiiiicis.

(5) Iiiviiiienint mare tam claniiii ut videie possciit ea (|iiio subtns ert.nt. ^6) F. .Mir.iiKi., V. 1098-1212. , »,, ,

(7; iit., V. 1212-1439. .. ';.-

!2.*»('> l'ril;MIKHK l'AHTIK. -I.KS l'HKri'HSKniS IH' tlol.UMII.

.Iiidiis Isciifiolt' leur iippaniit cf leur r.iniiitc ses soiiUViinrcs. Des (|(''m(iiis les suiiiiK'tfcnt i'i mille (•[H'cuvcs, iiiiiis ils les snriiiMiitcnt cf. .iinvs avoir traversé «ré|(ais hi'uiiillanis, Unissent |)iii' trouver une terre inconinie. (|iii n'est antre (|iie le l'ar.idis terrestre (I).

(l'est un immense rontineni on se remontrent les protlnctions les plus variées. I.'iitmosplière \ est ItrilliUite, la lumière du soleil éternelle -1).

De jifiils Itois (• (le rivere Veieiil Ifiie millt plenere. (irandiiis esl la praierie, Uni liiz (lis est l)e;il tlurie. Li tliii- siief niiiit i tiaireni, Ciini ù li piii lepaironl. D'arbres, tl« fleurs deliciiis. . . . Siuiz lin i liiisl li rleis soleil. Ne vouz ii'orez n'i mot ini peil ;

N'i vien

I nul

nue ilel air.

(Jui (li'l soleil lol;.'et le elair. . .

I^'mlant ipiai-ante Jours les moines essayent de f"air<' le toiii' de cette terre, «piils prennent pour um> île [li], mais ils arrivent à l'emboiichurc d'un lleuve iimnensc cpii leur |»n»uve, connue plus U^v^\ rOn''n<»(|iie à (lolomh. ipie l'IIo est un continent (i). tl'est alors ([ue leur apparaît un anjre, (|ui leur ordonne de retourner en Irlande, non sans av(»ir emporté dos fruits et des pierres de ce Paradis, Cuture résidence dos saints, (juand le monde entier sera converti. Les moines obéissent, et, après

I) 1<\ MiciiKi., V. 1014-11(12.

(21 11)., V. n:t2.

l'.h Jvni.N.M., T)!,'). Ciicntii(!iiM((!s iliain Ifirani. (|iiaiii(liu fiicruiit in illa, iinlla nox illis ailfiiil, sed lux liicebat siciit sol i cet iii tciiiporc siio, t't ita per qiia(lraj;iiita (lies liistravcrunt terrain illam, sed fiiieni ilHus miiiimo iiiviv iiirft ])oteraiit.

(1) !i>., t'dCi. yuailam vcro die inveiicruiU inioddain (sic) magnum lluvimii, i|ii(iil noiniai|iia!ii potueniiit traiisvadeie, verjtentom ad mcdiiuii insul.T.

1î.

SAINT BRANIUN ET LA BALEINE

D après le Rcsliairc d'amour de Richard Fouriiival (manuscrit de la colloction Didol).

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r.llAI'. VIII, LES IRLANDAIS EN AMÉRIOl'Ii: AVANT COLOMB. 257

avoir une dcrniùre fois roléhrô la PAquo au Paradis des oiseaux, ils n'gafrnont leur patrie. A peine de retour Brandan mourait, à r<\}j:e de quatre-vingt-dix-huit ans et dans toute la gloire de la sainteté.

Quant à son disciple favori, Machutus, il ne se tint pas pour battu, et fit une troisième tentative, mai:, la tempi^te jeta son bateau sur les côtes d'Armorique, n.)n loind'Alet. Bien accueilli par les habitants de cette ville, il y fixa sa résidence, devint son évé(jue, et lui donna son nom, qu'elle a depuis {jardé, Saint- Malo (1).

Telle est la légende : elle n'est pas présentée partout de la môme façon, mais les différences n'ont trait qu'à des aventures autre- ment racontées, et d'ailleurs elles n'offrent qu'une importance secondaire. Ce qui nous surprendrait davantage, c'est la sin- gulière analogie de cette légende avec les traditions orientales. Il serait même fort curieux de savoir si cette histoire passa d'Irlande en Orient, ou si les deux peuples la trouvèrent ensemble (2). Ainsi le géographe Edrisi (3), tout comme l'auteur anonyme des Voi/ngcs merveilleux, nomme l'île des Brebis et et le Paradis des oiseaux. Dans les Mille et lote Nuits, le fameux Sindbad, lors d'un de ses nombreux voyages, aborde à l'île El Thojono, dont les oiseaux lui donnent de merveilleux con- certs (4). L'oiseau Rock qui l'enlève ressemble étrangement au (iripli de Brandan, et l'aventure de la baleine paraît traduite de l'i .'égende chrétienne. « Nous découvrîmes une île charmante dont le sol semblait couvert d'im tapis de verdure odoriférante. Le capitaine ayant fait carguer les voiles, tous les marchands

(1) JoAXNES A Bosco, Vttn Snurti ^facluv^i ex mm/traïux floriacnmlms vetustissimis- (Floriaccnsis vêtus bibliothcca Beiicdicliiia, Lyon, 1605). D'AciiKBY et Mabillon, Vita Saticti Mnclovii ex msc. cod. vet d'Hôrouval (Annales sanctorum ordinis Sancti Benedicti, 1668''. Siokbeut m: Gembi.olx, Vita Sancti Macfovici xive Maclmtii (Patrologic de .Mignc, t. 160, 18r4K

(2) Reinaud, Introduction à la géoqrapliie d'Alioiilfèda.

(3) Edhisi, tiad. Jaubert, t. 1, p. 198-200.

(4) Mille et une Nuits, trad. Galland.

T. I. 17

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U:S l'KKCURSEURS DE COLOMH.

«lescLMulirent du Ixitimont et se mirent à maiifrer, à hoire, ;i se reposer. Tout à cou[) i'ile éprouve un tremblement et est agitée. Un crieur proclame : Voyageurs ! prenez garde à vous ! vite au vaisseau! Sinon vous ùtes tous perdus! l'île sur Lupielle vous vous trouvez est un |ioisson. Tout le moude gagna le '>i\timent : pour moi je restai sur I'ile, (|ui re[)longea prescjue aussitôt ».

La légende de Hrandan a donc pénétré jusqu'en Orient; niais si cette odyssée monacale s'est |»artout répandue au moyen-Age, c'est qu'elle avait un fond de vérité. Les aventures d'Ulysse auraient-elles charmé lesdrecsetnous cliarmeraient-elles encore si ce Jiéros de la ruse et de la patience n'avait pas existé? 11 est vrai que les aventures du saint njoine ne sont pas toujours vraisemblables ; mais qui voudrait ne retenir des légendes (jue ce (ju'elles ont de possible retrancherait aussi de VOdi/nsrc et de toutes les autres épo|»ées les merveilles et les fables qui les ornent. Ainsi que Ta écrit un savait gaéliste, dont le témoignage fait autorité, W. F. Sbeene (1), u c'est im roman pieux mais (|ui repose sur un Tondement historique. Des récits fabuleux n'au- raient pas été intercalés dans î i biographie de saint llraudan, s'il n'y avait |>as eu dans les événements de sa vie une entreprise pour l'extensictn du christianisme dans (luebjues îles lointaines, et il ne manque pas d'indices pour montrer qu'il en fut ainsi ». IjCS courses vraies ou fausses des moines prouvent du moins (|u'ils n'hésitaient pas à les entreprendre. D'ailleurs, les lies qu'ils |)arcourent, le grand continent sur lequel ils débarquent, les dangers de la traversée, tous ces épisodes cachent peut-être, sous le voile de la fiction, de réelles découvertes. C/est à nous de dégager le fait historique des ornements qui le dénaturent. Ainsi nous remarquerons que Hrandan et ses compagnons se dirigent toujours de préférence vers l'ouest, c'est-A-dire dans la direction de l'Amérique, et cpi'iis errent au milieu d'archipels

(1) W. S. SiiKK.NE, Ce/tic Scotliurl, ri hMwtj of ancinit Mhan, 1877, t. II. |). 76.

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dans h'siiucls on rcroiiiiiiitrait sans lro|i de peine les Acnres, les Canaries, Madùre, l'Islande nu^nie, on tel autre groujie des Iles et des îl«ifs jetés entre les deux continents. Sans exiger dans la détenninatioii des terres <'ntrevues par les moines irlandais une précision impossible à obtenir, il est pourtant vraisemblable (pie le Paradis «les oiseaux cornîspond à I une des Açores. Ténérille dans les Canaries est un ancien \olcan <|ui sans doute était en activité, lorscpie les compagnons de J^ri.ndan contem- plèrent avec, elFroi les tourbillons de tlaiumes (pji couronnaient sa cime et les fleuves de lave (pii couraient sur ses flancs. D'ailleurs, les éruptions de l'ilécla, celles de Heeremberfï, durent en(;ore, et rien n'empéclie de supposer (pie Hrandan s'est aventuré juscpi'à c(îs liantes latitudes. Quant au Paradis terrestre, si éloi^rné Ai' l'Irlande, arrosé par de si grands fleuves, et dont les moines ne parviennent [«as à faire le totu", ne serait-ce pas (piel(|ue partie du continent américain? Il ne faudrait certes point prendre à la lettre les indications î;éojrraplii(|ues des Wti/afjcs iiti'vrcilli'ii.r, mais il semble pourtant bien constaté (|ue les moines naviguèrent à l'ouest, (|u'ils trouvèrent des îles et abordèrent un continent. De plus, à plusieurs reprises, ils rencontrèrent dans leurs courses errantes des coreligionnaires et même des oontpa'riotes, ce (jui indi«pierait des voyages antérieurs.

Aussi bien Hrandan, Mernoc, Macluitus, ne sont pas les seuls Irlandais (jui au moyen Age se sont aventurés sur l'Océan (1), et ilontlbistoire, singulièrement défigurée par la légende, a conservé le souvenir. Un contemporain de Hrandan, Conal Deagli, riclie propriétaire du Connaught, avait trois fils qui tous les trois avaient embrassé la carrière périlleuse mais lucrative de pirate. ('.at(''cliisés par saint Coman, ils renoncèrent à leur (coupable industrie, et, pour mieux mar(pier leurs sentiments de pénitence,

(Il UfiBEHT Atkinson, T/ic Book of Lehislrr, Diililiii, 1880, p. -W. Ci'URV, Lectures, etc., p. 289-291, 587-593.

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!2l»(> PHEMIKKK l'ARTIK. LKS l'UKCIRSKI l«S l)K COLOMB.

irsolurciit (le parcourir on |H'l«'riiis les îlos «le l'Atl!inti(|U('. Ils lirt'iit don.' constrnin' un furra<li, ou bateau fîarni «le peaux, pt»ur neuf personnes, et s'eniharquèrenf, en l'an .'iiO, «lans la haie île (iallway. Pendant quarante jours et (juarante nuits ils errèrent à l'aventure sur r()c«''an, et ahordèrent dans une île très peuplée, et dont tous les lialtitants seudilaient accablés de douleur et v«'rsaient des larmes abondantes. Dans une ile voisine les insulaires étaient soumis à d'all'n'uses souH'rancH's en expiatittii de leurs péchés. Après de longues courses, les Jils de (lonal Deaffh iiniient par descendre en Kspapne, ils furent accueillis par mi saint évéque nommé Justin. (lelui-ci transmit le récit de leurs aventures à saint Coman. ([ui les raconta à saint Mocholmojr, et c'est ce dernier qui s'emi|>ara de la léjjende pour en fain; un poème.

Un autre Irlandais, Maelduin ,1;, (ils posthume d'Allil Corar Ago, que des pirater avaient assassiné, jure de venj^erson j»ère. H construit un grand currach, couvert d'une triple cuirasse de peaux de Ixeuf, et portant soixante hommes d'équipage, dévoués à sa fortune. Il s'end)arque avec eux, et, toujours dans la direction de l'ouest, part à la recherche des assassins. Les Irlandais arrivent à deux ilôts (»ù ils entendent des pirates se vanter de l'assassinat d".\llil Corar Ago, mais, au moment ils s'apprétenf à les punir, une tenqiéte se déclare. Maelduin laisse amener les voiles et part à la dérive. Cihemin faisant, ils découvrent plusieurs îles. Dans l'une sont des fourmis aussi grosses <|ue des poulains ; dans l'autre habitent des géants «pii prennent pour coursiers la crête des vagues. Ici s'élève un palais splendide sont dressées des tables richement servies; s'étale un ponnnier qui ne porte que sept pouunes, irais chacune de ces pommes suflit pour nourrir et abreuver les voyageurs pendant «piarante jours. Sur

(1) Leahhar na h Vidhri (ouvr. cité), p. '2*2-20. Cf. J(>vi:e, Old a-ltir Romança, 112-176. Aiihois de Juiiainvii.i.k, Cntalof/iie <le ht littérature épviue tk l'Irlande, 1883, |.. LM-lsa.

CIIAP. Vlli. LES IHLA.NDAIS EN AMKKIQIE AVANT (..(LOMB. ;2(il

iiiic autiH.' lie poussent des oniiigi-rs «'inliauiiH's, Plus loin, on admire un palais taillé dans un bloc calcaire et dont toutes les ouvertures, à l'exception d'une unique p(»rte, donnent sur une cour intérieure orné»? de colonnes de niarhre et garnie de tables toutes servies. Voici l'Ile des Pleurs et des Rires. Voiln l'île des moutons blancs et <les moutims noirs, qui cbanjfent de cotdeur (juand ils cliangent de troupeau. Dans l'île des Amazones, les Irlandais reçoivent un accueil empressé, maison repousse leurs propositions matrimoniales. Dans l'île des Oiseaux toute une tribu volatile à plumage varié parle, chante et jacasse. Ici, un solitaire, de nationalité irlandaise, leur raconte (|ue chaque année grandit l'îlot sur lequel il a été jeté par la tempête. se dresse un pilier colossal dont la base disparait sous l'eau et le chapiteau dans la nue. Du sommet part un réseau conique de mailles d'argent très larges. Les Irlandais en détachent une pour TolTrir à leur retour en ex-voto à quelque église du pays natal. Ils arrivent enfin dans une ile fort étendue dont la surface est coupée par de liantes montagnes et par d'immenses plaines couvertes de bruyères. Des jeunes filles courent à leur rencontre, et se montrent à leur égard si peu rigides qu'elles ne veulent plus les laisser partir. Les compagnons de Maelduin s'arrachent à cette Gapoue transatlantique et s'efforcent de revenir en Irlande. Ils trouvent encore sur leur chemin une île boisée, dont les arbres produisent une boisson enivrante mais délicieuse , et dans cette île quinze moines qui, après Brandan, avaient fait un pèlerinage dans les îles du (Irand Océan. Ces moines conser- vaient précieusement une sorte de valise ayant appartenu à saint Brandan. Ils indiquèrent à leurs compatriotes un lac dont les eaux avaient ia propriété de rajeunir. L'un d'entre eux, Diuran Lekerd, s'y plongea, et en effet il ne perdit plus ni une dent ni un cheveu, et garda une admirable santé tout le reste de son existence. Les deux dernières stations de Maelduin sont dans un îlot il rencontre un pénitent irlandais, natif de Tory, jadis cuisinier dans un monastère dédié à saint Columba, et sur un

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202 l'HKMIKRK l'AHTIK. LES l'HKCIHSKfHS l>K COI.OM».

r<i('li«'r il reiiiurqiic des faucniis soiiiltlahlcs à coiix d'IriaiKi*' ; il suit la <liro(.-tion df leur vol pour rcntror on Kuro|)»,', il s'empresse, avec ses conipaj^iioiis, daller d»''poser dans la cathédrale d'Arinagli la maille d'arjîent dt-roltée au pilier mystérieux.

Assurément la plupart de ces récits sont fantastiques, et même plusieurs d'entre eux semblent imités de la légende de saint Urandan. Quelques passajçes méritent pourtant d'être signalés conmie indi(|uant une vague connaissance de l'Amérique. Ces oiseaux chanteurs ressemblent singulièrement aux perroquets de la région tropicale ; cet îlot qui grandit d'année en année rap- pelle la formation géologique des Ijernmdes et de quelques Antilles. Enfin, la persistance de ces voyages dans la direction de l'ouest et les rencontres fréquentes de compatriotes semblent démontrer que les compagnons de Maelduin ne s'aventuraient [>as dans des parages tout à fait inconnus.

On nous saura gré de rapprocîher de ces légendes irlandaises d'autres traditions empruntées à des pays voisins, mais dont les habitants étaient les frères d'origine des Irlandais, au pays de (ialles et à la Bretagne française. On sait que, dans le pays de Galles, les monastères ont été détruits avec un acharnement extraordinaire et les moines expulsés sans pitié, à l'époque de la Iléforme. Les manuscrits ont été disséminés, et on ne con- serve plus que des traditions fort vagues (1). Les savants ont rangé en quatre séries ces traditions relatives aux merveilles transatlantiques. La première a trait aux pays des Sids ou des Fées (2), que l'on place toujours à l'ouest et au-delà de l'Océan ;

(1) Skbke, The four ancient Books of Walen, contniniy tlie q/tnriv poems attrihuted to the Bords. J. Camprei.l, Popular Taies of the west Highland», Edimbiirgh, 1860-1862. Beauvois, Eden ccidenta!, |). 312.

(2) D.-\V. Nash, Taliesin or the Bards and Druids of Britain, a trans- lation of the remains of the earliest welsh Bards, and an examination of the hardie mysteries, Londres, 1858.

CHAI'. VIII. LES IKLANIIAIS KN AMÉRIOIK AVANT COLOMH. ^ilili

la seconde se rapporte à la disparition , dès le V siècle de notre ère, d'un certain (ialVan, (ils d'Alddun, qui, avec ses lioinmes, fit voile pour les îles vertes des courants, Gwerdon- naii Hiou, et dont on perdit la trac»* (1). Dans la troisième et dans la (|uatriènie série figurent toutes les légendes sur le roi Arthur et sur l'enchanteur Merlin (2) : c'est surtout le mystérieux pays de l'ouest, se réfugia le roi Arthur, et il attend le moment de se montrer de nouveau pour chasser les Saxons, qui excita la verve des hardes gallois. Ce pays se nomme Avallon, ou l'Ile des Pommes. « L'océan entoure cette île (3) qui n'est privée d'aucun hien ; il n'y a ni voleurs, ni hrigands, ni ennemis pour tendre des emhùches ; pas de violence, pas de l'roid ni chaud insupportables ; la paix, la concorde, un plantureux prin- temps y régnent éternellement ; les fleurs, lys, roses, violettes y abondent ; les arbres y portent sur la même branche des fleurs et des fruits ; sans être souillés de sang, les jeunes gens y demeurent toujours avec la vierge du lieu ; pas de vieillesse, pas de maladie, pas de douleur, tout y est plein d'allégresse ; on n'y a rien en propre, tout y est commun ».

C'est dans un pays aussi merveilleux, toujours à l'ouest et dans l'Atlantique que des moines armoricains de Saint-Matliieu du Finistère retrouvèrent les patriarches FXie et Enoch, qui, d'après la tradition, y attendent le jour du jugement dernier. Ces moines exploraient l'Océan (4).

(1) OwEN Jones, The Myrvyrian Archœology of Wales, collected out of ancient manuscripts, 1801.

(2) Kr. Michel et Tu. Wbjght, Vita Merlini, Londres, 1837. Hersart DE LA ViLLEMARQUÉ, Ic Merveïtlcux OU moyen-dge, l'Enchanteur Merlin, Myrdhirm, son histoire, ses œuvres, son influence. Edgard Quinet, l'Enchanteur Merlin.

(3^ Passage du Pseudo-Gildas, appelé Britannica htstorise metaphrastes, reproduit par Usserius, Britanniearum ecclesiarum antiquitates et pri- mordia, Dublin, 1639, p. 524.

(•4) Struvius, Germanicorum scriptorum qui rerurii a Germanis per niultas xtates gestarum historias vel annales posteris reliquerunt, t. 111,

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âOi PREMIÈRE l'ARTIE, LES PRÉCURSEl'HS DE COLOMB.

Qui niuriuiu Unes scrutuntur, t>t ulliiiiii lerrn^ Ut vult'unt popiilis post tempora loiif.'a reterre.

Une fois leur navire erra trois ans sans (|u'ils pussent rien voir (jue la mer et le ciel. L<»s vivres coinmeneaient i\ leur man- quer, quand ils trouvèrent sur un îlot une statue de femme en airain, qui du doigt leur indiquait le oliomin.

In nuMlio marium velut aert-u stabat imago, Keniiiiaca speciu, super ardua saxa, virago, lUa suis digitis pcrvia nionstrat lier.

Ils suivent avec empressement cette indication, et dus le lendemain rencontrent une autre statue, (jui leur enseigne encoîv la voie à suivre. En elfet, à leur grande joie, ils découvrent bientôt une montagne dans le lointain. C'est une montagne d'où jaillissent des éclairs, et sur les flancs de laquelle roulent des lave?, mais elle répand une odeur merveilleuse. Les moines débarquent et vont à la découverte dans le pays, ils ne ren- contrent ni hommes ni animaux. Enfin ils arrivent à une ville entourée de fortes murailles. Tout est en or, maison, meubles, église, mais personne ne garde ces trésors. Au fond d'un cloître magnifique étaient pourtant deux vieillards, qui se lèvent pour exercer les devoirs de l'hospitalité, et leur apprennent qu'ils sont Elie et Enoch : « Un de nos jours, ajoutent-ils, est égal à cent de vos années ; ceux qui étaient enfants lors de votre départ sont maintenant des vieillards et demain aucun d'eux ne sera en vie. Pendant votre séjour ici, six à sept générations de rois et de peuples se succéderont dans votre patrie, et vous-mêmes vous serez vieillards lorsque vous y retournerez ». En efl'et, quand les moines reviennent en Bretagne, ils s'aperçoivent, à leur grande stupeur, que tout est changé autour d'eux, qu'ils sont accablés d'années et qu'ils n'ont plus qu'à mourir.

p. 59, reeditavit Gotefridi Viterbiensis Panthéon, ex bibliotheca Joannis Pistorii Nidani.

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CIIAI'. VIII.

LKS IHLAMtAIS K.1 AMKHiyiK AVA.NT (.OMt.MH. 2(i.*>

Tclh's sont les priiicipulcs Irjrondrs païonnos un chrétiennes par l(>s(|U(>ll(>H l(>s IrliiiKlais ont anirnié la (-iiiitinuitr< <lc leur ornyanco à lexistenc»' des terres transatlaiititpies. Il ne fandrait point prendre à la lettre tons les épisodes de ces léjîeiides des- tinées à l'ainnsenient on à l'édification de cenx (|ui les ent«'n- daient raconter, mais, ainsi »|iie l'a reniar<|né l'nn des savants (pii ont le pins contribué à nous les faire connaître (1), (^Inrry, « ces faits seraient d'une {grande valeur s'ils nous avaient été transmis dans leur fori.ie originale, mais, dans le cours des ilges, après avoir passé par la liouclie de narrateurs remplis d'iinaginatijtn, ces récits ont [lerdu une grande partie de leui" simplicité primitive pour devenir de plus en plus fantastiques et extravagants ». Ils n'en constituent pas moins une source de renseignements fort précieux. Mais il est temps de passer de la légende à l'histoire et de montrer comment les voyages très authenti(|ues (pi'il nous reste à enregistrer confirment la réalité ou tout au moins la vraisemblance des cjuirses d'Oisin, de Hrandan, ou de Maelduin.

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Les Papae ou (iuldees, c'est-à-dire les prtHres irlandais, se sont en effet avancés, d'une façon certaine, bien au-delà de l'Ir- lande, dans la double direction de l'ouest et du nord-ouest. Plusienrs motifs les poussaient à l'émigration. î^e premier, c'est

(I) CiRRY, Lecturf-i, etc., ouv. cité, 289. Cf. Bkauvois, Erien occidental, p. 371 : H C'est ainsi qu'aujourd'liui des écrivains aimés de la jeunesse viil- (çarisent la science en l'encadrant dans des aventures imaginaires ou même incroyables ; si, grAce à cet appoint romanesque, leurs livres venaient à sur- nager seuls dans quelque naufrage des connaissances humaines, comme ont fait les légendes gaéliques ou cymriques, nos arrière petits-neveux n'auraient jias plus le droit de négliger les faits positifs contenus dans ces récits, que nous-mêmes n'aurions raison de nier les voyages et les établissements tran- satlanli(|ucs des Gaëls n cause des flctions qui y sont mêlées ».

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1,

•H\{\ l'IUlMIKHI-; l'AKTIK. I.KS l'UKCIUSKlUS l»K CdUlMH.

i|u'ils furent »'ii (l(''s)H'ror(l «vt-r la majorité des «•allinli(|n('s sur divers points de discipline, lixution du jour de Pil(|u»'s, cérémo- nies coniplémentaires du liaptème, tonsure monastiipie (I), ete. Très lidèles au rite de leur maître liien aimé, dès (Mîi, plutôt que de se conformer aux décisions de la conférence de \\'ill>y {'!), ils (piittaient l'Angleterre et retournaient avec leur chef, l'évécpie Oolman, au monastère d'Iona. (îin(piante ans plus tard, lors- que le roi des Pietés, Neclitan, imposa la rèffle romaine à son <lergè, les Papae s'«'\ilèrent volontairement d'Ecosse (3). Ivtrsijue l'Irlande à son tour fut rumenée à l'unité catholique (1), ils n'eurent plus d'autre refuge (pie les archipels nord-atlantiques et s'y retirèrent les uns ajirès les autres, mais ils furent toujours vus d'un mauvais (eil par les autres catholiques, (|ui les traitaient d'Africains judaisants (5).

Fjt's Papae, d'ailleurs, renoncèrent sans trop de peine .. 'eur patrie, car les régions mystérieuses du nord exercèrent toujours sur eux un invincihie attrait. « I^e Seigneur a fait ce qu'il a voulu faire au ciel et sur la terre, et dans tous les ahimes, écri- vait (liraud de Cambrai ((») ; il est admirahie dans ses saints et grand dans toutes ses «nivres, unis c'est aux lointaines extré- mités du monde que la nature affranchie se joue dans les plus étonnants prodiges », Il semhie que les Irlandais se soient appli- qué ces paroles et aient voulu connaître ces prodiges. Dans les mers orageuses et voilées par d'épaisses brumes qui baignent la verte Érin, et l'on peut croire qu'au-delà des pays habi- tés par les hommes s'étendent des terres inconnues ; à tra- vers les archipels semés sur les flots et oui sont neut-étre le;

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peut-t

(1) Varin, Cousus de la dissidence entre l'Eglise bretonne et l'Eglise romaine (Mémoires de rAcadéniie des inscriptions ot belles-lettres, 1858).

(2) .MoxTAi-EMBEBT, Moines d'Ocfider,t, t. IV, p. 170-181.

(3) Mo.vrALEMBEHT, p. 159-16U.

(4) ID., t. V, id., p. 4, 15, 22, 23.

(5 Beauvois, Relations précolombiennes des Gaèts avec le Mexique ^Congrès américaniste de Copenhague), p. 78. (G) GiHAi.DL'8 Cambhexsis, Topoçraphin Hihemiâf.

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MAI'. Mil. LKS IKLANDAIS K.\ AMKIllyi K AVAM COLOMI.. HTt

«Irliris <{(> cniitiiKMits <lis|iariis, les saints Irlandais uni aiiiir à s'avnitiircr. On ciU'h' vityaf!:»' <lf ItaitMii, le pn-initT successeur *l*' saint (înliiiiilta au ti.unastcrc (l'Iiina, et les trois ex|i«'>i!itiniis <le son ci)nteiii|)<)rain (donnai . Il est vrai (|u'on n'a «le détails que sur la troisième de ces expéditions. Pendant (|uaraiite jours (ioriuac, poussé dans rAtlantiipu! par un violent vent du sud, dépassa toutt's les limites connues, et s'avança jusqu'à un»? ré^'ioii de l'Océan il fut assailli par des l)(>stioles noires, (pii ineiiacaieiit de percer avec leurs aiguillons les peaux ipii pro- tc|,'j'aient l'eiiiharcation. Ia' détail proiiv»' l'authenticité du récit. Dans les mers horéales elFet, certains crustacés, particuliè- rement la leriiaea hrancliiaiis, attacpient les navires en liap.<les innoiid>ral)l(;s. Heureusement pour (îorinac le vent tomlia. Il put retourner et rentrer en Irlande (1).

Le voyage de Snedghus et de Mac-Ilia}j:lila (i), tous deux d'Ioria, au milieu du vu" siècle, présente également les carac- tères de l'authenticité. (Vestuii pèlerinage maritime ipi'avaient entrepris ces hardis cumpagnoiis. Ils errèrent de longs mois sur l'Atlantique et découvrirent de noinhreuses îles, les unes désertes, les autres liahitées. Un jour, la hrise leur apporta des mélodies connues, \o sidiinn ou chaut funèhre des femmes d'Irlande. Ils ahordèrent aussitôt et furent accueillis avec empres- sement par des femmes «pti leur aJressèrent lu parole en Irlan- dais et les conduisirent à leur chef. C'étaient «'ii effet des exilés irlandais de la tribu des Fer llois, qui avaient autrefois massa- <'ré Uîur chef et avaient été abandonnés au caprice des îlots. .\près avoir séjourné qucbjue temps dans l'île, Snedglius et Muc-Iliughla retournèrent sans accident à loua (3). Us avaient

(1) Les aventures de Cormac ont été racontées par Andamxan, l'auteur de la Vtcile saint Coliimba. Voir l'édition W. Heewes, Dublin, 1857, p. 160-170.

|2 CuRHV, Lectures on the ancient nmnuscript matcrials of ancient ivish history, Dublin, 1878.

(Ui Bkaivois {Grande terre de l'ouest, p. 78) mentionne ces voyages d'après le T/ie liook of the Makomies, manuscrit encore inédit, et d'après la Vie de

I!

20S l'IlKMlKlIi: l'AKTli;. I.KS l'HKCl MSKIKS l>K COI.OM».

ra|t|t(»rt<'' «le leur voyaK*' mu' IViiilIc d'aphrc, cxtraordinain' par ses (liriioiisioiis, (juc Ton conserva précieusement d'alutnl à loua, puis à Tiri'onnel. On la connaissait sous le nom de (luile- faidli de saint (^oluml)a(lj. Kn lliOO, iors(pie Donnocli etOilla Isa Mac-Kirl»is compilèrent dans h; Lrahliar ('hindi; Li'cuhi Vh'ncli- ira rltiri'i'h (Imluiin eilti' »(U Aventures des clercs de saint Cohnnha, cette feuille existait enc<tre. Elle avait été transportée à Cennana i Kells, dans le Meatii. Or, trouve-t-on ces feuilles « au -i lar^a's (pi(> la |)eau d'un Ixeuf » sinon dans les réfîions tropicales ? N'est-ce donc pas que les Irlandais avec leurs simples currachs se sont aventurés juscpie-là?

Nous ui' pourrons cpie mentionner les aventures de (picUpies PapîL* dans l'océan du nonl-ouest et le (ïonunencemetit de la nivijj^ution di; deux moines de Tordre d(; Saint (lolmnlwi dans la mer du Nord, caries manuscrits (pii les contiennent sont enct»re inédits et à peu près inaccessibles, sauf à ipu-hpies fjai'listes.

("est avec la même réserve (pie nous parlerons des voyaj^es entrepris par d'autres Pa|«e dans l'Atlantique, (^es voya},'es sont pourtant certains. Les Orcades et les Shetland furent d'aliord reconnues et occupées par eux. Cette occupation fut ménic! si bien acceptée par les insulaires, qu'ils prirent le nom (!t adop- tèrent l(^ costume de ceux (pii venaient l(!s initier à la (civilisation. Au IX'' siècle de notre ère, lors(pi(î I(î roi de Nor\vè};e Ilarald llarf'affr envahit ces iirchipels, il extennina tous les habitants et les remplaça par des païens (h; Norwège. Le nom des Pa|)a' se conserva néanmoins aux Orcades. On le retnuive dans les îles Papawertra et Pa[iostronsa, et dans plusieurs localités de Paplay. De même, aux Shetland on signale les trois iles de Pa|»aslone, Papalittle, Papa et le domaine de Papil (i2).

saint Columfift, compilée par Magnus O'Duiincl e*. publiée par extrait dans Tviadia thniimaturija' spu divorum Pntricii, Columb.e et Htigidœ ucla, pai Jean Colf^an (Louvain, 1647), p. 44G.

(1 ) E. CuKHY, Lrctnrrs, ouv. cité, p 124-'), et 333-4.

(2) .Ml'ncii, Gcoyraphiske Oplysniwjer om Orknwerw, 1852, p. 4'J, 52, îi.'i,

ClIAl'. Mil. I.KS IIILA.Vh.MS K.\ AMKIMUIK AVANT (•.(U.OMIl. lliW)

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Des Onadi's et (U's Slictliiiiil , les papa' passèrent facilement aux Feroë. Voici coiiiineiit l'iiii d'eux, Diciiil, (|iii composa en H'I^t un curieux traité de }:éof:rap|iie, /h' niriisiirii or/tis lnr;i'{l), parle de cette dêc(»uverte. « il y a un f^'rand iioudire d'autn's Jlfts dans l'Océan au nord de la Hrefa^:ne, les \ aisseaux vofîuant à pleines voiles et poussés par un vent t<»ujoiu's favorahie emploient deux jours et d(!U\ nuits pour s'y rendre des îles septen'irional<>s lie la |{retaj:ne. l'n relijrieux di^:n<' de foi m'a raconté (pi'après avoir navifiiié deux jours et une nuit d'été, dans un petit hàfi- inent à deux ran^rs de rames, il ahorda dans une de ces îles. (les îles sont petites pour la plupart, pres(pie toutes séparées les imes (l(!s autres par d(!s détroits fort resserrés ; elles étaient, il y a ime centaine d'années, lialiitées par des ermites sortis de notre Scottia (^). Mais, de même (pi'elles avaient été désertes depuis le conmiencement du monde, ainsi, ahandoiinées inaiii-

i2, ;i"i,

;i8, (U. f)7. 1(12 <l r.vnijviifihir <»n lijaltinmi. 18:i7, \\. ;tl2, W^. :);i4, .Tit), ;i(i7, ."177, 3S1. Liî mcmn liislorion, tliiiis ses Si/iii/i(tl,r ad /listariiiiii tiuti- iiuinrcm Norrp</i,T (('.liristaiiia, IS'Jfl) a piiblii'! un piissajçi! inU'TL'ssaiil de l7/j.<- tnria Soriryi.r (lu'il avait (Iticoiivcrti! : « Papa- vent, priiplcr vestes all)as, ijuiliMs ut rlerici iiiducliantur, viicati suut, uutir in Icutonica liu^nia oiiuios (Ici ici papa' (li(Mnilur ».

ill Diccn., I)i' nti'UKin-fi or/tis len.r, t'dit. I.otinuiic, VMF, Il : •> Suut alia' iiisuhc uiulta* iu septcutriiuiaii Britauuia> Occaiii), i|ua> a si;pl<>utrii)ualil)U4 lti'itaiiuia> iusiilis duoruiu dicruui ac nactiiiui recta u.ivi^Mlioue, |di;uis velis, assiiluo l'clicitcïr veulo, adiii i|ueuut. Alii|uis prolius reli;;ii.<sus uiilii relulit i|uiiil, iu duulius a>stivis dielius, et iiua iutcrcodoute uocle, uavi(;atis iudunruiii navicula IraustiiM'iun, iu uuaui illaruiu iuti'oivil. IIIjp iusula' suut alia* p.irvulic, fei'u cuiu'Uc siunii au<;uslis dislaules IVetis, iu quibiis.iu ceuluin l'eruie auuis, ci't;uiila> lu nnstra Scnttiu naviguantes liabitaveruut. S(>d, sicut a priueipii nnuidi ilcscrta! seuiper lueruut, ita ninic, causa latronuui uoruiauiiornui, vaciia' aua- l'IuM'etis, pltuno inunnierabilibus oviltus, ac diveisis punuibus inuitis niuiis uiai'iuaruni aviuui. Nunipnuu cas insulas iu libris auctoruni rueniorutas inve- uinnis ».

[i] Au uuiycn-A{;(! l'Irlande s'appelait Scottia. Le mol n'a pas d'autre sens dans .\lcuin, Alfred le (îrand, Héda, Kjçinliard. (;'(!stseideinent vers le milieu du IX'' siècle ipie, le roi des l'ictes étant mort sans héritiers din-cts, Kenneth, roi de iJabriail, pays des anciens Scots, s'em|)ara du douiaiiie picte et réunit le.s deux Klats eu un seul royaume (8 v:{); mais le iioni de Scotland ne devint d'un iisa^e cuiumuu qu'aa w siècle.

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tiMiaiit les iiiiiirliDivtcs à ciiisc des Nortliiiiiiiis, cllc-i sdiit i'«'iii|>li)*s iriinc iniiltilii(|(* iniioiMlirahh* de hrchin et d'oiscaiix <lt* iiuT de diverses csimtcs. Nmiis iravoiis Inmvt'' im's llrs iiu'ii- tioiiiircK duiis aiiriiii aiilciir ■>. (Ict an'liipcl Ciit rava}:»' par les Nortlitiiaiis. «•itjniiic l'avaient été les Orcadrs et 1rs Slx'tlaiid, mais l«' siMivniir des Papa* s'y («M'pétiia. Le pasfciir Sclmi'tcr, (|iii s*>'st atlarlié à n'ciicillir les traditions loialcs, rapp:«rl<' qu'avant l'arrivét- des cDtKpK'raiits Nortlnnans « il s'était éfahli iliins les il(>s <U\s hommes tpic Ton (-nnsidérailtoininc des saints, attendu qu'ils avaient la puissanee de faire des sijfues et des mira<|«'s, de f.'uérir les lilessures et les maladies, aussi iiien des liitunnes ipie des animaux. Ils savaient prédire si pendant l'année la péelie ou l'état sanitaire seraient t'avorahles. Ils ne vivaient pas enniine les autres liomfues, car leur nourritiu'e se eouiposait de lait, d'u-uCs, de racines et d'alfrues. Ils avaient des chèvres di»mestiipies(pi'ils trayaient, mais ils ne tuaient aucune rréalure et ne versaient pas le sauj,'. Les seids Dhjels qu'ils acceptassent connue présents ou vu réuumération de leurs ser- vices étaient le [tain azyme, le poisson séché et la hure pour se vélir. Un montre [ilusieurs localités <»ù ces f.'eus auraient hahilé... A l'arrivée «h-s Norvvé}j;iens, (pielques-uns d'entre eii\ s'éloijîiiérent par mer et d'autres se relufrièrent dans des cav<'rues ... A ces traits on aura facilement reconnu les l'apa- irlanda<s qui convertirent les insulair(;s et s'étahlircnt dans l'archipel (1),

allèrent les fufiçitifs des Kéroë ? Dicoi' nous l'apprend : ce fut en Islande. Kidéles à leur esprit (h; propa;z:aud(; et d'initiative, les Papa» cherchèrent de nouveaux pays pour y euseij.'ner la foi et y trouver le repos. La première t(!rr(! ipi'ils rencontrèrent au nord des Féroe fut l'Islande. Dicuil la 'îonnue 'l'hulé, mais la description (pi'il en donne ne laisse; aucun d'xite, car rislandc est la seule des iles situées sous h; ccircle polaire les Papa-

(1; SciiBourrKn, Aiiti/cvui kh Tidsfchrifl (t84!)-51j, [i. Iifi-i47.

1

UAI'. VIII. I.KS IHI.ANhAIS IvN AMKHIUIII", AVANT Cdl.OMH. ^271

aient pu alictnlcr et résider en <|iiiltaiit les Kéroi'. « Il y a Irciile ans, ('rril-il (1), (|ii(' «les rlcrcs i|iii avaient demeuré dans celte. ile depuis les r, demies <le février jiisipi'à celles d'anùf nie racdil- lèreiit (pie, noii seulement lurs du sulsticc d'été, mais encore (piel(pies jours avant et a|)i'és, le siilcil disparait pour peu d(> temps et semide se cacher derrière une ((tlliiie, en sorte (pu; l'idiscurité dure très peu de temps. Aussi voit-on assez clair pour se livrer à toute <'spèc<' d'occupalions, et l'on [toiirrail UK^iie chercher ses pou\ dans sa chemise comme en plein jour ; il est prohahie ipie, si l'on était sur une inonta^:ne, on ne verrait pas h; soleil se coucher. Ils ont menti rcu\ (pii ont écrit (pie cett(! ile était entouire d'une mer de [ilace, car les susdits clercs (pii ont vof^ué vers cette ile dans le t'inps du f.'i'and IVoid ont |iu y ahonhîr... Il est vrai (|u'à une journée do navigation au nord de cette île ils ont trouvé la mer geh'Mî ».

Les Papae, comme on le voit, étaient entreprenants, et, s'ils n'avaient été arrêtés par cette inrranchissahle lianlère de glaces contre hupielle se sont hrisés tant (rhéroï(pies ellorts depuis Mslheas jusrpi'à Wey prédit ou (Jreely, ils auraient porté huirs (royances liien au-delà de l'Islande. Dans la (lir(>clioii du nord, l'Islande devait être leur dernière étape. Lors(pie les .NorthrnaQs ahordèrent à leur tour dans l'ultima Thulé, c'('sl-à-(lire vers le dernier ipiart du ix" siècle, les Papae leur cédèn-nl encore la place (•!). <• Il y avait des chrétiens, lisons-nous dans les

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ft I l)ir,ni,, Dr iiiensurn ovfils Irrr.r, VII. 2 : '< 'rri^csiimis imiic fuiniis mi a (|ii() iniriliitvcnml iiiilii clc'riri i|iii, ;i kiiieiiilis ri;lirii:iiii iis(|iii; kiilciidas :iii- Kii^ti, iii irisiila Tliiilc inariscniiit, qiiod, iinii snliitn iii acslivo soislilio, .tcd iii (li(?l)iis rirca illiid, iii V(;s|)i!rtina liora, (iccidetis .sol al)S(vinilit se i|ii;tsi traiis |iarviiluiii liiiiiuliiiii : itu ut niliil (t'iiulirunitii in iiiiiiidio spalio liai ; si'd i|iiid- qiiid lifiriMi (iporari voliicrit, v(ïI iiuiliciilos de cainJHia almtralitM'c, taiii|uaiii in |HiC!tniitia s(dis potcsl : et, si in altitiidiiu! iiKintiiiiti cjiis luisKi-iit. Tor^itari niiiKpiaiii snl alis.'iiMdcrctur al) iilis... iiH^iitiuntt;» railiinlur qui ciiciiiii isiiii (•oiiirctiiiii mari! fiinj scripscnint, naiii navi;;atil(!s Iriiipoif; fii^joris (;am i(i- trabniit, simI, navit^atione iiiiiiis dipi ex illa ad Itorcam, cnii;;clatiini mare invi;-

lILTIillt ».

(il AiiK (''HniiiiK, Islendina swi/ur (184^, t. I, p. 4. Quelques-un» d'entre

•27:2 l'HEMlKRK l'ARTIK.

LKS PKKCIHSEIKS l)K C.ltLOMB.

Sa}ïas islaiidiiises, do ceux (|iu' les Norvof^icns appellent l*apas; mais ces derniers s'éloignèrent parce (|u'ils ne voulaient pas rester avec des païens; ils laissèrent après eux des livres irlandais, des cloches et des crosses d'où l'on peut conclure que c'étaient des Irlandais ». Dans un autre ouvrage islandais, le Lit)i(linuiiol)of{, ou livre de prise de [lossession, nous trouvons '! 'S reuseifrnc'nents idcntirpies (l) : <( Avant ((ue l'island;; fût colonisée par la Norvège, il \ avait dans l'île de ces hommes que les Norvégiens nomment Papas. C'étaient des chrétiens, et l'on pense qu'ils venaient des contrées situées à l'ouest de la mer, car on trouva après eux des livres irlandais, des cloches et des crosses et plusieui's autres objets, d'où l'on peut conclure <jue c'étaient des hommes de l'ouest. Ces trouvailles furent laites dans l'est, à Papey et Papy lé. On voit aussi par les livres anglais (pi'il y avait des relations entre ces pays ».

Tous les archipels de la mer du Nord, l'Islande elle-même, ont donc été reconnus et colonisés par les Papae ; mais arrêtés par les glaces, ils ne purent pousser plus loin leurs investiga- tions, et chassés de leurs conquêtes par les Northmans, ils furent obligés de reculer devant eux, comme jadis les Phéni niciens devant les Grecs, et de tenter de nouvelles découvertes dans cet Océan qui jusqu'alors n'avait trompé aucune de leurs espérances. Ils niontèreut de nouveau sur kjrs currachs, et.

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eux pourtant restèrciù Jaiis le pays. C'était évidemment nu descendant des Irlandais, ce moine qui, en 98G, accompagna Erick Hauda dans sou expé- dition en Groenland et composa un poème intitulé Hnfgerdinfjhar (le ras de maréel, dont le refrain a été conservé par le Landnamabock (p. 1061 : « Je prie celui qui soumet les moines à de salutaires épreuves de favoriser mon voyage : que le maître de la voûte céleste me tende une main secourable ». Cf. JoEKGE.NSEN, Dell Hordiskc kirkes grnnd hreggelse og fbcrsfe udvikting, Co- penhague, 1874-6.

(Il 1d., Landnamahok, t. I, p. 32-36. Ou trouve également dans le Land- 7iamnhok (p. 50-51 1 la mention d'une église dédiée à saint Columba, et qui «ivait été biUie en l'honneur d'Aslof Aslik, ju des douze chrétiens irlandais qui avaient été .s'établir dans le Ràngarthing, et qui ne voulaient avoir aucun rapport avec les païens des environs.

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CIIAP. VIII. LES IHL.\Nn.MS K.N AMÉRIQUE AVANT COLOMIJ. 273

de k'inp(".c en tompôte, de naufrage en naufrajre, finirent par alinrder en Amérique dans une région qu'ils nornmùrent rirland it Mikia (1). Seulement, avertis par l'expérience, ils gardèrent cette fois le secret de leur dé(;ouverte, et veillèrent avec un soin jaloux à ce qu'elle ne fè* jias connue en Europe, (^.e sont les Northmans d'Islande qi.i les poursuivirent encore «Ifuis hîurs nouveaux domaines, et c'est dans les ouvrages écrits par eux que nous trouverons la preuve de ce premier établisse- ment d'une nation chrétienne au nouveau monde.

Trois ouvrages islandais parlent de l'Irland it Mikla. Le premier est le Loudunmahok {^1) ou livre de prise de possession (le l'Islande. C'est une histoire généalogique, sûre et positive, des principales familles islandaises du x*" au xiiT' siècle. Il a été composé par Are Thorgilsson, surnonuné Krodhé ou le savant, et complété par cinij autres historiens ou généalogistes. Are Frodhé vécut de 1007 à 11 W. Voici comment il parle de son hisaïeul Are Màrsson (3) : « Are, fîls de Mi\r et de Torkatla, fut poussé par une tempête dans le Hviframannaland, que (|uelques-uns appellent Irland it Mikla. Ce pays est situé à l'ouest, dans la mer, près du Vinland it (lodha, et, dit-tm, à six jour- nées de navigation de l'Irlande. Ce récit a été fait d'abord par Hrafn Ulynireksfaré, (pii avait longtemps habité lllymrek en Irlande. Torkell (iellisson rapporta aussi que des Islandais disaient avoir appris de Thorfinn, jarl des Orkneys, que Are

M) L'historien qui a le mieux élupidé cette importante question de la coloni- sation irlandaise précolombienne est M. Ueauvois, Découverte du Nouveau Momie par /es I> landais et pronières traces du christianisme eu Amériqyie avant Van 1000 (Conprès américaniste de Nancy, 1873, t. I, p. 41-93). ID., hf! Derniers Vestii/es du christianisme prêché du au xiv» siècle dans le Markland de la Grande Irlande. Les Porte-Croix de la Gaspésir et de t'Acadie, 1817.

(2) Le Landnanmhok a été publié par Wkvs, Antiqiiitates American.v, sive scriptores septentrionales rerum ante Columhianarum in America (Copenhague, 1837) et par Hakn et 1«'i.n.>- Maonisen, Grœnlands historiske mindes mœrker (Copenhague, 1838-18i.">i.

(3) Landnatnabok, part. II, § 22, dans Islendina Sœgur, p. 120-130.

T. I. 18

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274 l'HEMIÈRR PARTIE.

LKS l'HKCUHSELRS ni: TOLOMU.

avait «''11' rcfuniju diiiis le llvitramaiinalaïul, et (|iril ne pouvait en sortir, mais «lu'il \ étaii traité avei; lioiiiiciir ». Voici donc un Islandais, Are Màrsson, jeté par la tcnipiHc dans un pays on l'accuoille Iticn, mais on lui interdisant di; retourner dans sa patrie. Le hruit de ses aventures se répand néanmoins, et ce sont deux Islandais. Hrafn et Torkell (iellisson, qui le transmettent au rédacteur du Ijtndtiumabok. Or, ce Ilr;ifn, qui a lonfîtemps habité Limerik en Irlande, tenait sans doute ses renseijïnements de voyajreurs irlandais revenus du Ilvitra- mannaland; (|uant à T<trkell (Jellisson, il était l'oncle paternel dWré Frodlié; il avait beaucoup voyajjé, beaucoup appris, et transmis une foule de récits à son nevo"; enlin il s'.q)puyait sur U\ témoignafre du jarl ou duc des Orcades, (fest-à-tlire d'un pays colonisé par les Papae irlandais, et (pu sans doute avait conservé des relations avec les autres colonies fondées par ces mêmes Papae. Ue ce premier témoignaffe semble donc résulter que les colons irlandais avaient occupé un };rand i)ays situé à l'ouest, et qu'ils empérhaient tous les navijj:ateurs (pic le hasard ou la tempête y conduisaient de rentrer dans leur patrie.

Voici un nouveau fra;;ineiit de chroiiiipie islandaise plus con- cluant encore. 11 est enqu'uiité à l'L'i/r/ji/gf/ifi Sur/a (1), ou histoire des notables personiiaîJ:es de la péninsule de Thorness et des Eyrby^'ges dans l'Islande occidentale. D'après cette Snrj.i, IJjo'rn, fils d'Asbrand, s'était épris de Thuride de Frodhà, et resta eu bonnes relations avec elle, même après son mariafre avi'c \\\\ certain Thorold. De \\ des hostilités et «les assassinats.

(Il L'Iîf/r-'/'/'jrjii Snya a été composée apiés 1148, piiisquH elle cite li; L'iii Inunnliuk, écrit à cette époque, et avant la soutiiission île l'Islande au roi lie Norvèjje eu 1204. Elle a été publiée deux lois dans so» entier, eu 1782, à Copculiague, par Tliorkelin, et eu 1861, à Leipzig, par C. Vigfusson. Hah.n on a donne des extraits avec traduction danoise et latine dans ses Antiquitatcs Ameiicau.r, 1, p. 53:!-78l). Reu vois en a traduit quelques fragments en français dans ses Dikoiirertos dc^ Scundl/iarcs en Atnêiiqup, tlu X' un XIII' siè:le {Revue oriental)' et américaine, Paris, 1859j.

ats.

«:ilM'. Vm, LES !KLAM)AIS IvN AMKHIQl'E AVANT (.(ILOMII. "llî)

Traduit devant le Tliiii}r |ioiir avoir tu»' deux de ses adver- saires, |{j(prn j)artit en exil, se signala par sa bravoure, et revint en Islande dix an. plus tard, toujours épris de Thuride. Compromis par ses assiduités et poursuivi par la haine de la famille de Timride, il dut s'expatrier une seconde fois et <• piU'tit avec un vont du nord-est qui souffla prescpie continuel- lement, et de longtemps on n'entendit |iarler de ce navire » (l). C'était en U80 (pie Hjo'rn était pour la première l'ois parti en exil, et aux al(>ntours de l'an mil (ju'il avait pour la seconde fois quitté l'Islande. Or, en lOIWJ, vers la lin du règne de saint Olaf {-2), un riche armateur islandais, (ludhlcif, « ayant fait un voyage à Duhlin, naviguait vers l'ouest pour retourner en Islande, lorsque un grand vent du nord-est le poussa si loin en mer, vers rouest et le sud-ouest, (|u'il ne savait plus se trouvait la terre. Comme l'été était avancé, ils firent de nom- hreux vu'ux pour être préservés d'un naufrage, et il arriva qu'ils apercyrent la terre. C'était une grande contrée qu'ils ne cfinnaissaiont pas. Cudhleif eties siens prirent la résolution d'y déharquer, parce qu'ils étaient fatigués d'avoir été longtemps ballottés sur mer. Ils trouvèrent un bon port, et ils étaient à terre depuis peu de temps, lorsqu'il arriva des gens dont pas un ne leur était connu, mais il leur semblait fort que ceux-ci par- laient l'irlandais. Bientôt cotte multitude s'étant accrue au nombre de plusieurs centaines, assaillit les navigateurs, s'em- para d'eux tous, les chargea do liens et les amena vers le haut pays. Conduits à une assemblée pour y être jugés, ils com- prirent que les uns voulaient les massacrer tout de suite, les autres les partager entre eux et les réduire à l'esclavage. Pen- dant les délibérations, ils virent arriver une troupe de cavaliers avec un étendard, d'où ils concluront qu'il devait y avoir un chef dans cotte troupe. Lorsque colle-ci fut arrivée, ils virent

(1) Ei/r/iyggiu Saga, § 47. (2,1 ID., § (H.

:2"('t IMIKMIKHr. l'AUTIK

LKS l'RKCrUSKinS 1)K COLOMB.

«•licvaucluT s(»iis rt''teiuliiril un Iidiiiiiio faraud et vij;<»unMi\, di'jà trrs âgé et à <'lioven\ blancs. Tous les assistants s'inrlinènMit (levant Cl' pcrsonnajfe ot rarcneillircnt (le leur niiciix : c'est à lui (|ue fut laissée la décision de l'alfaire. Le vieillard envoya "liercher (ludlihif et ses gens, leur adressa la | arole en lan<:iic l'.orraine. et leur denianda de (|uel pays ils étaient, lis lui ré- pondirent qu'ils étaient Islandais pour la |)lupart. " lît quels sont les Islandais parmi vous ? » (iudldeif lui dit ipi'il en était un, et salua le vieillard, qui lui fit \um accueil et lui denianda de quelle contrée de l'Islande il était. (îudhieif lui dit (pi'il était du canton de IJorjrarfjierd}:. « Et de quel endroit? » Renseigné sur ce poi/it par (iudlileif, il l'interrogea sur presque toutes les personnes considéraMes de IJorgarfjo'rdli et tlu Ureidliafjo'rdli. Dans ces entretiens il s'inforuia exactement à tous égards de Snorré (iodhé et de sa s(vur Thuride de FrodliA, et siu'tout de Kjartan, fds de cette dernière, (pii était alors maître de Krodlià ».

Gomme les indigènes s'iuqtafientaient et réclamaient une prompte solution de ralFaire, le chef déclara (pi'il laissait les étrangers libres, mais, dit-il en confidence à (Iudldeif, « alors même que l'été vous semblerait bien avancé, je vous conseille de vous éloigner promptement, car il ne faut pas se fier aux indigèiies, et il ne fait pas bo!i avoir affaire à eux ; ils croient d'ailleurs que la loi a été violé(î à leur préjudice. Mais, dit (Iudldeif, s'il nous est donné d(î revoir notre patrie, comment nommerons-nous celui (jui nous a sauvés? Je ne puis vous le dire, répondit-il, car je ne veux pas que mes parents ou mes frères d'armes fassent un voyage comme (^elui que vous auriez fait, si je n'eusse été présent pour vous protéger... Il y a dans le pays des <'befs plus puissants que moi, ils ne sont pas ac- tuellement dans la contrée vous avez abordé ; mais, s'ils viennent, ils auront peu de ménagements pour les étrangers ». Malgré les instances des Islandais, le vieux chef ne voulut jamais se nommer, mais il pressa leur départ, voulut assister ù

CHAI*. VIII. LKS IHLVMIAIS K\ AMKRIQUK AVANT COLOMII. "111

loiir eiiiltar<|U('iiu'iit cl leur doiiiia (|U('l<iiK's pn'st'nts <|<'stiii(''s à Tlmridc et à son fils. <• Si (|iiol(]iriiu croit savoir à (jui '>iit a»,- |)arU>iiu CCS ohjcts, ajouta-t-il, ilis-lc.irdciiia part (juc je ûcKads à (|ui (luo Cl' soit «le venir me trouver ; car c'est iww eiitre|»rise (térilleuse, à uioins <|ue \\>i\ u'ait, coinnie vous, la chance <!(! trouver un lieu d'ahordage favoraMe. Ce pays est étendu vA mal pourvu de ports, et partout un mauvais accueil attend les étrangers, à moins cpi'ils ne soient dans les mêmes circons- tances (jue vous ». Après «juoi iJudhIeif et les siens se mirent en mer et arrivèrent en Irlande à une époque avancée de l'au- tomne. Ils passèrent Tliiver à Dyflinn (Duhlin), et, l'été sui- vant, ils firent voile pour l'Islande, ils remirent les présents aux destinataires. Des p«'rsonnes tieiuient |)our ceriain (|ue le chef indigène était Hjiern Hreidhvikingakappé, mais il n'y a pas d'autres notions certaines ù cet égard que celles qu'on a rapportées ».

Certes, ces aventures sont romanesques, et la reuc»jntre fortuite de lijœrn et de (ludhleif semhie arrangée à plaisir, mais elle n'est pas invraisemhlahle, et d'ailleurs elle est con- signée dans une saga islandaise, dont la véracité n'a jamais été contestée. Si donc nous acceptons provisoirement l'authenticité de ce récit, nous remarquerons (jue les deux islandais Bjœru et Gudhleif ont tous les deux été jetés par la tempête dans un pays civilisé, situé très à l'ouest, la langue irlandaise était couramment parlée, mais dont les habitants massacraient et réduisaient systématiquement à l'esclavage les étrangers qui abordaient chez eux. En outre, ce pays était situé à l'ouest de l'Irlande et de l'Islande, c'est-à-dire dans la direction de l'Amé- rique. Il paraît donc correspondre à l'Irland it Mikla, Are Màrsson, avait été précédemment jeté.

Une troisième saga, celle de Thorfmn Karlsefne (1), cora-

il) La saga du Thorlînii Karlscrne, dont le texte est contenu dans quinze manuscrits, a été publiée dans les Antiquitates Americanse àa Rafn et dan

,1

ïJ78 l'IlKMIKHK l'AIITIi:. LKS l'nKCinSKI'IIS l>K COI.OMII.

|>(ts('>(> (i'ii|)r('>s les rolatiuiis <ruii ou <!(' pliisiciirs dos Nortliiiiiins (|iii (iôcouvrirent le Viiilaiid, n'iifVniic un pussa};*' )i'iiii(> iiii- liorlancc; rapitale |M)iir los ('taltlissciiiciits des Irlandais an

nouveau inonde. Il y est dit (|Ui>, <|n(>l(|u<>s années après l'an mil, Tliorlinn el ses compa^^nons, après avoir passé trois ans dans le Vinland, c'est-à-dire, roinine nous le prouverons plus loin, en .\inéri(|ue, revenaient dans le (îroenland, lorsfpi'ils trouvèrent sur l«'ur cheinin cimi Skrodlinj^s ou Kscpiiinaux. « L'un d'eux était harliu, et il y avait deux feirniies et deux en- fants. Les gens de Karlsefne s'eui|)arèrent de ces derniers, tandis (jue les autres s'éciiappèrent et disparurent sous terre. Les enfants, euiuienés |)ar eux, apprirent leur Ianf,Mie et furent haptisés (1), Ils appelaient leur mère Vettliild(> l't leur pènî Uvaefje. Ils ra|)portèrent (juc^ deux rois gouvernaient les Sknidlings, l'un nouuné Avalldania, l'autre Valldidida ; ipi'il n'y avait pas de maisons dans le pays, que les liahitants cou- chaient dans des cavernes ou des trous ; (pi'une autre firande contrée située en face de leur pays était habitée pai' des };ens (pii marchaient vêtus de hlanc, portant devant eux des perches étaient fixés des drapeaux et criant fort. On pense (pie c'était le llvitramannaland ou Irland it Mikia ».

Quels sont ces gens vêtus de hlanc, sinon des Papae ou des indigènes colonisés par eux et restés fidèles au costume de saint (iolumba ? Quant à ces perches ornées de drapeaux et à ces

Groimlands hhtoriskc Mhulcxmœt ko: La traduction française a ùlv doiitiéc par Beauvois (Découvertes tics Scandinaves en Amérique, ]). 3248).

(1) Rakn, Antiquitates americaniv, p. 182. Kailsefaiani pucros coiiipre- lieudcrunt, céleris Skrœlliiii;i$ fuga elal)ciitibus et terra déhiscente alisor|)tis. Hos duo pucros sccum abduxeruiit, cosquc linguam docuciunt et haptizaruiit ni nominarunt matrein Vcttliildam et patrem Uvœgium, dixerunt reges Skrœllingis iinperarc, quorum altcri nomcii cssc Avalldanio, alteri Valldidida, nullas ibi domos esse, scd in antris aut cavernis babitari ; ex altéra parte, exadversuni suani terrani, aliain silam cssc regionem, quam incolcreut ho- inincs, albis vestibus induti, hos longurios prœferrc, paniiis affîxis, et alla voce clamarc. Hanc putant esse Hvitraniannal^nd (Terra Hoininuiii alboruin), .sivc Irlandiaui Magnam.

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niAI'. Mil. LES IHUMtAIS V.S AM^MUOI'K AVANT COLOMB. 270

(li.'iiits (|iii avaient si fort ri'a|)|it'> riina}.'iiiati))ii dis petits Skni'IlififTs, n'cst-il pas aisé do rccdiiiiaitrc une procession et (les cantiipies, dont les Pa|)ae auraient r.discrvé l'usafîe dans leur nouvelle possession?

De ces trctis docuinents irlandais ronserv<^s par le hiiidni iiKifni/,', par l'hi/rhi/gf/iti Sii;/ii et par la Sar/ti dr '/'Ikh'/Iiiii h'nrlsrf'tif, il seinlile donc résulter ipie les Irlandais avaient découvert à l'ouest un pays an(piel ils avaient donné leur nom, Irland it Mikia, ou la (irande Irlande; (pie cet autre nom du llvitramaniialand , ou terre des hommes blancs ou velus du lilanc, rappelle le costume des Papae ; (ju'ils avaient conservé l'usage de la langue irlandaise ; (pi'ils étaient restés fidèles au christianisme, puis(ju'ils céléhraient des processions et clian- laient des cantiques; enlin (pi'ils étaient sans pitié pour les naufragés, parce que, plusieurs fois pourchassés et expulsés par les |)irates Northinans, ils voulaient, pour leur sécurité future, dissimuler leurs découvertes. Donc, r.\inéri(pie a été reconnue et en partie c(»loniséc par les Irlandais, et, hien (|ue le témoi- gnage des sagas islandaises niauiiue de précision, l'existence de l'Irland it MikIa peut et doit être considérée comme un fait historique (1).

Deux autres documents, l'un d'origine italienne, l'autre de jiroveuance galloise, confirment la réalité de cette colonisation précolonihienno de l'Amérique par les Irlandais.

A lu fin du xiV siècle (2) deux patriciens de Venise, Nicolo

!

(1) L'hliiiul it Mikla des sagas est iiicntioniiée par Edrisi sous le num d'Irlandeli el Kabirah. Ce i ; et plusieurs autres détails sur les contrées du Nord lui ont sans doute été <ournis par les Northniaiis employés à la cour de leur compatriote, le roi de Sicile Ilojçer II (1130-1154).

(2) La relation des frères Zeni a été publiée pour la première fois sous le litre de Delto scoprimento deU'isolf Fvklanda, Eslanda, Engrovelanda, Estilanda et Icaria, fatto anlo il Polo Art ko, da due fratelli Zeni M. S'icolo il K. V M. Antonio libre utio, à la suite de Dei commentarii del viaggi in Persia di M. Caterino Zeno il K., Venise, 1358. La meilleure édition moderne est celle de M. Major, Tfie voi/ayes of tfœ Venitian brothers.

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^80 ntKMIÈKK l'ARTŒ. LES l'HKl'.l'RSEURS DK COLOMH.

Zcnu et Antuniu Zcno, aiiii'iK's par lt>s liasards d'une vie aven- tureuse dans les régions situées uu nurd-ouest de rKuropc, visitèrent les mis après les autres les |mys autrefois parcourus par les Papae. Ils ont raconté leurs voyages et décrit les con- trées visitées dans une relation fameuse, dont l'authenticité a été condtattue, et (|U(;, pour notre part, nous n'hésitons |)as à croire vraie dans son (Misemble et même dans ses détails. Nous aurons occasion de revenir sur cet important document. Nous ne voulons pour le moment en extraire (ju'un [lassage fort cu- rieux. Nicolo Zeno rapportait qu'un vieux pètdieur frislandais, c'est-à-dire un insulaire des l'Y'roi.', avait vu dans l'ouest, vers l'nn 131)0, des pays riches et po|mleux (1). « Quatre navires d(;

Nico/o ed Antonio Zeno, to the Northern seas, in tlir A7.V Century, London, 1873.

^1) Edition Majoii, p. 1U-21. u Si partirono vciUisei anni f\ qiiattro iiavigli di piscatori, i quali, assaltali da una graiida furtuna, inuiti giurtii andaroiio, corne pur perduti per il marc, quando flnalmente raddolcitosi il tempo, scu- prirono una isola detta Estotilanda posta in ponente, lontano da Fiislandu piu di mille miglia, nclla quale si ruppe un dé'navigli, c soi uomini, clie n'crano si'i, fuiono presi da gli isolani, c condotti à una ciltà bcUissiiiia c niolto popolata, dovc il ite, che lo signoreggiava, fatti venir molti intcrpreti, non se trovo mai alcuno che sapesse la lingua di quelli pescalori, se non un Latino nella stessa isola pcr fortuna medesimamente capitato, il quale diman- dando lor la parle del He che cruno e di dove venivano, raccolse il tuttu, e lo riseri al Re, in quale intese tulle quesle cose, voile che si fermassero nel paese ; perche essi facendo il suo commendamento, per non si polur altro fare, sleltcro cinque anni nell isola cd appressero la lingua, e un di loro par- licolarmenle fu in diversi parti dell' isola, c narra che è ricchissiina ed abondantissima di tutti li béni del mondo, e che ë poco minrc di Islanda, ma più fertile, havendo nel mezzo un monte altissimo, dal quale nascouo quattro liumi, che la irrigano. Quelli che l'habitano son« ingeniosi, e haiino tulle le arti corne noi ; e credesi, che inaltri tempi havessero commercio con i nostri, perche dice di havcr veduli libri lalini nella libreria del Re, che non rengono hora da lor inlesi, hanno lingua, e lettera separate, e cavano metalli di ogni sorte, e sopra tutto abondano di oro, c le lor pratiche sono in Engru- neland, di dove traggono pelleceri, e zolfo, e pcgola ; ed verso astro narra che è un gran paese molto ricco d'oro c popolato ; seminano grano, c fanno la cervosa, che è una sorte di bevanda che usano i popoli scllentrionali, corne noi il vino, hanno boschi d'immensa grandezza, e fabricano à muraglia, c ci sono molle ciltà c castella. Fanno navigli e navigano, ma non hanno la calamità ne intendono col bossolo la tramontana ».

II!,-

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CHAC. Mil. l,KS IHLANhAlS KN AMKHKU K AVANT Col.nMII. :J8I

|M^'li('urs raisuiunt voile an courliuiit, lors(|irils l'iin'iit iissailtin par iiiic violente teiii|i(He (|iii tliira pliisietirs jours, et hireiit coiiiiiie perclus au milieu des Ilots. Au retour du lieau temps, ils dé((»uvrireiit une ile située à l'iMiesf et iiuuunée l<]stolilaiid. Ils se trouvaient alors à plus de mille milles du Frislaiid. L'ii des navires, monté par six liommes, fut [tris par les insulaires. On les conduisit dans une ville lort helle et hieii peu|(lée, Li' roi (|ui lu gouveriuiit manda plusieurs inlerprètes, mais aucun d'eux ne connaissait la langue de ces pécheurs, si ce n'est un Latin, arrivé dans cette ile par fortune de mer, (|ui leur demanda de la |)art du roi (|ui ils étaient et (Toù ils venaient, (Juand le roi l'ut informé de ce (|ui h's ri'gardail, il rés(dut de les retenir prisonniers. Les pécheurs se soumirent à sa volonté, puisipi'ils ne pouvaient autrement faire, et restèrent cimi ans dans ce pays, dont ils apprirent la langue. L'un d'eux visita à plusieurs rejtrises la région. Il raconta qu'cdie était riche, ahon- (lamment pourvue de tous les hiens du muiide et un peu plus petite (|ue l'Islande, mais [dus fertile. Au milieu se dresse une montagne fort élevée, d'où sortent quatre fleuves qui l'arrosent. Les habitants sont ingénieux <!t aussi avancés dans les arts (|ue les Krislanduis. Il est même probable (|u'ils avaient eu autrefois (les relations avec la Krislande, car le pécheur remarqua dans la bibliothèque du roi des livres latins qu'aucun d'eux ne com- prenait plus. Leur langue et leur alphabet diffèrent de ceux de la Krislande. Ils exploitent des mines et ont de l'or en abon- dance. Us ont des relations avec le (iroenland, d'où ils tirent des peaux, du soufre et de la poix. Vers le sud s'étend une im- mense région, riche encore et très p(!uplée. Ils cultivent des graines et font de la cervoise, qui est une sorte de bière en usage chez les peuples septentrionaux, comme le vin en Italie. Le pays est couvert de bois immenses, et ils en font des mu- raili Ils ont des villes et des chAteaux. Ils construisent des vaii'seaux et naviguent, mais ne connaissent pas l'usage de la pierre aimantée et ne se servent pas de la boussole pour se

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-2H-1 l'IlKMlKRK l'AHÏIE. LKS l'UKCIRSKlUS l»K COLOMII.

«lirifTcr vors le nord ». Après des aventures extraordinaires df»nt le récit trouvera sa jilace ailleurs, ic itéciieur Krislandais réussit à é(|ui|ier un navire à ses Trais et à revenir dans sa patrie, « il porta à son seigneur la nouvelle de la déromerte. de ce richissime pays (1) ».

(Juel est «1 ce riciiissinie [>ays »? Nous pensons (pi'il corres- pond exactement à l'Irland it Mikia, non seulement |)arce (pie ses habitants avaient cons(>rvé rhatiitu('e. connue an lem|»s de Hju'rn et de (îudhieif, de se défier des étrangers au point de les retenir prisoiuiiers, mais surtout parce (pi'ils jouissaient d'une civilisation très avancée, et, au dire du pécheur Krislan- «lais, observateur pourtant i)ien superficiel, send>laient avoir eu des relations avec les Kuropéens. Kn outre ils avaient une littérature, puisque leur roi possédait une hihliothècpie, et. sans trop forcer la vraisemblance, il est permis d'avancer cpie les livres latins qui se trouvaient dans cette bibliothè(pie pn»- venaient des Pa|)ae, qui les em|tortaient toujours soigneusement avec eux dans toutes leurs covu'ses. Sans doute ils ne compre- naient plus la langue latine, mais, depuis plusieurs siècles, ces Américîiins d'origine irlandai-;e n'avaient plus de prêtres Cormes dans les universités et les séminain's d'l<]urope. Il n'est pasjus(ju'au nom d'Estotiland ipii n'apporte une preuve nouvelle à cette identité probable de l'Irland it Mikla et (hi pays décou- vert par le pécheur Krislandais. On sait en elVet que l'Irlande pendant tout le moyen Age s'est ajtpelée Scocii» ou Scotland : et, si le premier éditeur de la relation de Zeni a mal lu son texte et imprimé Estotiland ou lieu de Esco''iland, il se pourrait que les Escocilaiulais descendissent ened'etdes colons irlandais d(»nt muis avons déjà raconté les courses et les établissements

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Il est vrai uue l>ien des années s'étaient écoulées deimis I

(ti K(l. Majoii, p. "li. « l'ortaiulo a qiiesld signor la nuova tiello scopri- ineiito ili quel pacsc riccliissiiiio ».

CHAI'. Vm. LKS IRLANDAIS KN AMKIUOI'K AVANT COI.OMU. :28l{

juin' <»ii. Hjn'ni et (îiidlilcif ('clianjrcaicnt leurs (•oin|)lim('Mls

j(is(|u'à r(''|»(»(|U(> Zono ('criviiit sa relation, et, dans cet

iiiter" aile (le quatre sif'-cles, nous ne trouvons rien ou prescjue

lien dans les doeunienfs eontein|)oi-ains qui nous perniefte

d'ariiriner ([ue I. s Irlandais d'I'lurope n'aient [las oubli»' leurs

l'rères d'Aniéri(jtie. Il n'en est |»as moins (n''s probaMe (pie

pins d'un marin V(»uluf visiter la . ontive (pii avait enrichi ui» si

i:ran(l nombre de braves compajîuons. Sans doute le ivcit de ces

vuyaf^es n'a pas (''t('' conserv('' dans l'Ii, ; -lire, mais ils ont

'fre ex(''cut(''s. Aussi bien n'est-ce |»as en admettant l'existence

le rirland it Mikia (pie nous pouvons e\pli(pier un tn'-s curieux

incinnent frallois dont pers(»nne n'a jamais coiilest»'' l'autlien-

ticiU' et (|ui nous parait s'appli(pier à c(>tte mystc'rietise n'^^ioii

iii|(tnis(''e depuis si ' 'Ufjtemps par les Irlandais.

Au xii" sii'cle (1), vers l'an 1 170, une dispute s'('leva, à propos (le la succession au fn'me, entre les tils d'Owen Guynetii, roi lie la partie septentrionale du pays de (îalles. Madoc, un de CCS princes, l'atigu('' et d(''}::oùt('' de ces discussions, se (b'-cida à (■'iiii^:rer pour chercher un s('jour plus tranquille. Il diri;,^ea sa course droit à l'ouest, en laissant rirlande (lerri(''re lui, et arriva (liiiis un pays inconnu (pii lui parut si agivable, qu'il retourna

1 1 1 David Powel, Caratlocs /listorij of Camhria irith a7inotatio?is, \a)i\- (Ircs, ir)8i ; léiiiiinessioii imi IG07 et 1714. <> Amio MCI^XX, Oweiio (îdyiielli (Icriiiieto, diiin filii iiiter su du i)i'inci|iiit(i coiiteiiihiiit, et iiuthiis aiiiiis siipc- l'ior illiiin ublinciet, Madocus umis t;x libuiis Oweiii (ïiiviiellii, discordianini riviliiim et jirœlioniin iiilcr fralres iioitirsds, coniparavit silti aliiiiiot navcs, rt idoiico coininealii aliisque rébus iinpositis, e patria profectiis ut uiivas liMTas iiivcstijçaret, ac reliita post tcrguiii lliberiiia, douce iucideiet iii terras aille iiicoguitas, ubi inulta niirandaque (diservavit. Iiidc ad patriain reversiis, (iainbi'is sui^ exponit qunm aiuanias et fecundas terras adiisset, sive ullis iiicolis, proclive esse ipsis et doincstica peiiciila vilarc et amœiiis liiscc alque recuiidis terris poliri. Quinii uou païu-is persuasisset, denuo navos plures sibi ciiiupuravit, ot ouinibus ucccssarii.s iiiipusitis iiuiginun u(nneruHi viroruiii pariter ac fcniinarum, quos doinesticarum calauiitatu(u trcdebal, secum iii illas terras adduxit, et patriie awv vale dixit >■. L'bistoire de Vi'adoc a l'ii! reprise, avec uu grand luxe dÏMiulitioii, par K. B. DE Costa, M;/rijriii)n Ar- '•hnioloijj/, Albaiiy, 1891.

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284 i'KEMlÈKK l'AKTIE.

LES l'REC.lHSElHS 1»E COLOM».

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dans sa patrie et raiticnji avec lui l'un noniltre de ses ((.ytisans, auxquels il persuada sans peine qu'il valait bien mieux éclianfjcr une froide et stérile contrée contre une région niagnilicpie, et les agitations de la guerre civile contre la tranquille possession d'un pays que personne ne disputerait. David Powel, l'Iiistorien des Gallois, qui nous a conservé ce curieux récit, n'est pas le seul dont le témoignage puisse être allégué en faveur de Madoc. Un barde, son conqiatriote , Meredith , fils de Rbest, men- tionne également la navigation de Madoc vers des terres inconnues (1). Or, ce Itarde vivait bien avant la découverte dv* Colond), à une époque on ne peut le soupçonner d'avoii- inveU'C cette histoire par amour-propre national et pour donner à son pays une gloire qui lui manquait. Knfm les triades galloises (2), (|ui paraissent avoir été transcrites au xil'" siècle, parlent également, à propos des pertes subies par l'ile de Bretagne, « de Magdawag ab Owain (iwyned, qui se mit en mer avec trois cents hommes embarqués sur dix navires, et qui arriva on ne sait » (3),

Cette tradition est-elle vraisemblable? A&surément oui. Les eûtes découpées de leur pays, les collines boisées qui descerident jusqu'à la mer, la vue continuelle de l'Océan, tout, jusqu'aux traditions de leurs ancêtres, ^)Oussait les Gallois aux lointaines entreprises. Us n'avaient oublié ni leur roi Arthur, ni la mysté- rieuse Avallon d'où il doit un jour revenir pour chasser les

(1) IIakllyt, The principal navigations, voiages, trafiques ot the En- (jlish nation, Loiidou, 160U, t. 111, p. 4.

Madoc wif, in wj'cddic wcdd, lawn gouaii, Owyn Gwyiiedds : N'y syiiinm dir, fy eiiaid dedd Nada iiiawr, oud y morocdu.

(2) DiEPEMtACii, Celtica, 11, 2, p 73, triade X. «... y trydydd Madawjç ab Owaiii Gwyiiedd, a actli ir mor a thrichannyn gydag cf mewu deg ilong, ac ni wyddis i ba le arthalt ».

(3) Mentionnons ù titre de curiosité qu'un des plus grands poètes anglais, Soutliey, a choisi Madoc comme héros d'un de ses poèmes : 1 vol. in-4, Edimbourg, 1805-1809.

CHAI'. VIII. LKS lUL.VNDAlS K.N AMKIUOIK AVANT COLOMH. 28?)

Saxons, et plus iVuu (iallois dut espérer qu'il rencontrerait cette terre tant désirée dans ses {grandes pèches sur l'océan. Les (Iallois en ed'et furent des premiers à p(»ursuivre la baleine au large des eûtes et à travers la tempête, (le fut même un honneur chez eux (pie de s'adonner à cette vie aventureuse. Leurs harponneurs, dans les listes de wehrgeld, sont estimés un quart en sus des autres hommes de la môme classe qu'eux (l). Dans ces courses hardies, emportés par la passion ou [)ar la <'iipidité, souvent ils (lé|tassaient les limites de leurs connaissances maritimes. Par- fois aussi, surpris par la tempête, ils étaient poussés vers des rivages inconnus, car, ne Tonhlions pas, la distance n'est pas fort longue jusqu'aux côtes américaines, et nous savons le.s étonnants voyages acc(»mplis par de simples harques. Ceux d'entre eux qui revinrent racontèrent les merveilles des pays (pi'ils avaient entrevus, et c'en fut assez pour exciter en toute la nation l'ardeur des aventures. Les chefs du [lays eux-mêmes s'en émurent, et l'un d'eux, plus hardi que les autres, tenta la fortune et s'expatria.

On a prétendu que le voyage de Madoc avait été inventé de toutes pièces, et que Powell et Ilakiuyt lavaient imaginé pour soutenir et légitimer les projets de Walter llaleigh ; mais les Anglais ne sont |)as coutumiers de pareils ménagements ; quand ils veulent s'étahlir dans un pays, ils ne recourent pas iVdes arguments d'érudition rétrospective, mais à la force brutale. La reine Elisabeth surtout, qui était en état de guerre ouverte avec l'Espagne, devait peu se soucier de ses droits à la posses- sion du Nouveau Monde, et, on peut l'affirmer hardiment. Jamais sou brillant capitaine, le fier Raleigh, ne songea à se poser comme l'héritier et le continuateur du (iallois Madoc. (j'était bien dans un pays vierge, et à la tête d'une expédition purement anglaise, (ju'il entendait créer en Amérique une nouvelle Angleterre. Si le bard« Mérédith, si l'historien Powel,

I 0 l.iNDENBROCK, Lcx Anf/Uca, V. 20.

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r.L'HSEURS DE COLOMB.

si le compositeur des Triades < raconté le voyage de Maduc. c'est (jue léelleinent le voyage lut exécuté, et que tout se passa comme le rapporte la tradition. Aussi nous faudra-t-il recon- naître avec liuinl)oIdt tout l'intérêt que présente cette traditii»n et nous dirons volontiers avec lui (1) : « Je ne partage aucune- ment le mépris avec lequel ces traditions nationales ont souvent été traitées. ' au contraire la ferme j)ersuasion (ju'avec un peu d'assidui 'écouverte de faits entièrement inconnus au-

jourd'hui édaiicra lieaucouj) de ces problèmes historiques ».

l'essayons maintenant de déterminer la contrée avait dél)ar(|ué le prince gallois, llakluvt prétendait la retrouver dans le Yucatan, et il en donnait comme preuve le grand noud)re de croix trouvées dans cette contrée par les Espagnols au XVI'" siècle, mais le culte de la croix était répandu dans tout<' r.\méri(|ue, et même dans une partie de l'ancien monde avant le christianisme : il ne prouve donc rien (2). llorn (Toit aussi à la réalité du voyage de Madoc, mais pense qu'il a déhanjuc en Virginie (3). Il s'appuie, pour le démontrer, sur des tradi- tions indigènes. 11 rappelle que les sauvages Virginiens rendaient houuuage à un certain Madeczunga ou Madinga, dont io nom |)résente en effet une certaine analogie avec celui de Madoc. Laët énumère avec complaisance une cinquantaine de mois en virginien et en gallois (^i). Ces ressemblances ont encore été signalées ]»ar Ulloa (5), mais la plupart d'entre elles nous semblent forcées, et c'est avec raison (|ue Uobertson les tourne

(1) lIcMii ii.DT, lli.'itoil'c de la i/i'or/rap/iic ihi Noui'Pnu Cuntinc?il, t, III, p. 140.

(2) li.xBKiKi, DE MoHTii.LET, Ir Sit/iic flc 1(1 Croix avant le christianisme, passiin.

{',]} Hors, De origini/jus Aincriranis, p. 136. < Habeinus Mad.izuiigaiii et .Miidiiijçam qui, ciir MaJoc Cainbreiisi.s esse neqiieat, qiieni in cas partes delatiiin domcstica cvincuiit nioiiuineiila, ratio iiiilla reddi |)otcst ».

(■i) 1^.\ET, Nota' a<l dissertationem Hugonis Grotii, p, 140-152.

(il) Uli.oa, Mémoires p/ii/osophiques sur la découverte de l'Amérique, traduction de Villebruiie, t. H, p. 48 i, 48.').

CHAI'. VIII. l.KS IHLA.MIAIS K.\ AMKHKJIK AVANT (OLdMll. :2HT

•Ml ritliriilc y\). Dovoiis-iious en cU'ot CDUcliin' ;i lidentitt' iWs (îalliiis L't lU's Vii'},Miii('iis, parce qui' ces dcriiicrs, au temps de l{;ileij:li, se servait ilu salut gallois luxi lions loch, ou hieii appelaient le pingouin jinif/iihi, le pain hara, Wvui' iri/, la mère nifini, le jtère Iiid, un tuyau de plume en/,.'/', un renani cli/tiii//, de l'eau lilanrlie t/wo» di/r, un ne/ Iriri/ii, le ciel iit;ti/\ efc? On hieii ces ressend)laiu'es sont accidentelles, ou liien ces m<»ts n'auront été introduits (pi'à une époque toute moderne. A vrai dire les exigences de la science contemporaine répugnent absolument à un pareil genre de preuves.

On a encore signalé sur d'autres points de l'Amérique de prétendues traces de la langue galloise. Ainsi TorrèsCaicedo (2) rap|>orte (jue la langue Tuneiia, parlée par les Indiens deTierra .\dieutro, dans la province de Tunja, au nord de la Nouvelle- (rrenade, altonde en mots gallois (jui y sont usités depuis fort longtemps. « Le capitaine Abraham, lisons-nous dans riiistoire (lu Kentucky de Filson (3), homme sur la véracité duqu(>l on peut (Hiinpter, a assuré à l'auteur que, dans la dernière guerre, étant ;vcc sa compagnie à Kaskaskuy, il y vint (pielques Indiens qui. parlant la langue galloise, furent parfaitement entendus de deux (îallois cpii étaient avec lui, et ([u'ils leui- parlèrent d'une manière [tarfaitement conforme à ce (|u'en rapportent les habitants de l'ouest ». Ce témoignage n'est pas le seul (4). L ii ministre méthodiste, Heatty, (Jallois de naissance, fut un jour surpris dans la Caroline par un parti de sauvages (jui s'ap|iré- taient à le tuer, lorscju'il se reconniianda à Uieu tout haut <lans ha langue. AussitiH les siuivages, étonnés (ju'il parlât comme (MX, le délièrent et le conduisirent dans leur village, à (ju -Icpies

(1) UoMKursoN, The history uf Aineric-i, éilit. 1*77, t. I, p. 4:i7.

(2) ToiiUKsCAïcEOd.c.ité par José I'krez \l\evue américaine,"!" s,(iv\c,\). i6«i. et) Jitii.N l"'ir.so\, Histoire de Kentucicr, nouvelle rnlonif à l'ouest de In

Virginie 'liiuluction Parraud).

( tl l^ïi KiivuE DE Vii.i.EiinuNE, Méntoircs à la suite de la traduction de.'' Mémoires /iliilosop/iiifues d'i'lloa, L II, p. 484.

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:288 PHKMIKRK l'AHTIK. LKS l'HKClHSKIMS 1»K ('.OLOMH.

jours (lo m;ii"('li(\ « Il y vit une peuplade toute galloise, se conservait encore la tradition du |)assag(« de Madoc. Ou le conduisit ensuite à l'oratoire, on lui mit en main un rouleau de peau dans lecpiel était soifineusement conservé un manuscrit de l.i Hiltle en langue galloise ». IJealty revint à Londres, et puMia cet événement dans un petit ouvrage intitidé Jininud of tint inontha. On cite encore l'aventure d'un certain Sntfon (jui eut également l'occasion de connaître cette peuplade sauvage (1); celle de 'Morgan Jones, (|ui, fait prisonnier par les Doggs et Tuscaroras de Virginie, en 108'J, fut épargné par eux parce qu'il parlait leur langue (2). « Us nous traitèrent avec alfahilité pendant quatre mois, racontait ce Morgan, je parlai avec eux de nombreuses choses en langue bretonne, et je leur fis trois pèches par semaine. Ils se faisaient un plaisir (le me communiquer leurs affaires les plus difficultucuses, et, quand nous les quittAmes, ils agirent à notre égard avec heaucouj) de civilité ». Il ne faudrait certes pas ajouter une confiances trop absolue à ces témoignages, dont (|uelques-uns ont été peut-être inventés après coup et dont l'origine est à tout le moins suspecte; au moins démontrt'nt-ils (jue la tradition du voyage de Madoc ne s'est jamais perdue, même en Amérique.

Aussi bien ce n'est ni dans le Yucatan, ni en Virginie ou en Caroline, ni dans le Kentucky ou la Nouvelle-Grenade qu'il nous faut chercher l'emplacement de la colonie galloise conduite par Madoc : c'est en Irland itMikla. Les Irlandais et les Gallois sont en effet de même race. Ils ont toujours eu des relations suivies. Ainsi que le prouvent les légendes païennes et chrétiennes dont nous avons donné l'analyse, les Gallois croyaient, aussi bien (pie les Irlandais, à l'existence d'iles et de continents au delà de l'Atlantiijue. Malgré les précautions prises par les

(Il Lekebvre de Vn.LEBRUJiE, lov. cit., p. 483.

iy.) OwKN, Hecueil il'antiquitds hretonnes, Londres, 1877, p. 103.

ClIAP. VIII. LE3 IRLANDAIS EN AMÉRIQUE AVANT COLOMB. 289

Irlandais pour cacher leurs dôcouvertes maritimes, il est impos- sible que de vagues rumeurs ne les aient pas fait connaître, surtout |)ar leurs voisins des (lallois. Lorsque Madoc forma le projet d'émigrer, ce n'est pas au hasard qu'il s'aventurait sur r<»<;éan. H connaissait l'existence de l'Irland it Mikia, et c'est lie propos délibéré (ju'il se dirigeait sur cette terre, il était à l'avance assuré de trouver des frères d'origine, et par conséquent un bon accueil

Il ne nous reste plus qu'à déternMiier l'emplacement de cette Irland it MikIa, de ce champ d'asile du moyen Age, se réfu- ;,^ièrent successivement les Irlandais chassés de leurs possessions maritimes par les Northmans et les Gallois en quête d'aventures.

La plupart des savants se sont contentés de reprodrire une ctssertioii de Rafn, cpii plaçait l'Irland it MikIa dans ai partie méridionale des Etats-Unis. Rafn s(> fondait sur une vague traditions des Indiens Savannahs, d'après laquelle la Floride aurait été autrefois habitée par des hommes de race blanche, en possession d'outils de fer. Il alléguait encore de prétendues aiialo ats de langage et des traces persistantes du christianisme en Floride; mais Beauvois a démontré, (1) par uuv. étude attentive des textes et une rigoureuse argumentation, (|ue la véritable position de llrland it Mikla doit être reportée beaucouf) plus au nord, soit dans l'île de Terre-Neuve, soit sur la rive méridionale du Saint- Laurent. Il résulte en effet de divers passages de Sagas que l'Irland it Mikla était située entre le Helluland et le Vinland. Or, le llelluland correspondant au Labrador, comme nous essaierons de le prouver à propos des voyages des Northmans en Améri(|ue, et le Vinland aux Etats (le New-York, Rhode-Island et Massachusetts, l'Irland it Mikla ou Hvitramannaland se trouve entre ces deux contrées, c'est-à- (liiv qu'il occupe la rive méridionale du Saint-Laurent et les ik's qui ferment le golfe.

fl) Beauvois, Découverte </u ^^ouvenii Monde par les Irlandais, etc., p.

82-86.

T. I. 19

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200 PRKMlftHK l'ARÏIK. LES 1'RK(U'RSErRS DE COLOMB.

L'autlu'iiticitô (le ceth; iiouvcllo tlu'oric est <'onnrnié(; par des notions trrs précises sur les traces persistantes du christianisnie dans cette réirion, que recueillirent quehpies missionnaires français au Canada. 1/un de ces missionnaires, un récollet, le père le Cler(|, était resté douze ans au Canada, de Ki'.'i à ItiS". et particidièrement en (laspésie, e'est-à-dire dans la région qui correspond à Tancien llvitramannaland . Fort surpris de- trouver le culte de la croix élahli chez les sauva|,'çs (ju'iî était chargé d'évangéliser, il étudia leurs mœurs et leurs traditions, et, de retour en France, consigna ses ohservations dans un ouvrage aujourd'hui fort rare, et dont voici le titre exact : NuHvi'lb; rdatinn di; la Gasj)<''s'n\ qn'i conflful las nnfiirs l'i lu rclif/ion dfs sauvages Gasprsiens, J*orle-Cro'i.r, adorateurs du soleil, et d'autres peuples de VAmér'ique septentrionale, d'ttr Canada, i vol. in-li2, Paris, Amahle Auhry, 1091. « Le culte ancien et l'usage religieux de la croix, écrit le récollet, qu'<iii admire encore aujourd'hui parmi ces sauvages, pourraient hieii nous persuader (pie ces peuples ont reçu autrefois la connais- sance de l'Evangile et du christianisme, (|ui s'est enlhi |»enlii parla négligence et le lihertinage de leurs ancêtres » (1)... " ll-^ ont, titut inlidèles (|u'ils soient, la croix en grande vénération ; ils la portent ligurée sur leurs hahits et sur leur chair ; ils l;i tiennent à la main dans tous leurs voyages, soit par mer, suif par terre, et enfin ils la posent au dedans et au dehors de leur* cabanes, comme la manjue d'honneur qui les distingue <lcs autres tribus du Canada » ["1). Le père Le Cler([ chercha à connaître l'origine de ce culte, et les anciens de la trihn lui racontèrent que leurs ancêtres allaient mourir de faim, <■< lors(|iii' leur apparut un beau jeune honnne porteur d'une croix, (|iii leur ordituna d'adorer cet instrument de salut. Ils obéirent et furent sauvés. Dès ce jour ils conser- ont pour ce signe sai r<^ la vénération la plus profonde ».

(1) Bkauvois, Lm l'orte-Croir il: hi Gaspésie rt fie t.icadic (Annales ilr philosophie chiéticmic, avril 1877). i2i I.K Ci.ERc^, ouv. cité, p. 40-41, 16».

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Coiniiic le père Le Clei'(| cninposait son livre à la liii du Wi!'' siècle, Mil pourrait olijeeter cpie les iii(liî,'èiies (pi'il s'étonnail <le trouver prescpie chrétiens avaient peut-être été évangélisés par les premiers Kiinipéens (pii ahordérent dans la contrée au \vi'' siècle ; mais ces Kuntpéens avaient eux-mêmes été frappés par les nomltreux vestifres de christianisme (pi'ils avaient rencontrés. En l'JHi voyant Jac(pies (^artier planter une croix sur le littoral, les indigènes lui avaient indicpié |)ar sipnes ipi'il s'en trouvait de seud)lal)les sur tout leui' territoire (1). Au temps de Jean Alphonse fl.'iil), leur lan;;ne renfermait encore lteaucou|) de mots latins ('1\ . Kii Uti)'! (Ihaniplain trouvait dans la haie de Fundy une croix de hois couverte de mousse et [tresque pourrie (3) ; et lesi ndiffènes du voisinage non seulement faisaient le signe de la croix à tout pn»|>os, mais encore la portaient sur leurs vêtements et (tans leurs cahanes. Aussi Lescarhot, riiistorieu de la Nouvelle-France (i), n'Iiésitait-il pas à écrire que <c ces peujdes sont venus de quelque race de j;ens (|ui avaient été instruits en la loi de Dieu ».

Il serait facile de multiplier les preuves : mais ne sont-elles pas déjà suffisantes pour permettre d'affirmer que, dans le pays qui nous parait correspondre à l'Irland it Mikia, les indigènes avaient conservé, jusqu'à la lîu de xvii'" siècle, le souvenir inconscient mais persistant de leur origine européenne ?

En résumé, la tradition est d'accord avec l'histoire pour démontrer l'existence en Amérique, plusieurs siècles avant Colomh, d'une colonie fondée par des Irlandais.

(1) Relation du voyage de Cartier au Canada en l,i3i, édition Micliclaiit et Ramé, p 40-41. <• Et icelle croix plaiitasmes sur ladite ponicte devant eux.., ft nous fît une grande liarangue nous montrant ladite croix et faisant le signe de la croix avec deux doycts, et puis nous nionstroit la terre tout autour de nous ».

(2) Jeax Alphonse, manuscrit de 1542 : « Les gens parlent beaucoup de mots qui approchent du latin ».

(,3) Les Voyages du sieur de Champlain, édition Laverdière.

(4) Lkscarkot, Histoire de la Nvuiellc-Fram-e, édition Tross, t. I, p. 22,

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CHAPITUE IX

LES NORTIIMANS EN AMMRlQUK. -- \.K VINLAND lîT I,A

NOIIOMBHGA.

Do tous les peuples de l'Kurope, il n'eu est aucun, au moyeii- A}fo, dont les expéditions aventureuses se soient étemlues à autant de pays (pie les Northniaiis. La nier fut [lour eux l'élé- uient par ex('ellence. Elle entourait leur |»ays de toutes parts, elle oreusait sur leurs côtes de noudtreux fiords ipii pénétraient fort avant dans l'intérieur des terres, et l)iU}j;naient les sapins de leur t'orcHs. La stérilité du sol, la fré([uence des famines, la difflcidtédesconuinniications excitaient leurs instincts vagabonds. Lii religion elle-même et surtout leur caractère national les poussaient vers l'Océan. Pour (;ux la pire des injures était d'être appelé casanier. Aussi, par nécessité autant cpie par passion, les Norfhmans tournèrent-ils de honne heure leur activité vers la mer, et c'est sur la mer cpie se développa, exalté par l'ému- lation, l'héroïsme des fortes races du nord.

Tacite avait déjà remarqué que les Northmans d'alors, ceux (pi'il ap|ielle Suiones, étaient redoutables par leurs flottes (1). Les sauvages habitants de la Scandinavie continuèrent les exploits de leurs ancêtres, et lirent de l'Océan comme leur domaine. Leurs vaisseaux étaient solides et bien pontés. Ils avaient c(»nservé la forme déjà observée par l'historien romain :

(I) Tacitk, Gurmnnic, S XLIV. » Suioiium liiiic civitates, ipso in Oceaiio, prictcr viros armaque, classibiis valent ".

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r.llAPlTHE IX. I.KS NOHTIIMANS K.N AMKHKJI K.

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« leurs vaisseaux did'èrent des iiùfres eu fe (|U(^ les deux extré- mités se terminent eu |intue. et (|u'ils se |»résenteut dans uik' direction eoinuinde pour toucher au rivasre » (1), c'est-à-dire (ju'ils pouvaient éj;a!euH'nt s'einharquer d'un c(^té ou de l'autre, et tenter ou repousser un aborda^re soit par l'avant, soit par l'arrière. Les cliefs teinaieut à en avoir de jfrainle.-^ tlitnensions. Le hwf/Srrixnil d'Olal" Tryf^^vason avait trente-deux raufis de rauuis et portait cpiatre-vin^'t-dix liouunes, le Dmw-I truffons d"Ulaf-le-Saiut pouvait porter deux cents honnues. Des lifrure» d'animaux t'antasticpies se dressaient sur la proue, et, (piand ces monstres paraissaient]sur les cAtes, les clu'onicpieurs du moyen- .'^f,'i! rapportent (|u'on croyait voir c une troupe de hêtes sauvages au milieu d'une forêt •> {"1). Les îs'orthmans nianiaient liahile- ment ces vaisseaux ; ils savaient profiter des variations de l'at- mosphère, et prévoir les chaufïenients trop hruscjues (3). Ils étaient donc aussi bons matelots (pi'intrépides soldats, et mieux préparés (|ue tout autre peuple aux lointaines entreprises.

La fausse interprétation d'un texte, ou plutôt lu maladroite interpolation d'un copiste a été la cause d'une singulière erreur relative à la date des premières entreprises des Northnians dans la direction de l'Américjue. Le pape tirégoire IV, lorsqu'il inves- tit le fameux Anscharius du ncmveau titre d'archevêque de Hambourg (831), énumera, dans la bulle d'investiture (4), les

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(1) Id. « Forma iiaviiim eo differt quod, iitrinque, prora parntam sempci nppiiisui frontein agit ».

(2) Depping, Histoire des expéditions maritimes des Normands et de leurs expéditions en France au siècle, p. 42-45. Jal, Archéologie navale, p. 131, 132, 139, 144.

(3) FoHSTKR, Hisioire des découvertes et des voyages faits dans le Nord (Irad. Broussonnel), t. 1, p. 127-129.

(4) RvDBRHO, Traités de la Suède (1877), p. 6, 7. « Ipsumquc flliuni iiostrum, jamdictuin Ânsgarium et succcssnrcs ejus, legatos in omnibus circumquaquc gentibus Danorum, Suenonuni, Norvegorum, Farrie, Gronlan- dam, Halsingolandam, Islandam, Scridevindum, Slavornm, nec non omnium scptciitrionalium et oricntalium natioiium, quocumquc nomine nominatarum^ dclcgamus ».

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p('ii|)l(!s i'i la roiivrrsioii iI(>si|iii>Ih «levait travailler le saint : » Nous (iélé};iii)iis in»tre lils le dit Aiisrliariiis et ses successeurs comme léf;at chez foutes les nations des Danois, des Suédois, des .Norvéffieus, des l-Vro-yens, du(iroenland, du llelsin^'aland, de l'Islande, des liapoiis, des Slaves, ainsi (\\u\ de tous les pays H(!|iteutrionau\ et orientaux de (|U(^l(|ue nom «ju'ils soient apfte-

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Dans la pluitart ties exeuudaires du décret par leciuel

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r*!m|>ereur Tjouis le Débonnaire r<!Cotuuit le nouvel arclievttché ( 1 ) (l.'i mars H:ti), il est également dit : « Nous notilions aux lils de la sainte K);lise, |>résents ou futurs, que de nos jours, par la grAce d«' Dieu et à la laveiu' des prédications et des con«|uétes de l'Kvanfjile, une lar^fc porte s'est ouverte dans les pays sep- tentrionaux, à savoir chez les peujtles Danois, Suédois, Norvé- giens, dans les Férot^, (Iroenland, Islande et clie/ les Lapons ». Des passages anal(»gu(^s se trouvent daiis les huiles de Nico- las I" (8:JH ou 8t)i) (-2), et de Jean X {'M)) (3). Kst-ce donc «pie l(! (iroenland a été ajouté après coup, |»eut-étre lors«pie l«!s suc- cesseurs d'Ansclia'"!' à l'archevêché de llamhourg voulurent se donner desdroit;- sur ce lointain pays? Saint llaudiert en ell'ef, le su<;c,esseur inunédiat d'Anschaire (;t son historien, disait en parlant de son ohédience cprelle s'étendait sur les Sué<lois, les Danois, les Slaves ett(»ns les peuples du Nord, mais il ne citait pas (Iroeidand (i). Adam de Hrôme nommait également à ce |»ropos Suédois, Danois, Slaves, et il ajoutait, et tous les peu-

(1) Les Grocnlnnik ftuloriski' Minilcs moerker (l , 12, 15), citent le Coi/r.r Vdalrici llabenbcrgensU : « Aquiloiiilm» in |iarlil)us, iii };eiitibiis vidclicit Danornin, Gronltindnn, Islamlos et omiiiuui scpteiilrionaliiim iialionnni ». Codex Vicelini : « Siieiionimi, Norweoium, Karriii. (Ironlamlaui, IslaiDiaiii, Scridevindam ». Codex Lindenbrog : « Norlwcgorum, Kaniai, Gronlnii- flon, llalsin^ulanduii, Islandoii, Scridcviiidon >'.

(2) Rydbeiio, ouv. cité, I, |t. 23, 2(>. (.'{) Id., ouv, cité, I, p. 32.

(4) L.VNCKBKCK, Scriptorrs rrriim Dankanim (1772-1776), t. I. ji. iSI : u Constitutiiiii legatuui circuniqiiaqne gciitibus Sucnoniim, sivc Daiioniiii. nec non etiani Slavonini, aliarumque in Aquilonis partil)us gcnliuiii consti- tutaruni ».

CIIAIMTHK I\. LES NOHTIIMANS EN AVKniQI'K,

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|»lt's voisins, iiiuIh sans niciitiuiitior les (îrornliiidiiis I). D'ail- li>iirs les passages citos plus haut iinuiincnt l«> lirnciilaii<l <• lui nom punMiK'iit soandinavf, du norn nii^nic qui lui l'ut donné par iM'ik Hauda, scuicnicnt à la lin du \" siètlf. iW n'est en elVet <pie par les Nortiunaus, et assez tard, (pie la (lurie romaine eut

onnaissance du (îroerdand et elierclia à le plaeer sous la Juri- diction de l'areiievi^que de llamltourg. Les textes que nous avons

ités sont d'ailleurs conlredils [tar d'autres textes, (pii, dans l'éiui- mération des pays du Nord, omettent le tiroenland. La l)iMle d'investiture de l'arclievtVlié de llamlioiu'f; et le capitulaire de Louis le Délionnaire, les documents les plus sérietix (pi'ftn puiss»- alléjfiier, sont contredits et réfutés par des textes p!us anci(>ns, ipii |)araiss(>ut plus autlienticpies, et le nom d(! (iroenland ne lifiure pas (2), (ïe n'est donc |)as au ix" siècle, nuiis seulement au \'', connue nous le démontrerons, ipie l'ut découverte cette terre américaine, et, par consé<juent, les Xorthmans ne c(»m- mencèrent pas dès le règne du lils de (îliarlemagne leurs auda- cieuses expéditions dans les mers du Nord.

Aussi bien on sait à ne pas en d(tuter(pie c'est surtout à la lin du neuvième siècle, |ieu de temps avant rintroducliou du chris- tianisme dans Ui nord de TlCurope, lorscpie triompha dans la péninsule Scandinave le grand mouvement d(! concentration monarchi(pie opéré par llarald Ilaarl'ager (KC-OUI}), (pie l'ex- pansion des races du Nord fut lu plus coiisidérahle (iJ). Dans

Il AiiAM i)K Hitt-MK, De situ Daiiix. << Aliis coiijaccnlibus iii circuilu |io|)iilis ».

1^2) l'iiiLii'i'K G(*:sAR, Triapostutatus Septentriotiis, vila l't (icsfa S. S. Vil- lefiadi, S. Ansynrii, N. liembcrti (Cologne, IGlti), cIomik; le texte suivant pour la bulle d'investiture : « Jani dictuni Ansgariuni, legatuni in omnibus rircum(]uaquc gentibus Sucnoruni, sive Danoruni, ncc iiuii ctiarn Slavorurn », et pour le ciipitulaire de Louis le Débonnaire : u Id circo sanctic Dei ecclc- siœ flliis, prifiscntibus scilicel et fuluris, ccrtum esse volunius, qualiler divina ordinante gracia, nostris in dicbus, aquilonalibus in ]iartibus, in gente vidu- licct t)anoruni, sivc Sucnonum, magnum cœlcstis gratin prœdicationis sive acquisitionis patcfccit ostium ».

(3) (jEFKitOY, Histoire des Etats Scandinaves. Id., {'Islande avant le '•liristianismpy p. 13.

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i96 PREMIÈRR PAKTIE. LKS l'RKOUHSEURS DE COLOMB.

l'espoir do se soustraire à la domination exclusive d'un roi par- tout vain(|ueur, les Northmans se dispersèrent dans toutes les directions, et se lancèrent dans les expéditions les plus loin- taines et les découvertes les plus inattendues. Les uns pillent l'Angleterre, l'Irlande et l'Espagne. Les autres ruinent la France et s'établissent dans une de ses plus riches provinces (1). Ceux- ci pénétrent jus{iue dans la Méditerranée, ceux-là, comme Other et Wulfstan, dont le roi Alfred nous a conservé les relations (2), entrent dans la mer Blanche, remontent par la Dwina et arri- vent par la Volga jusqu'à la Caspienne, tandis que leurs com- pagnons fondent Novogorod, s'emparent de Kiew et assiègent Gonstantinople (3). Ils vont même jusqu'au Pirée inscrire leurs caractères runiques jusque sur les flancs d'un des lions qui ornent aujourd'hui l'arsenal de Venise (4). Vers le nord-ouest enfin, poussés par le hasard, mais prédestinés à de grandes choses, ils rencontrent des terres nouvelles, et peuplent des iles ou des continents inconnus ; car il semble que, dans ces régions de l'extrôme Occident, animés d'un esprit plus pacifique, ils aient voulu réparer les pertes causées ailleurs par leurs fureurs.

Dans la direction du nord-ouest, la pèche et le commerce, <|u'ils mêlaient volontiers à la piraterie, furent les principales causes de leurs découvertes. Les mers du nord sont poisson- neuses : on y trouvait des morses, des baleines et des morues. Gomme les Northmans se livraient à cette poche avec ardeur, à la fois par plaisir et par intérêt, ils rencontrèrent, les unes après les autres, toutes les îles qui s'étendent entre la côte Scan- dinave et la côte Américaine. Ces îles devinrent entre leurs mains comme autant de stations intermédiaires, ainsi que Carthage servit jadis aux Phéniciens pour atteindre Gadès et (îadès les îles de l'Atlantique, L'histoire de ces expéditions

(1) Depping, ouv. cité.

(2) Langebeck, Scriptores renim Danicarum medii svi, t. II.

(3) Rambaud, Histoire de Russie.

\*) Rafn, Inscription Runique du Pirée.

CHAPITRE IX. LKS NoFrrilMANS KN AMÉHIOI'K.

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occidentales avait été longtemps néffligée. Elle fut, pour lu première fois, exposée d'une manière scientifique par (m érudit Islandais, Thormod Torfesen (l(t3()-171î)), qui s'appli(|ua toute sa vie à débrouiller les anticjuités du Nord, encore si peu étudiées, et obtint, à l'aide des Sajfas et autres écrits à peu près inconnus, les résultats les [)lus remar([uab!es. Mais ses deux principaux ou- vrages, YH'istiùve. du Viuland (l) et VHisto'nr du (iraunland ["1), écrits avec lourdeur et peu lus, furent bientôt oubliés, C'est seulement de nos jours que les descendants des ()irates North- nians se firent un titre de gloire des exploits de leurs ancêtres, et recherchèrent pieusement le souvenir et la trace de leurs lointaines expéditions. Le professeur Karl Hafn fut le principal auteur de ce mouvement national. Son ouvrage sur WsA)it}(iiiitcs Ainrricaiui's [',i) fit époque dans la science. Non seulement ses compatriotes le lurent avec plaisir, mais encore, à cause de la nouveauté de ses aperçus et de la richesse de ses documents, il fut traduit, paraphrase ou conmienté à peu près dans toutes les langues de l'Europe (4). Rafn lui même comp(»sa un résumé

(1) flistoria V'nilandix nntiqii.r, .<eif parfis Ameriae septetttriondiix ubi nottiijiis ratio recensetitr, siiiis terr.v ex dieriiin ôrumalium fipatio expenditur, soii fertiiitas et incolartim fjarharie.i, peregrinnrum tempo- ravius incolatiis et gesfa. vicinarum terrarum nomina et faciès ex auti- HUitatibus hlandicis in lucem producta expommtur. HaArii.'j. no.j.

(2) Gronlandia antiqun sen veteris Gronlandi/e de.icriptio, ii/ji cœli marisqiie natura, ter>;r, loe.orum et villnrum sitiis, animalium terrestrium (iquatiliumque varia f/enera, (jentis origo et incrementa, status politieuît pt ecdesiasticus, ge.sta memoraf)ilia et vicissitudine.i, ex antiqiii^i me- moriis, prsecipue Isl tndicis, qiia fieri potuerit indttstrio, collecta expo- nitntur. Haviiiae, 170 i.

(i) Bafn, Antiquitates Amertcan.v, sive saiptores septentrionales reruui ante. Columbianarum in America Hafiiiao, 1837.

4) D. Bliidingii, Ontdeckinq van Amerika en herhanlde Zeereizen devmats, in de X, A7, M[\ Xll, XIV, Lu Haye, 1838. Hettkma, Onldecking van America in de 10» eeuw. Leeuwarden, 1838. Sjooren, Saiiit- Pétcrbourg, 1839. Graiierg de HEMSO,McHi«W« sulla scoperta delV America net lecolo decimo. Pise, 1839. Chdadano de Venezuela, Memoria sobre l'I descitttrimiento de la A merica en el sigln'derimo, Caracas , 1 839. J . Tol'l.mi.v Smith, The Northmen in New-England, or Amerika in the tenth Centurtj

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•lUH l'HEMIKHK l'AHTlK.

Lies l'UKf.l IISKIHS 1)K COLOMH

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lie son ouvi*a}i;(% «ju'il [»ul)liîi «laiis los Mrnio'nrs de la Sorh'tr di's AntHinnircs du Nord (l). (jt'ttc s(»('i(''t('' rorma une coiii- iiiission spéciale pour rétiulc des inoiiunients Scandinaves de l'AnuTique. lliontôt en eHef turent [ndiliées par elle les Sauras Islandaises (pji n'avaient été données par llat'n qu'à l'état de fragments ("1). Dés ce moment les anticpiités du Nord furent sérieusement étudiées, et bon nond)re d'ouvrafîes de grande importance ont paru (3). Nous aurons occasion de les citer : il nous suffira de nommer parmi les auteurs, auxquels nous sommes redevables des plus importants de ces travaux, en Scandinavie Rafn et Finn Mafrnusen, en France Heauvois (i)

Boston, 183!). - Uehnaiidino Hiondkm.i, Scopprta deU'Amerikn f'ittta wl srcolo X du nlctmi Sanidmiri, Milano, 1839.— Josk Pid.m., So/ji-e ri. descv- hrinùento de America en In siylo X por los Escfiudinavon. Ffurkira LagOS, Meuioria .fohrc o deacohrimento du AmcrUia no seeulo drrhno, Hio de Janeiro, 1840. LuDi.ow Bkamish, The tlisroveri/ of America by t/tr Northmnn in tlie tentk centiiri/ with notiers o/ tlie carlij scttletnents of the Irixh in the Western Hemisp/iere, Londres, 18U. .Michki, Toth, Ertekézes Amerika felfiidoz. Tctcserol a tizc/irk azazadhan, l'estli, 1842. W. vox Si.NsnEHi, Island, Uritranimudand^ (ininland und VinUind, oder der Nornuinner Leben niif Islniid. und Griinltind, nnd deren F(dirten naeh America schon iiber 500 Jahre ror Colutnbu.s, Ueidelberg, 1842. A.ioEKso.N, America not dincovered bi/ Colitinbiis. A Ui-itorical Sketch of the discocery of America by the Nor^emen, Londres, 18"4.

(il Uakn, Mémoire sur la découverte de t Amérique au s/w/e (Sociéti' des Anlii|uaircs du Nord), 1838. édition, 1843. CI". Recueil des rommunicationn faites à la Société d"s Antiijuuires du Nord au sujet de ta publication de liafn, 1843.

(2l Le premier volume (1813) contenait les Schedx de Islandia par Are Thorgilsson surnommé Frode, et le Landnûmûbock ou Liber origijium Islandi.e ; le second les Snyas d'f Kialarnessthiny et de Thveearatin, etc.

(3) Nous citerons particulièrement Hakn et Ki in Mahmsse.n, Grœnlands, historiske mindes moerker, udyione of det kenejeliye nordiske oldskrift, Sciskak, r.openliague, 1838-1845, et P. -A. .MiNcii, Det norske Folks Historié, Christiania, 1853.

(4) Beau vois. Découvertes des Scandituives en Amérique du x* au xin* siècle, 1850. La Découverte du Nouveau Monde par les Irlandais et les premières traces du christianisme en Amérique avant l'an mil (Congres Américaniste de Nancy, 1875. Les Colonies européennes du Markland et de l'Escociland au xiv» siècle, et les vestiges qui en subsis-

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C.llAPlïHE IX.

LKS NdHTIlMANS EN AMKHIQl E

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et (iravier (l), aux Etats-Unis Khen Norton llorsforil (i), li. F. de Costa (3) et Marie lîrown i). llràce aux savants, dont nous venons de résunner les intéressantes études, on sait aujourd'Imi que les Orcades, les Slietland et les Hébrides furent tout d'abord reconnues et conquises par les Nortbmans. Us en exterminèrent les indigènes (5) et firent de ces archipels stériles et montagneux, mais pourvus d'excellents ports, de vrais re[>aires de pirates. L'île de Man et l'Irlande furent ensuite occupées. T/ile de Man devait même jusqu'au xT siècle (0) rester sous l'autorité spirituelle de l'archevêque de Nidaros (Drontheim), et la domination Norvégienne se maintiendra à Limerick et à Waterford jusqu'à l'invasion d'Henri 11 PlantagenêtC^).

Dès l'année 72o les Northmans arrivèrent aux Féroë, et en exterminèrent les rares habitants (8). Ces ibîs servaient de retraite à des milliers d'oiseaux et nourrissaient des troupeaux

U'vent jusqu'aux xvi» et xyu" sii'clc (Congrès Ainéricanisle de Luxenibourj,', 1877). Les Porte-Croix de la Gaspésie et de PAcadic (Annales de plii- loso|)hio cliiéliennc;, 1877. Origines et fond(dion du plus ancien évéclii; du Nouveau Monde (Mémoires de la Société de Ueaune, 1878i. Les Skriieclings, ancêtres des Esquimaux (Itevue Orientale et Américaine), 187'J. La Norambégue (Congrès Américaniste de Bruxelles), 187!). La Vendetta dans le Nouveau Monde au siècle (Muséon de Couvain), 1882.

it) Ghavieh, Découverte de l'Amérique par les Normands au siècle, 1874. Les Norma?ids sur la route des Indes (.\cadémie de Uonen, 1880).

(i) Ebex Nohton Hohsfohd, Jolin Cahots La?id''all in 1407 and thc site of Norutnbega, Cambridge, 188(>. Discovery of America bg North- men, Boston, 1888. The problem oftUe Northmen, Cambridge, 188D.

|3i B.-F DE Costa, Découverte de l'Amérique avant C. Colomb par les hommes du Nord, ouvrage traduit des Sagas de l'Islande, Londres, 1869. .Mémoire sur le même sujet dans le Bulletin de la Société de géographie de New- York (t. II, 1868-1870).

(4) Mahie Bbown, The Icelandic Discoverers of America, 1888.

(5; Adam, Historia ecclesiastica. (édit. 1595), p. 140. - Bahry, Histori/ of the Orkney Islands (édit. James Ileadrik^ 18081, p. 113-114

(6) Gekfhov, Islande avant le christianisme, p. 14.

(7) Id., Histoire des Etats scanditiaves, p. 72.

(8) DiCL'iL, Liber de mensura orbis terr.v. (Edition Walkenaër, 1807), p. 30. Ces insulaires étaient surtout des anachorètes originaires d'Islande, o Nunc causa latronum Normannorum vacure anachoritis », dit avec indignation Uicuil.

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IKK) l'KKMlKKIC l'AHTIE. LES l'RKCUHSEL'RS Ut COLOMB.

de hrehis. Le (iulf Stream leur donnait un climat supportable et leur apportait d'énormes quantités de poissons. Séduits par ces avantages les Nortlimans s'établirent en assez grand nombre dans cet archipel, mais bientôt, emportés par leur esprit aven- tureux, ils reprirent la mer et cherchèrent de nouveaux pays j\ coloniser ou plutôt à conquérir (1).

En 801 le pirate Naddod, (|ui allait aux Féroë, fut poussé dans la direction du nord-ouest, en vue d'une terre blanche de neige. Il débarqua, gravit une montagne, mais n'aperçut aucune trace d'habitation, et ne put savoir s'il avait découvert une île ou un continent. Il nomma le pays Snoeland ou Terre de Neige {t). Deux ans plus tard, en 803, le Suédois (iardar, ([ui rendait aux Hébrides, fut également poussé par la tempête vers le Snoeland. Il y passa l'hiver, s'assura qu'il avait trouvé une ile et lui imposa son nom, Gardarsholm (3). Un célèbre pirate, Floki Rafn, partit à la recherche de Gardarsholm. Il la retrouva sans peine, en parcourut les côtes et en gravit les montagnes. Efl'rayé par les feux intérieurs qui la bouleversaient et par les glaces flottantes qui l'entouraient, il lui donna le nom qui depuis a prévalu, Iceland, ou pays des glaces, dont nous avons fait Islande (i).

En 874 Ingolf et lijorlaf s'établissaient définitivement en Islande (5). Ils avaient emporté les colonnes sacrées de la maison qu'ils abandonnaient en Norvège, et les avaient jetées à l'eau en formant le vœu de se fixer dans le pays le flot les porterait. Ce fut à Faxefiord, sur l'emplacement actuel de

{{) Les principales incursions aux Féroi- eurent lieu dans les années 798, 807, 815 et 835. Cf. Letrohne, Recherches géoyfaphiques et critiques sur le livre de mensura orbis terrie (1884), p. ISf».

(2) Scripta historica Istandorum de rehiis t/estis teterum borealium. Historia Olavi Tryggvii filii (Hafniac, 1878), p. 2(il.

(3) lo., p. 262.

(4) Id., p. 262-263.

(5) Grimour Thomson, The Northmen tu Iceland ^Mémoires de la Société des Antiquaires du Nord, 1850-1860,1 p. 134.

CUAI'ITKE IX. Li:s .NdHTIlMANS EN AMKHIQri:.

301

Ilcykiawick (1). Dès ce iiioiiu'iit l'Islande fut consid('in''f' coinine t«'rre norvôjïieiiue. De iioinhroux colons s'y (''tahlironf. Ils fon- (l»"'r('nt un»' sorte de ré()ul)li<jue (jui se maintint jusqu'en 12()1, épo(jue ri laquelle elle fut ol>lif;ée de se soumettre aux rois de Norvèjïe. C'est en Islande (|ue se conservèrent le mieux les traditions de cette race vajrahonde (;2). Cette île devint comme; la mémoire vivante <les Northmans. Non seulement les Islandais frardèrent le souvenir de leur histoire primitive, mais encore ils la développèrent pour It'ur |)ropre compte, et en composèrent tout un cycle de poésies conservées d'abord dans les chants populaires, puis fixées par les lettres latines (3).

La colonisation de l'Islande conduisit à d'autres découvertes (■4). Dès S77 un certain (iannhjorn avait entrevu les hlanches cimes ipii hordent le rivajre oriental du Groenland, mais i! ne s'y arrêta pas, et, pendant plus d'un siècle, nul n'osa s'aventurer sur ses traces. D'effrayants récits ouraient sur cette région mystérieuse. On racontait qu'un certain llollur (ieit, accompagné d'une chèvre, y était allé de Norvège en sautant de glaçon en glaçon. Il y avait vu des chênes (pii produisaient des glands gros comme des honnnes, des géants d'une taille iuunense, et des rochers de glace qui, pareils aux Symplégades des Argonautes, brisaient les vaisseaux (5) au passage. Ce dernier trait seul est vrai, car, aujourd'hui encore, les vaisseaux pris entre ces îles flottantes sont écrasés : « J'ai vu, écrivait le célèbre baleinier Sc.oresby, un navire pris entre deux nun-s de glace, qui fut anéanti instan-

(1) GmsioL'R Thomson, ji. 266-268. Whkatox, ///s^o/r' r/r.s pruplrs du Nord, ou Danois et Normands. iTrad. Guillot, 1884), jt. 26-28.

(2) X. Maumieh. Lettres sur l'Islande.

i.'{) Curieux passage de Saxo (Iuammaticls, lUstoria Banica (Eilif. MuUer, 1S;{(). p. 7-81 sur les Tylenses ou Islandais. « Cuuctaruni quippe natiotiuin res gestas cognosse inenioriiPiiue niandare voluplalis loco repulant, uon rninoris ^loriaî judicanlcs aliénas virtules disscrcre (juani proprias exliibere ».

(V) Gki'KHoy, Hisloir" des Etats Scandinaves, p. 19.

(o) TouKAEL's, Gro7ilandia antiqua, olc. Egoéde, Desci'iption et his- toire naturelle du Groenland (traduction française de l'î63).

A&l l'IUCMIKRK l'AIVriK.

Lies l'HKClKSKinS llK COLOMII.

taïK'iiuMit (liiiis leur ilintc toriiiidahic. Seule la pointe du •;raii<l màt resta dehout au-de.ssus de eo toinltoau flottunt, coiniiie un runèl)re si^wial » (1).

Sans se laisser arnUer par ces rétits. Erick Rau<ia ou le Rouge, lils de Thornwald, forcé de (piifter Tlslande pour un meurtre, se lança en 1)S;{ dans la direction des terres entrevues par (iunnl)jorn. Il déc(»uvrit Itientôt une côte rocheuse et d'énormes jrlaciers (pii d<>scendai<>ut jiiscpi'à la mer. Kri<k ne s'y arrêta |>as. Il descendit au sud, doubla le ca[> cpii depuis s'est appelé Fareweli, et se fixa sur la côte occidentale dans le iîord d'Ijjalliko, il connuençu la construction d'un vaste hàtiment, adossé contre un rocher, qu'il nomma Hrattahilda. Le littoral était moins désolé que le rivage oriental. L'herhe y poussait en abondance. De nombreux bouleaux égayaient le paysage de leurs blanches feuilles. Les animaux domesti(|ues supportaient le cliinat. Krick voulut donner au pays dont il |>renait possession un nom de bon augure et l'appela (Imenland ou Terre Verte : » Si cette contrée porte un beau nom, disait-il, les honunes se décideront plus facilement à la venir liabiter ».

Ses pressentiments ne le trompèrent pas. Attirés par la nouvelle de la découverte, de nombreux colons arrivèrent au (Iroenland. Dès 985 trente-cinq navires islandais mettaient à la voile pour le (iroenland, et (juatorze arrivaient à destination. Les nouveaux arrivés se constituèrent en république, à l'image de la réj)ublique islandaise, et gardèrent une sorte d'iinlépen- diyice sous la j)rotection de la Norvège. Ce devait être la dernière étape des Nortbmans avant leur découverte du continent américain.

En !>8(» partit de Norvège la première expédition à la côte .Vméricaine (3). Elle fut conduite par un certain Biarn, lils

(1) ScoRKsuv cité par L. Fic.likk, Terre et mer, y. Tt.

(2) IIafn, Antif/iiitatcs Amerkan.v, 93, 95, 207.

(3) Les aventures d'Erik Hauda, de Biarn et de Leif ont été racontées par le Codex Flateyejisis, ainsi nommé de la petite ilo l<'latcya, dans le tiord islan-

r.llAlMTMK I.V.

I.KS NOKTIIMANS KN AMKIUQI'E.

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(l'ilci'iulf, descfiidaiit tics prciiiicrs tuions Islaiitlais. Vaillant malin, hardi aux aventures, et dt'jà ctninu par plnsionrs cxpt'- ilitit»ns heureuses, Miarn avait formé le projet de rejoindre son père, (pii avait suivi Erik llauda au (îroenl.ind. Il didianjua d'ahttrd en Islande, puis apprenant (prUeriull' tHait avee Erik dans un pays inctnuui situé à l'ouest, il réstjlut de le suivre, et, sans seulement décîharjrer son navire, se lanea dans cette mer inconnue. Pendant trt>is jours la navi^'ation fut heureuse, mais les brouillards survim-enl, ces terribles linmillards qui, de nos jours encore, arrêtent, malfrré tttus leurs instruments de pré- cision, la marche de nt)s marins. Hiarn n'avait plus (ju'à se laisser aller à la dérive. Au Itout de (juehjues jours il découvrit une terre couverte de hois, mais d<»nt la description ne répondait nullement à ce cpi'on racontait du (Iroenland. Il la laissa à haliord, et navigua encore un jour et une nuit avant d'aper- cevoir une t ôte plate et hoisée. Les matelots auraient voulu déhanjuer jxtur renouveler leurs provisions d'eau et de Ixiis, mais Miarn, (pii tenait à rejtiindre son père au plus vite, s'y ttpposa et lit changer la direction du vaisseau. Us naviguèrt^nt pendant trois jours, poussés par le vent du sud-tniest, et apiM'- cureiit une terre élevée couverte tie glaciers (l'était une Ile dont iU longèrent lesci')tes. Ils s'en éloignèrent à la faveur d'un vent propice, et, après (juatre jours de navigation, arrivèrent enfin au (Jroenland, ils trouvèrent Heriulf.

IJiarn ne tira point parti de sa découverte, car désormais il ne (juitta plus sa patrie adoptive. Bien reçu par Erik Hauda, estimé par tous, il parait avoir renoncé à son aventureusi' car-

tlais (le liiL'idliiiC, on le fonserva loiijçtemps. C'est un beau niorimuent tic calligraphie Scandinave. 11 fut cnvoyti par 1 evèque tie Skalliolt au roi de Da- nemark Friidéric II. 11 est aujourd'hui conservé à la Bibliolhc'(|ue de Copen- hague. Ce manuscrit, commencé en 1387, fut terminé en 1307 ; ces deux dates sont fixées, l'une par une remarque interlinéaire du copiste, l'autre jiar une nt)te de Ion Ilakonson, pour tpii cette copie fut faite. Le Codex Fla- tcyensis a été publié par IIafn dans les Antiquitates Amevicanœ. Non. donnons, d'après Norton Horsford, la rcproiluction de l'uni! des feuilles.

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riiMT ; m'iiiimMiiissa rt''|(iifjition lui attira de nombreux visifcms, aii\(|U('ls il aiiiiail à rai'oiilcr ses voyaffcs.

On ne sait |ias au juste les ferres (léc(»u vertes par Hiarn. Uieri n'est plus vajjue ipie ces journées de navifjation ; rien de plus clian^eant (pie la direction du vaisseau. Le continent (pi(> les Nortinnuns trouvèrent en cinjrlant de risland(! droit vers l'ouest |)ent tout aussi hien (Hre la terre du Labrador ou celle des Etats-Unis. Quant à l'île, elle correspondrait soit à Terre- Neuve, soit aux îles jetées entre les détroits de Davis et d'Ilud- son. Hiarn n'avait donné de nom à aucune de ces contrées. Soyons aussi prudent (jue lui, d'autant plus que nous aurons le droit d'être bientôt plus arfinnatif".

(Test en î)87 (|ue Hiarn avait peut-être entrevu l'Améritpie. Kn l'an mil, un (Jroenlandais, Leif, la découvrit réellement (1).

Leif était fds d'Krik Hauda et de Tborbilda. De liante taille, beau, robuste, il aurait voulu, comme les rois de la mer, (liantes par les poètes nationaux, prendre le commandement d'une exp(''dition, et illustrer son nom par de bardies entreprises. L'occasion se présenta pour lui d'utiliser cett(! ardeur. Le cbristianisme venait d'être introduit en Scandinavie. Le roi de Norvèfïe, Ulaf Try}.^gvasen, récemment converti, avait tout l'entliousiasiiK; du néopbyte, et demandait parr(tis à l'épée des conversions (pi'il ne pouvait obtenir par la parole. Il venait, IfrAce à deux ilp()tres, (iissur le (îrand et iljalti Skegfjeson, de coiupiérir l'Islande au cbristiiuiisme. Il cliarj^ea Leif, (2) qu'il

(1 Voir le tout récent ouvrage du professeur (tistave Stoh.m, Stiidies of thc Viiu'land Voi/agcs (Mémoires de la Société des AnIiquaircsduNord, 1888,) p. 307-310.

(2) Rafn, ouv. cité, p. 117-118. a Tu vero co cum niandatis meis conce- dito, atque sic cln'istianani rcligioncni aiinuiitiato ». Lcivus lioc peues euia tore dixit, se vero putare hoc uegotiuui no» sine difiicultate in Gronlendia pnrfectum iri. Rex ait <( nescire se liominem, eo ad hanc rem magis idoneuni, atque tu iu perficicndo furtuna uteris ». « Id soluminodo accidet, res- pondit Leivus, si tuo favorc sublevatus l'ucro ». Groenlands Historiske Minilesmoerker, I, 384-6.

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PllOTOTYPIB

CMKSNAV, DIJON.

STATUE DE LEIF ERICSON

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CIIAI'ITIU': IX.

LKS NOHTIIMANS KN AMKRIQIJK.

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avait lui-m(>iii(! lonverti à la Toi nouvelle, do pri^cher h; cliris- tianisme au Groenland. « Je crois, lui dit-il, qu'il serait bon (|ue Hi te rendisses aupn'is de ton pî^re, avec mission de pro- pager le christianisme au (iroenland ». « Vous n'avez qu'à commander, répliqua Lcif, mais je crois qu'il sera difficile de réussir dans mon pays ». « Je ne connais pas d'homme plus propre que toi à bien remplir cette mission, reprit le roi, tu feu acquitteras avec succès ». (( Ce sera alors grAce à votre a[»pui ». Leif partit en eiïetdans l'été de l'an mil, en compagnie d'un prêtre et de (juelques hommes sucri 07'ditiis (1). Il trouva le terrain bien préparé, sans doute par un moine llébridais qui, en 986, était parti avec Erik Rauda à la découverte du (Iroen- land, et qui, pendant la traversée, avait composé un poème norrain intitulé Hnfgpvdhingnr, le Ras de rtiaràe, dont le re- frain a été conservé : « Je prie celui qui soumet les moines à de salutaires épreuves de favoriser mon voyage : que le maître de la voûte céleste me tende une main secourable ». Les prédica- tions de ce moine, qui sans doute appartenait à la confrérie de ces Papae Irlandais, dont nous avons plus haut raconté les aventures, ne réussirent qu'à moitié ; car le vieil Erik Rauda resta toujours fidèle aux vieilles pratiques païennes (2). Il rendait un culte à l'ours blanc, et accordait toute sa confiance à un certain Thorhall, moitié sorcier, moitié régisseur, et prêtre à ses heures. Lorsque Leif débarqua au (Iroenland, et lui com- muniqua ses projets, Erik Rauda fit la sourde oreille. Il blâma même son fils d'avoir mené avec lui l'Hypocrite (Skemadhr), comme il appelait le prêtre, et déclara qu'il ne recevrait pas le baptême. Leif fut plus heureux auprès de sa mère Thorhilda,

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(1) Rafn, Id., p. 18-19. Eadem navi veliebatur vir Hebridensis chris- tianus qui carmen intcrcalatum de Hafgerdiaga composuit in quo sunt lii versus intercalares : Monachorum tentatorem, noxic expertuin. Oro, ut meani pro- fectionem secundet. Dominus, terrestris lacunaris aulam Tenens, sua me tueatur dextra •.. Groenlandx historiske Mindesmoœrker, 1, 180,

(2) Groenlands historiske Mindesmcerker, 1, 40S. II, 224-6. Rafs, Antiquitates Americanse, 137, 168, 169,

T, I, 20

'MH\ i'nr.Mii:i«K I'aiitiic. m:s I'UKcihskius w. c.oi.dMii.

(«t (|p s«'s deux frôros Thorviild et TliorsUîiii, i|ui t(»us los tmis reçurent le haptAme. Thurliilda fil alors consfruirc à (|iu-l(|iu' distance de Brattahilda une é|,'lise elle allait avec les autres néophytes l'aire ses dévotions. Elle poussa nïénie si loin sou /Ole de néophyte qu'elle ne voulut [dus av(»ir de relations avec son mari resté païen (1).

Ij<Mf fut-il obligé de niodérer son zèle à cause de l'opiiosition de son père, ou bien céda-t-il à cet impérieux besoin qui entraine toujours les nouveaux convertis à propager au loin la bonne nouvelle, toujours est-il qu'il songea bientôt à quitter le Groen- land et à retrouver le pays entre aperçu par Hiarn lleriulfson. 11 acheta le navire de ce dernier, enrôla trente-cinq hommes et pria son père de commander l'expédition. Erik llauda ne se décida qu'avec peine. 11 avait pourtant accepté. Conformément i\ la croyance odiniquequi veut qu'on ne jouisse dans le Valhalla que des richesses mises en terre, il avait même caché son or et son argent, et se rendait à cheval au lieu de l'embarquement, lorsqu'il tomba. Considérant cette chute comme un augure défavorable, il ordonna à sa femme de déterrer ses richesses et laissa Leif partir tout seul (2i.

Parmi les trente-cinq compagnons de l'audacieux capitaine qui s'aventurait ainsi sans autre direction que les étoiles et les souvenirs déjà lointains de Hiarn, se trouvait un Allemand, (ju du moins un homme du Sud, Sudrmadr, comme disent les Sagas. dont la présence; à bord attestait la fréquence des rapports qui existaient entre la (iermanie et la Scandinavie (3). Peut-être aussi n'était-ce qu'un de ces aventuriers mercenaires du moyen âge qui préféraient à leur patrie les entraînements de la bataille et les émotions de la vie maritime.

(1) Rak.n, 40, 119. Pour tous los détails de riiitroductioii du chiisliaiiistiie au Groenland, eotisuUei' Beacvois : <)riiji?ies et fondation du plii^ (incivil évi'ché du Noiireait Monde. >< Thjodhilda, ex (|ua (idem acceptaverat, milhim cum Eiriko v-onvicluin liaberc voluit, iina' rcs illius aiiimo valdeadversabatur".

(2) Particula de (ironnlandis (Wafii. p. 27). (3)lD., p. 28.

C.IIAIMTHK IV. I.KS NMHTIIMANS K\ AMKHKM'K.

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IjCS coiMiKijfuons (l(^ LeirtrMiivï'n'iit (l'iiboni le pays que IJiarii avait si^'iialc. Kiilrc la côte ot los glaciers (|ui s'rlevaiciil plus l(»in dans rint»>rieur, le sol ('•tait comme joiiclié de ^Mlets. Il n'y avait pas de },m/.()11 ot la tern> était dépour\iie d'agréments. " Au moins ne i'erons-nous point «omme Hiarn ipii a négligé de visiter cotte tern; dit alors Iv-ïf. Je veux hii duiiiuT un nom. Je ra|)[iello llelluland ou pays rocuilloux > il).

Trois journéos do navigation contluisirent ensuite; les Nortli- mans à un autre pays, plat, couvert de bois. J^a côte ne présentait aucun escar(»emetif. mais son approche était rendue difficile par- des bancs de sable, heif l'appella Maïkland ou terre dos Forêts (2).

Une course de doux jours porta ensuite les Nortluiians vers une île séparée du continent par un détroit fort dangereux à cause des bas fonds qui le parsemaient. L'eau était si basse qu'au moment de la marée descendante le vaisseau resta à sec. Derrière un promontoire ot sur le continent s'ouvrait l'estuaire d'un fleuve sortant d'un lac. Leur désir do prendre terre était si grand qu'ils n'eurent pas la patience d'attendre le reflux ot se rendirent tout de suite au rivage. A peine; débarqués, ils prirent possession du sol suivant l'usage Scandinave (II), les uns on allumant à l'embouchure du tlouve un grand feu, tlont les rayons, aussi loin qu'ils se répandaient, leur en soumettaient les rives, les autres en faisant le tour de leur nouveau domaine, une hache à la main, dans la direction do l'ouest à l'est, et marquant leur passage par des signes sur les arbres et les rochers. Puis ils construisirent dos baraques en l)ois, et se disposèrent à prendre leurs quartiers d'hiver. La rivière et le lac nourrissaient des saumons (i), le bois était abondant, le climat supportable,

(1) Particula de Grocnlmulis, p. 21-28.

(2) h)., p. 29. « Hicc terra erat plana et sylva obsita; inullis in locis, <|uh perineabant, candidte arenœ, molli littoruni adsensu. Tuni Leivius : luncc terra ex rubus, quibus maxime abundat, nomen trahct et Marklandia appcllabitur.

(3) Gkkkhov, L'Islande avant le Christianisme, p. 16. (i) Particula de Groenlandis, p. 32.

30S l'KKMIKKK l'AHTIK.

LKS l'RECLHSEl'HS 1)K COLOM».

rini'galito dos jours et dos nuits moins j^rando qu'on Islande ot au Groenland, puisque, dans les jours les plus courts, le soleil se levait à sept heures ot demie et se couchait à quatre et demie. Los Northmans résolurent do se partager on doux bandes. Les uns resteraient à la garde du camp qu'on nomma Leifs- budir, les autres partiront à la découverte. Un certain soir que rAllomand Tyrkor s'était attardé, Leif, inquiet sur son sort, partit à sa recherche avec douze compagnons. On le trouva comme il essayait de revenir, appesanti par les fumées du raisin qu'il avait trouvé et dont il ;iva:c absorbé une trop grande (|uantité. Go fut à cause de Tyrkor que Leif, avant do revenir au (Iroenland, donna au pays qu'il avait découvert le nom de Vinland ou terre du vin.

ÎjO voyage de retour fut heureux. Dans les premiers jours de l'an 1(X)1, ayant chargé son navire de bois, de peaux et de rai- sins, Leif mit à lu voile pour le Groenland. Il était en vue des montagnes do cette région, (juand il fut assez heureux pour apercevoir et pour sauver quinze naufragés norvégiens, qui lui faisaient des signaux de détresse. Cette découverte et ce sauve- tage lui valurent le surnom de Fortuné (1).

Nous voici en présence de faits bien constatés, et qui n'ont pas été inventés pour les besoins de la cause, puisque les docu- ments qui les contiennent ont tous été composés avant l'arrivée de Colomb aux Antilles. Helluland, Markland, Vinland, ce sont des pays réellement découverts et en partie décrits pa" !c : Northmans : donc les retrouver ?

Helluland pourrait bien correspondre à Terre-Neuve. Cent cinquante milles en effet séparent cette île du Groenland, ot il ne fallut à Biarn que quatre jours pour franchir cette dis- tance. En évaluant à trente ou trente-cinq milles par jour la distance parcourue par les Northmans, on obtient pour les quatre jours précisément la distance de cent cinquante miller. De plus

(1) Rakn, AntiquUates Americans, p. 191-192.

CIIAI'ITRK IX.

LKS .NOHTIIMANS KN AMKHIOrK.

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Terre-Nouvo est d'un abord dangereux, commf l'était le Hellu- land. Elle est découpée par des baies nombreuses, les montagnes de l'intérieur gardent la neige pendant six mois et la végétation est fort chétive. C'"st bien la description de Va Terra Petrusa des Sagas islandaises.

Markiand paraît être la presqu'île de la Nouvelle-Ecosse. Elle mérite encore l'épithète que lui donnait Torfaeus, pass'nn silvis virens, et les bois de construction sont, aujourd'bui comme autrefois, une de ses principales ricbesses. De [dus, la côte est basse, dangereuse, d'un accès difficile à cause des nombreux bancs de sable qui la défendent.

Quant au Vinland, ce ne peut être qu'une partie des Etats- Unis actuels. Le jour le plus court de l'année au Vinland est, d'après les Sagas, de neuf beures. Or, c'est dans les états de Rhode-island, New-York et New-Jersey que le soleil ne reste à l'borizon que neuf beures dans le jour le plus court de l'année. De plus la côte de ces états, basse, sans rocbers, formée par les petites collines boisées, dont parlent les Sagas, s'accorde par- faitement avec la côte américaine depuis le cap Sable jusqiz'au cap God, Uafn (1) pensait que l'île, qui formait à l'est du conti- nent un étroit passage assez dangereux, est l'île Nantucket, en face du Massachussets. Les bas-fonds existent toujours et le mais passage est redouté par les marins qui préfèrent doubler l'île, le détroit est large de 48 kilomètres, et de plus Nantucket n'est pas isolée. A côté se trouve l'île de Martbas Vineyard. La situation de Long-Island, beaucoup plus rappochée de la côte, convien- drait mieux à l'emplacement de l'île. En ce cas Leifsbudir n'au- rait pas été bâti, comme le pensait Rafn, non loin de Providence, à l'emboucbure du Pocasset-River qui sort du mount Hamp- Hay, mais par une singulère coïncidence, à la place même de la moderne capitale des Etats-Unis, New-York (2). Sans doute

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(1) Rafs, Mémoire sur la Découverte, etc.

(2) Un savant américain, le professeur Ebeii Norton Horsford de Cambridge, 'roil avoir retrouvé remplacement authentique des premiers établissements

310 l'REMIÈRR l'AKTIi:.

LKS l'HKCrUSKlHS l)K COLDMlt.

les fleuves de la cote en face de Nantucket, le Merrimac, le GonDecticut, sont poissonneux et prennent leur source dans des lacs, mais l'Hudson qui se jette dans la mer en face Long-lsland' est également poissonneux, et, de plus, il prend sa source tout près du lac Champlain. Il n'est donc pas impossible que, sur les rives de ce fleuve prédestiné, ait été élevé le premier établissement Scandinave. D'ailleurs la vigne qui donna son nom auVinland, pousse encore spontanément dans tout loMas- sachussets et une partie du New-York (1). Les voyageurs con- temporains parlent avec admiration des raisins sauvages de cette contrée et des énormes vignes naturelles qui poussent sur les bords de l'Ohio (2). L'île de Marthas Vineyard doit môme son nom à l'abondance de ses vignes. L'assimilation est donc aussi complète que possible, et c'est bien le continent américain et la côte des Etats-Unis qu'avait découverts Leif . Aussi bien ce voyage ne devait pas être le seul, et de nouvelles expéditions allaient con- firmer et étendre les précédentes.

Leif ne renonça pas, comme Biarn, aux bénéfices de son voyage. Il parla beaucoup des pays nouveaux qu'il avait visités

Northmans, et il le fixe non loin de Boston sur les bords du Charles Hiver. Leif aurait, d'après lui, débarqué sur la rive gauche de ce lleuve. 11 prétend même que la principale colonie Scandinave, la fameuse Norombega, dont il sera parlé plus loin, se trouvait à Watertowii, au conlluent du Charles River et du Stong-Brook. De fait on a retrouvé sur ce point de très anciennes constructions et des traces de vieilles habitations. M. Horsford a mis au service de sa thèse une ingéniosité de vues et une originalité d'expressions fort remarquable : mais, en pareille matière, il faut se garder de toute affirmation tranchante : aussi n'acceptons-nous cette hypothèse qu'à titre d'hypothèse. Ceux de nos lecteurs qui voudraient étudier à fond cette intéressante question n'ont qu'à recourir aux travaux de l'érudit américain. Voici le titre des principaux : John Cabots Landful in 1497 and the site ofNorumbega. Cambridge, 188(1. The problem oh the Northmen. Cambridge, 1889. The Discovery of the ancient city of Norumbega, Boston, 1890. Watertown, The site of the ancient city of Norumbega, Boston, 1890.

(1) Lettre de Fugl de Saint Thomas insérée dans les Mémoires de la Société des Antiquaires du Noi-d (1840-1843), p. 8.

(2) Rapport adressé à la Société des Antiquaires du Nord par A. Ghennk, JoHS Babtlrtt et Wkrb (1840-1844), confirmant tous ces détails.

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CIIAI'ITRK IX.

LES NORTllMANS EN AMERIQUE.

311

et n'eut pas de peine à décider un de ses frères, Thorwald, à tenter une expédition analogue. Il est étrange qu'il ne l'ait pas accompagné, mais ces hommes du Nord, hardis et infatigables à l'œuvre, se reposaient indéfiniment quand ils avaient, par leurs prouesses, illustré leur nom ou acquis assez de richesses. Ils ne comprenaient pas ce sentiment tout moderne que le glorieux infant de Portugal, Henri de Viseu, devait plus tard choisir comme devise : désir de mieux faire.

Leif resta donc à Ikattahilda dans la maison de son père Erik Rauda, et se contenta de donner à son frère des conseils et un vaisseau, le même qui avait déjà servi à Biarn, et qui venait de le conduire au Vinland ; ce qui nous prouve en pas- sant combien l'art des constructions maritimes était développé chez les Northmans, puisque ce vaisseau résistait depuis si longtemps aux affreuses tempêtes des mers horéales.

Thorwald partit en 1(K)2. 11 arriva à Leifsbudir et y passa l'hiver. Au printemps de 1003, il envoya une partie de ses hommes vers le sud, que n'avaient encore reconnu ni son frère ni Biarn. Les Northmans parcoururent une belle contrée, admi- rablement boisée. Ils n'osèrent pourtant s'enfoncer dans l'inté- rieur et ne perdirent jamais la côte de vue. Cette côte était hérissée de rochers. Des îles nombreuses, mais toutes petites, s'en détachaient. Nulle part on ne rencontra de traces humaines, sauf une petite grange, dans une ile située à l'ouest. L'explora- tion dura tout l'été et une partie de l'automne. Les Northmans passèrent l'hiver dans leurs baraquements de Leifsbudir et reprirent leurs courses au printemps de 1004, mais cette fois dans la direction du nord. I isirant profiter des beaux jours qui commençaient, Thorwald, avec Mi.c habileté toute pratique, qui dénotait en lui une profonde connaissance des mers septen- trionales, passa à l'est, puis au nord, jusqu'à un cap fort remar- quable, auquel il donna le nom de Kialarness. c'est-à-dire cap de la Quille. Ue là, il longea la côte dans la direction de l'est, jusqu'à ce qu'il fut arrivé à un autre promontoire. Jusqu'alors

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312 PREMIÈRE PARTIE.

.ES PRECURSEURS DE COLOMB.

on n'avait pas rencontré d'indigènes : c'est ii\ que, pour la pre- mière fois, les Northmans rencontrèrent trois petits canots en cuir cousu, menés chacun par trois honmies petits, laids et couverts de fourrure. Thorwald monta à bord, mais ses compa- gnons, au lieu de les accueillir avec bienveillance, les tuèrent tous, à l'exception d'un seul qui parvint à s'échapper. Les Sagas (1) ne donnent aucune raison de ce crime odieux, qui allait recevoir sa punition immédiate.

Forts de la supériorité de leurs armes et confiants en leur bonheur habituel, les Northmans s'étaient endormis, quand ils furent réveillés par des cris perçants. C'étaient plusieurs cen- taines d'indigènes qui entouraient le navire et le criblaient de flèches. Ils n'eurent pas de peine à les mettre en fuite, mais leur ihef avait été mortellement blessé. Sentant sa fin prochaine, Thorwald se fit débarquer sur le promontoire et demanda à être enterré en chrétien. « Vous dresserez, dit-il, deux croix sur mon tombeau, l'une à la tête, l'autre aux pieds, et vous appel- lerez toujours cet endroit Krossaness, promontoire des croix ». Ses compagnons exécutèrent ses dernières volontés et retournè- rent hivernera Leifsbudir. L'année suivante, en lOOo, après avoir chargé leur navire des produits du Vinland, ils reprirent le chemin du Groenland.

A la fin du xviii" siècle, près de Hull et du cap Alderton, «n découvrit un tombeau qui contenait un squelette et une épéo h poignée de fer. Ce squelette était celui d'un Scandinave et cette épée n'était pas de fabrication européenne postérieure au xV siècle (2). On en conclut, peut être témérairement, que ce tombeau était celui de Thorwald. En 1840, dans des fouilles entreprises au Fall River, dans le Massachussets, on découvrit un autre squelette (3). Sa poitrine était couverte d'un plastron

(1) Rafn, ouv. cité, p. 46-48, 464. Groenlands historiske Mindes- mœrker, I, 226-231, III, 900.

(2) Smith, Société des Antiquaires du Nord (1840-3j.

(3) Id., 1845-49, p. lOi.

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r.HAI'ITKK l.V.

I.KS NOHTIIMA.NS K.N AMKHIOUK.

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tle l)n)nze autour duquel s'enroulait une ceinture faite avec des tuyaux de hronze, anaIof;ues aux ceintures antiques déterrées en Danemark et en Islande. Ces tuyaux étaient attachés l'un à l'autre par des courroies de cuir. Le hronze de la ceinture fut envoyé à l'illustre Berzelius, qui en lit l'analyse et reconnut que la composition chimique était analojjue à celle des armures du X'' et xi° siècles, conservées dans les musées du nord , et notamment au hronze d'une armure découverte à Noviing en latland, et analysée }>ar Forchhammer. IJès lors, on admit le fait connue prouvé. La poésie s'empara même de cette hypothèse scientifique, et le grand poète américain Longfellow composa uni^ hallade en l'honneur de ce héros, qui aurait pu être Thorwald (l).

Que l'on ait retrouvé ou non le cadavre du second fds d'Erik, l'expédition (pi'il dirigea n'en est pas moins fort authenticpie. Dès lors, les Northmans connaissent la route du Vinland, ef Leifshudir devient pour eux un point de relâche fort important. Les rivages découverts dans la direction du sud sont ceux du New-York, du New-Jersey, de la Dela\Nare, du Marylaud, peut être même de la Virginie et de la Caroline. Les forêts, !)ien (ju'exploitées à outrance, s'étendent, encore aujourd'hui. Jusqu'à la mer; la cote est hasse, hordée d'un grand nomhrc de petites iles qui seml)lent en avoir été détachées par (pielque convulsion géologique. Dans la direction du nord, les deux promontoires reconnus par Thorwald paraissent être, celui de Kialarness le cap Cod, le Nanset des Indiens, à l'extrémité orientale du Massachussets, remanpiahk: en efl'et par sa forme allongée et la courhe gracieuse (pi'il décrit ; celui de Krossaness le cap Sahle à l'extrémité méridionale de la nouvelle Ecosse, »»u peut être encore le cap Garnet. De la sorte s'ex[)liquerait la route suivie par les Northmans en tournant la pointe Kialarness

(1) LoNOKEi.i.o\v, The Skelcton in .Ivrnern (Edition Tauchnitz, vol. 1, p. 15).

31 i l'HEMIKKE PARTIK. I.KS PHÉOirRSEURS \)K COLOMB

jusqu'à ce qu'ils arrivassent au fond de la haie se trouvaient les indigènes. Cette baie doit (Hre la baie de Fundy. Quant aux indigènes, ceux que les Sagas nomment les Skroellings, ce sont les anc(Hres directs des Ksquirnaux. 11 est en effet prouvé que les Esquimaux descendaient jadis beaucoup plus vers le sud et s'étendaient sur des espaces bien plus vastes qu'aujourd'hui. Ils «itaient déjà grands chasseurs, mais peu hospitaliers. Leurs canots de cuir cousu montés par trois hommes ressemblaient aux canots dont se servent encore leurs descendants, et dès le premier jour, au contact des Européens, ils engagèrent avec eux cette lutte tragique, (jui les refoula peu à peu vers le pôle, et ne se terminer!' que par l'anéantissement de ce peuple, (pi n'est déjà plus qu'une peuplade.

iW qui achève de démontrer la sincérité du récit des Sagas, c'est la torpeur qui s'empare des Nortlimans, au moment ils ne devraient songer qu'à se défendre contre les Skroellings. Dans ces contrées, en (îffet, l'impression produite par les pre- miers froids, surtout par des liommes qui ne les ont jamais bravés, est toujours la même. Les membres s'engourdissent et les yeux se ferment. Les marins qui naviguent pour la première fois dans ces mers subissent tous l'influence de ce curieux phé- nomène, 'iès (ju'ils entrent dans les régions du froid.

Les Northmans avaient donc découvert une partie du littoral des Etats-Unis et du Dominion Canadien : il ne leur restait plus qu'à pnjfiter de ces découvertes en y fondant des colonies, ou du moins des établissements plus sérieux que Leifsbudir : Ce fut l'œuvre de nouveaux navigateurs.

La famille d'Erik Rauda semble s'être assuré le monopole des expéditions au Vinland. Après ses deux frères Leif et Thorwald, le troisième fds d'Erik, Thorstein, se disposa à partir à son tour. Il voulait surtout aller prendre le cadavre de Thorwald afin de le déposer en terre sainte. Depuis que le christianisme s'était répandu au Groenland, les Northmans se conformaient exactement aux rites funéraires de leur nouvelle

CIIAPIÏHK IX.

LliS .NOHTHMA.NS K.N AMKRIOl'l'"

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religion (1). Ils no se contentaient plus d'enterrer les cadavres au lieu du décès en plantant un pieu au-dessus de la poitrine ; ils voulaient la bénédiction du prêtre et l'office des morts. Un (iroenlandais, Lika-Lodhin, ou Lodhin des cadavres (2), se fit Hjéme une réputation en allant chercher jusque dans les régions fîlaciales les cadavres des nombreux naufragés qui périssaient dans ces tristes contrées pour les transporter dans quelque cimetière consacré. Thorstein, poussé par sa famille, résolut donc de rendre les derniers devoirs à son frère. 11 partit avec vingt cinq hommes et sa femme (iudrida, au commencement de Tannée lOOG.

L'expédition ne réussit pas. Moins heureux que leurs devan- ciers, les Northmans errèrent à l'aventure sur la mer pendant tout l'été. Un hiver précoce les força à relâcher au Groenland, à Lysufiord, sur la cùt(; occidentale ou Westerbygd, sans qu'ils eussent seulement entrevu le Vinland. Tous les malheurs d(!vaient fondre sur eux. A peine avaient-ils pris leurs quartiers d'hiver qu'une terrible maladie, peut-être le scorbut, les attaqua. Thorstein, atteint par l'épidémie, ne tarda pas à succomber, niais non sans avoir prédit à sa femme (iudrida de brillantes destinées, qui devaient un jour se réaliser (3).

La quatrième expédition des Northmans avait donc échoué, mais (iudrida, qui survécut, revint au Groenland. Sa nais- sance, ses richesses, les dangers qu'elle avait courus, peut-être même la prédiction de son mari, avaient attiré sur elle l'atten- fion. Elle passait en outre pour être douée du talent poétique. Les Sagas ont conserve le souvenir d'une scène de sorcellerie

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(1) Groenland.'^ fiistoriskp Mindesmoerker, I, 238-8, 392-400. Rakn, Antïq. Amer. 47, r>a, 123, 130.

(2) (ivoenlaJids hist. Mind. II, 239, 656, 638, 662, 666, 777, 253, 847.

(3) De Gudrida en efTet et de son fils Snorro, le premier Européen connu qui soit en Amérique (1008), descendirent des évéques, des jurisconsultes, (les ambassadeurs, des savants (Fina Magnusen, Thorlocius, Grim Thorkelin) et l'illustre sculpteur Thorwaldsen. (Voir Rafn, Atitiquitates Americano', tableaux généalogiques, 8 e,t 91.

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OÙ, malgrô sa récente eonvorsion, elle consentit à jouer un rcMe. Il s'agissait d'aider dans ses incantations une femme nommée Tliorbjarge, qui disaitia bonne aventure, et déchanter le poème hxiiiuU'V/'Jvocation des J'Jspriis Gard'inns, Vardlokur, « le chant est de telle sorte, dit d'abord (iudrida, que je ne |juis être d'aucun secours ici, parce cpie je suis chrétienne (1) ». « Pourtant, répondit la sibylle, tu pourrais bien rendre ce ser- vice à l'assemblée et tu n'en vaudrais pas moins après qu'avant ». Le maître de la maison insista tellement auprès de (.îudrida «{u'elle finit par consentir. Ijcs femmes se placèrent donc en cercle autour d'une estrade, « et Gudrida chanta si bien que les auditeurs dirent n'avoir jamais entendu plus belle voix (2) «>. La devineresse la remercia et ajouta : << Ce poème a été si agréable- ment chanté qu'il a plu aux esprits et en a attiré un grand nombre qui voulaient se séparer de nous », et, pour récom- penser (Iudrida de son concours, elle lui annonça un prochain et brillant mariage. En effet, un Norvégien de grande famille, puisqu'il comptait des rois parmi ses ancêtres, Thorfinn (){) Karisefne, qui était venu passer les fêtes de Noël à lirattahildn près de Leif, vit Gudrida, en devint amoureux et obtint sa main. Dès lors (îludrida ne cessa d'encourager son second mari à tenter un voyage au Vinland. Thorfinn y consentit, mais il

(1) Uafn, Antiquitates Americana', p. 104-113 : « Hœc ratio talis est, coi nullam operain tribueie statueriin, nain femiiia ciiristiana sum ». ThoHi- jarga ait : « Ita evcnire possit, ut adjuineiito aliis sis liac in rc, nequc tanicn pejus audias quam aiilca ».

(2) Id., |). 110. « Tuni Gudrida caiinen lain suaviter et perite cccinit, ul nemo adstantium sibi visus sit carnicn audivissc suaviorc voce cantatuni. Fatidica, actis ei pro carminé gratiis, multos dixit genios suavitate carminis tam eprcgic cantati allcctos eo jain advcnisse ».

(3) Sur Tliorlînn Karisefne on peut consulter à la bibliothèque de l'Uni- versité de Copenhague, dans la collection Arna-Magnéenne, le manuscrit 544. Il est de la fin du xiil» ou du commencement du xiv siècle. Il n'a pas d'autn; titre que celui que lui a donné Arn-Magnœus : Hintoria ThovfinU Karsefnii. Consulter également à la biblothèque royale Danoise les manuscrits 13c (cofiii; du précédent), 768[' <fait par l'Islandais Biarn Jonas de Skardsa qui vécut de iri74à 1655), 115«, 769i', 281o, 719h (tous postérieurs).

CIIAIMTRK IX.

IK^ NfnnilMANS EN AMKKIOL'K.

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vonlut (Ml assurer lo siiccùs et, cetto fuis, trois navires partirent (■ns(Mnl)le. Tliorfînn et sa femme, avec Snorre Tliorbrandson, cunimundaient le premier; IJiarn Crrimolson et Thorhall (luin- lason étaient les chefs du second ; sur le troisième étaient Thorliall et Tliorward, ce dernier mari de Freydisa, fille natu- relle d'Erik Uauda, qui l'avait suivi à bord. Un des enfants d'Krik, cette fois encore, faisait donc partie de l'expédition.

Au printemps de 1007 partirent les cent soixante personnes (pi(î contenaient les trois vaisseaux. Cette fois les Nortinnans cherchaient à fonder une nouvelle colonie, et leurs chefs étaient bien résolus à se tailler en Vinland une principauté indépen- dante. Ils furent d'abord portés au nord par les courants et s'engagèrent dans le détroit qui plus tard portera le nom du navigateur Davis, puis, poussés par un violent vent du nord, ils mirent le cap au sud, et arrivèrent assez vite au llelluland, qui était alors rempli de renards. De ils passèrent au Markiand, dont ils admirèrent les forêts, et longèrent les côtes qui s'étendent au sud. La tombe de Thorwald ne fut pas retrouvée, bien que plusieurs de ses compagnons dussent monter les navires de Karisefnc (1). Les Northmans prirent terre au cap Kialarness, ils recueillirent une quille de vaisseau, et, à partir de ce point, virent de vastes déserts, des dunes, de longues et étroites plages, qu'ils nommèrent Furdustrandir ou Rivages merveilleux. Deux coureurs Ecossais qu'ils avaient ii bord, Hake et Hekia, descendirent à terre et revinrent bientôt avec des raisins et des épis de blé sauvage. Les Northmans arrivèrent enfin dans une baie circulaire, très profonde, se trouvait une île couverte d'eiders. Ils appelèrm la baie Straum- fiord ou baie des Gourants, l'île Staumey, ou île des Courants, et se décidèrent à hiverner (2).

Karisefne et Gudrida étaient les vrais chefs de l'expédition.

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il) Rafn, p. 139. (2) Rafn, p. 141.

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Ils avaient fait les dépenses les plus considérahles, et, en toutes choses, pris l'initiative. A eux donc, revenait le commande- ment ; mais, dans le Nord, à cette époque, l'indépendance et lii liberté d'allures étaient absolues. Pendant (jue Karlsefnc essayait les travaux de défrichement et d'agriculture avec les ])estiau\ qu'il avait amenés, et envoyait (juelques-uns des siens tantôt pécher la baleine alors abondante sur la côte, tantôt explorer les belles forêts d'alentour, Thorhall Gandason et huit hommes se séparèrent du reste de la troupe. Thorhall, un ami d'Erik llauda, était resté fort attaché aux usages païens et fidèle aux pratiques étranges de l'Odinisme. 11 n'aimait pas les nou- veaux convertis qui formaient la majorité des colons, et, toutes les fois que survenait un accident, ne manquait pas de le pré- senter conmie une punition des anciens Dieux Scandinaves. Un jour, ayant dépecé et fait cuire une baleine d'une espèce in- connue, qui venait d'échouer à la côte, les Northmans furent tous malades. « La Barbe Rousse (le Dieu Thor) s'écria aus- sitôt Thorhall (1), a été plus secourable que votre Christ. Voilà ce que j'ai obtenu pour le poèifie (jue j'ai débité en l'iionneur de Thor, mon protecteur, qui ne m'a jamais fait "défaut », et il leur annonça qu'ils trouveraient bientôt du gibier et du poisson. Un autre jour, portant de l'eau dans son navire, il improvisa un couplet satirique (2), car il était poète à ses heures. « Les co- lonnes de fer de l'Assemblée me disaient qm; j'aurais dans ci- pays les vins les plus délicats; il me faut maintenant dire du

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H) Rakn, p. 112. << Niinc Alieiiobarbus ille aiixilio promtior erat quani Cliristus vcster ; hoc pnemii loco retiili pro carminé quod de Thore patrono coinposui ; hic luc laio frustratiis est ».

(!2) Id., |). I4i. « Coiivciitus fcrrci columina dixeruiit

Mo, liuc advciiientem, optinia

L'suin fuisse polione ; oportet me

Coram hominibiis terram vituperare,

Nuiic iiumcn, (lagitàlor galeir,

Situlam maiiibus cogitur vcrsarc ;

Sic vero res est, ut ad fontem procumbam

Haud vinum mca labia tetigit».

CIIAI'ITHK IX.

LES NORÏIIM.WS K.N AMKRiyUK.

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mal (le ce pays. Lu. (livinitc! qui porte un ras(pi(' nie présoutc un seau. Je cours aussitôt à lu loutiiiue. et mes lèvres ne sentent pas le f,'oùt (lu vin », Des niilleries <»n en arriva Itientùt à des discussions plus sérieuses. Une première fois déjà Tliorliall s'était enfoncé dans les forêts d(; l'intérieur pour ne pas prendre part à des cérémonies qui le blessaient. Il finit par annoncer sa détermination de rentrer au (Iroenland, et, avec huit de ses compagnons, prit en «idet la ner avec le i>lus petit des trois navires. Voici la strophe railleuse qu'il chantait en quittant le Vinland [l) : « Retournons au pays de nos ancêtres. Faisons voile et que notre navire glisse rapidement le long de ces rivages sablonneux. Que ceux dont les glaives bravent lu tempête, que ceux qui rejettent les anciennes momrs et louent cette terre, restent dans le Furdustraiidir à faire bouillir 'a ba- leine ». Arrivé à la hauteur du Markland, Thorhall fut assailli par une violente tempête, poussé en pleine mer et jusque sur les côtes d'Irlande, on le retint prisonnier. Quelques mar- chands rapportèrent plus tard qu'il était mort en esclavage {'2). Pendant ce temps Karlsefne et les autres chefs, avec cent trente et un hommes, partaient à la recherche de Leifsbudir. Us rencontrèrent un grand fleuve sortant d'un lac, avec des iles à son embouchure. Dans la vallée de ce fleuve, qu'ils remontèrent, le froment et les raisins poussaient d'eux-mêmes dans les champs. Karlsefne trouva la place bonne et fit immé- diatement construire des baraques en bois, auxquelles il donna son nom, Thorfinusbudir (3).

(1) Uafn, p. li'i. « Eo redciirnus, ubi fionterranei

Sunt nostri ! t'aciauius ulitem, Expansi arenosi periliini, Lata navis cxplurarc ciirricula : Durn procellam incitantes gladii, iMora- impatientes, (pii terram (îoUaudant, Fnrdusirandas inliabitant et co(iuunt bahnonas ».

(2) ID., p. Ml.

(3) 11 y a deux versions de cet épisode, le premier est donné par la Parti-

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Karisefiit' t'fait dans la contn^c depuis une (|uiiizaiii(' de jours lorsque parurent les Skroellin^'s. Les Norflniiaiis aperenrent tout à coup un ^rand nond)re de harques de cuir dont les rames brandies par le soleil produisaient le rnc^rne bruit que le V(Mit lors(|u"il souffle dans luie botte de pailb? (1). Les hommes (pii les ronduisaient avaient le teint foncé, de jjrands veux «st la face lar;i;e. Ils débanpièrent un instant, mais, aprt^s avoir bien examiné les Noribmans, montèrent de nouveau sur bîurs barques et s'éloifrnèrent en ramant vers le sud. Ils repa- rurent au printemps suivant (1008). lia baie était toute noire de canots, comme si l'on y eût semé du cliarb(jn (2). Cette fois Skroellings et Northmans entrèrent en relations. Les naturels njontraient une grande prédil(>ction pour des étoiïes rouges (|u'ils roulaient autour de leur tête. Ils cédaient, pour s'en procurer, de précieuses fourrures. Lorsque les Northmans i'ommencèrent à couper ces éton'es, dont ils n'avaient plus îi leur disposition qu'une petite ({uantité, en lanières larges d'un doigt, les Skroellings continuèrent à les acheter au uuîme [)rix que la pièce elle-même. Ils auraient aussi voulu des piques et des épées, mais Karlsefne défendit de leur en vendre. S'étant avisé de leur ofl'rir du lait, les Skroellings se jetèrent avec avidité sur ce breuvage, qu'ils ne connaissaient pas, et ne songèrent pluK qu'à céder leurs fourrures pour se procurer cette boisson délicieuse. A ce moment un taureau sortit du bois et se mit à beugler très fort (3). Les Skroellings épouvantés et se

cula de Groenlandis (Raf.n, p. 58-64.) et le second par VHixtnria Karhefini (IUkn, p. 151-150) : ils ne diffèrent que par quelques détails chronologiques. Nous avons suivi de préférence Yllistovia Karlsefini.

(1) Rafn traduit sonum cdenlos instar culnii vento strideutis. IJeauvois pense qu'il faut traduire : produisant le même bruit que des tléaux. Cf. Be.mjvois, Les Skrxlingx, p. 12.

(2) Rakn, p. 130. Tanta multitudine, ut si carbonibus ostium œstuarii conspersum esset.

(3) Rafn, p. 151. Accidil ut taurus, qui Karlsffini fuit, e sylva excurrens altum niugiret.

cauvois IX. Cf.

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FAC-SIMILE DU CODEX PLATEYENSIS

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CIIAPITRK IX.

LES NOHTHMANS EN AMERIQUE.

321

rroyant trahis s'enfuirent sur leurs canots et se dirigèrent dans la direction du sud.

Trois semaines |)Ius tard leurs barques reparaissaient. Ei; vain Karlsefne avait-il pris d'hahilos dispositions en dispersant ses compaf.qions dans les hois, et en se retranchant lui-même (>ntre un fleuve et une fonH. Les frondes des Skroellin^s effrayèrent les Northmans qui battirent en retraite jusque sur un j)lateau rocheux, ils opposèrent une vive résistance. Ce fut alors que Freydisa se montra la digne fille d'Erik Rauda, la descendante des héroïnes chantées par les Sagas. Bien qu'en état de grossesse avancée, elle saisit une épée, et, le sein nu, les cheveux épars, se défendit si bravement qu'elle écarta les Skroellings qui l'attaquaient, et parvint à rejoindre le camp. D'après une autre version (1), Freydisa, n'ignorant pas que les Skroellings ne savaient pas se servir des armes en méfal, se serait elle-même frappée de manière à montrer aux ennemis combien l'épée était tranchante, et, en effet, les Skroellings épouvantés prirent la fuite. Du côté des Skroellings on remar- qua un homme grand et de belle prestance qui, ayant saisi une arme que venait de jeter à terre un de ses compagnons, la considéra un instant, puis la jeta dans le lac, aussi loin (pi'il put. (2) Malgré la bravoure chevaleresque de ce chef, les Skroellings furent vaincus, et durent battre en retraite, laissant nombre d'entre eux sur le champ de bataill(\ Cette expédition, si bien commencée, devait mal finir. Un grand nombre de Northmans avaient déjà succombé sous les flèches ou les pierre s des Skroellings. Les survivants commençaient à se lasser de de leur séjour dans un pays si lointain. De plus la présence de ([uelques femmes semait parmi eux des divisions et des haines. Les célibataires réclamaient en effet la promiscuité de ces

(1) Rak.n, p. \T)i. >i Illa exlractum e vestibus inammam nudo gladio illidit, qua re perterriti Skrœllitigi iii naves refugerunt ».

(2) Particuln de Grœnlandis (IUf.n, p. 63).

T. I. 21

322 PREMIÈFIE l'ARTlK.

LKS PRÉCURSKL'RS 1»K COLOMB.

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femmes, que les maris refusaient, (1^ Karisefne, pour éviter la guerre civile, qui devenait menaçante, se décida à donner le signal du retour au (îroenland.

Il ne restait plus auv Norlhmans que deux vaisseaux. Uiarn Grrimolsoii prit le commandement de l'un d'eux et Karisefne de l'autre. Biarn fut écarté de sa route jusqu'à la mer il'Irlande. Son vaisseau attaqué par les tarets faisait eau de toutes parts et allait somhrer. L'équipage n'avait à sa disposition qu'une barque qui ne pouvait contenir que la moitié d'entre eux. Ils décidèrent qu'on tirerait au sort pour savoir qui descendrait dans la barque, Biarn fut au nombre de ceux que le sort favorisa. \\ était sur le point de donner le signal du départ, quand un jeune Islandais, condamné à rester, lui reprocha de l'abandonner (2). Emu de pitié, le vaillant capitaine prit sa place, et sauva ainsi le jeun(! homme, caria barque finit |)ar gagner Dublin, d'où les Northmans revinrent en Islande.

Thorfinn Karisefne fut plus heureux, car il réussit à conduire son navire au Groenland, mais il signala son voyage de retour par une inutih; cruauté. En naviguant an nord, le long de la côte, il rencontra cinq Skroellings vêtus de fourrures et (pii dormaient sur le rivage ; ils furent égorgés (3). Deux enfants étaient avec eux. Les Northmans les prirent, leur donnèrent le

(1) lUi'N, p. Kil. Dissidio de nxoribusorto, quiiin qui uxorihns carcrctil, eas ab uxoratis |)ostiilareiit, qiiii ex re inaximic tiirbm exstiteniiit.

(2) RAFiN, p. IG-i. Ou nous saura ç;rù d'avoir reproduit ici le naïf récit de la Sa;;a « Qui quum in scapliuin descendissent, unus vir Islandns, qui iii navi erat, (piique Biarnium ab Islandiu fiicrat coniilatus, infit : » An tu, Biariii, liio a nie discedere vis? » Biarnius : « Ita noue lîeri necesse est ». 111e : " Aliud pDllicebaris patri mco, quando tecuui ab Islundia prolicisccbar, quant ut ita a inc discedercs, ([uippe ijui i)ollicitus çis nos utrosque cadein fortuna usuros ». Biarnius respondit : « Neque sic erit ; tu in scapbam descende, ego vero couscendain navcui ; video eniui te adeo vitaî cupiduin esse ». Cf. p. 184- 185.

(3) La saga de Tiiorlinn allègue pour excuse que les Northmans s'imagi- nèrent que ces Sknclliugs avaient été bannis de leur pays. Raf.n, p. 15G. Hos u terra externiinatos esse Karlsefniani intelligebant.

CHAPITRE IX.

LKS NORTIIMANS RN AMKRIQL'E.

323

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haptf^iiie et les emmenèrent avec eux. Ils noimnaieiit leur pèrft Uvivpe, et leur mère Yetthilde. Ils racontèrent (jue deux rois },'ouvernaient les Skroelliiifrs, l'un apj ;lé Avalldania et l'autre Valldidida. Il n'y avait pas do maisons dans leur pays, et on couchait dans des cavernes et dans des trous. Ce fut encore dans le voyafre de retour cpu; les Xorthmans eurentà supporter diverses attaques de la part des Skrocllin^'S (1). Ces indiiiènes étaient pl"s l)elli(pieu\ et d'im aspect plus etîrayant (pie ceux avec les(piels les Northmans avaient jusqu'alors été en contact. Aussi, dans leur effroi, prétendaient-ils ([u'ils n'avaient qu'une jambe, et s'abîmaient sous terre, quand on les atta([uait. Un matelot du bord composa même à ce sujet une chanson dont voici le refrain (2) : <( Nos hommes, c'est la vérité pure, ont poursuivi sur le rivage un être qui n'avait qu'une jambe : mais cet être étrange, d'une course rapide, s'est enfui sur le flot. Entends-tu bien , Karisefne ? » Ces étranges ennemis tuèrent même un Nfirthman nommé Thorwald, qu'on a confondu très à tort avec le fils d'Erik tué en 1003 sous le cap Krossaness.

Karisefne, malgré les Skroellings et malgré les difficultés de la traversée réussit pourtant à rentrer au (iroenland. II ne fit (|u"y toucher barre, et se rendit presque aussitôt en Norvège avec les marchandises ([u'il rapportait du Vinland, et les vendit dans de bonnes conditions. Un marchand de IJrême lui oH'rit une demi livre d'or pour un morceau de bois qui lui servait dans son temple de famille (3j. C'était du mausur vinlandais, proba-

(1) UAKN, p. 158.

(2) Voici la clianson du poète anonyme : (R.\kn, p. 160) :

Inseculi sunt viri ^

(Sane venini fuit hoc)

Unum unipcdem

Deorsum in littus ;

Sed mirificus homo

Cursu contendit

Uaplim per uequora ;

Audi, Karisefni.

(3) II)., p. 74.

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U2i l'HKMlKllK l'AltTlK. LKS l'HKCUHSRCHS DK C.OLOMIl.

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Itlciuciil (le rOraltle bouclr. D'apirs la tradition jamais navire plus ridicnient cliargô n'otait revenu du (îrocnland. Aussi les grands seigneurs norvégiens lirent-ils un si bon accueil à Karls- efne, ({u'il rentra en Islanile fort riche, chargé d honneurs, et s'y r.\a |)nur ne phis en sortir jus(|u'à sa njort. Sa femme (Judrida hii avait donné au Vinland un (ils Snorro, Iv [iremier Européen d'une façon certaine en Améri([ue, (pii devint hi souche d'une nomi»reuse postérité. En [H',V,i le dernier de ses descendants directs, Magnus Stepiiensen, vivait encore en Islande. Quant à (Judrida, prise de la passion des voyages, elle se rendit à ll'»me, elle fut très bien reçue. " Rome était très att'iitive aux découvertes géographiques et collectionnait avec soin les cartes et les récits (jui lui parvenaient (1). Toute découverte seud)lait un agrandissement rlu domaine papal, un champ nouveau pour la prédication évangélicpie. Oe ce (ju'ils n'ont laissé dans l'histoire écrite aucune trace appréciable, les récits de Gudrida n'en exercèrent pas moins une certaine influence sur les découvertes postérieures. Il ne faudrait point s'étonner (|uand ils auraient provoqué ou confirmé les suppositions des cosmograplu's italiens relatives à la proximité des côtes orientales de l'Asie'».

Le voyage de Thorfinn Karisefne et de ses compagnons ne fut signalé par aucune nouvelle découverte. Les terres visitées avaient été déjà reconnues par Leif et par Thorwald, mais les côtes que ceux-ci n'avaient fait qu'entrevoir, Karisefne les avait mieux explorées et décrites avec plus de précision. Ainsi les Furdustrandir ou rivages merveilleux nous les retrouvons en Nouvelle-Ecosse. « Ces dunes, écrit un voyageur moderne (2), attirent fortement les regards par leur caractère particulier. Quand nous approchâmes de l'extrémité du cap, le sable et la stérilité du sol augmentaient, et, en plusieurs endroits, il ne manquait au voyageur (jue de rencontrer sur sa route une horde

(1) Gravier, Découverte de V Amérique par les Normnudx, p. 106.

(2) HncHOCii, Ressort of fhe yeology af Massachussets.

ciiAi'iïiu: IX.

LKS NOHTIIMANS F.N AMKHIOl'K.

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(le Itédoiiins \umv lui faire croire (|u"il était dans les jtntfondenrs d'un désert d'Araliie nu de Libye ». La haie circulaire reinar- (|uahle f»ar ses courants, le Strautniiord, doit être la haie de Buzzard, se fait encore ressentir l'influenc»! du (iulf Streani. Quant au\ iles tellement couvertes d'eiders qu'on écrasait leurs MHifs en inarcliant (1), nous les retrouvons sin- la c^jte de Massa- chussets, dans les rochers inliahités (ju'on nomme Kgge Islands, et (jue les ciders choisissent encore de nos jours pour y jiondre et y couver leurs (cufs.

Les Sagas rapportent encore que Thorfinn Karisefne envoya ses compagnons exploiter les forêts, l'on trouvait surtout mi certain arhre nommé mausur. Cet arhre est l'érahle houclé qui |)euple encore les forêts de la région et f>résente à l'éhénisterie de si précieuses ress(jurccs.

Les haleines ont, il est vrai, disparu des côtes, et la chair île haleine ne pourrait plus servir à l'alimentation des populations littorales, mais il y en avait jadis. Dans la haie de Naragansett se dresse encore le Whal Rock ou rocher de la lialeine, et ces dénominations, toutes populaires, ne se (l<tnnent jamais au hasard.

La vigne et le hié poussent naturellement dans le pays. Le climat y est doux, le gazon s'y flétrit à peine. Les Northmans donnaient à la région entière le nom de It-Goda, ou la honne contrée ['■2). Encore aujourd'hui on l'appelle le Paradis de l'Amérique du Nord.

On s'étonnera peut-être de voir les Skroellings si avancés dans le Midi (3), Thorwald les avait naguère rencontrés en Nouvelle-Ecosse. Karisefne les trouvait, et luttait avec eux dans l'état actuel de New- York. Les Skroellings en effet paraissent avoir occupé im immense territoire, mais peu à peu, ils céderont

(1) Rak.\, p l4l. '< Taiitus in iiisula anatuiu moUissimarutn iiumerus eral, ut prae ovis traiisiri fere non possel ». ("1) Rakn, p. 191. « Invenit Vinlandiani Uonani (Vinlanil hit Godda) ». (3) Beauvois, Les Skroellings, p. 20-2i.

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lu place ù de nouveaux erivaliisseurs, 't, dès le xvi" siècle, ils seront refoulés très avant dans le no'd, |)res(jue dans les rèfiions p(daires, sont aujourd'hui cundnés les tièhris de cette race jadis si puissante. Ceux avec lescpiels luttèrent les Northnians resseuddent à s'y méprendre aux modernes Kalalis. Ils sont petits (1), comme l'étaient les Skroellin^'s, ils ont la face large, le teint foncé, ils sont vêtus de fourrures et se terrent dans des trous creusés dans le sol. Ils ont encore des canots de cuir. En HJOo le capitaine Jame Hall ayant laissé une épée à leur disposition, l'un d'eux se coupii la main (2j. Aussi bien les Kalalis du Laltrador se servent encore aujourd'hui de couteaux de pierre. Les Skroellings existent donc encore, mais ils n'occupent plus la même région.

Sauf la (le ière, toutes les expéditions des Northnians en Amérique .„ .s ont, jus(|u'à [irésent, apporté leur contingent de données géographiijues. Un nouveau voyage allait être inutile.

Kreydisa, la vaillante fille d'Eric, la sirur de Leif, et de Thorwald, voulut, elle aussi, jouer un rôle important dans ce nouveau monde, elle n'avait jusqu'alors ligure (pi'au second rang. Maîtresse absolue de l'esprit de son mari, le faihle Thor- wald, elle l'engagea, malgré sa répugnance, à retourner au Vinland, Cherchait-elle la richesse ou d'autres aventures ? Etait- ce l'avidité ou l'amour de la gloire qui la poussaient? Tout porte à croire que cette héroïne songeait surtout à l'argent. Elle avait traité avec deux Islandais, Ilcgge et Finnborge, et convenu avec eux de partager les dépenses et les profits de l'expédition. Les deux parties contractantes s'étaient engagées à ne conduire

(1) RiNK, De Dnnske llandelsidislriker i Nordfjroenland, t II, |). 2, 8, 11. « La plupart des Kalalis sont de courte taille, et se distinguent par des mains et des pieds extraordiriairement petits ; la couleur du visage est très brune..., leur face est large et plate, le regard un peu oblique conune dans la race mongole. Les cheveux sont d'un noir de corbeau, très grossiers et hérissés ».

(2) A. Meyl.vn, Histoire de Cévangélisation des Lapons, et l'Evangile au Labrador (18G3), p. 13i.

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CHAPITRE IX. LES NOHTIIMANS EN AMEHIQUE.

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<liacunc que trente liuiiimes, mais Frcydisa en cacha cinq de |>lus dans la cale de son navire pour assurer sa supériorité en cas de conflit, et ne les montra que lorsqu'il n'était plus temps de revenir sur ses pas. A peine déharqués au Vinland, les associés entrèrent en discussion, llegge et Kinnborge arrivés, avant Freydisa,s"élaient installés àLeifsl)udir(l). A peini; débar- quée, la virago les força de déloger sous prétexte que son frère Ijcif l'avait autorisée à se servir de sa maison, et les contraignit à construire un autre logis sur le rivage. Uegge et Finnhorge, qui paraissent avoir poussé très loin la longanimité, essayèrent un rapprochement, et organisèrent des jeux et des fêtes pour passer gaîment l'hier, mais des querelles éclatèrent, et la mauvaise saison s'acheva assez tristement. Freydisa qui n'aurait s'en prendre qu'à elle de ces premiers mécomptes, jura de se venger (2). Un matin elle sort du lit conjugal, à peine vêtue, se rend chez les deux frères, et leur propose d'échanger leurs navires, llegge et Finnhorge, par esprit de conciliation, y con- sentent. Aussitôt Freydisa va trouver son mari, le réveillle, se plaint d'avoir été insultée par ses associés, et réclame une punition exemplaire. Thorwald, sans seulement soupçonner l'artifice, fait prendre les armes à ses hommes, et les conduit à la demeure de ses associés. Ils sont saisis et égorgés. Cinq de leurs femmes avaient été épargnées. Personne ne voulait les tuer. « Donnez moi une hache, » s'écrie la féroce Freydisa. On la lui donne, et les cinq infortunées tombent sous les coups de la Walkyrie (3). Gomme la contenance des Northmans, vite revenus de leur ivresse sanguinaire, lui prouvait qu'ils avaient horreur de ce massacre inutile : « Si la fortune nous accorde de retourner au Groenland, dit-elle, je retrancherai du milieu des

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(1) Rafn, p. 67, Particula de Groenlandis.

(2) 11)., p. 68-71.

(3) 1d., p. 71. « Superstites vero erant inuliercs, quas nemo occidere voluit. Heic Freydisa : « date mihi securim ni manum ». Ita factum. Deinde illa quinque mulicres, quie ibi erant, ferro adgreditur et exanimes relinquit ».

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328 l'HEMIÈRE l'AHTlE. LES l'HÉCURSEUHS DE COLOMB.

hoinnu's ('chii <nii dira ces cliosos. Nous dirons au contraire (|u'ils sont restés ici » (1).

D<>s lors l(! succès était assuré. Maîtresse de deux vaisseaux, et l'orte de la terreur (|u'elle ins|)irait, Freydisa explore tran(|uil- lenient le pays, tantôt loiif^eant les côt(!s, tantôt s'enfoncant dans les forêts, puis, au prinleui[)s dcî 1013, retourne au Groenland. Son assurance paraît l'avoir ahandoniiée. En vain distriltua-t-elle i\ ses compagnons la [dus grande partie de ce qu'elle rapportait du Vinland : elle ne parvint pas à cacher sou crime, et fut dénoncée à Leif. « Je ne puis punir ma so'ur, dit ce dernier ; mais je prévois (|ue sa postérité sera malheureuse {"1) ». Kn elfet, d'après les Sagas, il ne lui arriva plus dès lors (jue des n'vers.

Le 2G avril 1831, à l'extrémité méridionale du Fall- River, dans le Massachussetts , à l'endroit même Leifshudir fut peut-être hAti, on trouva divers squelettes avec des armures de poitrine en bronze, des fers de lance et divers instruments, semblables à ceux dont se servaient les Northmans au x" siècle, car le bronze a été analysé et contient les mêmes éléments que le bronze des objets similaires trouvés en Jutland. On en a conclu, peut-être prématurément, (jue ces squelettes étaient ceux des victimes de Freydisa. Nous ne pouvons que relater cette hypothèse : ce n'est en effet, et jusqu'à nouvel ordre, qu'une hypothèse (3).

Apartirdecetteépoque,lesrenseignementsdevienncntdemoins en moins précis. Les Sagas désormais ne mentionnent plus comme une singularité les voyages des Northmans dans ces contrées, sans doute parce qu'on les considérait comme un fait habituel.

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(1) Rak\, p. 11. « Si nobis dabit fortuna, ut in Grœnlandiani reveniamus, hune ego virum de niedio tollani, qui lias res indicaveril ; nos vcro dicamus, eos heic remansisse, postquam hinc discessissemus».

(2) Id., p. 73. Non induci possum ut in sororem meam Frcydisam, proul meruit, animadvertam, scd hoc divinabo, prolem corum parum successus habi- turam ».

(3) Mémoires de la Société des Antiquaires du Nord, 1840-1844 (p. 104- 109, 119-127, 177-178). 184549 (p. 101-102;.

CIIAI'ITHK I.V.

LKS NOin'IlMANS KN AMKHKJUK.

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\)rout habi-

Une dc'cunvertc n'M'ciito vient de pruiivcr mit' luis de plus (|ii»' le Viiilaiid (''tiiit rcf^iirdô coiiune lUic véritaljlc ctilniiic par les Nnrflimaiis. l'ji ISIîH, M. IMiilip|i(' Maisli tntiiva en Islande, près de l'éfflise de Skalliolt, Italie, à ce (lu'nii pense, en KK'l" par rév(\(pie Isleif, nn niainisci-it. latin ipi'il lési<ina smis le iiuin de Skalliolt Saga, et (pii l'nt traduit en anglais par sir TlKunas Murrav. (\o inainiscrit racontait les voyages des Islandais an Vinland. Il |»arlait aussi de leurs coinhats contre les Skroellings, et surtout de l'expédition tentée par un certain llervador, (|ui serait parti du Vinland pour se rendre dans les terres du sud, sur les côtes de llritrauianalaiid. llervador, voidanf hiverner dans ce pays, remonta un fleuve et linit |»ar s'arrêter au pied do cascades écumantes qu'il nonmia llridsoerk. ('/est (pie périt, tuée par !a llèclie d'tni sauvage, une des i'emmes de rcx|)édition, Syasi. Ses compagnons l'enterrèrent à l'endi'oil même elle était tombée. La Skalliolt Saga pntuvait simple- ment, une l'ois de plus, que les Nortliuians avaient poussé leurs expéditions assez loin dans le sud, ((u'ils avaient peut-être connu la (lliesapeake, les fleuves qui s'y jettent, ainsi que les cascades (|ue forme le Potomae au-dessus de Washington, l'n savant, Uaninson, un géologue, Letpieureiix, le professeur Brand de Washington et le docteur Hoyce de Hoston voulurent profiter des indications du manuscrit, et retrouver le t(jinhean de Syasi. Ils réussissent au-delà de leurs espérances (l), et môme trop complètement au gré de (piehpies érudits qui les accusèrent d'avoii- eux-mêmes préparé une mystification archéo- logique. Le i28 juin 1807, en effet, Raffinson trouva une ins- cription runi(jue à trois kilomètres environ au-dessus de Washington. Cette inscription avait été protégée par la voûte que forme en dessus le rocher nommé Arrou-head (Tête de flèche), et par le voisinage d'un unti(pie sapin au tronc tordu.

104-

(1) Tour du Monde (N" 483) citant un numéro AdVUnion de Washint/ton, reproduit par le New-Ï^ork Weekly-Trihune.

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'.\'M) i'hi:mik»k I'autik. i.i:s i'ukciiiskiiis dk cni.o.Mii.

I']||(> s(> nirii|i(isait ilc cai'iKitM'cs de trois iiuiiccs (le liant, les uns très |M'ii prnfuinls, icsiiiitrcs au contrain' rrciisés jiis(|irà iii) liiii- tit'iiic (le iHiucc. Kllc fut ainsi traduite : « Ici rcfiosc Syasi la MIhiuIc, lie rislaiuli'( M'inilalc, veuve de Kjoldr, s(enrde'rii(tj:r|iar snii |ière,A},'ée(le viiijj;t-(in(| ans. Que Dieu lui lasse j;ràce(l().')l) •>. fiOs heureux areliéoloj^ues l'ouillèrent ensuite le snl au-dessous do rinsrri|)tioii. Ils trouvèrent quelques ossements (|ui f(»iul»èrent aussitôt en |»oussière, trois objets de toilette en l>ron/e tout à fait inforines, percés d'un trou par passait sans doute un cordon, deux IVajriuents d'encrinite servant peut-être à un collier, et enlin deux nioiuiai(<s du Has-Kinpire datant du M'' siècle. Cette dernière trouvaille n'a rien de sur-prenant : ou sait aujourdlnii «[ue de nombreux Nortlimans s'enrôlèrent, sous le nom de V'arèjiues, au service des em[)ereurs de (lonstantiuople (1^. Tous ces objets sont aujourd'hui déposés à Washiufrton, au nuisée de l'Institut Smithsonien. Ils semblent démontrer la présence des Northmans en Améri<|ue vers le milieu du xi'' siècle.

Aussi bien, à cette é|)0(|ue, la connaissance des colonies américaines semble avoir |)énétré juscju'en lùu'ope. Adjun de liréine, dans sa description des contrées du Nord, |)arlo en termes fort clairs de la Vinlandia(^). « Il est encore une autre île qui, d'aitrès le roi Suénon Estritius, fut découverte dans cet

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(!) llAKN, Antiquités Hussns et Orieiitiila.f d'oprùs les monuments histo- riques des Ivlanditis et des anciens Sc(nidi7inves.

(2) Adam de Urèjik, Historin ecclesiastica. § 24(>, p. 151. « Prictcrea iitiiim iulluic insulain recitavit rex Daniœ Suenus Estritius a imillis repertani in illo Occaiio, (|iitr dicitur Winlaiid, uo quod ibi vites s|)onte nascantur ; nain et frii^cs il)i non ai)unilarc, non fabulosa opiniunc, sed certa Danorum rclatione, conipeiiinus. . , Post (inani insulani terra nulla iiivenitur habita- bilis in illo Oceano, sed omnia, ipun rétro sunt, glacie intoleraltili ac calijçiiie nmensa plena sunt : Cujus rei Marcianus ita mcniinerit, ultra Thile inquicns navigari rarius diei propter marc coneretuni. Tentavit hoc nupcr experien- tissimus Nordmarnornni priiiccps Haraldus, qui, latudincni septentrionalis Occaiii pcrscrulatu^ navibus, tandeni caligantibus ante ora dcncicntis mundi t'inibus, immane abyssi baratiirum retroactis vertigiis via solus evasit. »

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l,i:S NOHTIIMANS K.N AMKaiyii:.

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inquicns Uiicricn- lilrionalis lis muniii

ncôan. On la iiiiiiiiiia Viiilanil (pays du \iii), iiurcc (|iit> los \i;,'ii('s y |i()iis>H-iit (l'cllt's-iiK^iiics. (le n'est pus une liisf(»ire inventée à iihiisir ; nous savons pur des n lalioiis danoises anllienti<|ues (jin' lu réffion n'est nuèiv iortile. Derrière le N'iniand on ne trouve ^'uère dans cet océan auctuu' terre liaitital)le : ce sont des iuunensités couvertes de ^Jace et pionj;é(!S dans i'(»l>scnrité. Marcien s'en est souvenu (piand il a écrit (|u'oM ne pouvait navi^'uer |)lus d'un jour au-delà de Thulé. Tout réceuinient un prince northniun, excellent inariti, liarald, a voulu s'y ris(juer; il s'est enga}i:é avec ses navires dans rUcéan se|»tentrional, mais le monde finissait et l«'s trnèlires aiifiuieutaient. A f^rand peine a-t-il pu. pres(|ue seul, éviter les altimes et les goullVes ». L'n savant Suédois, rpii a irussi à se l'aire un nom par ses fantaisies };éo}:raphi(pies, Uudheck, raiiteiu" de l'.Vtlantide, a cru voir dans ce pays non pas U> Vinland mais la Finlande (1). Or, la Finlande n'est pas d.ins la zone de la vi),^ne, elle n'est pas non plus située dans l'Océan, au-delà de Thulé, et les pays (ju'on trouve derrière ne sont ni iidiahitahles ni inliahités. Le Vinland au contraire est situé au-delà de Thulé et produit de la vigne. De plus, derrière ce pays, les glaces ;'t les hrouilliu'ds durent éternellement, et le» voyageurs (|ui se sont aventurés a|)rès liarald dans les mers du pôle ont s'estinu'r fort heureux quand ils en sont revenus, (l'est donc bien rAméri(|ue dont parlait à Adam de Hréme le ini Suénou, et c'est l'Américpu' dont le géographe historien a conservé le souvenir.

Le Vinland était également connu dans l'archipel des Feroi', sans doute par suite des relations suivies (jui existaient entre les habitants de cet archipel et les colons du Vinland. On a conservé un ancien chant, Carmen horotcum (i) , d'après lequel la belle Ingeborga, fille d'un roi, ne consent à donner sa main

11) RuDBECK, Atlrmtis, VII, part. VIII, p. 29.

(-) Uaf.n, Carvieii heroicum in quo Vinlandix mentio fit {Antiquitate Americanx), p. 320-335.

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i\n'n\i jj;ii('rri('r (|iii iiiii'.i nuiili.ittii et vaiiicii trois rciis du Vhi- laiid ; mais ih •• s(»nt |»as iiK's par l-'iiiu Fulcr, le li('rns i|ii(' la [M'iiiccssc avait clidisi dans son cdMir, et, l'orcrc de tenir sa promesse, rinrortimée meurt de cliafirin. I^a date de ce chant est incertaine, et il ne l'andrait pas lui attrihiier la valeur d'un «lociiinent liistori(|ue, mais, à travers les ornements poétirpies (pii le délij^'urent, il est facile de défrafrer un fait, rexislence de rapports suivis (intre les îles de rAtlanti(pie et le Vinland, et mtWne d'une navigation trop comme |>our (jue les scaldes en cliantent en((»re les péri|)éties.

Nous retrouver<ins encore le Vinland dans la contrée dont le Normand (M'der-ic Vital (l) parlait en ces termes : <• Li-s îles ( )r- cades, le Vinland, risl,..<de el le (îroeiilaud, an nord des(pielles on ne trouve plus juicime terre, appartiennent, ainsi (|U(! beau- coup d'autres pays jus(praii (Jotlilaud, au l'oi de Norvéffc, (jui, (lo tous les |)ays à la l'ois, recoitpar mer de ^^raiides richesses m. Le tevte est altéré en cet endroit. On |ieut lire Vinlanda ou Kinlanda, mais l'historien, à pro|)os de la j^nerrc soutenue par Ma^iius III, roi de Noi'vè|j:e, contre l'Islande, nuMitiounait les |)ossessions de Si^^urd I le (jnjisé. Oomhien est-il peu prohalile (|u'après avoir cité les ()rcades,et étant sm- le point denonuner l'Islande i>t le (îroenland, il ait pensé soit à la Finlande, soit au rinmark de la Suède, alors (|u'il était si naturel de citer le Viidand parmi les terres océani(|ues dépendant de la couronne do Norvège, d'autant pins «pie la Finlande fut toujours une dépendance de la Suède ou de la llussie, mais nullement de la Norvège.

Donc, au Xi'' et au \ii" siècle, le Vinland est compté parmi les possessions Scandinaves. Les évéques de Norvège et d'Is-

(t) Omoeiik; Vital, llixtovia ecclesiasliai, liv. x (('édition [.e Piovosl, t. IV, p. !2'.l| : '< Orcailcs iiisiilm vl Viiiliiiiila, Islaiida r|ii()(|iie ot (iiueiilarKla, ultra i|iiaiii ud .su|)t(;iiti'i(iiu!iii terra non rL-|icritur, aliaM|U(; plants iisi|ii" in (îuti 'atnlani itt^^i Nnrii'ornrn subjiciuntur, et du tnlo orlte divititu navi^iu illuc udveluinlnr »,

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r.llAlMTHK I.V.

l,i:S NdltillMA.NS KN AMKHIUI lO.

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lundi', et Itifiiti'il !<■ ikhivcI ('v' 'iic iiislallt' ;'i (laidar, en llfncii- laiid, le roiisidt'rnil cniiiiiic une paroisse «'•l(ii;;in't' de leur dincèsc, et parCois vont rciidi'c visite à leurs luiiitaiiies ouailles, (l'est ainsi «pi'en KKl!) j'évi^cpie Ion on Jean, après nn séjour de (piatre ans en Islande, passe au VinlainJ dans Tesjjoir de con- vertir les peuplades américaines, (pii connneneaieni à i'ournir' des compagnes au\ colons Nortiunans, niais il y sidiit le niartyre'^l). Oiielipies années plus lar<l, en llil, après diverses tentatives dont riiist(tire n"a coiiservé(prun va^ue souvenir (:2), rislainlais l']rik l'psi (le l^oisson), ou plutôt (lni'ips<in ilils de (înùpi partit pour le Viidand, dont la situation religieuse lui inspirait de vives in(puétndes. Il parait (pie les colons de \inland (-taient alors assez nonil»reu\, et (pie le nouvel éviMpie trouva sa mis- sion trop lourde, car il renonça solennellement à son siè^c de (lardar poin- se consacrer à ses ouailles du Vinland (il). C'est du moins ('(> (pie semlile iii(li(piei' la nomination à l'évéclié de lîardar, en ll!2'i, d'un cei'tain .Vrnald, sur la (leman(UH>\|. cesse des cidoiis (Iroenlandais réunis en diète fîéiiéraU' (i).

Il eût été \\\v\ intéressant de cmïiiaitre dans ses détails la prédication d'iù-ik l'psi et son lieiireiiv succès. La découverte de (piehpie niaiiiiserit islandais éclaircira peut-être un jour ce curieux problème, (le doit (Mre en l'U'et la vipmrense impulsion donnée par iM'ik l'psi à la prédication clirétienne au Vinland (pii e\pli(|ue la persistance des traditions et des cérénioiiicîs reli^Mi!Uses dans certains cantons île l'Amériiiue du Nord. N(Jiis

(I) /ttdiid^ LnndsunuKiliock, p. ItltO. Toni'AKi s, IJi^turid VinlmiiU.v iinliifu.e, p. 71. Bkai'Vois, Oritjines et /hiidiitioii tlu ii/its tmcien évé./ti: du Souvenu Monde p. lliO.

{2) Hkai.vois, oiiv. t'il('', p. \'M). (iroenliiiids liislarish' Mindesiun'vltes, III, (). - Ant. Atnri; p. 262.

(J) IUkn, Ant. Auter. p. 2G1-262, 4;i2-4ÎJ3.

'V) l.(! récit tirs (IfUiiilli'; di! i-ettc! iMcctitiii . ". Iroiivc; dims le l'M.iteyjarbock iinpoitiiiit iiiaiiiiscril dont il a i'iù pai'U; pins haut Cf. (Iroelimih /listori^ke, \lindi:iin(}')'kes, t. Il, p. (i80-719. Voir dans los Mémoires de lu Soiùété ilrs Antii/u/lires du Noril (I84I)-I8H|, .1 inentoir nf lunar Soi-kesou jxir

<il 1 HMI .M).\H«O.N HkI'I'.

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334 PHEMIKRK PAHTIi:. LES l'RKC.LHSKCKS Ï)K COLOMIl.

aurons occasion de revenir sur cet intéressant sujet. Ainsi s'ex- pliquerait également, hien que l'assertidn paraisse au premier abord paradoxale, !,t prédication de la croisade en Améri(pie(l), mais seulement à une épocpie elle commençait à ne plus être dans l'ancien monde qu'un vain mot, un simple [)rétoxte à lever de l'arpent plutôt qu'une guerre sainte. L'Kglise en effet, «pii voulait profiter de ses dernières ressources, songe à ces dio- cèses él(jignés qu'elle ne connaissait guère (pie de nom. I*]n 12(51 lévéque ( Haf, prépare le terrain par ses prédications (2j. En 1270 l'archevêque Ion, autorisé par le |»ape, à cause de la longueur du chemin et des fatigues du voyage, à ne pas aller de sa personne dans ces lointaines contrées, envoie << une sage et discrète personne » pour recueillir en son nom le produit dos dîmes, et des commutations de vanix, produit destiné à la croi- sade al(jrs préchée par toute l'Kurope, et le pape Nicolas II, |»ar une lettre datée de Rome le 31 janvier 1270, confirme les pleins pouvoirs fonférés par l'arche vécjue à ce collecteur anonyme. Trois ans plus tard, en 12S2, le mandataire revenait en Nor- vège avec une riche moisson de dîmes, mais les pauvres colons du Vinland connaissaient peu les métaux précieux ou du moins n'aimaient pas à s'en dessaisir. Ils avaient payé' le saint person- nage en nature et ce n'é;wi point de Wtr, mais une ample provi- sion de pelleteries, de dents de morse et de fanons de baleine (pic rapportait ce dernier. L'archevêque loii, fort embarrassé, con- sulta le pape pour savoir ce qu'il devait en faire (i mars 1282i et Martin IV lui donna le conseil tout pratique de vendre et de réaliser. Il est probable (pie l'archevêque sui^t ^e conseil (3i. Vingt-ciu(j uns plus tard, en 1307, les dîmes du Yinland figuraient encore dans le produit des collectes (4). En 1300,

(1) Paul IUkst, ExpMitions et pèlerinages des Sca7idinaves en Terre-Saint >■ au temps (/e.f Croisades, p. 36".

2) C'est ce même tivênue qui sj chargea d'oprier, au nom du roi de Nor- vège, la réunion à lu couronne des colonies d'AnKJriquc.

(3) IliANT, CUV. cité, p. 365.

(4) iD., p. 380.

CIIAIMTHIC IX',

LES NOHTllMANS K.\ AMIIlUOrR.

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re-Saintc de Nor-

aprc's le cijiu'ilc de Vioiini' ot la |uilili( atiou d'une levée de subsides par Laurent KarloCsou et IJiarn, révtkjue de (lardar Ariii se rendit à sa résidence et orf:anisa cette levée (l). Il n'oublia pas ses paroisses de Vinland, car, en 131.'), les dîmes des colonies américaines, consistant connue toujours en dents de morse et en pelleteries diverses, furent vendues douze livres et ((uatorze sous tournois à lui flamand, Jean du Pré. l'Ji iXil't ces comptes lurent définitivement arrêtés [tar Pierre (lervais [il). Les possessions extrêmes des Nortbmans contribuèrent donc pour leur part au grand mouvement religieux, (jui est resté le fait dominant du moyen ilge. Trop éloignés pour prendre à la lutte une pîu't active, et d "ailleurs appelés trop tard, les [)auvres colons du Vinland tlonnèrent néanmoins à l'Europe cbrétienne, qui soupçonnait à peine leur existence, tout ce dont ils pouvaient disp(jser, c'est-i'i-dire les produits peu variés de leur industrie. Connue les détails sur l'organisation et la vie intérieure de ces colonies américaines mancpient dans les documents islandais, on est réduit sur leur compte à des conjectures. Il est néanmoins probable qu'il en fut du Vinland connne des autres établissements fondés dans l'extrême Nord |)ar les N(»rlbmans, c'est-à-dire (ju'il fut organisé en colonie liitre. I^es clierclieurs d'aventures poussés par le désir de lu nouveauté, et les bannis toujours nombreux aux époques et dans les pays dominent les passions individuelles, venaient s<hiIs au Vinland. Unesorlede république s'y était établie, sous le protectorat nominal des rois de Norvège, et probablement sous la direction de quelque descendant d'iu'ik llauda. Les colons entretenaient avec la métropole, mais surtout avec le (Jroenland et l'Islande des relations assez suivies (3). Ils échangeaient les richesses du pays, bois précieux, peaux de bêtes, dents de morse, huile ou fanons de baleine contre le fer et les armes qui leur man(|uaient. C'était la pêche surtout ([ui

(1) lliA, , p. 394.

(2) Id., |i. 391.

(y) ToHKAELs, Yinlandia antiqna p. "1.

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t'iiricliissait les Nortliiiians (rAin('ri(|ii('. Maintes (ois ces hardis marins se laiicèroiit, à travers les détroits qm' redoutent atijoiir- <riiiii nos capitaines, à la [inursuite de i|U(>l(|iie haleine (|iii leur avait échappé. Ainsi (pie le chantait un de leurs scaldes, Svenin, l'auteur du Xiirdrsrliidrupd (1), ils nhésitaient pas à alVronter les M hideux lils de Forujot (^) souillant sur le hiltinient, et les vafiues dispersant leur écume. Ils s'avançaient au milieu des tourhillons iurieiix de la faraude chaine (piand elle commençait à déchirer et à l'aire tournoyer les lilles du p,éant des mers toujours ^siies dans la tempête ». Les colons i\u (îroenland, et particidiérement les Storiiindi, ou farauds [tropriéfaires, se signalaient par leur audace. Ils s'étaient étahlis sur tout le versant oriental de la péninsule : (Ireipar et Kroksiiardarheidi, au nord et au sud de l'île de Disco, ipudcpie part diuis le f^^olCi^ de Mel ville, étai(!nt leurs principales stations d'été (IJ). Ils\ trouvaient dos phoipies et du hois (lotte apporté du continent parles courants polaires. Un chroniipieur contemporain, IJiarn lonoeus, ('om|itait alors treize |)aroisses suhdivisées en cent (juatre-vinf^t-dix villes dans le Westerhj^d et (piatre paroisses suhdivisées en (|uatre- vinj,^t-dix villes dans ri']sterhyf:çd, c'est-à-dire sur les deux versants du (iroeidand. (le chill're seud)le fort (exagéré. (les villes n'étaient sans douti! (pie des villajîes, ou même des maisons isolées, et ces éfilises des chapelles, maisixi chi(rr(î sup|)ose une [)opulation relativement considérahh; et une prospérité réelle.

lui lliK) trois (iroenlandais, entrainés par le f^oùt dos aventures périlleuses, voulunnit s'enfoneer jusque dans la région, chanté(! par les scaldes, « l'étoile polaire était visii)le à nndi ». Ils .s'enfîag(!rent dans les détroits nommés depuis de Davis et de

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(1) Ce poi'iiic (latc! de; la tîii du xi" siècle. Il est cité par Hiwnjui.sson. Jusqu'où les incie}is Sca?idiiinvcs ont-ils pém'tn! vers le pôle arctù/uc da7is leurs expéditions à ta mer (jlaciale ? |i. 149.

(2) Les lemp.'.es.

(;t) Hakn, Antiquitates Americano:, p. 273-6, 296-300. Tohkaeus, Vin,' landia Antiqua, p. 2!)-3.'j.

CIIAI'ITIIK IV.

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Vin-

Uariiii, et iirrivrfciif jusqu'il l'île Kini^iktorsuak (ui dos Kcriirncs, suiis le 72" ").""»' de lafitiido horéalc. Fiers de leur e\|»l(»it, ils eu î-^ravèreiil le souvenir sur une des piei-res de Tile. ('<eUe [tierre tut tntiivée en ISi'i. décliillVée par le inissioiinairi' Kra^di, et dé|tnsée par le capitaine (Iraali au uuisée de la Suciété des anti(|uaires du Nnrd ( I ). Vax voici la traduction : " l'-rlin^'«t, lils de Si^:\vat. et Iliarn, lils de 'Pliord, et lundride, lils d'Odd, ('rifjèrent ces monceaux de pierre le samedi avant le jour de fi:af:udaf: {"IVi a\ril) et déhiayèreiit la place, \\X\ » (ti). Les Saj^sis ne parlent pas de cette expédition, mais l'inscription de Kin};iktorsoak est autlienti([ue, et, depuis w moment, on a trouvé des insoriptions analotiues à jieu près dans les mêmes parafées, à l^^llikko, à Kfie^^eit, à ['p|)ernavick, (pii n<' laissent aucun doute sur la réalité de ces voyajres dans les réjrions Itoréales ('A).

Les Saf;as ont conservé le souvenir d'un voya^ic entrepris en liCtC» dans la même direction par (piel(|ues ecclésiasti(pies du diocèse de (lardar. Trois prêtres, et parmi eux un certain llalldor', parfirent de Kroksilardarheidi. Surpris par des Itrouil- lards intenses et poussés par le vent du sud, ils se laissèrent aller à la dérive à travers un labyrinthe d'iles et lnn;:èrent des cotes liordées de [placiers à [lerte de vue (i). Voici du reste la relation adressée par llalldor à son ami le (îroeidandais Arnald, chapelain de Ma}j:nus llakonson, roi de Norvè}i;e (12()l}-li2()S) : <> Les prêtres é(juipèrent un vaisseau destiné à une expédition vers le n(trd ayant jtonr Itut d'"xauuner le pays situé plus au nord (pie les contrées visitées jnscpi'alors. Ils lirent voile de Kroksliar- darheidi jus([u'à ce (pi'ils perdissent la côte de vue. .Mors un vent du sud, aocompaf.'^né dune ;;i'an(le obscurité, les attaipia <'n

(1) Raks, A7it. Am., p. 276-218 citant llom(i'stelc\i;i Sl<iil(llii!l},'i;ma.

12) Màinnirt'A de la Socirlt' t/c^ AntiquaircH dit Nord, 184.'i-184!t. p. :tli.

(H) Mi'jnoires de la Sociéti' des Atiti'/uairr.s du Nurd, pas.siin.

{k} (iri)enlands liislorilie Mindcsimvrkrr , t. 11 , p. 2:t8-2i.'!. UaKN. Antiqxnlates Aiiieriiyni.r, p. 2(i!)-27H, Nous avons rilr la liadiictinn Itryii- jullson, ouv. cité, p 14i^.

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face, ot ils furent contriiiiits do laisser aller- le vaisseau selon le vent; niai>> lorscjue la tempête se fut calriiée et (pTil lii jour de nouveau, ils virent une jurande (|uantifé d'îles et toute sorte de poissons, dos piiocpios, des haleines, et des ours en jrraiid nombre. Ils pénétrèrent jus(|u'au fond do la baie, do sorte qu'ils perdirent la terre do vue vers l<> midi, ainsi que les i^laciers, car, d'aussi loin que l'on pouvait y voir vers le sud, il n'y avait (|ue des placiers. Ils y trouvèrent des traees de Skroelliuf^'^s , mais ils ne pouvaient débanpier à ( anse des ours. Plus tard ils retour- nèrent en arrièi'o pendant trois jours, et étant arrivés iKpiebpies îles situées au sud de Sncofell, ils y trouvèrent de nouveau des traces de Skroellinjis. Knsuili' ils se tournèrent vers le sud jusqu'à Kroksiiardarlieidi, une longue journée à rames, le jour même de la Saint Jacques. La nuit tout ficlait alors, mais le soleil brillait cependant j(tur et nuit, et ne s'él(>vait jamais plus haut (jue si un homme se couchait transversalement dans un bateau à six rames, eu s'étendant sur le banc, rond)ro du bord le plus rapproché du soleil lui tombait sur le visafîe. Mais à minuit le soleil était aussi haut que chez ( u\, dans un jiays habité, cpiand il se trnu\e au uord-ouest. Après cela ils retournèrent à (i;irdar 'i. (le passa;j:e. à cau<e de la précision de certains détails, a frappé les savants il). On a essayé de déterminer la latitude (pi'at- teifïnirent ces premiers explorateurs des régions boréales. D'après les calcids miiuitieux de l'astronoirie Schumacher et de l'amiral Zahrtmaim, la hauteur de soleil, au i.'J juillet, jour de la Saint .la<ques, à minuit, nous ramène au parallèle de 7o' '<('», c'est à dire un peu au nord du détroit de Marrow. Haildi>r l't ses compajinons auraient donc précédé Franklin, Ross, Uayos, Nares et (Ireely. t(tus ces héros des réf^ions boréales, dans ces mers lerriitles, si fécondes eu naufra|i'es de tout j;enre, et ils les auraient bravées avec leur frêles escjuif-;, soutenus seulement par la ferme volonté de << [)ousser plus oultre ! »

(1) IUfn, A)itii/uiti:i ADtériminv.i, Introdiiclion, p. XXVI. II». Memoirr sut' la Découverte île. l'Ainvrit/ue du .x" .'■irclf, p. 21.

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CIIAI'ITKK IX. LKS NOHTIIMANS K.N AMKHK>li:.

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A pou prôs ù la tnôrnc <'po(|U(\ on liiHrj il), doux pnHros Islan- dais Atlalln'aixl ot Thorwald llolfrasou, coniproiuis dans los Irouhlos roligioux do lilo s'oird)ar(juoront pDur le Markland : Ils retroiivôront sans peino lo pays aiiquol ils dunnôront lo nom (pi'il a depuis conservô Nyj<i-Liuid, ou Torro-Ncuno. La morue, alors counno aujourdliiii , foisonnait dans ces parages Ou trouvait aussi beaucoup de |)oissons sur les eôtes. Il suffisait do creuser des fossés à l'endroit baigné par la [)lus haute m(îr, et, (piand Toau se retirait, ils se trouvaient plein de; poissons. Cotte pèche facile et lucrative est encore aujourd'hui pratiquée par les riverains de Terre-Neuve. Aditllirand ot Thtjrwald décou- vrirent ou du moins signalèrent encore los îles du Duvet, ainsi nommées à cause du nombre extraordinaire d'oiders ou d'autres oiseaux de mer qui y bAtissaient leurs nids. C'est une particu- larité (|ue signalèrent également nos compatriotes Cartier et Cbamplain, lorsque, à un siècle di; distance, ils voyagèrent au Canada, u Ces isles, écrira Cartier (2), estoyont plus remplies d'oiseaux que ne serait un pré d'herl)e, lesquels faisoyent leurs nids, et en la plus grande de ces isles y en avoit un monde do ceux que nous appelions margaux qui soat grands ot plus grands qu'oysons, ot estoijnt séparez en un canton, ot on l'autre part y avoit des godets, ... ». <( On y trouvait, lisons-nous dans Cbamplain, une telle abondance d'oiseaux (le difl'érentes espèces qu'on ne pourrait se l'imaginer, si l'on no Tiivait vu, comme cormorans, canards de toutes sortes, oies, niarincttes, outardes... et autres sortes lesquels y font leurs uids » (3).

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(l) Voir les Annales Royales, ainsi nommées parce (jue le manuscrit en est conserve à la bibliothèque du Roi à Copenhague. Rai'N, .1»/. Atn. p. 262. '< Kundu Helgasyim Nyja Land Adhalbraiidr ok Tliorwaldr ». Les Annales tris anciennes qui datent du commencement du xive siècle, et le Klateyjarbok liHilent de cette découverte, mais sans en mentionner les auteurs. R.ai'N, p. 262.

(2:i DUanirs du voijage fait par le capitaine Jaques Cartier, édition .Michclant et Uanié (1863), p. 34.

(li) C.iiAMi'i.AiN, édition Laverdière.

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'A'tO l'iiKMiKiU': l'AHTii:. u:s i'RKccuskihs hk colomii.

La nouvelle des découvortes d'Adalliriuid et de 'Pliurwidd se i'é|(aiidit en Nid'vèj^e, et excita un joyeux eui|»resseinent. lui l^iH*.) le rui ICric envoyait d'almrd en IsiaiuUï pour y (tréparer l'expé- dition, puis à la Tei're-Neuve un certain llolf. I^es annales Islandaisi's nous montrent ce lloli'" parcourant en ell'et l'Islande dès l'année 121)U, et en^af^cant les lialtilanls à faire le voyafre de Terre-Neuve (1) ». (Juand il mourut en lill.'îil était connu sous le surnom d<' Uoll' des pays, ou Uoll' rKs|)lorateur : ce (pii sendderait indiquer (ju'il avait été heureux dans ses voyages ["1).

\ partir de cette épocjue, on n<! trouve plus mentionnées dans les Sagas et dans les autres documents liist(jri<iues que de très rares expéditions, soit au Vinland, soit à la Teri'(!-Neuv(^ Il semble (jue ces voyages sont devenus liahiluels, pres(pie réguliers, et dès lors ils n'attirent plus l'alteation. Ainsi, lors([ui' Ivar Hardson en 1317 sera chargé de visiter et de décrire les étahlissements des Northmans en Améri(|ue, il compo- sera son ouvrage sans seulement faire remarquer (|u"il décrit des régions à peu près inconnues (3). En 1347 nous trouverons une nouvelle mention d'un voyage au Markiand, mais sans le moindre mot de surprise (i). « 11 vint alors en Islande un navire du Groeidand, ntonté par dix-huit hommes, et (jui avait visité le Markiand (5) ".A vrai dire les Islandais ou les(jroeiilandais,

Il Rakn, Aut. Arn. p. 2ti3. « For Rolfr uni Island, ok Krafahi menn lit Nyja Lands ferdhar ».

"Ij Uakn, Id., Andadhist Landa Ilolfr.

(.'il On a conservé la description du (îrœnland par Ivar Mradson. Rai'N l'a publiée dans ses Aiitiijuitates Americanx, p. .302-318. Majou en adonné une nouvelle édition eu 187;{. Descnptio Grwnlandiœ auctore Ivare Bardi filio (i la suite de Tliu Voyages of Niœlo aiul Antonio Zeno).

(4) Voir la curieuse lettre de recommandation donnée à Ivar par llaknii, archevè(iue de Bergen, 6 août 1341. (Mémoires de la Société des Antiquaivi'i du Sord, 18451 849, p. 7).

(."•) Um-n, p. 264-0. Cf. p. 207, extrait des annales de Skalholt : « Il vint aussi un navire de (irœnland, moins grand que les petits vaisseau.ic qui l'ont le voyage d'Islande. Il aborda dans le Straumfiord extérieur. Il était saim ancres et il portait dix-sept lioinnies, ipii s'étaient rendus dans le Markiand, mais qui avaient ensuite été poussés ici à la dérive ».

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Marklanil,

(lu froizicmc au (|H!itorzi(''iii(' sic'clc, paraissent avoir (Mitretciiii (le fr(''(ju('nt('s relations avec les établissements d'Amérique, (le (|u'ils rliercliaient siu" les côtes du nouveau monde c'étaient surtout des poissons ou des aninuiuv marins, et aussi du bois flotté. Il est en ell'et ti'ès souvent fait mention dans les Sa},Ms d(> ce bois flotté, qui, très probablement, était apporté par les cou- rants [»olaires. .Vinsi, dans la clironicpie du préteur llnnk Kr- lendson, à la date de l'.VM, nous lisons : " Dans le Nordshota (partie du (îroenland), il y a ilu bois flotté, mais il n'y croit |ias d'arbres. Cette pointe septeiitriijiiale du (îroenland reçoit sur- tout du bois et toutes sortes d'épaves venant des polfes du Markiand » (1). Le plus renonmié de ces bois était le uiausur ou érable bouclé. On le trouve encore dans le l{bode Islarul et le Massacbusscts. Ses deux princij)ales variétés, l'acer rubrum ou birds'efie (o'il d'oiseau) et l'acer sacliarimun ou curledmaple (érable frisé") sont fort rccberchées à cause de leurs belles cou- leurs, de leur dureté et de leur éclat. Lorsque les cours d'eau de la côte Américaine portent à la merles troncs arracbés dans les forêts qui bordent le littoral, aujourd'hui comme jadis c'est sur le rivage du Groenland (|ue les (;ourants rejettent ces pré- cieuses épaves (2).

Malgré ces deux sources pour ainsi dire intarissables de richesses, pécdieries et bois flottés, les établissements du Vin- land et du Markiand, fondés par des métropoles fort pauvres elles-mêmes restèrent fort chétifs. D'abord les Northnians ne tardèrent pas à tourner vers d'autres contrées leur activité remuante. L'empire d'Orient (|ui s'écroulait et le service rému- nérateur qu'ils prêtaient en qualité de vvarangi ou gardes du corps au\ empereurs Byzantins les attiraient bien plus que les dangers de la mer et les profits toujours précaires de ses redo;i-

(1) Ce passage a été conservé par Rjoerh deSkardsa, auteur des Annales (lu Gtœnland (Rafn, p. 27.')).

(2) llixccK, Grœnland, f. il, p. 18.

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LKS l'HKClUSKIUS ItK COUIMU.

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tiiMos uventurcs. l^a iii(';ti'(jp(il<!, au lii'ii de les sout(!nir, semble avoir oublié ces lointain coiuptoirs. A jiurtir ilu règnii de Mar- );uerite de Waldeiuar, la ruuroune se réserva le monopole du (•ommcrci! , et défendit à tout navire « à moins de justifier (pi'il leur a été iiuftossible de résistera la force des vents et aux inAles de gla(;e ([ui flottent sur les eaux », déborder sans sa p(^rmissi»»n à ces colonies transatlanti(jues (1) ; ce ijui, du jour au lendemain, diminua singulièrement le nombre des armateurs ou des marins assez hardis pour s'engager dans ces expéditions aventureuses, et dont ils devaient partager les prollts, si profits il y avait, avec la couronne. La liberté comm«M'ciale pouvait seule donner la vie à ces lointains établissements. Klle disparut. Les colonies américaines disparurent avec elle.

Les attaques incessantes des Skroellings précipitèrent cette chute. Il send)le (|ue les indigènes se soient montrés réfrac- traires à la civilisation européenne. Dès la pnîmière heure ils ont engagé contre les nouveaux arrivants une lutte pour l'exis- tence, où ils furent d'abord vainqueurs. Ce n'est i)as que quelques-uns d'entre eux n'auraient pas mieux demandé que de vivre en bonne intelligence avec les Européens. Les Sagas ont conservé la touchante histoire de deux jeunes Ksquimaux, le frère et la sctur, qui , sauvés d'une mort terrible , (ils étaient abandonnés sur un récif que commençait à couvrir la marée haute), par un colon Northman, Biorn Einarsson Jorsolafare, lui prêtèrent serment de fidélité, et dès lors pourvurent à tous ses besoins. La jeune fdie regardait comme une grande faveur (|ue sa maîtresse, Sohveig, nouvellement accouchée, lui permit de porter et de caresser son enfant. Le jeune homme allait à la pèche et <\ la chasse pour ses nouveaux amis. Tous deux furent tellement désolés du départ de Biorn qu'ils se tuèrent en se jetant à la mer du haut d'un rocher pour suivre le navire de leur maître qui n'avait pas voulu les emmener en Islande » (2).

(1) IsAACUs PoNTANus, Rerum Danicarum hialoria (1031), p. 521, 1^2) Grœnlands historiske mindesmœrker, t III, p. 34, 436-439.

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CllAlMTHi: I.\. LKS NdllTIlMANS KN AMlOHigilK.

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Leurs cuiiipiitriotcs ii'rl.iiciif |>Jis si tcmlrcs à l'égard des Nurlliiiiaiis. Ils les (•((iisidciMiciihoiiiiiic dds cniiciiiis iiatioiiaiLX, et les alta(|iiai('iit sans iviiiissioii dès (|u'ils se croyaieiUlcs plus Torts (l). Il |)rati(|uai('iil iiièiiic, intii sans succès, l'art de faire soiniirer les navires Nurllimans. « Dans le (îroenland, écrivait Olulis Ma^rnus (i), il y a une espèce de pirates qui se servent de canots de cuir et de procédés nautiques extraordinaires, en ce ([u'ils attaipient, non par le haut, mais par le bas, les navires de conuiu-rce, et en percent la cale par dehors. Jùi iriO.'J, j'ai vu nioi-niéuie deux canots de ce genre, en cuir, placés au- dessus de la porte occidentale, à l'intérieur de la porte de la catliédriile d'AsIo (Christiania). Ils étaient suspendus au mur connue trophée... Les habitants de cette contrée, en efTet, ne font pas peu de gain en s'appropriant, par ces artifices et d'autres send)!al(les, les dépoudies des navires. Avec leur adresse de larnjiis, ils en percent sans bruit les planches inférieures pour y faire entrer l'eau, et les submergent très vite ».

Ce n'était pas seulement en ((ualité de [ùrates queles Schroel- lings s'étaient rendus redoutables. Ils n'hésitaient pas à attaquer les Northmans dans leurs établissements, même fortifiés. C'est ainsi que toutes les colonies du Westribygdh, en Groenland occidental, furent détruites les unes après les autres. En 1344, Ivar liardson (3), chargé d'une ex|)édition dans cette région, fut très surpris « de n'y trouver aucun habitant, soit chrétien, soit païen. Il n'y avait ((ue du bétail deveim sauvage et des moutons ; ils se nourrirent de ces animaux, en chargèrent sur leurs embarcations autant ((u'elles en pouvaient porter et firent voile pour leur pays ». Ce fut surtout au xv" siècle que les

(1) (Srœnlands liistoriske mindesmœrker, t. III, p. 32.

(2) Olaus Magncs, De gentium scptentvionaliiim variis conditionibus (1555), § 'J, p. 68.

(3) IvAR Hahdson, Dettcripfio GrT.nlandix (édit. Major, p. 53). « Quo (luum venisseiit, nuliuin liomineni, neque cliristianum, nequu paganuin, inve- nerunt, tantuininodo fera pccora et ovcs depreiicnderunt, ex quibus quantum naves ferre poterant in lioc dcportato, domuni rcdierunt ».

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314 PREMIKKK PAHTIK. LES l'HÉCt'BSEURS DE COLOMIi.

attaques des Skrocllings furent riuloutahles. Nous nVii vouluiis donner d'autre preuve (jue le liref du pape Nirulas V, en date du 'M septeml)re 14-48, adressé aux évoques de Skalliolt et de Hols en Islande (1) : « Il y a trente ans, des l»arl>ares, sur une flotte partie des cOtes païennes les plus voisines, ont attaqué dans une sanglante agression tout le peuple des colonies, ravagé par le feu et le glaive le pays et les édilices sacrés, ne laissant subsister dans l'île, qui, dit-on, s'étend dans des limites très larges, que neuf églises jiaroissiales, au.vpielles ils ne pou- vaient avoir un accès facile à cause de l'escarpeinent des mon- tagnes. Ils firent prisonniers et emtnenèrent dans leur pays les malheureux habitants des deux sexes, principalement ceux qu'ils voyaient vigoureux, propres à supporti-r le j<tug d'une captivité perpétuelle, et acconunodés à leur tyrannie ». Cette- navrante description est si bien conforme à la réalité, et les Skroellings, encouragés par le succès, durent tellement mul- tiplier leurs atta(|ues, (jue bientôt les derniers chrétiens dispa- rurent du (Iroenland. On a conservé la liste des évé(jues de Gardar. Trois seulement sont nommés après le bref du pape Nicolas V, Gregorius, Jacobus et Vincentius, dont les sceaux, dat«''s de 1450, 1487 et 1537, ont été retrouvés et publiés par la Société des Antiquaires du Nord (2).

Une nouvelle cause de dépérissement s'ajouta à toutes celles qui existaient déjà. La terrible peste noire (3), celle dont Boc-

(1) (irœnlands historiske mindesmœrker, t. III, p. IIO-I. « Ex linitiiiiis littoribus barbaroruin, nnte annos triginta, classe navali barbari iiisurgcnlcs cunctum habitatorum ibidem populuiii crudeli iiivasioiic ag;;ressi, et ipsuiii patriain icdesquc sacras ignc et gladio dévastantes, sulis in iiisiila iioveiii relictis ecclesiis parochialibus, quœ latissiinis dicitiir extendi tcnninis, qua^^ propter crepidines inoiitiuin commode adiré non possuiit; miserandos utriiistjne sexus indigcnas, iilos prœcipuc, quos ad subeundum perpétua* onera semlatis aptes videbant et fortes, tanquam ipsorum tyrannidi accommodâtes, ad pro- pria venerunt captives ».

(2) Société des Antiquaires du Nord, 1845-1849, p. 432.

(3) Heckeh, Der Schwarze Tod des viehrzehnten lahrhunderts, p. 39.

ciiAi'iTiii-: IX.

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cace il consorvo k* Iu^uIht souvenir (I), après avoir ravapé lAsif et rEuro|H', s'otcndit à rAiiiériquc. (|iieson isolciiuMit aurait lirotéger, et dépeupla presque eiitièn'iiient le (Iroeiilaml. Or, coinniu e'étaieiit le (iroeiiiaiid et l'Islande qui fouriiissaieiit prcs((uu exclusiveuieiit des e(doiis au Vinlaiid et au Markiaiid, les eoininuiiiratious furent interroiupues, et la dépopulation (|ui affligeait ces deux contrées, s'étendit aux colonies an>érieaines(:i).

Il paraîtrait encore qu'un énorme amas de glace, luie gigan- tes<jue l>an(|uise, se serait interposé entre le Vinland et le (îroen- land {'.Vj. Dès lors les colons d'Américpie, déjà peu nond)reux, dispersés sur une immense étendue de pays, séparés de la métropole par un obstacle insurmontaltle, et d«> plus entourés d'ennemis avec lesquels toute union était impossihie, auraient rapidement disparu, et avec eux, le souvenir de cette lointain»' colonisation, (iette liypothèst; est ingénieuse, mais non prouvée. Néanmoins le (îroenlaiid était jadis couvert de forêts et de prairies, et, de nos jours, c'est à peine si, dans le |)rintemps boréal, toujours si court, la terre s'y couvre de gazon.

L'Islande produisait jadis du Itlé et ses beaux arbres étaient X'antés par les Sagas : elle n'a [dus aujourd'bui que des arbris- seaux rabougris. L'accunndatictn des glaces au pôle nord, dont la science a démontré la réalité, peut donc avoir cliangé les con- ditions de la température, et, dès lors, l'irruption soudaim» d'une grande banquise suffit pour détruire les établissement>* northmans au Vinland.

Les établissements du (iroenland ne tardèrent pas à dépérir pour les mêmes motifs. Les relations avec l'Europe devinrent

11

3'J.

(1) BoccACK, Proldffue du Décamiiron.

(2) PoNTANCS, ouv. citô, III, 8, p. 1f)7. H Siiiit qui (radant, post cani epidc- iiiicam lucin, fuisse inlcrmissain ac negluctani, cpuR ail oras (îruiilaiidJH) soicniiis antea et anniia fucrat, incolaruin Danitr navi{;ationcm ».

(3) Id., id. « l)eind(> immcnsaui paulatiin t;x Trnilcltotis (;lacieruiii copiant roaccrvalaiu fuisse, qutr nunc iiiipcdita umnia et diflicilia rcddat. Adeo ut vix, nisi a parte iiisuia^ (\nm Libaiiotuin lioiealein spécial, terniiii liodie, quuinvis et id subiudc difliculter, detur cunjuiii^cre ».

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3ir> PREMIÈRE PARTIK. LES l'RKClRSEURS HE COI-OM».

si difficiles que, dus rannée 1383, on n'apprenait en Norvège que six ans après ses funérailles la mort d'un évèque de (iar- dar (1), llenricus {"2). Ces relations finirent même par »Hre tota- lement interrompues, à tel point que le Groenland fut non seulement oublié, mais mémo perdu. Le roi de Dan'^mark, Fré- déric III (1048-1070), appelait ce pays sa pierre philoso|»liale (3), parce qu'on le cliercliait toujours. Kn 1711, l'évéque de Dron- theim le confondait avec le Canada. C'est seulement en 1725 qu'un prêtre norvégien, llans Eggede (4), devint comme le second fondateur de la colonie en appelant de nouveau l'atten- tion de ses compatriotes sur cette terre injustement délaissée.

Abandon de la métropole, attaques incessantes des Skrœllings, é|)idémies, inqxtssibilité matérielle des communications, tout se réunissait donc contre <'es malheureux établissements des North- mans en Amérique. Les liistori','ns du Nord ne les mentionnent plus dès le xiV siècle; les liis.oriens méridionaux, (pii ne les connaissaient pas, persistent dans leur silence, et c'est ainsi <|ue l'Amériijue fut de nouveau perdue pour les Européens.

A-t-elle été tout-à-fait perdue? Aucune relation n'a-t-elle été conservée entre l'ancien et le nou\eau monde? Nous avons peine à le (Toire, surtout quand nous nous rappelons la persistance à travers l(!s siècles d'une dénomination géographique, (pii semble indiquer quelcjue vague connaissance des découvertes Scandinaves (5). Les cartes, les portulans et certaines relations

1 1 1 ToRFAEis, Historin Ovonlmidiae, p. 241-246. Cf. Lei.ewei., Mé- moire suv les Zeni, p. 80.

it) Le sceau de l'évoque Heriricus a été retrouve et publié dans les Mé- moires de la Société des Antiquaires du Nord (1845-1849), p. 432.

{3i La .Motte-Levayer, G^ogra/thie du Prince, 1,2, p. 49.

|4) Toutes les tentatives inrructueuses pour retrouver le Groenland ont été énumérées par Eu<iÉbE (ouv. cité) |i. 20-27. Voir le très intéressant article de M. Valdemaii Scii\iiut, Voyages des Danois au Groenland (Congrès Anic- ricanistc de Copenhague, p. 195-236.

(5) E. Beacvois, La Noramôégue, Découverte d'une quatrième colonie précolombienne dans te Nouveau Monde (Congrès Américaniste de Bruxelles). , ,

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de voyages, ù partir du xvï" sifrle, placent en effet dans l'Amé- rique du Nord un certain pays de Norohega ou Noroinhega, qui pourrait bien (Hre le Noroen hydgdh ou Norroen bypdh, c'est-à-dire le pays des Norrains ou Norvégiens. Dans la carte dressée par Jérôme Verrazano en lo29 |l), et conservée aux Archives delà Propagande, se trouve indiquée non pas précisé- ment la Norambega, mais l'Arnbega, et cela au milieu de déno- minations païennes (Olympe), catholiques (San Giorgio, San Severi'io, etc.), naturelles (La Pescaria, del llefugio), ou fran- çaises (Dieppois, Angolesmes, Vendôme, etc) : ce qui semble démontrer que l'Ambega, dans laquelle il est facile de retrou- ver le mot tronqué de Norand)ega n'est pas un nom de fantaisie, Ramusio dans sa liclaiion de i^oifagc du grand capitaine Fran- rese (2),IeDieppoisParmentier,parle en ces termes du pays signalé par Verrazano, '''est-à-dire des côtes des États-Unis et du Canada. "< Les habitants de cette contrée sont humains et traitables, accueillants et aimables. La terre abonde en productions de tous genres. Là, poussent des vignes sauvages et d'autres arbres odoriférants. Le pays est appelé par les indigènes Norumbega. » A cette relation Ramusio avait annexé une carte dressée par (îastaldi. La Norumbega est représentée comme une ile au sud d'un grand fleuve ou d'un bras de mer, qui s'étend de l'est à l'ouest depuis un cap des Bretons jusqu'à un autre bras de mer. On y lit les noms de Port du Refuge, Port Real, le Paradis, île Brisa, Flora et Angoulesme. Autant qu'il est possible d'éta- blir une identification géographique, cette Norumbega paraît correspondre au Nouveau-Brunswick, à la Nouvelle-Ecosse et au Maine jusqu'à la rivière Kennebeck ou Chaudière, c'est-à-

1,1) De Costa, Verrazano the Explorer, 1881. Gaffabbi., Les Décou- l'veurs français de C Amérique du Nord, p. 139.

(2) Uamusio, Raccolta di Viaggi (1536), t. II!, p. 423 a Griiabilato.i di qucsta terra sono gcntili, trattabili,' amichevoli, e piacevole. La terra c abundantissima d'ogni frutti, vi uascono arauci, niandorle, uva salvatica e niultc altre sorti d'arbori odoriferi. La terra e dctta da paisani Nurum- bega ».

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dinî ù un pays jadis folonist' parles Noithiiians, qui lui auraiiMil laissé leur nom (Ij.

Dans lo célèbre fîloho d'Ulpius, dressé en lî)i2 (2), et (pii ap|>ar- tientà l'historial Society de New-York, la Norumbcfïa a disparu pour être reiiiplacé»' par la Verrazana sive Nova (iallia, mais on y trouve la ville d»» Norman villa, placée vers le iH" et le W depré de latitude nord, qui paraît être la capitale du pays. Ce nom de Normanvilla n'est-il pas un indice suffisant de la persistance du séjour des Northmans dans la contrée?

Jean Alfonse, le compagnon de Cartier et de Rolterval, le célèbre pilote réputé par ses connaissances nautiques et par sa hardiesse, dont les conteujporains vantaient la science et l'expé- rience, avait condensé, dans un important ouvrage, tous les ren- seignements géograj)liiques ramassés dans sa longue et aventu- reuse carrière. Ij<; manuscrit de cet ouvrage existe encore (3). Il est difficile à décliilTrer, car l'écriture est presque effacée. Voici comment, dans cet important résumé des connaissances d( l'époque, Jean Alfonse parlait de la Norombègue : « Je ditz que le cap de saint Jehan, dit cap à Hreton et le cap de la Francis- cane sont sous nord-est et sud-ouest, et prennent un quart de est à ouest, et y a en la route cent quarante lieues, et icy finit ung cap appelé le cap de Norombègue. Le dict cap est par qua- rante et ung degré/ de la haulteur du pôle arctique. La dicte coste est toute sableuse, basse, sans nulle montaigne. Et au long laquelle coste y a plusieurs isles de sable et coste forte dange- reuse de bancs et rochiers. Les gens de ceste coste et de cap à Breton sont maulvaises gens, puissans, grands fleschiers, et sont gens qui vivent de poissons et de chair, et ont aulcuns

(1) De Costa, Vetrazano the Explorer, p. 18.

(2) Ce glolx^ est intitulé : Rcgioncs orbis tcrrarum quœ aul a vetcribus trnditœ aiit nostra patrumquc mciiioria coinperliR sint Euphrosynus L'Ipius (lescribebat aniic salutis, 1542.

(3) Cosmographie de Jehan Allefonse et de Raulin Secalart, coxmo- graphe de Hunnefleur, 1345. Manuscrit 076 (grand Tormat) de la Biblio- thèqne nationale à Paris.

CIIAI'ITHK l\.

I.KS MUnilMANS IC.N AMmUOl'E.

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coxtno- Bibliti-

iiMit/ et |iarlcnt (|iiasi li' iik^uic l<in}.Mf;o de ceux de Ciiiiada et Sitiit ^M'aiid peuple. I<]| ceiiK de cap à Hretoii vont doiiiiei' la j:iierre à eeulx de la Terre-Neurve (piaiid ils pesriieiit, et pour nulle eliose ne saulven>\ent la vie à un^' lionnne (juand ils le peuvent, si ce n'est jeuiu' enlant ou jeune lille. Sont si cruels que si [trennent xm^i liomine portant harhe, il/ luy (-ou|ipent les nii'udires et les portent à leurs l'ennnes et enll'ans afin d'être vengez en cela. Kt y a entre eux fitrce pelleteries de foutes liestes. Au delà du cai» de Noroinltèfrue descend la rivière dudit Noruui- bègue, environ vinjrt et cin(| lieues du cap. La dicte; rivière est large de plus de quarante lieues de latitude en son entrée, et a de largeur an dedans bien trente et(piarante lieues, et est pleine d'isles qui eutj'ent liien dix ou d(ju/e lieues en la uier, et est fort dangereuse de rochers et l»aptures. La dicte rivière est par quarante et deux degrez de la liauteiu' du polie arctique. Au dedans île ladicte rivière y aune ville (jui s'appelle .S'oromhègue, et y a en elle de bonnes gens, et y a force pelleteries de toutes bestes. Les gens de lu ville sont vestus de pelleteries, portant nianteaulx de martres. Je me doute (jue la dicte rivière va entre à la rivière de llocbelaga, car elle est salée plus de «juarante lieues en dedans, selon la dict des gens de la ville. Les gens parlent beaucoup de mots qui approchent du latin, et adorent le soleil, et sont belles gens et grands lionuTies. La terre de Norombègue est haulte et bonne ».

D'après la description de Jean Alfonse le nom de Norom- bègue désignerait à fois un pays, une rivière et une ville, ha pays est assez facile à retrouver, car les lit ) lieues qui séparent le cap Breton et le cap de la Franciscane conduisent assez exac- tement à la hauteur du cap Montauk à Long Island. La contrée Norumîiega correspondrait donc à la côte actuelle de la nouvelle Kcosse, du nouveau Hrunswick, du Maine, de Nevv-Hampshire, du Massachussctts, de Rhode-Island, du Connecticut i.'t de New- York. Quant à la rivière de Norumbega, il ne faut pas |>rendre ce mot dans son sens rigoureux. Il ne s'agit pas en effet d'un

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II

U5() PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCIRSEIRS 1»E COLOMB.

cours d't'iiu eiitro deux Itci-fjos, mais d'uni* rivi/^re roiiirnc Ut rivit^re, c/cst-à-diro la ctMo, de (j<^nes. Cctt»* pn'Menduc rivièn* de N'orumlte^a ne peut (Hre, avec les dimensions que lui donne AlFonse, ni le saint Jean, ni la sainte (Iroix, ni le Penoliseot, ni m(Hn«> l'Hudson, mais uniquement la Iwiie de Fundy qui a IGO kilomètres de prol'ondeur sur i.'» de large, et est semée d'iles, soit dans les haies du Penohscut et de Passimaquoddy. soit au sud à Fentrée du },'olfe. Kniin la ville de NorumlM'ga doit ùtre ehercliée quel(|ue part sur la côte. On aura remarqué que les Iiahilants de Norumi)ef:a étaient de monirs relativement policées, «pi'ils portaient des costumes et surtout qu'ils savaient quelques mots de latin, sans doute ce qu'ils avaient retenu des liynmes sacrés (pie chantaient autrefois h's missionnaires. Alfonse n'a, il est vrai, cité aucun de ces mots, mais Sagard Tliéodat(l) mentionne un chant canadien que les indigènes n*- pétaient encore de son temps, c'est-à-dire en 10.%, Tameia alléluia, tameia a don vcni, han han héhé. Le mot alléluia est il vrai d'origine héhraique, mais il a été en quelque sorte latinisé par l'église catholique, et les Canadiens l'avaient retenu. Ix* nom de Jésus s'était également conservé dans la langue des AlH*naquis qui l'appelaient Kiziin, dans celle des Cliippevvays qui rap|>e- laient (lischi, dans celle de diverses trihus de la nouvelle Angle- terre «pii l'appelaient Késus, et par les trii)us Algonquines qui adoraient le soleil et le nommaient Jésus (2). N'est-ce donc pas que la Noromhega avait autrefois été colonisée par des Euro- péens convertis au christianisme, et ces Européens ne sont-ils pas les Northmans, dont nous avons raconté les expéditions au nouveau monde?

.\près Jean Alfonse , celui des écrivains français du XVI'' siècle qui ii donné la description la plus étendue de la Noromhega est André The vet (3), On sait que cet éruditcordelier

(I) Saoaud Théodat, Histoire du Canada, p 311.

(2j PÈKE Chaules Laulemant, Relation de la Soiivelle France (1626), p. 4.

(3j Thevet, Singttlaritez de la Fiance antarctique, édition GaJIinl [ilTiS).

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CIIAI'ITKK IX LES NùKTII.MA.NS EN AMKHIOI K,

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avait voyagé dans tout»* rAin(''ru|in' alors coniMic. Il lU' parli- pourtant pas do la Noroinhcga dans ses Siiiffiitnrili-z ttr In h'rtnivi' antnrct'uiitr, hion nu'il se soit rtrndn lon^'iicnicnt sur le Canada : c'est dans sa Cosninr/rnpliii' «»»»•(•/•.<*•//<• (I) que nous troiivenuis les renseignements les plus t-ompiels : << De la terre do Canada et Maeealoos efde plusieurs rivières »le la coste de Noreinhégue. Ayant laissé la Floride à luain gaulelie avec grand noud)rc d'isles, d'islettes, goulplies et promontoires, se présente la plus helle rivière qui soit en t<»ule la terre, nonnnéo de nous Norem- hégue et des barbares Aggoncy (2) et marquée en (pielquos cartes marines Rivière (îrande. Il entre plusieurs autres belles rivières dans cesto-ey, et sur la(|uelle jadis les François foirent bastir un petit fort, (piehjuo dix ou douze lieues en icelle, lequel ostoit environné d'eau douice, qui se va dégorger dans icelle. <!t fut nommé ceste place le fort de Noroud)égue. Plusieurs pilotes qui s'estiment estre les plus acc<»rts de l'Kuropo, discou- rant du privilège, m'ont voulu faire accroire que ce pays Norondiégien ostoit le propre pays de Canada. Mais tant s'en fault. comme je leur dis, attendu «pie cj-slny ci est sur les (piarante trois dogrez et coluy de (îanada est sur les cincpiante et un et cinquante-doux... Devant (preii aborder la dite rivière, nous apparaît une îsk tournée de buis» isleauv fort petits, (pii avoisineiit la terre des Montagnes Vertes et le caj) des Isles. De Vous venez tousjours costo\aut jusques à la boiiclie do la rivière, rentrée de laquelle est daîigereuso à cause de noudtreux et baults rocbors et forces batm-es, et est son entrée merveil- leusement largo. Quelques trois lieues de la dicte rivière se présente devant eux une belle isie, (|ui peut avoir (piafre lieues de tour, et babitée seulement do(pielques pesoheursetd'oysoaux

(1) TiiÉVKT, Cosmographie l'nirericUe M.'j76). fol. 1008-l00!)-l01O.

(2) On aura remarqué ce mot rf'Agjjont y. Le pays vouait i-n oflfet d'être agité par un déplacunient de triltiis, cpii avait substitué aux triltus Huruniies les tribus Algonquiries. Thevcl avait con>taté le chaiigenieut et conservé le nuni.

:r>:2 l'HKMIKIIi: l'AHTlK.

M;s IMIKLinsKIHS l»K COLOMIt.

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<l«' diverses csiutcs, riuiiiiiiéc ayayiiscoii, ;'i caiisi- ()irt'll«' esf faite en rnniie (rnii hras iriiotiiiiie <|irils a|)|i(>lleiit ainsi. Sa lon^iieiii' est (lu iinnl au sud et la(|uelle mu (lourroit peiipler facilenieiit, aussi Itieii (|ue plusieurs petites islettes (pii l'avoi- sineiit d'assez luin, et eu icelle l'aire une ('(irleresse très belle pour teuir en Itride *(»ule la niste. Ayant mis pied à terre, an pays cirninvoisin, aperceuuies un faraud nouiltre de [leuples (|ui venttit droit à nous de toutes parts et en telle uudtifnde (pie vous eussiez dit estre une voh'e d'('tonrneau\. ('.(MI\ (pii uiar- eli('rent les premiers estoient les hommes qu'ils nomment Apuenous; apr»>s venaient les femmes (ju'ils appellent pera- ^'ruastas, puis les adejrestes (jui sont les en fans, et les derniers

estoient les filles n<tnmi(''es aniasgestas Ayant demeur(''

ein(| jours levasmes les anchres et partismes d'avec eulx avec

«11 merveilleux contenteuient d'une part et d'autre Kn la

r(''}rion donc plus voisine de la Floride (que aucuns ont appeU-e Terre francoyse et ceux du pays Noronil)(>gue), la terre (^st assez fertile en diverses sortes de fruits ».

Thevet passe pour (Mre (h'pourvu de critique et s(>s contem- porains contestaient d(''jà la valeur de ses informations. Les mots qu'il place dans la bouche des Noramht''giens paraissent avoir c'ti!' forgt's par lui. Il ne faut donc lui accorder qu'une confiance limitcV, et, s'il (''tiiit isol('% nous devrions en bonne règle récuser son témoignage. Uemaniuons néanmoins que sa description correspond à peu près exactement à celle de Jean Alfonse, et que, sans trop fixer les identifications, on retrouve à travers ses lignes, et malgré leur peu de précision, la baie Je Fundy actuelle. En outre bon nombre de cartographes de ses «îontemporains ont assigné la même position à la Norombega. Il est vrai (jue dans la Mappemonde dite de Henri II (1), dans rAméri(iue du nord, à l'ouest d'im golfe semé d'îles et qui

(1) JoMAHD, .Vo7»OMtf«/« Uff Id (imi/rapfiip, feuille i7. GAPKAHEL.ies dc- cvuvreurs français, p. 117.

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CIIAI'ITUK IX.

I.KS NOinilMANS 1;N AMKHIOl'K

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pi^nôtn' |ii'()r()ii(i(''iiiciit (liiiis riiitt'rit'ur Hi's terres, iioii loin (rime ville surmontée t\v deux tours, est nommée l'Anoro- l»a>;a, niais n'est-ce point le nom «léfipuré de Norom- lu'fra? Noi.s h> croirons d'autant ftliis volontiers (jue, dans le Ptidémée de i.'îiH, édite par Pietro Ainlrea (1), entre le LV et le ,")(>'■ de;;ré de latitude non), et sur le Ptoléniée de 1501 édité pur Rus(elli (2), entre la KIorida et la Tierra de Uaccalos figure la Tierra de Norumberi;. Sur la Mappemonde de lîiliO ('.)), au fond d'un },'olfe [irofond se jette une rivière formée de deux bras à peu près égaux, (iérard Mercator a dessiné le littoral de la Norumhega avec une ville du même nom couronnée de hauts édifices. Ortelius, dans son '/'liralnmi nrfiis tiTrarinii, dont la première édition parut à Anvers en l."i7(), a «lans su Mappe- monde donné la forme générale de la Noramhegi».

Que: si nous poursuivons cette revue à travers les atlas de l'époque, nous aurons encore à enregistrer la mappemonde présentée à Philippe Sidney en 1582 par Michel Look (i), la Noronibega est représentée comme une grande île entre le Saint-Laurent à l'ouest, l'île de r4ap-Hreton à fest, et l'île Claudia au sud, c'est-à-dire qu'elle ré|)(tnd à la presqu'île Acadienne. Sur les feuille 20-30 de l'atlas composé en lî>83 par J.-A. Vaul.x (5) non seulement la Norambègue figure sur la côte méridionale de la péninsule au sud du Saint-Laurent, mais encore il est probable que la baie de Norin, entre la Baie- Grande et la Grande-Rivière est une abrévation de la Baie de Norambègue. Philippe Gallois(r)), dans son Kpitome J'hmtri,

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,1) PiETno Andréa. Z.» Geografin (fi Claudio Ptolomeo Alessam/rino, Ve- nise, 1548.

(2) G. Rlscelu, Geografia di Claudio Tolomeo, Venise, 1S61.

(3) JoMARD, Monuments de la Géographie, feuille 38.

(4) Tome VII des publications de l'Hakluyt Society.

(5) Premières œuvres. Cf. Cortambkht, Introduction aux Monuments de la Géographie par Jomard (Bulletin de la Société de Géographie de Paris, juillet 1872).

(6) Philippe Gall(*:us, Epitome theatri. Anvers 1589, fol. 5.

T. I. 23

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lUJi l'UKMIKUR l'AHTIK. LES PMJ^ICIRSKIHS IlR COLOMB.

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(iossiiic la N'oraiiilx'^M, et toujours avec une ville du ni)Wu«' uoui, au sud du Saiiit-Lauroiit. Sur la carte di> Tliouias llood [l] (|ui date d(; \'.'}\)'l la cité nii'ridionaltMrAcadic s'apiudlc la Noroudic^'a, A. Mafîiii ['2), dans sa ^coffrapliic de l*iî>7, di-crit eu ces termes la Norurnhe^a, (|ue siu' sa nia|(|)enioiide il uonune Noro|ief;a : «' La Noruud>e},'a est une contrée péninsulaire (|ui s'étend dans la nier du nord. Klle est appelée d'a|)rès une ville do ce nom, et elle Jouit d'un climat tempéré et d'un sol fertile. Klle a «pielcpies peuples dési};nés de manière dillereiile par les Portugais, les Espa}.'nols et les Français, de sorte (pie Ion ne peut tirer de aucune notion certaine ". D'après la carte annexée à l'ouvra^re de W'ytfliet [,\), composé en l'JMK, la Norundiej^a s'étendrait du iV' au i.*)'' de^ré de latitude nord, et la ville de Normnhefia serait située par i.'l" '10' de latitude, au coiilliient de dei; rivières qui f(trment le fleuve de ce nom. « Plus outre («pie li Vir};inie) vers le Soptenlriou, est Norumhejra, latpielle d'mie lielle cité el d'un f.M'aruI fleuve est assez connue ; encore (|ue l'on ne trouve point d'où elle tire ce nom, car les harhares l'appellent .\^'},nm- cia. Sur l'entrée de ce fleuve il y a ime ile propre pour la pesclierie. La réfrion (pii va le lonj; de la mer est ahondaute en poissons l't vers la .Nouvelle-Krance a j:rand nond)re de ht-fes sauvages et est fort conunode pour la chasse, et les liahilans vivent de mesme façon (|ue ceux de la Nouvelle-France ».

Le témoif^najjre des écrivains du xvi'' siècle est donc à peu près uiianlîîie (i). Ils s'accordent tous à n'c<iiinaître l'existence d'une contrée qu'ils nomment Norumliefra ou Nm-andiega et ils la placent au sud du Saint-Laurent, en général dans le payscom|)ris

(1 Kl NSI \i.vN.N, Atlds fur E?itdeckuii;fenf/nsicfite Auivrikia, feuille xni.

(i\ A. XiviiiN, (ieoijrap/tix unii'er^.r tiitn vrlens, htm iinv/r af/soliiti-i- simiiiii n/iK^i. (ioInjçMC, 1Ô'J7.

(t) NVvni.iKi', D'iL-rijiHonis Ptolemik.e ftaymeiilum, lo98. L'ouvrage m été traduit en IVau<;ais sous le nom Alli-itoirc L'iiicfirselle. (Douai, 1607'.

(4l Voir l'ouvrage réci'.it do 15. F. !>!•: C<hta Ancirn Noroinhpgn, or tin voi/ if/i's of Simon Fi^rdin indo uiul John W'ulk'ir lo the Penoùscot River. Albaiiy, 1890. .

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ciiln' rcsiiiairc de rc llciivc cl la liait' ili' ImiihIv. Il est \rai (Hic les n'iisci^iM'iiii'iUs iii.iii(|ii*'iil un |t('ii «le iMvcisioii. cl i|uo la |>lu|)iii'l (l('scai'ti)<;ra|(li(s ne |)ai'lcut<lc la Norainltc^^a que par ouï (lire, niais la rcj^imi fuut cnticrc clait alors liuiilcvcrscc par ^U' tcrriltics ^:ucrn's entre lluroiis et .\lf;i)ii(|uiiis, cl ranciea nom (le la r«''},'inn fendait à disparaître pniirtUrc rcnipla' par le iiorn de la triiiu \icloricii-ii' , Air^ )n % cl Ajrj.nini-ia . c'est-à-dire Aljriinipiins. ('/est sans diiutc ce (pii c\pli(pic puinpidi, an sicc|(> suivant, n<>n senlenient cette dénomination ;j:éo^i'aplii(|ue touilla en dcsuétu»' nais encore on coatesîa sou autlienticité. Ainsi (lliaïuplain, cpii avait vainement cherclié dans la Norani- licfrue 'I) " une firaiide ville fort peuplée de sauvaj,'» s adroits et lialiiles, et ayant du fil de coton » écrit-il non sans déctiura- j,'eiueiit : '< je m'assure (|ue la plupart de cenv (pii en out fait mention ne l'ont cru... ce ne sont les merveilles (praucuns en ont escrites. » Il va même justprà conclure « (jue ceuv dont ils tenaient leurs renseijiiiements \\\'\i savaient pas plus (pi'euv ». Lescarhot après lui (:2) raille lourdement ceuv (pii ont parlé' de Noramliega. » Si cotte lielle ville a ouc(|ues esté en nature, dit-il, je voudrais liien savoir ([ui l'a démolie ». Mais ces ullé^;ations lU' prouvent rien. On |iouvait au dix-septième siècle (II) ou au

(1) CiiAMi'i.MN. Viif/ar/es. (Editidc. Laverilièie), t. III, p. i:}.";.

'2 I.F.sr.AitBor, Histoire (le la Xoiirrllr Fruncf {VAlil'um Tioss), liv. vi, _!^ v, p. 015-670

{;]) N(Uis sijjiialei'oiis pourtant, eu plein dix-scptièiiio siècle, la (le!;eii|>lioii de la Noramb(?i;a donnée par Owity, dans .sa Description yénërale dv l'Aiiic- riqiic (édition de KitiO, p. 32). « Le pays le moins froid de tons, c'est la No- rainbèjçuc, ipii est meilleure eu toute façon que l'Acadie sa voisine, et plii.s lialiitable et plantureuse. Eu esté la chaleur y est autant ou plus insupportable (pi'cn Erauce : mais elle ne dure guère, parce que le temps se brmiilleaussit()t et les arbres prennent feuille ordinairement plus tard qucu France. Au pays des Etchechemins ou de Norambôgue. .. ces brouées viennent souvent en esté. Toutefois l'air est fort sain jtar tout ce pays à qui l'ont accoutumé... Les terres sont aussi bonnes qu'eu b'rance, principalement en la Norambègue, comme ou cognoist eu ce qu'elles sont noires, et produisent des arbres hauts et droilii, et quantité d'herbe et de foin, qui est iiuelqucfois aussi haut ([u'un homme «. Voir également l'atlas de HoNDius (Thédtre des Gaules, planche I

!$.*■»('• l'IlKMIKIU: i'AIITIi:. - LKS l'HKCI'KSKCHS hK COLOMH.

(Ii\-liuifièii!<-' hU'cU' (I), on avoir niihlir lu Norainltcf;:!, on avoir penin sa trace : nous croyons |)oiirtaut (juc la NoranilM'p:a avait «'visb'. (|ir<'ll(' avait iHc colonise»' par des Kuropécns, très proliahiciticnt par des Nortliinaiis. Nous p(>iisons en outre qu'on peut, en étudiant les nionuuu'iits, les traditions, les langues, les relifrion prouver son existenre. Mais ce difficile examen ne peut (Ml lit à la léfîère, et nous nous rés«'rvoiis d<! discuter ailleurs c(;t intéressant prohlèuie. Il nous suTtlra |iour le rnouieut d'avoir établi (pie les Nortinnaus ont déc(tnvert et colonisé rAniérifpu' avant Colonil», et (pie celui de leurs étaldissenients dont le souvenir s'est longtemps conservé s'appelait la Noram- hega.

éiiilioii 16.17 . L:i Norambi-jçiic y est iinli(|iic(', à (leii pi'cs sur l'emplacement (le l'AcaïUe.

^1; Même an WIU' sitide, le pèie Chailevoix (llistoirr de lu SouveUf Fnnicp, l. I, p. IK) parh- eneore dt; la Noramliègui!, mais d'iiii ton liieii ili-- (laij;iieiix : « A moitié eliemiii de Sainte-Croix à la rivière de (.fniiiiheki, on Ironve celle de Pentafjoi'l, (pii traverse par le milieu (;e (|n'on apnelait la No- ranibègne, dont on a t'ait si liingtein|is une belle et puissante (trovince, et il n'y a jamais eu ijue quelques villages d'Hllchemenins, assez peu peui)lés ».

(ÎHAPIÏHE X

I.K VOYAKK DliS KRKKIIS /.KM

A laiiiidu mV sirc.lc, ^rArc à iiin'licrciiti'i'prcii.int, Zirliniiii, ot à (Icnv patrit-iciis de Vcnist", Nicolit Zcim cf Antonio Zono, (\nc les liasanls de leur (k'sfinc'c avaient amenés dans les mers du Nord, rAméri(|ne lut d(; nouveau entrevue. 1/autlientieité de (•«'tte dé<-()uverte a été fort discutée (IK On a prétendu ijue la

(!) Bl'ac.iik, Mi-muirr sur file de Frislfindfi (Académie royale des sciences, il^i). l'"oHSTKii, Histoire des découvertes et des voyaifes faits dints te \ord (liiuhictioii Uioiissonetl, 178S. Zuiu.a, [)i Marro l'uU, e dei/ti tiltri }jiii iUitstri dissert/izioni :, VLiieziu, 1888. Dans le lume 11, |i. I, est inséré un mémoire intitulé : l)ri viaijiji e sroperte settenlrionali di Nirolo ed Antonio Xeni, pulrizi Ve7ieti, dissrrliizione. Dk/<»s uk i.a lloyi kttk, article .sur les Zeni tiaiis la Hioi/rnphie uni ver-- lie de Micliauil. Lei.F.wei,, Mémoit e sur le royaije des frères Zeni. Zaubtmann, Sordiscic Tidsskrift for Oldki/ndii/fied (iioni'U'. royale des anti(|uaires du Nord, t. Il, p. 193-211, C(i|ienliaj;ue, 18.ir>. Ce mémoire a été traduit du ilaiiois en l'ranrais et inséré dans Itts nouvelles annales des voyages, 181)0. ItHKOsnoiiKh, Dissertation sur les y.eni [Ciroclundshe historiskeuiindes unrrlar, fiiipenliague, 18i">, p. ,■129-674. Fhéhkiik: Kmaiilp, Xi-niernes lie/se fil Sordrn et Tolknin;/s Forsœg (Revue péogralii(|ue danoise;. C. Df.simom, Mémoire sur le roi/uf/e fies frères Zeni nu n^ird de l'Europe ((liornalc Ligustieo di arclia'o- logia, sloria e liell'iîrli, janvier-lévrier. 1878). II»., / ria(ji/i, e lu lurtn dei frutelli Zeno Veneziani. i;i90-lto;j. Arcliivio Storieo Italiano, 1885). (îHAViKit, Déiourerte de l'Auiéritfue par les Sonuauds au siècle, 1871, p. 18;i-2ll. Majoh, Tlie roi/uges nf tlie lenetiun hrothcrs, Sicoio et Antonio Zeno, to tlie nortlieni sens '187:j). GAFfAHKi., Les Voijatjes des frères Zeni, explorateurs Vénitiens (Hevuc de géographie, t. Vil, 2it-3i(i. ~ .Mahkham, Les uhords de lu ré()ion inconnue (traduction Gaido/), p. 108-106. .Iapeti s Steensthl'I'. Zeniener Heiser i Sordeti (Mémoires de

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Lies i'Hi:i;««si:i IIS i»i: coi.omii.

relation du v(»vaL'«' dos frèn.'s Zcni ne méritait aiirunc rrovaiicf. D'antres écrivains, moins ariirmaliCs, se sont r(»nt<'nt<''s de s(»u- l(!V(!r des doutes sur ccrlaiiis |((»ints ; d'autres encore ont acreptt'' r(;tte relation dans t>>ns ses détails. Il est |m>u de |)i'o|tlèni(!S p''ojrraplii(|ues (|ui aient S()ulevé de plus vils déiiats. Aussi e(! voyage nous a-t-ii paru mériter un examen spécial.

l'endant la plus ^'rande partie du moyen-à^'e, la prépondé- rance maritime appartint aux Vénitiens. Maîtres des îles de l'Archipel et des côtes de l'Adriatiipie, tout puissants à (lonstan- linople, à Smyrne, à Alexandrie, vaimpH'ius des (lénois, leurs rivaux, peu à peu ils étendent leurs coiM|uétes et augmentent leurs richesses. I^a Méditerranée leur appartient pres(pie exclu- sivement. Ils vont même au-delà. Marco Polo, et, à sa suite, de nondu'eux et hardis né^:ociants, ses coni|tatriotes, s'aventurent en pleine Asie. La m<'r Noire et la (^'is|)iemie sont Iréipiculées par eux. Ils avaient même réialili rancienne roule de la mer Uouj;e et pénétraient jusque dans la vallée su|iérieure du Nil, Mruce a retrouvé leurs traces (1). Ils n'hésitaient pas non plus i\ s(; lancer dans l'Océan Atiantitpie. .Aussi entreprenants et plus h(!iir(*ux (pie les Phéniciens, puiscpi'ils avaient à leur disposition un merveilleux iiistrum(*nt de découv<>rtes, la lious- sfde, on les voit navif;u(;r dès le viV siècle sur cette mer inconnue [%. Au xV'sièch', le Vénitien (la da Moslo découvrait

la Siiciéti; (les Ariti<|iiair(!.s du Nnni (1883| ÙU: par la Hl-viic lii.st(irii|uu dt! iio- veitibri! 188:}, p. iH.'i. Cf. Coii^çn-s Aiiiriicaiiisli! .! (litiHMiliagiiir, \>. ITiO. Ukacvoi», Di^vourertv du Souvrnu-Mrmdc pur 1rs Islandais, etc. (Conjjrt's (les Ainéric.uiisUjs de Nancy, I. I, p. il -!••'(, cl Lps Voi/ai/i-i ft/iusti nlii/iirs des Zeni (.Muséum, IS'.IO). .NoitDKNSKioi.!», Oui llioi/i'ruu Zrnits rcsnr uch de aUldtn Kattov ofven Norden. Iiimim.kii, Zenns Frisltiudu /■> Icelmid fdid nut f/in Frrors (Société de j;éo''rapliic de Lmidres, 187((i, el Naittical Hemurks nliont t/ir Zeiii-Voyayes (doiigrès de Copenhague, 188;{;.

(1) Sur le commerce des Vénilicns ou peut consulter La I'iiimudaik. Etudes sur le runirner-e tut uiof/en-tU/i; Zchi.a, ouv. cité. Dai .^ol:, Histoire de Venise, pa.ssim.

(2) (inAviEK, Hec/ifrcfws sur lex uarif/ations eurupéeimes faites tiu moijen- t)(je iiiij: côtes ot-i itJejitales tl'Afrii/ite, t-ji tle/iors tles ntirit/tifintis jiortit- gaises du quinziètne nii'ele (tlorigiès géu|;raplii(|ue de Paris en 1818;.

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r.HAlMTHK X.

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r.inliipcl (In Ciip-Vcrt cl s'avaiirait jusqu'à r<''(|Uiil('ur. Il faut rucHnc i\iu' sa n'uutafioii ait iui|Htrluii('' la vanit»'' ihis P(»rtu},'ais, <ar ci'ux-ci iin'tcndi'iif (|u'il navi^'uait au s<.'rvice dv lour roi. l^t! Vénitien Andrôa Miaiicu, dans sr»n l*orlulan «IclilK», inscrivait avec soin tout(îs les n'-centcs (lôcouvcrtcs faites dans cette di- rectitdi. D'autres Vénitiens, tantôt au service des princes étran};ers, tantôt navif.'nant pour leur propre compte, allaient porter au loin leur e\péri(;nce nautiipie et leur activité mercan- tile, et au};mentaieut ainsi le domaine maritime et les relations couunerciales de la Séréuissime Ué|iulili(pie.

La plus célèhre de ces expéditions vénitiennes dans l'Atlan- li(ju(! est celle des frères Nicolo et Antonio Zeno, ipii ont peut- être retrouvé l'Amériipu! à la fin du xiv" siècle. Ils apparte- naient l'iui et l'autre à la famille patricienne des Zeno, (pii <loniiatautdedo};es et tant de jjénéraux à V(Miise. I^ein' trisaïeul Marco Zeno avait assisté à la |>rise de (^tnstantinople |iar les (Iroisés en liiOi ; leur aïeul Henieri Zeno fut do^e «le l:2o:2 i\ litiH; leur père Pi«'tro, siu'nommé // /haffonc, avait été en X'AVfl noHuné capitaine jrénéral dans une pucrre contre les Turcs ; huir frère aîné Garlos, surnouuné // Ij'nur, s'illustra dans la fruerre de Chio},'};ia ; Nicolo et Antonio étaient donc, de >rrande iiol>l(!ss«^; mais, crtmme tous les nobles Vénitiens de cette épocpie, ils ne rougissaient pas de fragner leur vie par le travail, et demandaient au commerce les richesses (pii leur eussjMit fait «léfaut au l(»}ris paternel, car ils étaient dix enfants.

Nicol»» Zeno (1), vers l.'Wri ou 133(5, était déjà c»»nmi lorsqu'il entreprit le grand voyage cpii devait l'innnortaliscT. Kn 1305, il concourut avec (piarante patriciens à l'élection du doge

(1) Marcolii'i a été le premier étljtcur de la relation des Zciii. Haiiiusio l'a reproduite au lime II, p. 230 de sa Racoi.ta di Via(ioi sous le litre de Dello sroprhneud) i/'H' isola Fridandn, Kxlnndn, Engrovdandn, EslntitatiUa et Icarin. Fatto prr due fratellc /l'tii M. Niroh il Cnvalirre et M. Antonio. \a meilleure cditiou moderne est celle de Major : Nous l'avons constamment citée.

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360 PREMIÈRE PARTIE.

LES PRÉCURSEURS DE COLOMI».

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Marco Cornaro ; en 13G7, il fut au iioiiihre des douze députés envoyés ù Marseille pour transportera Rome le pape Urbain V et sa cour ; en 1379, il commandait une galère contre les Gé- nois; en 1382, après avoir contribué à l'élection du doge Michel Morosini, il se fit envoyer à Ferrare connne ambassadeur; en 1388, il fixa les limites de la principauté de Padoue et de la République. H avait donc joué un grand rôle, et était un des patriciens les plus en vue de Venise ; mais il ne jugeait j)as sa tâche accomplie. 11 voulait parcourir le monde (1), et visiter les régions baignées par rAtlanti(|ue n'allaient que rarement ses compatriotes (1). C'était pour lui une occasion de satisfaire sa passion des voyages tout en rendant service à sa patrie, il équipa donc un navire à ses frais, et, en 1388, partit pour son exploration de l'Océan.

Les débuts du voyage furent heureux. Nicolo traversa le détroit de (libaltar, et longea les côtes Espagnoles, Françaises et Flamandes. Assailli tout à coup par une violente tempête, il fut jeté sur les côtes d'une île nommée dans la relation Fris- landa. Les insulaires, habitués à maltraiter les naufragés et à se partager k irs dépouilles, s'apprêtaient à faire un mauvais parti aux Vénitiens, lorsque ceux-ci furent secourus très à propos par un certain Zichmni, roi desîL^ Portland etSorany, qui se trouvait alors dans le voisinage, et était justement occupé à faire la guerre au Frislandais. Fort hîureux d'associer à sa fortune des auxiliaires dévoués et surtout un capitaine du talent et de l'expérience de Nicolo Zeno, Zichmni promit sa protection aux naufragés et les prit à son service. En effet, grâce aux Véni- tiens et à leur pratique de la navigation à travers les détroits et le long de côtes dangereuses, il s'empara des petites îles qui entouraient Frislande, Ledovo, Ilofe, Sanestol, et, malgré les dif-

(1) Edit. Major, p. 3. « Or Nicolo... entrù in graiidissimo desidcrio di veder il rnundo, e peregrinare, et farsi capace di varii costumi et di lingue de gli huoniini, accio che con le occasioni poi potesse nieglio far servigio alla sua patria cd à se acquistar fama e honore ».

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CIIAI'ITHIC X.

lu: voYAi.K i)i:s khkuks zem.

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licultés (|u ulFraieut à la iiavifcatiun les lianes de sabli* et les r<i- chers, péïK'tru jus(ju"à la rapitalc do l'ilo et la soumit Unit entière. Les Vénitiens furent cuinhlés de présents, et Niculo fait elteva- lier par le prince et nouniié amiral '!<■ sa flotte.

T(jus ces détails étaient eonteiuis dans iine lettre cpie Nicolo adressait à son frère Antonio, rr sté à Venise, pour renf.'a}r'M' à venir le rejoindre en Frislande. « Si vous voulez voir du monde, pratiquer diverses nations, vous faire un nom illustre et une grande position, suivez la longue route que j'ai parcourue au milieu des dangei-s dont je suis sorti sain et sauf ; je vous rece- vrai avec le plus grand plaisir parce <|ue vous êtes mon frère par la valeur et par le sang». Il lui donnait en même temps des renseignements sur la nature du sol et les productions du [)ays. Il lui apprenait par exemple «|ue la principale industrie des Frislandais était le poisson salé (pi'ils exportaient en grande quantité dans l'archipel l}rilunni([ue, en Norvège, en Danemark, jusqu'en Flandre et en Bretagne. Antonio reçut la lettre de son frère. Jaloux de marcher sur ses traces (1), de voir des pays nouveaux et d'acquérir à la î )is réputation et fortune, il accepta ses ollVes, é(|uipa un navire, et, après diverses péripéties, réus- sit à le rejoindre. Fort bien accueilli par Nicolo et par le prince Ziclmmi, il servit (juatre ans sous les ordres de son frèn', et pendant dix autres années, après la mort de Nicolo , au(|uel il succéda dans ses honneurs et dignités, resta au service du prince bienfaiteur de sa famille.

Zichnmi, fort de l'appui des Vénitiens, avait résolu de conqué- rir toutes celles des îles de l'Atlantique ipii reconnaissaient alors la suzeraineté du roi de Norvège. Une première expédition contre TEstland échoua (1393-139ij, ou du moins n'amena d'autre résultat que le pillage des sept îles Talas, Broas, Iscant. Trans, Mimant, Dambere, Bres, et la construction d'une forte-

(I Edit -Majoii, |). 10. « Pcrclie egli, clic non nien era desideroso clie si fosse il fratelln, di vcder il iiiiindo c pralicar varie gcnti, et perciô farsi illustre c p;rand' uoino, comprô una nave, etc. »

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rt'ssc à Hrcs (l'^. Nicolo, iKiiiimc'' {gouverneur de t-oMo forfi-rcss*!, voulut |»ro(iterde son isolenieut pom tenter d'' nouvelles décoji- vertes. Il é(|ui|)ii done trois n.ivires (|ui, au mois dejiiiili't l'.VX't, iirrivèrenf en Knfîroveland ou (ïrolandiu. Les nouveaux délmr- (|ués y trouvèrent un monastère de frères prêcheurs et une é}i:lise dédiée à Saint-Tli(»mas, près de laquelle coulait une source d'eau bouillante, dont les moines se servaient pour rliauiïer leur église, leurs dortoirs, leurs réfectoires, et même pour faire leur cuisine et cidtiver des fleurs en serre (^). Un volcan peu éloigné leur fournissait en abondance des pierres légères qu'ils façonnaient en voûtes ou convertissaient en chaux. lN>ndant l'été ils étaient en relations suivies avec Trondon (Droutheim), et en échange du hois, des grains et des draps qu'ils recevaient, expédiaient des poissons salés et des fourrures variées.

Parfois les navires de Trondon surpris par les glaces étaient obligés d'hiverner devant le port (3). Une fl(jttille de barques en forme de navettes, recouvertes de peaux, et par suite insubmer- sibles et imperméables, était à leur disposition. Les indigène» étonnés de leur industrie les prenaient pour des dieux (i) et leur fournissaient en aimndance tout ce dont ils avaient besoin. (jCS moines étaient originaires de Suède; de Norvège et d'autres pays (5). Le plus grand nombre d'entre eux, venait d'Islande.

(1) Edit. Major, p. 12. •< Nicolo rimasu in Bres .si dclibcro ù tuiiipo ii jovo tli iiscir fiiori, e sco|)rii- tenu; uiiile arinuti tru nuvigli non niolto grandi dcl nicssc (li Liiglio fecc vcla verso Irainontana, c giunse ».

(2) Id., p. 13. << Et ci sono giardinetti, coperti di verno, il qnali inafiati di qiiell'acqua si difcndcno contra la ncve et il freddo ».

(:)) Ib., p. 16. u E senipre in quel porto ci sono molli navigli,clic non posso- no partirc per essere il mare aggiaciato, ed aspettano il nuovo tempo, che lo disgele ».

(4) lu., p. 13. « Per le (|uali corze le genli di quei luoglii, vcdendo effeti sopra natura, tengono quelli frati per Dei, e portano a lor polli, carne, c allre c(»se '1.

(••>) II)., p. IC. <i Ci concorreorio in questo monistero frati di Norvcgia, di Sucda, c di altri paesi, ma la maggior parle sono dclle Islande ».

CIIAPITIU: v.

I.K VOYACK l»i:S rHKHKS /KM.

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cffeti ; altre

vcgia.

Ils parlaient le latin (I), tnais ( «'taicnt surtout les chefs de la lomniuiiHUté qui euiplo'aient cette laufrne.

Nicolo Zeno aurait bien voulu continuer un voya^re (|ui s'an- nonçait si l)i(Mi. Il prenait des notes sur ses découvertes, dressait la carte du pays et utilisait son séjour ; mais les rifïueurs du climat l'avaient éprouvé. Il dut retourner en Frislande et y mou- rut. Antonio lui sucéda dans la faveur de Ziclmuii. Non seule- ment il hérita de ses (Ufrnités, mais encore devint le continuateur de ses projets. Il aurait potu'lant désiré retourner à Venise, mais il s'était rendu indispensable et Zichmni iw voulut jamais lui accorder cette aut(»risation. Enchaîné par sa ^^randeur et prisonnier volontaire, Antonio se réserva néanmoins lo droit d'entretenir une correspondance avec sa famille. Dans une de ses lettres à son frère aîné darh» Zeno, il donnait d'intéressants détails sur une autre ile de l'Atlanticjue, la fameuse Kstoti- landa, (|ue nous avons déjà étudiée à prop(»s de la colonisation de rAméri(|ue par les Irlandais. Il nous faut néanmoins revenir à cette relation, ne serait-ce que pour la compléter et préciser certains détails.

Quatre embarcations de pêcheurs Frislandais avaient été jetées par la tempête dans une île, nommée Estotiland, située très avant dans l'ouest. Le pays était civilisé. Les péclieurs furent Itien accueillis, mais on leur défendit <Ie rentrer en ["'rislande. Ils se soumirent à cet ordre et restèrent cin(j ans dans l'île, dont ils apprirent la langue et étudièrent les ressources. Gomme ils savaient se servir de la boussole et en apprirent l'usage aux insulaires « ils furent très appréciés (2). Aussi le roi les expédia- t-il avec douze naAÎres vers le sud dans un pays ([u'ils nomment Drogeo. Mais en route ils furent assaillis par une si violente

(i) Édit. Major, p. 18. < Usaiii il piu d'cssi la lingiia Latiiia, u spccial- iiicntc i superiori ed i grandi del nionistero ».

(2) 1d., p. 21. « Per il che qucsti pescalori furono in grau pregio, si «lie il Rc li spedi con dodici navigli verso oslro ncl pacsc clic essi chianiano Drogio ».

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t(>iii|i<Ho (|u'ils, se croyaient pcnliis. Ils «>vitèr(>iit |Miiirtaiit uii«* mon cruollc, mais pour tomber dans une situation encore pire, parce qu'à terre ils furent faits prisonniers, et la plupart di'vorés pur les féroces habitants (pii mandent de la <-liair humaine et la tiennent pour une viande très savoun-use •>.

I^; pêcheur et ses compagnons sauvèrent leur vie en montrant la uiauière de prendre le poisson avec, des lilets : il |M^<hait clia(|ue jour en mer ou diuis les eaux douces, et prenail iieau- cou|> de poisson (pi'il donnait aux chefs. Par il se mit si bien eir '■•ivcur (|ue chacun le chérissait, l'aimait et l'estimait fort. Sa l'éputatioii se répandit chex les peuples voisins, et un chef

peu pi

des environs éprouva un si j^rand désir de l'avoir près de lui et de voir avec (piel art admirable il savait prendre le poisson qu'il déclara la guerre à celui chez le(|uel se trou\ait le Frislandais : il Huit par avoir le dessus parc(> qu'il était plus puissant et belliqueux, et le |)écheur lui fut envoyé avec ses conipaj;nons. Pendant les treize années do suite (pi'il demeura dans ces con- trées, il dit (pi'il passa de la méuie manière au pouvoir de plus de viujït-cinq maîtres; celui-ci faisant totijours la {juerre à celui-là,

et un tel à tel autre, rien

(|ue poi

ur avoir le pécheur, leiiuel erra

ainsi, sans avoir jamais de demeure fixe «ians le même lieu bien longtemps, de sorte (pril conmit et pan-ourut toutes ces contrées (1).

Il dit que ce pays est très vaste, et connue un nouveau monde.

(i Eilil. Majdii, p. 22. •< E cusi eiranilo uniln senza liavcr mai fenna liabi- latiuiic in un luoj^i) hiuf^o (cnipo, si rhc ciinnobè et practico quasi lutte quelle; parti. Edice il pncsc (!S!>ei'u ^rundissinio, et quasi un nuovn tiiondo, sua {;ente roza c priva di ii{!;ni bciic, perche vunno nudi tutti, che patiscaiia frcddi cnideli, ne sanno coprirsi dcile pclli degli anitnali clic prundcnu in caccia ; non haniio nietallu di alcuno .sorte, vivcno di cacciagioni, c portano lancicdi legno nclla puiila agiuzxe, cd nrchi, le curde *lc i quali sono di i>elle di aniniali ». N"est-<'c pas ainsi (piu les chefs l'atagons se disputaient la pos.M!ssioii de l'Iicroïquc Guinard, dont ils étaient obligés, tout en le martyrisant, d'admirer la su|>é- riorité intellectuelle, et ipii ne parvint à se sauver de leur» mains que par des prodiges d'énerRiu '! \'oir Tour du Monr/e, 1861, Rrlation du Voyaije de Guinnvd en Pataf/onie.

CIIAI'ITHi: \.

LK VOY.\i;K I»KS F'UKItKS ZENI.

3().n

UMi'iA (ju«' la popnlalion «'st },'r<»ssi«^f«' <'t priv«'«' H<» tout !>i(Mi : Ions sfuit mis ; ils snnIlVcnt du froid rifruun'ux t't lU' sav'>n! \\»^- so couvrir des peaux il'auiuiaux «pi'ils prt'iinciit à la cii:!"^;,*' ; ils n'ont auiuuc sorte de métal, vivent de ••liasse, et portent des lances de bois aif;uis»''es d'un lutut et des ar«'s dont les cordes sont faites de cuir. (!e sont des peuples d'une grande férocité <pii se coiuhattent mutuellement à mort, et se inaiifrent l'un l'autre. Ils ont des chefs et certaines lois lii(>n dillerentes d'un pays à l'autre : mais, plus on va vers le siid-»tuest, [dus on trouve de civilisation à cause de la douceur de la température (i) ; de sorte (pi'il y a des cités, des tein|iles pour les idoles l'on sacrifie des victimes humaines, (pie l'on inanfxe ensuite. Dans cette contrée on a (|uelipi(* connaissance et usage de l'or et de l'arpent.

Le pécheur, après avoir passé de si nom".. reuses années dans ce pays, résolut de regagner, si c'était possible, sa patrie. Ses compagnons, désespérant delà revoir, le laissèrent partir en lui souhaitant hou voyage, et restèrent ils étaient. Leur ayant fait ses adieux, il s'enfuit à travers les hois vers Drogeo, et fut très bien accueilli et choyé du eiief voisin, (pii le connaissait, et était en grande hoslilité avec son ancien maître. Il retourna ainsi de proche en proche par \h même il avait passé, et, après beaucoup de temps, et assez de peine et de fatigue, regagna finalement Drogeo, il habita trois ans de suite. Jusqu'à ce que, |»arun heureux hasard, il apprit des haiiitants qu'il était arrivé :\ la cAte quelques navires. De là, ayant coneu l'espoir de réaliser son désir, il se rendit vers la mer, et demanda aux navigateurs de (piel pays ils étaient. Il apprit avec grand plaisir qu'ils Tenaient de l'Estotiland, «^t, les ayant priés de l'emmener, il fut volontiers accueilli, parce (|u'il savait la langue du pays, et devint leur

(1) Ed. MAJon, p. 2J. « Ma piu che si va verso garbino, vi ci Irova plu civllilà per r.ierc tempciali clic ù è ; di maniera, clic si sono citt'i, teinpij agli Idoli, cd in sacriflcano gli liuomini c se li mangiaiio por ; liarciido in qucstn parte <|ualchc intelligenza cd uso dcU'oro c dcll-argcnto ».

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.«>(( rilKMIKIlK l'AHTIi:. LICS l'UKl.l MSKI US l»K COLOMH.

iiitorprôfc. Kiisiiitt' il irlit avec eux ce voyage, en sorte (jn'il devint très riclie. Ayant iiii-iiH^iiie citiistniit vi armé un navire, il revint en Frislaïule, apportant an sei^'nein' de l'île la nouvelle de la découverte de; ce pays trôs riche. VA le tout est conlirnié pur les marins et par lieaucoup de choses nouvelles, (jui attes- tent la véracité de t<tut ce cpi'il a ra|tporfé ■> (l).

Antonio Zeno racontait ensuite (pie le prince Zicinimi, espé- rant de nouvelles concpiétes, et mis en fioùt par le récif du pécheur Krislandais, se décida à tenter une faraude expédition. Hien <pie le pécheur (pii devait servir de },MU(le fût mort trois jours avant le départ de la flotte, il persista dans sa résolution, et entraîna avec lui Antonio Zeno et un fjrand nond>re d'aven- turiers, descendants des anciens pirates Northmans, (ju'exci- taient à la l'ois la cupidité et la séduction toute |)uissante de l'inconnu. C'est dans une seconde lettre à son l'rèrc Carlo. qu'.Vntoriio Zeno doiiiuiit tous ces détails, et racontait en même temps l'expédition. Ziclunni s'était réservé le conmiandement en chef de la flotte et avait <hoisi pour fluides (juehiues-uns des matelots cpii étaient revenus d'Estoliland avec le |»écheur Fris- landais. Après avoir visité (pu'kpies-unes des îles (pii dépen- daient de la l'"'rislaiule, Ijcdovo et Ilofe, les voya|îeurs se lan- cèrent droit devant eux dans la direction de l'ouest {"2). Les vaisseaux, à peine (mi |)leine mer, furent dispersés par une vi(dente tempête, mais ils se rallièrent, et arrivèrent en vue d'une firande île. Un interprète Islandais pouvait seul com- prendre le lan}i:age des insulaires ['À). Il apprit d'eux cpie leur pays se nommait Icaria, leur roi Icarus, et «pi'il tenait son nom de leur j)remier souverain Icarus, fils de D«edalus. Les Icaricns

(1) Edit. .Ma.ioii, |i. 2.1. « E fiitto (^d aiinato an navijçlio del suo, se ne c ritlornato iii l'^islanda, |)ortando a ([iicslo signur la iiiiova dullo scoprimcrilo di quel i)ae.so ricliissiino ; od a tiitto se gli à l'udc pcr i marinai, et molle cosc nuovc chc appruvano esscre vero, (|uanli egli lia rappurlalo ».

(2) Id., p. 20- « 1{ navigando con biion vcnto scoiuimmo da poueute terra ». (:j) Id., p. 27. « Glie sapovano parlar in dicci linguaggi, ne fu inteso alcun

di loro, fuor ch'un d'islanda ».

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ciiAriTiiK \. LK vovAdi: i»i;« l'iiKUKs zi;m.

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m* Voulaient ;i\(»ir aiiriiii coiiiiiici'ci' avec les ('traii^t'i'H (1), ot |iirviiii'(>iit Zirlitiiiii <|trils s'upi nscraiciit à smi ili''liari|ii(>iii(>iil ; r(>|i(>ii<laiil ils ruiisciitaiciit à et- (lu'iiii de srs Imiiiiius ilfsccinlit i^i tci'i'f |)Miir a|i|in>ii(li-(> leur laii};uc et ('■ludit'i* leurs couturues. Zicltnuii ne tint aueun cnnipte de leurs nliservations. Il f!* le tour lie l'ile, à la reclierclie d'ini port il pût renouveler ses provisions d'eau ; mais les insulains suivaient les nutuvenients de la tlolte. Ils ('i)nunuiii(piaient entre eux par des si^:naux de l'eu sur les uu>nlagnes, et, à peine Zichinni avait-il déhanpié, (pi'il était assailli par des forces supérieures, perdait plusieiu's de ses lioinuies, et étiiit o|ilij;é de rej;aj;nei' pré<ipitauuuent ses vaissciuix. Piqué au jeu, le priiu-e essaya plusieurs lois ik" descendre à terre, mais les insulaires le suivaient le loufi: de la côte, toujours en armes, ne voulant uièiue pas entrer en pour- parlers, et déterminés à vendre ilièrement leur vie, si les étrangers [tersistaient dans leur résolution.

Zicluuni se décide alors à poiu'suivre son voya^re, et cingle vers l'ouest pendant six joins \'2'i ; mais le vent saute au sud- ouest, et, connue la mer était mauvaise, les vaisseaux se laissent pousser pendant (jua.tre jours \ent arriére. l'iUlin on découvre la terri', mais ce n'est pas sans hésitation tpi'ou s'en a|i|)roclie, car la mer était toujours grosse, et nul ne connaissait le pays «pi'on venait de découvrir: i< lùiliii, a\ec l'aide de Dieu, le vent vient à loud»er, et les flots se calment. Quehpies matelots montent en Itanpie et v(»nf à terre. Ils reviennent prescpu; aussitôt et nous annoiicentà notre ^^rande satisfaction cpi'ils ont trouvé un pays admirahle el un port excellent. A celte nouvelle,

(1) Eilit. Majok, p. 2;. « Non ricevoviiiio iilctiii lores'icii». (; (.'lie peicio |>re(;iiv;iiio il iKistio IMiiiciiie, clie non volcssc roinper ((uellc lt'^i;i clie li;iV(!ano liavuto dalla l'clice nienioiia di qnt'l lie ».

(2) 1d., |) :UI. « Nuvigaiido sci giorni per )ionentc ; ma vnltatusi il tunipo à garl)ino, cd inga<!;liardito$i pcrcio il inan;, scorse il'arniala qnaltro di con vento in popjia, o discoprendo liiialnionle l(!rra con non iMcciolo limon' si appi'cssatnnio a quelln pcr essoru il mai' ^'onfio, cl la Icrra discopurta da noi non conosciiita ».

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'M\H l'MKMIKHK l'AHTir.. - I.KS l'HKr.lHSKIUS liK (IW.OMII.

nous n'iin»r(|iioiis les vaisscuiix, et (Irsccrulniis à ItTre. A \mui', l'iitrés dans le \utr\ inms a|)('i'c(>V)>ns à riinri/oii une ^'i'aii<l«> iiKintagtic (l'nii sort la riiiiu'c. Nous »'S|)(''ri<»iis (|ti(' l'ilc iic serait pas iiilialtiti'c. Afin de s'en assiirtT, Zicliinni irsoliit (l'envoyer un (léfarlicnicnt tic cent «le ses meilleurs soldats |)our recon- naître le pays et dire (|uels en étaient les haltitants. Kn atten- dant, les nmtelots firent leurs provisions d'eau et de liois. Ils prirent lieaueoup de poissons et de veaux marins, (les veaux mai'ins étaient si nond)reu\, (pi'ou était (;omtne dégoûté de les maiifrer. Sur ces entrefaites arriva le mois de Juin ; la tempé- rature était douc(', |)h:.'. (pi'on ne jteut le dire. Oomme nous ne trouvions aucun habitant, on finit par supposer «|ue r-ette lieile il(! était déserte. Nous doniiAmes au port le nom de Trin, et à la pointe (pii s'avance dans la mer le nom de cap de Trin ». ÏjCS soldats, qu'on avait envoyés en reconnaissance, annon- cèrent (ju'ils avaient enfin trouvé des habitants (l), mais c'étaient des sauvajres, de petite taille, très peureux, <|ui s'en- fuyaient à leur vue dans les cavernes qui leur servent de demeures. Zichmni voyant «|ue la contrée paraissait riche, l'air salubre, et (jue les indigènes ne lui opposeraient aucune résis- tance, résolut de tirer parti de tous ces avantages et de peupler, en y bâtissant une ville, s\ nouvelle acquisition (2) ; mais l'hiver survint, et les fatigues de la colonisation jetèrent le découra- gement dans les esprits. Il fallut que Zichmni permît à Antonio de retourner en Frislande et de ramener avec lui tous ceux qui renonçaient à leurs projets. Quant à lui, attendant les secours et les auxiliaires que lui avait promis son fidèle amiral, il res- terait dans sa capitale improvisée. Antonio accomplit son

(1) Edit. Major, 31 << K clic n'habitavano molle genti intorno mczzo selva- ticlie rcparandosi nclle caverne di picciola statura e molle panrosc, perche «abilo chi ci videro fu{Ç(i;irono nellc caverne » .

(2) 1d.. p. 32. « Di clie informalo Zichmni, vedendo il luogo con aère sa- lubre e soltile, e con miglior terrcno, e fiumi^ e tante allro parlicolarilà cnlrù in pensiero di farlo habitare, c di fabricarvi una cilla ».

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lit son

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acre sa- Irità entra

(IIAI'ITIIi; X. LK V(tV.\(iK liKS KHKHKS ZKNr. iMJO

iiiaïKliit, t't. luiNciu'il rrviiit en Krislimdc, il y Tuf inciu'illi iivcc nitliDiisiasiiit' ; rar, (Icpiiis iiu'oii n'avait plus «le nouvelles de re\|M'>(iitiun, mi n'nvait titul perdu, liuiniiies et vaisseaux (1).

Aulnnii» avait érrit d'autres lettres à son fn're. Il lui parlait de ses derniers vi.yaf:es au pays ('(dmiise par Zirlinuii, (pii avait fonde des villes et étendu ses coiupuMes au loin. Il lui annoueait en iiK^uie temps une des('ri|)lion de tous les pays (pi'il avait parcourus, de leiu-s roiitunies. de leurs productions, de leins pèclienies ^"2 . Il lui pi'ouiettait aussi l'histoire de Kris- landa, Islande, l'iSfland, Norvèfre, Kstotiland. Dro^reo et (iroenland, (|ii'il joindrait à la hio^'rapliie de leur l'r^re Nirolo et à celle du prince Zichnuii. Il avait l'intention de porter avec lui, tpiand il reviendrait à Venise, tous ces manuscrits : mais de ces divers ouvraj^es, il ne reste malheureusement (pie l'indication, et jamais ju'rte ne l'ut plus ref:rcttahle, car ils nous auraient éclairés sur hien des points restés douteux, et surtout ils nous auraient convaincus ipie les l'raf:ments des lettres parvenues jus(prà nous ne sont pas, connue on l'a prétendu, un ouvrafTO de pun» fiction.

Telle est la relation du V(»ya|:e des Zeni. .lusipi'à (piel point (h'V(nis-nons ajouter foi à cette relation? Trois solutions se présentent : ou hien cette relation a été inventée à jdaisir, et on ce cas, il fiiut en déharrasser la science; ou hien elle est vraie, et, en ce cas, elle fournit d(î précieux rensei^MU'uients ; ou i)ien la relation, vraie dans le fond, est fausse dans les détails, et, en

(Il Edit. Majok, p. 33. u Dovc il pupolu, chu crcduvn di linvur pcrduto il sun Principe per si liinga diniora clic ncl viaggio liavcvamo fado, ci raccolsc con se;;ni di (^raiidissiina allcgrc/xa ».

(2i Id., p 33. " Qiiaiilo a sapcie le cose, chc nii licercate de costumi de gli hnotnini, dc^^li aiiimali, c de pacsi coiivicini, io ho fatto di tutto un lihro dist- '.' 'to, che piaccndo a Dio portcro cou ineco. ncl qnalc lio descritto il paesc, i pCLji moslruosi, i costumi, le le^{;i di Krislcinda, di Islanda, di Kstlinula, del ilegeio di Norvcgia, d'Estotilanda, di Urogio, ed inftne la vita di Nicolo il Cava- lière, con la discoperta da lui facla, e le cose di (îrolanda. Ho anco scritto la vita c le impresse di Zichmni ».

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370 l'KEMIÈHK l'ARTIE.

LKS l'KKCLHSKLHS 1)K COLOM».

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ce cas, il faut distinguer les notions précises des renseignements erronés qu'elle renferme. Nous |>ensons que la troisième solution est la plus juste, et nous allons essayer de le |)rouver. La plus grave ol)je(;tion (ju'on ait dirigée contre raullientitité de la relation est qu'on a troj» atteiuiu pour livrer à la pulilicité des événements aussi curieux, et cela à une é|toque les esjtrits se tournaient avec ardeur vers tout ce (pii intéressait la science géographique. Kn ellet, le récit des voyages des frères Zeni resta longtenq)s inconnu. Il ne fut [tuhlié (|u'a|)rès lu découverte définitive de IWmérique par les ICspagnols. C'est seulement vers le milieu du .wi*" siècle qu'un des mendtres de la famille des Zeni, Nicolo Calerino Zeno, mettant en ordre des papiers domestiques, (|u'une coupahle incurie avait ahandtjunés retrouva les lettres si curieuses de son ancêtre, et s'empressa de les faire connaître, l-llles étaient mallietireusement iufvom- plètes. Gaterino Zeno avait même contribué par son étourderic à en perdre une partie, car il s«! souvenait (pie, tout enfant, il les avait tenues entre les mains, et, ne sachant <'e (ju'il faisait, les avait lacérées (1). Les fragments cpii subsistaient avaient néanmoins une telle importance cpi'il essaya de réparer sa faute en les i)ul»liant 11 y joignit une carte des pays parcourus (:i. carte également dressée par ses ancêtres, mais ti'llemcnt dégradée (juil la corrigea en partie d'après les documents (piil avait à sa disposition. C'est <'n l.'i.'iS cpie parut cette précieuse publication, sous le titre de Delhi scuiyiinu'nln dflV istiht Fvix- Iniidn, Eslanda, Jùifjrori'lfntdn, haUttilnudn, et /rariti, fnttit snlto il jiolo ariicn, da due f'ratfUi Zrni, M. .Xiroln il /,• '■ M. Anloiiiii, li/jvo iiiio, avec carte, à la suite de /h'i rdiinin'ii-

(1) K(l. Majoii, p. U4. '1 l*crclic io aiiCDr raiiciiillo, o jierven'oni aile iiiaiii, ne sopciuld cii) clio l'ossei'd, coiin; laiiiio i laiiciiilli, le si|iiarci'i(;ii c iiiaiuli'i liitle a inale, il clie imii pnsso, se iimi ciiii ;;raiiili.ssiino dolore, ricuidaiiii liora ".

(2) 1d., p. ti : '< iJi quustc parti ili Trainoiitaiia in'ù païuto di trame iiiia copia et iiJia caita da iiavigare, rlio annira mi truovo liaveie Ira le ariticli<- cusc uos'.rc di casa...».

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'-vcu.e,.„„s-„„„spasdel,.parur„„;

H) Rt.scKi.i.i, Georirafia ai Tr^i^

'^ Mo,.Kr.,, P.o/4.;r\:j;:t ::• !"f ' Venise, 1,„.

'•J) Livio Sam r.>. cifé par Ziirla Vrr .? '*'' '" '''''"^^'e xv,.

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'.ili l'Hl-.MIKHK l'AHTli;. LKS l'HKClHSIUHS ItK CdLOMIt.

r.miill»' |ti»tiitii'iin(!, i\\u' Icsadaiirs |iul>li(|iu's et r.uliiiinislnition (l'une firaiido rorlimc détounieiif du soin de ranjrcr des papitM-s (|ui ii'iiitt'rcsscnt (|ue cos aniM'trcs ? Il fallait un clicnlicur (»u un (lii^ir, toi (juc Caterino Zono, pour s'aviser de rcnuier tous ces manuscrits entassés sous les l'omhles de sun palais, tous ces parchemins à demi rouffés [)ar les vers. Il fallait surtout uxw épo<|ue d'ardente curiosité, telle (|ue la Ilenaissance, pour (pie pareille idée ptMK'tràt dans son esprit. Peut (Hre cliercliait-il ((uehjue anti(pie manuscrit acheté' par ses aïeuv dans leurs V(jyajj;e\, au Levant : il ne rencontra |)as ce (pi'il désirait, mais au moiiis p(jssédons-nous frràce à lui un très curieux, et, croy(»n!*- nous, un très authenti(jue document du xiv"' siècle.

On a prétendu (pie la relation et la carte furent composées par Caterino Zeno, et qu'il se servit pour se travail des rensei- gnements ndatifs au (iroenland qui, pour la première fois, parvenaient alors en Italie. Nous admettons volontiers, d'autant |»lus (ju'il l'avoue lui-même, (pie In carte i; été remaniée par Caterino Zeno, mais le dessin primitif était si Itien une (Pfivre originale, (pie toutes les cartes postérieures des r(''jrionsdu Nord sont en partie copié-es sur la carte des Zeni. Quant à la relation est-il possihie (juelle soit r(puvre d'un faussaire, puis(jue son éditeur, Caterino Zeno, était un des grands pers ^nnages de la llépuhlique (l), qui n'avait pas hesoin, pour grandir sa répu- tation , d'attrihuer à ses ancêtres de lointaines découvertes. D'ailleurs sa vie tout entière protestait contre cette imputation de faux. Aussi hien, si la relation (Hait nVllement r(puvre d'un faussaire, présenterait-elle tant d'incohérence, d'inexactitudes, d'omissions? D'ordinaire les auteurs de pareilles impostures prennent mieux leurs précautions et ne s'exposent pas à de pareils reproches. Gomment admettre ipie la |)uissante famille des Zeni, dont la postérité se perpétua Jusqu'en 17rj(), aitun instant consenti

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{{) Caterino Zeiio était un des plus savants liommes de l'époque. Son portrait, par Paul Véronèse, fut placé dans la salle du Conseil des Dix, dont il était membre.

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à oi'ttt' aiulacieust' usurpation de s(tu n«im? Cumnu'nt, d'un autre enté, n'aurait-un élevé aucune réclauiation contre eux, si ou eut soupçonné (^aterino Zeno de mensonjîe ? Or, rien de seni- Idahle n'eut jamais lieu ui de la part des Zeni, ni contre eux. il seudile donc cpie la relation présente tous les caractères de l'authenticité.

Une autre preuve de l'authenticité de cette relation, c'est son cachet de naiv<'té, (pi'il est dil'llcile de niéc<tnnaitre. (connue Ruhru(piis, connue Marco Polo, les Zeni ont réellement vu ce qu'ils décrivent, entendu ce qu'ils racontent, souH'ert du froid et de la tempête connue ils s'en plaignent; Caterino Zeno s'excuse «juelque part (1) de ne pas reproduire intéfjralement une des lettres de son ancêtre, avec ses négligences de; style et ses tounmres vieillies. La candeur de cette précaution oratoire ne démontre-t-elle [»as l'ahsolue sincérité du premier éditeur de la relation ?

(Jn a encore prétendu (pu; ce voyag:e fut inventé par un Vénitien jaloux de tiênes, et désireux de rabaisser la },doire du génois Colond». On n'y trouve pourtant aucune récrimination, ni même aucuiu' allusion contre Colomb. Les pays décrits par ^'icolo et Antonio Zeno ne présentent aucune analogie avec les descriptions du navigateur génois. Rien pourtant n'eut été plus facile, si la relation eut été apocryphe et dirigée contre Coloud» <|ue d'y introduire la description très reconnaissahle par exemple d'Ilispaniola, de Cuba ou de toute autre Antille. Or, rien dans la relation, ne sessemble, de près ou de loin, aux terres signalées par (lolomb. L'inventeur de la relation, quel (|u'il soit, aurait donc bien mal exécuté son dessein si réellement il avait cherché à décrier Colond», et voulu le présenter comme le plagiaire des Zeni.

il nous faudra pourtant recîonnaitre , et c'est ici (jue le;*

(1) Eilit. .Majoh, |i. l'J : « l.aqual discoperta narra M. Antonio in una lettcra scrilla a M. Carlo suo fralello cosi |iinitalincnte, inutate pero alcuno voci uDticlie, u lo slile, c lasciata star nel suo essere la niatena ».

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'MA PHEMIKHK l'AHTI

LKs iiiociRsinns i»k colomi».

objections devit'niu'ut sériouscs, (|ne lu relation du vcjyaffe est jdeine de confusions, d'invraisemblances, et mOme de contra- dictions. l']st-ce un uiotit" pour la rejeter ? Assurément non. Supposons un voyaj^eur (pii, sans avoir jamais entendu parler des Antilles oi 'e tout autre archipel, serait tout à cou[) transporté dans ces îles igerait de l'une à l'autre. S'il cherchait à nous

les décrire, su» quand ses souvenirs ne seraient plus dans leur première fraîcheur, souvent il confondrait telle ou telle de ces îles avec une île voisine, et pourrait commettre de ffrossières erreurs. Ainsi firent les Zeni. Transportés dans un monde inconnu, préoccupés de leurs propres affaires, ils durent oublier bien des détails et se tromper souvent. Ces erreurs prouvent leur sincérité, car ce serait supposer un singulier raffinement à l'auteur d'un ouvrage apocryphe que de croire qu'il aura fait litière de son amour-propre et se sera exposé volontairement au reproche d'avoir composé un livre rempli de fautes.

H ne nous reste plus (ju'à essayer de faire le départ entre les renseignem(>nts précis et les notions erronées de la relation. Cet examen nous prouvera (jue, si Ton trouve dans cette relation t^"* points obscurs et des traits évidemment fabuleux, au lieu de la rejeter en bloc, il est préférable de les étudier avec soin. Plus on les étudiera, mieux on les comprendra.

Tout d'abord quel est ce prince Zichmni qui joue un si grand rôle dans la relation? llorn a beau jeu pour se moquer jtlus ou moins spirituellement de ce prince qu'il prétend inventé pour les besoins de la cause (l). Il est certain que ce nom de Zichnmi a une tournure étrange et qu'il a beaucoup embarrassé les com- mentateurs. Afin d'en faciliter la prononciation, Pontanus (2), un des premiers historiens «jui aient discuté ce problème, changeait l'm en in et proposait de lire Zichinni. Wytfliet écrivait Zichini.

(1) HoRN, De Oriijinibus Americanis, p. 156.

(2) Pontanus, Rerum danicarum historia {.\inslciilaiii, 1631), p. 762. C'est encore Pontanus qui cite VVytfliet (p. 763).

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(■lIAl'IÏRn X.

LK VOYAGi: IH:S FRKRES ZENI.

375

iiiui ou i»ur

ni ni )m- ,uu

liai.

Marco IJarhiivu, parent des Zeni, qui connut les lettres d'Antonio vin|?t-d(;u\ ans avant leur pulilication (1), et s'en servit pour composer son recueil des I)i sce» douze pnfrhie ,^^0111 7À(:.hno {'i). Or Zichini ou Zichno est une transcription assez fidr'le du ;ieux norrain Thefrn, qtu sij^nifio le propriétaire libre. Ziclimni serait «lonc un titre et non pas un nom de famille.

Sans nous attarder dans cette discussion philologique qui nous paraît peu intéressante et encore moins prohante, cherchons si, parmi les souverains ou les princes du nord à la fin du Mv"" siècle, il ne s'en trouve pas un dont la vie et les actes répondent à ce que racontent de lui les Zeni. Nous ne citerons ici qu'à titre de singularité l'hypothèse de F. Krarup, qui prétond reconnaître Zichmni dans Henri de Siggens, maréchal de l'armée de llolstein, (jui aurait effectivement enlevé le Nord Frisland ou Frise SIeswigeoise, en 1371, à Olaf, fils de Ilaken de Norvège et de Marguerite de Waldemar ; mais, si le nom de Siggens se rapproche, jusqu'à un certain point, de l'italien Zichmni, la vie et les actes du maréchal ne ressemblent nullement à ce que les Zeni ont raconté de leur prince. 11 nous faut donc chercher ailleurs, et peut-être serons-nous plus heureux dans nos recherches, lorsque nous les aurons dirigées sur un certain Henri Sinclair, baron de Roslin, descendant d'un des compa- gnons de (jruillaume le Conquérant, qui était allé chercher fortune en Ecosse. Henri Sinclair, déjà seigneur de Caithness en Ecosse, des Sthetland, de Portland et du duché de Sorand, s'était fait nommer par le roi d'Ecosse comte des îles Orcades. Afin de fortifier sa position, il avait, en 1379, sollicité et ob'jnu du roi de Norvège la confirmation de ses droits sur l'a^'^nipel. Brave, habile marin, dévoué aux intérêts de ses sujets, il ne voulait pas (|u'ils fussent rançonnés par les pirates Danois ou Norvégiens, alors nombreux et redoutables, et dirigeait contre ces insaisis-

I .

762.

(1) ZURLA, Di Marco Poli, etc., t. H, p. 9.

{2) Beauvois, Le Markland et l'Escocitnnd (Congrès des Amcricanistes de Luxembourg, t. i, p. 200.

37(1 l'MKMiKHK l'Airni:. lks i'Hkclrsiîlrs I)i: colomii

sableseuiu'iiiis (le rn'(|iu'iit('s expéditions (1). Aussi, (|uaii(l il apprit l'arrivc'c (riiii marin aussi exporinicnt»' et d'un ofticier aussi l)rav<' que Niroio Zcnu, clierclia-t-il à se l'attaclicr en (|ualité de capitaine de la (lotte (|u'il destinait à la eonipuMe du Frisland. L'existence de Henri Sinclair, ses projets de cunquètt! et ses expéditious ne s(»nt niés par personne. Nous ne savons il est vrai connniMit, à la lin du xiV siècle, les hommes du nord prononçaient Sinclair ou ses étpiivalents, ni conmientun Italien pouvait entendre et transcrire ce nom, mais l'identité d(! Sinclair et de Zichinni nous send)le très probable, et (l'ailleurs, comnje nous allons ntjus en convaincre, eile sera conlirmée par la suite du récit.

Quels sont les pays con(|uis, entrevus ou visités parce prince belliqueux et par les Vénitiens qu'il a prisa son service? On en compte jus(|u"à siv : Frislanda, Estland, Enproneland, J-lsto- lilanda, Icaria, Drogeo. Etudions-les successivement.

On a beaucoup discuté sur l'emplacement de la Frislande. Certains auteurs, radicaux dans leurs affirmations, ont souteim que l'ile décrite par les Zeni a bien existé jadis, mais (pi'elle a aujourd'hui disparu. Sur lu mappemonde jointe par Ruyscb à son édition de Ptolémée, la Frislande n'est pas indiquée. On lit à sa place : fnsiila liaec anno 1 4ô6 fuit totaUter combusta. Baudrand écrivait en 1682, dans son D'tctvmnmrc r/rogni- pMque{1) : « La Frislande est, d'après certains écrivains, une île très grande de l'Océan septentrional, mais sa situation, par qui et en quelle année elle fut découverte, à qui elle obéit, ses divisions, ses villes, tous ces renseignements sont contradic- toires ; aussi est-il plus exact de dire qu'il n'y a nulle part de

(Ij Gravier, Découverte de l'Amérique par les Normandx, ISl-lS'J. - Barry, Historij of the Orkney hlands (Londoii, 1808), l. II, p. 202.

(2) Baudrand, Dictionnaire géographique, I, 414. <■ I''rislaiidiam insulain esse pcramplani Oceani Seplcntrionalis quidam sciipsere, sed quœ sil, a quibus détecta, et quo aiiuu, cui .'ubjaceat^ et quas habeat partes et urbes, neque constat iiiter ipsos qui de illa scripsere, ita ut inelius sit dicf- nsulaiu Frislandiam nullani ».

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Frislaudo ». Piiifrn'' «'t Honla (l), dans la relation du voyage qu'ils ('ntro|)rin'nt en 1771 et 1772 dans les mers du Nord, cher- chèrent également sans la trouver la Frislande : «^ Que l'île Krislandia ait existé ou non, disent-ils, il est au moins certain qu'elle n'existe phis ; mais existe-t-il, sous le nom de lins, une petite partie de cette Ile. nous en doutons, parce que nous ne voyons pas que l'existence de ilus ait été suffisanunent cons- tatée ». Tout récemment, dans son curieux et intéressant ouvrage intitulé Pauvre hlaiidi' ! ('2) M. Victor Mev'nan soutenait la même théorie et affirmait »pi(! la Frislande avait disparu à une épo(|ue relativement moderne. I^a Frislande aurait donc été détruite par un cataclysme analogue à celui qui sultmergea jadis l'Atlantide ou la Lyctonie : mais les effets de cette révo- lution géologique se seraient fait sentir au loin, et auraient été connus au moins dans les îles voisines : or, de[iuis l'an 8(K), on a conservé les traces et le souvenir des moindres ravages exercés par la mer à Heligoland ; depuis le xii" siècle on connaît, pour ainsi dire jour par jour, les changements opérés sur les côtes de Norvège, de Danemark ou de Hollande, Se peut-il donc(|ue la soudaine disparition, à partir du xv" siècle, d'une île aussi grande que l'était la Frislande n'ait laissé ni traces dans les mers et les îles voisines, ni souvenirs dans l'esprit des hahi- tants, et cela dans une région les phénomènes cosmi(|uc» sont enregistrés avec soin, et les traditions entretenues avec fidélité? Il nous faut donc renoncer à cette hypothèse de la suhmersion, et chercher si on ne pourrait pas retrouver, autre part qu'au fond de la mer, la Frislande des Zeni.

Nous laisserons de côté l'hypothèse à tout le moins singu- lière de Bossi (3), qui entendait par Frisland tous les pays uhondantsen poisson, d'après l'ancien teutonique Frisch Land,

(1) Borda, Pinohé et Verdcx db i.a Crecnk, Recherches pour vérifier les cartes hydroi/raphigues, t. Il, p, 3o'J.

(2) Victor Meicnan, Paurrn Islande, |i. 31-33.

(3) Bossi, Histoire de Christophe CoiomO.

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380 l'IlKMIKHK l'AUTIK. I.KS l'HKClRSKlHS HK (OLOMI).

pays (lu poisson. Nous nous (oiitciitcroiis aussi de iiiciitioiiiici' lii hiziiiTc [tositioii i\\w lui assi}.Mi('iil, au su(l-(»U('st df l'Islande, frrs près du (Irociiliind, Oriclius ( I ), Mcrcator (2), HIacii ^3), iJiidlcy i) cl (loronclli ('.)), et nous ne saurons tro|» nous rtonncr de ce (pic l)clislc ((>) en I7IH, et Laniartinièrc "jeu 17(IK, lui a\aiciit conserve la même position. L'opinion de Steenslrup (H) ne nous parait |tas non plus facile à sfiutenir Cet écrivain pense en elVcl «pie la l'^rislaiide correspond ;i rislandc, cl il essaie tic le prouver en interprétant les noms des lieux inscrits sm- la carte des Zeni. Il pense (pic ces noms sont islandais sous une forme italianisée, on Itien traduits textuellement de l'islandais en italien : mais il a ouldic (pic l'Islande est nonnuce dans la relation comme un pays dislincl de la Frislande ^0) et (pi'il est par consécpient impossible de confondre ces deux régions. Un autre savant, Walkenaër 10 . a cru retrouver la Krislande dans l'Irlande. Dans son système. la Krislande ré|»ondrait au nord-ouest de l'Irlande, le jfolfe de Suderoà la baie de (lulloway, Sonestol à l'embouchure du Sliaiir non et liondendon à la prescjuile de Hrandon dans le comté de Kerry. Quant à rem|)laceineiit de la capitale, il hésite entre Belfast et Dovvn Patrick. (les raccordements sont inirénicux

(1) OiiTELiLS, Theafriiin ur/iis terrarum (1573). caries 1 el 2.

\2) Meiic.ator, Citrte ilo 156!) rcpiodnitc par Joinanl, ouv. citi!', ji!. 18.

(3) Bi.AEU, Atlas de 1034.

(4) Dl'DI.ev, Arcano del mure (1630-1661).

(5) Cdiio.NKi.i.i, H piivtol(ini) ilella mure, 1698. Ce dernier publia une carlt* particulière du Frislaiid smis ce titre : Frislaiida sco|)erta da Nicole Zeiin. patricio Veneto, crcduta favolosa, o nel mare sominersa.

(0) Delisle, Atltia historique et f/éoijraphiqtie, 1118.

(1) Lamahtimeue {Dictionnaire t/tiof/raphii/ue fie I768j la plaçait entre le 3405' long. O, et 60» et 63» lat. N.

(8) Steenstrup, Congrès Aniéricaniste de Copenhague, p. 180.

(9) Relation, édit. Majoh, p. 11. « Ed vedendosi pcr la ïramontana vicino aile Islande, délibère di assaltar Islanda «. Voir p. Il, 16, 20, 33,34. « Le logge di Frislanda, di Islanda ».

(10) Wai.kesae», Lettre à Dezos de ta Roquette, insérée dans la liioijrti- phie univerelle de Michaud à rarliclc des frères Zeni.

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siuis iloiitc, mais iniiiiniMit sii|i|misci- <|(I(' les Zciii iiiciit duiinr lies iiniiis hi/iirrt's et si t'(nii|ilt''|('in('Mt iinniiinis ;i des pays t(>ls (|n<' rirlaiidc, (Irpiiis |iiiifrlciii|is cxplun'c, ('niiiiiic le |ii'iiiiv(>(it les tarfi's aiitrricun'S ? {{) l'iit' hyiintlM'sc plus ivcciitc nous parait moins suntcnalilc cncon' (pir la tlH'ui-jc de xValkcnai'r : Kn'dt'rirk Ki'ai'n|> {"2) n'a-t-il pas sniifcnn (pTil l'allaif «lifrclit'i* lit Krislandc dans le Nord Krislaud on Fiisc SIcswifjcrdsc ; mais il ne pcnt (<\|diipici' une Inidc d*> unms propres et d** détails (pi'il se contente de passer sons silenee, el. des trente- neni" noms cités par les Zenidans leni' carte de l-'rislanda, il ne parvient à étaldir l'identilication que de Sorano avec Siehren en Wa^'rie, de Sndero avec Siideraii, un des liras de mer cpii séparent les îles Sle\vif:oises, et de Forlanda avec Itordinm près de Bredstedt en SIeswi;;.

(Jn'est-il besoin de chercher si loin la position de la Krisliuide? Il est nn archi|»el de rAtlanti(|ue dont la positicm et les déno- minations correspondent à peu |)rès exactement à la position assifrnéo par les Zeni à la Krislande, et aux dénominations géo- j,^ra[)hi(pies (ju'ils ont inscrites sur leurs cartes : c'est l'archipel des Feroi' {',)). Sans doute le mot Feroë n'est pas le même que le mot Frislanda ; mais il a, parait-il, pour riicine Fara ou Fare, (|ui sifînifle passage, détroit entre (h's des, dont on a fait succes- sivement Far-or, Faer-oer, et Fair-islanri. Il se peut enc<)reque Frislande signifie terre des Frisons, Frisa-land, car on sait par une curieuse tradition recueillie de ncis jours par le pasteur Schro'ter (4), que des Frisons occupèrent Sudhuroy, la plus méridionale des Feroë, Quelle qu'ait été la fortune de ce nom,

(1) IIamv, Les Orifjinps de la carto'jraphie ilc l'Europe Septentrionale. (Bullclia de géographie liistorique et scieiitiliiiue, 1888).

(2) Krarup, ouv. cité.

(;]) G. Debes, Fœr.-B reserata, a (lescription of tlie ialancU, translateil l'rom the danish, Londres, 167C. ToRKours, Comentatio de rébus Fivre- ijensium, 1695.

(4} SciiRoETER, Les Frisons à Ahaberf/ (cité par Beal'vois, Découverte du Nouveau-Monde, etc., p. 90).

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l'IlKMlKMK l'AIITIK. LKS l'IlKCI HSKI IIS W. (.OMlMIt.

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il n'eu est pus iiiniiis vrai (|iit> les Zciii ut* rniit |)<is iiivciit)- |iiiiii- l(>s licsniiis <l<' leur cause, rar, hicii avant rii\, la llrslaiiila «le la (M'ofirapliic d'ivlrisi (IlTii) ^l). la Vricslaiidia iriiii |»laiiis|»ln''rc <lti Wl" sii'M-lr, t>ii t<M(> <lii iiiaiiiisirit i.l:2(> du ronds latin à la Uihlinf|it''(|iic iiatidiialf de Paris (2i, le W'rislad de lu Map- pcniniidc de llatudl' de lly^'^'cdcii (l.^t'iO) ';)), rappelaient le nnui de Krislande, et cette il(> occupait déjà l'eniplacenient de KeroC. (lel archipel est encore désij;né sous le nom de Frislanda dans les mappemondes de Hianco (li;M'>)(i) et de Kra Manro (l 'lo'.)) ainsi (pie dans un atlas catalan de la fin du XV siècle, à rAinhrosienne de Milan (o). Ou le trouve éj^alemiMit dénommé dans les cartes de .liian ((ij de la dosa, (l.'KM)) de Uuscelli ^7) li;')»>l), de Mercutor (i:)(>î>) (8) et de Si^unl Steplianius (l.'iTO). ImiIIii (lliristoplie (lolomi) qui lit un voyajre dans les mers du Nord au mois de lévrier 1 i"", visita le pays cpi'il nomme Kris- lande ,!)), et déteimina sa position par le ~',\° de lat N. ; ce ipii correspond à peu |)iès exactement à la position des Teroë.

Donc, pendaiK tout le moyen-àfîe, bien avant l'époque parut la relation des Zeni, la Krislande est inarquée dans les cartes du temps au même de;,n'é de latitude quo les Keroë. Les loiifiitudes seules varient. Jl est vrai (|ue la Krislande est c<insi- dérée dans la relation comme ne formant (prune seule terre, et

il) KiMiisi, iratliiolioii Jaubcrt.

(2) (jli'i [lar Santaiikm, Atlas f(ntii)()sii de )>iapiJ"monili.'^, etc., pi. 23.

{'X, .loM.viiii, niiv. cite.

[ij KoiiMAi.KOM, oiiv. cité.

(.j) l"/iKi.i,i KT San 1''impi'o, Stu//i fjior/rdfici mill/i storia dclla geografia in Ila/iu (1887), l. Il, p. 238, Hl4. fi) JiiMAiin, plaiiclie, .N<" 19. 20.

(7) lli sciii.i.i, (ié/y/i'ap/iie ilo l'folcméc.

|8) JoMAHii, oiiv. citts, |il. 76

(11) Ili'.MBoi.DT, Histoire de la géographie du nouveau continent, t. Il, p. lOG, citant lu liailc dos cini| zones liabilablc.s, coinpos('; par Colomb : H Lorsfiue je nie trouvai dans cette île, la mer n't'tait pas gcl(5c, (|uoi(|ue les niaiées y soient si fortes qu'elles y montaient à vin};t-six brasses et descen- daient autant. Il est vrai ([uc le Tile dont parle J'tolemtJe se trouve on il le place et se nomme aujourd'hui Frislande ».

CIIAI'lTIUv X. LK VO>A(iK llKS FHKHKS ZKM.

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(juc, «If plus, toutes li's ciirtcs du temps la dessinent eornnie ne riti'iiiiinl (pi'iine seule ile ; mais il semhle (pie ee l'ut luii^'temps CMiume (Ui procédé des ('ai't)i};ra|dies de ne di'crire dans un archi- pel mal connu (pie liis simiosilés extérieures, en ne tenant md compte des détroits, des caps et des iles à l'intérienr. Il u'n a pas loii^Memps, par exemple, (pie les nomlireuses îles et les détroits multiples (pie les uavi^'ateui's rencontrent à la pointe sud de rAméri(pie, ont cessé d'être compris sous la dénomination uni(pie de Terre de Immi (I ). F^a ^irande étendue de la Frishuide dans la carte des Zeiii provient peut-être aussi de ce (pie le dessin ori^'iiiiil, très delahré (piand il fut copié, u'oIVrait plus (pi'une imaj.fe coiii'use des canaux (pii séparent les Keroi'. Aussi liieii, supposons un instant ipie les iles Feroë ne forment (prune seule ile ; (jue si nous in'jçli^eons les détroits (pii les séparent, et ne considérons «pie les conllj^urationsdes c('»tes, no is verrons alors, en comparant la carte des Zeni à une cart(î moderne de l'arcliipel, (pie les mêmes caps se présentent dans le même ordre, eu suivant la même direction, et (pie les fiolfes sont à peu près identi(]ues (2).

ICiilin (piel(|ues dénominations jiéo^rapliiipies se sont mainte- nues juscpià nos jours, presipie semlilalih - à celles (pi'indi- (piaieiit les Zeni. (Jtii ne recoimailrait dans Monaco li' nom italianisé de lile iVIonkers un des Moines, la plus méridio- nale des iles de Tarcliipel ? Le c;ip Spafiia ne serait-il |ias le cap Stacken, le j^olfe de Sudero le Suderoi' liord. licdtivo Lillle

vjrufia

(i) La Torce do l'tMi a îles |ii'ii|inrlioiis ^'i^niitcsqucs dans ravaiit-doniicre carli! de l'atlas d'drteiiiis, dans le ijnrieux ^lohc de Nancy (Conjurés Auiéiica- nisle de Luxeiubonij;, I, ;id!)i el dans la |ilii|iart des cartes du xvi" <!t même du XYii" siècle, l'arf.iis intime elle se confond avec les terres australes. Voir la inapiieniondo de Henri 11 (Joinard, onv. cité), et le Pcn-tulan de Malartic (So- ciété ltourj;iii);iionne de géo^rapliie et d'Iiistoire), 1880.

(2) Iteuiai'(|Uoi)s tontefuis (|ii(! Siuilioii Minch, la plus méridionale des [«"eroi- (Cl<>2'il n'existe pins. Cette l'alaise, de 27 mètres de liant, très ntile pour les navires anxiinels elle sijçiialait des tonrliilloii» danjjercux, a été engloutie le T novembre US.So. (I^.Mto.N.NK, V)i )ni)i< i/ii'f< l'archipel des Fœroer, Tour ihi monde, 1S.S7).

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38i PMEMIÈRK l'ARTIK.

Li;s l'RKriHSKnis dk coi.omii.

Dinion, Sanostol Saiuloi', etc. (1)? IhiiiclH' et surtout Lt'Itnvel, (jui niit poussé l'identificatiou Jusqu'au liout, n'ont laissa |)asst'p qu'un seul des trcnle-luiit ni>ms cités par les Zeni sans lui assi- gner sa position, mais (juel(|ues-uns de leurs rapprochements sont à tout le moins forcés (îJi. Les analofries sifrnalées sont pourtant singulières, car rien ne passe aussi difficilement (|ue les noms propres d'une langue à l'autre, surtout (piand ce sont des étrangers qui traduisent avec leur prononciation les ;ionis des contrées qu'ils parcourent. Qui d*»nc reconnaîtrait, s'il n'en était averti, et dans des pays voisins, S'graveniiagen, Meclieln, Luttig, Kortryck, Regenshurg, Diedenhofen, etc., détigurés sous les noms de La Haye. Malines, Liège. Courtrai, Ratishonne et Thionville?

Veut-on d'autres preuves de l'identification de la Frislandc et des Feroë? La relation parle à diverses reprises du grand nond)re des poissons qu'on trouvait dans l'archipel (3V Les insulaires le salaient ou le fumaient et l'exportaient juscpi'en Norvège, en Flandre et en Rretagne. C'était la grande produc- tion du pays. Aujourd'hui encore Danois, Anglais. Hollandais même fréquentent ces parages à cause de l'énorme (juantit(> de poissons qu'ils y rencontrent, et parfois y font de véritahles pèches miraculeuses (4).

D'après la relation l'abordage de la Frislande était difficile à cause des écueils, de l'escarpement de la côte et des courants. Les mêmes difficultés subsistent. La mer qui environne les

(1) Voir la carte jointe à l'ouvrage cité ci-dessus (io., p. 399).

(2) Ainsi, d'après I^elewel (Ménioiic cité, p. 102-103), les villes de Frisland, Godmec et Sorand correspondent à Kingshaven, Thorsliaven et Scavernus. Portland est identitié à Sydero. Laissons lui la responsabilité de ces rappro- chements.

|3) Helation, édit. .Majom, p. 9. u Nel (|ualc si prende pescc in taiita co|)ia, che se ne caricano moite navi, e se ne fornisce la Flandra, la IJretagna, l'Iii- gtiiltcrra, la Scotia, c Dannimarcha, e di quel ne cavano grandissime ric- cliezze ».

(4) Lahonne, Un mois dans l'archipel des Faeroer (Tour du monde, 1887). Voir gravure p. 395 et 4U9 représentant la pèche des Dauphins.

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SEP NOVA TABVLA

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1887)

»E RUSCELLI (1561)

septentrionAlivm part

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CARTE DU VOYAGE DES FRÈRES ZENO, o'après l

PARTIVM NOVA TABVLA

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i ZENO, d'après le Ptolémée de Ruscelu (1561)

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CIIAI'ITRK X. LK VOYACE DES FRERES ZE.M.

38o

Feroë est IV'coiulc en naufrages, et les Itons mouillages sont rares dans l'archipel. « Le brassiage dans les détroits est considérable, lisons-nous dans une relation contemporaine, et Ton rencontre dans plusieurs endroits des gouffres ou tourbil- lons. Celui de Sudcro s'accuse par quatre tourbillons impétueux se jouant au milieu d'une spirale de récifs à fleur d'eau, sur lesquels se briserait en mille éclats la barque du pécheur imprudent » (1).

La tradition locale elle-même vient à l'appui de notre système. Un pasteur, le révérend Schroetter (2), a recueilli dans l'île de Sudburoy une tradition d'après laquelle les Férégiens méridio- naux, révoltés contre leur évéque, furent secourus par un chef frison d'Akraberg, qui leur amena <( deux embarcations de corsaires <jui avaiejit été au sud ; elles leur furent d'une grande utilité, car, la veille du jour l'on devait livrer bataille, elles firent voile pour diverses contrées au nord de l'archipel et menacèrent de les piller. Aussi beaucoup de Septentrionaux restèrent-ils chez eux, n'osant laisser les femmes seules en présence des corsaires. Le résultat fut que les Méridionaux remportèrent la victoire et tuèrent beaucoup d'ennemis ». Ce récit concorde avec la relation de Nicolo Zeno qui, en effet, se rendit avec la flotte à Bondendon, au nord de l'archipel, pendant que Zichmni conduisait les opérations par terre (3). Il nous semble donc démontré que ce n'est pas ailleurs que dans les Feroë qu'il faut chercher la Frislande des Zeni, et que toute eette partie de la relation présente le caractère de l'autiienti- cité la plus absolue.

Après avoir soumis la Frislande. Zichmni aurait attaqué

(1) Lahonxe. 1(1., p. 392.

(2) ScHBOETTEn, Traditions populaires des Foeroes (Société des Antiquaires <lii Nord, 18t'J-51, j. J45-6).

(3) Edit. .Major, p. 8. « Il capitaiio, col consiglio di M Nicolo, voile, clic si facesse scala a uni» terra chiamala Bondcndon per intender i successi délia guerra di Zicliinni...».

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:J80 l'HEMIÈKE PAHTlt;. LES l'HÉCUHSELHS I»E COLOMIt.

l'Estlaïul. On a prétendu ((uc (•'(Huit l'Islande; mais aucune des dc'mominations gÔMjgraphitiues (;(tnserv(''es par la (•art(! des Zeni ne se retrouve en Islande. De |ilus les annales islandaises ont toujours ét('' rédigées ave(; grand S(jin, et elles ne parUnit pas de cette invasion. Walkenaër fait de l'Kstland le nord de l'Ecosse. Nous retrouverons plus aisément l'Kstland dans l'archipel des Shetland. 11 était en elFet de bonne tactique pour Zicliinni, (|ui ne songeait à rien nmins (|u"à la con(piète de toutes les lies de rAtlaiiti([ue, de commencer par les moins éloignées. Or les Shetland sont rapprochées des Feroi' et il est dit expressément dans la relation <|ue l'Estland est très pn'îsde la Frislande (i]. La plupart des noms indiqué's sur les cartes des Zeni se retrouvent en elïet dans les Shetland. Forster {'2) a essayé d'applitjuer à cet archipel le même procédé ((ue celui dont Huache et Lelewel se sont servis pour les Feroë, et il a démontré sans trop de peine (jue les îles de Bres, Mimant, Iscant, Taluo, IJroas et Trans, mentionnées par les Zeni, répondaient à Bressa, Mani- land, Trus, Teal, Buras et Tronda, toutes dans les Shetland. L'ideiitilication n(jus semble aussi coin|)lète que possible, et. |)ar c(insé(|uent, sur ce point encore, la relation des Zeni n'a pas été inventée.

Le doute n'est guère permis pour l'Eiigroneland dans lecpiel on reconnaît si facilement le (Iroenland. Seul, le parad(j\al F. Kraru|), si»us prétexte que la carte des Zeni joint le (iroen- land à la Norv('ge, a fait de la pres([u'île (Iroenlandaise la pres(ju'île Lapone. H a même retrouvé le cap Trin sur la vù[i\ Terske au S.-E. de la Lapouie, et le monastère de Saint- Thomas dans un des couvents russes de la Mer lUanche, et pourtant ces couvents ont tous été fondés p(jslérieurenjent.

(1) Edit. Major, p. 10. « AU' impiesa di Eslaiida, die è sopra la cosla tia Frislanda c Noivegia ».

(2) FoHSTER, Histoire des découvertes et des voyages faits dans le Nord. D'après Zurla (ouv. cité, p. 15) l'Estland lijçdre (li;jà, et à la place des Shetland, sur la septième feuille de l'atlas d'Andioa IJiamo, sous le nom de Stilanda.

CliAI'lTRK X.

LK VOYACiK ItKS KHKHKS ZKNI.

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Nord. Hetlaiul. klanila.

F. Krarup use vraiuieiit de [troct'dés par trop cominodcs pour justifier ses hypothèses. Kn efFet il ne tient aucun compte des p(»sitions assignées et supprimer les détails ([ui le fjéncnt. Mentionnons encore l'opinion à tout le moins sinjîulière de Steenstrup(l),(pii croit retrouver l'Kngroneland des Zeni dans une contrée marécageuse des Frisons du Nord, sans doute l'Eidcrs- teat, et al'lirme que les Zeni ne sont jamais allés au (Iroenland. Ne vaut-il pas mieux revenir à l'ojiinion comnume, et recon- naître ave(; tout le monde, même avec les adversaires des Zeni, que l'Engroneland est le (Jroenland?

La carte du pays est dressée avec beaucoup de soin ; les sinuosités sont indi(|uées exactement, si hieu (|ue Zahrtmann (2), un des contradicteurs les plus résolus des Z(!ni, a déclaré que, pour rédiger cette carte de l'Engroncland, les frères Zeni durent s'adresser à d(;s marins éclairés ou à de savants ecclésiastiques. On aura en outre remarqué la grande précision avec laquelle^ les Vénitiens parlent du climat et des ])roductions locales. Le climat n'a pas varié : il est toujours aussi rude et la température toujours glaciale. Quant aux productions, ce sont les mêmes, des poissons salés, des pelleteries et des barques rudimentaires. Ces barques les Zeni les avaient décrites avec étonnement (3). Tous les détails de leur description sont encore vrais de nos jours, et les (îroenlandais n'ont pas modifié leurs procédés de construction et de gréement. L'ourmiak d'igalikko tel que le décrit Uayes dans son voyage à la terre de Désolation (4), c'est-

(1) Steenstulp, Congrès Arnéricauiste de Copenliajîiie, p. 180,

(2) Zaeihtmann, ouv. cité (Nouvelles Annales des Voyages, 1836j.

(3) Relation, édit. .Majoii, p. 16. « Le barclie de pescatori si fanno corne le navicelle clie iisano le tessitori nevfar la tcla ; et toUe la pelle de posci le for- mano ; et cueite insieme, et poste in piu doppij, rièscono à buone e sicuro, ch'è cosa ceito niiracolosa à scntire, nella fortune vi si serrano dcntro, o las- ciano i>ortaisi dall' onde e da' ventl per il mare senza algun timoré o di affogarsi ».

(4) IIayes, La terre de désolation (Tour du monde), 1873, t. Il, p. 8. Cf. H.vYKs, Vof/age à la mer libre du pAle arctique (Tour du monde, 1868), t. I. p. 121.

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à-dire aii (irocnland, i'(.'sseml)l(' à s'y m<''|)n'n«lr«' an raiiot de cuir des insulaires de I'Kii}i:ntneland. Ce ne sont point des plirases jetées au hasard et des mots sans valeur. A vrai dire il n'est pas nu passade de la relation (|ui, littéralement, ne s'ap|ili(pie encore au (îroenland contemporain.

Il est cependant deux points qui ont soulevé d<; sérieuses objections ; Le monastère de Saint-Thomas n'a pas été retrouvé. et le (îroenland n'a pas de volcan en activité : L'i relation Vénitienne serait donc fausse au moins sur deux points.

II nous faudra tout d'ahord remarquer qtie la création d'un couvent au (iroenland n'a rien d'invraisemhlahle. On sait déjà que l'Evangile fut de honne heure prêché dans cette lointaine réfîion, et même qu'un évéché y fut étahli (I). Dès lors quoi d'étonnant si des moines, lualf^ré la ri}:ueur du climat, ont songé à se réunir en connuunauté dans le (îroenland ? Aussi hien nous savons, mais sans plus de détails, qu'un couvent fut fondé au (îroenland eu l'an l'iH '2). D'un autre côté Ivar Bradsen, auteur d'une description du (îroenland composée au (juatorziéme siècle (3), dit expressément qu'au fond d'un fiord est un grand monastère consacré à Saint Olaf et à Saint Augustin, habité par des chanoines réguliers, etdmit les domaines étaient considérables. Est-ce ce monastère (|u'Ortelius, dans son atlas de l'iTS (i), indiquait sur sa carte du (iroenland sous le nom de luniuisieriurn Snucii Jliomœ, et que (jérard Mercator (5), dans

(l) Beauvûis, Origines et fondation du plus ancien érMié du Souvenu Momie (Société d'histoire, d'arciiéolojçic et de littérature de Beaiine), 1878. ;2) PoNTAXiis, ouv. cité.

(3) IvAR Braosex, Descriptio Gronlandiœ, édil. Major, p. 45 : « Hnud procul ab hoc tractu iiigcns inoiiasteriiun situni est, a Canonicis re^ularibus habilatuni, sancto Olavo et saiiclo Augustiiio consecralum : monastcriiirn a parte iiitcriori oninia ad linem sinus, omniaque exterius ab opposito latcrc possidet ».

(4) Ortrlius, carte intitulée Septentrionalium regionum dexeriptio.

3) G. Mehcator, Desct'iptio cœli et terne : « Duœ tantum habitationes in extremis quasi scptcntrioiiis, in (ironiandia videlicet, nota; sunt, Alba et S. Thoniœ cœnobiuin ••. Cf. Id., Atlas, planche 22.

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LK VOYACK l>i:s THKHKS ZKM.

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sa description du pôle arctique ^1578), décriNuit en ces termes : " Il ny a (pie deux haliitatittns dans ces pays de TextiM^me nord, je veux parler du (îroenland, Alha et le monastère de Saint- Tliomas? » Ce <pii nous porterait à le croire c'est (pie, quekjues années auparavant, en I5()i, (''po(pie à la(|uelle on avait d(''jà à peu [)r(;s perdu de vu<» le (îroeidaud, ;le {gouverneur d'Islande, ayant con(is(pié les revenus du couvent d'ilel^'olloël, trouva un vieux moine (|ui, jadis, avait l'ait partie du couvent de Saint- Thomas au (îroenland, et en donna une description conforme à celle de Nicolo Zeno(l). Le gouverneur prt!'para aussitôt une ex|)édition au (îroenland (mars 15()i). Les matelots islandais arriv('rent en vue des côtes, mais furent arrc't('; par des murs de glace, (pi'ils franchirent avec peine. Ils eurent à comhattre des ours h'ancs, et se remharqui^rent au plus vite à cause du froid qui devenait de plus en plus intense, (ies divers t(!'moignages ne prouvent-ils pas, par leur concordance uu^me, que jadis exista au (îroenland un couvent de Saint Thomas? Sans doute Ivar Bradsen a pariti de Saint Olaf etnon de Saint Thomas, mais on sait dt'jà connnent les noms propres se modifient d'une langue ù l'autre et le nom septentrional d'Olaf doit aux oreilles miiri- dionale d'un Y(''nitien avoir heaucoup ressemhic* à celui de Saint Thomas. Il est encore vrai qu'on n'a pas encore retrouva' l'emplacement de ce monastère, mais la côte (jrientale du Groen- land est mal connue (2). Uudson en 1G07, David Danell en 1652, OIsen Wallse en 17o2-o3, Lovenhorn, Egéde et Rothe en 1785-87,

lio. titalioncs

Alba et

(1) Egéde, Description du Groenland (1763), p. 13. Egùde cite encore, mais sous toutes réserves, et d'après le témoignage de Uithmarus Bleskenius, un moine Groenlandais qui vivait en Islande vers 1646, et racontait des choses extraordinaires sur un couvent de dominicains dans le Groenland, appelé le cloître de Saint Thomas, ses parents l'iivaicnt fait entrer tout jeune. L'ouvrage de Dithmar est mtitulé : Islandia, sive populorum et mi- rabilium quse in ea insula reperiuntur accuratior descriptio, Lugduni Batavorum, 1601.

(2) Malte-Bbun, Les Danois à la côte orientale du Groenland, décou- verte de la terre du roi Christian I\ par le lieutenant Holm (Société normande de géographie, 18S6, p. 129-140).

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WM) l'UKMiKmc pautik.

l,i:S l'UKCLHSKUHS l»K <:0UlMI».

Scoreslty (mi 182:2, Saliinc et (Uiiveriii}; en 1S:2:{, Jules de HIks- s(!vil(; en 18IJIJ en ont tente la reconnaissance, mais ilscnit tous échoué En 1884-1885 le lieutenant Danois llolin a été plus heureux. Il s'est avancé très au nord justiu'à une lerre (ju'il a nouunée terre du roi Gliristian IV, et à sa j;rande surprise a constaté la présence, sous ces hautes latitudes, de peuplades indigènes ayant un seinhiaut de (civilisation, (juehpie autre voyageur plus entreprenant on plus heureux pourra c(»niplétep un jour ou l'autre ces ohservations, et peut être retrouver les restes des édifices vivaient autrefois les Européens (|ui initièrent ces indigènes à la civilisation.

Un savant contemporain, M. Major, croit avoir retrouvé l'emplacement du monastère sur la côte occidentale, non loin <le Rafnfiord. Il allègue le curieux téinoignage d'Ivar Uradsen, (|ui parle de sources chaudes situées au fond de ce (lord, près du monastère de Saint Olaf et Saint Augustin. « L'eau chaude ahondc dans ces petites îles (1). En hiver leur tein|»ératiu'e est si élevée que personne ne peut s'en ap[)rocher. j*]lles refroidissent en été, et peuvent servir de sources thermales. Beaucoup de personnes reviennent à la santé et relèvent de maladie lorsqu'elles en font usage. » Ce, sont les sources d'Onnartok, auprès des- quelles on a en effet trouvé quelques ruines d'anciennes maisons. Comme il n'y a pas dans le Groenland d'autres sources chaudes, le site de l'antique monastère de Saint Thomas serait par même étahli d'une façon définitive. Avouons néanmoins que l'argumentation de M. Major, hien qu'ingénieuse, n'est pas convaincante. Le savant anglais en a pris fort à son aise avec le texte et la carte de son auteur. Le monastère de Saint Thomas

(1) IvAH Bradsen (édition Major, |). 46) : « In sinu intei-iori inultœ sunt parvœ insulœ, quarum omnium partem dimidiam cœnobium, alteram dimi- diam templum cathédrale possidet. Use parvac insuUr calida aqua abuadant^ (|uœ hicme adeo fervent, ut nemini accedere prope fas sit ; acslate tempc- ratïË sunt, ut lavacri usum prœstent, multiquc sanitati restituantur et ex morbis convalcscant. »

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se Irouviiit sur la côto nrientulc of millciiu'Ht sur la côte occidtMi- fale, et, de plus, à huit dojîrrs au n<»r<l-ou('st d'Oruiartok. Cette idcntincatiou est donc ahsolunuMit arhitrairc.

M. Ucauvois (I) pense (pie Pile de Jean Mayen, à l'est du (iroenland, si remarquahle par ses volcans éteints ou en activité, avait été jadis colonisée par des Nortinnans, et «pi'on d<»it y clierclier le couvent de Saint Thomas : mais cette île est hien l'U dehors des voies de comuuuiicafioii ordinaire, et il est ftlus f|ue probahle (pie des moines n'ont jamais son^'é à s'y établir, (le n'est donc pas Jean Mayen (ju'auraient visité les Zeni.

Serait-ce qu(; le monastère n'a existé (pie dans rimaf:ination <le Zeno? L'a-t-il inventé, comme le prétendu volcan au pied du(piel il était hilti? (2) Sans doute on n'a |»as plus retrouvé le volcan (pie le monast(''re, mais toute la réfjion (iroenlandaise est sujette à l'action des forces volcani([ues. En 1783, le 11 juin, un volcan Groenlandais, le Krapta Syssel, lançait trois énormes colonnes de flammes qui furent aperçues de l'Islande (3). Des baleiniers ont maintes fois éprouvé des secousses en phîine mer, et découvert des amas de pierres ponces flottantes qui parais- saient indi(pier l'existence de volcans (4). 11 se peut donc que le volcan de Saint Thomas ait été en activité à l'époque des Zeni, et que les Vénitiens, sur ce point comme sur tous les autres, s(! soient contentés de décrire fidèlement ce qu'ils voyaient.

11 nous reste à déterminer la position de l'Icaria, de l'Esto- tiland et de Drogeo. encore n(jus croyons qu'un examen attentif de la relation nous permettra de préciser la situation respective de ces trois terres.

(1) Beau vois, Les Voyages transatlantiques des Zeni, p. 23-24.

(2) Steenstrup dans son explication paradoxale de la relation des Zeni, ^Congrès de Copenhague, p. m) n'a-t-il pas affiriné que ce volcan n'était qu'une tuilerie, que les masses tirées du foyer et donnant un ciment blanc comme neige n'étaient qu'un four ù chaux, et les réservoirs des fosses à chaux. Il est diUicile de dépenser plus d'ingéniosité à soutenir une cause aussi détestable !

^3) HooYEB, Tour in Iceland, p. 423 cité par Gravier, ouv. cité, p. 201. (4) MAi/rE-BauN, Géographie universelle, t. V, p. 39, 43, .'î5.

'.V,H l'HKMIKUi; l'AHTIK. LICS l'IlKC» HSKLHS UK Cdl.oMIt.

Icaria est la première il(! n'iicontivedaiis l'Ocraii par Ziclirniii et par Antonio Zctio, li»rs(pi"ils partirent de Krislamlr pour leur ^M'anilc <>\|i('>(iition. iW nom d'Icaria inspire une inédiocri* confiance, et le roi du |>ays, Icarns, descendant de D.edalns, ressendde sin^^nlièreiuent à ces pers(tnua;;es inia^Mnaires, in- ventés après coup pour les besoins d'une explication historique, tels (ju'Achoeus, Ion ou Krancus. Les Zeni, on le sait, n'étaient pas de simples négociants. A Venise, les |)atrici(>ns recevaient une éducation fort soipnée. Inihus tpi'ils étaient des souvenirs de l'anticpiité, et entendant lui nom (|ut se rapprocliait de celui d'Icarus, les Zeni, ou tout simplement leur premier éditeur, leur descendant (^atlierino, songèrent tout de suite à l'infttrtuné rejeton de Dédale, et inscrivirent le nom du |)ère et celui du fils dans leur relation. Un utopiste célèbre, inspiré par je ne sais quelle réminiscence antiijuc, n'a-t-il pas de nos jours donné le même nom à sa républi(|ue idéale? Ce n'est pas à dire que l'Icarie des Zeni soit l'ceuvre de leur imagination, comme l'était l'Icarie de Cabet. Le nom seul est bizarre, mais le pays existait, et c'est à nous de le retrouver.

Forster (1) plaçait l'Icarie dans le comté de Kerry, en Irlande, au sud-ouest de cette grande ile (2). (iaidoz prétend même; (|ue ce mot se retrouve textuellement dans cette partie de l'Irlande, et que les insulaires interrogés par Zichmni et Antonio Zeno sur le nom du pays ils venaient d'aborder auraient répondu : I Giarraigh, vous êtes en Kerry, mots irlandais que Zeno aurait traduits aussitôt par Icaria. L'explication est ingénieuse, mais rien ne l'autorise, car l'Irlande était connue depuis longtemps, et Zeno n'aurait seulement pas songé à la présenter comme une terre qu'il venait de découvrir.

Walkenaër faisait de l'Icarie une des Hébrides, et Kraruf» une des Feroi*. Has prétexte qu' Icaria est une mauvaise leçon

(i) FoRL.ER, ouv. cité. Ce comté se trouve au sud-ouest de Hic entre Clarine, l'estuaire du Sliannon, Limerik, Cool( et l'Atlantique. (2) Markiiam, Les Aborda de la région inconnue (traduction Gaidoz), p. 112.

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|Miur Kariii. Il nous sciiiith (|ii<' ricitria dnil (Ucc rlicrtlifc lK>aii('oii|) plus Iniu, tlaus l'Oosin, *>t dans la iJinMliou dr rAuirriipic. La tarie des Zcui la plan» très à l'nufst dr l'Is- lande et de la l''rislau<le, et au sud du (îl'oeidand. C'est la |iuslti(iu (pie lui ont ^'ardée Uuscelli et (M'Ielius, et <pie nous irtntuvttns eunirc dans une des cartes dressées en Kiill par le Dijiinnais Mnrisnt I). Sans duute. à la latitude de la carte des Zeni, nnus ne trouvons aucune ile (pii corres|M)nde à l'Icaria, mais il ne nous faut [las oublier «pie la position d'un(> ile (pii n'est pas (i\ée par des observations astronoinitpies, peut varier de :2()U à i(K> lieues. Tel est justement le cas pour les anciennes cartes. Aussi les navigateurs, même de très hoiiiie loi, ont cru découvrir et ont nonnné des terres (|ui avaient déjà été découvertes et noiinnées, mais dont la situation astronomi(pie n'avait pas été sullisarumont déterminée ['!). l'ail'ois aus>i sy commettent de f.M'ossières erreurs. Lorsipie le chevalier llélierl retrouva en ITOH l'île découverte par Tristan d'Acunlia dès i'J(M), il s'en croyait à plus de (jualre cents lieues (IJ). Les l'ortu|;ais ne comptaient-ils pas cent lieues d«' dislance entre les ilos de la Trinit»' et de Martin Vas (i)? Il y eu a neuf eu réalité. Il se peut donc (pie nous devions cherclier Icaria beaucoup plus près de la i ôte américaine (pi'elle n'est mar(|uée dans les cartes aiiciemies, soit dans le détroit et la baie dllud- son, soit plutôt dans le f^olfe de Saint-ljaureijt. S'af:it-il de Terre-Neuve, ou d'Antic(jsti, ou de toute autr(> ile du {.ndl'e,

(Il MORISOT, 0;7y/.s- marititni iiistoria, p. 601.

(2) Ainsi la Nouvelle Georjjie de ("ook ii'ol autic que l'île de Saint-Pienc, sigiialé'e di'S 1756 |iur Duclos-liuyot, eoiimiaiidaiil le vaisseau espajçnol le Léon, et probableiiieut la terre de la Itotîlie déjà vue au xvir siècle. Les îles Marquises furent successivemcut découvertes par Meiidana, C.ook, liigraliaui, Marchand, Porter, Krnsenstern, Dumont d'L'rville, et changèrent souvent de nnni, chacun de ces explorateurs se croyant le droit et le devoir de leur imposer (nie dénomination nouvelle.

(3| Blac.uk, Mémoire sur Vile de Fridande, p. 435-436.

i4i D'AvEZAC, lies de l'Afrique, p. 21)9.

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394 l'HKMIKRK l'AHTlK. I.KS l'IlKl.l KSELRS DE «lOLOM».

<;'est ce qu'il nous est imptissihlc do dôltM-mincr ; nous pousons seulement que c'est dans ces paniffes (ju'il faut chenher Icaria.

Ce qui nous permet d'(Hre aussi ailirmatif, c'est (pie, sur toutes les cartes du temps, Icaria est dessinée tout à côté de rKstotiland,etque l'Estotiland, conune nous allons n(»us eu con- vaincre, ne peut se retrouver «pie sur le continent américain. De plus, à l'époque à laquelle les Zeni abordèrent en Icaria. le pays était encore au pouvoir des Skr(»ellinfïs ou Esquimaux. Nous savons déjà que ces Skroellipf^s furent en lutte cons- tante avec les Northmans, (pi'ils les battirent à plusieurs reprises, et (|u"ils étaient détermiiu's à re|)ousser toute nouvelle descente? d'étrangers. (Test même ce qui explique racliarncmeiit avec l(^quel ils s'opposèrent aux tentatives de dél>ar(|uement de Ziclunni. Beauvois (1), un des rares érudits au\(|uels sa con- naissance des langues du Nord donne une compétence toute spéciale, a même cru retrouver dans la langue parlée par les Skroellings rex[)licati(in du mot Icaria. Ikarirsa et lk(!rack en effet signifiaient en es(piimau golfe, Ikerdleck ile au milieu d'un golfe. Ikersaali grand golfe, Ikardiuck banc desahie, etc.; dénominations qui s'appliquent toutes à la région du Saint-Lau- HMit, et prouvent une fois de |)lus la véracité de la relation des Zeni.

Quant à l'Estotiland c'est de fous les pays décrits par les Véni- tiens <'elui qui a soulevé le plus de discussions, et c'est |)ourtanf celui dont il nous sera peut-être le moins difficile de déterminer la position. L'Estotiland en effet a, pendant de longues années, été comme adopté par la géographie courante. Il figure dans toutes les cartes du xvi'" siècle (2| et ne disparait complètement

(Il Ukacvois, Revue crititfHP, 1880, 60, p 200. In., Voyat/es truiis- Htlantiiiucs des Zeni, |i ;i.l. Rink, Orthoyraphe et étymologii' desnom^ <lc lieux Grœnlatidais.

(2i Nous avons retrouvé ce nom jusque sur un cltapelel d'ivoire, iipparle- iiaiil au musée de Dijon, et sur l'une des boules duquel est gravée une inia};(i inundi. Voir Société bourguignonne de géographie et ''histoire, 188.'^.

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CIIAI'ITHK X.

\.V. VOYAdK DES FMKHKS ZK.M.

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qu'au xvni" siC'olc ; et ciiton' k; ;;i'u}ïrjiplio UoluM't (I) dans sa fit'ograitkv! nntnri'lU\ liistorif/iu', politique et Vdixinnin', dont la itroniiiTC éditioii date de 1777, et (|ui l'ut longtemps eonsidé- rée connue un traité elassuiue, nonnne-t-il gravement Kstoti- land la répion du Labrador (il).

Aussi i)ien, c'est dans le voisinage du Lahrador, soit à Tern»- Neuve, soit plutôt au Nouveau-llrunswick ou dans le l{as-(4a- uada (|ue nous retrouverons la région autrefois signalée par les Zeni. W ytfliet, dans l'atlas (ju'il joint à son //isioirc des Indes (kcidentuks, inscrit Laborador siveEstotilaud, et la description (|u'il en donne est uu^me assez conforme à celle des Zeni (II) : <( L'Kstotilaud est fort montaigneuse, et pleine de forets, et de toutes sortes de bestes sauvages, et dict-on mesme (pii s'y trouvent aussi des grillons. Les habitants sont assez dociles et ont un langage i)articulier, et diverses façons d'escrire (|ue les autres. Ils sont forts et robustes, toujours adonnés à la cliasse, etc. ». Nous pensons néanmoins (|ue l'Estotiland ne correspoiul pas au Labrador, attendu qu'il est dit expressément dans la relation des Zeni que l'Kstotiland est « une ile un peu moins grande (pie l'Islande.. . très riche et possédant en abondance tous les biens du monde (4) ». Or, le Labrador n'a jamais passé pour une île et c'est une région peu favorisée de la nature. <' Klb; ne se doibt nommer Terre-Neufve, écrivait Jacqm>s (Car- tier (5), mais j)ierres et rochers effrables et mal rabotiez, car.

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(1) Gaffaiiei-, Le Géoi/raphe liobert (Société bourguignnime de goojçrnphie et (l'Iiistoiiei, 1889.

(2) Robert, (léo<jraphie naturelle, lii-.toriqiie, etc., m7, t. III, p. 120. (31 WvTFMET, Histoire des Indes occidentales, carte xi\, p. !>8-!»!1. Cf.

La Poi'ELi.isiKUK [Les Trois Mondes, 1582), liv. I, § 8, p. 20, qui marque l'Kstotilaiid à c(ité du Labrador.

(4) Edit. Majoh, p. 20. « Eiiarra ché è ricliissinia cd almndaiitissima di tutti li heiii dcl inuiido, e clie è. poco minore di Islanda >>.

(5) .Jacques Cai\tieu, Relation du roijaije de 13;M, édition Mirhelant et llanié, p. \\. Cf. Youi.K lliso, Explorations in tlie intrrior of the Laln-ador peninsula, London, I86;t. Aiuifc Keri.and, Le Lahrador, Québec, 1800.

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300 l'HEMIÈKK l'ARTIK.

Li:S l'IlKClKSKlHS DE COLOMB.

en toute la dicte custe du Nord, je n'y vy une charretée de terre. . . Fin j'estime mieulx (|ue aultrement que c'est la terre que Dieu donna à Cayn » .

Terre-Neuve répondrait niieu.v à la description, d'ahoi-d parce qu'elle est une ile » un peu moins jrrande que l'Islande », et aussi parce que les vaisseaux de Ziclimni durent y aliord(!r plus facilement qu'au Labrador fl). Les restes de njursen pierre trouvés par les Anglais au nord de Saint-Jean semblent être les dernières traces du fort que Zichmni fit bAtir. On a égale- ment trouvé au même endroit des monnaies flamandes (|ui y ont peut-être été apportées par les compagnons de Zeno. Notons enfin qu'il n'est pas impossible de trouver dans le nom même d'Estotiland un ancien nom Scandinave, East-out-land, terre extérieure de l'est, dénomination cpii conviendrait parfai- tement à la situation de Terre-Neuve à l'égard de l'Américjue. Aussi Thevet (2), Forster (3) et Malte-Brun (i) ont-ils conclu à l'identité de Terre-Neuve et de l'Estoliland. Nous ferons pourtant reniarqu(!r qu'on ne trouve pas dans cette île les quatre fleuves sortant de la même montagne dont il est parlé dans la relation, «|u'on n'y exploite pas non plus des mines de métaux précieux, enfin qu'elle n'est pas très fertile, puisque les anciennes Sagas la jugeaient sans valeur (5) et que Jacques Cartier, dans son pittoresque langage, dit qu'un champ des iles de la Madeleine vaut plus que toute la Terre-Neuve (('»).

Beauvois nous a semblé se rap|>rocher davantage de hi vérité en assimilant l'Estotiland au nouveau Brunswick ou au

(I) F^ACKOix, //et (le l'Océan (Univers Piltoiesqucl, p. l4i. Bahuow, Histoire chronologique des voi/ayet vers le pôle arctique.

(2| Thevet, dans les deux cartes d'Europe et d'Améritpic qui accoinpagneiil sa Cosmographie universelle, dessine Eslotiland à la place de Terre-Neuve-

(III FoRSTEB, ouv. cité, 1, 322.

(4) Malte-Brun, ouv. cité, I, 208.

('j) Leif disait (jue cette ile était (Galdalandi, sans valeur, et Biarn n'y vil rien de bon (Ogagnvacnligt).

i6) Relation 'lu voyage de 1534., édition Micliclant et Ramé, p. 3.'}.

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CIIAI'ITIU: X.

LK VOY.Vr.E DES FRERKS ZEM.

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lias-Cauailii (1). Il est vrai (|U(' ces pays no sont pas des îles, uiais les anciens confondaient volontiers îles et prescju'îles, et, quand il s'agit d'une presqu'île hornée au nord par le Saint-Laurent, un sud par la baie de Fundy, h l'est par la mer, à l'ouest p:ir les deux rivières Kennelteck et Cliaudiènv dont les deux sources sont tr('vs rapprochées, on comprend qu'un étrauper ait pu s'y tronqier. Dans la carte dressée en 18ii par l'ingénieur lleliii, et annexée à VNIsloin' ffc In i\miri'lli' Frtiurc, de Cliarlevoix, la Nouvelle I<]cosse est iJessinée comme une île vérifaMe, gràc(! à la corimumictition des deux rivières Kénél)e(pii et Chaudière. Or, l'île ou la pseudo-île ainsi délimitée correspond à lu des- cription des Zeni.Elle est caractérisée par ses forêts immenses(^) et pur la fertilité relative du sol. Quant au mont élevé d'où sor- tent (juatre rivières (.1), ce doit être le mont natuldin, duns l'état du Maine (lOil mètres d'altitude), d'où coulent le Kenneheck, le P(Mioltscot, le Saint-.Jeun et lu Suinte-Croix. Il n'est pas jusqu'aux mines qui, d'après lu relation, étuient ultondantes (4), qui ne se rencontrent encore dans la région. On trouve en effet de l'or près de la rivière Chaudière, du cuivre dans les cantons do l'est, de l'argent massif dans le district de Saint-Kruncois, et du fer presque partout (Ti).

Quelle que soit la position exacte de l'Kstotilund, et il est difficile do lu préciser davantage, nous croyons pouvoir affirmer cpje c'est uniquement sur le continent uméricuin qu'il fuut chercher ce pays. Nous croyons également que l'Kstotilund avait déjà été reconnu et en purtie colonisé pur des Européens ;

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Barhow,

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(1) Beaivois, Les colonies Eiiropéc-nei du Mnrkhmd et de V Escociland (Congrès Ainéiicaniste de Luxembourg, 1877), t. I, p. 171-227.

(2) Edition Majou, p. 21. Hanno bosclii d'immensa grandezza.

i'i] Id., p. 20. Havendo nel mozzo un monte altissimo, dol qualc nascono i|uatti-o flumi, clic la irrigano.

(41 lu., p. 20. « E cavano metall' di ogrii sorte, sopra tutlo abondano di oro ".

(5) Tac.mk, Esquisses sur le Cntinda, p. fil. AncM.KMW.MLT, La province lie Québec, p. 63.

398 l'REMIKRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMIl.

ainsi s'oxplicjiuMit plusieurs détails de la relation, qui, auti-e- iiiont, resteraient incompréhensibles, et qui au contraire achè- veront de démontrer la parfaite lutnne foi des Zeni. Ainsi lii présence de livres latins dans la hihliothèque du roi d'Estoti- laiid est toute naturelle, puisqu'il y avait eu des missionnaires chrétiens dans ce pays (1). Si les habitants ne les comprenaient plus, c'est qu'ils étaient séparés depuis plusieurs fiénératious de la mère patrie. Supposons que les couununautés chrétiennes qui existent à l'heure actuelle au fond du Yunnam restent sans communication avec les missionnaires seulement pendant quelques années, sans doute ces corelijrionnaires éloignés garderont longtemps les livres latins (pi'on leur a confiés, mais bientôt ils ne les comprendront plus. Les Estotilandais avaient de même oublié le latin qui leur fut autrefois enseigné. Dieu d'autres particularités attestent uiu' counnuiiauté d'origine. Us semaient des céréales et brassaient de la bière, comme leurs ancêtres l'avaient fait en Europe. Us construisaient des villes et des châteaux, ainsi que des navires, ils s'habillaient de fourrures, ils fondaient les métaux, en un mot ils pratiquaient les industries européennes; seulement ils ne savaient pas se servir de la boussole. En cflet, l'usage de ce merveilleux insfrument de découvertes ne se répandit (|ue longtemps iiprès que les relations fiu-ent ÎHterrompues entre l'Estotilund ci sa métropole. On n'a pas, il est vrai, retrouvé les traces des édifices bâtis par eux , mais leurs maisons étaient cons- truites en bois. L'incendie ou le temps peuvent les avoir fait disparaître. Les l<]stotilandais ne comprenaient pas non plus le langage des nouveaux arrivants, mais, au bout de quelques siècles, il sopère de tels changements dans un idiome, surtout lors(]ue un très petit nombre de colons reste privé de toute coinnumication avec la métropole, qu'il est naturel que l'an- cienne langue fût devenue inintelligible aux compagnons de Zichmni et d'Antonio Zeno.

(Il Voir plus haut le chapitre sur les migrations Irlandaises en Amériiiiio.

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CIIAPIÏHK X.

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Il n'est pas jusciu'uu eoMlraste (jue |)n''sentaieiit les Kstotilaii- dais avec les peuples situ(Js au suti de leur [»ays, cjui ne d(''montiv leur <)rijj:ine eurupC'enne. Les uns (Haient agriculteurs, les autres chasseurs; ceux-ci (Haient civilis(}s, ceux-là ('-taient antlirop(»pliages et ne cunnaissaient ui("'nie pas l'industrie de se couvrir des peaux des animaux qu'ils avaient tués. Les Estoti- landais se servaient des na'tuux, et avaient de Vur en ahondance ; Uîs sauvages au contraire se bornaient à aiguiser le bout de leurs lances en liois. Ceux-ci enfin savaient se servir de vais- seaux et de filets, ceux-là ne connaissaient même pas les premiers rudiments de la navigati(m et de la pê'clie (1).

De (piels piiys (Haient originaires ces Estotilandais ? Nous avons essayé d'établir plus haut qu'ils descendaient des anciens colons Irlandais et Nortlmians. Sans insister davantage sur ce point, car il est bien difficile de résoudre un problème historique aussi compliqué, qu'il soit du moins permis de conclure que l'Kstotiland doit être cherché en Amérique, (|ue les ]*]stotilan- dais étaient d'origine européenne, et, comme une consé(pience rigoureuse de ces principes, que la relation des Zeni est vraie dans <.in[ ensemble pour ce qui concerne l'I^sfotiland.

Une preuvv nouvelle de l'authenticitf' de la relation nous sera donnée par deux passages, qu'on n'a peut-être pas assez remar- (|ués, de la lettre adressée en octobre loOl à ses frères par Pietn» Pas(|ualig(i, ambassadeur de la République Vénitienne à Lis- bonne ;:2i. lue des caravelles conduites par Gaspard (Icjrlereal à ladécouverte de l'Amérique du Xord vena'l ^l'arriver à Lisbonne. L'ambassadeur avait interrogé avec soin capitaine et matelots, et examiné les indigènes ramenés par eux de ces terres loin-

(ll Voir plus liaut cliapitre vu.

(2i I.eltic iJ(! l'ielro l'asiiiiitlijto. dattie du !!• octobre 1,*)0I, reproduite par llAniiissi:, Lrs Cortereal, appendice XVlll, p. 211. « Et cpiiîli ancliora liaiino porta de la uiio pezo de spada rotta dorala : la quai cerlo jiar lacta iii Italia : uno pulo de ipiesli aveva aie orechie dui lôdirii de arzento : clie scnza dubi(v pareiio sta l'aoti a Veuetia. "

11

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'((M) l'HEMlKHK l'AHTlK. LKS l'HKCirHSKl'RS DK COLOM».

tailles. << Ils ont apporU"', <''crivait-il, un tronçon d'rpéc dorée (jui parait avoir été fabriquée en Italie. XJn des enfants portait aux oreilles deux petits dis([ues d'arf^'ent eonfectionnés certaine- ment à Venise ». t^e saltre de fabrication italienne, ces dis(pH's darp'iit de [trovenance vénitienne, (|ui donc les aurait p(»rtéssur le continent américain sinon des Vénitiens, et, sans trop forcer la vraisend)lance, ces Vénitiens ne seraient-ils pas ceux-là même «pii avaient suivi le prince Zichmni jusqu'au Kstotiland, c'est-à-dire jus(iue dans la région américainci qui correspond à la terre découverte ou retrouvée plus tard par (îaspard Cortereal? Nous aurions de la sorte un témoipnag'e matériel de la i)résence sur le sol américain de ces Vénitiens dont on contestait la véra- cité, et la relation des Zeni recevrait en quelque sorte une con- sécration définitive.

Quant à Drogeo qui est à peine indiqué dans la relation, mais dont il est dit que c'était, à cause de sa grandeui , comme un monde nouveau, nous pensons avec Leiexvel, avec Kolil, avec (Iravier (l) qu'il se confond avec le Vinland, ou, si l'on [tréfère, avec la côte actuelle des Etats-Unis. Cette opinion ne repose, il est vrai, que sur la carte jointe à la relation des Zeni, mais elle est soutenahie si l'on admet, comme nous l'avons fait jusqu'ici, l'autiienticité de cette relation. Nfius n'enregistrons que pour mémoire la singulière hypothèse de Krarup qui retrouve Drogeo dans Troki, l'ancienne capitale de la Lithuanie. Il a oublié que les Lithuaniens n'étaient pas des sauvages comme les indigènes de Urogeo, qu'ils étaient chrétiens, et qu'on les connaissait en Italie. Restent les peuples du sud-ouest, au delà de Drogeo, qui avaient des villes, des temples et des idoles, qui offraient à leurs divinités des sacrifices humains, et se servaient de l'or et de l'argent. 11 n'est pas besoin de longues recherches pour retrouver en eux soit les Mexicains, soit même les Floridiens, (jui étaient alors beaucoup plus puissants et surtout plus civilisés qu'à l'époque de la conquête espagnole.

J) Gbavieh, ouv. cité, p. 211,

CllAl'lTKK X.

LK VOYACK DES FRERES ZEM.

401

pour )rogeo |iô que ligines sait en .>o, qui lient à ror et

lidiens,

En résumé l'Amérique avait été de nouveau découverte au xiV siècle, et le prince Zichmni, aidé par les Vénitiens, avait fondé une colonie non loin de remplacement des anciennes colonies irlandaises ou islandaises. De plus, la relation véni- tienne est rigoureusement authentique et s'explique naturelle- ment dans presque tous se» détails.

Telle est du moins la conclusion qui nous semble la mieux l'ondée.

T. i.

26

CHAPITRE XI

TRACES DE LA PRÉSENCE DES EUROPÉENS EN AMÉRIQUE AVANT CHRISTOPHE COLOMB

Nous n'avuns jusqu'à présent, àprupos des voyages entrepris au moyen-âge par les Européens eu Amérique, examiné que les rares documents disséminés dans les chroniques contem- poraines ; mais si, comme nous le croyons, et comme nous avons essayé de le démontfer, ils ont réellement. Irlandais ou Northmaus, séjourné dans le nouveau continent, il nous faut interroger l'Amérique elle-même pour voir si elle n'a pas gardé (juelques souvenirs de leurs établissements. Peut-être quelques ruines indiquent-elles encore l'emplacement de leurs anciennes demeures? Peut-être les tribus qui occupent aujourd'hui la place tenue jadis par eux ont-elles dans leurs langues, ou même dans leurs traditions, conservé quelque trace de la présence des Européens? Peut-être, enfin, la conformité de certains usages religieux attoste-t-elle encore la présence de ces Européens en Amérique ? A nous d'examiner si les monuments, si les dia- lectes, les traditions ou les usages religieux de l'Amérique nous perinettront d'affirmer avec plus de force ce que nous n'avons avancé que sur la foi des chroniqut'urs Européens.

I. LliS MOMMK.NTS

Parmi les monuments épars sur le sol de l'Amérique septen- trionale, il en est quel<jues-uns qui se rapportent aux North-

CHAI'. XI. TRACES DE LA PRÉSENCE DES EUROF»ÉENS. MY.i

lelques j;iennes

a i>Uii't' dans

ICC des usaties ens en dia- ue nous navons

mans. Leur nombnî est peu considérable ; car, dans tout le nord, on construisait en bois les édifices publics, et à plus forte raison les maisons (1) ; or, toute construction de ce genre est soumise à l)ien des accidents, humidité, [wurriture, incendie. Il n'y a donc en Amérique aucun vestige de ces nuiisons de bois que les Sagas appelaient des hudirm ; mais on trouve à Newport, dans le Ilhode-Island, c'est-à-dire dans l'ancien Vinland, les ruines d'un édifice connu sous le nom de maison de pierre, et qui fut jadis, très probablement, construit par les Northmans. C'est une sorte de rotonde en pierres de granit brut liées par un excellent mortier, et jadis revêtues d'une couche seml)lable, aujourd'hui tombée : elle est bâtie sur Ai'-^ arches qui reposent sur huit colonnes. Les premiers colons européens qui s'établirent dans le Rhode-Island n'y vinrent qu'en 1G38, et, dès 1078, le testament de l'un d'entre eux, Benedict Arnold, mentionnait sous le nom de moulin de pierre, et comme remontant à une haute antiquité, le monument en question. La Société des antiquaires du Nord siégeant à Copenhague a soigneusement étudié ce monument, et affirme qu'il avait été construit par les Northmans. Non seulement on ne rencontre do construction semblnbh^ dans aucune partie de l'Amérique, mais encore de frappantes analogies existent avec des édifices Scandinaves du xi^ et du xu" siècle, .\insi les églises de Vesterirg et de Thor- sager en Jutland, la crypte de la cathédrale de Wiborg, l'église de Biernede près de Soro en Seeland, et quatre chapelles près de Bornholm sont bâties sur le môme plan (2). Ce monument était un baptistère, car l'usage régna longtemps de les cons- truire détachés de l'égliso, ainsi qu'on pc » le voir encore à llavenne, à Florence, à Parme, à Pise, et tous justement à l'extrême Nord, à Igalikko et à Katortok en Groenland. Au

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septen- ^orth-

(li (iKKKHOY, H Utoire des peuples Scandinaves, p. 9. (21 Svciiité des Atitiquaires du Nord, 1838-1839, p. 249. 1842-1843, p. 310-341. 1844, p. 101. 1845-1849, p. 133.

40 i l'HKMlKlU: l'AHTIK.

LKS l'UKCnjSKlHS lue COI.OMII.

reste, [MMi nous iiiiportt' la (Icstinatioii du liàtiineiit, pourvu qui* uous SDVDUs assuré (|u'il a vtc construit par des Nortlunaus.

Nous lie parlerons (|u'avec toute réserve d'un bloc de fçranll couvert de caractères inconnus, trouvé à Scaticook sur It; Housatonic (1), territoire de Kent dans le Connecticut; d'un roc de quinze à vingt pieds de surface, cliarjïe de figtu'es d'animaux },'rossièreinent {gravées, et qui avait été signalé en 1789 sur l'Alleghany Hiver entre Venango, le fort Pitt et le lac Erié ; d'une grande pierre couverte de caractères régulièrement placés et remplis d'un mastic blanc aussi dur que la pierre, (ju'on avait découverte à llutland, dans le comté d(; Worcester en Massa- «•Imssets. Il est fAcheux qu'un liabile antiquaire n'ait pas visité <!t décrit ces monuments, ou pris un(! copie fidèle des inscrip- tions, car ils ont disparu sous l'indifférence des indigènes, et peut-être a-t-on employé pour la pile d'un pont ou pour les fonda- tions d'une maison telle pierre gravée dont l'inscription aurait constitué le plus précieux des documents pour l'histoire de l'Amérique.

Même réserve pour diverses découvertes, dont l'authenticité nous parait insuffisante. Ainsi à Tiverton dans le Massa- chussets (2), on aurait trouvé une pierre de forme oblongue avec creux circulaire, une hache grande et lourde creusée de façon à pouvoir être adaptée à un manche fourchu, trois coins polis semblables à ceux du Nord, des rondelles et des fragments de chaudière en pierre molle. Sur le Cumberland près de Rock Gastle Greek et à S'.vanzy dans le comté de Bristol auraient été signalés deux blocs de pierre posés verticalement et couverts d'inscriptions. Dans l'île de Marthas Vineyard (3) ont été déterrés et envoyés par M. Charles Hammond au Musée des Antiquités du Nord. i\ Copenhague, en 1845, des fragments de

(i) Lettre de Thomas Webh à C. Raf'n [Antiquitates Americanse, p. 373-315).

(2) Société des Antiquaires du Nord, 1845-1849, p. 177.

(3) Société des Antiquaires du Nord, Id., p. 119.

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Iricarise, p-

CIIAI'. M. THACKS UK LA l'HKSK.NCB IIKS KUHOI'KK.NS. iOîi

vuses d'argile avec des orncnients taillés ou imprimés dans l'ar- gile trempée, ressemblant im\ vases tumulaires du Nord iiu temps du paganisme, des houtons de pi<'rre de la l'orme d'un (luif terminés à un Ixnit par une cannelure, des ancres et îles p(»intes de flèches. Dés 18'r2, le docteur Suiitli di; Uoslon avait annoncé la découverte d'iiu squelette encre pourvu d'une cein- ture formée de tuhes ou de tuyaux en lironze, scudilables àccuv qu'on a fréipu-mment trouvés, attachés par des cordons entre- lacés, dans l'Islande et le Danemark. Les découvertes archéo- logiques n'ont pas discontinué. Il serait fastidieux de toutes les énumérer: mais, en général, ou bien elles sont insiguiiiantes, ou bien, ce qui est plus grave, elles sont tro|> [)robantes Aussi '•onq)rend-on (ju'un savant Américain, M. W'bitlesey, ait na- guère composé un livre sur les fraudes archéologiques de ses compatriotes.

Le roc de Dighton fait peut-être exception. Nous en avons déjà parlé i\ propos des voyages réels et supposés des Phéni- ciens en Amérique. Il a été présenté par (juelques savants connue un monument d'origine scandina>"o (1). Lelewel y retrouvait la ligure deThorfinn Karisefne et de son fUs Snorro, le nouveau-né, désigné par le signe S. Le chiffre cxxxi s'appliquait au nombre des hommes d'équipage, et le bouclier blanc était suspendu en signe de paix. Un habile runologue, Finn Magnussen, sur la demande expresse de Rafn, fit un examen approfoiuli de l'ins- cription et affirma qu'elle était islandaise. 11 crut reconnaître le navire de Thorfinn abrité contre le vent, (iudrida tenant en main les clefs de la maison conjugale, leur fils Snorro, les 131 Northmans venus avec eux au Nouveau-Monde, et même Thor-

(I) Wauden, Recherches sur les antiquités de V Amérique septentrionale (Société de géographie de Paris, 1821). .Miciiaki, Lokt, Archxotugia, Or miscellaneoui tracts relating to antiquity puhlished Inj the society of Antiquitaries of London, vol. VIII, |). 294-295 (1787). Lettre de John Ilou'land et Thomas WcLô à Ha/'n [Antiquitates Americanœ, p. 361-371, ligure IX de la planche XI I\ 183i.

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40r» l'HKMIKHK l'ARTIK,

LKS l'UKClHSKiaS I* CULOMI».

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liiiii ucc-ourunt pour n^Htiisscr um* invusiuii dos Skr()ellill^s. Uafu voyait dans les personiiaffi's de droite des Skroellings et (Uns les lignes qui s'eneli(îV(Hrent près d'eux des ar's, des Hècii(!s et des projectiles, mais ni lui, ni Magiujssen n'iîssayèrent «l'interpréter la partie cryptograplii(|ue de l'inscription. (1 ravier «!li a traduit une partie : « 131 hommes ont occupé ce pays avec Tlioriinn » ; il reconnaît dans le buste (ludrida, dans le petit personnage Snorro, le premier Northman en Améri(jue, et dans les deux personnages de droite Tlioriinn et son ami Snorro Thorbrandson. Certes ces interprétations sont ingénieuses, mais elles ne prouvent que la grande imagination des interprètes, et, décidément, jusqu'à plus ample informé, le roc de Digliton restera une énigme indécliin'rable.

Aussi bien il n'y a de réellement authentiques que les ruines et les inscriptions éparscs en (iroenland. Ces ruines forment deux groupes sur la côte occidentale (1). Le premier entre le 60" et le 01° de lat. nord, non loin du cap Farcvvell : c'est l'ancien Oesterbygd des Islandais. Le second est plus au nord entre le 64° et le 65". Dans l'intervalle on ne trouve rien. Le plus important est le premier de ces groupes : Les ruines sont éparses dans le fiord d'Igalikko ou des maisons abandonnées, à l'endroit Eric Ilauda avait, aux approches de l'an mil, fondé le premier établissement Scandinave au nouveau monde. Ce liord, large de trois à huit kilomètres, ressemble moins à un golfe qu'à un fleuve 11 se ramifie en deux branches au dessus de JuUaneshaab, la branche méridionale conduisant à Brattahilda et Gardar, la branche septentrionale à Krakortok. C'est à Kra- kortok qu'on a signalé des ruines assez importantes, sur un terrain en pente fort accidenté, mais dont les parties planes, arrosées par de petits ruisseaux, produisent une végétation vigoureuse, et spécialement de l'angélique, qui pousse jusqu'à

(1) Waldemak Schsudt, Traditions des Groenkindais (Congrès Améri- l'anisle de Nancy, t. II, p. 181-191).

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;s ruines forineiit entre le •Il : c'est , au nord rien. Le ines sont données, nil, fondé onde. Ce oins il un au dessus Irattahildu est à Kra- s, sur un es planes, végétation se jusqu'il

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lui mètre de hauteur, et qui est la seul(! plant(! spontanée que les Ks(|uiinaux utilisent pour leur alimentation. Jadis les céréales étaient cultivées et de clia(pie maison dépendait un lot de terre cultivée, comme le prouvent les traces de clAtures qui n'ont pas encore disparu. I/église de Krakortok possède encore son aiuîienne église, avec murs intacts jusqu'à une liautem- de quinze ou dix-huit pieds. Cette église, dont l'orientation est parfaite, a conservé sur toutes ses faces, à l'excefition de la face nord, les haies de ses portes et de ses fenêtres. Une ouverture; cintrée du côté ouest, au dessus de laquelle s'élevait le sanctuaire, est à peu près intacte. Les murs sont construits en pierres plates, de quatre pieds et demi d'épaisseur. Ces pierres ne sont reliées entre elles que par de l'argile hieue. Tout près de; l'église étaient le cimetière, l'on a trouvé de nomhreuses tomhes, et plus loin la maison du prêtre ou de l'évéïjue, dont les murs se tiennent encore dehout jusqu'à la hauteur d'un premier étage. On signale encore dans un angle du cimetière des décomhres (jui furent jadis une aumônerie, une hàlisse circulaire dont les murs de (juatre pieds d'épaisseur sur sept à huit de hauteur sont renversés, mais dont on peut suivre le pourtour, et les débris de cinq maisons. Les maisons étaient sans doute plus nomhreuses, mais à l'exception des ruines décrites, les traces en sont difficiles à trouver à cause des saules, des genévriers et des houleaux nains qui les recouvrent.

Les ruines de Krakortok étaient connues depuis longtemps. Le capitaine Graah les visita en 1878. Mathiesen, Gram, Motufeld et Vahl les étudièrent de nouveau et prirent copie des inscriptions qui ornaient le fronton de la porte de l'église à la façade ouest. Le docteur Hayes, qui en fit une étude spéciale, les décrivit avec soin dans son intéressant livre intitulé la Terre de Désola- tion (1). On sait aujourd'hui, à ne plus en douter, que les

(1) Hayes, La Terre de Désolation (Tour du Monde, 1873).

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■408 l'REMIÈRK l'ARTlK. LKS l'HKC.LHSKlRS DE COLOMB.

Nurtliinans élevèrent au XI" siècle tous ces édifices, témoins irrécusables de leur établissement au Oroenland.

Tout autour de Krakortok, des fouilles, conduites avec intel- ligence, ont amené la découverte dans le cimetière de Brattahilda de fragments considérables d'une cloche en métal, d'une pierre avec l'inscription suivante : Vigdis Mardottir hviliv lier : gledc gup sol hennar, c'est-à-dire Ci-git Vigdis, fille de Mar, que Dieu réjouisse son Ame ! et de plusieurs rangs de cercueils en bois ou de tombeaux en pierre, qui contenaient encore des squelettes, avec diverses pièces de vêtement, en général d'une bure grossière, de couleur brun foncé, du môme tissu carré que celui dont sont faites les pièces d'habillement trouvées dans les tombeaux de Norvège.

Dans le ''imetiôre de Kaksiarsuk (1), sur le bras méridional du fiord d Igalikko, on a encore trouvé des débris d'habits de bure, des fragments de fer, des instruments divers en bronae, un petit cheval en bronze, un peigne en os, une perle ou mosaïque, et des fusaïoles en stéatite. Tous ces objets, soigneu- sement étudiés et classés, enrichissent aujourd'hui les collec- tions du Musée américain de Christiansbourg, formé par la Société des antiquaires du Nord. Il serait trop long d'énumérer tout ce que ce musée renferme d'intéressant pour notre sujet, fragments de cloches d'églises, pièces de plomb représentant Jésus sur la croix, assisté de Marie et de Jean, vases de métal, pierres runiques en grand nombre, armes, etc. Nous ne pouvons que renvoyer aux bulletins de la Société des antiquaires du Nord, et surtout aux diverses éditions du catalogue du Musée, rédigées avec un soin infini par l'éminent professeur Worsaa;.

Dans le groupe septentrional des ruines c^roeulandaises figu- rent également de nombreux objets attestant la présence d(î colons Scandinaves dans ces lointaines régions ; ce sont des

(1) Voir Steenstkup, The old Scandinavian Ruins in the District of Jidianeshaaby South Greenland (Congrès des Ainéricanistes de Copenhague, p. 108) avec figure des ruines signalées à Uniiansat, Kingua, Kaksiarsuk^ etc.

f.llAP. XI

TRACES HE LA PRÉSENCE DES ElROl'ÉENS. 'M)

fragments d'armes, de cloches, de vêlements, et iiuhne des pierres avec inscriptions runiques. Nous avons signalé la plus intéressante de ces pierres, celle qui a été trouvée en lS:2i sur la partie la plus élevée de l'île Kingiktorsoak, au nord d'Uper- nawick, et que Uafii interprétait ainsi (|u'il suit : " Kriings Sighvarti lilius, et Hiarn Tliordi lilius, et Kindriddi ( )ddi lilius feria septima unte diem victorialem exstruxerunt metas liasce et purgaverunt locum. MGXXW ».

Des monuments nombreux, et dont rauthenticité parait indis- custable, attestent donc la présence sur le sol américain de colons Scandinaves, plusieurs siècles avant l'arrivée deColond). Nous serons beaucoup moins at'linnatif pour les preuves de leur séjour tirées des langues américaines, car ici nous nous aventurons sur un terrain si peu solide, qu'd faut redouter de nous heurter à chaque pas contre l'inconnu, ou bien alléguer c(»mme raisons suffisantes des hypothèses, (jui ne sont et ne peuvent être longtemps encore que des hypothèses.

11.

Lies L\.N(UES

La philologie américaine est, en effet, une science tnute mo- derne. Depuis le mémoire de Duponceau (1) en ISIW sur le système grammatical des langues de (piel(|ues nations de l'Amérique du Xord, d'importants travaux ont été entrepris (2). On a composé des vocabulaires et des granunaires non seu-

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(Il Ul'HONcK.vc, Mihnoire sur lu .lystcine f/rnmmniirat des la»;/ues tie quelques Hdtiom hidieiuiea de l'Amérique du Nnrd (18381.

(2| CiiARi.Ks Lkci.khc, dans sa liiftliotheca Americana /'dilioa 1878) a composé lo catiilogiii! lios ouvrages aiiciLMis et modernes sur la liiijçuisliiiue américaine. Il a retrouvé itS ouvrages, dont (|uel(iues-uns fort im|iorlants, répartis en 88 dialectes (p. 537-043). Voir dans les Mémoires du Coui/rès Amériamisfe de Herlin de 1888 (p. H)8 r)20) la liste des ouvrages publiés sur les langues de l'Ainérique du midi depuis 187r) ; cette savante nomenclature est l'œuvre de M. Adam.

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tlO i':u:Mii;HK i'artik. lks i'hkcirsecrs de colomu.

lenient des langues indigènes qui se sont maintenues jusqu'à n.J jours, mais même des langues mortes qui n'existent plus qu'à l'état d'exception. La plupart de ces travaux ont été en- trepris par des spécialistes, qui n'ont rien négligé pour dofiner à leurs études, parfois un peu arides, l'intérêt de la nouveauté et la garantie de la science. Nous avouerons pourtant que (juelques-uns de leurs systèmes nous ont inquiété par l'étran- geté des aperçus et la hardiesse des hypothèses. A notre avis, le temps n'est pas encore venu de bâtir le futur édifice de la philologie comparée américaine ; on ne peut encore qu'en assurer les fondements par d'utiles et modestes publications ; comme du reste ont eu le bon goût de les entreprendre la plupart des savants qui se sont adonnés à ces études intéressantes mais difficiles. Aussi nous défierons-nous des conclusions ou pré- maturées ou tranchantes. D'ailleurs, nous l'avouerons en toute humilité, la compétence nous manque, et nous ne pouvons qu'enregistrer, mais sous toutes réserves, certaines opinions. L'abbé Brasseur de Bourbourg (1) qui, sur bien des points, fut un devancier et un initiateur, écrivait que « ce qui lui avait semblé le plus étran^, , c'est que dans ces langues Katchikele, Quichée et Zutigile, les mots qui n'appartiennent point au Maya m'ont tout l'air d'être d'origine germanique, saxons, danois, flamands, anglais môme ». En effet, la liste dressée par lui des mots Quiches, que l'on peut comparer aux racines ger- maniques, est très considérable : Elle comprend quatre-vingt pages format in-octavo (2). Assurément ces analogies sont étranges. (J rotins écrivait il y a deux siècles (3) que tous les peuples Américains en deçà de l'isthme de Panama avaient une origine Scandinave ; certes, s'il avait seulement soupçonné que la comparaison des dialectes américains et des langues de

(1) Brasseur de Bourbouro, Noten ffun votjagn dans VAmérique cen- trale, p. 29.

(2) iD., Grammaire de la langue Quichée, p. 167-246.

(3) Grotius cité par Horn, De Originibus Americanis, p. 162-165.

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CHAI'. \I.

TKACES J)l': LA rHKSENCE DES EL'ROI'EE.NS.

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l'Europe septentrionale confirmerait sa thèse, il n'aurait pas manqué de citer de nombreux exemples à l'appui de son dire. Nous pensons toutefois que les affirmations de G rotins sont aussi hasardées que les hypothèses de l'ahbé Brasseur do Bourbourg nous semblent aventureuses. Sans doute quelques mots Quiches ou Danois se ressemblent (1), Il se peut môme qu'il existe une similitude absolue entre ces deux langues pour la formation du passif dans les verbes, mais a-t-on le droit de conclure (2) « que les langues du Mexique et de l'Amérique centrale ont puisé les éléments dont elles se composent aux mêmes sources que celles dites indo-européennes » ? Nous ne le pensons pas ; nous croyons seulement que des Européens, et surtout des hommes du Nord, s'établirent en Amérique, et que la langue des nouveaux venus, ainsi qu'il arrive d'ordinaire, se combina, dans une proportion plus ou moins considérable, avec celle qu'on parlait déjà.

On a récemment prétendu (3) que la langue des Cheyonnes était étroitement apparentée avec la langue Suédoise, et on expli- (juait cette conformité par une communauté d'origine : « Un Suédois vint, il y a quelque temps d(\j;i, de son pays natal, h Leavenworth ; mais, comme il ne savait pas un mot d'anglais, et qu'il lui était impossible de se faire entendre, il ne réussit pas à se procurer du travail. En désespoir de cause, il finit par se rendre au fort Leavenworth, il s'enrôla dans l'armée régu- lière. Un jour que des Indiens avaient été amenés prisonniers, notre homme, en se promenant autour de la prison, entendit ces gens converser entre eux, et constata avec surprise que leur langue était semblable à la sienne. Il entra aussitôt dans la prison, causa avec plusieurs d'entre eux en se servant de sa langue maternelle, et parvint à se faire entendre ». Certes le

(r Bhasselu de BoL'itiioriiii, (irammaire de la langue Quicluie, p. 12. (2) le, p. 11.

(3 Arlicle de M. Lf.vkm.v^, (iommuiiiquc par M. Adam au Congrès Aiué- ricaniste de Nancy, t. 1, p. 8.

412 l'HKMlÈKt: l'AHTIK. LKS l'HKCl'RSiaKS 1)K COLOMIi.

renseignement est curieux, mais il mérite confirmation, Aussi l)ien n'est-il pas étrange qu'aucun des savants qui s'occupent de philologie Américaine n'ait encore constaté cette ressem- blance entre le Gheyenne et le Suédois, et connnent na-t-on pas encore {)rofité de l'indication pour étayer un système, à tout le moins plausible, de parenté entre ces deux races? Ne serait- ce point que l'anecdote a été inventée de toutes pièces ?

C'est avec la même réserve que nous parlerons des nom- breuses affinités constatées par un spécialiste, José Pérès, entre les dialectes américains et le sanscrit (1). Pour ne citer que quelques noms propres et seulement dans l'Amérique du Nord, Canada, en sanscrit Kanada, signifierait qui mange peu ; Arkansas, en sanscrit Arkança, rayon de soleil; Missouri, en sanscrit Sourya, rayon de soleil ; Niagara, en sanscrit Ni agaro, sans demeure ; Alabama, en sanscrit Alambania, support ; Mohicans, en sanscrit Mokaka, qui trouble ; Chactas, en sans- crit Schatika, effrayé; Pawni, en sanscrit Pouna, perdu, etc. Comment expliquer ces analogies ? Seraient-elles fortuites? Ne faudrait-il pas plutôt les attribuer à un peuple u origine indo- européenne, aux Northmans par exemple ? A vrai dire, nous avons grand peine à nous prononcer. Nous ne pouvons que constater ces singularités, mais nous ne nous croyons pas autorisé à les expliquer.

Pour être franc, dans l'état actuel de la philologie américaine, si on n'avait d'autres preuves des colonies précolombiennes que des preuves tirées des dialectes locaux, mieux vaudrait renoncer à notre thèse. Nous ne trouvons pas en effet que ces analogies constatées suffisent à démontrer que des Européens ont séjourné en Amérique avant Colomb. Le seul et unique indice, à peu près authentique, de leurs émigrations en Amérique, a été tout récemment signalé par notre érudit compatriote, M. E. Beauvois (2) : 11 s'agit d'une chanson que les Souriquois, ou

(1) José Pérès, Revue Américaine (nouvelle série, n'- T», p. 307).

(2) BEAtvois, La Novamùègue (Gong. American, de Bruxelles, 1880), p. 20.

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indigènes de la nduvelle Ecosse, chantaient à la louange de Poutrincourt, lorsqu'il les avait régalés. Lescarbot (1) qui nous a conservé cette chanson, ou pi ifôt ce refrain, rpir/ico ïadm t'dico, rapporte que les Sduriquois avaient perdu le sens de ces mots. Ils se rappelaient seulement qu'ils appartenaient à un vieux langag(! tombé en désuétude. Voici du reste le passage de Lescarbot : « Quand le sieur de Poutrincourt leur donnait à <liner, ils lui (.-hantaient des chansons de louanges, disant que c'estoit un brave Sagamos qui les avoit bien traités, et qu'il estoi leur bon ami ; ce qu'ils comprenoieut fort mystiquement souz ces trois mots*: epigico iaion edico; \v. dis mystiquement, car je n'ay jamais pu scavoir la propre signification de chacun d'eux. Je croy que c'est du vieil langage de leurs pères, lequel n'est plus en usage » . Ces trois mots mystérieux sont en effet de l'ancien norrain, plus ou moins défiguré, soit par Lescarbot qui le transcrivait, soit par les Souriquois qui le prononçaient mal. Il faut lire œfligii gàiinn ciingu, ce qui signifie : nous avons fait un copieux festin.

Lescarbot, auquel nous devons ce précieux renseignement ajoute, en parlant des Souriquois (2) : « Or, pour revenir à nos sauvages j'açoit que par le commerce plusieurs de nos François les entendent, néantmoins ils ont une langue particulière qui est seulement à eux connue » . Plusieurs mots de cette langue ont été conservés par le naïf historien de la Nouvelle-France, et la plupart d'entre eux trouvent leur explication dans l'ancien Norrain : ainsi le nom même du pays (3) Norombcga ou Nor'ini- bcga peut se traduire par Nordhan Vika golfe des Norrains, ou Nordhan bega anse des Norrains, ou Nordhan bijgdh contrée habitée par les Norrains. Le mot Souriké{^) ou Souriquois cor-

(t) Lescahbot, Hiitolre de la Nouvelle France, liv. vi, § 7, p 730 (édition Tross).

(2) Lescarbot, ouv. cité, p. 699.

(3) Beaiivois, ouv. cité, p. 31 . (i) lu., p. 32.

ili l'HKMIÈRK PARTIR.

LKS l'RKCLRSEl'HS ni: COLOM»

respondrait ù Sudh, qui s'écrit su et se prononce sou, et /{i/,'r, territoire ou province. Marchhn vu Souriquois ressemble au Norvégien Varjen, et à l'Islandais Vargrinn, et signifie dans les trois dialecte le loup. Tabo, deux, peut se ramener à l'Islan- dais foau et au Norvégien 7'«o. Le père Biard, dans sa liehi- iion de la Aouvellf Frnncu (1), a également conservé quelques mots indigènes, qui ne s'expliquent que par les langues du nord de l'Europe. « Lors messagers volent de toutes parts, écrit-il, pour faire la plus générale assemblée qu'ils peuvent de tous les confédérés (ju'ils appellent ricmanen ». Or, en vieux Norrain, le mot rickmenni signifie les grands, les chefs. « Ils sont de leur naturel peureux et couards, ajoute le père Biard (2), quoy que ils ne cessent de se vanter et fassent leur possible d'ôtre censez et d'avoir le nom de grand cœur, meskai canic- ramon ». Or, en Islandais mest7- liamm rammadhr ou chammram- madhr sigiiilie doué d'un cœur de héros. Maredo sang, et par extension meurtre, se ramènerait h l'Islandais mordh meurtre, ou à l'irlandai?^ vmrhliadk, tuerie, massacre (3).

Ces étymologies nous paraissent sérieuses : comme les mots indigènes que nous avons expliqués par la vieille langue des Northmans se sont justement retrouvés dans le pays où, d'après la tradition, se seraient établis les Northmans, c'est-à-dire dans l'ancienne Norambega, n'avons-nous pas le droit de conclure que ce sont les débris de la langue parlée jadis par les colons Européens, et que, sans en avoir seulement conscience, les indigènes ont conservée et répétée ? N'avons nous pas également le droit d'espérer qu'on pourra grossir quelque jour ce vocabu- laire Souriquois-Northman, et par conséquent augmenter, pour ceux qui douteraient encore, les preuves du si\jour des Euro- péens en Amérique avant Christophe Colomb ?

,l| PÈRE BiAiU), Relation de la Nouvelle France (Relation des Jésuites publiées sous les auspices du gouvernement Canadien, Québec, 1858), t. I, p. il, 12.

(2, iD , p. 12.

[\ij Id., p. 34.

••■»JrTsii-T!-/,^^l(Hr

CHAI'. XI.

TIIACKS l»K LA l'UKSKXOK 1>KS KL'HlH'KKNS.

tl5

III.

Lies TRAUniONS.

Nous aborderons avor la plus grande réserve tout ce qui a trait aux traditions communes aux peuples Américains et Kuro péens. On sait en effet avec quelle facilité procèdent les fabrlca- teurs de traditions, et nous avons tous présents à la mémoire de retentissants débats sur Tautlienticité de prétendus chants nationaux, inventés de toute [tièce. Nous n'ignorons pas, d'un autre côté, que certaines traditions font poar ainsi dire partie de l'héritage intellectuel d'une nation, et que, transmises à travers les siècles, elle rappellent jusqu'à un certain point les événements passés : le départ est donc malaisé à établir entre un fait réel et les ornements dont il a été surchargé. Les traditions Améri- caines ont été, plus (ju'en n'importe quel autre pays, ou bien oubliées, ou bien re|)roduiles fort inexactement. Lors(|u'on les étudiera avec plus de soin, lorsqu'on cherchera à les recueillir d'après une méthode et des procédés vraiment scientifiques, il se pourrait ([ue d'autres traditions ((mlii-masscnt la réalité de ces relations anti-colombiennes ; mais le champ c- 1 iuunensc ; non seulement il n'a |)as été défriché, mais encoiv a été à peine entamé (l). Ce travail ne peut être entrepris (jue par des Américanistes d'origine Américaine. A eux seuls iiicond)e cette tâche difficile, mais intéressante et probablement féconde en résultats inattendus.

Ainsi s'expliquent les erreurs étranges dans lesquelles sont tombés certains érudits, (|ui, mal conseillés par l'amour propre

(Il II est pourtant de notre devoir de sijçiiiilcr ici les louables efforts tentés par \e Journal of American Folk-horc, jiublié à Hostou et à New- York par la Société Américaine du Kolk-I orc. Mentionnons éjçalcnient le curieux mémoire de H. Hkckeh, Die Wiilsiini/en und Zirilliii</s sni/e in America (Leipzig, I8sy) et le très intéressant opuscule de Sch.nfxi.k.miacii, Sur les immi(jratio)is rfiin ancien culte a'>ia>ii/ue m Amérique (Llcrlin, 1889i.

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l'HKMIKHI'; l'AHTIK. Li;> , .(ICIIISKIHS l»K CMl.OMI»,

iiiitioiial, ont cIkîitIk' ;i tlt-iiioritrcr, <'ii s'a|i|)ij%aiit sur dt; pn'lcii- fliics traditions, (|ii(' l'A rn(''ri(|U(' fut décou verte et iiu'Iik' colonisée, l)i<>ti avant la fin du xV siècle», par divers |(eu[tlesSe|ttentrionaux ; mais, (diiiiiM! I(!S dfjciitiietits sur lesquels ils s'a|i|iuient ne présentent pas les earactères dc' l'autlienticité, nous n<' pouvons (pTeiireiristrer ici leurs opinions. Ainsi llorn ^1. prétendait <|ue les Scythes, poussés parles hasards de leur vie errante, étaient arrivés sur l(!S hords de rAtlantitpK; et Tavaifitit franchi sur d'énormes glaçons pour dél>ar(|uer au nouveau continent. Il croyait retrouver entre l<^s Fenni décrits par Tacite rians sa (lermanie et l(!s Huns dillormes dont.Annnien Marcellin nous a transmis le Mdeux portrait uiu; grande ressemhlaiice avec les HrésilicMii- (ùliichimétpies et autres peuplades Américaines.

Vie noma !(!, amour (ht la chass(!, p(!aux de hétes pour vétcanents, prati(pie du tatouage, culture du maïs, mille usag('S analogu<-s se retrouveraient chez les deux peuphis : la langue ménu! ne varierait pas (i2). N'hésitons pas à reconnaîtr»' que ces hy[(othès<'s sont hien hasardées, que ces rap[»roc,iiements sont p(!U convain- cants, ((t, jusqu'à nouvel ordre, laissons les Scythes d'autrefois dans leurs solitudes glacées.

Les prétenti<ms des (iertnains à la découverte de l'Aniéi-ique nous send)l(;nt égal(;ment iuadmissihies. Poussé par un esprit de patriotisuK! exclusif, (irotius ['.i) s'évertuait à |)enser qu'il existe entre ses coni[)atriotss et les Américains des ress(;mhlances telles que, forcément, l'uru' et l'autre race devaient avoir la môrne origine. Il est vrai que certains usages se; retrouvaient chez les p(;uplades (îermaiiH!S et Américain(!s : ainsi elles comptaient le .em[)s non par jours mais par nuits ; ell(!S ph^ngeaient dans les

ilj lIoHN, I)/; Orit/iîii/jus Amnriranis, p. t."i3.

(2) Id., p. 160. « Lin^uu Itrasiliniia ciiiii F<!iiiiic.a rnaKnam omniiio corive. nicntium prœ .se l'crt. Narii, ut niliil rlu co dicim (|iio(l iilraquc iin(;iia caret F, il) est, iiiiitaiii cuiii lii{iiid() pcr|)etuo fii(;it, illiiil oiiinino rnemoral)ilu est ((iiod

<;t Urasiliaiii et Fenni pnnpositiorics »uas scmpcr noininibus postponunt ,

idqiic a|iud ipsos ac prmterea Fcnnos tantuni receptum est ».

C-i) GnoTius, De onyinc ijentium Americanarurn (1642).

CHAI'. M.

THACKS l»K LA l'HKSE.NCK DKS KUHOI'KK.NS.

417

(jU(!

|)rit lii'il

les

les

lonve- (|uod

<';m\ foiinintcH les ('iil";iiil.s iioiiveaiiv-nés ; elles aiiniiietit le jeu avec passion, an point de perdre la lilterfé ; elles prati(|iiaient la runnojrarnie ; rllrs eroyaient à l'existence de l'ànie ; niais (-es Hsaffes sont ccnx de la pinparl des peuples sanva^'es, et ces croyances sont partaf.'ées par heaiiconp de penpies. Or. si l'on |ii)He en princifie altsolii ipu! les nations, dont les niuMirs présentent (piel(|ne analo^'ie, sont d(! la iiiéine race, [(onr(|iioi ne pas étaitlir par exemple <pn' les Australiens et les nègres de l'Afrifpie cen- trale sont frères, parce (pi'ils marchent é^'alement nus? On no poin-rait s'arnHer dans ces assimilations forcées. Aussi hieii la plupart de ces continues sont fort naturelles ; si, par hasard, ipiehpies particularités curieuses se r<Mic<)ntrent, ce n'est pas iHK! raison pour en conchn-e lidentité d<; ra(;(!S uhsolumiîiit dis- semlilahles siu' l<iiis les antres ra|(|)orls.

Lai'l, (pii relate cett<; sillfriilière hy[»otlièse de (îrolins (I), la réfute d'autant |>lns aisément (pie les arfruinents du savant Hollandais sont [larfois hien puérils. .Virisi une trihu Klori- dieniie se nomme les Alavardi : aussitôt (Irotius, (pii se sou- vient des lian^'ohardi, avance, comme une preuve trioin|diant(; de sa thèse, (pie Lan;.'ohar(li et .Mavai'di sont identi(pi(;s. Sans insister sur ce ra[)prochernent à tout l<; moins hasardé, (irotius avait donc ouhlié ([iw les Lan}.^diar(li se faisaient remaivpier (lar leur petit nomhn;, /jUiif/n/nirdox pancitas tio/jiUhil (12), et, par (;(tnsé(pient, (pi'ils ne furent jamais ass(îz nomhreiix pour envoyer des c(»lonies jiis(pren .\tnéri(pi(\ Donc, n'hésitctiis pas à conclure (pie ces jiypotlièses ru; sont rien moins (pie coii- vaincaiitits.

Nous rangerons laicore au nomhn^ d(!S singularités etlinof.'ra- |)lii(pies la prétendue ori},'in(! Krisonru! (I(!s .\méricains. Ilorn en parhî en termes étraiifres (3) : « On a prétendu, dit-il, (ju(!

(\) Lakt, Sot.n ad. dmin-tnlionnit fliti/onis (irotii i/e nviijhn' r/cntinrn Amevicfmariwi, \>. 2".>. (2) Tacite, Ccymanie, §11. :{) IloHN, p. 1i. l''ii<;mnt <|iii hiniaiios et Cliiletiscs a l'Visiis deducerent,

T. I. 27

lU

il8 i'hi:mii";iik l'Airrii:. lks i'HKcihskiirs hk «'.olomh.

I<>8 IV'rii vieil- et les (lliiliens «'taiciit issus des Frisons ; rar mi trouvi' parfois dans le (]\\\\'\ «les aij^lcs à deux ftHcs cf des croix miriiculciiscs. |)(> plus, (lliili vent dire froid en Indien. Enfin, Alon/o d<> iM'cilla rapport** (pie (îlauca, lille d'un caciqui^ tliiilien, prise par les Espa^Miols, coinplait des Krisoiis parmi ses aiiriMres ». Nous avouerons (pie ces aiiiilofries ne nous paraissent reposer sur aucun foiideiuent solide, et tpie ces j^(''- ii('alo;;ies fantasli(pies rappellent les prétentions suranné'es de tel ou tel parvenu, (pii pr(''teii(lrait ^:relVersoii nom nouveau sur le tronc d'une l'ace anti(pie. Il s'est pourtant trouve'' d'autres ('•crivains p(jur s(jutenii', avec llorii, cette |)r(''teiulue (»ri};in(! (hîs AnK'ricains. Vax KUC», Pierre Sull'ridiis avait coinpos*'! un ou- vra^re sur les c(»lonies des l'irisons eu dehors de ladermanie (1), et il insistait siu- leurs voyages en Ami''ri(pie. Kn I7il, un Brèmois, .1. JMiilippi; Cassel, écrivait un traité (:J) sur ce même sujet, et fixait au xi" siècle la date de lu venue des Krisons en Améri(|ue. Nous n'avons pu nous procurer ces ouvra^jes, mais nous pensons (pie ces auteurs aui'oiit trop écoule leur imagi- nation ou leur amour propri!, et (pie c'est à d'autres (pi'auv Frisons (pi'il faut attriluier l'InMineur de la découverte du U(»uveaii monde.

Une curieuse tradition rapportée par Pro(;ope seiiiltlerail

ittrilnier cet liouiieiir aux Hériiles. Les llériiles, battus par les

Lombards, au (piatrième siècle de l'ère clirétienne, se seraient

dispersés. Les uns s'élai)lireiit en lllyri(; et se joif^Miirent aux

envahisseurs di' l'empire romain. Les autres franchirent le

iiuod iu Chili' passiin ai|iiila! bicipilcs, et cnix iiiiraciilis rii!^;'i;iis, i|iii)(l Cliilc Irions iiidis si;;uiliciit ; Cilaucuin (|iiui|ii(;, iiridcipis Cliiliuii.sis liliaiii, ait llis- paiiis caiitain, SI! ex aiitii|iio l""risoiiis saii;j;iiiiie oriumlam ilixisse AU'otiso île Ercialla rel'erl. »

(l)S('iritii>i s l»Krni cité |)ar Uiiiii) Ivmmics (De oriijinr iif.t/uu (intiquildtihus Frisorum contra Suffreili Pétri et Hurnardi Furmerii /(il)ulas rt cruniiiii- tioncs, ]). 117, à la suite île sa llnruia Frisiac tricin hintoriu, Leyile, li)l(i.

(2) J.-P. Casski,, De Frisonitni nm ii/atiou" furtuila in Aiu'.riatin s.vcuti) XI /ïicta, Magdebourjj, 17*il.

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CHAI'. Xi.

ÏUACKS UK I.A l'IlKSK.NCI-; KKS Kl HOI'KK.NS.

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Daiuilu' SDiis la ((iiKliiilc de pliisiciirs clicrs issus du saufr royal, travcrsèn-iil le |»iiys des Slaves l), puis de vastes sujifudes, |»ai- viiireiit jiis(|u'au Danemark, ef, couniie ils étaient résidus à ne s'arrêter (|u'au\ extrémités de la terie, ils s'eud»ar(|uèrent siu' l'Océan. ■' Arrivés à Thnlé, ils s'y lixèrent. Thulé est une ile considérahle. On ernit (lu'eMe est dix fois plus ;;rande (pie la Urelaiiiie. l'illeest située liés luiu au ikunI de (■clic dernière ile. Tliulé est pres(pie tout entière inlialiitée. iJans la partie lialiiléc on eiimpte trr'iite ti'ihus très iinmhreuses, ^duveniées chacune |»ar cent chefs ". Dans cette ile, le soleil reste à Ihorizoïi ipia- rante jours, au solstice d'été, puis, au snlstic(î d'hiver, il dis- parait |iendant (piarante autres jours, l'mcdpe ref^rettait de ne pas s'être rendu conipt(! |iar lui-même de ce phénomène, mais il eu avait demandé la cause. Parmi l(<s nations ipii liahitont Thulé, les Saithillniens ont conservé des uklmu's harliares. Ils lU" portent ni vêtements lilés, ni chaussures, mais des [(eauxde bêtes tuées à la chasse. F^es mères lu' nourrissent pas lems enfants avec du lait, mais avec, la moelle des animaux féroces. Ils ne c(»nnaissent ni le vin, ni les céréales. Ouant aux autn's hahitants de Thulé, ils ress(Muhlenl aux Kuropéens, mais ils sont restés païens et iimnoleut des victimes humaines. Ils ont d'ailleurs conservé des relations avec les llérules restés sm- le continent.

Malfiré le |)eu de précision de cette dciscription, il nous semhie à première vue ({ue la Thulé (h; Procope ressemhie à l'Islande ou au (îroenlaïul. Sa position au nord de la |{retaj;n(.', la permanenco et la disjiarition du soleil aux deux s<dstices, la

i|) Procopk, De Bdlo Got/iico, II, 15 (Uyziinliiio, p. !20.')|. « 'IvyOs'voi i;

Ëjjis'.vav. "l'i'JT'. ô: f| HouAr, |j.£y;'îT7j i; ayav. lifcTTavia; yàp «JTr.v -A;ov j; fk/a-Xai'^av Çu|xf!a;v:'. aivat, xîÎTat o: ajTfj; zoÀÀo) ànoOsv -po; noff,àv

ojaa, Èv /';>p* ^r, Tfj ot/.0'j[jic'vrj Tf'!a x.al or/.a ëOvr, zoX'javOr w;:c!TaTa topyTat. Ha'j'.Àîî; ti lia'. /.xTa k'Ovo; éV.aaTov ».

ï'ii) l'UKMlKHK l'AIITIi:. I.KS l'UKCrilSKIIIS llK COl-OMII.

riKicssc (lu cliiicit et l;i Itarliarif (rime parlii' des insulaires, Idiis CCS détails se ra|i|»ni'teiil assez evacleiiieiit à l'Islande et an (ii'uenland. (Jnant à rénii^M'atiMii des lléi-nles, elle ne nons est, il est vrai, attcsti'c (|n(^ par le tenioijinajre de Prucope, mais (>lle ii'ust pas iiivraisenildal)l(!. Il se pourrait dune (pi'une peuplade (lerniaine ait éinijrré Jus(pie ilans ces réfîiuns septentrionales, et, de là, se soit répaiidiu^ sur le eontinent américain, (le n'est «pinne tradition, mais elle est en partie coidirmée pai- les tra- ditions americaiiH's, et sm'toiit par un curi(Mi\ document iiidi- f-ène, le Po|»ol Viili, ou livre sacré des (Jnicliés, traduit par le savant et ref,M'etté Mrasseur de Hourhourj: (1),

Il paraîtrait cpi'à une époque (pi'il est diflicile de déterminer, mais (pii flotte entre le i\"' et le V siècle, im peuple envahis- seur, les Tolté(pies ou Tliuléfé([ues, sorti d'un pays septen- trional nonmié Tnlan . refoula devant lui toutes les tribus indifiènes , détruisit le ^'rand empire des (!lliicliiiuè(pics , et fonda une domination (pii devait durer juscpi'à la création de rem|)ire a/,té(pie au Mexiciue. Le Popol Vuli est le livre sacré do ces Tolté(|ues. Il raconte tout au lonfï leurs diverses stations, leurs soufFrancos et leur victoire finale. TjCs trihus (pii donne- ront plus tard naissance au peuple Toltéque viennent toutes du Nord-Ouest. Elles ont entraîné dos peuples sur leur passape, ot arrivent enfin au bord de rOcéaii, après plusieurs stations ((ui gardèrent toutes le nom d<î la patrie {>riniitive, Tulan. Ces tribus étaient misérables ([uand elles se décidèrent à s'aventurer sur mer. << C'est avec une profonde angoisse et un travail

(1) Uhasselb de BouKBoi.iKi, Le Lirrc sacn; et 1rs tni/t/ien de tmitù/iiitr Mcxkdine (1861). Ce inanusci'it .Vinériaiiii fut dùcouverl, dans les deriiiènïs ai "ées du xYll" siècle, par le dominicain Francisco Ximenez, an bourj? de Santo Tomas Cliicliicastenango, à vingt-deux lieues au nord-ouest de Guate- mala. Il fut traduit par lui eu Es|)agnol. Le docteur Sclierzer pultlia cette traduction, ijui était restée inédite, à Vienne, en 1856. Brasseur de Bourl)ourg a donné, en 1861, une traduction française avec un commentaire étendu. C'était, vtans sa pensée, le premier de ces ouvrages originaux qui devaient renouveler i'iiistoire de l'Amérique. I^a mort a Itrisé ses espérances.

CHAI'. M.

THACKS ItK I.A l'HKSICNCK llKS KI'HiH'KKNS.

1-21

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|M'>iiili|(< qu'ils piissri'ciit, l'.'ir ils n'.ixaic.it ni |iaiii. ni aliinciils. Ils se f(inf«'Mtai('iif de siiccr r<'\(ri'iiiitt' de ccrfaiiics rat'iiics dr lM)isil)iu\,(>tuiiisi ils s'inia^Miiaiciit iiiaiig('i'^l).()ii ne ('<)iii|)n>ti(l |»as leur (ravrisôc sur la nier, car ils arri\»"'ri'nt par ici, CMUtiuc si ce n'eût pas clé siu" la mer, par dessus des ruchers aniHiicelés,

couime riiules

ca et

A siu' le saule

N'nilà donc un irraiid

peuple (pii, sorti de l'Orient, et arrivé sin- les Imnls de l'Océan, mais dépourvu de toute ressoiu'ce et Inné de coiitiiuier sa ituu'clie, s'eiuhanpie siu' des radeaux ^:n»ssièreuieiit construits, peut-être luénie stu" d'énormes jilaeons et se lie an iiasard de la mer. Diuis un autre passage, plus signili<atif encore, nous voyons les Toltécpies l'rancliir l'tdistacle ipii se présentait à eux. « Alors nous arrivâmes sur le liord de la mer. étaient ras-

semitlés tous les "luerriers de

il vill

es : nous en vîmes

)érir un irraud iiomhri

dévor

es |»ar I angoisse

II

n y a piis de

(|Uoi passer, disaient les guerriers, et l'on n'a jamais oui dire qu'on ait |)assé par-dessus la mer... Or, il y avait une l'orét d'arhres rouges, de ceux dont nous avions pris des hâtons en passant devant les arhres de Tulan. .Avec les pointes de ces hois, on se poussa loin du sahie, au-dedans de la mer... alors se; manifesta l'immensité au-dessus et au-dessous. Lors(pie après cela ils rcivirent le suhie au-dedans de la nu'r, tous lurent remplis d'allégresse! » Il est dillicile de mieux raconter cette émigration de, tout un peuple. On assiste à ses conseils. On voit comment, dans son inexpérience, il se contente de hanpies dirigées par des rames, (le hois rouge ne s(>rait-il pas le sapin si abondant dans les forêts septentrionales. Le [)ays (jn'ils ahandonnent ne répondrait-il pas au nord de l'Europe et l(> pays ils ahord<;nt aux terres arctiques d'Amérique?

En ell'et, la terre dont les Toltéques ont pris possession i^t glacée, sans arhres, sans rayons solaires pour la réchaull'er. Elle pénètre d'effroi les malheureux émigrants. Mientôt ils s'en

(1) Poi'oi. Vcii, p. 2.3:{ (,3m« pallie, S vni.

A±l l'UKr-'-HK l'AUTIK. UCS l'HKOlIlSlUHS l)K C.OLOMIt.

liisscnt et se (IrMidciif ;"i coiitiiiucr loiir iiiiirclic, iiuii sans avnir iihiUuloiiiK' leurs idoles et leurs cliet's enterrés sous des collines artilicielles. Mais le soleil se eache toujours et sou absence les attriste!, k Malheur à nous, disent-ils, c'est en vain (jue nous sommes arrivés ici |)our voir le lever du soleil. Notre sort était éfral dans la patrie d'où nous avons été exilés. Notre c(eur |)ourru-t-il se consoler en voyant nos Dieux réduits à se cacher dans les hois et dans les fondrières? Car ils sont jjrands, Tohil, Awilix et (lafjaxvitz : leur puissance (!st au-dessus de la puis- sance des Dieux de tous les peuples et leurs prodifïes se sont hautement manifestés dans ce voyajre au milieu de la nuit, du froid, et dans les terreurs qu'ils ont inspirées au cteur des hommes ».

Les Tolté(pies coutitment leur marche à travers ces déserts de glace. Lors(jue le soleil se montra de nouveau, il ne resta (|ne (juehpies mimites au-dessus de l'iiorizon. Sa face était ardente, ainsi (pie nous le voyons parfois à travers les nuages, seud)lahle à un gigantesque houlet rouge, mais sa chaleur ne réciiaufl'ait pas encore. <■ Alors se manifesta les(deil, semhlahle

à un guerrier (pii se lève c'est ainsi (ju'il sécha la terre,

car, jusepi'au moment de son apparition, tout était humide et fangeux. Mais sa chaleur était faihie, (>t il ne fit (pie se montrer (piand il parut. Il ne resta que comme une image; dans un miroir, car, véritahlement. ce ne peut '^*'"e le même soleil (pu luit aujourd'hui ". Nous n'avons pas , iious occuper ici du mérite littéraire des passages (jue nous avi»ns cités; remarquons pourtant que ce peuple ([ui, semhlahle aux Juifs dv Moïse, suhit tant de soulfrances sans jamais perdre courage, et réussit enfin à force d'énergie à s'arracher à ces efVroyahles contrées et à fonder un florissant enq)ire, mériterait d'être un peu plus connu. Aussi ne ménagerons-nout; pus l'expression de notre reconnaisf-ance au traducteur du Popol Vuh, [tour nous avoir conservé un ouvrage douhlement précieux, à titre de compo- sition poétique et de docum» nt historiqi''*.

-r-,-:<r_:i* ■•"^.r». . •■,•*'

CllAT. XI. TRACES IH: LA l'RKSKNCK liKS KrROPKKNS. i^lt

|j(;s T()lt(''(|U('s, sortis du Labrador ou des environs do la i)ait' d'iludsoii, s'avancent peu à [k'u vers le Sud et, toujours, ils traînent à leur suite leurs divinités les installent avec solen- nité dans les nouvelles Tulan qu'ils hAtissent sur leur passage. A force de marcher dans la direclinn du Sud, ils Unissent par se heurter contre un grand l'uipire, celui des Cliichiniècpies, et engagent tout aussitVtt une lutte terrihle, (pii ne se terminera (jue par rassujettissement des anciens possesseurs du sol, vers le neuvième siècle de l'ère chrétienne. Les Ciiichiniè(pies, de même (pie les Uomains en Kuro|)e, avaient fonde un empire tout éclatant de gloire et de civilisation; mais, avec le triomphe des harhares Toltéques, cet éclat disparut. A j»eu près au moment la féodalité rem|/lacait en l']urope les anciennes monarchies, les Toltéques s'enqiarèrent enlin de ces belles régions du Sud, (jui ont toujours exercé sur les honmies du Nord un irrésistible attrait (l). Par une singulière concordance, ce qu'on est convenu d'appeler le moyen-Age s'établissait en même ten.ps et par les mêmes causes dans l'ancien comme dans le Nouveau-Monde.

Les Toltéques descendent-ils de ces Hernies dont Procope nous a raconté l'émigration, et le Tulan du Popol Vuh corres- pond-il à la Thulé de l'historien Ihzantin? Certes les analogies sont grandes et la concordance du nom est étrange C^) : mais une simple tradition et un poème n'ont pas l'autorité d'un fait

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(1) Les historiens du Mexiciue sont unanimes à reprûsenler le nord de rAniérifiuc connue le pays ori^çinairc l'es envahisseurs Toltéques. C'est encore du nord que sortent les diviuiti's .Mexicaines, et c'est dans le nord que les héros nationaux accomplissent leurs exploits. Voir Ixtlii.xocuiïi., Histoire tlcx Chir/iitnc(iiies (Collection T 'ruanx-donipans, série, I. Il et lli). Sahaocn, Histoire générale des choses de la Nouvelle Espagne (Traduction Jourdanell. Ci.avic.f.ho, Slorin drl Messico, iv, 160. Hiiasski:» de BocKBouiui, Histoire des nations firilisées de l'Améririuc centrale, etc.

(2) Nous n'avons pu nous procurer une carte lslandai«c du xii" siècle, citée par Ckahnat kt Violi.et dk Dec. {Cités et ruines Américaines), montrant à l'est de l'Islande un continent nommé Tila, dans lequel il est aisé de recon- naître Tulan.

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i»i«*iim <wi I rt-^i iirMhiiwiiiiiiiiiii ni m l'iiii iTUiiiini Vifa.ti>Tia «lA^t^tarj^ja:- jrrg jrjrftfÂ:^^^^?^.:^".;^.

4:24 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.

dûment constaté, et, jusqu'à nouvel ordre, nous ne [touvons prendre aucune conclusion formelle.

Aussi bien a-t-on retrouv»' les traces des Tolté(|ues dans les pays qu'ils ont successivement occupés, et a-t-on pu détermine;!* par des preuves matérielles leur communauté d'origine avec les llérules? (1). llemanjuons tout d'abord que les Toltéques, ainsi que tous les peuples envahisseurs, devaient être en fort petit nombre relativement à la nation qu'ils atta(|uaient. Une fois installés dans leurs conquêtes, ils se fondirent bientôt avec la population vaincue, de môme que les Francs, les W isi- goths et les Lombards disparurent promptement au uiilieu des Gaulois, des Espagnols ou des italiens (2). On ne pt)uvait donc plus les reconnaître, lorsque, ([uelques siècles plus tard, les Européens dél)arquèrent en Amérique. Si pourtant ces Tolté- ques étaient vraiment de même race que les Hérules, la couleur primitive et le type originel n'auraient pas complètement disparu par suite du croisement des races et de l'action du climat. Ur, les premiers conquérants remarquèrent avec étonneinent (jue dans le pays de Gibola, non loin du Texas, dans une des c(jntrées conquises par les Toltéques, vivaient des américains presque blancs, et à cheveux clairs (3). Les ethnographes contemporains constatent encore la coloration pAle des tribus de ce canton. Brasseur de Bourbourg (4), dont le témoignage est précieux, puisqu'il a longtemps vécu dans le pays dont il [tarie, affirme (jae les indigènes du Mechoacan et du Yucatan sont beaucoup plus blancs que leurs voisins des autres provinces. 11 paraîtrait même que les Indiennes de Port-Mulgrave offrent le type blond des laitières anglaises. Serait-ce donc que la race blanche,

(1) SciiOEDEL, Etudes sur Vantiqidté Américaine (Revue Aniéricaino), \ii, 174-197, 287-305.

(2) De Quatrekaoes, Histoire nature/le de l'homme (2"'> j)artie, § 3, 8).

(3) Rakn, Antiquitates Americanse,p,2T.~ Bonté, Recherches sur l'ori- f/ine de la race Mexicaine indigène (^ey\i& Américaine, viii, 309).

(4) Bhasseuk i)e Boukboukg, Traduction de Landa, Dissertation sur tes mythes Américains, p. 3.

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C.IIAP. M. THAC.KS liK LA l'HKSK.NCE 1»KS EUHOl'KK.NS.

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jadis r('|(i'('SL'iil(''(' par ces Toltéques-lltTulos. se serait, dans ccrtaiiios réffions américaines, j)er|»étuée jusqu'à iius jours?

A-t-on du moins retrouvé la trace dos émijrrations successives des Toltèques? En général les peuples l)ari)ares, surtout cpiand ils sont disséminés sur de vastes espaces, laissent d'eux peu de souvenirs. Pourtant la plupart des tribus Indiennes de l'Améritpie" septentrionale n'ont pas oublié l'inviision depeu[iles blancs venus du Nord, .\insi les Indien:; Savannabs (|ui, vers IT.'iO, émigrèrent de la Floride et de l'Obio, racontaient que jadis leur pays fut occupé par des blancs qui se servaient d'instruments de fer. Toutes les tribus Canadieniu's avaient des traditions analogues. On a de plus observé que les nombreux tumuli épars dans la vallée de l'Oliio recouvraient des scjuelettes (pii ne resseiid)lent pas à ceux des Indiens d'aujourd'bui (1, ; ipie les cbemins cou- verts, si iioud>reux dans rAméri(|ue du Nord, pi-éseutent la même construction que dans l'Europe occidentale ; eidin ipie les souterrains bâtis en bricpie et les rocbers couverts d'inscriptions symboliques rappellent une migration et une station de peuples de provenance étrangère, et, en tout cas, septentrionale.

Il n'est donc pas im|>ossible que les Toltè([ues dont personne d'ailleurs ne conteste la réalité, descendent des Hernies sortis jadis du nord de l'Europe, et «pi'ils aient fini par s'établir au centre du nouveau monde, à j)eu près au moment les Nortli- mans s'installaient en Islande et au (îroenland. Il nous faudra pourtant reconnaître (jue le PopolVuh n'a pas encore l'authenticité des Sagas Islandaises, et c'est toujours à ces Sagas qu'il î.jus faudra recourir pour retrouver avec certitude le souvenir du passage et du séjour des Européens en Amérique dès les premières années du XV siècle.

C'est justement dans le pays décrit par les Sagas, dans l'ancienne Norambega (pi'on a retrouvé une curieuse tradition.

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(1) C.iiAnxAY, Cités et ruines Auuirinaines. Cf. Viom.et le DL'c, .irliclc sur l'oiivragc de Cliarnay, iiiscrû dans le Journal des Savants

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(|ui, l)ie!i (■crtaincirR'nt, est d'origino scîuulinivc. Voici cuniiru'iil la rapporto Cliam[)l;iin (1) : <i 11 y a (Mirorc une chose étrange, digne de réciter, que [)lusieurs sauvages m'ont assuré estre vraie. C'est (|ue proche de la l)aye des chaleurs, tirant au su, est une isle faict résidence un monstre épouvantahie (pie les 'sauvages appellent (iougou, et m'ont dict (piil avoit la forme d'une femmes, mais fort effntyahle et d'une telle grandeur (pi'ils me disoient <|ue le hout des masts de nostre vaisseau ne luy fust pas venu jusques à la ceinture, tant ils le peignent grand 1 et (|ue souvent il a dévoré et dévore heaucoup de sauvages, les(piels il met dans une grande poche quand il les peut attraper

et puis les mange Ce monstre faict des hruits horrihles

dedans ceste isle, (pje les sauvages appellent le (iougou ; et, (|uand ils en parlent, ce n'est qu'avec une peur si estrang(Mpril ne se peut dire plus et m'ont assuré plusieurs l'avoir veu ». Lescarhot reproduisit cette légende mais avec des commentaires si saugrenus, et de si lourdes i»laisanteries à l'adresse de (îliam- |dain (;2) que ce dernier, dans les éditions suhséquentes de son livre, supprima le passage. Lescarhot est pourtant ohligé de reconnaiti-e que les sauvages croyaient à la Gougou (3). Dans son poème sur la défaite des sauvages amouchiquois par le Sagîimos Mend)ertou, il fait encore allusion à cette croyance (i).

De quoy tout effrayé le prince Meiiibertou, Il se remet au Jeu du luonstrucux Gougou.

fja légende est donc hien réelle, puisqu'elle est localisée et adoptée par les indigènes. Or, nous retrouvons dans la super- stition des Northmans du moyen âge non pas seulement le nom à

( 1 1 De 'ictuvaffes ou voi/age de Champlain de Brounge fait en la Nouvelle France, l'an 1603, p. 61-()2. Eclit. Lavcrdièie, p. 125-12G. Cette fal)le a paru si étr. ijçe à l'aima Cayct qu'il l'a reproduite intégraloiuenl, niais .sans citer son auteur, dans sa Clironolotjie septennaiie de IGU.'J.

(2) Lescahbot, Histoire de la Nouvelle France, édition Tross, p. 4.

(3) ID., p. 376.

(i) 11)., Les Muses de la Nouvelle France, édition Tross, p. 66.

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Il se peut qu'on ait exagéré ('(îs analogies entre les langues, ou les traditions. D'ailleurs la question n'est pas encore suffi- samment élucidée : mais comment expli([uer les ressemblances plus frappantes qui existent entre certaines croyances et certaines cérémonies chrétiennes et américaines?

Hien qu'elle soit fort étrange, nous ne mentionnerons que

(1) B. (îHORNDAt-, Folketro i Nordeit (Aniialer for Nordisk Oldkyiidighed oj; Historié, ISiiS). xN. M. Petersen, A'orr/« A' Mi/tfiolof/ic (Copenhiiiçiie, 1841»). J. M.ïiiiELE, Damnarkt Folkesag7i {CopaxhA-fUti, 1845), 1. 1, p. 18U; t. Il p. 37, 38, 3i), 43, 48. 49, 207, 212, 213, 228. Tous ces ouvrages sont cités par Heai'vois (Lp Noramhrguf, p. 41).

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CHAI». \l. THACKS 1)K LA l'HÉSK.NCK KKS KIHOI'KK.NS. '|27

peine défiguré de la (îongoii, (iygur ou (ija-gur (l), mais jus(|u'à son sexe, sa figure enVoyable, sa taille gigantesque, sa résidence dans les rochers, les bruits ell'royables dont ell(> fait retentir les échos, su voracité, etc. N'est-ce donc pas (jue cette tradition Scandinave a été apportée par les Northmans en Améri(pie, et (pie les Américains ont concentré dans un type unique les traits épars dans les traditions Scandinaves? N'est-ce pas eu un mot la preuve nouvelle et décisive des rapports qui e\ist«M'ent avant (lolomb entre l'ancien et le nouveau monde?

D'autres traditions américaines, relatives à l'arrivée et au séjour dans l'Amérique centrale d'bonunes blancs veiuis de l'Kst, étaient fort répandues, quand débanpièreut au nouveau monde les Espagnols : mais ces traditions se lient intimement avec la recherche des ressemblances existant entre les religions américaines et le christianisme : nous en étudierons tout à l'heure l'authenticité : il nous suffira d'avoir établi que l'étude attentive des traditions américaines doit être entreprise avec une grande réserve, mais que, sans doute, elle nous réserve plus d'une surprise.

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LES PRECURSiaitS DK COI.ÙMIt.

pour mémoire la friidition relative à la prédication du chris- tianisme en Amérique par Saint Tliouuis. Cet apôtre passait pour ne croire que ce qu'il voyait ou entendait : ses disciples n'ont pas imité sa prudente réserve, car ils l'ont fait voyaf,'er dans tous les pays connus et inconnus. Nous ne voulons pas instituer ici à nouveau une controverse sur un sujet irritant (1), qui ne peut être résolu ni dans un sens ni dans l'autre, et (|ui d'ailleurs ne prouverait rien, puisque, même en admettant l'authenticité de la tradition, il nous faudrait reconnaître en même temps que la prédication de l'apôtre n'a laissé aucune trace en Amérique. Qu'il nous suffise de rappeler ici les passages de l'écrivain (jui paraît avoir le plus sagement, c'est-à-dire avec le plus de froideur, résumé cette tradition. « La nation des Manaicas est fort superstitieuse, écrit le père de Charlevoix (2). Une ancienne tradition porte que l'apôtre Saint Thomas a prêché l'Evangile dans leur pays, ou y a envoyé quelques-uns de ses diseiples : ce qui est certain, c'est qu'à travers les fables grossières et les dogmes monstrueux dont leur religion est composée, on y découvre bien des traces de christianisme. Il paraît surtout, si ce qu'on dit est vrai, qu'ils ont une légère idée d'un Dieu fait homme pour le salut du genre humain, car une de leurs traditions est qu'une femme douée d'une beauté parfaiti' conçut, sans avoir jamais habité avec un homme, un très bel enfant qui, parvenu à l'âge viril, opéra bien des prodiges, ressuscita les morts, fit marcher les boiteux, rendit la vue aux aveugles, et, ayant un jour rassemblé un grand peuple, s'éleva dans les airs, transformé dans ce soleil qui nous éclaire ». Charlevoix avance encore, mais sous toute réserve, que ces sauvages croient à une sorte de Trinité, dont le père se nomme

(1) Congrus Ainéricanisles de Luxembourg et de Copentiague. Longues et stériles discussions à ce sujet entre divers savants que nous ne voulons pas citer, car c'est la seule et unique fois que fut troublée la bonne liarmonic entre les membres de ces intéressants et très importants congrès.

(2) Chaulkvoix, Histoire du Paraguay, II, 274.

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THACKS ItK LA l'nKSKNC.lC DKS KlHorKIC.NS.

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<)ni('(jii<itiun(|ui, le jils Urasiiiia et le Saint Esprit L'rapo. N'a-t-il pas rais(jn dt; so inonfrcr sceptique, et n'est-il pas fort prohahle (pie ces pieuses léfieiides ont été inventées par des missionnaires désireux de se faire valoir?

Ces missionnaires n(^ sont pas des inconnus. (Iharlevoix raconte encore (1) que, en lOOM, lorsque les [(ères Cafaldino et Mocefa s"enf(Jiicérent dans les solitudes américaines j)our tenter la conversion des (iuaranis, u le cacique Maracana et (juelques autres des princi|>aux (iuaranis les assurèrent (pi'ils rivaient appris de leurs ancêtres (prun savant lionuni', nommé Pay Zuma, ou Pay Tuma, avoit |)ré(lié dans leur pays la foi du ciel ; (|ue plusieurs s'étoient raiifîés sous sa conduite, et qu'il leur avoit prédit en les quittant (pi'eux et leurs descendants ahan- donneroient le culte du vrai Dieu qu'il leur avoit fait connoiti-e ; mais qu'après plusieurs siècles de nouveaux envolés de ce mémo Dieu viendroient armés d'une croix semhialde à celle (|u'il portoit, et rétabliroient parmi leurs desc(;ndants ce même culte. Quelques armées après, les pères de Montoya et Mendo/a aïant pénétré dans le canton de Taïati, les Indiens (|u'ils y trouvèrent les voiant venir avec une croix à la main, les reçurent avec de ^'randes démonstrations de joie (pii les surprirent beaucoup, et, (îomme ceux-ci s'aperçurent de leur étonnement, ils leur racontèrent les mêmes choses que Maraoana avait dites aux pères Cataldino et Moceta. Ils apprirent que le saint homme était aussi nommé Pay Abara, c'est-à-dire le Père (jui vit dans le célibat. Au reste la tradition des Brasiliens est conforme à celle des Guaranis, et elle porte encore que l'apôtre prit terre <ui |(ort des saints, vis-à-vis de la barre de Saint Vincent, et <(u'il apprit aux habitants à cultiver le manioc et à faire la cassave » .

De ce Pay Zuma, ou Tuma, ou Abara, on a prétendu faire ^aint Thomas (2). Nous croirions plus volontiers qu'aux premiers

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|I) CiiAni,KVOix, Histoire du Pan

raguinj, I, p. 312. (2) Voir le très curieux livre de G. Gabci.v, Historia ecclesiastica y seglar

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jours (le lii (((IkiikHc du scizii'iiu* sirclr'. iiu |»nHr»' csimi,'!!!)! !i cssayr (l'('>vauf,'('liser ces |)eu|ila(l(.'s iimi'ricaiiu's, y a ivnssi eu partie, et (juc son souv(>iiir s'est [)er|tétué. Seuleiiieiil. ((tinuic lu clironol()j,^ie n'existe |»as clie/ les in(li},'ènes, ils ont eoiit'ondu les années et les siècles et reporté à une date fahideuse des événements relativement modernes. Il est plus vraisendtlahie encore (|ue ces léjrendes n'ont été trouvées que par ceux (pii avaient intérêt à les trouver. Valdemar Sclmiidt raconte (|uel(pie part (I) (pie les Ksfpiimaux n'ont aucune tradition, mais (|u'ils cèdent facilement iuix obsessions des Kuropéens (|ui veulent à tout prix, et partout, retrouver leurs propres traditions. Ue même les missionnaires Kspa^'nols, (|ui s'adressaient à des néophytes ne cherchant ((u'à leur plaire, leur ont fait répéter des récits ([u'ils leur inspiraient en grande partie, et, repnjtluc- leurs inconscients de li'urs [tropres inventions, ont fini par croire à la l'éalité de légendes dont ils étaient les imiques auteurs. Sans remonter aux siècles lointains Saint Thomas était censé répandre en Américpie la honne nouvelle, nous examinerons avec la même réserve diverses traditi<ins (|ui nous ramènent à des épo(pies beaucoup plus ra[tprochées. Un érudit dont la science est aussi étendue (pie la perspicacité singulière, et (pii a su déhrouiller la confusion des vieilles mytiiologies, M. lieauvois {'!■ a prétendu (|ue les Papae Irlandais, ilont n(»us avons raconté plus haut les curieuses [)érégrinations, avaient |)énétré jusque dans r.\méri(pie Centrale, et y avaient [irêché le christianisme. IJaprès lui (Juetzalcohuatl (li), le réformateur mexicain dont les

lie 1(1 Yndid Oriental ij Occidental, y predicadon del Sancto Evan/jelii, on clin pov los Ajioxtolos, lti.6. I.e luit de l'auteur est de eiierclicr si " piissii la V(i à las Iiidias occidentales, antes que los Esjtaiioles las descu- Ittieseii, auncpie lo mas que tiata es do las Orientales », et ses conclusioiis sont (|iic l(s Apôtres ont prècliii l'Evangile au.x Indes.

(Ij Valdemau Scn.MiDT, Congrès A iniiricaniste de Luxemiotuy, t. il, p. 341.

[t] Beauvois, liel'ilions précolombiennes des Oaels avec te Merii/io' (ConjçrcjsAuiC'ricanisle de Copenhague).

(3j Sauaisl'.Nj Histoire de la Nouvelle Espagne (traduction Jourdaneli,

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liistoriciis iiiitiuiiiiiix nul (('h'-hri' les vertus, ii'csl initrc (iniiii IVipji Irliiiidiiis. Il \ciiiiit de l'est, e'est-à-dii'c de riùirn|ie, et y relniiniii. Oest lui (|iii iiisliliiii le jerine, les inaferations, les

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ttii'liires voldiilitires. Il sacriliait des railles, de

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^iltiei'. et avait liori'eiir des liécatoinlies liiiiiiaiiis. Ainsi (|ii(> les disciples de Saint (luliiinha, il se montrait en rolie de coton Idanc, étroite et longue, et portait par dessus cette rtdte une niante parsemée de croix colorié(;s ,1). Voici conuiient un des historiens les plus dignes de loi du ^levicpie, un des prcsmiors professeurs de l'Université de Mexico, il mourut en l.'JSl), le père Duraii, pai'le de nuet/alcoliuatl (:J'i : " (Iraud est le souvenir (|ue l'on garde de lui. .le l'ai vu peint comme je vais le tiécrinî ci-après, sur un vieil et antiipie papier, d;ins la ville de Mexico. Son aspect véiu-ralde montrait ([ue c'était un liouuue d'âge, avec une l>ari)e longue, couleur roux clair, le nez un peu long, tuniélié ou un peu charnu, haut de cor|)s, la chevelure longue et très lisse, le maintien plein de gravité II était toujours enlermé dans une cellule et en prières, et se montrait rarement. Il vivait dans l'ahstinence, le jeûne, la chasteté, la |)enitence. Son occu|)ation était d'élever des autels et des oratoires dans tous les ipiurtiers, de placer des images dans les nnu's au-des-iis des autels, de se prosterner devant elles et de les vénérer, tantôt en haisant la terre, tauti'it en les touchant avec la main. Il était sans cesse en oraison, dormait toujours au hord de l'autel qu'il édifiait et couchait sur la dure. Il réunissait aussi des disciples et leur

p. 20!), 217, G.j'J. Tk/o/ohoc, Hisfuin- itu Mexiijun (Cdiieclioii Tenuiux- Coiii|iaiis, II, ]). 227, 2;t7, 24:'). .Mkmhkia, //is/oriV/ ec(7rs(V(.s7/Vv/ Intlianay t'ditidii li';izl)iilcet;i (IN70), p. 80.

(1) GOMAitA, ouv. cilé (édition Vediai, p. ItlU-S. Toiiqckmada, Montir- ijuia lyuHdwi, t. Il, p. 55.

("1) DiitAN llutoiir anciennr de la .\ouuelle Kspaynr, ti" partii,', |^ I (ûditiuii Kiiii;sboruu^lii. Il lui doniu; U; nom du Topiltxin, iiiiiis iinus savons par lu tùmoi;;nap;o do Juan de Tobar [IlisUiiro du Mcxà/uv, cilùt; par Ueauvois, p. \}i\, qu' I' ou lui donnait trois noms appliipiés à dos Dieux, ol l'orl ostiniôs : lu promior était Topiitzin, le second Quulzalcoliuatl, ut lo Iroisioniu Papa ».

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ciisciffiiait à prier i>t .'i pnV^licr On dit (ju'il était orif^iiiiiirc

(les pays (''traii|;i'rs. On sait avec ccrlitiitlc (pic, après lUrc arrive (ijnis ce pays et avoir coMMiiencé à réunir des disciples, et à édilier des éjj;lises et des autels, lui et ses disciples allèrent prêcher dans les lieux liahités. Voyant la {grossièreté et la dureté de ces ('(j'urs terrestres, ils (piittèrent la contrée et retournèrent au pays d'où ils éfiiienl venus ...

Il est certain (pie, pour un lecteur non prévenu, cclt(Mitation pourrait s'ap|»li(|uer à la vie de tel ou tel saint chrétien, et par consé(|U(Mit (|ue ringénieuse théorie de M. Beauvois semble à ti»ut le moins vraisend)lal)le. La plu[)art des historiens contem- porains de Diu'an conlirmeiit l'exactitude de ses renseiî,'nemeiits. Ainsi, l'auteur anonyme (1) de /titos Aiilif/iios de la yucra /i'.s- paiia écrit, en parlant de Qucîtzalcidiuatl, que d c'était un iionune honnête et modéré, (jui mit en usage la j)éjiitence, le Jeûne, les niortilications. (l'est lui qui commença à prêcher la loi naturelle et i\ enseigner le jeûne par son exemple et ses paroles. 11 n'était pas marié, ne connut i)as de femmes, et vécut honnêtement et chastement. On dit qu'il fut le premier à sacrilier le sang (|u'il se tirait des oreilles et de la langue, non p(jur servir le démon, mais par pénitence ». Las Casas (i) avait d(''jà parlé de QuetzalcohuatI << comme d'un hornme l)lan(% à harhe touffue, qui interdit les sacrifices humains, enseigna la vertu, et aimonça en s'en retournant (jue ses frères, blancs et harhus, viendraient un jour de l'est pour gouverner leMexique». Un moine chrétien n'aurait pas autrement agi, et il n'est pas impossible qu'un moine chrétien soit en effet arrivé jusque dans lAmérique centrale, et y ait prêché le Christianisme.

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(!) PiuEUR DR Santa Maria de i.a ('oncki-tion de Teozocan, Hitos anti- t/Hos, sacrificios é idolatrias de los Indios de la Ntieva Espana (Kiiigsbo- rough, t. IX, p. 9).

(2) I^AS Casas, Apologetica historia, % 122 du tome V de la flistoria de ias Indiaa. Cf. IxrLiLXOCiiiri., Histoire des Chichiméques (coUeclion Ternaux-Gonipiuis), t. I, p. 5-G.

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(Juc'l <''t;iil ic iiiuiiK', et à (lucllc ('idwiiic a-t-il ('ssay('' de coii- vcrfir les Aiiu'ricaitis, c'est ici (|U(' iinfi'c iiifiriiiciix rompalriot»' nmis parait trop ariiriiiatif'. Ilicii ne pruiiNc en ('(l'ct (pic (Jucf- /alcnliiiall ait ctc Irlandais, cl mi cniiiiait si mal la date de sa prfMlicatinii (pic certains (''riidits ont crn rcironvcr en Ini un IMM'nicicii nu lin .Inif. Nous pensons, pour notre part, cpic ce lut lin clin'ticn, et (pi'il vivait à une (''po(pic relativement mo- derne. liC l'i'i'c Diiran raconte, en elVet. ipie nnet/alc<diiiatl, en passant par Aciiitnco, avait laissé aux Indiens un ^mmikI livre dont (pie!(pies lettres avaient jusipi'à (piatre d(»ints de liautenr. sans doute ipichpie manuscrit orm'' de majuscules enlnmiiH'es comme on composaient an inoyen-;\^e justement les moines de Saint-Ciolomlta. Le Pi're Diiran aurait l»ien voulu se procurer ce manuscrit, mais les Indiens venaient de le brûler (I). << J'en fus peiiK', ajoutc-t-il, et je blâmai Tort ceux ipii l'avaient fait brûler ; peut-être nous aurait-il donne'' satisfaction sur un fait dont je nie doutais : (pie ce pouvait être le Saint Evanj^^ile en Ian}J:ue InMiraïque ». Si donc ce pivcieux manuscrit avait éti' conserv('' jiisipi'au seizième si(''cle, c'est sans doute (pie les Indiens ne l'avaient en leur possession (pie depuis peu. Ils avaient é^^aleinont conserve'', ou prt'teiidaieiit avoir conservé la crosse é|)iscopalc, la mitre et les sandales des disciples de Quetzalcoliuatl. Ils les donnèrent à Cortès, (ju'ils prenaient pour son descendant. << Un de nos soldats portiiit un casque à demi doré, lisons-nous dans les }fi''ino'nrs de Hernal Uiaz (:2) ; Tedintle ((;aci(|ue de Cotastlan) vit le cas([ue et dit qu'il res- semblait à d'autres qui sont en leur pouvoir et que leurs an- cijtres leur avaient transmis comme un monument des races dont ils étaient descendus. Ils en ornaient la tête de leur di- vinité Huicbilobos, idole de la f^uerre. Leur seigneur Monte-

(1) DuRAX, partie, § I.

(i) Behxal Uiaz, Conquête de la Xouvclle Ei^pugne (traduction Jourdanct), p. 87-88. - - Cl". Sahagc.n, Histoire des choses de la Nouvelle Espagw Ôrad. Jourdanct), p. 799-800.

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zuniu serait n'rtaiiieiiu'iit lieuroiix di* le voir... Kn le voyant, Montezuina fut saisi (i'admiratidn et (■••nciit une î^i-aiide joie. Lorsque il compara le (-asciue avec celui (|ui coill'ait sou Hui- cliilithos, il eut la certitude que nous ap|»arteni(»iis à la race de ces lioinnies, dont l<'urs aïeux avaient dit (|u*ils viendraient commander dans ces contrées ».

Ces ressemblances peuvent nVtro (|u'acci(lentelles, et il serai! prescpu^ puéril de cducliu'e à rindentitication de (Juetzalcoliualt et d'un Papa Islandais parceque (jnelques ornements s'étaient conservés au Mexiqu(; qui rap|»elaient les ttrnements sacrés des prêtres chrétiens : ce (|ui est beaucoup plus sijïuilicatif, c'est la |)erpétuité de certaines coutumes, de certains rites, au\(piels il est difficile de ne |>as attribuer une orifiine clirétieime, et dont les introducteiu's, d"a[)rès une constante tradition, furent des étranf.'ers venus de l'est. .\ Palencpié, chez les T/endales, deux prêtres |)ontiiient devant une croix , dont l'orifrine chrétienne est indiquée par le poisson, placé à la base. On sait en elfet que le mot (irec î/Oj; est l'anagranmi'" des noms et (pialités du (christ (1). Non loin de là, sur un linteau de porte, à la villa Lorillard, deux persoimafies debi>ut se [trésentenl nmluellement une croix. N'est-il pas évident (|ue ces prêtres infidèles sont des adorateurs de l'endiléme du christianisme, la seule religion la croix soit l'objet d'un culte et non |ias une anudette, ou un ornement banal? Aussi bien ce (pion retrouve en Amérique ce n'est pas seidement la croix formée par l'entre- croisement de deux liffues droiti's, symbole (pie l'on signale dans bien des religions, mais la croix avec un personnage crucifié, symbole ipii n'appartient (pi'au christianisme. Las Casas rup- |)orte qu'une croix haute de dix palmes, emiroii "i mètres TiO centimètres, faite d-^ ciment et de pierre se trouvait dans un temple très fré(pienté de l'île le (^>zumel ["1). Un des compagnons

(1 ) MoRTii.i.KT, Le siV/Hf t/a la Croix nrnnt le Christianisme:. (2; Las Casas, Hisforia do las Inr/itr^, t. v. ,? 433.

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CHAI'. M.

TRACKS ItK LA l'HKSK.VCK l»KS KlMUl'KlvNS.

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voviint, (le joie. i>ii llui-

race de udra'u'iif

il serait llcoliuiilt s'étuiciit icrés cU's ', c'est la A(iuels il , et dont irent des leiidales, r(»nt.'ine , On sait es noms liteau .le résenlent s prêtres isiiie, la pas une retrouve [■(Mitni- ale dans cnu'itié, isas rap- iiètrcs 50 dans un pafinons

«le (iitrtes, André de Tapia , dit (preiie avait la taille d"un iionnne^l). tlette criiiv l'ut plus lard tnuisportee à Mérida ,.ins le couvent des Franciscains. «< Au inilieii de la cour l"Mrmée par le cloître de notre couvent de la ville de Mérida, écrit en lt»S8 riiistoirieii du Yucatan, Cof^'olludo {"l), est une eroiv de [)ierre «reiiviroii une verjre de Iiauteiir, et dttnt cliacini des quatre côtés est dun sixième de verge. On a dit i|u'elle a été brisée dans le sens longitudinal et ({u'il en inainpie un morceau. La figure d'un saint crucifix, (renviroii une demi-verge de hauteur, est en deini-relief sur la UK'ine pierre ». Après la destruction de ce couvent, la croix fut retirée ilu miiiiMi des ruines |)ar un inoine (|ui rapporta le fait au voyageur Stepliens (3). Ce dernier fixa aussitôt cette vénérable reli«|ue dans le mur du premier autel de gauche dans l'Eglise de la Mcjorada. C'est une pierre d'aspect antique sur la(|uelle est attaché, pieds et mains cloués, un christ de ciment, en demi-relief.

Aussi bien le Christ de Mérida n'est pas le seul dont on ait constaté l'existence avant la conquête espagnole. D' ,)rès Pierre Martyr les premiers Européens qui débarquèrent au Yucatan N irent beaucoup de croix (i). Us demandèrent aux indigènes d'où leur venaient ces croix, et on leur répondit qu'ils vénéraient cet instrument parce qu'un homme y était mort autrefois, plus brilliuit «|ue le soleil. Le Père Uuran (5) raconte qu'un Espagnol

(1) lCA/itAi.<;ETA, Documentoa pnra la historia de Mexico (1861), p. 555 : « Uiia eriiz tic cal de altor de cstado y iiiedio ».

(2) Cocni.LL'DO, Histoire du Yucatan, p. 201. " Tinnes ucado de mcdio rclieve cil la inisina pieiira iiiia figura de un santo rrucilijo, cnniu de média vaia de lai'i^o ».

(!lj Stki'IIk.ns, htcidentx of travel in Yiuathdn (1843, p. .'HS « Il is ol' stoiie, lias a veneiahle appearancc of antiquity, and lias extcndcd on it in lialf relief an iinajçe nf the Saviour, inade of plastes, willi tlie liands and fcet nailcd ».

(l PiKiinE Mahtvh, De. orbe noio, Dec. iv, f. 290 (édit. 1587). « Cruccs viderunl. Lnde id liabcant interrogali per interprètes dicuntobiissc lucidinrcm sole lioniineni quemdam in co opiflcio ».

(5) 1)1 HAN, Historia de las Indias de Nueva Espana (Edition Kingsbo-

VM\ l'HEMiKiu: i'ahtik. li;s l'iiKcrusEins i>i: (.olomii.

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|iassaiit par la Za|)otc'<|(i(.> découvrit dans un ravin un <-rucili\ taille"'. A Topif, dans r«''tat de Talisco, un rruc.ilix était sculpti"' sur une par(»i de rucher. Torqueuiada parle d'un vieux manuscrit, écrit sur deux colonnes, conservé chez les Utouiis, et t'tiiit i'e|)résenté le (Uirist crucifié. Il parait mênie (|u'on a tn»uvé à Palen<iué un moule à faire ces crucifix de terre cuite i, l), eu forme de T, c<»uune il y eu avait eu Hurope au moyeu âge, uo- tauuuent dans les pays (iaëlitpies. Enfin voici comuKuit Sahagun, témoin bien digne de foi, puisqu'il i\o parle (|ue de ce qu'il a vu, et c'est à son grand regret et pour ainsi dire malgré lui (|u"il constate dos resseud)lances qui le désolent, parce qu'il y voit l'rt'uvre du démon, voici comment il décrit de vieilles peintures sur peau de cerf trouvées en 1570 à Oajaca par des religieux qu'il n'hésite pas à qualifier de « dignes de foi d (^). Ces pein- tures représentaient trois femmes : « Deux se tenaient ensemhie et la troisième se détachait en avant en soutenant une croix en bois, attuchée au n(eud de ses cheveux. Devant elle un honnue nu était étendu sur une c"oix, à laquelle ses mains et ses pieds étaient attachés avec des cordes. Gela me paraît se rapporter à la Sainte Vierge et à ses deux sœurs ainsi qu'à notre Seigneur crucifié. Cela ne |)ouvait être coimu (jue par luie prédication ancienne ».

Sahagun n'était pas éloigné d'attribuer à une intervention diabolique ces étranges coïncidences. Peut-être n'est-il pas besoin de recourir à Satan pour trouver une explication plausible. N'est-il pas en effet très probable qu'une prédication chrétienne a eu lieu, à une époque «pi'il est difficile de préciser, mais que, les premiers missionnaires n'ayant pas été renouvelés, leur

rougi), viK, 266). u Quu el liabito visto un crucilîgu entnllado en una pcna en inia quebrada ».

(t) Be.vi'vois, Migrations d'Europe en Amérique au moyen-Age. Les Gai'Is.

1,2) S.\ii.\ou>!, Histoire dea Jioses de la Souvelle Espagne, Iraduclioii Jourdanet, p. 791 .

CIIAI'. XI.

TRACKS DE LA l'HESK.NCK DES EIROI'EE.NS,

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«•nscifîiu'incnt s'est peu à pcti iiioilifié, dôlifrun'' iiièiiu'? De \h co fornl f'hréticii ot ces formes païennes, de ces croyances <;t ees cén'Mnonies qui setnitlent caUpiées sur les n»Hres, niais(|u'oii est ohlijïé de dégager des superstitions locales et des rites parti- culiers (|ui les obscurcissent. Le plus singulier c'est (|ue, d'après toutes les traditions indigènes, ces croyances et ces rites étaient d'origine étrangère. « Les disciples de ce saint lionmie ( QnetzalcohuatI ) , écrit le père Dnran , allaient revêtus de longues rohes descendant jus(pi"au\ pieds (1). H avaient sur la. tétc des coiffures eu étoffe (»u bonnets, cpie les Indiens cher- chaient à représenter en peignant des tocpies... Ce vieil Indien m'enseigna en outre que toutes les cérémonies, les rite*?, rédificati(»n des temples et des autels, avec les images qu'on y plaçait, le jeûne, la coutume d'aller pieds nus, de coucher sm* la dure, de monter sur les hauteurs p<»ur y prêcher îa ft»i, de baiser la terre, de jouer de la trompette, de la conque, de la flùte dans les solennités, que tout cela se faisait ponr imiter le saint honune ».

Il ne faudrait certes pas toml)er dans l'excès des premiers missionnaires, qui acceptèrent aveuglément, cttnime articles de foi, tout ce que voulurent bien leur faire croire des néophytes,- empressés d'établir des rapports entre eux et leurs conquérants. Ainsi ne serait- il [)as fort étrange de retrouver dans les hiéroglyphes mexicains l'histoire de la conception d'un être céleste dans le sein d'une vierge (2), ou celle de la passion et du crucifiement de Jésus, ou bien encore a-t-on le droit de s'ima- giner (pie Mexico fut fondée par le Messie, parc»; que ce fut un certain Mersi ouMexi cpii conduisit les Azté((ues sur le plateau de l'Anabuac (3)? Mais voici des analogies trop évidentes pour être dues au seul hasard : les Mexicains admettaient un baptême

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(!) DuRAX, ouvrage cité. Voir plus haut.

(2) ToRQUEMADA, MoTian/uia Indiana, t. III, p. 1f)2.

(3) Ki.Nosnonoir.n, (tuv. cité, t. VI, p. 186. Vkitia Linagr, .Vor/e de la Vontractacion de las Indim Occidentales, 1, 16, 18.

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qui cfTarait le poclu'origincl (1). Us rroyaicnt à la confession (2) ef sru'pialenu'nt à la «•onfcssion avant le niaria},'(' {'.\). Ils prati- «|uaient la couiinunion (i). Ils se servaient d'eau hénite (.'i). Ils se livraient, par esprit de pénitence, à d«' cruelles macéra- tions (G) Ils avaient des monastères d'Iionnnes et de femmes,

(I) Sahacun, (Trad. Joiinlanel), p. iSr). « Cela étant «lit, raccoiirlicusw donnait à rcnfant de l'eau à goûter, en lui portant ses doi(;ts mouillés à la bouche, avec ces paroles : « Prends et reçois, voilà ce <pii doit te faire vivre sur la terre pour que lu croisses et te fortilîes. C'est par elle «pie nous pos- sédons les choses nécessaires à la vie sur la terre ; reçois la...». Apn-s cela elle lui touchait les seins avec les doigts trompés dans l'eau, en disant : « V«)ilà l'eau céleste, voilà l'eau très pure <|ui lave et nettoie notre c«pur et «pii cnh'vc toute souillure ; reçois-la. Qu'elle daigne purifier et blanchir ton cœur ». Elle lui jetait ensuite de l'eau sur la télé en prononçant ces paroles : « O mon petit-fils, reçois et prends l'eau du Seigneur du monde, qui «;st notre vie, afin que notre corps croisse et se fortifie. Elle est destinée à laver et à nettoyer. Je prie qu'elle entre en ton corjis et qu'elle y vive, cette eau céleste et azuri'^e d'un bleu clair Je supplie «prcUe détruise et écarte de toi tout le mal qui t'est contraire, et qui te fut donné avant le commencement du inonde ».

^2) 1d.. Id., p. :i39. « De la confession auriculaire «lonl ces indi- gents faisaient usage une fois dans leur vie, au temps de leur infidélité ». lu., p. 23 et suiv. Sahagun fait inéinc ce curieux aveu : << c'est pour cette raison que maintenant, au tein|is du christianisme, ils mettent le même zèle à vouloir se confesser et faire pénitence pour les péchés graves et publics, coiiime l'homicide, l'adultère, etc., se rappelant «pi'autiefois ces crimes leur étaient pardonnes par la justice des hommes, dès lors qu'ils s'en étaient confess«''s cl en avaient fait pénitence ». Cf. Acosta Histoire naturelle de^ Inrlex (Tra- duction Hegiiault, p. 2u3», liv. v, S xxv.

(.'{) Hehrf.ra, Dec. iv, liv. x, p. 11.

(4) Sahacin, ouv. cité, p. 204. « On mettait en morceaux le corps de Uitzi- lopochtli, d'autant plus aisément qu'il était fait de graines de blettes; le cirur en était séparé pour être offert au seigneur ou roi, et tout le corps et les mor- ceaux qui en provenaient, assimilés à la propre substance du Dieu, étaient répartis, par portions égales, entre les natifs de Mexico et ceux de TIatclolio >•. Acosta, (Traduction Rcgnault, p. 258) : tout le chapitre xxiv du livre v, intitulé : « De la façon que li; diable s'est efforcé de contrefaire au Mexique la feste du Saint-Sacrement, et communion dont use la sainte Eglise ».

(■j) Mendikta, Historin cclesiastica Indiana, 11, 1!), p. 109.

(6) Sahacun, ouv. cité, p. 184. » Les Mexicains n;pandaient le sang comme un acte de dévotion, en des jours cons.icré.? pour cela. Ils procédaient de la manière suivante : s'ils voulaient se saigner la langue, ils se la traversaient avec la pointe d'un petit couteau, et ils faisaient ensuite passer par le trou dtN

i:iiAi'. XI. THACKS m: i,a I'KEsknck hks imhoi'KENs.

V.V.i

et li's n'Ii^icux d»' ces intinasU'ivs gardaioiit un célibat pcr- |M'tuel ^1). Leurs [inHrcs portaient un ntstunie qui rappelait relui des pnHres chrétiens, prineipalenient l'elui des moines de Saint Coloiulta, reconnaissaliles à leurs cheveux rasés sur le fn»nt et rejetés en arrière (:2l. Qnehpies-unes de leurs prières semblaient calcpiées sur les prières du rituel chrétien, et plus d'un de nos moralistes n'aurait qu'à reproduire les admi- rables leçons recueillies par Saluif^un.

< Ml sait (pie Sahafîun avait appris les iaiifruesdu pays. Il causait 4-lia(|ue jour avec les indigènes et leur adressait des ipiestions auxquelles ils répondaient par écrit, ou du moins par ce (pii leur servait d'écriture, c'est-à-dire par des [u'intures hiérogly- phiques. 11 soumettait abtrs ces peintures à d'autres indiprènes élevés sous ses yeux au collèpe «le Santa Cruz , et leur demandait une version de ces hiérofilyphes en lanjfuc mexicaine , puis en «lonnait une traduction espa}.'noIe. (iette traduction présente donc toutes les garanties d'exac- titude et de sincérité. (JrAce à Sahagun. nous connaissons les prières et les discours des Mexicains dans les circonstances les plus criticpies ou simplement les plus respectables de la vie publique et privée, par exemple lorscpie les enfants du souve- rain arrivaient i'i l'Age de raison (.'l). lors(|ue le souverain s'adressait pour la première fois à son peuple (-4), et «ju'un vit'illard lui répondait (ij), lorsque le |>ère (0) et la mère

pailles de {graminées, dont le nombre était en rapport avec le ilejçré de dé- votion de chacun... ils se saij^naient également li-s liras et les jambes... Ils se faisaient des coupures aux oreilles, cf, aver le sanj; qui en découlait, se traçaient des raies rougeàtrcs sur la figure ». Acost.v, ouv. cité. j. 237, 238.

(1) AcosTA, ouv. cité, § xv et xvi et livre V. Saliagun, id., p. 2i6.

(2) AcosTA, Id., p. 236. « Ils portoient une couronne en la teste comme les l'rércs de par deçà, les cheveux un peu plus longs qui leur tomboycnt jusqucs à moitié de l'oreille, excepté que, au derrière de la teste, ils les laissoient croistrc quatre doigts de large qui leur dcsrendoient sur les cspaulcs ».

(3) Sahagun, ouv. cité, p. 380.

(4) Id., p. 365. f5) Id., p. 3j8. (61 Id., p. 385.

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indiquaient ù ioui* tillo nuliiic la conduite à tenir. 1). I^e sixième livre qui contient tous ces disciturs est empreint de la morale la plus pure, et nous rép<>tons volontiers la plus chrétienne. Il démontre jusqu'à l'évidence que les >le.\icains, soit par eux- niénies, soit à la suite de prédications étrangères, s'étaient élevés jusqu'aux conceptions (|ui ont h* plus honoré l'esprit humain aux époijues les plus niémorahles des civilis.itions an- térieures. II nous inspire en m'hne temps une synqiathie réelle pour ces indigènes qui t»nt été punis des crimes d«' leurs princes par une oppression systématique et par la perte de leur natio- nalité.

lies missionnaires catholiques du .xvi'* siècle, épouvanti's par ces ressemblances, les attribuaient à Satan, d'autant plus (|ue les ahominatioim païennes se mêlaient aux observances les plus orthodoxes {"1). Acosta consacre tout le cinquième livre de son Hisloirc naiurelle des Indes à démontrer «< (pie le Diable s'est elTorcé de s'esgaller à Dieu, et d>' luy ressend)ler aux façons de sacrifices, religion et sacramens ». A la fin du xvii* siècle, Antonio de Solis (3) croyait encore à la puissance démoniaque qui travestissait les traditions juives et les rites chrétiens pour mieux entraîner à leur perte les tribus améri- caines. N'est-il pas plus raisonnable de croire à l'intervention de quelque peuple chrétien. Irlandais ou Northmans, ({ui, forcés de rompre leurs relations avec la métropole, se sont étendus vers le Sud, attii^és à la fois par la douceur du climat et par la nécessité ? Trop peu nombreux pour imposer leurs croyances, ou bien encore trop peu éclairés pour les <-onserver dans toute leur pureté, ils les auront sans doute adaptées aux cérémonies et aux cultes qu'ils trouvèrent en usage. On ne sait pas au juste à quelle époque ni qui donna aux Américains les

(1) Sahagun, id., p. 390.

(2) Acosta, ouv. cité, p. 209-273.

(fi) Antonio de Solis, Conquête du Mexique, traduction de Tlioulza, t. I, . 132.

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CHAI'. Xl, THACKS llK LA l'HKSKNCK KKS KCHOI'KK.NS.

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prcniu'i'cs notions du iliristianisinc. niiiis assurrnicnt il se trouva un peuple, ou tout nu moins ipielipies iiunnues cpii, avant Colouih, avaient enseij^né notre reli^'ion aux Américains. Saint François Xavier parcourut les Indes en c(»nverlissant les peuples sur son passa^re ; il passa de au Japon, et mourut en (Iliine an moment il allait continuer les iriiracles de sa prédication, [^e clirislianisnu; ne lui a pas survécu dans ces contrées ; mais si, aujourd'hui, on reiic<»ntre encctre chez cer- tains de ces peuples orientaux des traces évidentes de chris- tianisme, nous devons les attrihuer au saint Jésuite. iJe môme firent en Américpie les chrétiens anonymes (|ui déposèrent dans ces vastes contrées des ftermes féconds, plus tard développés : les néophytes, privés de leur enseiffuement. perdirent peu à peu le souvenir de ce (|u'on leur avait appris et confondirent leurs croyances nouvelles avec la religion précédenunent étahlie. Ue la sorte s'explicjuent les singulières analogies ipie nous avons constatées.

Lu meilleure preuve du hien fondé de cette théorie c'est cpie les traces du (christianisme ont été les plus évidentes et les plus persistantes justement dans la région les Northmans se sont étahlis, c'est-à-dire dans le nord actuel des Ktats-Unis et dans les provinces du Dominion haignées par r.Vtlanticpie. Il est même assez curieux de rechercher à travers les relations des voyageurs, et de siècle en siècle, les preuves de cette prédi- cation antérieure aux explorations du xvi" siècle.

Ainsi nous lisiins dans le voyage de Jacques Cartier (I): « I^ xxnii du mois (juillet I5IU) lismes faire une croix haute de trente pieds, et fut faite en la présence de plusieurs d'iceux en la pointe de l'entrée de ce port.. . et après la plantasmes en leur présence sur la dite pointe, et la regardoyent fort, tant lorsqu'on la faisait (pie quand on la plantait. Et l'ayant levée en

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^') Discours du voi/age fuit par le aipilaine Jmqms Cartier en lu terre nettfve de Canada (Edition .Micliclmit cl Ititiiié, p. 55).

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liant, iiniis nous agenouillions tous aviint les mains jointes, Tadorant à leur veiU>, l't U'Air faisions sijjno regardant et montrant le ciel, (|ue d'icelle dépendoit nostre rédemption ; de la(|uell<! eh(»se ils s'émerveillèrent beaucoup, se tournant entre eux, puis regardant cette croix. Mais estanz retourné en nos navires, leur capitaine vint avt'c une barque à nous, vestu d'une vieille peau d'ours noir, avec ses trois (ils et un sien frère, lesipiels ne s'approchèrent si près du hord comme ils avoyent aecoustumé et y fit une longue harangue montrant ceste croix, et faisant le signe d'icelle avec deux doigts. Puis il monstroit toute la terre des environs, comme si il eut voulu dire (pi'elle estoit toute à luy, et (jue nous n'y devi(jns planter ceste croix sans son congé ». Nous pensons que le Canadien cherchait plutôt à indiquer <pi'il y avait d'autres croix, déjà érigées, dans toute la contrée. S'il l'avait réellement C(tnsidérée comme un signe de prise de possession, il se serait opposé à son érectiftn, ou l'aurait renver- sée après le départ des Français. Or, non seulement il n'en fit rien, mais encore, d'après une res|)ectal)le tradition, cette croix était encore debout lors du vijyage de CJiamplain, près d'un siècle plus tard (1) : « Kn l'un de ces [)'»rts (de la baie de Kundy), lisons-nous dans la relation de 1(107, treuvasmes une croix qui «'stoit fort vieille, toute couverte «le mousse et presque toutt; pourrie, qui monstroit un signe évident qu'autrefois il y avoit esté des chrestiens ». Que cette croix revue par (^diamplain ait été ou non érigée par Cartier, le détail n'est curieux qu'au point de vue archéologique. Ce (pi'il importe davantage de c<»nstater, c'est que les habitants de la région avaient des habitudes chré- tiennes, qui ne trouvent leur explication (jue si on admet une prédication antérieure. Voici par exemph; comment un des compagnons de Ghamplain, Lescarhot, parle des indigènes entre le cap Breton et Malebarre (2) ; et son témoignage est d'au-

(i) Voyage de Champlain, édition Laverdière, l. III, p. 135.

(■1) Lescaiibot, Histoire de la Nouvtlie France, (édition Tross, p. 666-667).

niAP. XI. THAI.KS ItK LA l'UKSK.NCK IH;S KlHol'KRNS.

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tant |>liis iiii|)urtaiit i|iril iic rroit pas à cctti» pivclication <|ii (Ihristiaiiisiiii' et ne s'apcn-nit pas i|iril fournit ainsi des arji^u- iiH'iits ('(tiitiv liii-iiiènu*. I^('s<'arl)ut al'lirrnt' cpi'il serait facile (le (•(►rivcilir ces indigènes, « et de ceci, uj<»ute-t-il, j'ai dos téiNMi^iiaffes rcrtains, pour ce (pie je les ai n'coiiniis tons disposés à cela par la coiiinmnication (pi'ils avoicnt avec lions ; et il y on a qui sont chrétiens de volonté et on font les actions telles qu'ils peuvent, eiic<»re rpi'ils ik^ soient haptisés; entre lesquels j»* iioiiinierai (îhkoudun capitaine (alias Sa;;ainos) do la rivière S. Jean, le(piel ne iiian^çe point un morceau qu'il ne love les yeux au ciel et no fasse le signe de la croix, pour ce qu'il nous a vu faire ainsi ; même à nos prières ils se mettent à genoux comme nous : et |)our ce cpi'il a vu une grande croix plantée près de notre fort, il en a fait autant chez lui et en toutes ses cahanos ; et en porte une devant sa poitrine, disant qu'il n'est plus sauvage, et reconnaît hien (pi'ils s<»nt hostos (ainsi dit-il on son langage) mais qu'il est comme nous désirant ostro instruit. Co que je dis do celui-là, je le puis al'lirmer presque de tous les autres ».

(le n'était pas seulcinont le Sagainos de la Rivière Saint .loan qui désirait ainsi rossomhlor aux Européens. Tous les indigènes de la région, Ahonakis, Souriquois, Ktchomins, etc., étidont à demi européanisés avant l'arrivée des explorateurs du x vr siècle. Kntro eux et les Français les alliances furent plus faciles et plus fré(|uentos qu'avec toute autre peuplade indienne. On eût dit qu'il existait entre eux une bonne intelligence qui tenait à des affinités d'origine ou à toute autre cause liistorique. Go fut également chez eux que persista le culte do la croix, déjà signalé par les premiers arrivants. Voici ce qu'écrivait en 1035 le Père Julien Perrault, missionnaire à Cap Breton (1) : « Ils font très volontiers le signe de la croix, comme Ils nous voient faire,

(I) P. PEHnALLT, Relation de quel(/ues particularités du lieu et des ha- Intants de Cap-Breton la suite de la Kelatioa liistorique de ce qui s'est passé en la Nouvelle France en l'année 163,"> par le père Lejeune).

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levant les veux au ciel, prointiiiaiit Jésus Maria ((inunc nnus, Jus(|U(>-là (|u'ayaiit r('nian|U('> riioiuicur (|iic nous rciidinns à la croiv, les pauvres ^eus se la |>ei}.'neut au visage et à resloiriac, aux liras et aux jarnhes sans eu Olre priés. Je veux Itieu (jii'ils fasseut tout <'ela eu ces couuueiU'ouienls par siui|>li(ité naturelle, tpii les [Ktrte à imiter tout ce (|u'ils voi(>iit ». Au niénu> luouieiit, en HVM't, Saganl Tlieodat, l'auteur d'une ciu'ieuse histoire du (.anada, retrouvait avec étonnement chez les Montagnais l'histoire du dêlufïe (1), et le dogme de la Trinité ["l). Il constatait encore la croyance à la Vierge, et il concluait en ces termes (II) : «« Voilà des sentiments et des [lensées qui ne sont pas trop éloignés de la vérité de la chose pour des sauvages cpii n'ont Jamais été instruits, car il lu; se lit |ioint (piejanuiis lesaoùtres, leurs disciples, ni aucun religieux avant noiis aient passé »n ces pays-là pour leur prêcher la parole de Uieu, ni autrement ».

Un autre missionnaire, le Père Leclerc(|, ipii arriva au Canada le 11 octohre KiTa, et y resta douze ans, dont huit passés à la mission de la rivière de Miramichi, était heaucoup plus aflir- mutif (|ue Lescarhot, que Perrault ou (|ue Sagard. Dans sa curieuse description de la Gaspésie (-4), il n'hésite pas à affirmer « que le culte ancien et l'usage religieux de la Croix (|u'on admire encore aujourd'hui parmi les sauvages de la rivière d»' Miramichi, que nous avons honorée du titre auguste de la Rivière de Sainte Croix, pourrait hien nous persuader en quelque fîcon que ces peuples ont reçu autrefois la connais- sance de 1 Evangile et du christianisme, qui s'est enfin perdu par la négligence et le lihertinage de leurs ancêtres ». Et de fait il cite à l'appui de son dire de nomhreux usages qui sem-

(1) Saoahd TiiEODAT, Histoïre (iu Canada, p. 507.

(2) iD., p. 504.

(3) Id., p. 506.

(4) Père Leci.ercq, Nouvelle relation île la Gaspésie qui contient les mœurs et la religion des sauvages Gaspésiens, Porte-Croix, adorateurs du Soleil et iFautres peuples de l'Amérique Septentrionale dite Canada (1691). p. 40-41.

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Iilt'iit tlt'iiiMiitrcr (|iii' le culte «le la ('.i'oi\ riait ciic/ ti»iis (•«•«» saiivaf^cs tic Iniditioti aïK-iciini* <>t coiistaiili'. Il est inOiiic allé au (levant des nliJectiiMis (|uaii(l il a e\|ili(|iié les iiiotifs tie son insistance à parler <lii calte de la ()roi\ en (lasiiésie. « (lonune j'estime, dit-il, (|ue c<'tte renian|ne est une des pins cunsidé- rablus de ma relatrim, J'ai cru (pi'après la perquisition très •'vacte (pie j'en ai faite, p'eiidaiit les douze anix'es de mission (pie j'ai demeuiv parmi ces peuples, je d(>vais satisfaire au (l(''sir et à la pri(''re de |)lusieurs |>ersoniies (pii m'ont conjuir de mettre au j(n . tte histoire, aiin de faire connaître au public l'origine du culte de la Croix chez ces infidèles, son interruption et son nHaldisseinent (1) ».

Voici les principaux points de son ar};umeiitati(»n : nous l(!S citons à cause de l'inténU (pi'ils pn'sentent, et aussi à cause de la rareté de l'ouvrafre : « J'ai trouvé auprès de certains sau- va^res (pie n<»us appelons P(»rte Croix, une matière suffisante pour nous faire conjecturer et croire même ipie ces piniples n'ont pas eu l'oreille fermée à la voix des ap«'»tres, dont le son a retenti par toute la terre, puis(prils ont parmi .-ux, tout infi- dèles (pi'ils soient, la croix en f.'rande vénération, (pi'ils la portent fifîurée sur leurs habits et sur leur chair, qu'ils la tiennent à la main dans tous leurs voyages soit par mer, s(»it par terre, et qu'en(in ils la posent, au dehors et au dedans de leurs cabanes, comme la marque d'Iionneur (pii les distingue des autres peuples du Canada {"1) ». Ce sentiment était si bien enraciné dans leur esprit qu'un jour, aux objections du père Leclercq qui lui représentait qu'il fallait choisir entre la croix et le concubinage, un chef sauvage répondit qu'il abandonnerait femmes et enfants « plut(jt que de quitter la croix que j'ai reçue de mes ancêtres, en titre d'héritage et par droit d'aînesse, et je la veux conserver toujours précieusement comme la marque

(1) Péhe Leclercq, ouv. cité, p. 170. (S) Id., ouv. cité, p. 169.

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(l'Iioiiiioii' (|iii (listirif^Mic le s<'iiiva|.'(> de Miniiiiiclii de tuiitcs li>s aiifrcs nations lie lu Nniivcllc-Fraiirc » (11. l'ii jniir (ju'il iiilcr- ntjrcaif SCS ouailles sur l'ori^'iiic lio ce culte, les saiiva^'cs i'é|ioii<lii'eiit au l'ère Leclerc(|(|ue leurs anc(Mres étaient «lécimés par une épitléuiie, |ors(|Uf un vieillard vit en son^;e un heau Jeune linnnue i|ni lui conseilla, s'il voulait guérir, de prendre la croi .1 Conmie les sauva[.'es sont crédules aux son^!;es jusipi'à la supei'stilion, ils ne né^;lip'rent pas c(diii-ci dans leur (>xtrenie nécessité ... Ils (irent luie assenihlée jiénérale de tout ce qih restait d'une nation mourante, et tous (>nsendde condin'ent d'un connnun accord (pu; l'on rec(^vi'ait avec lioinutur le sacré si^:rie de la cr<*i\, (ju'on letu' présentait du ciel pour être la lin de leur misère et lo coinnuMicement de leur bonheur. « Connue il arriva en elVet, puiscpie la maladie cessa et que tous les aftliiiés ipii [tortèreiit l'espectueusemenl la croix furent },Miéris miracultMi- sement (12). Après donc la résolution prise dans le conseil (ii) pas im sauvajre n'eût osé paraître devant les autres, sans av(jirensa main, sur sa cliaii- ou sur ses liahits le sacré si^nede leur saint en sorte «pie s'il était (piestion de décider (piel(|ue chose de conséipience touchant la nation, soit pour conclure la paix nu iléclarei' la mn-rre contre les eiuu'mis de la patrie, le chel" con- vo<piait tous les anciens, (pii se rendaient |)oncluellement au lieu du conseil, où, étant asseuddés, ils élevaient un(^ croix de neul' .1 di\ pieds ; ils faisaient un cercle et prenaient leur place, avec chacun leur croiv à la main, laissant celle du conseil au milieu de l'assemhléc» ... S'a^^issait-il d'envoyer une andtassade, le cacicpie remettait avec solennité mw croix précieuse au l'e- préseutant de lu nation, et ce dernier la rendait, <piand il avait Uni sa mission (i). « ICnlin ils n'(>ntreprenaient rien sans la la croix ; le <hef la portait lui-même à la main, en forme s'e

(1) \^P.HK Lv.a.f.iw), oiiv. cit«^, |). 210.

(2) II.., |). i72-n:i.

(3) II.., |>. nc-nv,

(•i) lu., p n8-17!l.

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CIIAP. XI. TIIACKS l»i; LA IMtKSKNCK DKS KrUOI'KF.NS.

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liàtoii, (>t il lu |)!.'i(;!iil (liiiis le Ijcii le plus lioiiui'alth' <l<- sii calxiiic (I) ". S'('iiiliar(|ii.\i('nl-ils dans leurs raïKils irrcunt', ils y nicttaiciit uuc rroix «le rlia(|U(' hout(:i). L'ii t'ulaut vcuaii-ilau uiandt', ses laiip-s cl sou Ix'i'ccau élaicuf aiissitùl uiai(|U(''S du sijiuc sa(iv(!l). Des rcuuucsi'faicut-cllcsciiccinlt's.cllfs li^uraicnt Icsi^Mii' de la ri'(ii\ stu' la CKUNt'rtunMiiii cacliail leur sciii(iK l^t's loudtt'aux t'fairMt urut-s dr cmiK (Ti), cl iim^uic dans leurs rer- encils ils étaient ensevelis avec des croix a dans la croyance (|ue cette croix leur l'era coiupa^zuie dans l'autre monde, et (pTils ne seraient |ias c(Uinus de leurs anct^fres, s'ils n'avaient avec eux la niar(|ue et l<' caractère lioiioralde qui distin^de les l'orte- (Iroix <le t(tus les autres sauvajics de la Nouvelle-France (<») i . Lors(|ue le père l.eclercii évauf^élisa ces (laspi'siens la plu- part de ces coutumes r>taient tondiées en ilésuétude ; mais il n'eut (pi'à parler pom- remettre eu lionneur le culte .le la Croix. Ktonné de. son succès, il voulut un Jour leur l'aire avouer (pie d'autres missioiniaires l'avaii'iit précédé. <. Ile ipioi ! me dit le chef (7), tu es patriarche, tu veux que nous croyions tout ce pie tu pro|»oses, et lu ne veux pas croire à ce (pie nous te dis(»ns; lu II as pas encore (piaraiite ans et il n'y en a (pie iU'ti\ cpie tu demeures clu'/ les sanva^^es. et tu Mrélemîs savoir nos Iradilions, nos maximes et nos coutumes mieux (pie n(»s anci'lres (pii nous les ont enseignées ! Ne vois-tu pas tous les Jouin (Jiiiondo, (pii a plus de six vin^'lans? Il a vu le premier navire (pii ail aliordé dans noire pa\s. Il t'a iw'pélé liien soiiV(=iit (pie les sausaj^cs de Mirainiclii ndnl pas reçu des étranj;ers l'iisa^'e de la croix et (pie ce (piil en sait lui-même il l'a appris par la tradition dest>s pères, (pii ont vécu pour le moins autant (pie lui. Tu |iou\ donc

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(Il I'kiii; l.i.c.i.Kiiiij, iMiv, cilc, |i. IHd.

i2l In., p ISI.

et) II)., |i IKt.

(4) l!).. |i. 182.

(."il l!t., |i. IS.'i.

(li h. , |i. I ST.

0) li> , |i. 21-272.

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iiS PRKMIKRK P.VUTIK. LKS 1'HK(UHSKI:KS DE COLOMB.

iiilV'iH'r (jiie nous l'avons rt'cuc avant quo les Français vinssent à nos côtes ».

Comme Cartier arriva au («mada en l.'ilM et (|ue le père Leelenj éerivait en 1077, il est peu prohahie (jue ee Quiondo, i\w aurait été iV^o de li3 ans, ait vu les Français débarquer; UHiis les (^.anadiens étaient unanimes à aftlruier (pi'ils connais- saient la croiv de temps immémorial, et le père Leclenj lie pouvait s'empêcher de reconnaître (pie sa prédication n'aurait pas suffi à expli(|ucr cette prodigieuse expansion du culte de la croix. D'ailleurs il n'avait ([u'ù jeter les yeux autour de lui, et I)artout il voyait dressées devant lui des croix dont il n'avait jamais ordonné l'érection : « Les lieux de pêche ou de chasse les plus considérables, écrivait-il, sont distingués par les croix qu'ils y plantent, et on est agréablement surpris, en voyageant dans leur pays, de rencontrer de temps en temps des croix sur le bord des rivières, à doubles et à trois croisées, comme celles des patriarches (1) ».

On a accusé le père Leclerq d'avoir poussé la crédulité jusqu'à ses dernières limites. Un de ses collègues, le père Lafitau, a même prétendu que sa Relation de la (iaspésie n'était qu'un pieux roman, et le père Charlevoix a lancé contre lui ce grave rej>roche : « D'ailleurs ce religieux était le seul qui eût avancé ce paradoxe ; aucun de ceux (jui avant lui avaient vécu avec ces sauvages, et dont plusieurs ont su leur langue et étudié leurs traditions beaucoup mieux (ju'il n avait pu le faire, n'y ayant rien découvert de semblable ». Que si pourta.i. le père Leclerq avait eu l'audace de forger de toutes pièces je ne sais quels contes en l'air, il aurait été réprimandé ou démenti par ses supérieurs : or, non seulement il ne le fut pas, mais encore, quand on le rappela en France en 1687, il fut nommé gardien ou supérieur du ccaventdes Ilécollets de Lens en Artois. En

(1) PÈRE Leclehq, ouv. cité, p. 186.

(2) Lafitau, Mœurs des sutwagps Amifricaitis, I, 435. (:») CuAHLEVoix, Histoire de la Nouvelle France, I, 222.

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CllAI', XI. TRACES DE U PRÉSENCE DES EUROPÉENS. 449

outre, Charlevoix se trompe quand il affime que [>as un de ses contemr)orains n'a sig;nalé le culte de la croix dans la Nouvelle France, Jean Baptiste de Lacroix Ghevrières de Saint- Vallier, (|ui arriva au Canada en qualité de vicaire général de l'évêque de Québec, François de Laval, le 30 juillet 1083, visita la mission de Miramichi en 1686, et fut nommé évéque de Québec en 1688, il est par conséquent impossible de citer un téinoiu [>lus compétent et plus autorisé, a ci>mj)osé un /:st(it présent de l'Eglise ci de la colonie franniisi' dans hi j\'tn(i'rllc France (l), dans lequel il parle de la rivière Sainte Croix et des Porte Croix ou Gruciantaux. «■ Ils conserven* entre eux, écrit-il, un respect particulier pour la croix, sans qu'il paraisse aucun vestige d'où l'on puisse conjecturer (|u"ils en aient jamais connu le mystère ; il serait fort curieux de pouvoir remonter jusqu'à la première origine de ce culte qu'ils rendent sans y penser au signe salutaire de la rédemption des hommes ; mais, comme l'excès de la boisson d'eau-de-vie, dont ils sont aussi passionnés que les autres sauvages, a fait mourir depuis quelque temps tous les vieillards et un grand nombre de jeunes gens, il est difficile de trouver parmi eux des personnes capables de nous instruire de la vérité avec quelque sorte de certitude » (2). Le pieux missionnaire fait pourtant allusion à ce vieillard, sans doute le Quiondo de Leclcrcq, qui avait vu la croix en honneur dans son pays avant l'arrivée des Français (3), et il ajoute quelques détails qui complètent les données de son prédéces- seur (A). >< Le capitaine se distinguait du conmuni en ce qu'il avait une croix particulière sur les épaules, jointe à celle de l'estouuic, et l'une et l'autre avaient une bordure de poils de porc-épic, teinte en rouge du plus vif, couleur de feu ; outre cela le:? trois croix de bois de deux pieds et demi de haut, d(Uit

(1) Paris, Robert Pépié, 1688. Réimprimé à Québec, cri I8j7,

(2) Saint-Vallier, Ksfat pvo.ioHt de /'t'y//>, clc, i». :15-3C. (3l lu , p. Tt-:iH.

(4 lu., p. :t!>.

T. I. 29

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450 PREMIÈRE PARTIE. LES PRÉCURSEURS DE COLOMB.

il appliquait l'une au devant de son canot pour les voyages, et dont il plantait les deux autres au milieu de sa cabane et à la porte contre les périls et pour le conseil, avaient chacune pour marque de distinction trois croisillons ».

Une conclusion s'impose : c'est que le christianisme a été prêché dans l'Amérique du Nord, avant l'arrivée des Européens dans les premières années du xvi" siècle, et que le souvenir de cette prédication, bien (ju'obscuici pai des superstitions locales, s'était néanmoins perpétué avec assez de netteté pour que les missionnaires chrétiens aient pu affirmer, en toute conscience, et sans arrière-pensée, (|u"ils avaient eu des devanciers sur le sol américain.

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TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE I.

LES COMMUNICATIONS ENTRE l'AMÉBIQUE ET l'ANCIEN CONTINENT ÉTAIENT-ELLES POSSIBLES DANS l'aNTIQUITÉ ?

Les dangers de la mer. R»icits fanlasliqiies do l'anliciuité sur les dangers de la mer. Théories scieiitiliiiues sur la forme de la terre. l'rogrès delà navigation. Voisinage relatif de l'ancien et du nouveau Continent. Les trois étranglements de r.\tlanli(|nc. L'Atlantide. Traces d'un grand bouleversement géologii|uc en .\méri(|ue. Tra- ditions Américaines sur ce cataclysme. Les archipels de l'Atlan- tique. — Les vigies éparscs da..s l'Atlantique. Croyances anti(|nes sur les diflicultés de la navigation dans l'Atlantique. Les courants nnirins de l'Atlantique et les apports involontaires. F'ossibilité des relations entre l'Ancien et le Nouveau Monde dès l'antiquité, pages 3ù4l

CHAPITRE II.

LES PHENICIENS EN A.MEUIQUE.

Hardiesse des Phéniciens dans leurs navigations. Los l'héniciwH aux Canaries. Inscriptions des Canaries Les Phéuicums à Ma- dère et aux Açores. Les Açorcs correspondent aux Cassitéridcs. Inscription des Aç«res. Les IMiéniciens et la mer des Sargasses.

La grande île d'Aristotc et de Diodore, Les Phéniciens sont- ils allés jusqu'en Amérique? Traditions Américaines. Quetzal- cohuatl et Volan. Prétendues analogies entre les langues, les religions et les mneurs des Phéniciens et des Américains. Procédés industriels. La statue d'Onondaga. L'inscription de Parahyba.

La galère de l'île Pedra. L'inscription de Taunton. L'ins- cription de Gravca Creek. L'incription do Davenport, pages.. . . J2à 88

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452

TABLE DES MATIKRES.

CMAPIÏHK Ml

LES JUIFS K.\ AMKniQli;.

Les parlisaiis du l'mijîiiio istaiilitc des Américains. Les piopliélies. Opliir et Tarsis. La Paivaïiii on l'aniiiii. Les Cliaiiaiiéeiis de Procope. PirtendiK! éini^'ralioii des Juils en Aiiiériijuc. Kxislu- t-il des ressenitdances dans les traditions, dans les contunics, dans lus lun{;ues, dans les types .luirs et Américains ? pages 89 à 1 1 1

CHAPITRE IV

LKS (iRECS ET LES UO.MAIXS ONT-II,>, CONNU I/aMÉRIQUE ?

Tiadilions, tliémies et voyajçcs. I. L'Allanlide de Platon. Les scep- ticpies et les- croyants. Possibilité de l'existence de IWtlantide. On était l'Atlantide ï Le continent f'.roriien de PIntanpie. La Méropide d'Klien. 11. L'.\nticliton(! les .\nli|)odes. Les terres à l'ouest. Sénéipie et la prophétie de la Médée. Les anciens croyaient à lu |iossitiilité d'nne cornninnication entre l'Atlantique et la mer des Indes. - III. Voyages anx ihss Korinnées et anx Hcspé- ridps. Kiiplicnios de Carie aux îles Satyrides. Inscriptions et monnaies j,'réco-latines. .Analojçies prétendues entre les langues ancieimesetles lanjçnes Américaines. Les Indiens de Metellus Celer, pages 112 à 17:2

CHAPITRE V

LES C().\L\!U.MC.\TIOXS ENTUE l'a.MÉRIQLM: ET l'aNCIE.N CONTINENT ÉTAIENT ELLES POSSIBLES .\U .M()YEN-A(ÎE ?

Ignorance géograpliicpie. (lauses de cette ignorance. La croyance aux Antipodes combattue connue sacrilège. Prétendue inhabitabilité de la zone torride. Progrès des notions gèograpliicpics. Croyance à l'existence d'un ou de plusieurs ccmtincnts au-delà de l'Atlantique. Vincent de Beauvais. Hoger Bacon. Albertle-(irand. Saint Thomas. Dante et la Croix du Sud. Pierre d'Ailly.— Pécheurs, pirates et missionnaires, pages 173 à iOX

CHAPITRE VI

LES ILES FANTASTIQUES DE l'oCÉAN ATLANTIQUE.

Le Paradis terrestre. L'île de Saint Brandan. Voyages entrepris à la recherche de l'île de Saint-lirandan. L'île des Sept Cités. -

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TABLE DES MATIERES.

153

Diverses positions assigiiées à cette ile prétcndiie. L'Aiitilia. était l'Antilia? il.yllo, L.a Man Satanaxio cl Tuninar. lie de Uracii ou Brazil. ''layda et Isla Verde, pages 203 à 2â7

CHAPITRE VII

VOYAr.ES UKS ARABES DANS I.' ATLANTIQUE.

Grand rôle des Arabc^ dans l'Histoire de la civilisation. Leurs con- naissances géographiques sur l'Atlantique. L'expédition des frères Maghrurins, pages 228 à 237

CHAPITRE VIII

l.KTi inL.\M)AIS EN AMKIUQUK AVANT COI.O.Mll u'APnÈS LA LÉfiENDE KT l'iiISTOIUE. COLOXIS.VTION l)K L'iRL.VM) IT MIKLA.

L'Irlande est au moyen- Age la terre des saints et des voyageurs. La If'gcnde do Condla le Beau Les aventures de Cuculain. Léogairc. Fionn. La légende d'Oisin et la fontaine de Jouvence. Saint- Krandan et ses courses à travers rAtlanti(|ue. Qu'y a-t-il de vrai dans cette légende? Les fils de Conal IJcagli. Les voyages de .Mallduin. Traditions du pays de Galles. L'île d'Avallon. La légende d'Elie et d'Knocli. Voyages des Papip Irlandais dans l'Atlantique. Cormac, Siiedglius, Mac-Riaglila. Leurs stations aux Oreades, aux Shetland, aux Féroë et en Islande. L'irland It .Mikia. Voyage de l'Ishindais Are Marsson en Irland It Mikla Bjoerii et Gudleif. La saga de Thorlînn Karlsefne. Le voyage du péciicur Frislandais d'après Nicole Zeno. Les triades Galloises et réniigration du prince Madoc. Persistance du langage Gallois en Amérique. Madoc a débarqué dans l'irland It Mikla. Persistance des usages chrétiens dans l'irland It Mikla, pages 238 à 2'>M

CHAPITRE IX

à -201

LES NOHTII.MAN!^ KN AMÉRIQUE. LE VINLANI) ET LA NORAMBEliA

Courses maritimes des Northmans. La bulle de Grégoire IV. Décou- vertes et travaux modernes. Colonisation de l'Islande. Gunnbjorn et Erick Rauda au Groenland. - Voyage de Biarn Heriulfson. Leif Ericson découvre le Hclluland, le Markland et le Vinland. Voyage de Thorwald Ericson à Leifsbudir en Vinland. Voyage de Thorstein et de Gudrida. Voyage de Thorlînn Karlsefne Les SkroPllings. - Productions du Vinland.— Voyage de Tiiorwald et de

Ab\

TABLE DES MATIERES.

Kicydisa. Voyage de Hcrvador. Le Viiiland cunnu cii Europe. Le chris'iaiiisme cl la croisade au Vinland. Courses et voyages dans les rét^iotis boi'éales. Découvertes d'Adhalbrand <'À de Thorvald. Commerce de puissous et bois (lotU*. Décadence des colonies du Vinland. Adaqucs iticcssantes des Skioellin{;s. -- La |)estc noire. On perd la notion en Europe du Groenland et du Vinland. La Norambega. Recherche de la Norambega à travers les cartes et les documents géographiques. était la Norambega ? pages. . . 292 à 356

CHAPITRE X

LES VOYAGES DES FRÈRES ZENI.

î

Génie . .iturcux des Vénitiens. Voyage de Nicolo Zciio. Voyage d'Antonio Zeno. -=- Expéditions en Estland, en Engroveland. Les pécheurs Frislandais en Estotiland et à Drogeo. Expédition de Ziclimni dans la direction de l'ouest. Icaria. Catcrino Zeno et la première édition de la relation. Authenticité de la relation. Le prince Zichmni. La Frislande et les Feroë. L'Eiigroneland et le monastère de Saint-Thomas. L'Icaria. L'Estotiland et les Esto- tilandais. Drogeo, pages 357 à M\

CHAPITBE XI

TRACES I)E LA PRÉSENCE DES EUROPÉENS EN

CHRISTOPHE COLO.MB.

A.MEHIQUE AVANT

L Les Monuments. Maison de pierre de Newport. Monuments apocryphes. Hoc de Dighton. Les ruines Groenlandaises. IL Les langues. Prétendues ressemblances entre les langues Améri- caines et Européennes. La chanson des Souriquois. La langue Souriquoise. III. Les traditions. Prétendues émigrations des Scythes, des Germains, des Frisons, des Hernies. Les Toltèqucs et le Popol Vuh. La Gougou. IV. Les rcligitms. Saint Thomas en Amérique. Les panœ Irlandais et Quetzalcohuatl. Le Christ honoré en Amérique. Ressemblances entre les rites et les croyances Américaines et Chrétiennes. Traces persistantes du christianisme de l'ancien Vinland. Les Porte-Croix de (îaspésic, pages ^102 n 450

Saint-Bricuc. Imprimerie Francisque Guyon. rua Saint-Gilles.