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dans la répétition de ce jeu de mots sanguinaire, « qu'il y au- rait le lendemain 15 mille joueurs de boules sur la grande place de Grenoble. » Le sens de ces sinis- tres pronostics parut surabondam- ment fixé par la remarque qui fut faite le lendemain de l'échauf- fourée, de certaines traces blan- ches crayonnées sur les maisons des royalistes les plus signalés, et, dans les casernes mêmes, sur la porte des logements de {plusieurs officiels. Cependant^ durant la même journée, une inquiétude va- gue cl générale régnait dans Gre- noble. Les autorités civiles et mi- litaires manquaient d'informations précises, mais cha(]ue moment leur apporlaitquelquesdemi-contidences dont la répétition croissante faisait pressenlirune explosion imminente. L'adjoint de La Mure, qui s'était dirigé par les montagnes pouraver- lir le préfet, avait rencontré les colonnes insuigées, et le hasard le plus extraordinaire venait de livrer au général Donnadieu, commandant la division, miliiaireardent, brutal, mais ferme et capable, l'un des chefs du complot, dans les rues mêmes de Grenoble. Un autre ha- sard , également inespéré , celui d'un diner chez le général, avait préservé le colonel Vautré du pé- ril d'êire arrêté par les insurgés 4u dedans, au moment même Uivail éclaler l'agression du dehors. L* général Donnadieu concentra se.sfones sur la place Grenelte, prit d'habiles dispositions, et lit raartljor undél.'cbement d'environ iOO 'lonimes des voltigeurs de risertel de la léiiion de l'Hérault à la rencontre des insurj;és, dent la preuicre colonne s'avançait dans la directon de la porte de lionne. Mais ce daachemenl, intimide par

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la bonne contenance de Teunemi, se replia bientôt en désordre, et le général prescrivit au colonel Vautré de se porter de suite au-devant des rebelles. Vautré ne se trouvait que depuis quelques minutes en me- sure d'exécuter cet ordre par suite du retard fortuit ou calculé apporté à la délivrance des cartouches nécessaires. Il disposait au plus de 80 hommes; mais, dans le nombre se rencontraient 30 grenadiers, soldats éprouvés, résolus, intrépi- des, commandés par un brave ca- pitaine appelé Friol. Ces militaires s'ébranlèrent au pas de course et se trouvèrent à la porte de Bonne en face des insurgés enhardis par la retraite des chasseurs. Lecolonel Vautré poussa le cri de Vive le roi! et s'élança à leur tête sur les mon- tagnards au nombre de 4 ou Scents, les culbuta et les mit en fuite en leur tuant 7 hommes. A quelque distance, sur la route d'Eybens, la cohorte fidèle rencontra Didier lui- même qui, sansparaitredéconcerté de l'échec de son avant-garde, en- gagea un nouveau combat à la tête d'environ 300 hommes. Cette co- lonne, qu'il avait négligé de garnir ou de faire précéder de tirailleurs, fut promptement dispersée en lais- sant quelques morts. A ce moment, Vautré fut rallié par un détache- ment de dragons de la Seine que le général Donnadieu avait envoyé pour le soutenir; une troisième colonne, qu'ils rencontrèrent à peu près à une demi-lieue, eut le même sort que les deux précédentes. Le colonel remarqua que les feux de si- gnaux allumés sur plusieurs points des moniagnes voisines avaient in- sensiblement disparu. A la pointe du jour, il e[itra à Eybens, d'où il se rendit presque immédiatement au village de La Mure, dont il dés-

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arma les habitants. Cette répression énergique, opérée si promptement avec le concours d'un si faible dé- tachement, dans une contrée ou le gouvernement royal comptait tant d'ennemis, et sur le lieu même où, quinze mois avant , le colonel Labédoyère avait, par sa défection, préparé le fatal succès des Gent- Jours, fit un grand honneur au zèle et à la résolution du colonel Vautré, et préserva la ville de Gre- noble et la contrée entière d'une imminente conflagration. Sa ren- trée à Grenoble, le 6 mai, à lu tète de sa troupe, eut tous les caractè- d'une véritable ovaiion. Un grand nombre de personnes noiablt-s vin- rent à sa rencontre ; la joie d'une partie de la population fut portée jusqu'au délire; la plupart des maisons furent pavoisées de dra- peaux blancs, et ces démonstrations s'étendirent à tous les militaires composant le faible groupe qui avait donne l'exemple d'une si éclatanie et si salutaire repression (1). Ce triomphe fut l'apogée de la vie jusqu'alors si martiale, si inépro- chable de ce brave militaire. L'his- toire doit envisager avec moins de faveur les événements qui restent à rapporter. Le colonel écrivit le lendemain une lettre répandue à profusion par la voie de la presse, il racontait avec exaltation son suicès de la porte de lionne et s'applaudissait d'avoir « ordonné à ses braves grenadiers d'égorger

(1) Tous les faits qui précèdent sont extraits dt; noies idéalités rédii^ees par le colonel d- Vautré ii l'opoque iiiOine dos t'Vénemcnls de dreUnLlc. Le liip- port (Oiilidtiiliil daii.-> lequel ces faits se trouvaient coiisii^iiés fui mis ^oub les yeux du roi Louis XVilI par M. le duc de Duras.

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celte canaille à coups de baïonnet- tes et aux cris de Vive le roi! » Puis, arrivant aux détails de son expédition de La Mure : « J'ai fait venir, disait-il, une partie du peu- ple sur la place, et j'ai dit que je ne savais pas si je ne les ferais pas tous fusiller et brûler leur ville... Pensez-vous, ai-je ajouté, que j'aie eu besoin de ces 90 hommes i;our exterminer les brigands qui ont marché sur Grenoble? Il ne m'a fallu que 22 grenadiers. Eh bien I vos pères, vos enfants, sont pour la plupart morts aux portes de Greno- ble. Allez-y voir leurs cadavres. » A cetie triste publication, qui accusait moins les passions personnelles de son auteur que celles d'un temps de réaction et de vengeance, le colonel Vautré unit un tort plus grave, celui d'accepter la prési- dence du conseil de guerre formé pour juger les rebelles qu'il avait combattus et dispersés. Cette fausse position devait amener de déplora- bles incidents. Les avocats des ac- cusés se plaignirent du peu de faveur avec lequel ils furent en- tendus, et des entraves que des juges naturellement prévenus ap- portèrent à la liberté de la défense. Suivant une relation accréditée et qui ne parait pas avoir été dé- mentie, le président du conseil troubla plusieurs fois, par de vé- hémentes et injurieuses apostro- phes, k'S explications présentées au nom des 30 malheureux que le sort des armes avait fait tomber entre ses mains, et dont la vie, de\ouée i\ une immolation prochai- ne, réclamait ce re.4e d'égards que l'humanité commande même aux , plus implar.ables ennemis. Vingt-un aceuses turent condamnes à m^rt; sur ce nombre, cinq furent recom- mandés à la clémence royale par

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UNIVERSELLE,

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Imprimé par POUPART-DAVYL et Cic, rat du Bae, SO.

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BIOGRAPHIE

UNIVERSELLE,

ANCIENNE ET MODERNE SUPPLÉMENT

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•UITE DE l'histoire, PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE, DE LA VIE PUBLIQUE IT PRIVÉE DE TOUS LES HOMMES QUI SE SONT FAIT REMARQUER PAR LEURS ÉCRITS, LEURS ACTIONS, LEURS TALENTS, LEURS VERTUS OU LEURS CRIMES,

OCtKAGB KNTISKBMIirT HBOr,

PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ET DE SAVANTS.

On doit des égards aux TiraDts; oo ne doit aux mort« qoelarérité. (Volt., Première Ltltrt <ur OEdipo.)

TOME QUATRE-VINGT-CINQUIÈME.

A PARIS, CHEZ BECK, LIBRAIRE,

EUE DES GEàNDS-àUGUSTINS, 3.

1862 ^--"^-''^vçrTJfJj-

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SIGNATURES DES AUTEURS

DU QUATRE-VINGT-CINQUIÈME VOLUME,

MM.

MM.

B— D— E.

Badichb.

D— p.

DUPEUTT.

B— RE.

Barrière.

M G R.

Garnier (Maurigi).

B.

Bertin.

G.

OATTET.

B— L— u.

Blonde An.

L— c.

Leclerc.

A. B— ÉE.

BOULLÉE.

Val. P— t.

Parisot.

Ch.

Chevallier.

P— s.

Simonin.

F— D— L.

Delécluze.

L-v.

Vaucher.

B D L— M.

Demontal.

V.

Vernes.

D— V.

Devilletceuve.

D— w.

Wap.

D— M.

Dumoulin.

Z.

Anonyme.

ERRATA.

Page 163, 2* colonne, dernière ligne, article Vatimesnil, au lieu de : il sortit de Vincennes. lisez : il sortit du Monl-Valérien.

Page <76, 4" colonne, ligne 40, article Vaublanc, au lieu de : qui l'avait fait placer, lisez : qu'il avait fait placer.

Page 431, 2* colonne, ligne 42, article Villèle, au Ueu de : Villèie eût peu d'intérêt, lisez ; mil peu d'intérêt.

AVIS DE L'EDITEUR.

M. MiCHAUD, fondateur et l'un des collaborateurs les plus actifs de la Biographie universelle, est mort au moment allait être publié le Lxxxiv» volume de cet ouvrage. Bien que son nom ne se présente pas dans l'ordre alph::l.ét"que de ceux composant le volume que nous publions aujourd'hui, nous croyons faire quelque chose d'agréable aux nombreux souscripteurs, en plaçant en tête de ce Lxixv* volume une notice sur la vie et les travaux d'un homme qui s'est acquis, par cette vaste entreprise, une juste célébrité, et dont ils ont été à même d'apprécier le mérite comme historien et comme écrivain. C'est d'ailleurs un hommage qu'il nous paraît convenable de rendre à celui qui a consacré une grande partie de sa vie à l'édification d'un monument littéraire de la plus haute importance.

NOTICE

L. G. MICHAUD

PAR EM. G.

Issu d'une famille honorable de la Savoie, dont Tun des ancêtres, Hugues Michaud de Corcelles, fut anobli par l'empereur Charles-Quint (voir lonoe lxxiv, page 21), et qu'un événement malheureux obligea de se réfugier en France (voir l'art. Michaud (Joseph), t. lxxiv, p. 24), Michaud (Louis-Gabriel) naquit le 21 janvier 4773, à Villelle, près le Ponl-d'Ain, petite ville de l'ancienne Bresse, et aujourd'hui du départe- ment de l'Ain. Élevé, comme son frère aîné Michaud (Louis-Joseph), de PAcadémie française, au collège de Bourg, ils firent tous les deux d'excellentes éludes, il venait à peine de terminer les siennes lorsque commençait à gronder l'orage révolutionnaire qui allait éclater sur la France.

L'émigration de beaucoup d'officiers appartenant à la noblesse lais- sait de nombreux vides dans les cadres de l'armée et rendait les emplois facilement accessibles. Entraîné par son goût pour les armes et bien qu'à peine âgé de dix-neuf ans, sans connaissance aucune de l'art du commandement, le jeune Michaud obtint le brevet de sous-lieutenant, et entra avec ce grade, le 15 septembre 1791, dans le régiment royal des Deux-Ponts, infanterie.il fit ainsi les premières campagnes de la ré- volution, et prit part, sous les généraux Dumouriez et Kellermann.aux batailles de Valmy et de Jemmapes, et successivement aux divers com- bats qui eurent lieu dans le Nord. Forcé par des raisons de santé d'aban- donner le service, il quitta l'armée en 1797, avec le grade de capitaine dans le 402* régiment de ligne.

A son retour en France, Michaud y retrouva son frère aîné, dont il partageait les opinions anti-révolutionnaires, et s'associa à lui pour la publication d'écrits royalistes qui les exposèrent, l'un et l'autre, aux poursuites du gouvernement républicain.

II

Ils fondèrent, en société d'un de leurs amis communs, le sieur Giguei, une imprimerie qui, d'abord clandestine, servit à la publication de ces écrits, et qui, plus tard, lorsque le régime devint moins rigoureux, s'exploita au grand jour et conserva toujours son caractère monar- chique et religieux. Il s'y imprima, entre autres choses, un écrit de la main de Louis XVIII, parvenu par l'entremise de Royer-Collard, qui attira sur eux les rigueurs de la police directoriale et leur valut un emprisonnement de plusieurs mois à TAbbaye.

C'est de leurs presses que sortit, quelque temps après, une Biographie en quatre volumes in-^" de tous les hommes morts et vivants ayant mar- qué, à la fin du dix-huitième siècle et ûu commencement de celui actuel, par leur rang, leur.^ emplois, leurs talents, leurs écrits, leurs malheurs, leurs vertus, leurs crimes, etc. On doit bien penser que dans cette galerie con- temporaine, soi-disant imprimée à Breslau et à Leipsick, bien qu'elle ait été composée et imprimée par les frères Michaud , les hommes de la révolution furent traités selon leurs mérites. Il est à croire que cet ouvrage, qui eut un grand succès, inspira à ses auteurs l'idée d'entre- prendre la Biographie universelle, dont l'un d( s deux, celui dont nous nous occupons ici, a poussé courageusement la publication jusqu'au terme elle est aujourd'hui parvenue.

Vers celle même époque, ayant appris que l'abbé Delille» réfugié h Londres, avait terminé plusieurs de ses ouvrages et était à la recherche d'un éditeur, Michaud se rendit en Angleterre; sa réputation ds roya- lisme le fit accueillir favorablement par le célèbre poêle. Bien que ses offjes, mesurées sur la faiblesse de ses moyens pécuniaires, fussent infé- rieures à celles de ses concurrents, la préférence lui fui accordée, ei il revint muni d'un fonds qui donna à sa librairie une importance qu'elle n'avait pas jusque-là (i).

Lu des premiers ouvrages publiés fut le poème de la Pitié. Ceux qui vivaient à celle époque doivent se rappeler à quel point l'esprit uévo- lutionnaire, qui dominait encore dans une partie de la population, se déchaina contre la flétrissure que lui infligeait cette admirable poésie. Le gouvernement impérial, qui venait d'écraser le parti jacobin, ne pouvait empêcher cette publication; il se contenta de faire retrancher par la censure quelques passages faits pour l'offusquer (2) ; mais les

(1) Michaod et Giguet étaient inipiimeurs-libraires.

(2) Entre autres, ces vers oii le poëte s'adressant à Alexandre, empereui de Ruti&ir, lui dit :

Souviens-toi àc ton nom : Alexandre, autrefois, Fit monter un vieillard sur le trône des rois ; Sur le front de Louis tu mettras la courrjnne ; Le sceptre le plus beau, c'est celui que l'oti donne.

III -—

adhérenU encore fort nombreux de ce parti poursuivirent de leurs injures et de leurs sarcasmes celle œuvre de réprobation. Nous nous rappelons atoir vu les murs de Paris couverts d'affiches on lisait* écrit en gros caraclères : « Point de pitié pour la Pitié. »

Michaud, en compagnie de son frère, qui bientôt se trouva forcé de l'abandonner, entreprit l'œuvre colossale de la Biographie universelle, dont il était difticile de mesurer retendue et de déterminer la longueur d'exécution. A un travail de celle nature et de cette importance devaient nécessairement concourir un grand nombre d'écrivains ; les plus célèbres de l'époque s'empressèrent de répondre à l'appel des éditeurs. La liste des collaborateurs de ce grand ouvrage, qu'on peut regarder comme le monument littéraire le plus considérable du siècle, présente les noms des hommes les plus illustres dans les lettres et les sciences, non-seule- ment de la France, mais de l'étranger. Les Villemain, les Guizot, les Baranle,les Cuvier, lesDelambre, lesChaussier, lesMaltebrun, les Hum - boldt, les Chateaubriand, les Delille, les Lally-Tolendal, les Walcke- naer, les Villenave, etc., etc., apportèrent à cette vaste publication le tribut de leurs talents; et ce livre, précieux parles notices qu'il renferme et par la spécialité des auteurs qui les ont écrites, ne l'est pas moins par les morceaux, plus ou nioins étendus, du slyln de chacun de ces célèbres écrivains; c'est à la fois, une galerie historique, scienliflque et litté- raire , à rédification de laquelle on a considéré, depuis, comme un hon- neur d'avoir coopéré.

On comprend que ces éléments divers d'un même ouvrage, provenant de plumes si nombreuses, devaient manquer de cohésion, et que, pour en faire un tout parfaitement homogène , il était indispensable qu'une direction unique les maintînt dans l'esprit qui avait présidé à la créa- tion de ce grand ouvrage. C'est à ce soin que Louis Gabriel Michaud nt cessa pas un seul instant de s'appliquer avec un zèle et un discerne- ment qui ajoutent au mérite de celte vaste entreprise et semblent avoir fixé pour jamais la célébrité du laborieux écrivain qui l'a dirigée. Le premier volume avait paru en 1811 et le dernier fut publié en 1828. C'est donc dix-sept ans que dura ce travail; mais pendant celte longue période de temps, beaucoup de personnages célèbres et dignes de figu- rer dans celle grande galerie historique étaient morts après la publi- cation du volume dans lequel l'ordre alphabétique plaçait leur nom ; i! était donc indispensable d'entreprendre un supplément, destiné en outre à contenir les articles importants qui pouvaient avoir été omis. Dans celle seconde partie de l'ouvrage, ce n'étaient pins les événements des temps plus ou moins éloignés qu'il s'agissait de raconter, mais ceux des temps très-modernes, dont les héros récemment enlevés avaient des témoins encore virants de leur existence , des parents, des amis et aussi des ennemis. Si la tâche était moins difficile, sous le rapport de l'txac-

IV

titude des faits à retracer, elle devenait plus délicate, plus épineuse en ce qui touchait les jugements à porter sur des hommes dont la cendre était à peine refroidie, et, dans maintes circonstances, il fallait un cer- tain courage pour écrire avec vérité et juger impartialement les actes de ces contemporains.

Ifichaud ne recula devant aucun des désagréments, on pourrait même dire des dangers auxquels l'exposait sa responsabilité d'éditeur; il eut dans plusieurs occasions des luttes plus ou moins vives à soutenir contre les prétentions ou les susceptibilités de personnes appartenant à des défunts qu'on ne trouvait pas assez gloriflés ou qu'on trouvait traités trop sévèrement, et toujours il sut maintenir avec énergie les droits qu'a l'historien de raconter les faits auxquels la célébrité des personnages a donné de la notoriété, et de juger les actes de leur vie publique ou leurs écrits, s'appuyanl sur cette sentence qui sert d'épigraphe à son livre : On doit des égards aux vivants, on ne doit aus morts que la vérité. (Voltaire.)

Il concourut personnellement à la rédaction d'un grand nombre d'ar- ticles de cette biographie moderne pour laquelle sa prodigieuse mémoire des hommes et des événements lui fournissait d'abondantes ressources. Il terminait le trente-deuxième volume de ce supplément (quatre-vingt- quatrième de l'ouvrage entier), lorsque la mort est venu l'enlever.

Michaud vit dans la Restauration, le triomphe de la cause que, pendant diX'huit ans, il n'avait cessé de servir avec un zèle et un dévouement les plus dignes d'éloges. Dans les circonstances difficiles qui accompa- gnèrent cette Restauration, il se joignit aux royalistes qui n'épargnèrent aucun effort pour en préparer les voies ei fixer en faveur des Bourbons l'indécision les souverains alliés, notamment de l'empereur de Russie, arbitre suprême de la situation. I.es commissaires du roi, MM. de Sémallé et de Polignac, trouvèrent en lui un puissant et courageux auxiliaire pour l'impression et la propagation ries diverses proclamations adressées aux Français par les membres de la famille royale. Enfin, lorsque, après l'entrée des alliés dans Paris, le prince de Talleyrand, qui exerça à cette époque un crédit momentané mais immense sur l'esprit du czar, par- vint ii obtenir de ce souverain uue déclaration par laquelle ses allies et lui se refusaient formellement 'i traiter avec Napoléon ou tout autre per- sonne de sa famille', ce fut à l'imprimeur Michaud que le secrétaire de ce dip'omale s'empressa de porter cette déclaraliou qu'il était essentiel de publier sans le moindre retard, afin d'éviter que le czar ne revînt su: la dr^terminalioii qu'on était parvenu k lui faire prendre. Michaud apporta dans cette grande afTaire tonte l'aclivit»' dont était capable son zèle plein d'ardeur. Le soir même une épreuve rie la déclaration mise sous les yeux de l'empereur de Russie recevait de sa propre main une addition

des plus importantes (1), et le lendemain matin, celt3 déclaration, pla- cardée sur tous les murs de Paris , engageait irrévocablement la parole des souverains alliés. La cause des Bourbons était gagnée.

Quand on réfléchit que le sort de la France se débattait en ce moment entre les irrésolutions d'Alexandre, les négociations pressantes de Cau- laincourt et les convulsions du colosse impérial, qui, profondément blessé mais non encore abattu, menaçait de ressaisir son pouvoir par un suprême effort, on ne peut se dissimuler que le concours de l'imprimeur royalile offrait tous les caractères d'une héroïque témérité , et l'on peut afiQrmer que cet acte de dévouement, si périlleux dans les circonstances l'on se trouvait alors, ne contribua pas moins que tout ce qu'il avait fait jusque-là au succès de la Restauration.

De pareils services réclamaient une brillante récompense; mais au rai- lieu des bruyantes démonstrations d'attachement et de fldélité qui entou- raient le trône à peine relevé, ils furent à peu près perdus de vue, et le courageux serviteur reçut pour tout salaire la croix de la Légion d'honneur et le titre d'imprimeur du roi, qui , depuis longtemps déjà, lui était prorais par les princes exilés.

Cette rémunération parut, avec raison, insuffisante à Michaud; elle ne lui sembla pas en rapport avec les périls auxquels il s'était exposé et les persécutions qu'il avait endurées.

Cette sorte d'ingratitude ût naître en lui des dispositions peu favo- rables à l'égard du souverain pour lequel il avait sacrifié son repos et jusqu'à sa vie, et dont il était loin , d'ailleurs , de partager les ten- dances libérales. Dans son goût exclusif pour les anciennes institutions monarchiques et pour le pouvoir absolu, qu'il considérait comme le •eul moyen de gouverner les peuples, les concessions que fit Louis XVIII aux idées révolutionnaires de 89, et la charte qui en fut la conséquence^ parurent à ses yeux autant de fautes et de faiblesses qui devaient entraîner de nouveau la chute du règne des Bourbons. Sans vouloir jamais tenir compte des circonstances difficiles au milieu desquelles s'était opérée la Restauration, sans admettre l'impossibilité de rétablir la puissance royale sur des bases qui depuis longtemps n'existaient plus, et d'en revenir à un système que vingt-cinq ansde révolution avaient rendu incompatible avec l'esprit de la génération nouvelle, Michaud ne ce^sa de blâmer les actes de la Restauration et surtout la condescendance ^a elie apportait dans le choix de ses agents. Cependant les sentiments monarchiques et le culte

(i) La phrase ajoutée de la maio même de l'empereur Alexandre était celle-ci : « Ils peuvent même faire plus (les souverains alliés), parce qu'ils professent ton- « jours le principe que, pour le bonheur de l'Europe, il faut que la France Mit I grande et forte. ^

d€ ta légitimité étaient trop profondément gravés dans son cœur pour que rien pût les détrnire, et son opposition n'allait pas au delà de son apprécialion personnelle sur la marche du gouvernement ; si le salut du trône eût exigé de lui de nouveaux sacrifices, il n'eût pas un senl ins- tant hésité à les faire.

En 48Î3, Michaud fut nommé directeur de l'imprimerie royale , mais les soins et la surveillance qu'exigeait cette importante administration la forçant de négliger les affaires de son commerce qui étaient [pour lui d'une importance plus grande encore , il se démit de cet emploi.

Sans avoir une supéri<H*ité de talent comparable à celle de son illustre frère, Michaud possédait un mérite littéraire qui le rendait propre au genre historique qu'il avait adopté et qui avait principalement pour objet les graiids événements qui signalèrent la fin du siècle dernier et le commencement du siècle actuel, ainsi que la vie des hommes qui y ont pris part, événements qui, in eux seuls, offrent plus de matière que ceux de plusieurs des siècles passés. Témoin attentif et bien informé de ces événements, doué d'une mémoire extraordinaire, il en gardait Odèleraent la trace, et nul ne savait mieux que lui en préciser la date et les circons- itnces. Il avait suivi pas à pas toutes les phases de la révolution fran- çaise, en avait apprécié avec justesse et discernement les causes et les conséquences, et dissertait avec talent sur cet intéressant sujet. Sa con- versation vive, animée et peuplée de souvenirs était alors des plus atta- chantes.

Le supplément de la Biographie universelle, particulièrement consacré ï la nécrologie des contemporains, offrait à Michaud un cadre favorable pour placer les portraits qu'il était dans sa spécialité de tracer, et si, dans la première partie de cet ouvrage, son nom ne figure que rarement dans la liste des collaborateurs, on le trouve au bas d'un grand nombre d'articles du supplément. Quelques-uns de ces articles sont très-impor- tants, entre autres ceux de Louis XVlll, Ferdinand VII, Dumouriez, le prince Eugène, Saint-Simon, Talleyrand et surtout celui de Napoléon Bo- naparte, auquel il a donné un développement qui n*est plus celui d'une simple notice, mais bien d'un abrégé historique.

Il a déployé dans ces articles le talent d'un véritable historien, et les faits sont retracés a* ". une clarté de style qui en rend la lecture attrayante. Ayant fait plusieurs années la guerre, Michaud était plus à même que bien des narrateurs, de décrire les mouvements stratégiques des batailles livrées par les grands généraux dont il raconte les exploits, et d'en discuter le mérili'.

On a néanmoins reproché ii cet écrivain d'avoir un peu trop souvent svbordoniié ï sa propre manière de voir, son jugement sur certains hommes politiques, et de n'avoir pas toujours conservé, dans ses appré- ciations, l'impartialité que lui commandait son devoir d'historien. Son

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Article sur Napoléon Bonaparte, le plas étendu de tous ceux qu'il a écrits, e( l'on peat même dire de tous ceux que reoferme la Biographie um- venelle, t particulièremeut donné lieu à ce reproche.

Sans doute, aux yeax des enthousiastes et fanatiques admirateurs quand même de ce grand homme, il peut paraître que certains actes de st Tie politique et de sa diplomatie sont présentés ayec trop peu de bienveillance, et que les erreurs et les fautes commises dans le cours d'une carrière si féconde en grands événements ont été jugées avec une sévérité qui, quelquefois, peut ressemblera un défaut d'impartialité ; mais ce reproche pourrait peut-être aussi s'adresser en quelques circons- tances à ceux de ses plus dévoués partisans qui ont écrit sur cet inté- ressant sujet. Ce n'est pas la faute de l'historien si les faits qu'il est obligé de raconter tels qu'ils ont eu lieu, comportent en eux-mêmes le blâme dont ils sont l'objet et prêtent à la critique. On ne peut nier d'ail- leurs, que, rendant justice entière au rare mérite de Napoléon comme législateur, et surtout comme homme de guerre, l'auteur ait manifesté, dans une foule de circonstances, son admiration pour la grandeur de son génie et l'héroïsme de son courage. On ne peut dire non plus que le dernier acte et le tragique dénoùment de ce grand drame historique ne soient traités avec le sentiment d'une véritable sympathie, et que le plus grand hommage ne soit rendu au sublime caractère qu'a déployé cet infortuné monarque dans les derniers instants de sa vie.

Il est peu d'hommes dont la carrière ait été aussi laborieuse que celle de Michaud. Éditeur d'ouvrages importants dont la publication exigeait beaucoup de soins et de travail, de cette Biographie universelle dont il fallait constamment diriger la marche, former les nomenclatures, pour laquelle il fallait obtenir le concours des écrivains les plus célèbres, sti- muler leur zèle, revoir avec eux leurs articles qu'il importait de main- tenir dans l'esprit général de l'ouvrage; auteur lui-même d'un grand nombre de notices dont quelques-unes fort importantes (1), la vie de cet homme fut dévouée tout entière au travail et complètement privée de distractions. Malheureusement cette existence, qui aurait être pour lui une source de fortune ou au moins de grande aisance, s'est trouvée en plusieurs circonstances compromise par des revers, des pertes com- merciales (2) et par ces procès qui accompagnent inévitablement toute

(1) Le nombre des articles insérés par Michaud dans la Biographie univer- selle jusques et y compris le lxxxiv» volume, est de 1,320.

(2) En 1833, l'incenJie d'une maison, rue du Pot-de-fer, dans laquelle Michaud occupait un vaste magasin rempli d'ouvrages en feuille, consuma la totalité de ces imprimés, qu'il n'avait pas eu la précaution de faire assur»^r, et lui causa unt perte immense.

VIII

Yasle entreprise, malheurs qui, dans les dernières années de sa vie, le réduisirenl à un état de gêne extrême. Son travail était devenu son unique ressource, et c'est la plume à la main, qu'à l'âge de quatre-vingt- trois ans, la mort est venue le ravir à l'affection d'une famille intéres- sante dont il était le seul appui.

On doit à cet écrivain, en dehors de la Biographie universelle ^ une His- toire de Louis-Philippe, roi des Français, 1 vol. in-8', Paris ; une Notice historique sur lu princesse Louise de Bourbon^ duchesse de Parme^ br. in-lS.

BIOGRAPHIE

UNIVERSELLE

1SUPPI.ÉMEI1T

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VANDEBERGUE - SÉURRAT

(Claude) était un actif et habile négociant (roricans, non-senlement Irès-experl clans l'art d'acheter à prix doux et de revendre à prix fort, niais initié, tant par des études spé- ciales et par la rétlexion que par la contemplation des faits et par la pratique, aux théories administrati- ves et commerciales, plein d'initia- tive et au besoin sachant manier la plume pour soutenir une opinion. Il ne s'en avisa que tard cependant. vers 1725, il approchait la cin- quantaine quand il publia ses pre- mières lettres par la voie des re- cueils hebdomadaires ou mensuels. Il élaittrès-liéavec l'abbé Ameilhon, et plusieurs de ses morceaux lui sont adressés. Il en est qui sont des pièces intéressantes pour l'his- toire commerciale de nos provinces; il en est se trouvent formulées, cinquante années ou plus avant leur réalisation, des idées en har- monie avec le progrès actuel, et qui devaient se développer dès qu'elles r.uraient été incarnées dansles faits. Nul doute que de nos jours cet es- timable représLMitanl du commerce rwxv

n'eût été promu par un de nos cen- tres commerciaux aux honneurs de la députation nationale, et qu'il n'eût été dans les commissions de la Chambre un des membres fré- quemment et utilement consultés sur les matières économiques. Mais sa mort eut lieu en 1783, à Versailles même, sa ville natale. Tout ce qui nous reste de lui est renfermé en un volume unique dont voici le titre (tel qu'il se trouve, non dans l'approbation du livre donnée par Rayrac, mais sur la première page naème) : Voyage de Genève et de la Touraine , suivi de quelques opus- cules par M"', 1779, in-lî. La principale partie de cet ouvrage est le Voyaqe à Genève, publié d'abord en dix lettres adressées « une femvie de lettres et successivement insérées dans quelques journaux. Ensuite vient le Voyage en Touraine, lequel ne consiste qu'en une lettre (i l'abbé Ameilhon), dont l'apparition première eut lieu dans le journal de Verdun. Suivent les Opuscules au nombre de trois, savoir : 1' Hé- flexions sur la nécessité d'acrorder de la considération à l'étal de corn-

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merçant.li M. l'abbé A**' (ne sent- on pas déji 1»* souffle et l'œuvre de ia révolution, dont peu s'en faut que les conseils ne se po- sent en exigences?); 2" Projet de. création de considals supérieurs dans les grandes villes du royaume, avec établissement d'une chaire de droit commercial (toujours des aspira- tions au progrès ou îi la réforme, aspirations en avant, sinon du siècle qui le voyait éclore, du moins d'un grand nombre de contemporains); 3" Note sur le commerce d'Orléans^ adressée à l'abbé Ameilhon. Nous devons remarquer 1" que le Voyage de Genève et de Touraine toujours avec les deux mentions, 1779, in-12,se trouveindiqué dans Barbier (n" <9427) sous le nom de Crignon d'Auzouer, ce qui doit être une faute, à moins que Crignon d'Auzouer n'ait tenu la piume, Van- debergue n'ayant que fourni les ma- tériaux; 2" que sous le 12577 du même Barbier s'oflfre à nous, cette fois, avec une modilication légère de titre et sous un nouveau millésime , un Nouveau voyage à Genève par Crignon-VanUebergue, 1783. Est-ce une réimpression? est-ce, ce que nous pensons, un pur et simple rafraîchissement? Dans l'une comme dans l'autre hypothèse, la précédente solution acquiert un degré de probabi- lité nouveau. Mais n'oublions pas que môme en ce cas il reste tou- jours à Cl. Vandebergue la grosse part , celle des idées ainsi (jue des faits , et de plus , que les trois opusrules lui reviennent tout entiers, puisqu'on ne reveiidKiue explicitement pour personne; la gloire d'en avoir été soit le badi- geonueur, soit le leiriturier. Vandehbehgue (Georges) , avocat du roi au biiilliage d'Orléans ,

puis prévôt, puis lieutenant géné- ral de police, mort eu n48 et au- teur d'un recueil de Poésies qui ne sont pas plus mauvaises, mais pas meilleures non plus que tant d'au- tres, était peut-être, était probable- ment le parent de notre Claude Vandebergue-Seurrat, le négociant et l'économiste; mais la preuve nous manque. Z.

VANDELLI (Dominique), méde- cin et surtout naturaliste souvent cité, naquit à Padoue vers 1732 et mourut peu de temps avant la fin du siècle. Il aimait la locomotion et le travail; il entreprit des voya- ges scieniifiques qui le conduisirent jusqu'en Portugal; il possédait les idiomes de la péninsule et surtout le portugais, au point d'écrire aussi couramment et aussi correctement la langue qu'un naturel du pays. Il séjourna longtemps dans l'un comme dans l'autre royaume. Mal- heureusement il y prit ou du moins il y garda un peu de cette antipa- thie aux méthodes rationnelles et au progrès que l'on peut sans in- justice reprocher aux universités hispaniques : la doctrine de l'irri- tabilité rencontra en lui un de ses adversaires les plus âpres et les plus fougueux, et sa polémique fut entachée, îi l'égard de Ilaller, de jjersonnalités regrettables. Aussi, et malgré le bruit qu'il essaya de faire autour de son nom, est-il de meure pluiôt fameux que célèbre en tant que médecin ; et si, comme naturaliste, il n'eût joint au zèle un esprit juste et la persévérance dans l'observation, il n'occuperait dans riiistoire de la science qu'un rang très-inférieur. Voici les litres de ses ouvrages dont, (îomme on va le voir, nous formons deux groupes : l'un qui traite de physiologie ou de médecine (il se compose de sept

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morceaux); l'autre, c'est d'his- toire naturelle qu'il entretient ses lecteurs, en contient également de six i\ huit. I-II. Trois lettres qui touchent à la doctrine de l'irri- tabilité , savoir : 1^ Epistola de sensibilitate pericranii , periostei^ lenduUœ, dune meningis, corneœ et medinum, Padoue, 1756, in-8% fig. (c'est dans Tordre des dates son premier ouvrage); 2" Epistola se- cunda et tertia de sensitivitate halle- riana, Padoue, 1758, in-8°. III-VI. Des Mémoires surquatre sources ou i^roupes de sources médicinales, Mémoires dont voici l'ordre chrono- logique : 1" De Aponi thcnnis , en tête d'un fascicule mixte dont nous parlerons en fin de compte ; 2" Ana- lisi d'alcune acque medicinali del Modeuese, Padoue, 1760, in-S"; 3^ DeW acqua di Brandola , Mo- (iène, 1763, in- 4°; 4- De Thcrmis agri patavini, accedit apologia ad- venus Hallerum , Padoue, 1761 , in-4''; VII. Commenlarii de rébus in medicina geslis; VIII. Diccionario dos termes iechnicos de historia na- tural exlrahidos dos obras de Linneo, com a sua explicacion , Coimbre , 1788, in-4"; IX. Florœ Lusilanicœ et Brasiliensis spécimen, Coimbre, 1788. in-4''. X. Fascicnlus planla- rum^ cum novis generibus et specie- bus, Lisbonne, 1771,in-4''; XI.Diss.. De arbore draconis seu dracœna (on reconnaît, le sandragon) , acce- dit diss. de studio historiœ naturalis necessario in medicina, œconomia, agricultura, artibus et commercio (ce long titre à lui seul suffit pour montrer de quel coup d'œil large et compréhensif en même temps que passionné Vandelli savait en- visjirjer l'élude des sciences natu- turelles):XII. Epistola deholothiirio et testudine coriacea, Padoue, < 761 , in-4". C'est en (jueique sorte la

seule monographie qu'il ait consa- crée à la zoologie, car ce n'est que d tns un volume de mélanges qu'on le retrouve revenant à d(^s sujets analogues. Voici le titre exact de ce volume (qui pourrait porter ici le chiffre XIII, mais qui date de ses premiers pas dans la carrière scientifique. Dissertationes 1res : De Aponi thermis (voy. plus haut sous III-VI 1°) ; De nonnullis insecfis terrestribus et zoophytis marinis. De vermium terrœ reproductione at- que tœnia canis, Padoue, <7o8, in-8% 5 pi. Val. P.

VA>DEI\ - BOGAERDE - VAi> TERBRLGGE (André-Jean-Louis le baron), savant économiste et homme d'État, naquit à Gand le 17 juillet 1787, de parents appartenant par leur origine et leurs alliances aux fismilles les plus distinguées de la Belgique et de l'étranger. Son père, implacable ennemi de la ré- volution, confiason éducation, ainsi que celle de ses deux autres fils, à nn prêtre régulier qui refusa de prêter le serment d'abjurer les prin- cipes monarchiques. Ce digne et savant ecclésiastique enseigna à ses élèves les langues latine, française, flamande , et leur prodigua les bienfaits d'une bonne et solide édu- cation. Le jeune Vanden-Bogaerde reçut en outre d'un artiste flamand en réputation des leçons de dessin et de peinture. Dès sa première jeunesse, il montra des qualités ai- mables et un talent de plaire qui, plus iard, et pendant tout le cours de sa vie, le firent chérir de toutes les classes de la société. L'agricul- ture, l'industrie, le commerce, et surtout l'économie politique, fu- rent l'objet de ses études de pré- dilection.

Après un séjour de deux ans dans la capitale d la Belgique, Vandeu-

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Bopr^erde reTiiu h Waes-Miins(or, (lemeiiraient ses paronls. En 1816, il fut nommé nitMnbrc. des États provinciaux, puis, en 1817, membre de la sotiété de littérature et des beaux-arts de Gand. Le roi des Pays-Bas lui confia en 1818 l'emploi de bourgmestre de Waes- Munster, et quand, deux ans après, il alla à Saint-Nicolas, chef-lieu du pays de Waes, occuper le poste de commissaire de district, les habi- tants de sa commune lui exprimè- rent par de vives démonstrations leursregrets et leur reconnaissance; proclamant que, pendant la trop courte durée de son administra- lion, il avait marché sur les traces de son digne père, en se montrant le bienfaiteur du pauvre et le dé- fenseur impartial des intérêts de ses administrés.

Pendant 9 ans, Vanden-Bogaerde s acquit, dans ses fonctions de com- missaire de district, la plus haute considération; les communes, les Etals députés, et surtout le gou- verneur de la province de Flandre- Orientale, M. le baron Vandoorn- Van-Wescapelle, surent apprécier sesgrandesqualiiésadminislratives. En 1828, il se vil appelé à une plus importante position, comme com- missaire de district et de milice dans sa ville natale, la capitale de la province de Flandre-Orientale. Pendant le cours de sa précédente administration, il avait écrit sur le pays de Waes un livre plein d'in- térêt, dans lequel on peut voir tout ce qu'il lit pour le bien-être de ces contrées.

En venant s'établir à Gand, Van- den-Bogaerde y lit construire une vaste et belle maison, dans laquelle il réunit une précieuse colleclio i de tableaux lenioignant du bon goûi de son propiiétaire, dont tous

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les loisirs furent désormais consa- crés à une sérieuse élude des scien- ces et des beaux-arts.

Au mois de février 1830, à la veille des grands événements qui amenèrent le démembrement du royaume des Pays-Bas, le roi Guil- laume !"■ le nomma gouverneur de la province du Brabanl-Septenlrio- nal. Pendant les douze ans qu'il occupa ce poste de haute confiance, à cette époque de trouble et de ré- volution, il entretint une corres- pondance intime avec le roi ei le j)rince royal, qui tous les deux ai- maient Vanden-Bogaerde autant à cause de ses excellentes qualités de cœur, qu'à cause de son zèle infatigable comme fonctionnaire pu- blic. Les discours annuels au nom- bre de douze, qu'il prononça pen- dant le cours de son administration provinciale, sont les meilleurs do- cuments pour l'histoire de celte contrée dans ces temps agités qui virent expulser la maison d'Orange des provinces voisines, alors que le Brabant - Septentrional, presque entièrement catholique comme le sud, resta inébranlable dans sa li- délilé à la royauté des Nassau. Lorsque le roi Guillaume, au mois de novembre 1830, congédia tous ses employés belges, il maintint Vanden-Bogaerde dans ses fonc- tions de gouverneur. En 1831, il le nomma chevalier de l'ordre du Lion néerlandais; puis, en 1832, il lui conféra le tilre de conseiller dÉlai.

En 1840, son successeur Guil- laume 11 réleva au grade de coiii- mandeur de cemêmeordredu Lion néerlandais et le nomma son cham- bellan.

En 18-42, à l'occasion du mariage de S. A. R. la princesse Sophie des Pays-Bas avec le grand-duc héré-

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(Jilaire de Saxe-Weimar, ii obtint la place de grand échanson de la couronne et de grand officier de la maison du roi.

A son avènement au trône des Pays-Bas, le roi Guillaume III vou- lant, comme ses prédécesseurs, té- moignera Yanden-Bogaerde le prix qu'il attachait à son mérite et à ses éminentes qualités, lui envoya (en 1849) les insignes de grand'croix de l'ordre de la Couronne de chêne, et l'ordre équestre du Brabant-Sep- tentrional , qui l'avait reçu dans son sein en 1840, le nomma dix ans après son président.

Nombre de sociétés savantes des Pays-Bas et de l'étranger l'attachè- rent à leurs honorables travaux. Toujours actif et rempli de zèle pour les intérêts de la science et des arts, il établit dans la capitale du Brabant-Septentrional le siège d'un corps scientifique, artistique et littéraire, lequel possède, dans l'un de ses vastes salons, le portrait (le son noble créateur peint par A. N. Vanderen, artiste distingué de Bois-le-l)uc.

En 1835, Vanden-Bogaerde avait acheté la seigneurie de Ileeswijk et Dinther,dontil lit rebâtir l'antique chfilea'.i dansle style du moyen âge; c'est que dans un heureux loisir il acheva ses jours au milieu des souvenirs de tout le bien qu'il avait eu le bonheur de répandre autour de lui pendant le coui's de sa la- borieuse carrière. 11 mouriU le 17 janvier 18o5, laissant trois fils, dont deux, lestés habitants du château d'IIeeswijk, y conservèrent la pré- cieuse collection d'antiquités, de tableaux, de livres et de curiosités qui font de celte demeure un véri- table nuisée, et sont un monument de famille qui ne cessera de raj»- peler à la postérité un liomnie de

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rare mérite, dont le nom est ins- crit avec honneur dans les fastes du pays qui l'a vu naître, à côté de celui du souverain qui le combla de ses faveurs. Vanden-Bogaerde a publié plusieurs écrits qui, non moins que les actes de sa vie, sont de nature à lui assurer un honora- ble et perpétuel souvenir ; en voici la nomenclature :

Essai sur l' encouragement et le développement de la Tisseranderie dans la Flandre-Orientale. (Gand, un vol. in-12. Hollandais.)

2" Le District de Saint- Nicolas, jadis pays de Waes, dans la pro- vince de Flandre-Orientale ^ considéré dans ses rapports physiques, politi- ques et historiques, suivi d'une des- cription particulière de chaque ville, vilUuje ou communauté de district. (Saint-Nicolas, 1823, 3 vol. in-8» avec figures. Hollandais.)

Rapport à la Société d'agri- culture et de botanique de Gand, sur la culture et la manipulation de la garance. (Messager des sciences et des arts, à Gand, 1828. Français.)

4" Coup d' œil rapide sur r histoire de la Belgique et de la Pologne, ap- pUquéaua; événementsde i^SO. (Bois- le-Duc, 1831. Français.)

■6" Essai sur l'importance du com- merce, de la navigation et de l'in- dustrie dans les provinces formant le royaume des Pays-Bas, depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1830. (La Haye et Bruxelles, 1845, i vol. Français et hollandais.) D"" W.

VAN DEN BROÏXK (Pierre), marin hollandais, le fondateur de Batavia, naquit à peu près en même temps que la république des Pro- vinces-Unies, c'est-à-dire entre la par-ification de Gand (1571) et le traité d'union d'LUrecht (15S1). 11 montra de bonne heure une grande aptitude et un goût d''s plus vifs

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pour le commerce, puis bieulôl pour navigation commerciale. L'Éiat naissanl on favorisait dès celte époque le développement; et la jt'une confédéralion présentait le rare spectacle de la lutte sur place pour l'indépendance et de la lutte au dehors contre les éléments et les étrangers pour l'expansion de l'industrie et de l'activité nationales. LesPortugais, les Espagnols avaient ouvert la voie des grandes et lucrati- ves aventures équatoriales et natu- rellement s'étaient taille la grosse part. Les cités néerlandaises eurent le mérite de comprendre que ce qui restait encore nétait pas à dédai- gner, et même elles devinèrent que les uns, ne pensant qu'à l'or, leur laissaient , par cela même, le lilon bien autrement fécond du tra- fic; que les autres, tout récemment tombés ou en train de s'atrophier sous le joug stérilisateur de l'Èscu- rial, |)Ouvaient, un peu plus tôt, un peu plus tard, se laisser spolier par ceux que naguère ils méprisaient. Ces prévisions, la première moitié du dix-septième siècle les vit se réaliser ; et Van den Broeck. est un de ceux qui préparèrent , et faci- litèrent ce mouvement. Sa jeunesse .se p:issa eu ^^rande partie sur les côtes d'Afrique , nous le a oyons se distinguer dans quatre voyages successifs, le premier au cap Vert, les trois autres au sud de la Ligne et sur les côtes de la Guinée méri- dionale. 11 y trouva les Portugais au royaume d'Angora, les l'ortu- gais encore lorsciu'il s'agit, pour ses compatriotes cl lui, de remonter les eaux du tleuve Congo , et tou- jours et partout les Portugais lorscprou ciitrepril de pénétrer à l'intérieur du Loan^iO. Les tirail- lements , les conlliUs qu'amena ce contact pronièienl au voyageur

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hollandais et lui donnèrent l'expé- rience en même temps que l'habi- tude des difficultés de toute espèce, épisodes indispensables d'un éta- blissement en pays étranger, non-seulement le climat, les habi- tants, la nature dés choses sont hostiles, mais viennent s'adjoin- dre à tant d'obstacles les jalouses concurrences de rivaux; et ses compagnons le regardaient en mê- me tempscomme bon marin, comme administrateur, comme homme de tête et de ressources, lorsqu'on IGl I, âgé de trente et quelques an- nées, il revint jouir d'un intervalle de quelque repos en sa patrie. La Compagnie hollandaise des Indes était alors au lendemain d'un dou- ble échec sur la péninsule de Ma- lacca et désespérait presque de ja- mais réussir k former aux Indes, comme le conseillaient les plus ha- biles marins, un centre de puis- sance d'où tous ses établissements d'Orient reçussent soit des vivres , soit des secours, lorsque, par un heureux hasard, l'amiral Reynst, mis par les directeurs à la tôle d'une ex- pédition nouvelle, jeta les yeux sur l'habitué des côtes d'Afrique pour le placer en qualité de premier com- mis à bord d'un de ses navires, le Nassau. '^'i l'amiral, ni celui sur le- quel tombait son choix n'avait l'idée alors que les île.-: de la Sonde ne tarderaient pas à devenir le ihéA- tre principal de leur activité. Ici commence la période vraiment im- portante de sa vie. Elle embrasse dix-neuf ans. Nous la diviserons en trois phases.

La llolte partit du Texel le 2 juin 1()13; et longtemps sa navi- gation fut loin d'être jirompte, puisqu'on n'atteignit la rade de Tile d'Anjouan que le ilJjuin 1G14 (un an donc et un jour après qu'on

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avait appareillé). La traversée, en revanche , avait été des plus heu- reuses; et il faut remarquer que deux fois au moins l'on avait relâ- ché aux baies de Saint-Antoine et de Saint-Vincent d'abord, et plus tard à l'ile d'Annobon, où, par ie passé , les Hollandais avaient eu fort à se plaindre des Portugais, maisavaientfortementréprimé celle insulte et où, cette fois, soil souve- nir des représailles un peu rudes qu'ils avaient exercées, soit crainte des forces présentes qu'étalait l'a- miral batave, ils purent se ravitail- ler et d'eau et de fruits icieux, non-seulement sans collision, mais avec force civilités et force offres de services de la pari du gouverneur. Les navigateurs ne s'en tinrent pas moii)ssurleursgardes(/»/7/um ?■/«/;('/'- turbatœ rei diffidere); s'ils eussent été tentés de négliger ce précepte, Van den Broeck était qui ne leur permeitait pas de l'oublier. Ainsi devant Anjouan , Reynst envoya le premier commis du Nassau deman- der aux chefs de Tile la permission d'acheter des rafraîchissements, ce qu'il obtint à des conditions favo- rables tant d'un roitelet musulman que l'on qualifiait roi (inélik), i\\ie de la veuve d'un prince dont l'em- pire avait embrassé tout l'archi- pel des Comores.etqiii, soit comme apanage, soit autrement, possédait dans Anjouan la ville peu connue de Deinonio. MoUanaPsechora ^lel est le nom qu'il donne à cette princesse et qui , très-déjiguré, d(.'vrait peut-être s'écrire Maoulana Begham) lui fit un accueil qui montre assez à quel point le vi- siteur avait la parole persuasive et s'enlendail à paraître néces- saire, jetant ainsi des jalons pour l'avenir, obtenant des renseigne- ments utiles et nouant des rela-

tions. Aussi l'amiral le mit-il de nouveau et sur-le-champ à contri- bution pour explorer l'ile de Ga- sisa, que sa proximité d'Anjouan (50 kilomètres seulement l'en sé- parent) semblait désigner pour une station avantageuse; puis pour prendre connaissance des parages que baigne le sud de la mer Rouge, e(, à cette occasion, il le promut au grade de capitaine-major du na- vire qu'il montaii (toujours le Nas- sau). Sa première mission fut cour- te, 'Van den Broeck ayant bien vite reconnu que l'île n'offrait qu'un mouillage insuffisant et des dangers graves de la part des belliqueux habitants, qui s'y livraient bataille sans cesse. L'autre exploration fut plus laborieuse. Il eut d'abord à longer tout le littoral de Méiuide, à doubler les caps d'Orfoul et de Guardafoul, puis, après s'être diri- gé quelque temps le long de la pUige africaine et vers le cap de l'Éléphant ou Ras-el-Fll, h traver- ser, vers le 12" de latitude nord, la manche de Bab-el-Mandeb pour aborder à l'Arabie Heureuse, jusqu'alois jamais Hollandais n'a- vait porté ie pied, ni mémo fait llotler sur la cote la voile d'un navire. Chemin faisant , souvent il avait marché très-vite, et pen- dant qu'il serrait les rivages de Mélinde, vlngt-qualre heures lui suffirent pour parcourir de 250 k 3l)0 kilomètres ^11 dit 60 lieues). 11 découvrit près du cap d'Orfoui une belle baie que ne portait encore nulle carte et qu'il dénomma baie de N.issau ; il reconnut que les populations de tout ce pays, le long de la côle non arabe de Bal>-el-Mandeb, étaient défiantes , farouches et insociables. La cùle arabe atteinte, il vint mouilU;r d'a- bord au-dessous et près d'Aden,

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le soin qu'il eut de présenter les Etals-généraux et le prince d'Oran- ge, ses souverains, comme les al- liés, les amis du padichrih de Gon- stantinople, lui valut du p:oHver- neur Iça-Aga une réception gra- cieuse, mais sans conclusions déci- sives. Il mil alors le cap sur Chichiri, port un peu plus septen- trional et résidence d'un pacha su- pt-rieurau premier, et seul dès lors ayant pouvoir d'octroyer aux Hol- landais l'autorisation de commercer, soit à tout jamais, soit temporaire- ment. Van den Broeck eut quelque peine î» le déterminer. Le pacha partait d'un principe de défiance : des marchands indiens, persans, abyssins, madécasses fréquentaient la rade , fort grande et fort com- mode, de sa ville de Chichiri ; il craignait qu'un peuple si dilférenl. des Asiatiques et des Africains ses coreligionnaires et ses hùtcs habi- tuels, ne s'avisfil d'attenter au pri- vilège de sa rade. Finalement, l'éloquence de l'Européen triom- pha, les arguments irrésistibles ai- dant; la nature des choses, d'ail- leurs, et la modicité de ses deman- des ne pouvant laisser de doutes sur la loyauté de ses vues : il ne sou- haitait, pour commencer da moins, (ju'un modeste comptoir (pi'habite- raient un simple facteur et deux hommes de service ; puis cet éta- blissement, il le disait et il disait nmi, ne devait être qu'un essai; le grand b:it de Claasz Vischer, son facteur pendant ces premiers in- slanis, serait surtout d'apprendre i'arahe, puis , grAce ;i la connais- sance de l'idiome, de s'enquérir des besoins et des goùls des habi- l.iuls pour les satisfaire (mi leur portant les produits de l'Europe, tandis qu'on les débarrasserait du superflu des leurs. Lui-même ,

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ailleurs, il ne voulait ni';ne pou- vait rester, il était impatient d'aller rejoindre la grande flolte qui cin glait vers l'est et qui devait avoir touché Java. En effet , il quitta bientôt son comptoir naissant ; et, après avoir séjourné un moment à Koursini , ne purent le retenir les démonstrations affectueuses de Saïd-Bou-Saïdi,trop ami, selon lui, des Portugais, après avoir remarqué l'île d'Engagno, après avoir donné commission au général Both, qu'il rencontra ramenant en Hollande quatre gros vaisseaux à riche car- gaison, de communiquer aux direc- teurs de la Compagnie le résultat de ses investigations de la côte méridionale, tant à l'est qu'au nord du détroit de Bab-el-Mandeb, il vint jeter l'ancre dans le port de Bantam le 30 décembre 1614.

Il avait dix-huit ans alors que Houtmann, le premier des Hollan- dais, avait jeté dans cette ville les fondements d'un comptoir, qu'il avait été contraint bientôt d'aban- donner, mais qui, rétabli deux ou trois ans plus tard, était devenu le centre d'où rayonnaient, soit de- vers Ceylan et l'Inde cisgangétique, soit devers lesMoluqueset Célèbes, les tlottilles commerçantes qu'ex- pédiait la Compagnie. .1. P. Coen y commandait alors en chef au nom de celle-ci. Van den Broeck avait k peine eu le temps d'ailerrer, qu'il reçut de lui commission d'aller chercher des vivres à Jakatra pour les transporter aux Moluques. Jakatra , qu'avaient aperçue et Houtmann et Harmanzen et Mate- lief et Verhoeven, le premier sans vouloir y descendre, les deUx autres sans y porter grande attention, le dernier avec assez d'enthousiabinc pour en déclarer dans un rapport la situation bien autrement avan-

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lageuse que celle de Bantam, était toujours négligée par les Euro- péens, y coîiiprisles Hollandais; et ceux-ci n'y taisaient que des ap- paritions passagères pour s'appro- visionner, non de marchandises, mais d'objets de consommation im- médiate. Van den Broeck, tout en ne s'attardant point en une ville sa seule atîaire était d'opérer de lapides achats, s'aperçut vite, bien qu'il n'eût certes pas eu confidence des idées de Verhoeven, qu'il y avait tous les éléments d'une station, d'une exploitation centra- les, éléments dont rien ne prouvait que Bantam présentât véritable- ment la réunion. Provisoirement, cependant, il garda ses remarques pour lui ; et, reprenant la mer, il lut bientôt à mi-chemin de Banda. 11 y fit rencontre de lieynst, au- quel, ainsi qu'à Both naguère, il rendit compte immédiatement de ce qu'il avait soit vu, soit t'ait, soit projeté sur les cotes de la mer Rouge, et qui le chargea d'aller installer un autre facteur dans l'ilo (disons plutôt dans les iles) de Bo- ton. Ce n'était qu'un détour léger. Bientôt il l'ut au lieu de sa destina- tion ; et Rini , le gouverneur des Moluques, lui donna coup sur coup diverses petites missions, auxquel- les il dut de ne pas voir d'un bout à l'autre, et de ses yeux, tous les in- succès de son amiral Reynst dans l'ile de Banda.

De retour enfin à Bantam, en automne, épo(}ue à la(}iielle nous terminons la première phase de son action aux Indes, il reçut de Coen l'ordre de revisiter, en <jua- lilé de Président des établisse- ments qu'il pourrait y former, ers parages arabiques dont nui Kuro- péen, sauf lui, n'avait de notion : de plus, il devait en passant don-

ner un coup d'œil à Priaman et Tikou (deux points de l'ile de Su- matra), et s'aboucher avec le roi de Cey lan . Ces deux pays lui fournirent matière à quelques observations utiles ; mais, quoiqu'il eût mouil- lé dans la rade de Balagama, le temps lui manqua pour remplir à la lettre la seconde partie de ses instructions. Le monarque chin- galais était alors loin du littoral. Du rtiste, le but qu'avait en vue Coen, n'en fut pas moins atteint. Le 11 janvier suivant (en iGIO, par conséquent), il jeta l'ancre à Chicheri, il retrouva son éta- blissement en bon état; et, quatre jours après, il fit voile pour Moka, il ne rencontra que des navires orientaux; et, ce qui devait le charmer, grande facilité de com- merce, tant avec les indigènes qu'avec la caravane de Suez et de lialeb, qu'amena le mois de mars. Mais Van den Broeck n'était pas de ceux qui s'endorment sur leurs lauriei's : non content du trafic lucratif et commode qu'il venait d'organiser sur le littoral, il réso- lut de vérifier s'il ne serait pas possible de s'étendre à l'intérieur, et, en tout cas, d'explorer par lui- même les richesses naturelles du pays. Il obtint du gouverneur un passe-port pour se rendre à Scra- sia, le chef-lieu du pachalik dont faisait partie Moka, et un firman enjoignant à tous les cheiks ou autres chefs dont il traverserait le pays, de le défrayer et de l'accueil- liravecdistinction. Van den Broeck ne prit d'auU'es compagnons de voyage qu'un commis et un trom- pette. 11 parcourut ainsi de deux cents à deux cent cinquante kilo- mètres tantôt passant des monta- gnes dont une à pentes abruples et presque inaccessibles ()fouz\

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!;intO)t saluant diMîomhreuses mos- quL't\s ei un tombeau monumental d'une niagniticence qui rétonna, tan- tôt trappe de ia feitilitéd unsol loute l'année, dit-il, labours, semail- les et récoltes marchaient de front en même temps. C'est ainsi qu'il at- teignit Serasia, d'où bientôt, com- me ce n'était que le chef-lieu no- minal, il diit pousser douze kilom. plus loi» jusqu'à Chenna, pour y rencontrera sa maison de plaisance le pacha, dont l'autorisation eiit consolidé son établissement en Arabie. De nos jours encore, on peut trouver de l'intérêt, et même quelque chosede neuf auxdétailsde cet itinéraire et duséjour à Chenna. Le Hollandais reçut un accueil des plus polis; on lui montra les curio- sités du pays; on le fêta même. Mais il ne trouva chez le haut fonction- naire pas moins de réserve que de civilité. Soit que les enlours du pacha eussent été froissés d'en- tendre son trompette sonnera l'en- trée du fort habité par leur maitre et sous les fenêtres du harem l'air " Guillaume de Nassau, » comme si harem et fort étaient déjà le lot du nouveau venu, soit parce que pen- dant que Van den Broeck s'enfon- çait à l'intérieur, son navire, au lieu de rester à Moka, s'était avan- cé au nord jus(pràDjeddali,elsem- blait se préparer à pénétrer plus loin encore, ses demandes n'ob- tinrent qu'une lin de non-recevoir tout aussi impatientante (}u'un re- fus et provisoirement équivalente au refus le plus formel : « D'abord, ce n'est pas moi, pacha, (jui puis vous autoriser. Pour les élablisse- meiiLs à demeure, il faut l'a^zrément, il faut un lirman de Sa Ilauiesse. Ce n'est pas tout ; ici, car ici nous sommes voisins de la Mekke » (en effet, l'on n'en <'st guère qu'à

i ,200 k. !), a nul giàour ne peut met- tre les pieds, sans aller contre les ha- tits, sinon contre le Qoran; il vous fautunfetwahducheikhou-'I-islàm. Attendez que notre kodjah écrive à Stamboul, et surtout attendez les réponses. Nous aurons le hatti-ché- rif au bout de l'année, le feiwah avant deux ans, si l'on ne le refuse pas. » Notre voyageur n'eut garde d'attendre. Mauvaise plaisanterie, ou simplement mauvais vouloir, c'était pour lui tout un. Il ne pou- vait triompher de celui-ci, se ven- ger de celle-là encore bien moins, à moins que sa vengeance ne fût de les laisser à leurs vieux us, à leur stagnante routine, ne leur deman- dant rien de leurs produits, ne leur aj)portantrienderEurope. Aussi, de retour à la côte, après l'excursion iur fructueuse, non content de renon- cer à s'installera Moka et d'exploi- ter les environs, supprima-t-il le comptoir de Chichiri, au grand re- gret et des habitants et de leur prince. Se rabattant alors sur l'Inde cisgangéiique, il vint mouiller à Surate ; et là, malgré des obsta- cles de plus d'un genre, il parvint à placer sur un pied à peu près so- lide un comptoir à côté de celui qu'y possédaient les Anglais. Il en fonda même d'autres en des locali- tés, les unes déjà exploitées, les autres convoitées par eux, telles que Brochia, Kandaya, Ahmedabad. Il ne faut pas demander si ceux-ci l'y virent avec chagrin : il n'est pas de moyens qu'ils n'employè- rent pour le faire congédier; et l'on |)eut dire qu'ils n'épargnèrent point Tarjent pour s'acquérir cette chance de monopole à toute ou- trance... Si Penjnmd numviis. . ., etiam lus. 1! y eut même un instant où, lassé d'avoir à déjouer tant d'intrigues et a se défendre de tant

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de chicanes, Van den Broeck s'a- visa du remède héroïque, un brus- que et complet déménagement. Mais la population, mais plus en- core les trafiquants possesseurs de navires orientaux, faisant le com- merce, soit que la concurrence intereuropéenne leur portât pro- fit, soit qu'ils redoutassent pour leur cargaison la violence et la cu- pidité biitanniques, s'empressèrent de témoigner leurs regrets de celte retraite, et supplièrent, ou plutôt requirent le gouverneur mogol de lui faire faire voile arrière. Van den Broeck donc resta, non plus par pure tolérance, mais sur les instances des indigènes, et s'il fut stipulé qu'il devrait obtenir, pour que son établissement fût définitif, l'agrément du Grand Mogol ou de son durbar, évidemment ce ne fut que pour la forme : provisoire- ment il existait , provisoirement les calomnies de ses concurrents étaient frappées de paralysie, et nul doute sérieux ne pouvait s'éle- ver sur le résultat. Les Anglais n'en revinrent pas d'élonnement; mais cet élonnement ne démontre que mieux le mérite de leur adroit adversaire. Ils répétèrent que son départ n'avait été qu'un simulacre,

qu'un vain jeu Jeu? soit! Mais

vain jeu? Le mol cesse d'être juste : Leur compétiteur avait bien joué. i\ous glisserons sur les missions de plus en plus laboiieuses et dé- licales dunt l'investit pendant les douze ou quinze mois suivants la confiance toujours croissante du général Goen, et qui l'amenèrent, en juillet lG17,sur lescôles d'Afrique, déjà nous l'avions vu. Aux en- virons des caps d'Oifoui et Guar- dafoui, son navire lut ballu par une tempête des plus furieuses qui , non seulement le poussa dans les

eaux de la manche de Bab-el-Man- deb, mais devant laquelle il fut obligé de fuir voiles arrière jus- qu'à l'Inde, au sud de la pénin- sule de Goudjerate; encore ful-il réduit à se faire échouer en attei- gnant la tôle de Daman, la der- nière ville importante que possé- dât au sud le Grand-Mogol, dont alors la domination ne comprenait rien ou presque rien du Dekkan. Aucun des siens pourtant ne périt, et même il put sauver partie de ses marchandises, qu'il mit à couvert derrière un abri improvisé; après quoi, presque seul, il franchit la courte dislance qui le séparait de Surate , comptant y trouver des moyens de reprendre la mer en frétant galiolle ou yacht, prame ou jonque. Il espérait à tort. Les moyens de transport, il est vrai, ne man- quaient pas : il put compter jusqu'à sept navires en rade à Surate. Mais tous les sept étaient des na- vires anglais, et les sept capitaines furent unanimes à lui refuser toute aide. Ils ne voulurent pas même mettre à sa disposition la moindre chaloupe. Force eût donc été d'a- cheter et de faire venir de localités lointaines quelque embarcation qu'on n'eût pas vue avant de l'ac- quérir, et qui peut-être u'eûl pu, chargée de son équipage, tenir la mer jusqu'à Java. Ne voulant ni courir ce risque, ni ruiner par des frais disproportionnés son comp- toir naissant, l'intrépide naufragé prit uu héroïque parti : ce fut de se rendre par terre, en traversant toute l'épaisseur du Dekkan, à la côte orientale de la péninsule, d'où probablement il ne lui serait plus diîlicile de se rendre à la pointe de Malakael aux ilesmalaisieiuies. Des Hindous même, àquehiue peu- plade (pi'ils apparlinsseut, très-

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peu acromplissaient en lolaliu* ce voyau'e de plus de mille kilomètres (|ue rendaient dos plus pi'uibles les inontaj,Mies, les rivières, et presque partout l'absence de routes pralica- l)les, et que hérissaient de périls, ici les bêtes féroces, \i\ les hommes plus léroces qu'elles, barbares à peine échappés h la vie sauvage, vivant de la vie de bandits, et tantôt les uns, et tantôt les autres en éiat de iîuerre entre eux. Cent Irenîe-deux iiommes, dont cent trois Hollan- dais et viniït-neuf Asiatiques, qui naguère avaient formé l'équipage (lu Nassau, se mirent en route avec lui pour partager ses aventures et ses périls. Des bœufs portaient ses bagages et ses marchandises, et ses hommes étaient armés comme pour enlrer en campagne. Le dépari dut avoir lieu vers le commencement d'octobre (IGIT).

Les premières journées se pas- sèrent paisiblement îi parcourir les dépendances orientales du Goud- gerale (Nocherni , Gandivi, Ar- maou). Mais ils n'eurent pas plutôt mis les pieds sur les terre? des Kad- jepoutes qu'ils durent prévoir et même qu'ils eurent des hostilités à repousser. A cinq kosses (soit 30 k.) d'Armaou , les liabilanis d'Onvvi prétendirent, en dé;iit du passe- port dont Van deu Broeck s'était muni, lui faire payer un droit par homme et pour chaque bœuf chargé. Il .s'ouvrit le passage cependant sans bourse délier ; mais 20 k. plus loin, Ji Kamela, il trouva la route barrée par de ;iros arbres et fut as- .sailli de toutes p:irls. Vingt-cinq coups de mousquet réduisir<;nl les assaillants à fuir, non sans perle, et à se tapir dans les bois, d'où plu- rent encore des flèches, auxquelles ripostèrent des balles : un de ses Tartares, dan;i ces engagements, eut

le dos fendu en deux par un Japo- nais au service des Européens. Le lendemain, il fallut marcher ensei- gnes déployées au travers de hautes et âprt s montagnes, puis jouer de l'arme ii feu et de l'arme blanche au sortir du défilé contre le com- mandant d'un fort voisin, à la solde du râdjâ de Partibassa (ou Parla- ba?): trois colonnes de cavalerie arrivèrent successivement sur îa petite troupe hollandaise aux cris de « Mahar kotta , inahar kotta (tue, lue ces chiens, w c'est-k-dire ces Infidèles). Le gouverneur était en personne à la tête de la pre- mière. Van den lîroeck les al- tendil de |)ied ferme et en bon or- dre, et ne donna, que lorsqu'ils furent à la dislance par lai voulue, le signal d'un feu nourri qui cou- cha par terre, entre autres victi- mes, le gouverneur ; les deux autres corps, en dépit de leur ardeur, ne furent pas plus heureux. Et vaine- ment les fantassins, embusqués dans les jongles le long de la route, décochèrent, tant qu'ils furent sur leurs terres, leurs flèches et leurs dards contre les voyageurs. Trois seulement de ces derniers res- tèrent morts sur la place... Il est vrai que Ningt-hnit étaient blessés. -Mais qu'était-ce au prix des perles qu'avaient à déplorer les belliqueux Kchalriyasde Parlibassa? Les Hol- landais en apprirent le nombre exact le lendemain, quand ils pu- rent se reposer, iuattaqués en même temps ((u'inolfensifs , sur les terres du Dekkan. Quatre-vingt- ci[i(i des ennemis étaient tombés sous leurs coups; et sur le bûcher du gouvfTueur étaient montés, pour y périr dans les flammes, tous ses domestiques, ses esclaves et son harem. La population du Dekkan était alors en guerre avec son

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voisin le râdjâ de Partibassa : l'é- chec que venait de faire éprouver aux soldats de ce prince turbulent et inquiet la suite de notre Hollan- dais ne putdonc que lui valoir un af- fectueuxet parfait accueil de la part des Dekkanais. Cependant il ne put se dispenser de rémunérer à beaux réaies de huit comptant l'es- corte armée qu'on s'empressa de lui donner pour atteindre Van- dandérin ; et encore, pour avoir le droit de quelquesjours de repos et droit de passage, il crut sage de composer, préférant avec raison perdre un peu de monnaie que du temps et des hommes. Bientôt après, il eut franchi l'espèce de mur que forme la double chaîne des Gates, salua de loin les deux forts d'Aneque et Taneque sis chacun sur des cimes opposées. Laissant ensuite ses malades à Pa- loda sous la garde d'un commis, pour ne pas retarder indéfiniment sa marche, il atteignit un yaste camp de 16 ou <8 k. de tour, que commandait, à la tête de 80 000 ca- valiers, plus de l'infanterie en pro- portion , un général abyssin que son mérite et quelque peu d'intri- gue avaient investi d'un pouvoir équivalent k celui de régent. Sim- ple esclave, d'abord, d'un grand du Dekkan (qui l'avait acheté 20 pago- des, soit 80 fr.), après la mort de son maître, il avait épousé sa veuve, s'était fait chef de routiers qu'il porta successivement à 5,000, tous cavaliers, et après avoir longtemps levé la dime sur les passants de facile composition, le quint ou dou- ble quint sur les récalcitrants, avoir longtemps déjoué les efforts de Ni- zam Djehàn (le roi du Dekkan) pour s'emparer de sa personne, il était devenu le personnage le plus consi- dérable de sa cour, son génér'ilis-

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sime, son beau-père, puis enfin le gendre mourant, comme de rai- son, le tuteur, le tout-puissant tu- teur du jeune fils de sa fille. Mélik-Anbâr (c'était le nom, disons plutôt le sobriquet royal (1), de ce quasi-monarque) tenait tête alors aux forces du Grand-Mogol. lUe montra plein de courtoisie pour Van den Broeck, lui fit présent d'un sabre du Japon, d'un poi- gnard de Java, d'une veste d'or et de poil de chameau, lui de- manda des nouvelles de ses malades de Patoda et voulut le retenir à son service. C'est son attitude à rencontre des Radjapoutes de Par- tabrissa qui lui valait ces égards. Il y a plus : quelques députés de ceux-ci étant venus présenter leurs plaintes contre le voyageur, comme leur ayant enlevé leurs chevaux, l'ex-chef de héros de grandes routes ne leur répondit que par des propos de ce genre et en riant : « Eh bien! le voilà devant vous, que ne le pre- nez-vous ? » ou bien : « Pourquoi vous laissez-vous enlever vos che- vaux?» Le Hollandais ayant décliné ses offres, Anbàr n'en fi[ pas plus froid visage à son hôte, et il lui donna de si main un p;isse-port pour les autres pays à traverser. Tous n'étaient pas do ses sujets ou de ses amis, et plus des deux tiers (le la route restaient à faire. De Djikedon à Kafrio (près de 60 kos- ses ou 300 k.), il fut presque coiis-

[D On sait que melilc (ou melek) on arabe veut dire roi : anhar (on, comme r(''<nt Vaii (ien iJroeck, ainbaur) est probablement l'ori-inal de notre mot aiubre; A c'est un de ces sobriquets par anliplira.se [sous, goul, yd out^ f/ouhcr, etc., que d'un bout i»' l'antre de l'Orient on donne à ces pauvres es- claves, au teint fuligineux.

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tamment sur les domaines du Grand- Moiïol : on lui refusa l'entrée de la ville royale de Kaoulas, et il dut dresser ses tenies au village de Chamentapour ; il ne put non plus visiter Goikound, attendu, lui dit- on, que se trouvaient nombre de harems, zénànas et antapou- ras, des grands du royaume ; à Bag- ganagar, il eût à subir une capti- vité de quelques jours, n'ayant pour demeure qu'une vieille grange, et lorsqu'il redevint libre, il vit, tou- jours à Bagganagar, le gouver- neur de Masulipatan lui retenir le sauf-conduit d'Anbàr,sous prétexte que donner passage à tant de monde îi la fois serait un acte de haute imprudence. « Prenez, leur dit-il, par Pétnpoli, d'où vous vous rendrez à Paliakate. » Tel fut en eftel le chemin qu'il prit d'abord; mais, arrivé au gros bourg d'Ibra- himpatan , il fléchit vers Masuli- palan, but premier de son voyage terrestre et son plan avait été de reprendre la mer. M;iis en- core, surgirent des obstacles. La police de cette ville voulait qu'il lui remît ses arme.> ; et, pendant ce (•oiiflit, il apprit que ses malades avaient été séquestrés à Normol. Il revint sur ees pas, tenta sans fruit de se les faire reridre, et, chaque jour, plus circonvenu par des pé- rils de toutes sortes, tantôt gagnant Péiapoli j)ar Badour sans pouvoir y entrer, tantôt rebroussant chemin jusqu'à Mout.'pouli, ici se voyant refuser des vivres contre argent, là, faute d'un canot, que personne ne voulait lui louer ni lui vendre, forcé de passer à la nage, sa troupe et ui, kMM's armrssur les épaules, les flotî- hérissés de brisants, aiiu d'at- ttMudre le yacht d'un compatriote (Hans de Haas, gouveriicu; eu ces parages), il atteignit enlinl*aii:«kate

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et le golfe du Bengale. C'était en janvier 1018. Il eût pu dès lors ^'-e rendre aux îles de la Sonde. Il se laissa déterminer par Hans de Haas à prendre part à ses croisades contre les Portugais; et là, tout en s'ini- tiant à la parfaite connaissance de la côte de Coromandel nous le verrons reparaître plus d'une fois, il acheva de se familiariser avec les principes et les habitudes mili- tairos dont il avait si fortement l'instinct : cinq bâtiments, dont trois frégates, composaient leur escadre. Il n'est pas dit que de très-riches ou très-nombreuses prises aient récompensé leurs excursions. Van den Broeck fut plus heu- reux cà la cour du roi d'Achin, qui, tout fier qu'il fût de ses ré- cents succès sur le roi de Pahan, consentit, grâce à l'habileté du né- gociateur, à renouveler son traité avec les États. Vingt et un mois s'étaient écoulés pendant ces cour- ses si multipliées et si périlleuses. De retour à. lava, son point de dé- parl,il y trouva tout enagilationet en péril (7nov. 1618). Coen était en guerre avec le roi de Banlam, que probablement avaient animé les dénonciations des Anglais, et se te- nait sur la défensive. Ces mêmes Anglais, au mois de décembre sui- vant (1618), mettaient la niain par trahison sur un navire batave, le Lionnoir, qui venait de Pafane. A cette uouvelle.VandenBroeek, qui, de Jakatr.i s'apprêtait, par ordro sans doute, îi faire voile pour Su- rate, prit tout à coup une décision dont l'initiative, en compromettant un moment sa responsabilité, ne peut que lui faire honneur aux yeux de tout juge impartial. Ju- geant qu'une course toute com- merciale n'ofl'rail pas d'urgence à l'heure d'une pareille crise, il se

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dit que l'important était pour ors de fortifier si bien la loge de sa nation à Jakntra qu'elle fût à l'abri de toute insulte anglaise... ou au- tre..., puisque les roitelets du pays prenaient tout Tair de passer à l'é- tat de marionnettes anglaises, et puisque, d'ailleurs, les Anglais avaient là, tout près de l'embou- chure du fleuve, une loge mieux située que la leur. Il commença par entourer ses bâtiments de pa- lissades et d'un rempart de terre. Les Jakatrais répondirent en com- mençant à leur tour des foriifica- tions. Van den Broeck n'en fut que plus résolu et plus ardent : il ac- céléra les travaux; les palissades devinrent enceintes continues; les pierres de taille remplacèrent la terre et le bois, et le tout prit le nom de Batavia. Vidourg-Bâm (c'était le nom du potentat de Ja- katra) faisait, pendant ce temps, construire sous la loge anglaise et d'après un plan anglais une es- tacade qui barrait le fleuve. Deux jours après, les boulets volaient de part et d'autre; des Hollandais et des Anglais , voire des Jaka- trais mordaient la poussière ; les succès se balançaient. La loge anglaise cependant recevait assez d'avaries pour que les Anglais, à Bantam, demandassent instam- ment au roi de celle ville qu'il exer- çât, pour pux, des représailles en incendiant la loge hollandaise. Ce prince, fin politique qu'il était, se contenta d'envoyer à Vidourg-Ràm de 3 à iOO hommes, c'est-à-dire juste assez pour n'être pas détrôné par ses nouveaux voisins, mais trop peu pour les écraser eux- mêmes. Le danger ne laissait pas d'être immense pour ceux-ci. L'ne flotte britannique de onze voiles menaçait de franchir le détroit de

a Sonde et pouvait, d'un instant à l'autre mouiller en vue de Ja- katra : heureusement Coen, bien moindre en forces cependant, trouva moyen de lui barrer le passage et, sans combattre, para- lysa tous ses mouvements. Mais immédiatement après il s'éloigna pour aller passer de trois Ix six mois aux Moluques. L'ami des Anglais en profita pour se montrer de plus en plus hostile à leurs ri- vaux; et, finalement, les voyant battre avec vigueur sa propre ca- pitale, et k la veille d'y faire brè- che, il eut recours h la trahison pour simplifier l'imbroglio : simu- lant la modération et la fatigue, il signa un traité ou si l'on veut un armistice avec Van den Broeck, qui, moyennant 6.000 réaies de huit une fois données, garderait ses fortifications « in statu quo », nul d'une autre nation ne pouvant bâ- tir à 40 mètres â la ronde; mais une fois l'argent en ses mains et Van den Broeck ayant été, sur son invitation, lui rendre visite, il le retint prisonnieret voulut le forcer à donner aux siens l'ordre de ren- dre leurs forts au roi, s'ils ne vou- laient qu'il pérît dans les supplices. Il le fit môme mener la corde au cou sur le rempart de J.ikatra pour que sa vue et ses exhortations décidassent les Holiandais à céder. Mais, loin de li, Van den Broeck, grAce au poste qu'il occupait, s'a- perçut que, sur un point, le rem- part ne pouvait tenir longtemps si l'on continuait à bijltre en brèche, et il révéla tout haut devant ses gardiens celte particularité à ses amis, généreux a(!te de patriotisme que lui firent expier ces mêmes gardiens par d'ir.dignes brutali- tés, et qui, du reste, ne produisit pas le résultat espéré. Soit que

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les Néerlandais, ainsi qu'ils le di- rent, n'eussent plus do poudre qus pour un jour, soit qu'en s'èloif^nanl Coen leur eût dit qu'en cas extrême mieux vaudrait qu'ils se rendissent aux Anglais qu'aux Javanais, une capitulation eut lieu le 3i janvier (1619), conforme au vœu de tous les habitants de rétablissement nouveau qui remettait les forts au chef anglais Dael, et dès le lende- main cet oflicier se faisait livrer toute l'argenterie du général Coen. Le traité ayant été signé aussi par Vidourg-Rûm, et ce dernier d'ail- leurs n'étant ici que l'instrument des Anglais, il est assez clair qu'immé- diatement Van den Broeck eût dû, selon les clauses de l'accord, re- couvrer sa liberté. C'est ce que les deux dignes alliés se gardèrent de faire, ne croyant leur victoire as- surée qu'en tenant sous clef l'hoa^me dont l'activité leur était surtout redoutable, et, grâce à cette perfidie, n'apercevant plus nul nuage à l'horizon, nul revers pos- sible à leur triomphe. Il en fut tout autrement: en présence de l'astuce indoue, il y a toujours place pour linatiendu. Le pangoram ouràdjà de Bantam, à la nouvelle de l'inci- dent qui donnait, et aux Anglais qu'il n'aimait guère, et à son rival de Jakatra qu'il n'aimait pas , un surcroit décisif de puissance et de richesses, rompit tout net avec les demi-mesures : 2,000 soldais se mirent en route par ses ordres, sous le chelde toutes ses troupes et entrèrent dans Jakatra na- turellement on les prit pour des auxiliaires. Admis au palais, cet oflicier, après avoir remis ii Vi- dourji-Uûm une lettre de son maiire, prolila bientôt d'un moment de lèle-à-lèle avec lui pour lui met- tre le poignard sur la gorge, et lui

rendant perfidie pour perfidie, faire occuper foutes les avenues du palais par les forces qu'il avait amenées. Les Anglais ne purent que prendre h la hâte la roule de leurs comptoirs, que même ils se virent bientôt obligés de quitter et qu'enclava Batavia sans cesse croissante ; les Hollandais cessè- rent d'être inquiétés par les ban- des de Jakatra et reçurent des vivres à la condition de ne pas coniinuer leurs fortifications. Van den Broeck, sorti de sa prison, put croire qu'il allait devenir li- bre. Mais provisoirement il fut conduit à Bantam, ensuite il fut retenu. Moins brutalement traité que naguère, il était cependant entouré d'entraves, épié, traqué, tandis que, par tous les moyens, espoir et menaces ou appel à la reconnaissance, on tentait de l'a- mener à rendre ses forts, à délais- ser ses établissements. Il tint boa, ne dit ni oui ni non, et par des avis secrets pressa ses compa- triotes de pousser les travaux des fortifications jusqu'à ce que les temps devinssent plus favorables aux idées de leur chef captif; ceux-ci achevèrentleur enceinte et d'autres ouvrages, apposèrent en grosses lettres sur leur porte prin- cipale le nom de Batavia, puis fi- nalement se mirent en disposition d'éloigner par les armes tout sur- veillant, tout assaillanl qui préten- drait les rappeler à la lettre de conventions imposées par la force. Cette politique, qu'on ne dévoila que graduellemeni, mais qui ne laissait pas que d'être assez dia- phane par instants, mit deux ou trois fois V.in den Bioeck en dan- ger d'être poignarde. Heureuse- ment Coen finit par revenir des Moluques (25 mars 1020), amenant

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dix-sept voiles, mouilla sous le fort et débarqua douze compagnies qui bientôt eurent franchi les trois kilomètres qui séparent Jakatra de la plage. Trois jours après (le 29) la ville était prise, le roi en fuite, tout ce qui restait de la po- pulation mâle et adulte passé au fil de l'épée, les murailles rasées, et le nom de Jakatra ne fut plus qu'un souvenir. L'émotion fut grande à Bantam : le pangoram chercha pourtant encore à tergi- verser. Coen alors vint s'embosser devant Bantam (8 avril} et somma le cauteleux prince de lui remettre sous vingt-quatre heures soixante- dix Hollandais que les Anglais lui avaient remis en dépôt et Van den Broeck: le Javanais n'en remit d'a- bord que soixante-quatre et menaça le fondateur de Batavia de le tuer, quitte à le livrer mort. Finalement, s'avouant que cette satisfaction déri- soire ne passerait pas impunie, il consentit à s'exécuter complète- ment ; et Van den Broeck avec sept autres fut remis en liberté. Ce dénoùment forme la transition de la deuxième à la troisième phase des services de ce zélé patriote en Orient.

Nous le voyons à présent, im- immédiatement après la rupture de ses fers, reparaître, par ordre de Coen, devant Bantam; mais cette fois c'est avec des forces de terre et de mer. Il vient retirer de la ville du pangoram toutes les possessions de la compagnie hollandaise, et, tandis que le prince altermoie, il détermine quantité de Chinois, ha- bitants de Bantam, à déserter leur patrie nouvelle, à b'adjoindre k la for'iune hollandaise et a venir ha- biter sa cité naissaiite. La popula- tion de Batavia est quintuplée, bientôt elle touchera le décuple...,

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elle ne s'arrêtera pas là. Le pango- ram, auquel, par luxe de précau- tion, il fait la plaisanterie d'en sol- liciter la permission, feint de ne pas tenir à ces émigrants et lui dit qu'il n'est pas surpris, puisque, a en lui donnant la volée, » il s'est bien attendu « à voir d'autres oiseaux s'envoler de la cage. » En revanche, de moins en moins coulant sur le retrait des marchandises, il en vient, d'ajournements en ajournements, de subterfuges en subterfuges, à retenir onze Hollandais qui restent encore au comptoir pour le gérer. Van den Broeck ouvre les hostilités le 2 août, et, en peu de temps, enlève neuf grosses jonques , trente-trois moindres embarcations , quatre- vingt-un Javanais et Javanaises de Bantam, plus cent trente-deux Chi- nois dont maintenant on prohibe la sortie et qui n'en connivent que plus décidément avec lui. Force est enfin au pangoram non- seulement de laisser les Hollan- dais déménager leurs biens sans que rien n'y manque, mais de de- meurer aux yeux de tous avec sa honte et hors d'état de résister : ils n'abusent pas de leur victoire, mais ils en usent. Les Anglais aussi deviennent plus respectueux. Une de leurs escadres paraît, devers le détroit de la Sonde, méditer quel- que entreprise sur les établisse- ments hollandais; mais Van den Broeck croise dans cei parages avec six gros vaisseaux et un yacht, et, par ses manœuvres, il réduit un d'eux à venir mouiller sous pa- villon hollandais : il est avéré qu'il

ne pourra tenir Le capitaine

alors exhibe copie d'un récent traite de paix entre les Provinces- Unies et l'Angleterre, traite encore inconnu, et que le fils d'Albion au- rait sans doute garde encore en

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portefeuille, s'il eût été de force à capturer les Hollandais. La paix connue et publiée, ces mêmes An- glais , si tiers l'année d'avant , prient qu'on leur accorde dans Ba- tavia le terrain jadis fut sis leur comptoir , à reifet d'en établir un autre. « Mon fort vous incommo- derait, » répond l'ex-captif de Vi- dourg-Ràm, « vous en seriez trop voisins. » Et il leur assigne un au- tre point, on peut dire un coin de sa ville , à distance respectueuse. La même année (1020) le vit revê- tir du titre deChefel directeur des comptoirs d'Arabie, de Perse et des Indes. Ces fonctions, qu'il rem- plit pendant sept ans moins quel- ques mois, ne furent pas une siné- cure pour le titulaire, bien que ses traverses n'aient pas été tout à fait si grandes. Il eut pourtant de graves périls à conjurer. Un na- vire hollandais , le Sainsun, s'étant saisi de riches cargaisons apparte- nant à des sujets du Grand-Mogol, ces façons cavalières d agir failli- rent (les bons offices des Anglais aidant ) faire considérer sérieuse- ment à la cour d'Agra les Hollan- dais comme des pirates. La compa- gnie, dans les provinces soumises au Mogol , possédait plus de six tonnes d'or, sur lesquelles il était facile autant que doux de faire main basse. Il fallut toute l'habi- leté (le Van den Uroeck à retrou- ver les mailles perdues pour rei)ri- ser le tissu du traité entre ses com- patriotes et les fils d'Akbar. Indé- pendamment des comptoirs que lui (levaient Ahmedabad, Kâm- dâya, lirochia. Surate, il en créa d'autres sur des points habilement choisis. Non coulent d'être rensei- gne par des rapports, il allait sou- vent tout inspecter par ses yeux , tout raffermir par des instructions

et des encouragements person- nels. Il entretenait auprès du Grand- Mogol un agent principal , dit chef du commerce, Wouterlleute. Lui- même ordinairement résidait à Surate , d'où partirent par ses soins nombre de navires richement chargés, les uns pour la Hollande, les autres pour Batavia. Il n'avait, du reste, pas négligé l'Arabie; il avait revisité la mer Rouge, et son gouvernement, ayant par voie di- plomatique obtenu du Grand Sei- gneur le firman ou haiti-chérif qu'affectait de réclamer si haut le pacha de Chenna , il établit une factorerie dans Aden. C'est sous l'administration de Van den Broeck que, pour la première fois, des navires se rendirent en droiture de la Hollande à Surate {le Schoon Hove), et de Surate en Hollande ( le Heusden), les uns et les autres en 1G23. Remplacé en 1027 par Van Ilassel, Van den Broeck ne retourna immédiatement ni U Ba- tavia ni en son pays. A Surate se trouvait tout nouvellement arrivé de Masulipatam un ambassadeur persan, Mouça-Beg, qui, sa mis- .sion achevée près du directeur des établissements de la côte de Coro- mandel, avait voulu gagner par terre la côte opposée, mais qui comptait opérer par mer le reste du voyage. C'est Van den Broeck qui fut chargé de le reconduire. Il profita de l'occasion pour se concilier les bonnes grâces du di- gnitaire musulman, et il utilisa le séjour d'un an au moins qu'il lit en Perse (1028), pour y nouer ou y préparer des relations avanta- geuses au commerce hollandais. De retour à Surate (1029), il fut prié de remplir une autre et der- nière mission : ce fut de recon- duire à Java une flotte dont la

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cargaison représentait douze ton- nes d'or. Il eut le chagrin de trou- ver la naissante colonie en im- minent danger de périr : Batavia venait de voir 80,000 Javanais l'investir (22 août} , et chaque jour rendait la situation plus critique, le général Coen, malade alors, ne suffisant point aux soins de la dé- fense. La présence de Van den Broeck, le fondateur de la cité, ra- nima les courages. Coen expira le âO septembre. Le commandement appartint de f^iit dès lors à l'ex- directeiir des comptoirs d'Arabie, de Perse et des Indes, lequel n'é- pargna rien pour inspirer son in- domptable résolution à tous. De fréquentes et heureuses sorties éclaircirent les rangs des enne- mis, en attendant que des mala- dies vinssent faucher en grand, et que l'impatience fit fuir du camp tant de sauvages indisciplinés (lu'a- vait réunis l'espoir d'un prompt succès, d'un prompt pillage. Ces prévisions ne tardèrent pas à se réaliser. Le 2 octobre, le siège était levé. Van den Broeck, à peu près au même moment , rece- vait le brevet d'amiral pour ra- mener en Hollande un convoi de sept vaisseaux. Il les ramena sans autre perle que celle d'un bâti- ment /(' Dordrecht, à bord duquel se déclara le feu, et qui ne put être sauvé. De retour au Texel, le 8 juillet 1630, il jugea sa dette payée à la patrie et le moment du repos venu. Le titre fort honora- ble qu'il venait d'obtinir, et qu'au r('ste, il ne faudrait pas confondre avec celui d'amiral militaire, suf- Il.ait à sr'D ambition et lui sembla clore convenablement sa carrière. Il s'y joignait d'ailleurs une belle pension et des distinctions honori- liques. Il passa les dernières an-

nées de sa vie à mettre en ordre les notes qu'il avait recueillies à l'étranger pendant sa vie acci- dentée.

Son ouvrage dont voici l'intitulé: Voyage de Pierre Vau den Broeck en Afrique et aux Indes-Orientales, con- tient beaucoup de détails intéres- sants, mais qu'il ne faut pas tous adopter k la lettre, ou qui sont no- toirement insuffisants. Personne, par exemple, ne sera convaincu que les deux Banyans centenaires qu'il vit à Bombay, en d6-2i, et dont l'un était le père et l'autre le fils, eussent le dernier 150 ans, le pre- mier 468. Ils s'en donnaient 160 et 180. Tout l'efiorl de la critique de Van den Broeck est de remar- quer qu'ils comptaient apparem- ment par années lunaires, de telle sorte que , des 180 ans du père il fallait retrancher 42 ans. C'est dire trop et trop peu : trop , puisque 400 années lunaires équivalent à peu près à 97 solaires ; trop peu , puisque très-probablement erreur ou mauvaise foi viciait le for- midable total. Autre exemple. En rapportant la grotesque opinion des Arabes qui, parlant des cara- vanes ensevelies sous les tourbil- lons de poussière que le vent transporte d'Arabie sur la côte orientale de la mer Rouge , pré- tendent que les corps qu'on re- trouve conservés sous le linceul de sable , sont les véritables mo- mies de la région uiliaqiie, il se donne si peu la peine de protester contre cette assertion, qu'on est tenté de croire qu'il y souscrit.... Sans être Caillaud , Gau ou Bel- zoni. il y avait, ce nous semble , dans cette naïveté, de quoi faire pousser un holii ! Veut-on un au- tre échantillon encore de cette placidité avec laquelle il enre-

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gistre sur simple dire ou sur le vu? Pour la première fois de sa vie, il voit en 1(316, i^ Moka, du café dont même il sait le vrai nom arabe {alliahawd); même il en dé- crit l'infusion ; mais il imagine que la couleur noire, qui caracté- rise le grain torrêlié, est celle du fruit sur l'arbre ! Du reste, comme presque tous les voyageurs de son époque, il n'est ni botaniste ni zoologiste; ce qui n'empêche pas que l'histoire nalurelie n'ait pu tirer de lui plus d'une indica- tion précieuse. 11 est certain, par exemple, qu'il est un des pre- miers, sinon le premier, auque l'Europe dut la connaissance et l'exploitation commerciale de la fève d'Arabie. Il est attentif à re-1 lever les phénomènes et les parti- cularités qui, depuis, ont intéressé si vivement la science. Les flots rouges que roule la mer aux en- virons d'Aden ne passèrent point impunément sous sts yeux, et il reconnut que la cause de cette couleur n'était autre que la nuance des rivières cûtières de l'Arabie qui, roulanttorrentueusemeut dans des ravins, inondent leurs friables rivages et charrient les sables rouges qu'elles en détachent. Ces eaux, en eflet, et il le signale , déposent, pour peu qu'on les gar- de, un sédiment arénacé rouge assez épais pour que, lorsqu'il est en suspens, le liquide en offre la teinte; et il émet l'opinion fort plausible , qu'il ne faut pas cher- cher ailleurs que lii l'origine du nom de mer Uouge. Ailleurs, il entre dans quelques détails sur une éruption du volcan de Goun- nepi, dans l'île qui porte ce nom. Il mentionne les (•difices, les mo- numents et les traditions qui s'y rattachent : ainsi , à Chenna, les

quatre mosquées, dont une a i)lus de U)0 colonnes; les bainspublics, que les hommes fréquentent le matin et les femmes l'après-midi; le puits de cent brasses, que l'on regarde comme l'ouvrage du pa- triarche Jacob; la tour au haut de laquelle était renfermé un grand lion dans une cage de fer. Somme toute, et quoique nous soyons bla- sés, nous, hommes du dix-neu- vième siècle, nous, touristes, sur toutes les impressions de voya- ges, le journal de Van den Bro3ck est encore du nombre de ceux qu'on feuilleterait avec plaisir, et parfois avec profit, malgré les fau- tes que nous venons de signaler, malgré fâcheuse orthographe des noms propres orientaux , que nous avons tâché d'amender (Jed- dah pour Iliddedah, Begâme pour Psechora, etc.)- A ce titre et à deux autres encore, il mérite amplement la place qu'il vient aujourd'hui prendre dans la Bio- graphie universelle^ et dont, jus- qu'ici, nul recueil biographique ne l'avait honoré. D'une part, il est clair que, soit dans les annales de la Hollande, soit dans l'histoire générale du commerce et des co- lonies, celui-là ne peut sans injus- tice être oublié qui, par la création de Batavia, jeta les bases indes- tructibles de la puissance des Pro- vinces-Unies aux Indes, et prépara l'assujettissement de tout Java : la création de cette puissante cité ne saurait s'attribuer à d'autres qu'à lui, tout ce qui précède en fait foi; et une preuve encore vient s'adjoindre à toutes ces preuves , c'est la jalousie de Coen lui-môme, qui, peu content de riniliative et du succès d'un subalterne, feignit toujours de méconnaître l'impor- tance de la fondation navale et ja-

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mais ne voulut adopter le nom donné par Van den Broeck à sa ville ; le brevet même qu'il lui signa de Directeur des comptoirs d'Arabie, Perse et Inde, il le data, non de Batavia, sa résidence, mais de Jakatra qui n'était plus. D'autre part, mais ici nous ne nous éton- nons plus, les Anglais ont pris à tâche, dans tous leurs ouvrages re- latifs aux établissements européens hors d'Kurope , de laisser dans l'ombre le nom de Van den Broeck : n'ayant pu supprimer l'homme, ils ont fait de leur mieux pour sup- primer sa gloire; c'était facile, Van den Broeck, dans son patrio- tisme et sa modestie, n'ayantdonné à la ville que le nom de sa patrie, tandis que des Asiaticiues l'avaient volontiers nommée Brouki, pour Ri'oukpatan, Brouknagar. Val. P. VAN DEN ZANDE (Jean- Ber- nard), bibliophile belge, avait long- temps exercé la médecine avec hon- neur à Anvers, sa ville natale. Son humanité, son amour du prochain l'avaient rendu cher à ses conci- toyens non moins que sa science. Possesseur avec le temps d'une belle fortune, il l'employa presquetouten- licre en livres, et, ce que l'on ne sau- rait dire eu bloc de tous les ama- teurs, en livres bien chois s. Sa bi- bliothèque, qui contenait plus de six mille articles et dont le cata- logue mérite lui-même de figurer dans les collections « ad hoc, » était remarquable à plusieurs titres. D'une part, on y trouvait, outre les grandes collections académiques, les meilleurs ouvrages s'.ir l'histoire, la philosophie, les sciences, les arts, les voyages, la critique, la polémi- que, les antiquités, les liiltiralures grecque, romaine, française, ita- lienne , puis nombre d'ouvrages ou curieux ou bizarres, hélérodoxes

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et singuliers; des incunables, tels qu'un Hieronjjmi eplsîolœ, de 1488 (Venise), un Eusèbe de 1480, un De CivitateDei, 1474; de l'autre, sa spécialité de docteur s'y révélait par l'abondance des ouvrages de méde- cine , mais surtout d'ouvrages qui semblaient autant de pièces justifi- catives de l'histoire de la médecine : c'est dans le cabinet de Van den Zande qu'un historien de cette science eût procéder k ses tra- vaux: « Spiritualisme, vitalisme,hu- morisme, disait le Journal d'Anvers du 3i mai 1834, depuis Galien, es- prit vaste, mais subtil, qui floris- sait au second siècle de notre ère, jusqu'à Pinel, qui , de nos jours, a apporté l'ordre et la clarté dans la pathologie, et Broussais, qui, après Jenner a rendu les plus im- menses services à l'humanité ; » toutes les doctrines médicales se trouvaient côte à côte réunies dans celte riche collection digne d'une société savante, et qu'on pouvait s'émerveillerde rencontrer chez un simple particulier. Van den Zande mourut presque septuagénaire au commencement de 1834. Val. P.

VAN DKN ZANDE, célèbre corsaire. Voy. Van de zande.

VANDERIiOURG (Charles Bou- DENs de\ philologue et littérateur français, tlamand ou belge d'ori- gine, naquit vers 1760 et de bonne heure embrassa la carrière na- vale. Il était officier de marine lorsque la révolution éclata. Ainsi que bon nombre de ses camarades, il émigra presque dès le commencement de la crise ; mais, plus laborieux et plus sé- rieux que la plupart d'enire eux, il uiilisa sou séjour en Allemagne pour se familiariser avec la langue il la lilleralure de ce pays. La pre- mière était d'avance assez accès-

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sible pour lui à cause de l'intime connexion de l'allemand classique i^ncuhochdeulsch, haut aileni.) avec les idiomes dérivés du plalldenisch (bas al!., ail. des marais), et parmi lesquels figure la langue flamande ou néerlandaise; mais la littérature germanique lui était à peu près aussi étrangère qu'à ses compatriotes de ce lemps-là. Ce fui donc de sa part un acte de courage et l'indice d'un esprit investigateur que sa réso- lution de conquérir, pendant son loisir forcé, des connaissances dont il pressentait l'utilité. La France n'est pas sans devoir quelque re- connaissance à cette heureuse ins- piration de l'ex-maiin; car Van- derbourg doit incontestablement L'Ire regardé comme un de nos pre- miers initiateurs à l'étude de la mo- derne littérature de nos voisins d'outre-Rhin. Ce n'est pas qu'en ce genre il se soit signalé par une foule de labeurs : il ne nous a transmis que quatre ouvrages et par voie de simple traduction; mais tous les quatre appartien- nent -A des sphères différentes, et trois d'entre eux sont importants k des degrés divers, soit comme œuvre d'art, soit comme suscitant de graves questions d'art et de phi- iosopbie. Ln seul, du reste, fut im- prinné pendant son séjour en Alle- magne : c'est le Woldemav de Ja- cobi. en 1790. Quatre ans après, Vanderbourg profitait de l'amnistie et des mesures réconciliatrices qui suiviient le 18 brumaire pour re- voir son pays.

11 ne songea pas ii se réinféoder au service naval; et il ne demanda un supplément de ressources pécu- niaires et le charme de sa vie qu'à la littérature et à l'érudition, pour lesquelles il avait contracté pendant les longues heures de l'exi! une

véritable passion. D'une part, comme nous l'avons indiqué, il fit paraître encore deux traductions de l'allemand (le Laocoon et le Yoymja de Meyer), de l'autre, il devint un des collaborateurs les plus actifs du PublicifUe et des Archiver litlévaircs. deux recueils périodiques éminem- ment utiles et point de départ d;; nos Revues actuelles, dont nulle, quelque supériorité qu'elles aient sous certains rapports, n'égale ces estimables collections, soit pour la précision et la multiplicité des ren- seignements, soit pour la justesse de la critique. C'est qu'alors on avait, avec le goût, la conviction que nul, par cela même qu'il se fait critique, n'acquiert la science in- fuse, laquelle dispenserait d'étudier et les ouvrages et les points de science sur lesquels ils roulent ; c'est surtout qu'on apportait de la conscience à l'examen des produils intellectuels, et que nul ne se glo- rifiait du titre, d'ailleurs ininventé, d'éreinteur. Les Archives littéraires disparurent, au grand regret des amis des lettres, avec le 51. Tout en se livrant à ces travaux di- vers, Vanderbourg mêlait son nom il l'incident littéraire qui, dans les annales de France , rappelle le mieux les supercheries deMacpher- son; nous voulons parler des Poé- sies de Clotilde de Snrville , qu'il fut chargé de publier et publia en effet en 1803. P^ous renvoyons à la par- tie bibliographique de cet article ce que nous jugeons utile ici d'ajouler aux explications données par Du- pelit-Thouars à l'art. Survhj.k (Jos. Ed.). Nous n'avons pour le moment qu'à rassembler les traits biographiques qui se lient .'i la pu- blication. Et d'abord comment se fit-il que Vanderbourg fut chargé de cette tAche? Il n'était en aucune

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façon parent des Surville. Ce détail s'explique pourtant. Yanderbourg et les Surville appartenaient aux disgraciés de la Révolution. Yander- bourg en avait été quitte pour l'ex- patriation volontaire, qui., somme îout;3, et quoi qu'il eût fait pour s'en consoler, avait brisé sa carrière ; Joseph-Etienne de Snrville avait été le martyr de son opinion. On sait combien , à cette éclaircie qu'on appelle le Consulat, les débris de ceux qu'avait décimés la tourmente se retrouvaient avec surprise, se serraient les uns contre les autres avec transport, se racontaient les mauvais jours avec détails. Que des membres de la maison de Surville et Yanderbourg se soient trouvés ensemble dans ces réunions frater- nelles, on le conçoit ; et que dans des cercles Vanderi)Ourg tenait un rang il fût question de littéra- ture, c'était immanquable. Dequelîe branche de littérature maintenant? Un peu de toutes probablement, mais le pas dut être surtout aux curiosités littéraires, aux décou vertes littéraires , aux exbuma- tions littéraires. L'Allemagne vi- vait encore dans l'enchantement de ses Niebelungen et de ses Minnesinger retrouvés, il y avait alors quatre-vingts ans, dans les cryptes des bibliothèques de Suisse et de Souabe. Yanderbourg ne pou- vait que s'intéresser, et peut-être, dans certaine mesure, pencher î» s'é- prendre de ce qui ressemblerait en notre pays à quelque trouvaille de ce genre. Or tel et »it précisément C'^ manuscrit que Du|)etit-Thouars prétend avoir vu dès 1790 à Paris aux mains du comte Joseph-f^^lienne de Surville, cl qui, selon le pro- priétaire, aurait été le legs po/lique de sa décime-quinte ou sextaïpule (nous ne précisons pas numéri-

quement le degré) : l'infortuné mar- quis, d'ailleurs, en partant pour l'é- chafjud avait d'un geste recom- mandé de loin h sa veuve la cas- sette sacrée qui contenait l'œuvre si précieusement par lui couvée pendant des années, geste qui, se- lon nous, équivalait à la prière, à l'ordre en quelque sorte de ne pas laisser périr et dévorer par le tom- beau ce legs sacré. Naturellement celle-ci parla de cette dernière vo- lonté de sonmari et consulta desamis sur les moyensde l'exécuter. Yander- bourg était en liaison, immédiate- ment ou non, avec les coreligionnai- res politiques de Surville. Sur le peu qui lui fut dit, il dut être curieux de contempler, de feuilleter cette épave d'un àgy lointain... Le reste va de soi , n'importe les détails , qu'on peut imaginer très-différents, et n'importe le degré de conviction auquel put être amené Tex-officier de marine. Nous sommes très- portés à croire que jamais cette conviction ne fut complète quant à l'authenticité de l'œuvre, la seule question réelle aux yeux d'un véri- table raisonneur. Mais en voltigeant, comme c'est l'usage des dilettanti eu littérature, de la question d'au- thencilé à celle de la valeur esthé- tique et réciproquement, on pouvait arriver à trouver qu'il y avait à faire quelque chose du manuscrit : un libraire potivait n'y p:is perdre; un éditeur, eût-il été complètement inconnu, pouvait NOir naître un peu de bruit autour de son nom. Yan- derbourg eut donc bientôt pris son l)arti, et il se fil le parrain de Clo- tildo. Est-ce tout? Et ne s'en fit- il pas quelque peu le Macpherson, le Chatterton? Ici, de nouveau, nous renvoyons à la bibliographie de notre article. Quoi qu'il en puisse être, le fait est que très-peu de

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personnes, excepté celles qui se complaisent à se méprendre, furent dupes de l'échafaudage romanesque que Vanderbourg mit comme pré- face en tète du recueil; mais il est de fait aussi que sa réputation, loin d'y perdre, y gagna, puisque sou- dain se lépandil sur lui comme une auréole de poète harmonieux et suave, en même temps énergique et tendre , héroïque comme le ly- risme de Pindare et badin comme Anacréon. Vanderbourg ne voulut pas que ses indulgents lecleurs en eussent tout à fait le démenti; et il se mit à poétiser , tantôt sur ses propres idées, ainsi que le prouvent du reste les dix-sept volumes des Archives littéraires (où se trouvent nombie de ses vers), tantôt Horace à la main. Il en résulta, mais quel- que neuf ans après la première édition de Clolilde, une traduction en vers des Odes d'Horace , sur la- quelle nous reviendrons. Mais, che- min faisant, il continuait à donner en simple prose de la copie aux im- primeurs. Les Archives littéraires de l'Europe avaient cessé,

Vno avulso non déficit aller.

Le Pu^/icis/ereçutses articles, dul" mars 1801 au 30 octobre 1810. Avec Langlès.AmauriDuvaletGinguené, il concourait à la rédaction du Mer- cure étranger. Et quand cette publi- cation fut abandonnée, il eut l'hon- neur et la chance de devenir, dès le mois de mai 4816, collaborateur du Journal des Savants, que relevait la munificence de l'État. Enfin il eut pied, à partir du 1" octobre 1820, aux Annales de la liUèrature et des arts. Nous ne pouvons passer sous silence ici qu'il fil aussi partie de la rédaction de la Biographie uni- verselle, et (jue parmi les arlicles qu'il fournit turent distingués ceux

d'Horace et de Klopstock. Au mi- lieu de tous ces travaux se place encore, en 18i8, sa traduction du Craies de Wieland.

Du reste, cette activité conscien- cieuse , élégante et variée avait trouvé sa récompense même au sein des corps lettrés. La troisième classe de l'Institut l'avait admis au nombre de ses membres, en 181-4, en remplacement de Mercier. La date, peut-être, donnera lieu de soupçonner qu'il y eut en cette nomination un peu d'esprit courti- sanesque. En effet, l'année suivan- te, Vanderbourg, en récompense de ses antécédents royalistes, avait été nommé censeur, office scabreux, dans l'exercice duquel il déploya autant de modération que de tact et de bon goùl. Toutefois, nous ne pensons pas que ces motifs aient seuls décidé l'élection de no- tre auteur. L'Académie nommait un lettré, un philologue, un criti- que, un poète presque; et, sans dénigrer Mercier le moins du mon- de, on peut dire pour le moins qu'elle ne perdait pas au change. Vanderbourg mourut le 10 novem- bre 1827. Daunou prononça son éloge funèbre en 1839. Nous allons donner ici, par groupes méthodi- quement rangés, la liste de ses œu- vres, accompagnée des indications techniques dont la bibliographie ne saurait se passer. I-IV. Quatre tra- ductions de l'allemand, savoir : une du philosophe Jacobi, celle de Woldemar, Hambourg, 179G, 2 v. in-12; line de l'illustre critique Lessing, celle du Laocoon, ou des limiles respectives de la poésie et de la peinture, 1802, in-S"; 3" une du poète que l'on avait nommé long- temps le Voltaire de l'Allemagne, (•elle de Craies et d'IIipparchie, (qui, comme ou sait, n'est pas un

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poëme, mais une de ces études mi- biographiques, mi- psychologiques , Tauteiir s'essaie si spirituelle- menl à compléter par l'imagination le peu que l'histoire nous a trans- mis; à la suite, viennent les Py- thagoriciens) ; celle du Voyage en Italie, de F. J. L. Meyer, i802, in- 8°. V. Les œuvres d'Horace en vers français, avec des arguments et des notes, revues pour le texte sur le manuscrit de la Bibliothèque impé- riale, et avec le texte en regard, Paris, 1812 - 43, 2 v. in - 8\ Cet ouvrage est sans contredit , abs- traction faite de l'appoint que purent jeter dans la balance les motifs politiques, ce qui décida, ce qui justifia son admission à la sa- vante Académie. En effet, il s'y montraitaussi familier pour le moins avec les travaux et les procédés de la philologie, qu'avec la poésie. Son texte a quelque valeur critique; et c'est, de toutes les traductions en vers français du lyrique romain, qu'ait produits la France, la seule qui possède ce mérite. Les notes de même, tant celles qui se réfèrent à l'interprétation du texte, que celles qui constituent l'exégèse biogra- phique, historique, mythologique, archéologique des compositions si variées du lyrique de Vénusie, se recommandent et par le tact et par l'abondance sobre avec laquelle nous sont présentés les résultats d'une érudition curieuse, d'une éru- dition à la Wieland. Quant a la ver- sification, nous ne saurions être si prodigue d'éloges : elle est correc- te, elle est de bon aloi; mais elle est sèche, elle n'olfre pas \cteresat- ^wc/fl<-('/t/m, qu'Horace recommande quelque part et qu'il pratique cons- tamment. Ce n'est pas le moel- leux et l'ondoyant, le svelte et le souple d'où la plus exquise variété

de toutes ces stances élégantes et finement rhythmées du poète qui disait à la pauvre Néobulé :

Tibi qualum Cyihereae Puer aies, Tibi telas, Etc.!

VI. Poésiesinédites de Marie-Clotilde de Surville, Paris, 1803, in-8° et in-18, 2^ édition de 1816, par de Roujoux et Nodier, in-8°, 4 pi. et vignette; troisième, 1825, in-8'* et in-lS. Le fait seul de donner place H ce volume dans une liste des travaux de Vanderbourg, mar- que assez que nous le regardons comme quelque chose de plus, ou, pour employer l'expression de Qué- riiid : « comme quelque chose de mieux » que l'éditeur de Clotilde. Mais Quérard non-seulement ife démontre rien ici ( ce dont nous n'entendons pas lui faire un repro- che, démontrer ne fait pas partie de sa triche), mais il ne précise pas ce qu'il entend par*« quelque chose de mieux. » Le croit-il auteur de la totalité do l'œuvre? ou pense- t-il que quelques pièces seulement lui doivent le jour)? et, dans ce cas, lesquelles? ou bien enfin voit-il poindre à l'horizon quelque chance de d<3partagement autre que le précédent? Il faudrait pour éluci- der ces questions déjà touchées par Raynouard {Journal des Savants, 1824), par Vaulîier {Mcm. de l'acad. de Caen), par Nodier {Quest. de lit- térature légale, 1814), et par un critique renommé qu'on mention- nera en temps et lieu, infiniment plus de place que nous n'en avons à notre disposition... Nous n'indi- querons donc que quelques points dignes, ce nous semble, de lat- tenlion des (•riti(iues. Laissant de cùté la question fondamenlaled'au-

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thenticité, sur laquelle il ne sau- rait exister qu'une voix, la néga- tive, nous nous demandons seule- ment comment les poésies de Glo- tilde se sont faitos ; et, en réponse, nous posons sur-le-champ deux thè- ses : l"Oui, comme Taileste Dupetit- Thouars, un maiiusciit contenant de prétendues «poésiesdeClotilde » existait en 1790 ou 91 aux mains de Jos.-Et. de Surville; mais en dépit de ce qu'imagine avoir vu Du- peiit-Tliouars, Nou.cemanuscritne contenait pas tout ce qui parut par les soins de Vanderbourg. Jamais on ne persuadera au penseur, en même temps psychologue et histo- rien et homme d»^ iioùt, que les vers si profonds et si lucides,

Pauvre chier enfançon, des fils do ta pensée L'eschevclet n'est encor débroillé,

soient venus avant le règne de Ca- banis, et que le chant royal sur la bataille de Fornoue n'ait été une répercussion des merveilleuses cam- pagnes de 1796''et97. Nous pour- rions citer encore d'autres para- chronismes,... qu'il nous suffise de ces deux-ci, sans contredit les plus frappants. Le manuscrit qu'aperçut Dupelit - Thouars en 1790, n'est donc pas identiquement !e même que celui sur lequel furent impri- mées les poésies en 1803 ; et notre ancien collaborateur ne saurait, à notre avis, être entièrement lavé du reproche d'avoir « outré » son té- moignage en attestant ou du moins en permettant qu'on le regardât comme attestant plus qu'il ne sa- vait et ne pouvait savoir. Qu'on y réfléchisse, en effet, on sentira qu'il ne pouvait savoir. ]l eût fallu, pour être certain de l'identité, ou (Ollaliou pied i\ pied du manuscrit de nUO et de la copie livrée à la presse, ou mise pendant treize ans

sous les scellés : évidemment le se- cond cas n'eût jamais lieu, et la possibilité du premier est exclue par les termesmémes du problème. Ceci posé, que reste-t-il? Tout au plus la réalité, dèsl790 et aux mains de Surville, d'un manuscrit plus ou moins analogue aux Poésies. En- core, si l'on n'avait pour y croire que la préface de Vanderbourg, le doute serait-il possible ! Mais il ne peut l'être quand on pèse le té- moignage de Dupetit-Thouars ; s'il a dit un peu trop, ou, pour parler plus exactement, s'il a trop accen- tué ces mots, « le même manus- crit, to ou « dans le même état que.... », ce n'est pas une raison pour soupçonner, de la part d'un homme honorable et sérieux, un pur mensonge. A nos yeux donc, quant à l'existence d'un manuscrit, point de départ de la publication et en offrant les éléments essen- tiels, la preuve est faite « par attestation. » Ce serait assez, sans doute ! Mais ce n'est pas tout : la «démonstration» vient encore s'y joindre ; et, dans l'article final de son Tableau hist. et critique de la poésie française au xvi' siècle (p. 484 etc. de redit, de 1848), M. de Sainte- Beuve a mis en relief, non la pos- sibilité seulement, mais bien « l'im- mancabilité » en quelque sorled'une création du genre de celle dont il il est question ici, et qui fut en même temps un labeur charmant, un délassement d'élite et une em- bellie dans les années, les unes paisibles et littéraires, les autres littéraires encore, mais tourmen- tées, du descendant de Clotilde. C'est parcetrae.é des phases diver- ses,— soit de l'évolution d'un penser en germe, qui, chez Surville, p:isse à réiat chronique, puis k l'état de roman, et enfin de roman chéri,

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soit de l'élaboration de l'œuvre qu'il prête à son héroïne, c'est, dis-Je, par ce tracé, en quelque sorte liistorique et psychologique à la fois, que vaut surtout le travail de l'ingénieux critique; et nous trouvons péremptoire l'argunienia- tion au bout de laquelle, au lieu de dire avec Daunou : « J'ai peine « à croire qu'Etienne Surville ait été "■ capable de les composer au xiir « siècle; Vanderbourg doit y avoir « eu la principale part en 1803, » on s'écriera : « J'ai peine à croire « que Charles-Boudens de Vander- « bourjr ait pu dans tant de pièces « d'une délicatesse féminine avoir « une part considérable; et le vent, « pendant la seconde moitié du « xvnf siècle, était tout à fait aux

pastiches de ce genre. Favre d'O- « livet en a bien donné vers le a même temps! Pourquoi pas d'au- « 1res, quand, pour vingt raisons,

* les autrespeuventet doivent avoir « été pénétrés des sentiments prè- « tés à Glotildu? » Mais, une fois hors de là, nous croyons que le dis- cernement, d'ordinaire si parfait, de l'argumentaieur se trouve en défaut lorsqu'il attribue toutes les pièces du recueil, moins la traduc- tion de i'ode de Sapho, à Surville. Outre ce morceau renommé , il nous semble, éminemment proba- ble, si nous ne voulons pas dire sûr , qu'à Vanderbourg doivent rtre rapportés et le Dialogue d'A- pollon et Clodlde, et le fragment du poëme sur la Nature. Le pre- mier est, du même coup, didactique et littéraire; et par l'indépendance comme par la couleur de l'idée, il émane du traducteur de Laocoon et du futur traducteur d'Horace, qui hifu de fois unit en sa pensée à VHiimano capili ccrvicrm pirlor equinam, et à Vit piclura poesis.

« les limites mutuelles de la poésie et de la peinture ». Le second n'est que didactique et semblera d'abord un reflet de Lucrèce; or,mêmeàce titre, iljure assez avec les idées de Surville, tandis qu'il n'offre rien de dissonnanl avec celks de Vander- bourg. Mais ce n'est pas encore le mot de l'énigme : ou nous nous trompons, ou ce n'est pas de Lu- crèce que relève ce fragment, c'est d'un poëme didactique de Wieland, intitulé la Nature, très-peu connu, parce que ce fut l'œuvre de la première jeunesse du poète, mais élincelant, exubérant de beautés, malgré ses fautes : Vanderbourg, si démesurément épris de Wieland, connaissait ce splendide péché de l'adolescence du maître; et de là, nous en sommes convaincu, l'essai poétique qu'on s'est trop hâté de croire jeté sur le papier sous l'ins- piration de Lucrèce. Voilà donc trois morceaux entiers dont rien, sans doute, n'est à l'émigré de 1791. Nous pensons de plus que, presque d'un bout à l'autre, les vers de Surville ont subi des re- touches ( par exemple : « Des fils de ta pensée l'eschevelet... Voy. plus haut), et des interpolations, la plupart mythologiques ou scien- tifiques; et celles-là vraiment sont gauches et malheureuses , parce qu'elles trancheni avtc le facile abandon de Surville. El qu'on ne dise pas que c'est contradiction à nous de montrera la fois noire au- teur mélodieux et chatoyant d'un côté, sec et inharmonique de l'au- tre. Il est l'un quand il ne fait que retoucher un modèle exquis déjà et dont la morbidesse le gagne ^n'ou- Llions |)as d'ailleurs qu'il est plein de Wieland) ; il est l'autre quand il n'est plus accompagné, quand nul no lui donne le diapason, quand

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il tente l'intonation lui - même. Somme toute, donc, à Vanderbourg, suivant nous, revient de dioil la pa- ternité de trois pièces du recueil de Surville ; et, comme d'autre part, si nous ne nous abusons, il a fréquemment excédé ses fonc- tions d'éditeur, soit en embellis- sant, en enrichissant, soit en défi- gurant et appauvrissant son texte, nous ne balançons j)as à le déclarer en un sens, mais sens nettement défini, co-auteur des poésies inédi- tes de Clotilde. Val. P.

VAIVDER BLUCIÏ (François), un des plus illustres prédécesseurs de Fénélon sur le siège archiépis- copal de Cambrai, naquit à Gand le 2^ juillet 1567, c'est-à-dire préci- sément au moment les exigen- ces ultra-catholiques de Philippe II , enferoîé dans son Escurial, et dé- daignant de connaître l'esprit des peuples sur lesquels il avait à ré- gner, où les cruautés du duc d'Albe, son odieux ministre, le vieux levain de liberté chez les grands qui pensaient avec regret à l'om- nipotence féodale dont ils n'avaient plus que l'ombre, et dans les villes, qui, depuis des siècles, avaient joui de leur franchise, venaient d'allu- mer un incendie dans les dix-sept provinces qu'on appelait cercle de Bourgogne. La famille Vander Burch, une des plus considérables du pays, soit par son ancienneté, soit par son opulence, attirait né- cessairement tous les yeux. Le chef de cette famille, le père de notre François, était comte d'Aubersand, seigneur d'Ecaussines rt de Ilaire- foniaines, nous ajouterions volon- tiers « et autres lieux » , président du conseil privé de Flandres et at- taché à lu maison du gouverni;ur général des Pays-Bas. Autant de motifs, sinon de raisons pour voir

des yeux de Philippe II et de ses favoris. Fn effet, il se déclara sans ambiguilé, sans réserve, contre les opinions nouvelles, au risque d'en- courir îi un haut degré, par celte ligne de conduite, la haine des mé- contents. L'éveniualilé ne fut pas vaine ; à peine le fils auquel nous consacrons cet article venait-il de naître que l'émeute rugit dans Gand, aussi furieuse, aussi sanglante, aussi rapace que jamais on l'eût vue dans les jours les plus troublés du moyen âge. On attaque, on en- vahit, on pille sa maison ; ses do- mestiques tombent égorgés ; il est pris et traîné en prison; sa femme a peine à s'échapper, presque nue, par une issue secrète, et l'enfant, arraché de ses bras, suspendu par les pieds, allait périr si le plus inattendu des hasards n'eût amené quelques personnes qui en pri- rent pitié : il fut caché, il fut sauvé. Ce ne fut pas la seule fois qu'il fut, pendant l'enfance, le té- moin de ces scènes terribles. Son père, qui plus d'une fois dès lors avait subi la captivité pour la même cause, ne tarda pas beaucoup à voir briser ses chaînes par le triomphe de ses amis politiques et religieux. Mais tel était alors le cours des choses que ce triomphe à son tour ne tarda pas à se changer en dé- sastre. Nouvelle émeute, nouvel assaut à l'hôtel Vander Burch, et, pour en finir plus vite, incendie: les furieux déchaînés y complètent l'œuvre en ravageant ses proprié- tés; lui-même il ne voit pour lui de salut que la fuite. Sa femme ne tarde pas à le suivre, emmenant son fils avec elle. Mais bientôt cet enfant, leur unique rejeton, est envoyé, pour ne pas avoir sa part des périls de sa famille, pour ne pas ajouter aux difficultés d'un

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voyage précipité, auprès du savant doyen de la cathédrale d'Utrecht, son oncle. On comprend que de semblables impressions, n'eussent- elles pas été sans cesse entretenues et fortifiées par les conversations quotidiennes de Toncle, parle flux et reflux des nouvelles émouvantes qui variaient à chaque phase du drame politique, par l'attente fié- vreuse des lettres maternelles, ne pouvaient manquer de laisser des traces profondes sur une imagina- lion si tendre encore. Le jeune François fut donc, à peine au sor- tir de l'enfance, imprégné d'un ineffaçable zèle pour le catholicisme, dont son père était le martyr, et dont il avait vu les ennemis semer la ruine et faire le vide autour de lui. Delà sans doute cette sensibi- lité inquiète, précoce, qui dès lors l'éloignait des jeux de l'enfance, et dont un choc eût pu faire jaillir une maladie. Le docte chanoine, tout pétri qu'il fût de vertus théo- logales et tout commode qu'il pût sembler à d'autres de s'en remet- tre à la volonté du Seigneur, eut le tact de comprendre qu'il fallait à cette jeune irritabilité, trop exal- lée pour être trop tendue toujours du même coté, un dérivatif, et il crut que l'étude en serait un. il avait deviné juste : bientôt les ra- pides progrès du neveu, qu'il diri- ^^'ait lui-même avec autant de délicatesse que de vigilance, lui prouvèrent qu'il avait trouvé le vrai remède. La santé de l'enfant, de l'adolescent, du jeune homme allait toujours se fortiliant, tandis qu'en latin, en rhétorique, en his- toire, l'élève aurait rendu des points aux lauréats des collèges les plus eu renom. Maîtres et condisciples en furent frappés dès qu'âgé de dix-huit ans, il se rendit à Tuni-

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versité de Douai afin d'y terminer ses éludes en suivant d'un bout à l'autre le cours de philosophie qui se répartissait alors sur deux an- nées. Ce cercle parcouru, il visita Louvain, non moins renommé ou, s'il faut tout dire, plus célèbre encore et d'une célébrité de plus vieille date. Là, c'est à la science du droit qu'il voua ses heures studieu- ses qui souvent devenaient, sans métaphore, des veilles. Aux aima- bles et belles qualités morales par lesquelles il se recommandait à l'es- time de ses professeurs, il n'eut pas de peine à joindre la science; et deux fois il fut décoré du titre de doyen des bacheliers. Quelques temps après, de Curck, le pieux évêquede Ruremonde, lui donna sa bénédiction de licence. En le sa- crant ainsi légiste, le clairvoyant et zélé prélat se prit bientôt à re- gretter qu'un tel talent secondé par un tel caractère dût se consumer en mesquines plaidoiries et ne se déployer qu'en faveur d'intérêts mondains, tandis que l'Église éprou- vait un si grand besoin de sa parole pénétrante et persuasive. Il fit si bien qu'il détermina le jeune homme déjà déclassé par le contre-coup de la révolution sans laquelle il eûtsuivi la carrière de ses pères , les a?'mes, à passer du droit civil au droit canon, puis à la théologie. Les progrès de Vander Burch y furent rapides; et avant qu'il eût ses vingt-cinq ans il reçut les ordres. Presque aussitôt le prince-évêque de Liège voulut l'a- voir près de lui, et spontanément il le nomma chanoine de Saint-Lam- bert. Si récent encore dans les rangs du sacerdoce, Vander Burch ne Cl ut pas encore avoir mérité un litre {[ui dût être larécompenso des services et il refusa péremptoi- rement pour continuer à se livrer en

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silence aux travaux dont Tapostohit sort mieux armé pour la luUeetàla pratique du devoir. Tout ce temps de studieuse et paisible retraite, il le passa dans sa ville universitaire chérie, à Louvain, plein de cet anapestique si chrétien, quoique d'un poète païen :

Bene qui latuit bene vixiu

Heureusement l'évèque d'Arras (l'Artois était encore une des dix- sept provinces) sut l'apercevoir dans les limbes qu'il avait choisis pour asile ; et heureusement aussi, malgré les refus réitérés par les- quels le jeune prêtre répondit d'abord aux offres nouvelles, son père, dont les volontés le trouvaient toujours soumis , vint-il , par l'expression formelle de vœux sacrés pour lui, déterminer son adhésion. C'est ainsi qu'il eut part, comme vicaire général, à l'administrationdudiocèse d'Arras. Il n'y resta que peu d'années, bien qu'il ne pensàtpoint ou même qu'il répugnât à l'abandonner. iMais son père, ce nous semble, était ambi- tieux pour lui. L'archevêque de Malines conféra le double titre de doyen du chapitre et de vicaire général do la métropole au fils du comte d'Aubersand; et le comte déclara que cette fois plus que ja- mais une résistance l'affligerait. La piété filiale fut donc cette fois encore la plus forte, et Vauder Burch alla cumuler à Malines. Il n'y prit aucune part aux intrigues politiques dont ne se faisaient scrupule ni l'un ni l'autre des deux (ou trois... ou quatre) par- tis aux prises; mais ce qui lui res- tait de temps après les lon^uei heures qu'absorbaient les devoirs de sa charge, il l'employait à se perfectionner dans toutes les bran-

ches des études sacrées, mais principalement dans ces deux sciences, capitales à ses yeux, et antérieurement déjà l'objet de ses efforts, l'éloquence de la chaire et la dialectique anti-protestante. Le silence et la retraite dont il envi- ronnait ses travaux n'empêchè- rent pas que ses supérieurs et les premiers du pays n'eussent con- naissance et de son érudition pro- fonde, et de toutes les vertus apostoliques par lesquelles il en rehaussait l'éclat ; et ce n'était plus aux dignités secondaires d'un dio- cèse que l'appelait la voix publi- que,c'était aux rangs qui donnentia crosse et la mitre. Mais, comme c'était l'apostolat, et nonla crosse et la mitre que Vander Burch aper- cevait dans ce haut rang, il était loin de l'ambitionner, et loin de le voir avec ces yeux de convoi- tise que tant d'autres fixent sur ce brillant joyau, il eût dit volon- tiers, ainsi que le Christ à l'idée du calice, Transeat a me. L'instant n'était pas loin pourtant sa mo- destie devait avoir aie dire, en vain encore comme pour des positions moins convoitées. Mais n'antici- pons pas. Son père, l'intrépide fugitif, non moins fidèle aux aspi- rations de précellence pour sa maison qu'à l'ofthodoxie et à la stricte obédience dès que Rome avait parlé, fut emporté presque subitement et n'eut pas le temps de faire promettre à son fils qu'il poursuivrait sans broncher la voie des honneurs. Son hérilier ne tarda pas h se regarder comme délié : il résigna son vicariat gé- néral, son décaiial ; il ne voulut accepter qu'un très-mince béné- fice, un des canonicats de la cha- pelle de Sainte-Vaudru, k Mons. Il ne se croyait pas assez mùr

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pour les dignités, pas assez pré- paré pour la lulte donl l'épanouis- sement du protestantisme faisait à ses yeux « le plus saint, » mais « le plus hasardeux » des devoirs. Loin de décliner ces rudes joutes cependant, il s'y préparait plus énergiquement que jamais dans sa solitude nouvelle. Trois ans s'étaient passés depuis qu'il avait quitté Malines, quand l'évêque de Gand mourut : soudain, et comme on le devine, sur l'avis de l'arche- vêque de Malines, le pieux et docte chanoine de Saiute-Vaudru fut nommé par l'archiduc Albert à la place du vénéré pontife. Vander Burch eut beau s'épuiser en sup- plications, eu protestations sur son impuissance à remplir les hautes fonctions de ce nouveau ministère; ni protestations, ni gé- missements ne trouvèrent accès soit près de l'homme de Dieu, soit près de l'homme d'Etal, qui, finale- ment, imaginèrent, voulant frapper un grand coup, de se faire en quel- que sorte aposliller par le Saint- Siège. Un bref vint de Rome, enjoi- gnant à celui que toutes les voix demandaient de ne pas décliner sa mission apostolique. Il fallut se ré- signer ; et bientôt il fil à Gand son entrée, au milieu des acclamations de joie et d'espoir de cette ville, sa patrie, remplie encore du sou- venir de ses pères, heureuse et lière maintenant de sa présence, et augurant, grâce à sou retour, le retour de l'harmonie et de la concorde. C'est effectivement à cette grande tâche que se prépa- rait le nouvel évèiiue, e; c'est ici que nous devons nous prosterner devant sa sagesse, hardie en môme temps (priKibile. Il se plava de prime-abord hors du cercle étroit et stérile des vulgaires défenseurs

du catholicisme. Antagoniste iné- branlable des dogmes nouveaux, tout en s'apprêtant à battre en brèche les doctrines et à pulvéri- ser les arguments, il n'avait pas imaginé, comme les catholiques tout d'une pièce, que la révolution religieuse immense dont ils dé- ploraient le développement, ou fût sans causes ou n'eût pour causes que la perversité, l'orgueil, l'es- prit de désobéissance et de faction ; il avait su voir que le point de dé- part avait été cette multitude d'a- bus, qui, comme une lèpre, avaient depuis cinq siècles envahi l'Eglise et ses membres. Que l'hé- résie en fût un mauvais remède, c'était sa conviction; mais qu'elle n'eût pas été comme invincible- ment amenée par un mauvais ré- gime, voilà ce qu'il ne pouvait admettre. Plein de cette idée fon- damentale, et semblable au méde- cin qui, pénétrant d'un impartial et lucide coup d'oeil la source du mal, s'attaque à cette source et non au symptôme, il osa compren- dre que ce n'était pas sur le pro- testantisme qu'il fallait porter ses premiers efforts, du moins exclu- sivement, et qu'il était urgent, d'abord, de faire cesser tout ce que l'organisation catholique avait toléré de répréhensible dans le diocèse, la vie mondaine des reli- gieux, le luxe et même les désor- dres des séculiers, la violaliou souvent patente des vœux de chasteté, la i^ubstilution du sen- sualisme à l'abslmence, les dis- putes de préséance, le relâche- ment de la discipline ecclésiasti- que-Pour remédiiT à tant di' plaies invétérées, il commença par visi- ter à fond toutes les paroisses de son diocèse, partout prêchant et préparant ou corroborant les con-

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versions, parfois adressant les admonitions, les vertes censures ou les menaces, et même plus d'une fois se résolvant à déposer le prêtre indigne; doù conliance en même temps ou salutaire ter- reur chez celui que n'avait pas at- teint l'orage, et qui dès lors pou- vait tenir pour sûr que, s'il suivait la droite voie, il était invulnérable, mais que des prévarications n'é- chapperaient ni à la perspicacité ni à la sévérité du vigilant apôtre. Ces principes ainsi placés en relief et démontrés par ses actes, il réu- nit autour de lui, à Gand, les curés et vicaires les plus éclairés et les plus méritants de tout le diocèse, et, recueillant leurs avis, éclairé par leur expérience, il rédigea, d'accord avec eux tous, des règle- ments ecclésiastiques, modèles de justice, de sagesse et de simplicité. Le résultat en fut aussi complet qu'il pouvait le souhaiter; Tordre refleurit, la décence reprit ses droits, les vaines disputes cessèrent, le sacerdoce recouvra sa considé- ration perdue; la jeunesse vint en foule repeupler les écoles ortho- doxes; les conversions s'opérèrent par centaines et sans violence; la paix renaquit. Cette transforma- tion porta au comble le renom de Vander Burch, et l'archevêque de Cambrai ayant fermé les yeux sur l'entrefaite, le chapitre métropoli- tain, en promenant les yeux autour de lui, n'aperçut personne, pas même en son sein, qui fût plus à la hauteur de la lâche et digne de ses suffrages que l'habile évêque de Gand. Là, encore, ainsi que par- tout et toujours, Yander Burch lit l'impossible pour prévenir, puis pour faire révoquer son élection. On devine bien que le chapitre ne se déjugea pas; il ajouta môme à

sfs instances des considérations qui vainquirent toutes les objec- tions du prélat élu. Non-seulement le diocèse de Cambrai était en proie en même temps aux scan- dales qui venaient de disparaître de Gand, à l'hérésie, à l'anarchie, à la misère, suite d'invasions et de pillages réitérés, et à la famine; mais nulle part plus que il n'y avait de formidables périls à cou- rir : la peste était venue se joindre à tant d'autres désastres et décimait les populations! Ce danger, devant lequel tant d'autres pâlissaient, fut l'aimant dont l'action, irrésistible en tin de compte, attira Vander Burch : il accepta le poste d'hon- neur ou sévissait la mort! Belzunce du seizième siècle, il surpassa peut-être Belzunce, qui n'eut pas, comme Van der Burch, à troquer un troupeau florissant et fortuné pour aller chercher à distance des ouailles aux prises avec l'agonie sous un ciel pestiféré. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'au bout d'un laps de temps très-court, table rase fut faite et de l'épouvantable ma- ladie et de tous les désastres. Le saint évêque avait lui-môme donné l'exemple du courage et raffermi lesiraaginations ébranlées. Traçons rapidement le tableau desesactes. Réunissant tous les grands et les notables dans le palais archiépis- copal, il leur démontra que leurs calamités provenaient surtout de leurs folles haines, de leur mor- gue, de leurs jalousies, de leurs passions opiniâtres et aveugles, de leur négligence, et que la réconci- liation, l'union consciencieuse de tous les efforts était la première condition d'un retour de fortune. Ses paroles véhémentes et pleines de feu louchèrent les cœurs et amenèrent le résultat désiré ; tous

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les habitants de Cambrai se mirent à suivre ses ordres et à lutter comme un seul homme contre les influences dévastatrices; toutes di- minuèrent progressivement, toutes s'évanouirent, et enfin, comme si le ciel eût voulu récompenser les hommes d'avoir obéi à la voix de leurpasteur,lesphénomènes mêmes sur lesquels les hommes ne peu- vent rien, cessèrent comme par enchantement, et les pluies abon- dantes, sans être excessives, ame- nèrent de riches récoltes, et il ne resta plus dans tout le pays un cas de peste. Ayant ainsi pourvu au matériel, à ce qu'on appelle « le plus pressé, » le prélat porta ses soins sur d'autres objets. Sachant bien que « si l'homme ne vit pas seulement de pain, *> il ne peut vivre exclusivement non plus... de la parole de Dieu, il s'inquiéta en penseur non moins qu'en homme de Dieu de ce fait que nom- bre de familles ruinées manquaient d'outils, d'ouvrage et de pain : d'immenses aumônes se résolvant en distributions quotidiennes et gratuites leur vinrent eu aide, et les mirent k môme d'attendre le retour du travail, retour qui fat moins lent et plus animé qu'on n'eût osé le croire avant la charita- ble intervention de l'archevêque. En même temps s'élevèrent, en partie à ses frais, en partie par l'impulsion qu'il imprima, plu- sieurs hospices et maisons de charité, dont l'administration fut réglementée et organisée par ses soins sur les bases les plus sages. L'éducation ne fut pas négligée non plus : on devine aisément que l'illustre pontife tendit à la régénérer surtout dans le scn$ religieux; mais à la religion, tou- jours et partout fut associée Tin-

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straction pratique. Deux institu- tions éminemment utiles et dignes d'être signalées durent l'origine à son amour éclairé du bien, et même on peut le dire, du moins pour la première, à sa munificence. Ce furent « l'Ecole dominicale, » dans laquelle les enfants indigents reçoivent encore aujourd'hui, avec une éducation chrétienne, toutes les instructions nécessaires à la profession pour laquelle ils optent; et la « Maison de bienfaisance et d'éducation de Sainte-Agnès, « cent jeunes filles de familles hon- nêtes mais peu aisées sont, pen- dant six ans, de l'âge de douze à dix-huit années, nourries, logées, élevées. Pour mener à bien ces œuvres de toutes les plus puis- santes pour moraliser les classes qui malheureusement pullulent le plus dans les sociétés, il fallait une longanimité, une mansuétude dont nul ne peut avoir idée s'il n'a vu de près semblables entre- prises. Obstacles de toute nature et en tous sens, on le comprend; mais obstacles surtout de la part des parents, récalcitrants par dé- fiance, récalcitrants par routine , voila ce dont les plus patients se- raient portés à s'impatienter. Van- der Burch se voyait dans la néces- sité de donner le pain quotidien, de distribuer de l'argent aux pè- res, afin d'avoir le droit de verser le bienfait de l'éducation sur les enfants. Mais sa mansuétude, son inépuisable charité ne faillirent pas. Ainsi préludait, dès le commence- ment du dix-septième siècle, par l'Ecole dominicale, à l'instruction piofessionnelle et primaire, si fa- vorisée de nos jours, la féconde initiative du plus digne prédé- cesseur de l'auteur de Tclcmaqnc. El, d'autre part, fondée en 1031,

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sa maison de Sainle-Aguès passe ajuste titre pour avoir inspiré, soit à Louis XIV, soit à madame do Maiutenon, l'idée de Saint-Cyr. Celle création seule suffirait à la gloire de Vander Burch, n'eùt- elle pas élé précédée et suivie do cent autres labeurs au milieu desquels elle semble comme ab- sorbée, et dont nous n'avons re- iraci' que les plus marquants. L'illustre vieillard poursuivit tou- jours sa mission bienfaisante avec la même énergie et la même activité jusqu'à ce que , dans une dernière tournée pastorale, en visite à Mons, il passât dans un monde meilleur, le 23 mars 16 i4. Sou corps , inhumé d'a- bord en celte ville, dans l'église des jésuites, fut transféré solen- nellement en 1779, lors de l'abo- lition de cet ordre, sous le maître- autel de la cathédrale de Cambrai, et reposa ainsi quinze ans auprès des cendres do Fénélou; njais 1704 vint disperser ces vénérables restes au milieu de désordres qui rappellent trop fidèlement ceux de la sanglante époque qui l'avait vu naître , comme s'il eût été écrit que les mêmes scènes envi- ronneraient et son berceau et sa tombe. Val. P.

VA^DERBIJCII (Jàcqocs Hippo- lyte), peintre et lillérateiir, était à Paris en i796. Jacques- Edouard Vanderbuch, son père, originaire de Montpellier, artiste habile, avait enrichi le musée de sa ville natale d'un paysage estimé. Dépourvu, dés 1803, de son appui naturel, sans crédit, sans ressour- ces, le j«*une Vanderbuch eut à lultcr, au début de sa carrière, contre plus d'un genre de mé- comptes et (le privations. Il fut d'a- bord élève de Mullard, recul quel-

ques leçons de David, et entra, sous les auspices de Pierre Guérin, dans l'atelier de Victor Berlin, l'un de nos paysagistes les plus renommés. Ce fut k cette école particulièrement qu'il acquit, dit un de ses biogra- phes, « ce goût délicat, ce style élevé, cette grâce des lignes, celle finesse de touche qui ont constitué les caractères distinclifs de son ta- lent. » La vie de Vanderbuch, la- borieuse et concentrée, appartient tout entière à l'art. A dater de 1824 jusqu'à sa mort, ses œuvres ont figuré avec succès, quelquefois même avec éclat, dans les exposi- tions publiques. Plusieurs ^de ses tableaux décorent les palais des Tuileries, du Luxembourg et de Saint-Cloud, et ornent les musées des départements et les cabinets des amateurs. Nous citerons, parmi les plus remarquables, une vue de la Cava, gravée par Péringer, une ihi Golfe de Daïa^ une d'un Chalet de Meyrinfien, une autre de la Vallée daGrindehvald, une vue du Délroii de Mcs-sine (œuvre éminenle qui a appar- tenu à la reine Marie-Amélie), une de la Jetée de Honfleur, une vue de Vile Barbe près de Lyon , œuvre égale- menthorsligne,une vue généralede h\\illed^Annonay, plusieurs autres prises en Normandie, dans le Dau- phinéelsur les bords de la Seine, et un grand nombre de lithographies et d'autres dessins. Vanderbuch , aqua- relliste habile, excellait surtout dans la reproduction du ciel ft des eaux; il appliquait à cette partie de ses paysages toute la dextérité, toute la vigueur de son talent, qualités dont on lui a reproché d'abuser quehjuefois aux dépens d'une imitation plus vraie 4le la nature. Vanderbuch avait re- cueilli une partnolable dans les en- couragements accordés aux artistes

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par les divers gouyernemenls de la France. Sept médailles ont honoré ses ouvrages. Le 21 octobre 1854, le jour même il était enlevé à sa famille et à ses amis éplorés, il ob- tenait sa nomination à la chaire de dessin du collège Chaptal, poste qui faisait depuis longtemps l'objet de sa légitime ambition. Vander- buch, que distinguaientune modes- tie rare et des qualités aimables, écrivait bien en prose et rimait avec grâce et facilité. On a de lui un important ouvrage iniilulé : D# la peinlure à l'aquarelle, trois fois réimprimé, et plusieurs opuscules. Il appartenait à la Société philo- lechiiique, à la Société libre des Beaux-Arts, et à celle des Enfants d'Apollon. M. Berville, secrétaire perpétuel de la Société philo- tpclmique, et M. Gavet, membre de la Société des Beaux-Arts, ont publié d'intéressantes notices sur ce paysagiste distingué. A. B-éi. VANDEU CAPELLEN (le ba- ron Théodore-Frédéric) OU VAIS CAPELLEN. Marin hollacdais, naquit le 6 septembre 176Î, à Ni- mègue en Gueldre. Sa famille était des premières du pays. Le baron Alexandre son père était seigneur de Mcdoog et sa mère joignait à ses noms de Marie-Louise le titre de baronne de Paigniel. 11 avait k peine ûh. ans qu'il fut mis dans la marine, en quali'é d'aspirant noble; et comme tel, il fit plusieurs voya- ges qui le familiarisèrent complè- tement avec la mer et le service. Quatre années et quelques mois s'écoulèrent dans le noviciat : au bout de ce temps, en 1777, vint enfin sa nomination de lieutenant. C'était au moment la lutte pour l'émancipation des colons anglo- américains mettait aux jirises sur mer la Grande-Bretagne d'une part,

de l'autre la France et es puissan- ces secondaires, en d'autres termes, l'Espagne et les Provinces-Unies. Ce ne fut donc ni dans des stations ni dans des excursions pacifiques que se déroulèrent les premières années de grade du jeune officier. L'escadre à laquelle il appartenait sillonna l'Atlantique en plus d'un sens et signala plus d'une fois sa présence dans les eaux de l'Améri- que soit par des manœuvres que les anglais tentèrent sans grand succès d'empêcher, soit par des hostilités directes. Tel fut entre au- tres engagements l'affaire de mai 1780 entre la frégate anglaise le Croissant et le trois-màts hollan- dais la Brille {^ de Briele «) que corn- maiidait le capitaine Oorshuys. Le bàtinient britannique après un combat opiniâtre et des plus san- glants n'eut d'autre ressource que d'amener sou pavillon. Van Ca- pétien, à cette époque, était se- cond (eerst officier). La vaillance, le sang-froid et l'intelligence qu'il avait déployés du commencement h la fin de la lutte lui valurent la men- tion la plus honorable dans le rap- port officiel ; et très-peu de temps après il reçut lui-même avec le rang de capitaine le commandement de la belle frégate la Ccrès. Il ne comptait pas encore vingt ans. Il serait sans intérêt de le suivre à bord des autres navires que succes- sivement il commanda ensuite. Qu'il nous suffise de les nommer (ce furent la Bellonc, le ycps^ le Castor, le Dclfl), et de dire que chargé de missions très-diverses, toutes iiacifiques jusqu'il 1793, il s'i'^n acquitta constamment à la sa- tisfaction de tous ses chefs, notam- ment de l'amiral Kinsbergen et de Meivilie. Un des contre-coups de la révolution française le ramena aux

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opéralions guerrières. Vainqueur des Prussiens en France et tran- quille à peu près du côté des Au- trichiens qu'il avait paralysés en Belgique, Dumouriez, en février 4 793, s'était avancé sur les fron- tières des Provinces-Unies, avait reçu sans coup férir la soumission de trois villes et déjà croyait pou- voir écrire à laConvenlion qu'Ams- terdam allait ouvrir ses portes aux Français. Les Hollandais, il faut l'avouer, ne firent que peu d'efforts pour s'opposer à la réalisation de ses plans; et s'ils échouèrent, ce fut surtout par l'insuffisance des dis- positions prises par Dumouriez pour couvrir le siège de Maestrichtet par la subite réapparition des Autri- chiens sur la Meuse. Les Hollandais ne restèrent pas tout à fait oisifs ce- pendant, et le capitaine Van Capel- ien fut un de ceux qui se firent le plus remarquer alors par la har- diesse et l'a propos des attaques con - Ire les batteries du général de la Ré- publique française. On sait que, par suite de l'échec de Maestricht et d'autres fâcheuses circonstances, Dumouriez, dès le 9 mars, était ré- duit à se replier sur la Belgique. H fut donné in la Hollande de res- pirer encore deux à trois années, jusqu'à ce que Pichegru vînt en accomplir la conquête (1795-1796). Van Capellen venait alors de se marier. Très-antipathique au sys- tème français et plus encore à l'ab- sorption de sa piitrie, il abandonna le service et se retira au fond de la Gueldre, étranger en apparence aux afi'aires. Mais celte torpeur, cette indifTérence étaient jouées : il guettait les événements, il n'at- tendait que l'occasion favorable de se montrer. H crut la trouver, lors- qu'en i799, l'éloilc de la France pâlissant en Ilalic, en Suisse, en

E.piypto, les partisans de la maison d'Orange crurent l'instant venu d'abattre le gouvernement démo- cratique, implanté naguère, mais mal enraciné sur les rives du Zuy- derzée. U accepta un commande- ment dans la flotte du Texel, sous les ordres de l'amiral Story, il prit part à l'expédition du Helder, il y déploya des qualités supérieures, auxquels les ennemis du Sladhou- dérat ne firent que trop d'atten- tion. En effet, la réaction n'ayant abouti qu'à l'insuccès, et les me- sures acerbes, les poursuites, pour ne pas dire les persécutions se mul- tipliant contre la marine batave, qui s'était très-gravement compro- mise, le baron Van Capellen prit fort sagement le parti de chercher un autre asile que sa province na- tale, et il fut heureux d'en trouver un sur et paisible dans cette Angle- terre d'où partaient toutes les atta- ques contre nous. Sa femme quitta la Gueldre pour aller i'y rejoindre. Ces émigrations, le séjour sur la terre étrangère ne manquèrent pas d'entraîner des faux frais, des pertes d'argent. Quatorze années, les plus belles de la vie du marin, se pas- sèrent ainsi pour lui dans l'inac- tion, car nous ne voyons pas qu'u n seul moment il ait pris service à bord des flottes britanniques; et du moins a-t-il pu dire que sa haine pour la France ne l'amena pas à combattre la France sous pavillon étranger. Avec quel bonheur il sa- lua de loin, d'abord l'insurrection d'Amsterdam en décembre 1813 contre son préfet français et ensuite l'attitude hostile prise par tout l'ex- royaume do Hollande contre l'Em- pereur, il est inutile de le décrir;;. A peine les Nassau avaient-ils remis les pieds dans leur j)atrie à la veille de devenir leur patrimoine , que

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Vaii Capellen y reparaissait. Fort (le Tancienneléde son dévouement, un si fidèie compagnon d'exil mé- ritait quelque chose de mieux que son ancien grade. Les qua- torze années qu'il avait passées à faire son quart sur les wharves de la Tamise et à guetter, soit dans le journal de Pelletier, soit dans le Times ou dans le Nantie journal d'où soufflait le vent, lui furent comptées comme années de service , et lors de la réorganisation de la marine, il fut nommé vice- amiral; l'année suivante (1815), on lui confia le commandement de l'escadre hollandaise de la Médi- terranée et dans la fameuse jour- née du 27 août <816 il seconda lord Exmouth dans le hombarde- ment d'Alger, prélude trop certain que méconnurent lesEarbiiresques de la prochaine répression de leurs déprédations. Lord Exmouth ren- dit éclatante justice à la valeur et aux habiles dispositions de son col- laborateur; des remeiciemenis lui furent votés par le Parlement bri- t.uinique; le prince régent le nom- ma chevalier de l'ordre du Bain. Satisfait d'avoir ainsi marqué sa rentrée dans la carrière maritime et n'apercevant rien à l'horizon qui lui lit augurer que sous peu ses services redeviendraient nécessai- res, il ne tarda pas à demander sa retraite, qu'il obtint en 1818, et il alla vivre tantôt ii La Haye, tantôt aux environs, dans le sein de sa famille. Toutefois, ce n'est pas dans la solitude qu'il finit ses jours : née en 1771, la baronne Van Ca- pellen n'avait encore que trente- sept ans, lorsqu'il se démit de sa charge d'amiral : probablement elle ne fut pas pour rien dans les dé- marches qui lui procurèrent pou de temps après le poste de grand

maréchal du palais dti Guillaume I". Les deux époux, depuis ce temps, habitèrent presque constamment Bruxelles; et c'est qu'en 1824, la mort vint mettre en même temps un terme à sa vie et à de cruelles souffrances héroïquement endurées. Val. p. VAN DKR HAGEN (Étiennk), navigateur hollandais , était un homme de courage et d'expérience très-apprécié de tous les marins ses compatriotes , lorsqu'il fut choisi pour commander les trois premiers navires qui furent expédiés après le départ de Van Nest et qui, por- teurs de poms les plus pompeux (le Soleil, la Lune, enfin V Étoile du malin), les justifièrent en quelque sorte par l'éclat des services , qu'ils rendirent. Il partit le 6 avril 1599. Peu d'incidents signalèrent sa route jusqu'à l'île Lampon, dépendance du roi de Bantam; disons pourtant que, contrairement à ce qu'ont trop répété les compilateurs légers en parlant des Hollandais, il déploya l'humanité la plus généreuse à l'é- gard d'une caravelle portugaise dont il fit rencontre et qui, pressée par un corsaire français, était res- tée à l'ancre sans vivres et sans ressources, l'équipage n'ayant pas même les moyens de s'orienter. Van der Ilagen pourvut noblement h tout. Peu de temps après pourtant, ayant relfiché à l'ile de May ap- paitenant aux Portugais, pour y renouveler sa provjsion, il y fut disgracieusement et hostilement ac- cueilli. Il en garda, et nul ne sau- rait l'en blâmer, rancune à toute leur nation; aussi, après nn court séjour à Bantam (où l'amabilité de la réception ne l'empêcha pas de s'apercevoir vite qu'on lui prodi- guait plus de be'.les paroles «jne de facilités et d'avantages réels pour

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le commerce), quand les Orancases (c'esl-ù-dire les nobles du pays) l'invitèrent à les seconder dans leurs hostilités contre les Portugais, il ne se refusa, ce nous semble, h. leurs demandes que pour la forme, peut-être pour être plus instam- ment pressé , ou peut-être parce qu'il ne se sentait pas très en force. Finalement, pourtant, il fit marcher 4 chaloupes armées, puis son grand navire le Soleil, au secours des in- sulaires qui, de leur côté, devaient déployer de grandes forces contre Tantagoniste commun. Ceux-ci manquèrent de parole; et vaine- ment les chaloupes tentèrent-elles soit d'emporter les batteries impro- visées par les Portugais en avant de leur fort, soit de débarquer dans la baie du Fort; vainement aussi le Soleil, manœuvra-t-il pour s'empa- rer au moins d'une caraque chargée de girofle que l'on apercevait dans le port. Il ne s'obstina pas à dé- penser sa poudre au plus grand profit et pl.iisir des Amboiniens, et il utilisa la reconnaissance qu'ils ne pouvaient refuser à son bon vouloir, en obtenant d'eux non- seulement la permission de cons- truire, à l'instar des Portugais, un fort dans Tiie , mais encore leur cooj)ération pour sa construction. De plus, et c'est le trait capital, en s'engageant à tenir le fort pourvu de canons, de munitions, de vivres et d'hommes, il eutl'artde persua- der aux indigènes que ces mesures étaient toutes prises surtout dans leur intérêt, et, en revanche, il fit signer par leurs chefs un traité por- tant, — article i**' , que tout le girofle de l'ile serait livré aux Hol- landais seuls, h l'exclusion de toute autre nation; art. 2, et qu'il serait livré au prix constant de... Ce traité, riche d'avenir, commençait l'ère

des monopoles hollandais! Dès qu'il eut été dûment revêtu detoutesles formes qui pouvaient en assurer la validité, Van derHagen,sa cargai- son prise ou complétée à Bantam, se hâta de revenir en Hollande, oîi fut comprise immédiatement l'im- portance du service, en apparence peu brillant et si fécond cependant en résultats matériels, qu'il venait de rendre tant à sa patrie qu'à ses commettants. Sa relation aussi opéra un changement dans les dispositions de la Compagnie â l'égard des étrangers. H fut résolu qu'on n'aurait plus de mansué- tude en présence de tant de vexa- tions et d'inhumanité. Van der Ha- gen était de retour au Texel avant la fin de IGOl. Deux ans après, on lui confiait avec le titre d'amiral, une flotte de douze vaisseaux jau- geant ensemble quatre mille neuf cent cinquante tonneaux, et por- tant douze cents hommes d'équi- page. Les Portugais semblaient h plaisir provoquer les hostilités : la flotte ayant demandé des rafraî- chissements à la hauteur do San Yago , il fut répondu qu'on n'avait au service des Hollandais que de la poudre et du plomb. Il eût été facile à l'amiral de punir cette fanfaronnade ; il ne s'en donna, pas le vain plaisir : ce n'eût été ni très-digne ni lucra- tif. H espéra mieux en arrivant îi Mozambique, où, malgré le feu de la foitcresse, il cai)tura une ca- raque porlug;Hse assez pesamment chargée de d'ents d'éléphants, mais sans que la prise remjdit toute sou attente. De même une fois encore sétant saisi sur la côte de Goad'im bâtiment arabe à bord duquel il comptait que seraient des marchan- dises portugaises, il éprouva la dé- ception de n'en trouver aucune:

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il en prit à l'instant même son parti et s'empressa de le relûcher. Il ne manquait pas d'ailleurs de vaisseaux portugais et dans la rade et le long du iiitoral voisin; mais tous étaient sur leurs gardes, et tant de défen- seurs armés bordaient le rivage, qu'il eût été téméraire de vouloir les attaquer. Évidemment des avis étaient venus aux ennemis, et ils veillaient. Même impossibilité d'a- gir devant Cananor. Le roi de cette ville avait pris le sage parti de ne laisser se produire aucun conflit en ses États. Les Portugais enlevèrent une chaloupe aux Hollandais; ceux- ci purent la reprendre, le monarque leur ayant défendu qu'on usât de vio- lence pour la retenir. En revanche, aux ouvertures que lui fit Van der Ilagen, il répondit par un décli- natoire formel , prouvant assez qu'il pénétrait leurs vues , mais ne s'y prêtait pas. « Vos mouvements, dit- il, donnent lieu de soupçonner que vous en voulez au fort portugais. Je nevousconseille pasde l'attaquer; il est bien pourvu de tout. Vous seriez seuls. Mes ancêtres et moi sommes depuis 102 ans alliés et protecteurs des Portugais. Amis- de ceux-ci, nous ne demandons pas mieux que d'être aussi des vOlres. A cet ctïet, je vous prie de vous retirer. N'allez pas surtout dans vos courses insul- ter les Maldives, qui sont à moi, ou inquiéter les navires de messujels.» La réponse de Van der Hagen fut ce qu'elle devait être : il promit de souscrire aux avis et aux vœux du prince, et il fit voile vers Calicul, où, de prime-abord, il prit une fré- gate portugaise, dont pnsque tout l'équipage se noya en voulant s'es- quiver li la n:ige et où, dix-neuf au- tres furent très-incommodés de son artillerie. Le samorin , en quelque sorle le mahârârijadu Malabar était

en guerre avec les Portugais : il s'empressa de convier le belliqueux amiral à venir le trouver i\ son camp, lui prodigua les caresses et promit aux Hollandais par un traité solennel de les laisser trafiquer en toute liberté dans tous les pays de son obéissance. Nous glissons ici sur diverses courses d'importance secondaire, lesquelles absorbèrent le reste de 160i et janvier 160o. Donnant enfin ses soins à ce qui lui tenait le plus au cœur, au couron- nement de son œuvre, il vint mouil- ler le 21 février Jans la baie d'Ara- boine, et dès le lendemain il dé- barqua ses troupes qui marchèrent immédiatement sur le fort des Por- tugais, construit avant le sien, et qui n'en subsistait pas moins depuis qu'il avait jeté les bases d'un fort rival. Le commandant lui dépêcha deux officiers et une lettre res- pirait la jactance castillane et qui revenait à ces mots : « Qu'est-ce que vous prétendez entreprendre contre un fort que S. M. le roi de toutes les Espagnes m'a commandé de défendre? » « Oui, dit Van der Ilagen, et que S. A. le prince Maurice m'a commandé de prendre. Eh bien! je prétends le prendre. » Il le prit en elîet , ou plutôt on ca- pitula sans attendre l'assaut; îei premières volées d'artillerie avaient modifié considérablement la con- fiance des défenseurs. Tous les Por- tugais, moins 3G familles qui prê- tèrent le serment de fidélit(% parti- rent de l'ile pour n'y jamais remet- tre les pieds, et Amboine devint ainsi le domaine exclusif des Hol- landais. Tournant ensuite ses armes cwjtre Tidor, il trouva plus de résistance et de difiicultés, mais il n'en triompha pas moins, et même assez vite, il lui fallut d'abord ame- ner les rois de Tidor et deTernate,

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qui devaient aider les Portugais de leur concours, à la neutralité; ensuite vint un siège en règle ; la brèche pratiquée, deux assauts ne suffirent pas à emporter la place, bien que sept des plus braves de la flotte y eussent pénétré. Enfin un boulet tiré du Gucldre sur la tour tombe sur la poudre, et la tour, lancée enTair avec 70 hommes qui la gardaient, ouvrit un vaste passage aux Hollandais victorieux. Les Por- tugais se trouvèrent alors chassés detoutes lesMoluques; etTouvrago si judicieusement commencé lors de son premier voyage, Van der Ilagen se trouva l'avoir achevé de main de maître quatre ans après, bien avant de revenir en Europe. Le Gueldre et le Goude, chargés de dépouilles, allèrent annoncer l'heu- reuse nouvelle en Hollande dès i60."j. Lui-même y revint en 1G08, et ne reprit plus la mer. Val. P. VAN DER IIECK (Nicolas), peintre, à Alckmaer vers l'an 1580, descendait de Martin llems- kercke, et fut élève de Jean Neag- hel. H se fit une réputation comme excellent peintre d'histoire, et sur- tout comme grand paysagiste. Sa manière de composer est savante et grandiose ; son coloris brillant et solide annonce une entente par- fait-e du clair-obscur. On conserve dans la maison de vilh; d'AIckmaer, trois tableaux de lui qui offrent des beautés du premier ordre. Les su- jetb qu'ils représentent sont analo- gues à l'emplacement qu'ils occu- pent. Le i)remicr représente le Jugement de mort prononcé par le comte Guillaume HI , surnommé le Fîon, contre le bailli du Ziiyl-Hol- laud qui fut décapité pour avoir volé une vache îi un paysan; le second ^isll(l])un}ti(^n prononcée par Cambyse contre le jiuje prcvarka-

tenr (1), et le troisième est le Juge- ment de Salomon. La ville d'AIck- maer est redevable, en outre, à Vander Ileck de l'établissement de la Société de peinture, auquel il contribua puissamment en 1631.

P. S.

VANDER KENIS, missionnaire très-recommandable envoyé près des Hottentots et autres peuplades du sud de TAfrique par la Société des missionnaires de Londres, mou- rut au cap de Bonne-Espérance le dS décembre 1811. Ayant été gra- dué à l'Université d'Edimbourg , et s'étant adonné k l'élude de la mé- decine, il avait pratiqué cette science en Hollande pendant plusisurs an- nées et était parvenu à un très- haut degré d'habileté. Arrivé à l'âge oi^i il est ordinaire que les in- dividus qui ont eu une carrière la- borieuse et active éprouvent le besoin du repos, cet homme infa- tigable, entraîné par des sentiments de philanthropie, se dévoua îi toutes les peines et à tous les dangers d'une mission qui avait pour but d'importer les principes de la civi- lisation parmi les populations les plus sauvages de l'Afrique. Ses ef- forts furent couronnés du plus grand succès, et il put, avant sa mort, jouir du tableau des heureux effets qu'avait produits sa mission.

Z.

VAN DER LINT (Jacod), négo- ciant, — banquier peut-être, U Londres, devait, ainsi que l'indique son nom, être d'origine, sinon de naissance néerlandaise. On manque absolument de détails sur sa vie ; mais du millésime de l'ouvrage

(1) Ce tableau , apporté en France lors de la conciuêtc de la Hollande, fut lonj,'temps exposé dans la grande gale- rie (lu musée.

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dont le titre va suivre, on peut con- clure, sans hésiter, qu'il était dans toute la force de l'âge, ou même q'i'il avait déjà passé l'âge moyen vers le commencement du second tiers de l'autre siècle. Voici, en français, les trois ou quatre lignes de ce titre, non moins long que ceux des gros traités qu'élucuhrent les Allemands : Le. numéraire répon- dant à tous les besoins, ou Essai pour rendre une suffisante abondance de numéraire dans tous les ranfjs de la nation et pour accroître notre corn- merce tant extérieur qu'intérieur, Londres, 1736, in-8% et en voici les premiers mots en anglais : Mo- ney answers als ihing, or... Non content de citer avec éloge ce moi- ceau qui suffit pour que le nom de Van der Lint échappe à l'oubli, Dugald Stewart dans sor» appen- dice aux éléments d'économie po- litique d'Adam Smith, en cite des passages qui mettent en relief avec autant de netteté que de justesse les avantages du commerce, et qui peuvent à tous égards soutenir la comparaison avec les plus décisifs arguments produits par Hume dans son Essai sur la jalousie commer- ciale. Van der Lint termine par des raisonnements pour l'abolition de toute espèce de taxe commerciale et pour leur remplacement par un impôt territorial : l'idée du remède, idée qu'adoptèrent ceux que l'on nomma les Physiocrates, était anté- rieure de quelques années au moins à notre négociant, car Hume, déjîi, s'en était fait l'organe; mais quant à la description, à l'analomie en quelque sorte du mal qu'il signale et veut guérir, il est le premier peut-être qui le caractérise et l'at- taque, et sous ce rapport on croit déj-:i sentir de loin, chez lui, le souffle du libre-échange. Z.

VAN DER VELDE (Cn. Franc.) car mieux vaut écrire ainsi que comme t. XLVII, p. 85, a donné, outre son théâtre et ses romans, des ouvrages qui, s'ils ne sont pas tout à fait des histoires ou des rela- tions de voyage, ne sont pas non plus, à proprement parler, des ro- mans. — On les a, c'est vrai, qua- lifiés de romans historiques, comme Arwcd Gyllensiierna et Naddoctc (voyez la fm de l'article) ; c'est fort à tort, et tout au plus méritent-ils, si tant est qu'ils le méritent, l'épilhète d'histoires-romans. Quoi qu'il en soit, et laissant le lecteur apprécier ce qu'ils sont et les nommer comme il le voudra, nous donnerons les titres des trois suivants : I Ambas- sade en Chine; H Conquête du Mexi- que; Hi Cfiristian et sa cour avant et après son abdication. Il pariit à Dresde, en 1829, une traduction française de Y Ambassade en Chine, suivie d'un vocabulaire ii l'usage du jeune âge. Mais, dès avant ce temps, les trois ouvrages avaient été tra- duits et publiés en français; les deux premiers en 1827, le dernier en <827 et 1828. C'est sur ces en- trefaites que commença le fracas des réclames et prospectus annon- çant la collection des Romans Jiis- toriques de Van der Velde, traduits en français par Loëve Yeimars et dont le t. XLVII de la P/iographie uni- verselle (car son millésime est 1829) ne pouvait indiquer que la première livraison. U eût |)U dire que cette livraison était de 4 volumes, dont deux pour Arwed Gfjllensiierna. La collection est terminée aujourd'hui, ou plutôt elle s'est arrêtée avant d'avoir fini, car ni \Ylaska (dont la traduction première était de Léon Astouin) , ni Naddok le Noir n'en font i)artie; donc, au lieu des 20 vo- lumes présumés, elle n'en contient

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que <6, dont voici le contenu à partir du .V : Paul de [.ascaris suivi LVAsjnund Thyrsklingason et de Gu- nima (2 v.); Christ iern el sa cour (1 V.); les Hiissilcs (1 v.); Théodore le roi d'été on la Corse en 1736 ( ! v.); V Ambassade en Chine {[ v.); la Con- quête du Mexique (2 v.); Contes et Légendes Jdstoriques (A volumes ou 6 morceaux : 1'^ V Horoscope, his- toire tirée des guerres civiles de France: Alia;; 3" le Flibustier; les TataresenSilésie; 5" h Guerre desservantes, histoire tirée des vieil- les chroniques de Bohême; la DruUlesse. La troisième de ces nou- velles a été traduite en espagnol sous le titre d'el Flibustero, o el Pi- rata gencroso, novella americana. Il est juste de remarquer que si la collection Loëve-Veimars n'a pas été ce qu'on appelle accueillie et acclamée, elle s'est vendue néan- moins, et que l'édition est bien et dûment épuisée. Z.

VAIVDEUVUE (Pierri-Prudent), le G avril 1776, aux Riceys, dans l'ancienne Bourgogne, d'une fa- mille honorable, débuta dans la magistrature le 18 août 1808 par les fonctions de magistrat de sû- reté de l'arrondissement de Bar- sur-Seine. Il fut nommé, le 29 jan- vier i8H, juge d'instruction au tribunal de Troyes, et le 26 m.ii de la même année, procureur impérial criminel à Reims, sous le titre de Rubstitutdu prociireurgéiiéral prèsia Couiimpcriale de Paris. Les procu- reurs criminels ayant été supprimés aucommencemeiitdel8i6, Vandeu- vre se concentra dans l'exercice des fonctions de substitut du procureur général, el porta en celte qualité la parole, avec distinction, dans plusieurs affaires politiques, notam- ment (2i février IMK;) dans la con- spiration dite de VEpingle noire.

Le «"juillet <818, il fut appelé au poste (le procureur général près la Cour royale de Dijon, et quatre ans plustard,le9janvierl822,àladirec- tion du parquet de la Cour de Kouen. Enfin, le 10 juin 1829, il fut promu à la dignité de premier président de la Cour royale de LyoD; mais ù peine était-il installé dans ces nou- velles fonctions,. que la mort l'en- leva le 43 octobre 1829, dans sa maison de campagne de Méry-sur- Seine, à 53 ans. Vandeuvre était un magistrat ferme, honorable et éclairé. Il avait* signalé sa carrière judiciaire par plusieurs traits d'in- dépendance dont nous citerons le suivant. Lorsqu'il était, en 1820, à la tête du parquet de la Cour de Dijon, il crut devoir dénoncer à M.de Serre, alors garde des sceaux, des abus graves dans l'administra- tion de la justice criminelle, et pro- posa, de concert avec sa compa- gnie, d'utiles et urgentes réformes. Le ministre répondit en termes durs et impératifs. Vandeuvre renvoya à son chef la dépêche qu'il en avait reçue, en ajoutantque « ce ne pou- vait être que par distraction qu'il avait signé une semblable lettre. ^) M. de Serre répondit immédiate- ment par une lettre d'excuses et de félicitations. Elu députa en 1820 et en 1824 par l'arrondisseraont de Bar-sur-Aube, Vandeuvre porta dans sa carrière législative le même esprit d'indépendance qui avait ho- noré sa carrière judiciaire. ^( Tout engagé qu'il était dans l'adminis- tration, dit un sage appréciateur, il ne montra pour le pouvoir ni complaisance, ni faiblesse, ni sus- ceptibililé, ni injustice. » On a de lui, en dehors de plusieurs écrils inédits, un discours de rentrée prononcé devant la Cour royale de Dijon, le 10 novembre 1819, et un

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autre prononcé devant la Cour de Rouen, le 5 novembre 1828, haran- gfues également remarquables par le mérite du style et par la noblesse des sentiments. Voici, pour exem- ple, avec quelle courageuse éner- gie il dépeint et stigmatise, dans le second de ces morceaux, l'esprit de parti politique : « Qui dit parti, dit exclusion de toute liberté, de toute vérité, de toute justice, de toute conscience. Quel que soit le voile dont ils se couvrentetlenom dont ils se parent, tous les partis se ressemblent. Tristes fruits du mal- heur des temps, de la perversité des hommes et de l'impuissance des lois, le mal estdansleur nature etle bien hors de leur pouvoir. Condam- nés à n'exister et à ne périr que par leurs excès , malheur à qui so trouve sur leur passage! Rien ne les arrête tant qu'ils ont une ré- sistance à vaincre ou un ennemi à perdre. Insatiables, ingrats, jaloux, impitoyables, la voix du sang, de l'amitié, du malheur, n'arrive pas jusqu'il eux. Ce qu'il y a de géné- reux et d'humain dans les indivi- dus, vient s'anéantir devant ces masses impénétrables à tout autie sentiment qu'àcelui d'une ambition cfTrénée, la force est toujours au plus fourbe ou au plus violent, l'ombre d'un retour à la raison devient un cri me irrémissible, et il est impossible devoir autre chose qu'une conjuration des passions les plus désordonnées et des i)lus vils intérêts contre les droits de !a société et les lois de la justice. » M. Nault, son successeur au par- quet de la Cour de Dijon, a publié une notice pleine d'intérêt sur ce magistral recommandable. (Dijon, 1829, in-8«). A. B— ÉK.

VAN DE VELDE (Jean-Fran- çois),théologien belge, à Ueveren

(pays de Waes}, le 7 mars il^'S, suivit à l'Université de Louvain les cours de dogme, d'exégèse, d'élo- quence sacrée et de morale, reçut les ordres en 17G9, et, bien vu de tous les doctes membres de la fa- culté de théologie, devint immédia- tement leur affilié en quelque sorte par le titre de bibliothécaire dont on s'empressa de le nantir. Il eut même part, comme suppléant du moins, aux fonctions de l'enseigne- ment théologique supérieur ; car nous le trouvons en 1784 faisant soutenir, c'est-à-dire inspirant une thèse sur la prétention qu'a l'Eglise de statuer sur les empêchements dirimants du mariage. Celte thèse allait directement contre le système du docteur Leplat, très-ferme cham- pion des prérogatives ecclésiasti- ques telles que les avait léguées le moyen âge aux siècles modernes et concluait en qualifiant la préten- tion d'usurpatrice et d'abusive. Na- turellement elle fat très-remarquée ; et il était tout simple de voir chez celui sous les auspices duquel elle se produisait, un fauteur des ten- dances auxquels alors se livrait l'administration civile par ordre exprès de Joseph IL On sait com- ment cet héritier de Marie -Thé- rèse avait rompu d'emblée avec toutes les traditions des Habsbourg, y compris celles de sa mère, plus doucereuse, mais tout aussi tenace que Ferdinand II, abolissant par centaines les couviMits ({u'il décré- tait inutiles, éliminant de tons ses Etats l'intolérance, octroyant aux juifs presque toutes les libertés et des garanties, nommant de son cher un archevêque de Milan, et en fait ne voulant pas même de l'in- duit (c'est-a-dire de la permission) du Saint-Siège, vu qtie permission implique, au fond, négation du

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droit qu'on a d'agir. L'on ne fut donc pas étonné quand, pour faci- liter des réformes de discipline re- ligieuse dans les Pays-Das autri- chiens, l'administration civile en vint à transporter à Bruxelles l'U- niversité de Louvain, ne laissant à l'ancienne cité universitaire qu'un séminaire, séminaire général, il est vrai, unique pour tout le cercle de Bourgogne, et d'où devaient sortir, pétris par le même enseignement, sous les yeux de la même direction, tous les jeunes lévites de la pro- vince, l'on ne fut, disons-nous, pas très-étonné de voir le ci-devant •bibliothécaire devenir le directeur du Grand-Gollége (tel fat le nom du nouvel établissement) ; mais il fut peut-être permis de l'être, quand insensiblement il passa des idées favorables aux errements de l'em- pereur Joseph au camp des ultra- raontains, d'abord en blâmant quel- ques témérités, en formulant de simples réserve?, puis arrivant à des objections formelles, puis les entassant en forme les unes sur les autres, puis se dessinant de jour en jour un peu davantage, de manière à prendre rang parmi les cham- pions, parmi les ardents coryphées de la prépotence cléricale et de l'invariabilité quand même de tout ce que comprend la discipline ec- clési[istique. (Voy. Van der Noot.)

Aucuns, à Louvain, à Bruxelles et ailleurs, crièrent soudain à la palinodie ; les amis ne virent li qu'une évolution naturelle de la pensée. « Le savant conservateur, <' en pâlissant sur le dépôt confié à a ses soins, s'était pénétré de do- « cuments et d'arguments nou- (( veaux; il avait étanché sa soif de « science à des sources plus pures; « un peu d'érudition rend gallican, tf plus d'érudition vous ramène aux

a doctrines de la Rote.» Soit ! tou- tefois , nous remarquerons que, presque d'un bout à l'autre de la iîelgique, l'opposition aux réformes de l'Empereur, était devenue ré- bellion flagrante , lorsque Van de Velde se mit à suivre la carrière des opposants, et qu'arrivé, par la docilité qu'il avait laissé présu- mer être dans son caractère, à la direction, très-honorifique en même temps et très-lucrative, du Grand-Collège, il se trouvait dans le môme cas que Thomas Becket, une fois nanti de la mitre de Can- terbury. Du reste, il n'eut pas la peine d'aller si loin que Becket. Sitôt que le prince , trop franc et trop brusque ami du progrès, eut expiré avant d'avoir vu la fin de la révolte belge (1790), le cabinet de Schœnbrunn, tant sous Léopold II que sous François II, cervelle de plomb et cœur de glace, qui laissa périr sa tante (Marie-Antoinette) et détrôner sa fille, était retombé dans ta vieille ornière autrichienne; et Van de Velde , en déniant li la puissance civile les droits inhérents à la souveraineté, trouvait des fau- teurs et des panégyristes parmi les agents de la puissance civile. S'il tonnait donc, ce n'était plus contre les mesures impériales, loutétait de ce côté revenu au calme plat, mais c'était centre les allures bien autrement redoutables d'un souve- rain naissant, qui ne se laissait pas désarçonner si facilement, et qui n'avait pas mine de lâcher prise quand il se mettait à l'œuvre. Ce souverain c'était la nation française, alors s'essayant h la vie politique et représentée par la Constituante, qui, sans essayer d'y mettre autant de formes que Louis XIV ou môme Philij)pe le Bel, prétendait , sous prétexte de supprimer des rouages

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coûteux en même temps qu'inu- tiles et d'être maîtresse chez elle, formuler une constitution ecclésias- tique obligatoire pour tout le clergé régnicole; licencier toute la milice religieuse des couvents , réannexer au plus tOl, si l'on pro- cédait hostilement au Vatican, le Comtat Venaissin. Longtemps, on peut le deviner, les mauvaises hu- meurs, les sinistres prophéties et les anaihèmes purent se donner carrière dans Louvain et toutes les succursales belges de la papauté : les assemblées légiférantes par les- quelles s'élaborait la rénovation de la France, n'entendaient pas môme gronder ces petites foudres si voi- sines ; et Van de Velde put, ainsi que ses amis, lancer à satiété le telum imbelle sine ictusdins (jue ses traits revinssent contre lui. Il n'en fut plus de même quand enfin les hypocrisies diplomatiques de l'Au- triche cédèrent la place aux bruta- lités franches. La guerre fut décla- rée en apparence à la révolution, en -réalité à la France, que de vieilles rancunes comptaient dépouiller , soit de quelques lambeaux de Flandre française , soit de la Lor- raine et de l'Alsace, et dont per- sonne à l'étranger ne soupçonnait que la révolution allait doubler et tripler les forces. On sait à quoi, (lès le commencement, aboutirent les arrogances de l'enuemi : hon- teuse retraite des Prussiens, savante retraite de Clerfayi après Jemmapes, mais retraite toujours, préludèrent, dès 92 et 93, à la grande épopée de vingt ans. Le président du Grand- Collège de Louvain crut bon de mettre un intervalle entre les Français et lui. Ceux-ci parcou- raient triomphalement la Belgique, sans que les diversions du coté du Rhin les inquiétassent sérieuse-

ment, important leur organisation nouvelle avec l'ardeur qui caracté- rise la foi. Il alla donc, en 1794, chercher un refuge en Hollande, et il ne reparut à Louvain qu'en août 179o , un mois et quelques jours donc avant le décret qui réunissait officiellement le Luxem- bourg et la Belgique à la France. Le gouvernement de la Convention n'avait plus rien alors de la vio- lence et des formes inquisition- nelles qu'il avait déployées na- guère. Dientùt, d'ailleurs, le Direc- ioire lui succéda, ne demandant qu'à gouverner sans collision. Est-ce à dire qu'il abdiquait les- principes dont était sortie la révo- lution , ou qu'à l'excès d'énergie il allait faire succéder la mollesse et l'abandon de soi-même? Quelques- uns se l'imaginèrent et Van de Velde fut du nombre. Il chuchota fort , s'il ne déblatéra , et fort sou- vent sur la constitution civile du clergé , ainsi que sur toutes les plaies dont l'Eglise avait à gémir par la prétendue logique avec laquelle l'administration française procédait en tout ce qui jadis était du domaine religieux. Naturelle- ment ces murmures avaient de l'écho; puis, comme d'abord les agents français n'y prirent pas trop garde, ils furent modulés en chœur; les malcontents , les zélés se grou- pèrent, la Faculté de théologie en vint à faire des représentations for- melles, lesquelles tendaient h ce que la loi française fût lettre morte en Belgique, quant à tout ce (|ui regardait l'Église. Le Gouvernement français, sitùt qu'il vit les répu- gnances Il la veille de se tiaduire en protestations, ne balança point ordre fut donne d'arrêter Van de Velde qui passait pour le promo- teur de la démarche. L'ordre fut

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exécuté au mois d'août 1796. Il n'en eût sans doute pas éli3 (luitto pour si peu, s'il eût eu le moindre {TOùl pourle martyre, lorsqu'après le triomphe du Directoire au 18 fruct. sur l'opposition desGinq-Centsetdes Anciens, le contie-coup du coup d'étal se fit sentir en Belgique aussi, et que dès novembre, les pro- fesseurs de Louvain se virent en masse condamnés à la déportation. L'ex-président préféra se réserver pour des temps plus heureux : il s'évada. Mais ce ne fut plus la Hol- lande qu'il choisit pour lieu de refuge : il passa le Rhin et se mit, en attendant que la Providence nous ravît nos conquêtes et nous refoulûl en nos foyers, à parcourir la Germanie. Au moins ne fut-ce pas, comme tant de ses coreligion- naires politiques, pour ameuter des ennemis contre nous; il redevint ce quM.l aurait rester toujours , l'homme de cabinet, le savant : il alla explorant les bibliothèques, les archives, pour y découvrir des mo- numents relatifs à l'histoire ecclé- siastique de la Belgique ; et quand enfin, en 1802, à la suite des traités de Lunéville et d'Amiens, le système pacificateur et réorganisateur du premier Consul rouvrit aux expa- triés de bon sens et de bonne volonté la libre entrée de la patrie, comj)re- nant que la réorganisation s'é- tendrait jusqu'à l'Université de Lou- vain, dont la suppression datait de plus loin que de l'invasion fran- çaise, il se le tint pour dit, et il ne songea pins, momentanément du moins, qu'à distraire ses ennuis en utilisant les matériaux recueillis pendant l'exil. Huit iinnées entières s'écoulèrent au milieu de ces tra- vaux, huit années qui, certes, ne furent pas les moins heureuses de sa vie. Vint 1811, l'année du Con-

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elle do Paris. L'évêque do Gand, M. de Broglie, se l'attacha et l'em- mena comme théologien en se ren- dant à l'assemblée. Là* bientôt il lut en présence de la Commission un mémoire qui fit sensation, moins peut-être par les arguments invo- qués à l'appui, que par la hardiesse ! et la véhémence avec lesquelles s'exprimait l'argumentateur. Per- sonne ne crut que le lecteur de cette pièce d'éloquence en eût été le rédacteur, bien qu'on y reconnût ses convictions; et personne, lors- que l'Empereur prit la résolution de sévir, ne fui surpris de voir les portes de Vincennes s'abattre sur le théologien comme sur le prélat, et la mésaventure de l'aco- lyte accompagner la disgrâce du chef de file : il est probable que Louis XIV n'eût pas fait moins. Celte séquestration se prolongea jusqu'en 1814; et il ne fallut pas moins que la chute de Napo- léon pour briser les fers du cham- pion de l'évêque de Gand. Rendu au sol natal, il espéra pendajit un temps voir renaître de ses cendres l'université de Louvain. Mais c'é- tait là le moindre des succès dont se préoccupaient les sérénissimes et les augustes membres du congrès de Vienne : la Belgique, englobée avec les ci-devant Provinces-Unies dans cet état de nouvelle créa- tion, le royaume des Pays-Bas était donné à un prince protestant, el Guillaume P'., tout déterminé qu'il fût à n'user d'aucune mesure acerbf à l'égaid des orthodoxes, ne l'était pas moins à ne pas favoriser tout ce qu'il leur plairait de prétendre : Louvain resta donc , en dépit des restaurations et des contre-révolu- tions, ce qu'il était depuis un quart de siècle ; et s'il était écrit que, moins de vingt années après,

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il reprendrait à peu près son an- cienne existence, ses anciennes al- lures, VandeVelde ne jouit pas de ce triomphe*. Sa mort eut lieu le 9 janvier <8â3, au lieu même de sa naissance. Ses dernières années s'étaient passées à préparer une édition complète des actes de tous les conciles de Belgique, et chemin faisant à lancer dans les recueils religieux des dissertations et des opuscules théologiques sur ces sujets qu'il aimait tant à traiter. La nomenclature enserait des plus dé- \)VAcécsidJ'Amimème de la Religion et du Roi (XL, p. 84), bien qu'il les signale en gros, n'ayant pas jugé à proi)Os d'en rapporter les intitulés. 11 suflira dj mentionner son tra- vail, de' beaucoup le plus remar- quable et le plus volumineux, celui par lequel son nom a chance d'é- chapper à l'oubli , quoique ce ne soit qu'un abrégé , ou même en quelque sorte qu'un « programme, » comme disent les Allemands. II a pour titre : Synopiiis monumcnlorum Ecclesiœ apnd Belgas, etc.,Gand, 1811, 3 vol. in-8. Val. P.

VAIS DE ZANDE, habitant de Dunkerque , avait navigué long- temps sur navires marchands et passait pour un des premiers capi- taines au long cours, lorsque l'An- gleterre , profitant des embarras que la coalition amoncelait autour de la France, tomba sur notre ma- rine el nos colonies. Des lettres (le mar([ue ayant été sollicitées- et obtenues du gouvernement français, un des armateurs ainsi muni de l'autorisation d'aller en course fit choix de Van de Zande pour lui confier le comm:indem ni d'un pe- tit sloop de douze canons et de quatre-vingts hommes. Il était té- méraire peut-être, avec ce mince é(iuipage et ces ressources plus fai-

bles encore, de se riscfuer sur des mers que sillonnaient tant d'esca- dres supérieures. Mais telle était la prestesse des manœuvres de Van de Zande, que jamais il ne se trouvait en présence de forces qui fussent plus que le quadruple des siennes; et telles étaient sa bravoure et sa justesse de coup d'œil, tant comme militaire que comme marin, qu'il ne redouta jamais le combat ou l'a- bordage un contre quatre, et que ja- mais il n'eut lieu de s'en repentir. Toujours, au contraire, il sortait de la lutte vainqueur en justifiant de plus en plus le nom qu'avait donné le propriétaire à sa coque de noix. Ce nom, c'était le Prodige. Secondé par la vaillance à toute épreuve de sesgens, mais valant à lui seul par son expérience, son talent et son art d'électriser les hommes, tout un équipage , Van de Zande, sur le Prodige, opéra des prodiges et compta ses captures par douzaines. Sans contredit, il est des quatre ou cinq corsaires ou officiers de la marine régulière, qui , pendant la longue lutte maritime presque inin- terrompue de vingt ans, firent le plus de mal au commerce britanni- que. Enl7iJ8 notamment, ses suo cèssur l'ennemi furentsi multipliés, si hors ligne, que par ordre du Di- rectoire, le ministre de la marine lui écrivit pour lui témoigner la sa- tisfaction des chefs de l'Ktat. Z. VAiVU,nOiLlN ( pour VA!f Di Horn) , ou même Van Iïorn, un des flibustiers les plus fameux du siècle qui vit fleurir les Pierre Legrand, de Dieppe, les Roc «le Brésilien » deGrœningue, les David, les Gram- mont, les rOlonnais, était natit, sans doute, d'une des dix-sept pro- vinces dont Charles-Qiiini lii le cercle de Bourgogne ; mais était-ce d'une des Provinces-Unies qui su-

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rent secouer le joug de l'oppresseur Philippe II, ou bien était-ce de ces Pays-Bas catholiques qui s'accli- matèrent si docilement aux coups de cravache de toutes les Autri- ches? C'est ce que nous n'entre- prendrons pas de déterminer ma- thématiquement ; nul ne le pour- rait, et tout au plus les conjectures sont-elles permises. Aux yeux de quelques personnes, peut-être, la forme très-néerlandaise du nom et la haine du héros pour l'Espagne militeront-elles en faveur de la première opinion. Mais qui nous empêche de répondre à la pre- mière raison, que Liège, Maes- tricht, Anvers, sont pleins de De Jlorn, Van de Ilorn, ou autres noms semblables; à la seconde, que le pirate affiche plus la haine qu'il ne l'éprouve; qu'il la singe, ou qu'il se ligure la sentir, quand vient à souffler en lui quelque bourrasque de dégoût ou de honte du métier ; que c'est un pavillon qu'il arbore pour dissimuler sa ra- pacité, ses frénésies et ses crimes. Ce n'est pas tout : si c'est sur l'Es- pagne, à la fin , que portèrent surtout Jes coups de Vaiid llorn ses débuts avaient eu lieu le plus souvent aux dépens de la Hollande ( donc com- pensation!); puis diverses circon- stances de sa vie semblent le re- lier à la ville d'Ostende , non sans quelque nuance de prédilection de sa part. C'est donc poui; celte ville ou ses environs que nous incline- rions, s'il nous fallait incliner d'un côté plulô*. que d'un autre, ou, du moins, pour les possessions catho- liques e>j)agnoles (dont la Flandre) plutôt (îue pour les Proviuces- UniijN. Quelle (ju'ait été, du reste, la Tille ou la bourgade qui le vit naître, très-probablement, il était d'obscure naissance, car il com-

meni;a sa carrière maritime dans les plus humbles rangs.

Môme incertitude sur l'époque précise de sa naissance* que, toute- fois, d'après les autres dates cer- taines de sa vie, nous croyons devoir porter par approximation à 1635. Psul détail non plus sur son enfance , nul sur son éducation. La première position dans laquelle il s'offre à nous, c'est celle de ma- telot. Fut-il mousse? Rien ne nous en informe. Est-ce jeune qu'il em- brasse la vie de mer? Nous le pré- sumons ; mais rien ne le prouve. Seulement nous espérons ne pas nous trouver seul de notre avis, le choix de la profession de marin ayant évidemment été de sa part l'explosion d'une vocation, 'peu tar- dive sans doute , ce qu'expliquent tout naturellement, nous ne disons pas, a taille athlétique (il était petit plutôt que grand), mais sa force musculaire, son énergie, qualités dont si souvent le marin trouve occasion de faire usage. Il n'y joi- gnait qu'à mince degré cette obéis- sauce passive, ressort essentiel du service; et il ne tolérait ce régime de fer qu'à la condition de l'impo- ser aux autres, mais non de le su- bir lui-même. D'ailleurs il se sen- tait la capacité comme le désir de commander : il avait la soif du gain, la soif des aventures, la soif du plaisir; carguer la voile et prendiedes ris, faire une épissure ou manier le gouvernail, lui sem- blaient des divertissements on ne peut plus monotones , et il avait plus goût à manier le mousqueton et le sabre d'abordage. La marine marchande ne pouvait, on le voit, oflrir ni fruit ni perspective à sem- blables aspirations. Il en résulta que bientôt il ne regarda plus les pacifiques navires des épiciers et

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marchands de harengs, leurs ar- mateurs, que de l'œil dont le vieux loup de mer regarde les marins d'eau douce. Plein de grands pro- jets, très-vagues encore, mais qui tous revenaient à ne pas, jusqu'au branlebas final, boucher les écou- tilles, éponger le lillac, grimper le long des haubans et lorgner du haut des huniers la plaine liquide, il comprit qu'il devait d'abord se former un petit pécule. Sans lest, pas de navigation. Il amassa deux cents écus. En combien de temps, et quel était son âge quand il se trouva muni de ce mince commence- ment de capital? Ne risquons d'hy- perbole ni pour ni contre la célé- rité de ses procédés et la dose de bonnes chances qui purent lui ve- nir en aide: nous admettons com- me vraisemblable qu'il s'engageait li vingt ans (donc vers 16:io), qu'il commençait à se voir en tonds à vingt-quatre (soit 1659), lorsqu'il quitta son bord afin de réaliser ses plans. Un de ses camarades, Fran- çais sans doute, en avait, en partie du moins, reçu communication et devait les seconder. C'est à l'heure de l'exécution qu'on reconnaît de quelle trempe sont les hommes. Les deux matelots quittèrent en- semble leur navire, et ensemble se rendirent en France. Ensemble même ils obtinrent du gouverne- ment une commission pour croi- ser. Mais l'instant venu d'user de l'autorisation, les deux amis ces- sèrent de naviguer de conserve: soit pour garantir des hasards de mer les épargnes de toute sa vie, soit pour se préserver, lui, des hasards de la balle, l'allié de la veille préféra rester h la côte. Plus hardi de sa personne et de sa cas- sette, plus impatient du repos, plus raccoleur, le Flamand fil l'acquisi-

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tion d'un petit bâtiment d'allure équivoque, y plaça de vingt-cinq trente hommes bien armés, encore plus résolus, puis accoutra sa fe- louque en bateau pêcheur, pour mieux donner le change sur ce qu'il était. Nombre de petites embarca- tions hollandaises y furent prises, et en peu de temps. Toujours heu- reux dans les attaques â tout mo- ment réitérées, toujours adroit au- tant qu'expéditif à vendre ses pri- ses, à réaliser, à partager, il en vint à pouvoir acheter un navire de guerre dans les chantiers d'Os- tende. Ses captures alors devinrent plus importantes : il ne craignit plus de s'attaquer aux bâtiments du plus fort tonnage et même à plusieurs à la fois; il devint Tépou- vantail du commerce néerlandais ; et, capitalisant sans cesse, bien que le luxe ni la générosité ne man- quassent pas chez lui, il sévit à la tête d'une petite flotte.

Ici commence, en quelque sorte, une autre période de la vie de Vand Ilorn ; la seconde, celle que nous appellerons la période mixte. Conliani en ses forces, il s'occupa peu de faire rafraîchir son permis de corsaire; et bien qu'une paci- fication eiit donné aux épées belli- gérantes l'ordre de rentrer au four- reau, il continua ses expéditions trop fructueuses pour que ses co- partageanls en perdissent l'habitude au premier signe de la diploma- tie, et prétendant que, qiu^lsque fu>sent les anachronismes dont son équipage pourrait se rendre coupa- ble, — ces peccadilles, simples es- comptes sur l'avenir, ou l'en remer- cierait unjour, la paix n'étant qu'une trêve, et tous les Etals, d'ailleurs, ayant pour morale, engéncral, que tout est permis contre l'ennemi, et en |)articulicr, que la course sur

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mer est aussi lé?:ale, aussi glorieu- se, aussi splendide que l'invasion sur terre. Oui, l'une vaut l'autre; c'est précisément l'avis de tous les penseurs : seulenif'nt ils demandent si l'autre est splendide, est noble, est juste. Vand Ilorn n'élait pas un utopiste : la course éiait ad- mise en principe et en lait, à certaines réserves près, pour le temps comme pour les lieux ; il trouva le principe selon son cœur, puisqu'il otîrait un débouché à ses qualités tumultueuses, un théâtre à sa bravoure, une perspective à son ambition et à sa fièvre de ri- chesse, et il trouvâmes réserves trop subtiles pour lui. Cependant les per- missions qui légalisent le pillage en mer lui revinrent d'elles-mê- mes, ces permissions qu'il n'ambi- tionnait pas. Les gouvernements civilisés rux-mêmes savaient ce nom formidable de Vand llorn ; et le ministère de France, entre au- tres, crut faire un coup de mîiîtie, lors des hostilités qui suivirent la mort de Philippe IV, en lui déli- vrant une commission îi l'effet de poursuivre les navires espagnols. C'était, on le voit, en 1006; et l'on doit voir aussi que cette date, qui coïncide avec l'apogée, ou peu s'en faut, des prospérités de notre pirate s'harmonise avec toutes cel- les que nous avons placées plus haut par conjecture. Vand Horn s'en acquitta en conscience : il fit la chasse aux galions avec un entrain que couronna plus d'un facile suc- cès; et entre galion et galion, il ne néî;ligea point les cargaisons les moins opulentes, les cacaos et les va- nilles, les cochenilles et le bois de campèche, bien qu'il fût de mode parmi ses pareils, dansleurssorties contre le négoce, de ne reconnaî- tre comme gain valant la peine

d'être ramassé que les métaux ou monnayables ou monnayés ayant cours. Il parcourut ainsi, toujours heureux et terrible, presque toutes les côtes de l'Amérique et de l'A- frique ; il enrichit ou mit ;i même de s'enrichir tous les aventuriers que groupait autour de lui son renom sans cesse croissant, et lui- même amassa des sommes énor- mes. Il n'eût tenu qu'à lui de pren- dre jeune encore ses invalides , quand la signature du traité d'Aix- la - Chapelle vint , tacitement au moins, inviter tous les auxiliaires de la France à rengainer. Mais Vand Horn trouva que cet ordre était bon pour les épées, non pour les anspects, quelairiagnanimilédu roi se tenait pour suffisamment ven- gée sur terre, mais que par mer ses ennemis avaient encore besoin de quelques coups de garcette ; que de temps immémoiial pirater était licite au delà de la ligne... Pour- quoi pas aux environs ? Pourquoi pas, etc., etc.? Assez longtemps il mit en pratique, sans que l'on eût faif de s'en préoccuper, ce système commode et particulièrement lu- cratif en ce que les infortunés na- vigateurs, se croyant abrités par les traités, négligeaient de se faire convoyer. La France se bornait à désavouer son trop tenace cham- pion. Les choses pourtant en vin- rent à ce point, que tout de bon et même avec accompagnement de menaces, non-seulement on lui si- gnilia le retrait de sa commission, mais qu'on le somma d'en remettre l'instrument. Il ne répondit à ces injonctions (lue par des tergiversa- lions vaincs comme celles dont on a pu voir féchantillon plus haut, puis par des déprédations plus fréqucntfs et plus ouvertes, dans lesquelles même il lui advint de se

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tromper sur la nationalité de ses victimes et de piller un navire français. Cette insulte eut du re- tentissement à Vers?>illes, et ordre fut donné par le ministre de la r, a- rine à l'amiral d'Estrées, qui com- mandait la flotte française dans les eaux des Antilles de capturer l'iu- discip'inable Vand Horn. L'on y réussit, et l'on n'y réussit pas. En d'autres termes, tout fm voilier qu'était son brick, sou sloop, ou quel que soit le nom dont nous décorions son trois-màts, traqué par un gros navire français plus tin voilier encore, qu'avait détaché d'Estrées, il se vit serré de si près, (|ue , voyant l'impossibililé d'é- chapper, soit par stratagème, soit à force de voiles, il prit le i).irti de descendre dans sa chaloupe et d'al- ler tenter auprès du capitaine, si- non une apologie tout à fait ma- thématique, du moins des excuses qui pussent intéresser un l>rave en faveur d'un brave, et l'amener, en vertu de ce que l'on appelle au bar- reau « les circonsiancc's atténuan- tes ); , à ne pas se saisir de sa per- sonne... Le voilà donc pris! s'é- crieia chacun. . . Mais non, le caplureurn'osi consommer son ou- vrage. D'abord, il est vj-ai, l'élo- quence de notre écumeur de mer ne fut sur lui ni convaincante ni persuasive : l'obstiné Français ne voulut pas £6 laisser démonirer que huit et huit font cinq; et, se renlerrrant dans la lettre <le ses instructions, il lui déclara qu'il ne pouvait se dispenser de le retenir et de l'amènera l'amiial, qui déci- derait s'il fallait ou non l'expédier en France. En effet, on était en tra-n de lever l'ancre! Là, la scène (hange. « En France? » s'écria Vand liorn, la tèle haute et la lèvre frémis-sante comme un Turc que

déborde la colère. « Nous n'y serons jamais nous deux, capitaine! Vous connaissez donc bien peu les dia- bles de Vand Horn pour vous imagi- ner que ces vieilles moustaches vont se laisser escamoter le^r com- mandant comme une bli-gue à ta- bac et sans vous lâcher un peu de fumée par la face? Ou je suis bien trompé, ou dès ce moment ils sont en train de bourrer leurs pipes gaillardement culottées. Voici long- temps déjà qu'ils tiennent la lu- nette braquée sur votre pont. Te- nez, les entendez-vous qui vous hè- lent, qui vousredemandent, d'autres diraient leur « parlementaire » {cj^r c'est en parlementaire que je suis à votre bord, capitaine, et me gar- der c'est violer le droit des gens) ; ils disent, eux, « leur camarade », auquel ils tiennent. Je connais les allures de mes vieux loups de mer : quand ils hurlent, c'est qu'ils ont déjà aiguisé leurs crocs. N'en dou- tez pas, le branle-bas de combat est terminé; voilà mon second, un Vand Ilorn et demi, ceiui-là, qui donne le signal. Gare la bordée ! et ensuite gare l'abordage ! » Et, en effet, déjà le navire pirate était en marche, déjà les aventuriers, armés jusqu'aux dents et la hache à la main, étaient ranges sur le pont, prêts à l'abordage ; d'autres, aux caronades et aux canons, avaient lancé les premiers boulets. Le capitaine civilisé, à l'aspect de ces hommes de; bronze et de fer, qui tous semblaient déterminés à tout plutôt qu'à ne passe voir ren- dre immédi;)tement leur comman- dant, comprit qu'au fait, quoiciuc sujM^rieur par la force de son na- vire et par le nombre de ses hom- mes, la partie, s'il osait l'engager, ne serait pas égale, vu qu'il ne |)0u- vait compter de la part des siens

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sur cette audace désespérée et sans bornes que respiraient les regards flamboyants des corsaires. Il réflé- chit que ses ordres ne lui enjoi- gnaient pas de s'emparer a tout prix du terrible pirate, et d'exposer à des périls imminents un vaisseau de l'Ëtat. Il se demanda comment le prendrait le conseil de guerre s'il revenait les mains vides et sur une de ses chaloupes, après que les bri- gands, vainqueurs ou vaincus, au- raient fait sauter son bâtiment. Il pressentit l'aphorisme talleyran- desque, si cher à notre siècle et si bien à notre taille : « Surtout pas de zèle ! » Il écouta d'un air moins atrabilaire les mielleuses assurances de l'hétéroclite orateur, qui promit plus de circonspection pour l'ave- nir et un peu moins de prompti- tude à s'imaginer, quand la cargai- son promettait, que le pavillon français était un leurre à l'aide du- quel se cachait l'Espagnol, et il le laissa retourner à son bord , heu- reux d'être quitte à si bon marché de cette contre-épreuve de Louis XI à Péronne. On peut être sûr que ce péril si lestement esquivé n'a- jouta pas peu au prestige dont ses antécédents l'avaient revêtu , et que plus que jamais il fut regardé comme invulnérable, comme inem- prisonnable, comme ingardable, Teût-on mis en prison. Le miracle cependant était bien simple : avant de quitter son bord , il avait com- mandé les dispositions nécessaires à un engagement au cas il ne serait pas de retour îi un moment fixé, et, tout en semblant ne viser qu'à se justifier, il avait jeté dans l'âme de l'officier quelques germes de déf-ouragemenl sur ce qu'il ad- viendrait s'il ne revenait qu'avec de la gloire et pas de navire. De ce moment, la France se

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montre si nettement résolue et prête à mordre (1683), date une troisième et dernière phase pour Yand Ilorn : c'est la dernière et la plus courte, trois ans à peine. Il n'est plus que pirate ; il prend rang, sans masque aucun, parmi les flibustiers. Il ne s'attaque plus au pavillon français, et il cingle sur cette ligne équivoque l'amirauté versail- lienne ne l'avoue ni le désavoue; mais gare à tout ce que n'abrite pas notre pavillon , si la cargaison mérite le coup de pistolet! Gare notamment aux galions!

Il ne peut être ici question de suivre pied îi pied Vand Horn dans toutes ses expéditions ; mais il en est deux que nous ne saurions pas- ser sous silence.

La première eut lieu très-peu de temps après l'épisode qui nous l'a montré frisant de si près la capti- vité, le jugement. Informé que plu- sieurs galions du roi d'Espagne at- tendaient à Porto-Rico l'occasion d'une escorte pour se rendre en Eu- rope, et attendaient depuis long- temps, Vand Ilorn imagine de se rendre droit à Tile et à la capilale de ce nom ; il entre, les voiles hau- tes et au son des trompettes, dans le port , et il offre au gouverneur ses services et sa flotte pour con- voyer les galions. Chose extraordi- naire! Que rofficier de S. iM. ca- tholique eût l'innocence de la co- lombe ou que le pirate eût î» triple dose la malice du serpent, l'Espa- gnol se laissa prendre à ce filet. Vand Horn eut l'art de faire sonner haut et par les siens et lui-même ses prises récentes sur les Français, feignit contre eux une animosité irréconciliable, et comme gage de la fidélité qu'il jurait au roi d'Es- pagne, fit valoir le besoin qu'il avait désormais d'un protecteur si puis-

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Hant, lui brouillé à mort avec la Grande-Bretagne, avec la Hollande, avec Louis XIV. Sans autres garan- ties que ces belles paroles, le gou- verneur de Porlo-Rico crut devoir saisir aux cheveux la merveilleuse occasion qui s'otîrait ii lui d'acqué- rir à son pays un défenseur intré- pide et laissa les galions quitter le port sous la conduite de Vand Ilorn. Il arriva ce qui devait arriver. Vingl-quatre et quelques heures à peu près se passèrent sans événe- ments. Survinrent ensuite un, puis deux, puis trois bâtiments inférieurs, peu inquiétants par eux- mêmes, mais qui tous étaient à Vand Horn et qui formaient comme une flottille. Une fois les Antilles Gran- des et Petites laissées en arrière, la flottille, en diminuant son cercle, cerna l'appétissante proie argenti- fère ; uu engagement eut lieu qui ne dura que peu d'instants : quelques galéasses ou péniches espagnoles sombrèient: les navires les plus pe- samment chargés tombèrent aux mains des vainqueurs, qui même dé- daignèrent de donner la chasse au reste. On ne peut douter que celte prouesse n'ait valu de quinze cent mille francs îi deux millions aux flibustiers.

Le second fait d'armes hors ligne qui nous reste à conter est de iG83. C'est plus qu'un simple coup de main. Ce fut le résultat d'habiles calculs et de combinaisons très- heureusement servies, c'est vrai, par le hasurd, mais qui n'eussent pas sorti leur effet sans l'excellence des mesures. Las de ne tomber que sur des navires, il osa projeter de prendre la ville marchande la plus opulente de l'Amérique se|)lentrio- nale, la seconde capitale du Mexi- que, Vera-Cruz, plus riche même que Mexico. Ce n'est pas, assure-

1-on, qu'il'en voulût précisémen taux habitants de Vera-Cruz ; au con- traire, il est reconnu qu'ils payèrent pour d'autres dont il prétendait avoir à se plaindre; ces autres, c'é- taient les colons de Saint-Domin- gue avec lesquels il avait voulu se mettre en relations commerciales, et qui s'étaient conduits plus que lestement la son égard , vendant sous prétexte de représailles des nègres qu'il leur avait donnés en commission et retenant le prix. Pour eux, c'était aller sur ses bri- sées et trancher du forban. Il jura de se venger n'importe sur qui, ce dont ils affectèreht de beaucoup rire ; et Vera-Cruz fut victime. Ses moyens pour arriver au succès fu- rent combinés avec un art et un raflinement sans égal. D'abord il sut parfaitement- et comprendre et s'avouer que seul, avec son équi- page , il courait risque d'échouer dans son entreprise. Par d'habiles suggestions, il sut associer à ses plans, en ne leur laissant cependant ({ue le second rôle , d'autres chefs renommés aussi , impérieux aussi, jaloux aussi : les Laurent, les Mi- chel, les Grammont; et là, il faut le dire, quoique la perspective du pillage fût et une amorce et un lien commun , il lui fallut non moins de talent diplomatique pour nouer ralliance et amadouer les suscepti- bilités, que plus lard il ne dut dé- ployer d'asiuce et d'esprit de res- sources pour consommer l'œuvre. Laui-eul était pi((ué surtout de s'être vu comme couper l'herbe sous le j)ied par la capture du gros na- viie espagnol la Ilourguc, dont il convoitait les trésors et (pie Vand Ilorn avait conquis d'emblée, tandis qu'il se morfondait en prépar:itifs. Vand Ilorn n'avait agi si cavalière- ment que pour abréger ses tergi-

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versations et le décider. Mais Lau- rent bouda, Laurent prit le large, et Vand Ilorn dut en quelque sorte le poursuivre jusqu'à Rotang; et quand il l'eut joint, dut subir ses rebuffades, jusqu'à ce qu'enfin il l'eût convaincu d'une part que la Hourgue n'avait rien contenu qui valûtlapeine d'être pris, de l'autre, que coopérer à ses plans contre Vera-Cruz était le seul moyen pour lui de s'indemniser de ses perles, soit imaginaires, soit réelles, et de réparer le temps perdu. Finalement l'éloquence de Vand Ilorn triompha, et l'irascible Laurent écoula la rai- son, mais non sans garder rancune à celui dont l'ascendant le domi- nait. De retour avec son allié, dé- sormais son ennemi intime, Vand Horn au Petit-Goave, préluda, par la revue générale de ses forces, à rexécution de l'entreprise : douze cents aventuriers étaient autour de lui, tous hommes d'élite quanta la vigueur et au courage, tous expé- rimentés et habitués à ne reculer devant aucune difficulté, comme k ne rougir d'aucun excès. La troupe entière fut distribuée sur deux vais- seaux, pour ne pas donner l'éveil. On se dirigea, toujours par suite du même systém •, vers l'emplacement de la vieille Vera-Cruz. Le débar- quement eut li^u entre onze heures et minuit. La garde sur ce point ne consistait qu'en une seule vigie (une élévation sur laquelle sont une guérili; et une sentinelle). La sen- tinelle fut égorgée , et les forbans n'eurent plus qu'à s'avancer en bon ordre et en silence jusque sous les murs de la ville convoitée , pour y attendre sans être aperçus l'ouver- ture des portes. Tout se passa comme ils le pouvaient souhaiter ; nul ne les déeouviil, les portas s'ouvrirent comme d'ordinaire à

l'aurore; les aventuriers s'y préci- l)itèrent, et bientôt, non pas sans coup férir, non pas sans quelques moments de violence et de massa- cre, se trouvèrent virtuellement maîtres de la ville. La première ré- sistance navait duré qu'un quart d'heure ou vingt-cinq minutes , et celle qui devait se produire un peu plus lard n'avait pas plus de chan- ces. Le capitaine Laurent, à la tête de ce que les aventuriers nommaient eux-mêmes « les enfants perdus, » marcha sur la citadelle , s'en em- para presque immédiatement , et, soit pour accroître l'épouvante, soit pour célébrer leur commune vic- toire, lit tirer le canon. L'infortu- née population de Vera-Cruz dor- mait encore presque tout entière. Beaucoup de ceux qu'éveilla le bruit crurent d'abord que le gou- vernement voilait célébrer par des salves d'artillerie quelque fête ex- traordinaire. Bientôt détrompés, ils tentèrent d'avoir recours aux ar- mes et de se défendre. C'est alors que commença la véritable lutte, c'est alors que les forbans se livrè- rent au carnage avec fureur. Leur triomphe ne devait pas longtemps rester douteux; ils avaient pour eux tous les avantages: le concert, l'ha- bitude , la position prise, l'événe- ment accompli. La boucherie, car ce n'était plus un combat, la bou- cherie neseserait arrêtée que quand p:^s un des habitants n'aurait été vivanî. Us consentirent à cesser des efforts inutiles et à se rendre.

Leurs armes leur furent enlevée s, on les déclara prisonniers, et pour prison on leur donna la grande églis(^, de la ville; mais, comme leur nombre était de beaucoup supé- rieur à celui de leurs vainqueurs, et (ju'ils avaient fait preuve de plus debnivouroqueron n'eût croire,

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on prit contre leur sortie possible une précaution décisive : à chaque porte du saint édifice furent dispo- sées des charges de poudre aux quelles aboutissaient des mèches avec des traînées de poudre, et des hommes rejoins, placés à chaque point d'où pariîiit un de ces cordons menaçants, étaient chargés dy met- tre !e feu au premier instant d'alar- me. Très-convaii^cus du sérieux de ces préparatifs, les réfugiés se rési- gnèrent cl ne tentèrent poini de s'éloigner de leur lieu d'asile. Heu- reux s'ils en eussent été quittes pour la frayeur, ou même quittes pour le pillage de tout ce qu'ils avaient laissé chez eux de portatif et de valeur ou d'agrément. Il ne faut pas demander si tout fut raflé en peu d'heures, argent et or d'a- bord, puis bijoux, puis marchan- dises de défaite facile, cochenille, rhum, sucre, etc., etc. Les forbans ne pouvaient songer à garder la ville pour eux et pour en faire le chfcf-lieu de leur répubTuiue na- vale ; ils ne pouvaient même sans danger imminent y rester, comme qu(;lques-uns d'entre eux le vou- laient, un mois entier pour dévali- st»r plus à fond; car à tout instant j)Ouvaient venir et fondre sur eux les milices voisines, rashcmblées sous quelque chef ayant ou prenant le droit de leur commander; et maintenant qu'ils étaient nantis, ils avaient plus à perdre qu'à gagner. Ils se décidèrent donc, non sans un immense regret à faire retraite, Mais auparavant il vint en pensée aux plus avises d'entre eux que t^aus doute les fugitifs ne s'étaient pas ren- dus du « 10 home « au pied des au- tels les mains vides, et ils vouluicni leur faire payer, comme le disaient jadis les Turcs, le « radial du coupe- ment de latéte. Quatre prêtres ou

religieux allèrent porter leur de- mande, c'est-à-dire leuis ordres, aux malheureux qu'une imprudence, une tergiversation même pouvait perdre, et leur prêchèrent, nous ne savons sur quel texte biblique, mais très-certainement en l'assaisonnant du Beneficium latronis non ocdderc de Cicéron, la nécessité d'en Unir au plus vite avec leurs avides visi- teurs. Entre la confirmation et U péroraison apparurent les quêteurs, et chacun édifié remit, qui ses pias- tres, qui ses quadruples... les ma- ravédis n'avaient pas cours. On recueillit par cette voie deux cent mille écus, glanage a^sez modique aprèâ la moisson de six millions de francs auxquels se montait le bu- tin ramassé dans les intérieurs de la ville. Les Douze Cents cependant ne le dédaignèrent pas et, chargés de ce dernier trophée, ils reprirent la mer. On eût dit que le bonheur voulait les suivre jusqu'au bout: ils tombèrent, à peu de distance de la grande cité qu'ils venaient de piller, au milieu de dix-sept voiles espagnoles, et, chose étonnante, ils traversèrent cette escadre sans être inquiétés et sans l'inquiéter eux- mêmes... Ils savaient qu'elle con- tenait presque exclusivement des marchandises, et point ou peu d'ar- gent.

Tel iut le plus frappant des ex- ploits de VandlIorn.On ne peut s'é- tonner de la populai'itê sans bornes dont son nom fui entouré après ce succès, d'autant plus qu'il n'y survé- cut guère, et qu'aux simples récils, bientôt les Aventuriers eurent a mêler des regrets.

Voici, du reste, comment on ra- conïesa fin. Suivant les uns, sa hau- teur, s. morgue, et plus encore sa brusque iniempeiance de langage froissaient ses rivaux de gloire;

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et c'est pour cela que, froissé do quelques propos assez insultanls, le capitaine Laurent, sur la dé- nonciation d'un Anglais qui joue un triste rôle en cette affaire, lui en- voya un cartel. Aux yeux d'autres, que nous croyons plus près du vrai, le capitaine Laurent avait toujours sur le cœur, si ce n'est la supério- rité qu'avait déployée sur lui Vand Horn dans tous les détails de la mise en action de son projet, du moins, le tour qu'il lui avait joué en se levant plus malin que lui pour tomber sur la Uourcjue. Inde irœ... Vand Horn prit même la peine de démentir le propos que lui prêtait l'Anglais. Tout fut inutile : Laurent ne répondit qu'en tirant Tépée; et le cartel eut lieu sur la baie du Sacrifice, à sept ou huit kilomètres de Vera-Cruz. Vand Horn y fut bles- sé dangereusement au bras. Il put regagner son navire cependant. Mais l'extrême chaleur de celte zone tro- picale, l'insuflisance de la science médicale de rempiri(jue ([u'il pou- vait avoir îi bord, l'irritation, le rhum, tout concourait à rendre sa blessure mortelle. Le bâtiment d'ail- leurs était chargé de trop d'esclaves et les vivres étaient insuflisants. Plu- sieurs victimes d'abord tombèrent, puis vint le typhus, qui bientôt en tripla le nombre. Le commandant, fut emporté à son tour, le quin- zième jour. H fut inhumé à la baie de Logrelte, à près de douze kilo- mètres du cap de Catoche, dans le Yucatan, et h plus de huit cents de Vera-Giuz. Bien qu'il ne se re- fusât pas le luxe et (juil aimût à paraître en splendides costumes, toujours, ou peu s'en faut, jiortant sur lui des rubis de dimensions extraordinaires et une rivière de perles digne d'un rûdjà hindou, il laissa des richesses énormes, dont

sa veuve vint jouir, et jouit long- temps, à Ostende. Son nom resta longtemps un épouvanlail et faillit passer k l'état de légende parmi les Espagnols du Nouveau-Monde ; et la surprise, le pillage de Vera- Cruz y furent, tant que les flibus- tiers existèrent, ce qu'avait été au seizième siècle le sac de Rome par les routiers du connétable de Bour- bon, à ceci près, que les flibus- tiers, comparativement ^ ceux-ci, se montrèrent humains, et, en pre- nant le plus possible, égorgèrent le moins possible. Val. P.

VAINDI (Santo), peintre de por- traits, surnommé Santino da' Ritrat- Ti, naquit Bologne en 1633, et fut élève du Cignani. Peu d'artistes de son époque peuvent entrer avec lui en comparaison pour le talent, la grâce, l'exactitude avec laquelle il sut exprimer la physionomie de ses personnages, surtout dans ses portraits de petite dimension dont il ornait des tabatières et même des bagues. Tout le monde, jusques aux princes, recherchaient ses ou- vrages avecempressement.il mérita l'estime particulière du grand-duc de Toscane Ferdinand et du duc Ferdinand de Mantoue, qui le re- tint à sa cour il lui lit une pen- sion. Après la mort de son protec- teur, Vandi retourna à Bologne, mais sans pouvoir jamais s'y fixer, étant sans cesse appelé tantôt dans une ville, tantôt dans une autre, pour y recevoir de nouvelles de- mandes. Cette vie errante l'empê- cha de former des élèves , et avec lui périt, dit le Crespi, cette manière de faire le portrait avec un si bel emj)Atemenl de couleurs tout de force et tout de naturel à la fois. Il mourut îi Lorette en 1716. Z.

VAlVI)Vi:K(Ili:Nui-SToi.:),i)0<'le anglaisj qui sans encourii- le ridi-

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cule, première et poignante puni- tion de qui se fai t prendre en flagrant délit de titres usurpés, put accoler à ses noms la qualification d'es- quire, naquit à peu près à la même époque que Byron et ne lui survécut que trois ans. Une longue et dou- loureuse maladie avait brisé tous les ressorts de son être, quand la mort, en 1828, à Bromplon, vint le délivrer d'une existence qui n'é- tait plus qu'un fardeau. Il avait dé- buté dans la carrière littéraire par ses Portraits poétiques qui firent ({uelque sensation. Il donna ensuite, en société avec Bowiiig, V Anthologie hatave, œuvre d'érudition élégante et de goût plus qu'œuvrc d'art, mais indispensable pour quiconque veut à peu de frais et sur pièces pro- bantes, se faire une idée nette du caractère et de la valeur d'une lit- térature étrangère nécessairement très-peu connue hors de la contrée qui la produisit. Divers recueils, entre autres le London Magazine, possèdent de lui des morceaux poé- tiques. L'année môme qui précéda sa mort, etdéjà souffrant, il publiait encore la Gont/o/e (Londres 1829), collection de contes et d'esquisses en prose, qu'on ne peut feuilleter sans regretter le décès trop préma- turé du narrateur. Z.

VA>' ESPEN (Voyez Espes, Biographie, t. xiii, p. 3.

VANEL. laborieux historien, ii qui Voltaire a porté malheur en omettant de porter son nom sur l'ample liste des écrivains et hom- mes de lettres par laquelle il ouvre, ou peu s'en faut, son siècle de Louis XIV , ne méritait vraiment pas cet oubli. Ce dut être, s'il faut en juger par le choix des sujets qu'il affectionne, un assez jovial, assez hardi, on dirait volontiers un assez excentrique compagnon. C'é-

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tait pourtant un magistrat, sinon un grave magistrat : la Cour des comptes deMontnellier le comptait parmi ses membres. Cette qualité ne l'empêcha pas de faire paraître à Paris, en 1 683, en 2 volumes in-12, auxquels sans doute il se promettait de donner des jumeaux : une His- toire du temps ou Journal galant. C'était sans doute un peu moins scabreux qu'une controverse sur la révocation de Tédit de Nantes, mais c'était encore jouer un peu gros jeu. Le Grand Alcandre s'était fâ- ché tout rouge dans le temps contre Bussy ; l'ancienne amie de Ninon, quoique l'indiscret ne drapât que d'ex-rivales ou d'ex-proteclri- ces, pouvait se dire : « Voilà pour- tant comment je serai traitée di- manihe ! »; ^t la Bastille avait tou- jours des loirements de reste à l'u- sagedequine savait, pour employer l'expression de Louis XIV dans ses avis à Saint-Simon, « tenir sa lan- gue. ■> Le conseiller avait bien pris la précaution de ne signer que V., et même il n'avait adjoint à cette iniliiile que trois yu lieu de quatre étoiles. Mais c'étaient des voiles bien transparents pour l'occurrence. Aussi de sages amis admonestèrent- ils à qui mieux mieux le téméraire, et à leur instigation prit-il le parti, afin que l'éponge put être passée sur ses méfaits, de bâcler au plus vile quelque élucubraiion édifiante qui piU être en harmonie avec les nouvelles tendances de l'OEil-de- Bœuf et qui méritât les indulgen- ces. Comme il s'agissait d'arriver vite et que pourtant il fallait assis- ter aux audiences, il se contenta d'abord du rôle de traducteur. L'ou- vrage dont il fit choix ne man(|uail pas d'intérêt, c'était V Histoire des conclaves depuis Clément V (le pre- mier, on le sait, des poniilés avi-

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gnon.iis) , Paris, 1689, in-4". Écrit en Italie par un Italien, il ne pou- vait manquer de révéler quantité de circonstances peu connues de ce cùté-ci des Alpes, du moins pour tout ce qui suit la réini>tal!ation du Saint-Siéi^e à Rome ; et quand on se rappelie les perpétuels démêlés de Louis XIV avec les successeurs de Chigi, on comprend combien le livre se recommandait par le mérite de Tà-propos.Les réimpressions se succédèrv ni rapidement pour un travail de ce g:enre. Dès 1694, la seconde édition paiaissait à Lyon, 2 vol. in-12, augmentée de trois nou- veaux conclaves; et Fréchot (ou sui- vant l'opinion vulgairejadis, aujour- d'hui rép:diée d'après Barbier et Quérard, le baron de Luyssen) en donnaità Cologne une troisième édi- tion en 2 vol. in-8% accompagnée de figures. Notre intention n'est pas d'offrir ici une nomenclature complète des œuvres de Vanel. Mais pour achever de donner une idée nette et de ses tendances et dos ser- vices qu'il a pu rendre aux études historiques , nous remarquerons, d'une part, qu'il a travaillé comme compilateur et abréviateur le plus souvent sur bon nombre d'his- toires étrangères [Angleter. e , Es- pagne , Turquie, Hongrie, en tout de 18 à 20 volumes, dont les les six (ou sept) derniers, relatifs à la topographie et à la physiono- mie générale , non moins qu'aux troubles eonlemporains de la Hon- grie, ont été longtemps ce que la France avait de plus exact et de plus complet sur ee pays, et qu'il avait été contraint d'altérer par prudence] ; de l'autre , que re- grettant toujours le sujet de son choix par lequel il avait débuté dans l'arène, et voulant, k l'ins- tar de Juvénal, essayer à défaut

des actualités interdites à sa verve,

LiciUun qnid adesset in illos

Quorum Flaminia tegitiir civis atque latina,

il se rabattit sur les pnecdotes clan- destines et plus ou moins inaper- çues ou enfouies des âges passés, et finalement se trouva en état de publier doux nouveaux volumes qui forment pendant à VHisloire du temps, dont voici le litre : Galan- teries des rois de France depuis le commencement de la monarchie, Bru- xelles, 1 094. On en trouve des exem- plaires qui portent pour nom de lieu et pour millésime : Cologne, i685-1698, et que nous regardons comme un simple rafraîchissement de l'édition de Bruxelles. Ce n'est pas que les réimpressions aient manqué; il s'en est fait une 2* édi- tion en Hollande, mais avec la fausse indication : Paris, 1731, 1738,2 v. in-8°, augmentée des Amours des rois de France de Sauvai , puis une à Cologne, 1740, 2 vol. in- 42, sous le titre de Les Intrigues galantes de la cour de France de- puis le commencement de la monar- chie jusqu'à présent, une 4^ enfin sous le titre primitif, Cologne (Pa- ris), 1653, 3 vol. in- 12. Très-pro- bablement le conseiller en la Cour des comptes de Montpellier ne fut pas témoin de tous les hommages rendus à son idée. Tout porte a croire qu'il survécut peu d'an- nées à Kl première apparition de ce qu'il regardait comme son Exegi monumentum.Ce monument ne brille plus guère et n'est plus guère fré- quenté depuis que Dreux du Ra- dier a repris et mieux encadré, comme mieux traite, le même su- jet dans ses lleines et favorites. Mais il y aurait de l'iniquité, de l'ingra- titude à ne pas se souvenir qu'à Vane! appartient la priorité comme

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explorateur d'un malheureusement trop riche fllon de l'histoire na- liouiile. Val. P.

VAN-GEER (Charles). Vovez GEER, t. XVIII, p. 19.

\AS IIEEL (Daniel), peintre hfiige, souvent cité , n'est guère connu que par ses œuvres et ne pré- sente que peu de tr..its au biogra- phe, qui, toutefois, peut induire de que sa vie ne fut pas accidentée comme celle de tant de ses con- frères, et qu'il la passa paisible- ment ou dans ses foyers ou près de là, sans opulence éclatante, mais loin aussi de la détresse et des pri- vations ou déceptions amères. Son caractère paraît avoir été des plus calmes, et son coup d'oeil moral des plus sages. Tout ce que l'on sait de lui sur témoignage, c'est qu'il vil le jour à Bruxelles en 1 607, et que, lorsque, cessant de peindre sous un maître, il se mit à voler de ses pro- pi'es aiies, provisoirement il se livra au paysage, et que même il obtint dans cette voie des succès qui pou- vaient le séduire en lui présentant la perspective duu heureux ave- nir; mais que, récalcitrant aux il- liisions et se liant peu au prisme sous lequel les artistes voient trop fréquemment les faits les plus gra- ves de la vie quotidienne, il dressa, pour s'éclairer sur ce qu'il conve- nait le mieux de faire, en quelque sorte la stalisticjue de lart en Bel- gique et dans les zones circonvoi- sines, et qu'a la suite de cette vue synoptique du présent , concluant (|u"il lui serait, en réalité, ou im- possible ou dilïicile au plus haut degré d'avoir la palme sur des ri- vaux dejk renommés et favorisés de la vo,:;iie comme paysagistes, il crut bon d'adopter uiui spécialité diffé- rente; il eu choisit une sinj;uliere, une i;ire du moins, et qui, cerle>,

n'était pas usée : ce fut celle des incendies. Il se fit bientôt un public d'admirateurs enthousiastes et pas- sionnés, autant qu'il peut y avoir de passion et d'enthousiasme chez les Néerlandais, par les qualités qu'il déploya dans le genre dont on peut le regarder comme le créa- teur; non-seulement sa louche est vive et légère, il gradue merveilleu- sement sa lumière, il verse k Tin- iini et avec imagination les détails, il dispose ses plans de composition avec autant de goût que de clarté; tout en lui décèle et respire la « maestria. » Aussi la vérité poi- gnante des scènes, la magie descou- leurs, font-elles sur quiconque con- temple ses tableaux une impression profonde ; on dirait que sa toile flamboie, que les langues de feu pointent dans l'atmosphère, que les éditices vont crouler; il ne manque que le craquement et la chaleur. On vante parmi ses plus beaux ou- vrages , l'embrasement de Sodome et rincendie de Troie. Nous regret- tons qu'il ne lui soit pas venu en tète de nous montrer, s'abîmant ainsi dans les flammes, le temple d'Éphèse et le palais dePersépolis, et Rome même, en un mot ces grands spectacles au milieu desquels proémine dans les ruines, et mora- lement au-dessus des ruines, l'in- cendiaire passé à l'elat de dilettante en incendie. L'on pourrait aussi regretter que de nos jours cette spécialité se trouve comme aban- donnée. Les sujets ne manquaient pas pourtant, et les incendiaires non plus, à commencer par Moscou et le prince Rostopchine. La preuve, au reste, quiî Van Heel aurait été de toute manière n giaud peintre, et que s'il abandonna la spécialité paysagi sque, ce ne fut pas faute d'y pouvoir réussir, c'est cet admi-

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rable paysage qui formait un des plus beaux ornements du cabinet du prince Charles de Lorraine, à Bruxelles, et que les connaisseurs comparaient à tout ce qu'ont pro- duit de plus parfait les premiers maîtres en ce genre. Val. P.

VAiVHOVE, acteur de mérite, plus estimable que brillant, était de la Flandre française, nous présumons qu'il naquit entre 1736 ou 1740. Il se maria en Hollande, et quelque temps il habita La Haye. Bien qu'étant très-jeune encore, il prit le parti du théâtre; il ne joua jamais en litre les jeunes premiers, et il ne tarda pas h s'accommoder de remploi de père noble, dont il s'acquittait à Lille avec assez de succès. L'idée, alors, lui vint qu'il pouvait aspirer à remplacer Bri- zard, auquel en etfet il ressemblait, les uns se contentent de dire un peu, les autres disent merveilleusement. Son heureuse étoile lui fit trou- ver des appuis, il obtint un or- dre de début, et il fit son appari- tion sur la scène des Français le 2 juillet 1777: quelques applaudis- sements récompensèrent ses efforts. Il en obtint davantage dans Bali- veau, dans Eup.liémon père, dans d'Orbesson du Père de famille ^ dans Licidas du Glorieux, aux- quels d'ailleurs &e joignirent les rôles tragiques de Danaiis dans Hypermneslre et de Zopire. Fina- lement, il fut admis comme socié- taire il la clôture de 177U.Si quel- ques-uns des votants conicslorent (l'abord, jamais depuis la compa- gnie n'eut qu'il se féliciter de son acquisition. Non -seulement Van- hove était le meilleur camarade, le plus égal, le plus doux, le plus obligeant, le plus exen.pt de mor- gue et de prétention; mais, comme rouage d'un inécani.'^me , comme

pièce d'un mouvement, il était le plus consciencieux et le plus exact des hommes. Jamais de refus, ja- mais d'obstacles, jamais de décli- natoires; jamais, par sa faute, un projet de représentation ne fut re- mis ou abandonné; jamais un rôle ne lui sembla mesquin, ingrat, in- digne de lui : qu'il lui fût avanta- geux ou non, qu'il mit l'acteur en lumière ou dans l'ombre, c'est ce dont il ne s'embarrassait en aucune façon... Qu'est-ce qui devait le plus aider au succès? telle était la seule question qu'il se posait, tel était son principe. Heureux se- raient les directeurs qui, dans leurs relations administratives quotidien- nes, ne rencontreraient que des Vanhove ! Mais trop souvent les grands talents sont moins ductiles et moins pénétrés de l'idée du de- voir. Non pas que nous voulions insinuer que le talent lui manquât. Gela s'est dit et redit, sans doute... On a bien prétendu aussi qu'il était trop grand et trop obèse ! Ni l'un, ni l'autre n'est vrai. Sa taille ne dé- passait pas les huit cent trente ou trente-cinq millimètres en sus du mètre; et cette hauteur modérément supérieure à la moyenne, ajoutait à l'autorité de sa physionomie. Quant ii l'embonpoint, tant qu'il ne laissa pas trop ii distance la se- conde jeunesse, il pressentit, il cultiva l'art, si recommandé par Brillât, de fixer son abdomen au majestueux. Eh bien ! ceux-là n'ont pas vu plus juste au moral qu'au physique, qui se sont donné le tort de déprécier Vanhove. Il était naturel au suprême degré; il avait de la chaleur et de la sensi- bilité; son émotion, il la commu- ni(iuait au public , i)arce qu'elle était vraie. Qu'il n'en résulte pour nous ni le devoir ni le droit de

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l'assimiler à ces artistes qui furent les maîtres de la scène, soit ! Il n'a- vait pas suffisamment de distinction, et la majesté qu'il prêtait aux mo- narques et aux grands personna- ges rappelait un peu trop celle d'un bourgmestre néerlandais ; sa voix était empâtée, sa diction lourde et monotone. Il pleurait trop aisément, il tournait au pa- terne. Aussi n'était-ce pas dans la tragédie qu'il brillait : il aimait, il avait étudié à fond le rôle d'Au- guste, mais à sa façon... Il ignorait qu'Auguste n'était pas du tout ma- jestueux. Un poète du temps, en caractérisant les diverses notabili- tés de la comédie française, a dit de lui :

Vanhove plus heureux, psalmodie h mon gré. . Oiitl succès l'attendait, s'il eiU été curé ! Sa petite paroisse, au sermon réunie, Eut souvent de Jésus partage l'agonie.

Le trait est juste et bien touché. Somme toute, cependant, ce n'est pas une raison pour prétendre que « le père Marly et lui faisaient la paire ». Vanhove est digne d'ê- tre nommé immédiatement après Brizard et Sarrazin , et a laissé un souvenir comme père -noble. Il a créé des rôles, celui de Courval notamment dans YEcole des Pères, en 1787. On l'admirait h juste titre, dans le Géronle du Menteur y exprimant son indigna- tion, son horreur mêlée de mépris pour l'abominable caractère du hé- ros de la pièce; il arrivait au pa- thétique, et une fois ou deux peutr Pire il atteignit presqui? le sublime , lors(}ue, diins Eugénie, la douleur paternelle de Ilarlley fait explosion. Le don Diègue du vieux Corneille était aussi une de ces ligures qu'il excellait Ji représenter, et de même le vieil Horace. On sent (pi'il s'i-

dentifiait de cœur avec ces nobles natures. Aussi le rôle de Félix fut- il un de ceux qu'il lui était le plus pénible d'aborder : il ne s'en con- solait en quelque sorte qu'en sa- turant ses regards du spectacle de sa fille dans le personnage de Pau- line, antipathique à tous les vils calculs et faisant rejaillir comme une auréole de réhabilitation sur son père. Il allait le rejouer ce- pendant; le Théâtre Français, après avoir laissé longtemps dormir le chef-d'œuvre, qui n'avait d'autre tort que d'être qualifié de pièce sa- crée, s'était décidé à le reprendre, lorsque tout à coup Vanhove tom- ba malade. On crut d'abord que quelques jours suffiraient pour guérir, et lorsque enfin, l'aflection ne cédant pas, on procéda néan- moins à la représentation, on mit sur l'affiche , à la suite du nom de l'acteur seul chargé'du rôle de Fé- lix : « Par indisposition de Van- hove. » Mais le remplaçant put garder l'emploi : très-peu dt: jours après, Vanhove mourait sans avoir revu la scène ( 3 messidor an ii ). Ceux qui, soit au théâtre, soit hors du théâtre, s'étaient souvent per- mis de le traiter à la légère, s'a- perçurent de ce qu'il valait alors qu'il ne fut plus : ou n'entendait plus que « le bon Vanhove » ! et «bon, ici, ne désignait pas sim- plement la bonhomie dont on rit, ou même la bonté. L'épithète avait le sens et le saveur qu'elle a chez les épiques italiens, quand ils di- sent « il buon (jOffredOy il buono Orlando. » On désignait le coopé- ratei.r utile, l'artiste toujours sur la brèche, le débiteur qui ne nie jamais sa dette, ou plulôt qui paie ii première présentation , en un mot, le soldat ou le paladin du de- voir. Très - certainement Vanhove

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est un de ceux dont rhouorabililé consiante et j)atenle a le plus con- tribué à détrôner les préjugés ja- dis en vigueur sur les artistes dra- nialiques, et auxquels l'on ne dai- gnait que par grâce admettre quel- ques exceptions.

Madame Vanhove , sa femme , ouait, ainsi que lui, au Théâtre- Français, elle avait débuté un peu plus tard.

Parmi leurs entants, s'est distin- guée surtout leur tille Caroline Vanhove, dont l'article suit. Val. P.

VA^ilIOVE (la vicomtesse dk Chalost, née Cécile Caroline), actrice de renom, fille de l'acteur Vanhove, n'était qu'une toute jeune enfant quand son j)ère fut appelé à Paris. La Haye était le lieu de sa naissance. Le nom magique de Paris, plus d'une fois prononcé sans doute avec le brio naturel aux artistes, frappa sa jeune imagina- lion. Très-bien douée, mais peu studieuse , elle avait jusqu'alors boudé l'alphabet. Sa mère lui dit fort sérieusement : « Je vais te lais- ser à Bruxelles, ma fille; on ne peut entrer à Paris que quand on sait lire. » Ce fut une transforma- lion subite : en peu de jours elle put assembler ses syllabes , dé- chiisrer ou écorcher les mois selon leur deÊ:ré de difficulté ; et toutes les cordes de rintelligcncc t'ufan- line entrant à la fois en vibration, la voilà qui, tout k coup, sq met, en pleine diligence et entourée d'in- connus, à gazouiller et récits de toutes sortes et fables, avec un entrain, un aplomb, avec drs mines et des intonations à captiver les plus revêchi^s des auditeurs. Chacun de fêler celle que l'on nomme la petite merveille : l'artiste en herbe s'est révélée. En eflét, tres-peu d'années api es, la petite Vanhove

paraissait de loin en loin dans des rôles d'enfants : la Louison du Ma- lade imaginaire y par exemple, ou b;en la petite fille de la Fausse Afini's ; ou bien encore le Joas d'A- //ia//c. Toutefois, ses parents eurent la sagesse de ne pas abuser de la facilité de son heureux naturel; et il fut résolu qu'avant de risquer une apparition définitive sur le théâ- tre, on l'initierait par des études sérieuses et persévérantes à l'art des Dangeville etdes Gaussin. Chose extraordin;>ire et qu'on serait assez tenté de révoquer en doute, si ce n'était refuser de se rendre à son propre témoignage, en dépit de son incontestable aptitude pour la scène, elle n'avait pas la vocation, et elle voulait se faire religieuse. Tels n'étaient pas les plans de sa mère qui l'idolâtrait, et qui, fière de son mari, se berçait de l'idée de voir un jour sa fille « la perle » (on ne disait pas encore «l'étoile ») des Français. D'ailleurs, l'attrait de la gloire n'était pas l'uni/iue mobile de la prudente Hollandaise : les applaudissements à ses yeux avaient surtout du prix comme le chemin aux appointements, el ce qu'elle souhaitait, en fin de compte, c'é- tait que l'artiste , non contente d'une vaine fumée, joignît toujours k l'idéal le positif, tilile dulci. La jeune fille dut prendre son parti de renoncer aux joies placides du cloître ; et puisqu'il le fallait, elle se livra aux travaux |)réliminaii'es. Elle se rendit familiers les chefs- d'œuvre des maîtres; finalement, elle aborda les mystères de la dé- clamation. Son principal, ou plutôt son unique maître, après son père, fut l'acteur Doivul, honnête et correct artiste qui disait à la satis- faction des amateurs le récit de Théramène. Les sages conseils et

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l'exemple de ce profeî;seiir, furent certainement pour beaucoup dans ces qualités que personne ne porta plusloinàlascènequeM"*Vanhove, la mesure, la tenue, le tact exquis, qualités qui d'ailleurs n'excluèrent jamais chez elle la sensibilité, la vivacité, la grâce. Une intelligence prompte, une rare facilité, la mé- moire qui, quoique le moindre ta- lent de l'actrice n'est pas tout à faif à dédaigner, rendaient du reste les études commodes et rapidement profitables. Et le maître et Vaiihove, lui-même excellent juge, ne tardè- rent pas îi reconnaître qu'ils pou- vaient, sansoulrecuidanceaucnne et sans risque, la faire débuter à la Comédie Irançaise, La seule objec- tion possible eût été l'extrême jeu- nesse de l'actrice : mais l'on se dit, et l'on eut raison de se le dire, que celte précocité avait un attrait, un intérêt de plus. En effet, le succès fut complet, et tous les souhaits, tous les rêves de sa mère furent dépassés. Ri-^n n'y manqua, pas même les vaines oppositions, les lr;icasseries, les jalousies. Toutes les correspondances et les feuilles Méricdiques du temps s'expriment avec chaleur sur ces débuts qui prirent de huit à dix mois, les six derniers de 1785 et les premiers de i786. a Tout Paris se porte eu fouie pour l'admirer, » dit Bachau- monl {Mém. \XX, p. 35), « les aj)- plaudissements se font entendre au loin jusque dans !a rue. » Lahaipe même (dans sa Correspondance lillé- rairc avec le grand-duc de Russie, p. 3fS}, dit de « la p:Mite Vanhove » (c'est le nom que l;ii donnait Paris); « C'estl'idole du public. » Beaumar- chais, à peine sorti de Saint-Lazare, courut l'entendre ie soir même dans ie rôle d'Eugénie, qu'elle ve- nait de créer avec tant de supério-

rité. M.-Jos. Chénier, pour lui té- moigner sa jeconnaissance de la façon dont elle interprétait son hé- ros, lui abandonna ses droits d'au- teur lors de son premier ouvrage {Edgar ou le Page supposé). Drame, tragédie, comédie, tous les genres semblaient également de son do- maine; et, dans tous, les bravos de l'auditoire venaient le lui témoi- gner, on ne la voyait jamais qu'à sa place. Aspirer à toutes ies cou- ronnes ne semblait de sa part qu'une excusable, qu'une légitime ambition. Une seule personne n'était pas de cet avis.,. On devine que c'était une femme, que c'était une artiste dramatique : c'était ma- demoiselle Contât! Que l'on ne s'é- tonne pas et surtout que l'on ne s'in- digne pas trop. Ce n'était pas pour elle-même que rillustrecomédienne était jalouse, c'était pour sa sœur, dont il se trouvait que les débuts coïncidaient et avec ceux de ma- demoiselle Candeille et avec ceux de mademoiselle Vanhove. Les dé- buts de la première avaient éié suffisamment brillants, ils l'eussent sans doute été davantage si l'appa- rition de mademoiselle Vanhove n'eût fait diversion; elle ne se plai- gnit pas pourtant, contente de sa part et sûre de l'avenir. Il n'en fut pas ainsi de mademoiselle Contât. Soit zèle effréné pour la cause de sa sœur, soit exaltation naturelle et incandescence impétueuse à pro- pos de tout, soit qu'elle prit pour irrévérence et injure à elle-même toute contrariété, sitôt que son nom, ne fût-ce que par ricociiet, étale en jeu, elle se repandit en invectives, en menaces contre les infortunées Vanhove, mère et fille. Son di'but fut une lettre à la mère, lettre qu'on peut lire dans les mé- moires plus haut cités (XXX, p. 41,

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43), mais dont on ne nous saura pas mauvais gré de détacher ici quelques traits. « Pouviez -vous, « madame, dit-elle, ignorer les dé- « buis de ma sœur, destinée dès « lors à remplir l'emploi des jeunes « amoureuses dans la comédie? « Elle n'était rentrée dans la re- « traite que pour se rendre par de « nouvelles études plus digne d'é- « loges et d'encouragements. Et « c'est presque au même instant « que, peu satisfaite de voir triom- « pher votre fille dans la tragédie, « vous l'incitez à marcher sur les « brisées de ma sœur et à lui ravir « ses emplois dans l'autre genre. Dé- « pouiller une enfant sans défense « et l'écraser!... Je vous déclare « une guerre ouverte. Si voire fille « persiste à devenir rivale de ma « sœur, je l'attaquerai non-seule- « ment dans nos comités, je soule- « verai contre elle les honnêtes gens de notre société et la pour- « suivrai jusqu'au tribunal de nos « supérieurs; j'irai, s'il le faut, me « jeter aux pieds de notre auguste « souveraine, et vous pouvez regar- « (1er d'avance celte lettre comme « un manifeste. J'en fais délivrerdes ff copies à tous mes amis..., etj'es- « père que le public jugera et dé- testera cette abominable trahi- « son. Paris, 25 octobre n85. » Que la furibonde signataire de ce manifeste eût ou non quelque lieu de crier îi l'envahissement, à l'u- sur|)ation, toujours est-il qu'elle trouva de l'écho. Le maréchal de Duras, auquel incombait la haute inspection du théâtre, déci- da, lorsqu'il fut question de la ré- ception des débutantes comme pensionnaires, que mademoiselle Vanhove ne prendrait rang qu'après mademoiselle, l^aurenl et Mimi (c'é- tait le petit nom, disons plutôt l'a-

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brévialion du petit nom de made- moiselle Emilie Contât). Grand triomphe pour l'aînée des Contât, mais qui ne fut pas longtemps com- plet. » La mère Vanhove, » comme s'exprimaient familièrement nos grands-pères, ne put digérer l'af- front et défendit à sa fille de pa- raître le soir sur la scène, pour la troisième fois elle jouait le rôle d'Eugénie. Comme, en fait, elle était la favorite du public , qui l'accla- mait du commencement à la fin , et que nulle n'était en mesure de jouer le rôle, ou même eût-elle été en mesure, n'eût osé défier à ce point un parterre plein d'orages , l'aréopage comique jugea prudent de capituler; et l'arrêt du maréchal subit, aux dépens de l'inoffensive mademoiselle Laurent, un amende- ment dont se contentèrent les Vanhove. Celle-ci, que chronolo- giquement ses débuts devaient classer en tête, fut refoulée au troisième rang; mademoiselle Cé- cile monta d'un cran, et Mimi resta première... sur la liste des sociétai- res, mais non dans l'estime et moins encore dans la prédilection du pu- blic.Ainsi finit cet épisode, où, en d'autres temps qu'alors, de beaux esprits eussent distingué l'étoffe d'un poème héroï-comique. Mais lèvent n'était plus à l'épopée badine : la Fulle journée avait achevé de se- couer et de volcaniser les têtes; et d'autres drames allaient remuer Paris cl le monde : quatre ans en- core, et rapidement se succéde- raient le serment du jeu de paume, l'apostrophe de Mirabeau ,'i M. de Dreux-Brézé, la prise de la Bastille, les journées des 5 et (J octobre. La lionne d'ailleurss'était calmée; et il faut avouer qu'elle eut le bon goût quoiqu'on plaisantât quelquefois sur

Des vains honneurs du pas le frivole avantage

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ce qui revenait à plaisanter du privilège de Mimi, non -seule- ment de ;ie j)lus ];oursuivre li guerre, mais encoro tio I'miîvU.j quelque intérêt pour Eugénie, du moins quand elle se circonscrivait auxAtalide,auxAricie,auxMonime, en un mot aux amoureuses tra- giques. C'était de la tactique, il est vrai : plus elle la portait alors aux nues, plus elle l'inféodait à la glèbe des Atalide. N'importe, au reste: ce n'était plus désormais qu'était l'obstacle. Etre admise éiait bien quelque chose certes, mais cela ne détruisait pas la position des chefs d'emploi; et celles-ci non-seulement tenaieni à primer, mais pour être plus sûres de pri- mer s'appliquaient, moins à grand biuit, il est vrai, que made- moiselle Goniat, à tenir la nou- velle camarade dans l'ombre. Il fallut donc se résii^ner a doubler ces privilégiées, et parfois même, s'il faut l'avouer, à doubler les dou- blures. Il en résulta pour Cécile-Ca- roline de quinze à dix-huit mois d'é- clipse réelle, car c'est ainsi que (lut être nommée par ses amis cette occuitalion si désenchantante pour celle qu'avaient saluée tant d'en- thousiastes acclamations. Cet inter- valle, qu'elle employa fructueuse- ment en nouvelles et fortes études, éclairées désormais par la pratique scénique, et durant lequel elle eut le plaisir de s'apercevoir que le public ne l'oubliait pas, bien que sa présence fût rare et que la cul- minatioîi lui fût interdite, corres- pond à l'épotiue de son premier Uïariage : il s'en fallait encore qu'elle eût (juinze ans accomplis quand elle épousa le chorégraphe IN'lil, alors en train de se créer une répu- lalion. L'aniu'e suivante, un inci- dent, un simph? hasard \int signi-

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fier aux malveillants qu'il faudrait sous peu compter avec madame Petit. C'était le 31 janvier 1789, le soir l'on rcpresenuiit pour la première fois la Fausse inconstance de la comtesse Fanny de Beauhar- nais. La pièce, au milieu d'un ou- ragan de sifflets, avait atteint le troisième acte. Trois encore ou deux et demi restaient à traverser. Les comédiens, qui plus, qui moins, étaient abasourdis devant la fureur du public. Vanhove s'avance, ac- compagné de sa lille,versla rampe, et dit : « Messieurs, voulez-vous qu'on baisse la toile... ou que l'on vous joue autre chose? » Silence d'abord. Il reprend : « Que voulez- vous? » Nanine! dit une voix. Mille voix répètent : Nanine ! Na- nine! C'était un ordre, il n'y avait pas d'autre Nanine d'hu- meur et de force à payer comptant que madame Petit. Celte fin de soi- rée fut pour elle un triomphe. De sept à huit mois après (septembre 1789}, expirait la charmante made- moiselle Olivier, qui sous les traits et le costume de Chérubin faisait les délices des Parisiens. Il fut re- connu par le sanhédrin môme des sociétaires que madame Petit avait été créée et mise au monde pour représenter l'espiègle page du comte Almaviva, pour chanter : < J'avais une marraine. » L'emploi lui fut donc conféré. Mais plus d'excur- sions dans la tragédie? Mademoi- selle Desgarcins requit, voulut (jii'il ne fût plus, sous couleur d'aptitude univciselle, ini|)iété sur ses do- maines, et il fallut en passer par cette clause restrictive qui du reste était du goût de tous, hormis de celui du nouveau Chérubin. Au total, ce n'était pas le lieu de répéter auxechosd'alentour : «Ont* mon cœur, que mon cœur a de

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peine! •> De jour en jour sa position devint plus stable, plus invulnéra- ble. Le parterre et les loges la goûtaient toujours , et c'est sans exagération qu'on a dit : Son suc- cès allait toujours croissaiit. Très- peu d'années encor;% et les pre- miers emplois devenaient son lot. Elle n'en était pas encore tout à fait quand, àla Comédie française aussi, les tempêtes révolutionnaires eurent leur répercussion. De longue main déjà l'opinion avait signalé les coryphées de notre première scène et surtout les femmes comme aristocrates effrénées, comme ad- miiattices reconnaissantes de Ma- rie-Antoinette, comme peu coiffées du bonnet phrygien. La représenta- tion de l'Ami des lois fit éclater la bombe.

Des lois, et uon du sang!...

Celle juste mais vive réclame ne pouvait être du goût du comité de salut public, et un ordre, tout prôt d'avance sans doute, vint clore le théâtre et constituer à peu près tous les acreurs en état d'arreslation. Maflame Petit dut, comme S(*s camarades aller loger à Sainle- Pélagie. (]'esl à son aspect et à celui de ses comp;ignos passant des mains des gendarmes à celles des geôliers, que madame Roland s'ficria : « Les Français sont donc bien changés! » C'est quehjue temps après ce coup d'F'lat non moins puéril que tyrannique, que fut ouvert le théâtre de la rue Riiheiieu, seul en possession au- jourd'hui du lilre de Théâtre-Fran- çais elfpi'on nomma d'abord Ihéâ- Ire de la Nation. Oblif^és par la force de l'opinion à rendre au pu- blic et à l'art les écroucs que les héros de parades populaires ne pouvaient remplacer, les dicta-

teurs du jour crurent leur fii're pièce en réorganisant sur des bastîT^s nouvelles et dans un nouveau lo- cal la troupe épurée. De sépa- ration du personnel dramatique en deux corps, l'un qui resterait à rOdéon, l'autre limitrophe du Palais-Royal et recrutement de nouveaux venus au cas où, chose immanquable, l'un ou l'autre de ces corps se trouverait incomplet. Naturellement cependant on tenait à réunir pour le théâtre de la Na- tion le plus grand nombre possible des artistes anciens, aimés et con- nus. La liberté fut offerte alors à madame Petit, à condition qu'elle abandonnerait l'Odéon. Elle ba- lança, ne voulant pas, dit-elle, se séparer de son père, qui restait à ce théâtre, et répugnait, si jeune encore et citée pour ses mœurs rares au théâtre, à vivre seule et hors de l'œil d'un défenseur os- tensible. Nous oserions penser, prosaïque positiviste que nous sommes, qu'elle n'opposa de diffi- cultés que juste ce qu'il en faut pour se faire assurer les condiiions les plus avantageuses. En eilèt, elle se décida de bonne grâce â la fin; et somme toute, le métal et la « vaine fumée » additionnés, elle n'eut pas à s'en plaindre, car c'est alors qu'elle devint détinilivement premier emploi. Mais, quelques semaines ou ((uelques mois après, elle fut troublée d'appréhensions terribles. Elle s'aperçut que le ci- toyen Robespierre était souvent aux loges quand elle jouaii, puis finalement qu'il ne manquait plus une seule de ses représeniations. i:tait-ce donc pour Molière, pour Regnard, pour Marivaux qu'il ve- nait n»? Peu de femmes auraient été assez bénignes pour se payer de cette idée. Vers le même temps

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(ce que madame Petit ne sut que plus lard), le terrible Maximilien se prit à jalouser Talraa, soit parce que son tailleur avaii vanté, lui présent, la coupe d'un habit du grand acteur, en ayant l'air de trouver h son farouche client bleu moins gran»! air et bonne façon, soit parce que, sociétaire du Théâ- tre-Français et célèbre déjà, Talma pouvait tous les jours en quelque sorte voir sa camarade dans les coulisses et subjuguer son imagi- nation. On peut lire à ce sujet d'assez curieux détails, pp. 293- 299 des Anecdotes inédites sur la vie de Talma. (Voy. plus bas.) Très- peusoucieu^e d'un tel adorateur et très-peu rassurée, madame Petit se fil malade, et tant qu'elle put, la complaisance du médecin ai- daut, elle usa du système de Fa- bius Cuni-taior. Mais sa tempori- sation ne put ôlri; éternelle, et Fabius, à lui tout seul, n'eût pas déjoué délinilivement Annibal. Heureusement le 9 thermidor vint trancher le nœud; et probable- ment pour Talma, peut-être même pour la belle dame, bien qu'évi- demment elle n'eùl point eu d'in- telligences avec Pitt et Cobourg, il était grand temps que ce jour luisît enlin. Est-ce à ce péril com- mun ou bien est-ce aux circons- lancesci-dessuseftleurées que doi- \ent être allribuees les attractions dont quelque temps après l'ex- (juise comédienne et l'inimitable artiste commencèrent à laisser poindre les indices et dont le de- noùment, avec les principes de riiérnine, ne pouvait être qu'un second mariage? Dans l'une ni dans l'autre de ces hypothèses, k notre srns,i.e git le molde l'énigme. La tragédienne mademoiselle Desgar- cins alla retrouver mademoiselle

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Olivier; et soudain cessa de peser sur madame Petit l'embargo mis pour elle sur le tragique par celte prêtresse de Melpomène. Ellesere- mit aux études tragiques avec l'ar- deur qu'inspire aux filles li'Ève le fruit longtemps défeuiiu. Elle ne pouvait que gagner à s'ins|)irer de ■Talma. Danspresque chaque œuvre du répertoire, d'ailleurs, elle se trouvait en face de lui. Agrippine et Néron, Lanassa et le grand brah- me joutaient plutôt que jouaient ensemble. On comprend qu'a la suite et à la faveur de ces rela- tions nécessaires et toutes les fa- cultés tant intelligentes que pas- sionnelles sont mises en jeu soit l'amour. Nous ne présumons pas qu'il ait été bien vif d'abord. Talma dès lors et presque de nais- sance était acteur de génie, était tragédien : très-certainement il ne regardait pas madame Petit comme tragédienne née, et il lui fallut du temps pour rendre complète jus- tice à ce qu'elle avait de qualités, outre sa figure, pour pallier ou compenser le déficit. A plus forte raison ne nous vient-il pas en tète que la flamme fût plus pétillante et pins prompte de l'autre cùté : rincandes(ence était le moindre défaut de Nanine. Tout dûment pesé, Ton peut sans être dupe tenir pour sûr que cet amour fut irès- longtemps, des deux parts, à se dé- velopper, et plus encore à se trahir et à s'avouer. A la longue pourtant il devint le secret de la Comédie, sans [)eul-ètre que rien encore eiH élé décide entre les intéressés. Voici comment .M'"' Talma raconte le dé- noûment (nous abrégeons) : Un son- de représentation, rhéroïne (M""" Pe- tit) avait il recevoir un coup de poi- gnard : un peu trop aux transports qu'il feignait, l'acteur ("harge de ce

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rôle, au lieu de donner de sa larae dans les draperies, dépassa le derme et fit couler le sang. Grand tumulte, eflroi. Le médecin juge la blessure des plus graves ; les chairs sont pro- fondément entamées : il n'y aurait qu'un remède pour faire évanouir incessamment tout péril, ce serait de sucer vigoureusement la plaie! Mais qui se chargera de l'opération? qui sera de force à la réussir? Une femme? il n'y en a pas dans les conditions de validité voulues. Un homme? mais notez que c'est la région du cœur qu'il s'agit de livrer aupsylle. «Talma! Taima! » s'écrie un des assistants avec lequel, moi- tié riants, tous fontchorus. «Allons, Talma, voilà une lâche qui vous ré- clame ! ne reculez pas. » La suite va de soi. La blessée ne pouvait re- fuser un service qui tenait du trai- tement ; et, seul moyen de mettre un terme aux rires sous cape ou qunsi-patents de toute la gent co- mique, sa main devint (le IG juin 4802} le prix du bon office de l'heu- reux sauveur, le tout comme de par l'irrésistible volonté du destin et la dignité féminine suffisamment sauvegardée. Ce mariage, qu'eût en- viée une enthousiaste, ne fut pas précisément la réalisation de son idéal. D'abord, si c'eût été en Her- mione et en Juliette qu'elle eût ai- mé l'illustre artiste, elle eût eu passablement k soutîrir par le cœur, après, ou même avant un an ou deux révolus de mariage; en- suite, c'est un bonheur calme et sans cahot qu'elle ambitionnait,. ..et avec un budget en équilii)re ! Il était plus que difficile de l'obtenir, les clefs de la caisse remises à ïalma. El même Talma ne les possédant pas, qui pouvait l'empêcher de trou- ver des fournisseurs k long lerm. , des escompteurs, et des amis de

toute sorte pour l'aider à faire des dettes sans l'aider à les payer? Et pour comble, il bâtissait, il avait la manie de l'architecture ; et ce qu'il avait commandé d'ordre co- rinthien, à peine le chapiteau posé, il le lui fallait ionique ou dorique. Que de pilastres métamorphosés en colonnes torses, et vice versa ! et que de quadruples et billets de banque, les uns fondus, les autres en fumée! En présence de sembla- bles habitudes et quelles que fus- sent soit la mansuétude, soit l'a- dresse de la méthodique et sage épouse, il est clair que l'harmonie ne pouvait être inaltérable dans le ménage, même quand la munifi- cence de l'Empereur avait comblé les brèches béantes de la caisse, car la caisse allait se lézardant de nouveau. Bon an, mal an, pour- tant, ils gagnaient ensemble, selon le calcul de Talma, au moins cin- quante mille francs par an (ce qui semblait alors plus considérable que de nos jours cent cinquante mille). Tous deux jouissaient de nombreux congés, qu'ils utilisaient par de longues et lucratives péré- grinations dans les départements, chaque représentation leur étant payée de sept à huit cents francs. Ils jouèrent aussi en lic^lgique ; en Hollande, ils donnèrent en uneseule saison (1807) vingt-cinq représen- tations. Ils avaient par an deux bé- néfices. L'administration théâtrale leur fournissait un appartement meublé, plus table bien servie, plus le domestique que supposait cet élal de maison. Ces jours prospè- res, sinon heureux , durèrent à peu près sans contrariétés de pre- mier ordre jusque vers la fin de 4808. Quand la fantaisie prit à Na- poléon de faire joucrTalma devant le parterre de rois, naturellement

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M"" Talma suivit, ainsi que l'élite (Je 11 troupe, et même elle joua. Mais elle ne parut qu'une fois sur cette scène. Nous ne saurions dire si ce fut sonjeu qui déplut, ou quel- que allusion trop accentuée, ou quelque nuance allant encore plus au coeur des augustes personnages; mais elle déplut, et le monarque en personne fit défense qu'elle se présentai lorsqu'il assisterait. La nouvelle circula et donna de l'au- dace aux ennemis qui depuis long- temps avaient usé de sourdines. Geoffroi notamment s'enhardit : il japait, il aboyait. Il se mit à pro- diguer des louanges effrénées à la très-larmoyante et très-mince tra- gédieime Volney, que ni les galan- teries du bilieux critique, ni les subventions de l'effrayant protec- teur dont marchait ornée la veuve d'IIecior, ne déterminèrent jamais le public à classer au-dessus du 4' ou tout au plus du S*-* rang. C'était déclarer à l'héritière de Des- garcins qu'une autre allait récla- mer et conquérir un fleuron de sa couronne. Vers le même temps s'é- l)anouissait de plus eu plus à l'ho- lizon un autre astre, splendide dès son apparition (1799) et qui n'a- vait aucun besoin de cabale pour dessiner en traits de feu son orbite lumineuse. M" Contât venait de mourir (1810), laissant en appa- rence la place vacante à la débu- tante de 1785; mais M"' Contât res- suscitait dans la débiilante sa lille. On eût dit qui la maligne fortune, en faisant à point nommé surgir M''" Mars, avait à cœur de faire tout du long dcguster à M"" ïal- ma l'amertume de la loi du ta- lion, fl de la punir de l'éclat de ses débuts par des débuts ob- jet de non moins de laveur et im- pitoyablement surfaits, atiu de la

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démoder dans l'opinion. Ne comp- tant pas encore quarante ans, elle s'entendait comparer et préférer de toutes fraîches débarquées, comme en 4785 la vanité mater- nelle aurait voulu lui donner le pas sur toutes pour le premier grand prix. Ces coups d'épingle l'agacè- rent, nous l'en blâmons peu, au point de lui faire prendre une ré- solution héroïque, sinon violente, celle de quitter le théâtre, ses vingt- cinq ans d'existence théâtrale ter- minés. Bien que les vingt-cinq ans suftisent pour la retraite normale, l'autorité ne souscrivit pas immé- diatement à celte demande, et dans son impartialité bienveillante, la pria de finir ses trente ans. Elle y consentit; et l'annonce de sa démis- sion à jour fixe, en comblant de joie celles dont elle gênait les pré- tentions, fut accueillie par presque toute la presse avec des expressions de regret et d'honorable sympathie. Sa représentation de retraite eut lieu le 20 juillet 181(1. Jusque-là ou avait espéré qu'elle reviendrait sur sa résolution : on la jugeait mal, per- sonne n'était plus ferme, parce que personne n'était plus calme et plus sensé. Complètement rendue désor- mais à la vie privée, elle ne connut plus, jusqu'à son second veuvage, d'autre soin que d'orner etd'entourer de distractions nobles les dernières années du grand homme dont elle portail le nom. Son ton, son tact ex- quis,ses manières qu'on citait comme des modèles, joints à l'irréprocha- bilité de sa vie au milieu des sé- ductions du théâtre, la faisaient révérer et rechercher du plus grand monde. Aussi personne ne fut-il étonné quand, le nom de Talma l'ayant laissée libre de rechef, un membre de la noblesse belge solli- cila l'hoiuicur de sa main et «pie

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M"" Talma fit place à la vicomtesse de Chalost. C'est alors surtout que ses nobles amis la proclamèrent vraiment à sa place. Dans celte nou- velle et dernière position, Tex-ac- trice mit en ordre ses souvenirs, systématisa ses idées sur l'art et livra sans faste comme sans fausse modestie au public les utiles fruits de ses expériences. Nous y revien- drons. Elle survécut longtemps en- core;» cette publication, car elle mou- rut presque nonagénaire. Son décès eut lieu le iO avril 18G0; elle ha- bitait Paris, et sa cendre rei)0se au Mout-Parnasse. Nos lecteurs tien- dront sans doute à se fixer une opi- nion sur la valeur d'une femme dont la destinée fut, en tant qu'ar- tiste, si variée et par moments vrai- ment enviable et brillante. Voici la nôtre, basée sur l'ensemble des témoignages comparés. Evidem- M""' ïalma ne peut être classée parmi les actrices de génie; c'était une artiste de talent, on peut presque dire de talent éminent, mais rien que du talent. Ce dont la fée l'avait douée par excellence , c'était la souplesse, la ductilité de la pen.sée:

Femma d'intelligence et femme comme il faut,

voilà le vers qui serait sa devise. De sa tendance peipétuellc ii s'épan- dre dans les trois genres, tragédie, comédie, drame; on aurait tort vrai- ment de voir de sa part morgue et injustifiable vanité, ambition, besoin de battre des ailes dans les sphères ses ailes ne pouvaient la porter. Tous les rôles (jui n'impliquaient rien d'excentrique, rien d'extrême, elle les réussissait : décence, mesure, grâce, ingénuité, sensibilité péné- trante sans Vapa^sionnnnrril, toutes ces qualités |»lus souvent de mise certes que les paroxismes méphis- tophélétiques, que la « lu ri a » de

Cléopâtre etdelady Macbeth, étaient innées en elle. Il y avait en elle, non pas de l'éclair et de la trombe, mais de l'arc-en-ciel après l'orage. Les mères pouvaient mener leurs filles l'entendre. Sa voix était mélodieuse et touchante au suprême degré. C'est cette voix qui fit trouver à Legouvé son vera :

Yauhove, autre Gaussin, enchante tous les cœurs.

Ees vieux habitués du théâtre, en etTel, déclaraient que, lorsqu'elle jouait, ils croyaient sinon voir, du moins entendre M"" Gaussin, dont, comme on sait, le nom est resté inséparable de l'idée de Zaï- re. La jeune Vanhove, du reste, ei surtout M"" Talma, était au moins aussi belle que M"^ Gaussin avait été jolie. Zaïre pourtant n'était pas encore le plus éclatant de ses triom- phes. Talma la trouvait plus con- sommée dausMonime; et en réalité il n'y avait qu'elle pour interpréter ces chastes et suaves, ces délicieu- ses et pures créations de Racine, les Andromaque, les Bérénic, les Iphigénie. Ètèoclc et Polyuicede Le- gouvé lui dut son succès : elle y fiiiurait Antigone. Elle ne faiblit pas quand elle eut à faire vibrer dans VAgamcmnoîi de Lemercier les lyricjues et déchirantes inspirations de Cassandre. On ne saurait dire que de lai-mes elle fit répandre au gai Paris du xvin*' siècle û'àusMélanide ou la Religieuse, dont elle sauvait les dissoniiarices et les hyperboles, car elle ne préludait pas à telle au- tie qu'on essaya de grandir en dé- jiréciant le vrai modèle, et ne se posait pas j)liis en saule pleureur qu'en Furie. Mais restreignons celte énumératiou et n'ajoutons qu'au trait, c'est que très-souvent elle créa desrôles. Ceux-lk ne s'en éton- neront pas qui daigneront se rappe-

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1er ce que nous avons dit de cette intelligence déliée, flexible, ency- clopMique en quelque sorte et que toujours escortait le bon se s. Ces qualités se retrou\ent dans les écrits desa vieillesse, auxquels nous faisions allusion plus haut et dont voici les titres : I. Études sur l'art théâtral, Paris, 1836, in-8«. Ou peut dire qu'à l'époque parut ce volume, le livre manquait à notre littérature. 11 n'est pas complet, il n'est pas très-méthodique; ce ne sontque des aperçus et des conseils aux artistes. Maison s'y reconnaît, il se lit couramment, il initie aux secrets, il signale des écueiis, il aiguise l'esprit; et des orateurs célèbres, ministres pins tard, ont avoue qu'ils lui devaient quelque chose. U. Anecdotes inédileisur Tul- ina, suivies de quelques particula- rités sur ma vie, Paris. Le livre tient la promesse du titre, ce n'est pas ur» mince éloge par le temps qui court. 111. Les deux Méricourt, Ibrl gracieuse et assez spirituelle comédie en un acte et en vers, dont on peut lire l'analyse dans le Jour- nal des Débats (nov. 1819). « On désirerait peut-être, dit iecrili(jue, des situations plus neuves, et sur- tout plus de développements et de clarté dans celte intrigue. Mais on y a applaudi très-justement des de- iails atîfeableset quelques vers bien tournés, surtout ilans la scène les deux Méiicoiirt, se racontant leurs aventures, entreprennent de pt indre chacun à leur manirre le beau sexe, qui n'est pas Ires-flallé sous le pinceau du trère aine, mais qui, en revanche, s'embfllit des plus brillantes couleurs dans le portrait de h plus jeune, fait, à la vérité, avant lemariajrr'. Kirmin, le plus jeune de> deux Merieourl, est venu proclamer, au milieu des ap-

plaudissements, le nom de M''* Va- nhove , qui nous rappelle des succès d'un autre genre à ce même théâ- tre. )) Nous ignorons si c'est à la fille du bon Vanhove qu'il faut at- tribuer une autre pièce légère signée du même nom que «c Les deux Mé- ricourt. » N'en fùl-il rien, il suffi- rait de celle-ci pour démontrer que l'actrice était apte îi quelque chose de plus quà débiter les vers des autres; et nous aurions là, s'il en était besoin, une preuve de plus que le talent, comme nous définis- sons le talent, s'étend à tout, s'a- dapte à tout. Val. p.

VAX IIUTTEM (Charles-Jo- seph), amateur et bibliographe re- marquable, était de Gand. le 4 avril 1764, il perdit, n'ayant encore quecinqans, l'auteur de ses jours; mais, confié de bonne heure par sa mère aux soins du peintreReysehott, il reçut les com.mencements d'une in.^truition aussi soignée que va- riée, Auprès de l'artiste et rendant de fréquentes visites à l'atelier, il avait puisé, avec l'amoiu* aident des arts, du dessin, des notions fondamentales sur la théorie de la représentation plane. Kn même temps le collège des Auguslins de sa ville natale avait en lui un de ses plus laboiieux élèves. Malheu- reusement l'impatience de sa mère, qui, (juoique a la tète d'un bel avoir

xcroyail i[idii>p''nsable de le lancer adolescent dans les professions qui donnent vite des résultats positifs, l'arracha bien contre son gré aux ttudes classiques qu'il avait abor- dées et continuait vaillanuiUMii. 11 en résulta (jue jamais, en dépit de tous les efforts qu'il fit plus lard pour suppléer à eelle lacune, ce ne fut jamais un lettré, c'est-à-dire un écrivain. 11 n't'ssayaque peu de temps cependant do cette carrière

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commerciale h laquelle on espérait l'inféoder. Les semaines, les mois s ' passèrent sans qu'il mordît à fond aux mystères de la partie dou- ble et du compte courant. Il en sa- vourait si peu les cliarmes que main- tes fois il étonna ses camarades et scandalisa le patron en feuilletant Tite-Live au lieu de Barème, et un microscopique Martial-Farnahy au lieu du grand-livre. La mère, à qui son correspondant de Lille rendait un compte fidèle, en gémissait; mais elle tenait bon, et rien ne changeait dans la situation du jeune homme. Finalement il résolut de frapper un grand coup. 11 avait de par le monde flamand un oncle, un oncle matjrnel, homme de bon sens, as- sez quinteux, assez à rebours des routiniers ses voisins, assez aimant à donner de temps en temps le cou|) de boutoir. C'est sur lui que Charles-Joseph jeta les yeux. I^e voila bâclant de la belle écriture qu'il ne prodigue pas au Livre-jour- nal et au Copie de lettres, un plai- doyer en forme, un vrai mémoire qui n'a rien des allures d'un fripon de neveu convaincu qu'

Un oncle pst un caissier donné par la nuturc,

mais où, s'en rapportant à l'expé- ripnc(! et au tact d'un oncle qui ne se méprendra pas, il pose en pro- blème rà-|)ropos de la contrainte que prétend exercer sur lui la ten- dresse maternelle et discute habi- lement le pour et le contre. La dialectique du neveu tr.ompha. L'oncle, non-seulement convaincu, mais charmé, déclara qu'il distin- guait dans le jeune commis l'étoile d'un avocat consultant des |)lus re- tors et qu'il fallait sans retard l'en- voyer faire son droit. Il eût été mieux de commencer par lui faire rapidement achever ses humanités;

on a vu pap ce qui précède qu'on n'en fit rien. Il eut été plus du goût de Gh .-Joseph d'aller à Paris se li- vrer à ses nouvelles études; mais la sollicitude maternelle stipula qu'il ne s'écarterait sous nul pré- texte du giron de l'université de Louvain. C'était en 1783. Quatre ans plus tard, nous le retrouvons de retour en sa cité , muni de tous les grades ad hoc et inscrit sur le tableau des avocats au con- seil de Flandre. Mais il ne plaidait pas ; et ce qni d'abord peut-être n'était que manque d'occasion (les clients en etfet ne fourmillent guè- res chez les stagiaires nouveaux émoulus) semble être devenu sys- tème chez notre débutant. Il faut avouer d'ailleurs que ce n'est pas par la prestesse et la grâce de la faconde que se recommandait le jeune légiste, que la faute en ait été au sang belge, ou qu'il faille s'en prendre à cette interrup- tion des humanités mentionnée par nous, ou même qu'on n'y doive chercher d'autre cause que sa position pécuniaire. Héritier bientôt après sa sortie de Louvain, il n'avait aucun besoin urgent de battre monnaie, et de rehausser par l'accroissement de ses revenus l'auréole de patriciat dont pou- vaient se targuer les Van Ilutlem; nous disons de patriciat et non de noblesse Gand avait des nobles à peu de chose près leurs homonymes, les Van lluttem, à qui des lettres patentes de Philippe IV avaient, en 1659, conféré le privilège nobi- liaire ; et même il s'est trouvé bon nomi)re de gens qui, dupes de la similitude des deux noms, ont at- tribué il ccux-lJi ce (pii n'était exa(tt que de ceux-ci. Noble ou patricien, membre du premier ordre ou de l'ordre équestre, notre jeune Belge

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au moment la révolution belge, de 1789 lit explosion, siégeait au conseil de la ville de Gand. Les passions mises en éveil par l'ini- lialive gouvernementale elle-même n'étaient rien moins que disposées à rentrer dans l'assoupissement dès qu'on se repentait en haut. Une conflagration donc était imminente, et prendre parti était malaisé. Van Huttem n'hésita pas; et quoique en général aux époques d'efferves- cence, la modération soit ce que l'on tolère le moins, se renfermant dans la stricte sphère de ses fonc- tions, il s'occupa (ie faire échouer en silence plus que de censurer avec éclat les excès de quelque part qu'ils partissent, et s'acquit ainsi Teslime, sinon de tous, au moins des sages et de ceux qui devaient en lin de compte devenir maîtres de la situation. Aussi fut-il choisi membre de ladéputation queGand chargea de porter à l'archiduchesse Marie-Christine et au prince Albert de Saxe-Teschen, lors de leur re- tour, l'expression de sa joie et de ses vœux. Il ne tint pas à lui que cette restauration ne fût quelque chose de mieux (ju'un replâtrage. Des courses assez fréquentes à Pa- ris où nul n'a plus chance de faire bonne chasse que le furet de cu- riosités littéraires lavaient initié aux modernes idées françaises, et il eût pu donner de bons conseils aux meneurs des affaires publiques à Bruxelles. Mais les vigoureux écoutent peu les clairvoyants. I/Awlriche lança ses boulets sur la capitale de la Flandre française ; la Flandre aulrichieiuie subit hicn- lùt les représailles de la France. Uu- mouriez vain([uil à Jemmapes; les intrigues intestines pullulèrent à Bruxelles et dans tous le^ grands cenli es belges ; et maigre les elTorts,

malgré la présence de François II en personne, venu pour traiter «avec M. de Robespierre » ethaper en eau trouble, avec le cercle de Bourgogne, le moindre lopin de territoire que la Convention lui cé- derait (les génies du conseil auli- que en étaient encore là!) les ha- biles sentaient que le jour de l'annexion à la France n'était pas loin. Van Huttem, en loyal citoyen, fut un de ceux qui portèrent obsta- cle de tous leurs faibles moyens à la réalisation de cette chute de la maison régnante, et il se lit assez remarquer |)ar ses efforts en e(; sens pour être quelque temps comme séquestré en France, bien que l'on colorât la mesure en pré- tendant ne ie garder qu'à titre do- tage jusqu'à paiement intégral de la contribution de guerre frappée sur les Belges par la conquèti;. Le 9 thermidor brisa ses fers. Rede- venu libre, il ne louda pas à toute outrance la domination nouvelle. Il sentait que le fait accompli l'année d'avant eiait irrémédia- ble, ou du moins qu'une réparation, .s'il devait s'en produire, se ferait longtemps attendre; et il cr,m|)rit que , la dynastie parlant, la patrie restait. Il se voua donc corps et âme au culte de la patrie, profitant de la sécularisation de tant de cou- vents rayés du sol belge par l'épée pî»ssablemenl voltairienne alors des Brennus; il réunit les dépouilles précieuses, plantes, livres, manu- scritsqu'enavailéparpillésaux qua- tre vents le caprice de Vandales qui n'étaient pas tous des Français. Et la l)il)liothe(juc publique et le jardin botani(iUe de Gajid lui doi- vent ainsi leur naissance; et si h'u'U dautres depuis marehèrent, de près ou (le loin, sur ses traces, 1 on n»* saurait oublier de qui partit l'im-

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pulsion. Ses compatriotes ne l'ou- blii'rent pas ; les électeurs de Gand le portèrent, en 1797, au Conseil des Cinq-Cents, puis rélurent mem- bre du Tribunal en 1802, et linale- ment le placèrent sur leur liste des candidats au Séiîat conservateur en 1804. Nul doute (jue la voix du maitre n'eùi sanctionné cette pré- sentation, si Van IliiKem, en Pho- cion, en grand homme de Plutar- que, n'eût spontanément déclaré qu'il lui manquait trois ans pour avoir l'âge exigé par la Constitu- tion. Il resta donc au Tribunatjus- qu'à la suppression de ce corps, en 1808. Le rectorat de l'Ecole de droit de Bruxelles lut ensuite, soit la récompense de ses travaux, soit a consolation de son éloignement de la capitale de l'empire. Est-ce même avec regret qu'il la quittait? bien qu'il fût sincèrement l'ami de la France, on n'oserait repondre oui : se rapprocher de sa chère ville de Gand avait toujours été son vœu. Le roi de Hollande, en 18i:i, lui continua l'estime dont il avait joui pendant la période napoléo- nienne, et il neùt tenu t|uà lui de poursuivre la carrière des hon- neurs. Il ne se |)rèta que molle- ment à ce qu'on avait de>sein de faire pour lui. Designé pour aller reconnaître et reprendre tant les manusciits que l(;s objets d'ait ré- trocédés par la France à la Belgique, dont ces trésors avaient en partie paye la rançon, il déclina cette mission inconciliable avec les liens qui l'avaii ni uni au Paris intellec- tuel et lit mieux que Canova qui , débutant comme lui par le relus, liiMt parmérit(;r le sobriquet d'em- balleur de la Sainle-Allian( e. Peu de temps après il acceptait le poste (honorable et lucratif autant (ju'lio- norable) de greflier de la 2' cham-

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bre des Eitats généraux. Toutefois il trouva bientôt qui> les travaux de cette place , travaux auxquels le rendait éminemment apte son es- prit d'ordre et d'exactitude étaient aussi monotones que minutieux (sur ce point nous ne pouvons nier qu'il eût trop complètement raison), etildonnarésolûmenisa démission, au grand plaisir des concurrents pour lesquels les émargements à qua- tre chiffres chaque mois sont la félicité, que dis-je? sont la gloire suprême. On aurait pu croire du moins que, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences et belles- lettres de Bruxelles, il serait dans un élément assez selon son cœur, pour passer par-dessus les incon- vénients de la charge; il n'en fut rien non |)lus , et celte fois encore il laissa des dépouibes opimes à disputer à ceux qui trouvent ail wcll, îhaVa paid well. S'il eût été payé en tétradrachmes, en hyper- pères, en nobles à la rose, peut- être eût-il gardé son poste jusqu'au bout, car la numismatique le dis- putait en ses pensei-s au goût biblio- graphique et à celui des estampes, l.es liens administratifs, au reste, ne furent pas les seuls dont il s'af- franchit pour n'êtr'e pas gêné dans ses amours : il avait d'assez bonne heure, pris sa résolution de ne passe marier. Ayant ainsi tout son temj)sà lui, bon connaivsseur et à l'alfûl des occasions, il emplit sa maison de maints tr(;sor'S, bien cpie nousne pré- tendions pas qu'il faille juger de la qualité par le chilfie; et il réalisait au milieu des livres et des œuvres de la gravure , cette vie contempla- tive de l'intelligence toute I art elà la science, qui, l'on doit le re- eonnaitr»!, était sotr idéal et qui plus que toute autre a chance d échap- per aux commotions, aux déceptions

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sérieuses. Il finit cependant par en éprouver de poignantes et d'amères. Il eut le malh^'ur, vers 1827 ou un peu plus tard, d'aller, docile au suf- frage des Gantois, siéger aux états généraux ; et pour comble de mal- heur, en 1830, lors de la révolu- lion qui scinda le royaume des Pays-Bas, il vit des mains sacrilè- ges, les mains des volontaires de Bruxelles transformer en caitou- ches ce qu'il avait de livres en cette ville. L'anéantissement de tant de richesses le plongea dans un cccablement, dars un marasme dont il ne se remit jamais compléiement. Il survécut quatre ans encore pour- tant, mais ombre de lui-même; et personne ne fut surpris, quand une apoplexie foudroyanlt" l'acheva le 46 décembre 183:2. Van Hutlem , pendant son séjour à Paris, culti- vait de préférence les savants et les bibliographes en renom, les van Praét, les dom Dria!, l'abbé de Saint-Léger, et le bibliothécaire, Leblond. Il aimait a soutenir des jeunes gens qui venaient se per- fectionner il Paris, plus libres, eux, de se livrer à leurs aspirations juvéniles qu'il ne l'avait été jadis, et il secondait, soit par ses libéra- lités , soit par ses conseils leurs **tudes artistiques; il les réunissait parfois à sa table brillamment ser- vie en ces jours de fête, et aux deux services obligés, il annexait parfois des discours, toujours relatifs aux objets du culte commun." Ne nous étonnons donc pas que van lluttem ait trouvé un biographe, M. Voisin, le même à qui nous devons et le catalogue de sa bibliothèque, Gand, 6 vol. in-8. 1S36-37, et le Calalo- >jue raisonné de dessim et d' estampes formant le cabinet de M. van lluttem, Cand, 1840, in-8, x\ et SÎ>1 pages. Ce cabinet se composait de près de

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30,000 pièces. La bibliothèque, in- dépendamment des manuscrits , formait à peu près un total de soixante-dix mille volumes, dont beaucoup avaient leurs marges char- géesd'annotationsiustruclives ayant trait, les unes à la géographie et à l'histoire, les autres à la bibliogra- phie ou à la littérature de la Bel- gique. Les cartouches n'avaient donc pas tout absorbé! Le gouver- nement belge fut à même d'enri- chir encore bien des bibliothèques publiques en acquérant ce qui res- tait de celle de van Huttem. Que si l'on vient nous demander si les œuvres de l'ex-propriétaire de ces myriades de livres en augmentaient beaucoup la masse, nous sommes forcé de répondre par la négative. ÎN'ous l'avons vu muet au barreau: muet il fut au conseil des Cinq- Cents; et il ne lut que quelques rap- ports, très-pertinents du reste et forts de choses au Tribunat. Ecri- v:iin, il le fut tout aussi peu qu'o- rateur. S'il encouragea les littéra- teurs, ce ne fut pas par sou exemple, personne moins que lui ne fut tra- vaillé de ce que le bilieux Juvénal ^ommescrihendi caroethes. En cher- chant bien pourtant, on pourrait trouver de lui jusqu'à trois, peut- être jusqu'à quatre discours tirés à part: deux avaient été prononcés en I80<i et 1807, à ces banquets Tes jeunes artistes, ses compatriotes, portaient avec ses vins des toasts à l'art et ît leur Mécène; un autre, datant de '82G et par lequel il ou- vrit la distribution des prix î» l'A- cadémie royale de peinture et de scul|)ture de Bruxelles, peut être cons»dté par qui serait curieux de constater le mouvement de l'art en |{elgi(i le et contribuer à fournir des éléments à son histoire ; mais mieux \aul encore, i\ tous égards.

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son Rapport sur Pélal ancien et mo- derne de VagrieuUure et de la bota- nique dans les Pays-Bas, prononcé le 29 juin 1817 à l'Académie des sciences et belles lettres de Bruxel- les. Ce nest pas écrit; mais les faits intéressants , fruits de conscien- cieuses et laborieuses recherches, s'y pressent en foule et démontrent sans réplique quel obsei;valeur , quel praticien même était le fon- dateur du jardin botanique de Gand. Val. P.

VANIER ( Victor - Augustin), laborieux et utile grammairien, ap|)arteRjit, par la date de sa nais- sance (21 février J7G9), à cette fa- meuse année pendant laquelle la nature semble s'être mise, plus qu'à toute autre éj)oque, comme en dé- pense de grands hommes futurs : nous ne prétendons pas leur com- parer Vanier; mais, ne fût-ce que comme curieux hasard, nous si- gnalons la coïncidence. Enfant de Surène, il fit ses études chez les Bénédictins de Saint-Germain-des- Prés, et s'y montra plutôt studieux élève que lauréat brillant : il ne fui pas héros de concours. Il n'a- vait que peu ou point de fortune en perspective : il fut donc heureux d'entrer dans les bureaux nous le verrons figurer durant dix-neuf ù vinct ans (1791-1810). Il changea fréquemment de ministère pendant ces quatre lustres : après avoir dé- buté à la justice, k la seconde di- vision, qu'on nommait aussi divi- sion de l'envoi des lois, il dut passer à l'intérieur en qualité de simple sous-chef au conseil des mines, d'où finalement il fut re- versé sur le miiîistère de la guerre. Son premier litre, y fut celui de contrôleur du service des vivres. Tout An ni bal que fût le maître, il n'était pas toujours loisible alors

aux employés de s'endormir dans les délices de Capoue; et Vanier non-seulement quitta bientôt Paris, mais vit bien du pays avant d'y re- mettre les pieds. Il était, en <805, à l'armée des Pyrénées-Orientales comme chef des équipages. De la frontière espagnole, il fut expédié (l'année se devine d'elle-même,... 1809) à l'armée des provinces llly- riennes, auprès de laquelle il re- prit son ancienne spécialité de contrôleur du service des vivres. Le contact des Dalmates, Morlaques et autres Croates ou Pandours, n'eut que peu de charmes pour lui; et, dès l'année suivante, il demanda sérieusement, non un avancement, non son changement, mais pure- ment et simj)lement sa retraite. Jouissant alors de tous ses moments et ne dépassant que de |)eu la qua- rantaine, il ne comptait pas com- me tant d'autres stagner dans un monotone repos. Au temps même l'on ne pouvait voir en lui qu'un des rouages du grand moulin admi- nistratif, il sentait le besoin de se- couer la poussière des bureaux et de ne pas rester, ainsi quêtant de rap- ports mort-nés et tant de dossiers, enseveli dans les cartons du mi- nistère. Il lisait,... et, chose assez rare, vu les temps et les circons- tance, pour un quasi-militaire, il ne lisait rien de la famille des Barons de Felsheim ou de Caroline de Licfitfield. Condillac faisait ses délices, Giraud-Duvi- vier et le président de Brosses étaient ses amours; sans goûter plus qu'on ne la goûtait en ces années de grâce 1804-1810 la métaphysi- que proprement dite, il se pas- sionnait insensiblement pour la mé- taphysique du langage, et natura- lisé citoyen de la république des lettres, c'est à la grammaire seu-

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ement, mais à la grammaire trans- cendante qu'il voua ses veilles. Il y prit très-vite son rang. Dès avant la fin (le 1810, il professait, auto- risé par le ministie de l'intérieur, des cours publics à TOratoire. Un peu plus tard, il imagina de don- ner chez lui des « soirées grammati- cales »... elles ne laissèrent pas d'a- voir le retentissement un peu mo- deste que pouvaient avoir des séan- ces si peu musicales, si peu dan- santes : des membres de l'Insti- tut s'y rendaient , Mercier no- tamment et l'abbé Sicard , dont exactitude à elle-seuie était un éloge pour celui qu'ils visitaient; beaucoup de membres de l'Acadé- mie grammaticale, fondée en 1807 par Domergue, et reconstituée en 1810 sous le titre de Société gram- maticalc, y assistaient également. A vrai dire, la société (comme l'Aca- démie naguère, après la mort de Domergue), était tombée en lan- gueur ; et à la léthargie de la phase précédente, semblait devoir sous peu succéder la mort. On ne peut nier que les efforts de Vanier, n'aient, plus que toute autre coo- pération, ranimé le feu sacré. Grâce à sa persévérance, la savante com- pagnie, en janvier <814, renaquit de ses cendres, se créa des res- yources budgétaires, et en vint à publier, à paitir d'avril 1818, un recueil périodique {les Annalea de fjrammaire). Vanier, ce n'était (jue justice, en eut souvent la piési- dence. Ce qui caractérise surtout Vanier, c'est, tout en sachant se préserver de l'exagération (jui com- promet tout, en se déclarant, par exemple, contre le radicalisme de la réforme orthographique de Mar- ie (Voy. plus bas à la Uibliographie, \\° vin) , c'est, disons-nous, sa per- pétuelle tendance à l'extrême sim-

plicité, qu'il atteint souvent et dont il approche toujours. Nul, mieux que lui, n'a compris que simplifier c'est perfectionner ; que le méca- nisme qui prouve le plus de génie, c'est le mécanisme le plus simple. Son but constant, c'est donc de renvoyer sous la remise les machi- nes de Marly dont n'était que trop encombrée la grammaire. Il en a brisé plus d'une, loué en fin de compte par ceux mêmes qui d'abord l'avaient trouvé mal fondé dans ses assertions, téméraire dans ses as- pirations. Longtemps l'abbé Sicard avait brillé à la tète de ceux qui défendaient la voyelle complexe, ou, si l'on veut, la diphthongue oi con- tre ce qu'on appelle fort gratuite- ment l'orthographe de Voltaire ; l'argumenialion pressante et serrée en mèmetemi)squ'émaillée d'exem- ples choisis, par laquelle Vanier soutint les ai, non-seulement triom- pha de la résistance de son illustre antagoniste, mais encore le déter- mina, séance tenante, à se recon- naître néophyte de la doctrinequ'il venait de combattre et à s'en oflVir comme un futur champion à l'Aca- démie française. Il a, sinon le pre- mier, du moins un des premiers, proclamé que les (juatre conjugai- sons peuvent se léduire à une seule, et même il a voulu y et; (|ui pourra sembler outré, mais ce qui ri^au confirme pas moins ce que nous avons dit de son besoin de simplifier partout et toujours^, que le type unique des quatre formes fût le verbe u être. » La théorie des participes, si compliquée, si «har- gée d'exceplions, et qui nécessite tant d'explications Tobscurilé le dispute à l'arbitraire, se résume chez lui par une seule règle, la- quelle lient à ec qu'il croit (|u'il n'existe en notre langue qu'un m'uI

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participe. Nous ne disons point que. pris absolument et sous toutes ses faces sans réser>es aucunes, ce point de vue soit inattaquable ; nuiis enfin le grammairien le plus spiri- tuel et le plus rompu aux mille pe- tits caprices du langage, tant chez les anciens que chez nous, s'ex- prime ainsi dans son compte-rendu de l'ouvrage de Vanier, sur cette matière épineuse. « Je n'ai point vu, dit Boissonnade, de traité la question des participes, si embrouil- lée par nos grammairiens , soit ramenée à des termes si simples. » Ajoutons d'ailleurs que presque toutes les idées de Vanier, d'une part, ont reçu la sanction ou l'é- quivalent de la sanction universi- taire, de l'autre, ont passé (qu'on l'ait nommé ou non) dans les gram- maires les plus usuelles. Des com- pilateurs ont eu le profit de ses ef- forts : qu'au moins, et tout en se préservant de l'exagération, il en ait l'honneur. Nous terminerons par la liste à ))eu près méthodique d'S ouvrages de cet habile et con- sciencieux écrivain. I. Cours de Grammaire rmsonnéc (insérée en partie dans la Bibliothèque des pè- res de famille) . II. Grammaire pra- tique (adoptée par l'Université de France), Paris, 1824, in 12. Un critique a dit : « L'auteur y suit la marche de la nature ; il exerce les elève's à la pratique, les règles ne viennent plus que comme de sim- ples remarrpies qui naissent d'el- les - mêmes de; l'observation des faits... Excellente méthode... de- puis lon^tf*m[)S signalée i)ar nos grands maîtres, Ilollin, Uousseau et les solitaires de Poi t-lloyal », III. Trfiit(^ simplif}f'' des coujuqaisons françaises. Paris, iHt'J, iii-12. IV; Instruction pour t'inlelliqence du ta- bleau synoptique des quatre conjw-

gaisons sur le seul paradigme du verbe être (extrait de la Gramm. pr. II, ci-dessus), Paris, in-f*, gr. raisin, avec ou sans le tableau, (lequel est imprimé en noir et rouge). Comme toutes les synopsies bien dressées, celle-ci est appétis- sante : par les yeux, elle parle à l'intelligence ;et, rinlelligenceplus profondément imbue, tous les traits s'incrustent et facilement et ineffa- çablement dans la mémoire. V. La Clef des participes, Paris, 1812, in- 12, 5'" éd. 1834. C'est l'ouvrage si décisivement recommandé par no- tre grand helléniste (voy. plus haut). \l. Traité d'analyse logique et gram- maticale, Paris, 1726; 2^ éd. 1827. VII. Dictionnaire grammatical cri- tique et philosophique de la langue française, Paris, 183G, in-8". VIII. La réforme orthographique aux pri- ses avec le peuple^ ou le pour et le contre , Paris , 1829. in-32, 2" édition 1829. XI. L'art d'ensei- gnei' aux enfants et aux adultes, Paris, 1838, \n-H\ X. Oraison fu- nèbre de feu Achille FAna Michal- lon, etc., Paris, 1822. Le peintre, objet de cet opuscule, était son cousin. Vanier avait piomis, pour compléter sa Grammaire pratique trois autres traités: l'un iVanalyse, l'autre de syntaxe, le dernier de ponctuation. Il est probable qu'ils existent au moins en manuscrit. Il existe d'un autre Vanieu (llip- polyie), parent sans doute et peut- être fils de Victor-Augustin, un Cours de lecture sans épellatiou... ou Méthode qui résout la difficulté de l'enseignement et de la lecture sans l élude préalable de l'alphabet, Paris, 1838, in-8% 32 pages et 24 tableaux, ou in-18, .3f) p. et 1 t. Val. p. VAN KAMPEÎV, historien hol- landais, naquit.à Harlem le 15 mars

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1776. 11 reçut dans cette ville sa première éducation et fut ensuite envoyé à Leiden pour y apprendre le commerce de la librairie. il se forma de lui-même, étudia avec succès les langues anciennes et mo- dernes, particulièrement l'allemand et le français. La première institu- tion dans laquelle il avait été placé à Harlem était dirigée par un Fran- çais du nom de Desbarrières, établi dans le pays. Ayant perdu son père, il se rendit à Crefeld, près d'un oncle pateniel; il y continua ses études et s'y distingua par une ap- j)lication extraordinaire. Son int^'l- ligence et sa mémoire étaient des plus étonnantes; il s'adonna prin- cipalement à l'étude de l'histoire et de la géographie.

De 1806 à 1829, c'est-à-dire pendant l'espace de 23 ans, il ne remporta pas moins de 10 médail- les dont 2 en or et 8 en argent, dans divers concours ouverts par plu- sieurs académies et sociétés savan- tes de son pays, sur des questions scientifiques et littéraires de tous genres.

Il fut, à l'université de Leiden, lecteur de langue allemande jusqu'à

1829, époque à laquelle il devint professeur de littérature néerlan- daise et d'histoire nationale à l'A- thénée d'Amsterdam. Enfin, en

1830, il fut élu membre de la troi- .sième classe de l'Institut néerlan- daise. La vit' de cet homme célèbre fut des |)lus laborieuses; il écrivit une foule d'ouvrages qui tous reçu- rent du public le plus ex«;ellent accueil; les principaux sont: Ik'un- tés morales de ïauliqmU. i vol. in-8M.»'iden 1811.— W/sfoln- dr la domiu'ition française en Europe, 8 vol. in-8°Delfi, 1823. Coup d'œil historique sur les grands ('vénemenls européens depuis la paix d'Amiens

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jusqu'au siège de Paris, 2 parties, grand in-8°, Leiden, 1814. Essai d'une Histoire des Croisades jusqu'en 1291, 4 vol.in-8", Harlem, 1826.— Abrégé de ÏHistoire des Pays-Bas^ 2 vol. in-8", Harlem, 1827. Le Globe considéré dans sa constitution naturelle et dans ses divisions en mers, rivières, lacs, montagnes et déserts, 2 vol. in-8», Harlem, 1824.

Histoire abrégée des lettres et des sciences dans les Pays-Bas jusqu'au commencement du xix* siècle, 3 vol. in-8'',Delft,1826. Le caractère na- tional, ou Esquisses caractéristiques d'époques et de personnages de l'His- toire des Pays-Bas, 2 vol. in-8", Harlem, 1826. Histoire des Hol- landais hors de l'Europe, 3 vol. in-8°, 4 parties, Harlem, 1832. Histoire de la Grèce,! \o\. in-8%Dclfl, 1827.

Mémorial du courage et de la fidé- lité hollandaisependant la révolution belge. Description statistique et géographique du royaume des Pays- Bas, 1 vol. in-8", Harlem, 1827.— Manuel de la littérature allemande, 2 vol. in-8", Harlem, 1825. Choix de morceaux de littérature française, 1 vol. in-8", Zutphen, [^M. Choix de morceaux de prosateurs néerlan- dais du wr au xix'" siècle, 3 |)ar- tics. Manuel de l'Histoire litté- raire, des principaux peuples de l'Eu- rnpe, 4 vol. L'Afrique et ses habitants, d'après les découvertes le» plus récentes, 3 vol. in-8» Har- lem, 1829. Le Levant, 3 vol. in-8°.

La Grèce et la Turquie euro- péenne.— La Russie européenne , etc. De ^813 à 1S21, il édita, avec le professeur Tydenian, 10 livraisons de la Revue intitulée Mnémosyne. De IS22 à 1830, il fut chargé seul de la rédaction du Magasin des scien- ces, arts et lettres, dont il a paru 10 volumes et qu'il continua depuis 1832 avec le professcurJ.de Vriés.

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Plusieurs des ouvrages de Vau- Kampen ont été réimprimés. Tous, sauf un seul, ÏHistoirc des Pays- Bas^ écrite en allemand pour la collection de Hecren et Uckert, sont écrits en hollandais. On peut lui reprocher, comme à tous les poly- graphcs, des inexactitudes; mais son style coulant et facile, qui, dans l'occasion, s'élève avec force, fait passer le lecteur sur de moindres défauts. Tout le monde reconnaît dans cet écrivain une science solide, une grande rapidité de conception et une extrême facilité. On conçoit difficilement comment, au milieu de ses nombreuses relations sociales, il a pu trouver le temps d'écrire tant de volumes. Il mourut le io mars 1839 à Amsterdam, et ses restes furent rapportés à Harlem, ils furent inhumés le 22 du même mois. Le professeur S. Mul- ier, du séminaire mennonite, pro- nonça sur sa tombe une oraison funèbre. 11 appartenait à la commu- nion anabaptiste et mennonite. Z. VAN MAANEN (Cokneille-Fé- Lix) , l'homme politique le plus fa- meux des Pa} s-Bas, par sa versatilité d'abord et ensuite par l'excès de son zèle absolutiste. Il était de La Haye et vers 1770. Etudiant en droit, il suivit plus assidûment, plus attentivement que le vulgaire de ses condisciples, les cours des professeurs, et passa ses examens avec honneur. Inscrit bientôt sur le ableau des avocats de sa ville na- tale, il ne larda pas à s'y créer, tant par ses consultations que par ses plaidoiries, une clientèle de bon aloi qui posa les fondements de sa réputation, mais (ju'ii sut accroî- tre en prenant une paît des plus actives aux débats politiques p;ir lesquels alors était troublée la Hol- lande. Soit calcul, soit conviction.

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soit ardeur de l'Age, il grossit les rangs du parti le plus à la mode et même, à vrai dire, le plus fort; du parti (jue soutenait, par son con- cours moral du moins, en atten- dant une coopération plus palpable encore, le cabinet de Louis XVI; du parti patriote, hostile aux Nas- sau et par suite au stadhoudérat. Lafaveur, aux moments de lutte et de crise, étant toujours à celui qui crie le plus fort, et notre jeune avocat ayant le verbe haut, il fut bien vite un des coryphées des anti-orangistes et l'un de ceux que familièrement on qualifiait de ré- publicains et qui méritaient assez ce nom. Evidemment il croyait leur prochain triomphe certain ! Mais tout à coup (1788) survinrent les gros bataillons, non pas de l'Au- triche, assez occupée alors de ses propres affaires à Bruxelles, mais de leur voisine la Prusse, qui conq)tait bien pécher en eau trou- ble et ne pas tirer les marrons du feu au profit des Nassau , sans en emporter sa part et même double et triple part. Le duc de Brunswick était en tête de l'ar- mée expéditionnaire. Ce môme duc naïf qui (juatre ans plus tard, en- vahissait nos provinces avec 70 à 80,000 hommes, commençait par nous catéchiser à grands coups de manifeste et finissait par battre en lelraite après Valmy, les mains ]»leiiies des dépouilles des égorgés de septembre (Voyez Dumouriez), en attendant que la catastrophe plus écrasante et presque aussi dés- honorante de léna mît du même coup à néant et ce qu'il appelait ses lauriers, et l'armée de son maître. Si les diplomates de la n)onarchic française, debout encore alors, avaient eu dans les veines, quelque chose de la vigueur et de

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l'adresse que déploya plus tard contre ce Germain le comité de la commune de Paris, nul doute que la faction orangiste n'eût été battue à plat. Mais des ordres survinrent de Versailles en vertu desquels les troupes françaises, réunies sur la frontière, durent se retirer. Les pa- triotes abandonnés ne purent son- ger à se défendre; et le Brunswick, grand enfonceur de portes ou\er- tes, fut à l'apogée de sa gloire. C'est même cette trop facile campagne qui donna tant de confiance à ses ca- ])oraux quand il envahit la Lorraine et la Champagne, et qui leur faisait dire pour exprimer à quel point la guerre avec la France leur semblait bagatelle et niaise- rie : Patrioikrieg. Comique con- fiance qui n'a de pendant ([ue dans celle de ces jeunes et braves étour- dis de l'émigration, qui croyaient que rentrer en Franco était une « partie de chasse, » confiance dont nous ne saurions nous plain- dre, puisque, se heurtant immé- diatement aux faits, elle n'a pas laissé d'aider aux vingt ans de vic- toires de la Révolution. Quoi qu'il en soit, les provinces néerlandaises, |)our l'heure, n'avaient plus qu'à se courber silencieusement sous la prépondérance de celui qui s'était iait acclamer stadhouder général. C'estàquoise résigna Van Maaneii. mais il faut le dire, sans abjurer ses convictions, qui, toutefois, ne pouvaient le mettre en grand péril, tant (lu'ellcs ne se tradui- saient pas en actes offensifs. Les événements de France donnaient d'ailleurs à réfléchir aux plus légers. aux plus téméraires, et nul, en voyant s'accumuler les nuages, sur d'en voir jaillir la foudre, ne pouvait dire qui la foudre irait frapper. L'on atteignit ainsi les

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jours de Valmy, de Jemmapes , puis f794, 1795. Les paris pour l'absolutisme trouvaient de moins en moins d'adhérents. Le dictateur des Provinces-Unies finit par n'a- voir pas d'autre ressource qu'une fugue des plus accidentées, et fut heureux de trouver un asile en Angleterre, toute la haine du bi- lieux Pitt contre la France ne l'em- pêcha pas de mourir stadhouder in partibus et ne léguant à son fils que des prétentions. Pendant ce temps, Van Maanen moissonnait les réconq)enses de son enthou- siaste adhésion à la cause des pa- triotes. Il est vrai que d'abord on ne lui donna rang dans le par- quet piès la cour d'appel de la province de Hollande que comme substitut de l'avocat fiscal. Mais ce % grain de millet presque dérisoire, à force d'être insuffisant pour son appétit, se transforma bientôt en quelque chose de plus sonore et de plus lucratif. La même cour eut à saluer en lui son procureur géné- ral, ïl apporta, selon sa coutume, beaucoup de zèle , quelques-uns diraient beaucoup d'exagération dans ses nouvelles fonctions; mais ses pas n'\ furent pas tous signa- lés par des prodiges. Ayant voulu |)araitre en j)ersonne dans l'affaire \an Darel, il termina son réqui- sitoire contre un accusé dont le crime était d'a>oir répondu à quel- ques lellres des réfugiés ses amis, en demandant la peine de mort. Le triitunal lejela cette requête sanglante et ne jirononça (juc cinq années de détention , ce que même roi)inion générale regarda connue une peine sévère. Enfin, quand la république bata\e devint royaume de Hollande sous Louis Bonaparte, le procureur général, moulant encore en grade, de\int 6

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minisire de la justice. Ostensible- ment il ne tu rien qui vaille la peine d'être relaté par Thistoire. Il fut comme les heureux sinccurisles à(iui le sort propice donne des por- teleaillos quand les temps sont cal- mes et qu'un bras for t lient les tempê- tes enteiniées dans routre,émargeur fidèle et ponctuelle machine à si- gnatures. Mais pouV qui voudrait pénétrer au-dessous de Técorce et percer l'aubier , il est croyable que les particularités ne manque- raient pas. On sait combien l'ex- cellent roi Louis avait pris au sé- rieux le rôle auquel l'avait élevé Na- poléon ; ([ue la couronne à ses yeux n'était pas une préfecture, et que la Hollande, dès qu'elle était censée Etat indépendant, devait être gou- * vernée dans l'intérêtdes Hollandais, et non au profit d'un Etat voisin quel- conque. C"est précisément le con- traire qu'entendait Napoléon ; et par ses ordres, Talleyrand son mi- nistre, avait les yeux sur tout ce qui se passait à la courde Hollande : les entours du roi, ses ministres surtout, étaient en butte tels à des attaques plus ou moins ouvertes, tels à la séduction. Quelle ligne de conduite suivit pendant ce conflit le ministre de la justice? Rien n'est démontré; mais il est certain quele roi Louis cessa de croire (pïil avait

en lui un serviteur loyal, d'où

bientôt une destitution masquée de quelques mots de consolation. Est- ce à diro que le saire et conscien- cieux i»rince était trompé soit par son imagination, soit par des ca- lotnnialciirs? La biogr;iphie Jay- Jouy-Norvins dit Cxx, 149): « L'an- cien paliiotismc de M. Van Maanen aurait du le mettre à l'abri d'un pareil souj con. v L'écrivain veut- il dire par cette phrase que l'inqjuta- tion tombe d'elle-même? ou bien

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indique-t-il qu'elle ne manque pas de consistance, puisqu'elle a trouvé créance « en dépit des probabilités contraires? » Pour notre part, sans affirmer positivement ce fait, nous penchons fort pour l'opinion du roi Louis. L'empereur , lorsqu'il ne trouvait pas les influences dont l'appui lui faisait besoin au jour de circonstances graves, assez ductiles ou malléables et au gré de son im- patience, avait as$>(it Coutume de leur dénier les hautes vues, l'intel- ligence compréhensive, et disait , leur donnant d'un mot leur brevet d'esprits médiocres : « .le le croyais plus homme d'Etat. » Eh bien I il nous semble que Van Maanen fit acte de parfait homme d'Etat, comme l'entendait le prolfîcteur et le mé- diateur des Confédérations. En effet, lorsque l'éphémère royaume de Hollande eut été incorporé au grand em[)ire, immédiatement un brevet de conseiller d'Etat alla de la part de Napoléon chercher Van Maanen au fond de sa retraite et lui présager que sa période de disgrâ- ces alla-t finir. Le présage se véri- fia dès l'année suivante : il reçut, en échange du siège qui n'avait été pour lui qu'un gage en attendant mieux, la première présidence delà cour impériale de la Haye. Plus tard enfin l'empereur orna sa jtoi- trine des insignes de commandeur grand'croix del'ordrederUnion. Au milieu de tous ces succès, tombèrent coup sur coup les événements de 1813 et de 1814. Tout autre aurait été désarçonné parla marche impé- tueuse de la catastrophée! de (hmx choses l'une, ou serait tombé victime desa fidélité à sesconvictionselà ses serments ou bien se serait désho- noré par sapromptc conformité aux événements les plus contraires soit à ses devoirs, soit à ses principes.

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Van Maanen sut marcher entre les deux écueils : il n'avait aucune en- vie de faire le deuxième torae du héros d'Utique et de donner lieu aux jeunes humanistes hataves de lire ainsi le distique d'Horace:

El cuncla terrariim subacla Praeter alroccm anii;uim Maanon.

Mais il ne voulait pas se salir assez pour être imprésentahle et pour que les plus déterminés flat- teurs rougissent de chanter ses louanges. Voici donc quelle fut son allure. D'abord, malgré les sinis- tres trop parlants et de Prague et de Leipzig, il ne se hâta pas de dé- sespérer de l'étoile de l'empereur, dont il appréciait, en calme et froid observateur, l'indomptable énergie et l'esprit de ressources; et, lors même que la révolution de novembre à la Haye eût comme sonné le glas de la domination française en Hollande, il tint bon, biaisant un peu ou s'abslenant, mais ne commettant pas et dans sa sphère ne permettant pas un acte dont Napoléon, s'il fût resté vain- queur, eût pu lui faire un reproche. Il eût donc pu dire aux amis de l'empire (ju'il fut dévoué à l'em- l)ire, tant qu'il y eut un empire. Mais enfin voici la seconde [>liase. Nous sommes au lendemain du 31 mars 1814 ; nous avons atteint ce moment l'empire a cessé d'ê- tre, où tous h's rejetons des vi-^illos souches princières surgissent rede- mandant (pii son électoral, (|ui son tiers ou quart de grand-duché, qui ses salines et qui son cncbivc, sous les auspices de Casticreagh, Wellington, etc., le tils du ci-de- vant premier et dernier stadluiuder général des Provinc(;s-Unies vient les administrer j)rovisoirenieht souk l'œil anglais, en attendant qu'il de-

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vienne, sous le titre de roi des Pays- Bas, préfet de la Sainte-Alliance et garde-clef des citadelles dont on hérisse contre nous la frontière belge. Que va devenir et h quoi va se résoudre dans cette débâcle le pa- triote de 1787 et 1795, le haut di- gnitaire des gouvernements nés de la révolution, l'afrancesado fidèle jusqu'à la dernière minute à l'usur- pateur français, on pourrait dire presque l'ennemi personnel de tout ce qui portait le nom de Nas- sau. Il obtint audience de ce can- didat à la couronne néerlandaise; et lui prouva sans doute que nul mieux que lui n'était à même, si le roi savait se l'attachei', de l'éclairer sur les personnes à redouter et sur les menées hostiles; il termina, ce nous semble, en demandant que son zèle fût mis à l'épreuve. Celte conversation n'ayant été transmise j)ar Van Maanen à personne, il est évident que nous ne donnons ici nos paroles ([ue sous toutes réser- ves; mais elles ressorlent, à noire avis, de la nature des faits qui précèdent et qui suivent. Les hom- mes d'État, lorsqu'ils oui manié pratiquement les afiaires vingt ans durant, ont vu s'égrener beaucoup de scrupules au vent des besoins du jour; et lorsqu'ils ont été mêles à des affaires grandioses, à un en- semble gigantesque, ils ne gardent plus qu'un terne et pâle souvenir des j)etiles agitations, des petite» rivalités, des j)elites hyines de leur jeune âge : il est donc sim|>le que Van Maan<Mi, à moins que quelque injyiv nouvelle eût ravivé de \ ieilles plaies, n'en lui plus à iinimilié avec la maison stadhoudériennesi longtemps enfouie dans l'ondji-e et si nii(;roscopi(pie en lac»; des gran- des commulions donl i Euroj»e ve- nait d'être le théâtre. Quant au

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patriotii?me et aux idées républi- caines, il y avait longtemps qu'il nelait plus imbu du premier, puisque la transformation du royaume indépendant de Hollande en huit départements du grand empire ne l'avait pas eflarouché; il y avait longtemps aussi que le régime napoléonien Tavait désha- bitué de celles-là. Ceci posé, il de- vient clair que ce n'est pas de 1814 qu'il faut dater ce que les uns ap- pellent l'apostasie, ce que nous nous bornons à nommer le chan- gement de Van Maanen. Ce chan- gement est l'œuvre graduelle et presque inaperçue du temps. Répu- blicain (ou si l'on veut patriote) en même temps qu'hostile à la fa- mille qui veut cunuiler les stad- houdérals pour extraire de ce cu- mul une sienne monarchie, il est par cela même du système fran- çais sous Louis XVI, à ]»lus forte raison sous la convention ; ami de la France, il la sert et comme chef du parquet quand la Batavie est ré[)ubli(iue , et connne nnnistre lorsque la Hollande devient royau- me: ministre d'un monarque, il comprend les avantages, la simpli- cité, la rapidité du mécanisme mo- narchique; les cojivictions iéj)iibli- raines s'afFaiblissent d'autant, les prédilections républicaines s'attié- dissent de mrme: les (luchpics an- nées sous la domination directe cl sous l'œil du génie qui régit l'Eu- rope de rOféaii au Niémen achè- vent l'œuvre. Ambitieux et sufti- .«arament jeune encore, Van Maa- nen arrive donc devant Oiiillaimie, non pas i»ur d'antécédents, mais libre de tons ses antécédents: il n'a j»lus de tendresse, j)Ius de faible pour la république, il n'a plus d'antipathie pour les Nassau et jamais il n'en a déployé contre le

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personnage auguste avec lequel il a l'hoimeur de s'entretenir! Ce n'est pas tout, les événements des vingt et une dernières années l'ont convaincu que sept provinces for- mant sept petits États à part ne va- lent par le quart de ce qu'elles vau- draient fondues en un seul sous un seul chef; et quel peut être ce chef, si ce n'est un indigène d'illustre maison ? et quel sera cet indigène si ce n'est un Nassau ? Les Pays- Bas ont donc besoin de Guillaume. Mais Guillaume, à qui les anciens patriotes feront opposition, a besoin d'un tacticien qui les sache par cœur, eux et leurs manœuvres; ce tacticien c'est un des leurs, ramené par l'expérience à la résipis- cence, tandis qu'ils sont voués, eux, à l'impénitence finale ; ce tacticien, c'est Van Maanen. Guillaume a donc besoin de Van Maanen (on doit être heureux de trouver sous sa main un Van Maanen} , connue les Pays-Bas ont besoin de Guil- laume. Le ]»rince déjà mur à ([uï nous supposons qu'on tenait (juel- (jue chose de ce langage, était de force à le comprendre et à en faire son prolil; il n'avait point horreur, comme son voisin des Tui- leries, (( de se coucher dans les draps (leBonapaile; » il sentait que ce dominateur des trônes avait dres- sé sescliambell.'iMs à faire comme il faut le lit monarchi(|ue. V an Maanen donc, non-seulement nv, perdit pas sa présidence, mais encore il fut chargé, à titre pi'ovisoire il eslvrai, du ]»orlefeuille de la justice ; et c'est lui (jui, (iansTas-^emblée des nota- bles d'Amsterdam, en 1814, porta la parole ensaqualité de ministre, au nom du i"oi Guillaume, pour ouvrii* la session dans kKjuelle devait s'éla- borer la nouvelle loi fondamentale. Un moment encore pourlantl'inccr-

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titude plana sur les destins de la Belgique et de la Hollande. Les Genl-Joiirs faillirent tout remettre en question, ou plutôt résoudre au profit de la France et à la confusion des protégés de Gastlereagh la ques- tion remise soudain sur le tapis. Mais la jalousie britannique triompha : Blucher aidant, la France fut réen- vahie par les Cosaques ; la clause des actes de Vienne qui créait un royaume des Pays-Bas et qui faisait des Nassau une dynastie sous laquelle se fondraient et ces ex - républicaines Provinces - Unies protestantes et ces ex -autrichiens Pays-Bas catholiques, sortit du pays des songes pour prendre place dans le domaine des réalités. Guil- laume I" d'Orange fut proclamé roi. II continua quelque temps en- core les épreuves sur son ministre provisoire, dont il irritait la soif par l'attente; enfin, le 1 0 novembre 1816, fut signée sa nomination si forte- ment, si anxieusement poursuivie. Van Maanen, au bout de huit ans, retrouva donc auprès de Guillaume le rang qu'il avait auprès de Louis- Napoléon. Mais sa mission, celle qu'il arcepte du moins, n'est plus la mémo : au temps de remj)ire, il n'a- vait qu'à travailler au développe- ment des ressources du royaume, soit au i)()int de vue exclusif des ré- gnicolcs, soit au point de vue fran- çais; etdansl'un comme dans l'auli-e cas, loyal ministre de Louis, ou clandestin instrument de l'empe- reur, il avait sa part d'une œuvre de progrès et d'expansion. Mainte- nant, qu'on appelle ou non [>rogrès la modilicalion ([u'on projette, c'est décomprimer et de restreindre cpi'il s'agit. Ou'il y ait des instants dans lesqiif'ls la restriction soit oppor- tune et la compression indis|i«'ii- sahle , tout ifiipo|»nlaire jpi'eile

puisse être . c'est ce que nous ne nions, ni ne recherchons; mais, en adhérant au principe, tout homme d'État et tout sage se dira que, lors- qu'on l'applique, il faut savoir gra- duer les doses, en d'autres termes apporter des tempéraments, et, somme toute, ne pas ajouter au nombre des ennemis les mécontents. Pour ces juges impartiaux et com- pétents, il ne s'agit donc, en admet- tant le rôle nouveau qu'assume Van Maanen et que, l'on a pu s'en con- vaincre, nous n'avons pas essayé de noircir, il ne s'agit, disons-nous que d'examiner s'il s'y prit de ma- nière à réaliser son programme, c'est-à-dire à brider malcontenfs et révolutionnaires, et à établir sur la pierre un trône qui n'était en- core que sur le sable mouvant. En effet, il commença par serrer la bride un peu fort. De deux piojets de loi qu'il porta et soutint devant la seconde chambre en l'année parlementaire 1817-1818, la pre- mière retranchait à la liberté de la presse presque tout ce que la lé- gislation restrictive en laissait en- core debout: la seconde, bien au- trement étonnante proclamait que la chasse, d'un bout à l'autre du royaume, faisait partiede la préro- gative royale; eu termes plus nets, que les propriétaires de biens-fonds n'avaient pas droit de chasser sur leurs propres terres. En absolutisme du nioius, c'était un i)rogrès. Tou- tefois, ce ne fui pas son triomphe : en dépit de ses exordes ])ar insi- nuations, de ses confirmations vic- torieuses et de ses péroraisons à la milonienne, ses deux malheureux projets tombèrent à plat. Les éter- nels ennemis des trônes avaient réussi à rallier à leur cause ces égoïstes propriétaires qui tenaient à transmettre int;icl à kur^ til< le

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« droit (lu sport, » et qui croyaient avoir acheté avec la terre le gibier qu'elle nourrissait. Ces mal-inten- tionnésl'emportèrent et mèmepous- sèrent la cruauté jusqu'cà refuser au vaincu la consolation qu'il requérait à grands cris de rappeler à l'ordre le député d'Otrange, qui l'avait per- cé à jour, jiaché menu et orné d'un de ces sobriquets qui restent dans toutes les mémoires. Ce double échec, après lequel un ministère an- glais aurait offerten masse sa démis- sion (mais nous ne sommes pas en Angleterre), ne fit que pitpier au jeu Je ministre et probablement aussi son maître. Van Maanen ima- gina, pour alieindre plus sûrement les récalcitrants et préparer les. voies aux lois qu'il avait surle mé- tier, de remettre eu activité une espèce de conseil ])révôtai , ou tri- bunal martial, établi temporaire- ment et d'urgence, sans formes aucunes, en 1813 et 1814, quand ce qu'on nommait l'ennemi (c'est- à-dire un reste de l'armée frajiçaise) était aux portes, et qui depuis la pacification générale était tombé de lui-môme : ce conseil était (jua- lifié de « cour spéciale extraordi- naire; » il n'y eut d'un bout à l'autre du royaumequ'un cri contre rette résurrection. L'ex-procureur- général, aux convictions près, tou- jours Je même que lor.>(pi'il requé- rait des juî:es la tète de Van Driel (en ce moment son collègue) crut qu'il suffisait, pour écraser les ré- clamants, de jeter un coup d'œil sur eux « de toute la hauteur de son dédain, » et donna ])Our toute rai.son que « celle cour n'avait été abolie par aucun acte public de l'autorité, » comme si la cessation des circonstanres essentiellement éphémères qui l'avaient fait naî- tre, comme si la loi fondamentale

ne l'avait pas de longue main mise à néant! « Que ne réta- blissez-vous donc aussi , répondit une voix d'accord avec le senti- ment intime de tous, le conseil des troubles du duc d'Albe? Il serait malaisé de produire l'acte qui le supprime. » Nous ne serions pas surpris que Van Maanen se fût dit in pelto : « Eh, mais ! c'est une idée. » Heureusement l'on no parachève pas tout ce que l'on tente : on a beau se promettre de tout pourfendre ; l'épée s'émousse ou s'ébrèche en route, le mousquet fait long feu. Il en fut ainsi des foudres de Van Maanen. La cour spéciale extraordinaire tint séance plusieurs semaines, iJ est vrai; il y eut des amendes, des emprison- nements, des exils ; mais les con- damnations capitales ne restèrent qu'à l'état de menaces; il y eut des victimes; mais, sauf un prêtre ca- tholique (l'abbé de Fœre},des victi- mes que nul ne connaissait avant le coup qui les frappait, et qui ne fu- rent guère plus connues après leur condamnation. Ladite cour ensuite rentra dans ses catacombes pour n'en plus sortir; et ceux qui croyaient voir poindre sous la phraséologie et la simarre du pacha des vel- léités de terreur, eurent droit de se dire : « Ne fait j)as de la terreur (|ui veut. » Le rancuneux minis- tre pourtant ne voulut pas qu'on rît sur toute la ligne. La presse ])aya pour la galerie : quelques écrivains, non belges et belges, fu- rent emprisonnés, et les uns ban- nis, les autres mis sous elef, pour faire contre-poids à leur joie d'avoir vu s'embourber le char orangiste, et d'avoir, qui plus, qui moins, poussé à la roue, le tout sans juge- ment ! Des gendarmes suffisaient à la besogne, J'ex-anti- orangiste,

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cette fois, n'avait plus de ciiambre sur les bras, et le ministre de la justice n'avait pas besoin de juges. Jl se serait non moins volontiers privé d'avocats, les trouvant beau- coup trop imbus à cette époque des idées que lui-mi'me proclamait en i 789, alors qu'il n'était qu'un simple soutien de la veuve et de l'orphe- lin, adjurant et implorant, n'admi- nistrant pas la justice. C'est ce dont les moins clairvoyants s'aperçu- rent dans rafîaire Yanderetraelen (voy. ce nom, t. XLVII), en 1819. Cet écrivain ayant été jeté en pri- son, six des plus habiles et des plus honorables avocats du royaume signèrent une consultation en sa fiiveur. Quoique celle-ci lïit aussi modérée dans la forme que forte de faits et de raisonnements, le ministre les fit incarcérer tous les six, avec l'intention positive de les miner indéfiniment, par les longueurs de la détention préven- tive et d'enlever à l'accusé, par l'intimidation universelle , ses moyens de défense. Plusieurs des captifs tombèrent malades. En dé- pit de cette tactique profonde, Van Maanen ne réussit qu'à soulever de plus en plus les répugnances contre lui, à s'aliéner le barreau, à mé- contenter au dernier degré les nombreuses et puissantes clientèles (les six avocats, à rendie sensible le dissentiment entre le monarque et partie au moins des sujrls, (juand , forcé de mettre ces six av(»cals en ju- gement, à Bruxelles, il vit les masses accouiirdcLouvain, dt'fiand. d'An- vers, pour acclamer les persécutés, et finalement à nobtenir de sa magistr.iture amovible et chargée de mille liens, pas même une seule, une faible condamnation. Il serait tiop long (le suivre Van Maanen dans tous les actes de son ministère;

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les spécimens qui précèdent suffisent pour le faire apprécier, et peu de mots désormais sont tout ce qu'il faut pour mettre à même de préci- ser ce que fut l'homme, ce que fut le magistrat, ce que fut le ministre. Homme, d'une part, il outra toutes ses opinions , non-seulement en paroles, mais dans la pratique; de l'autre, il est clair qu'il ne saurait échapper au reproche d" inconstance, et quoi que nous ayons dit, soit pour expliquer son apostasie, soit pour en préciser le moment , ce n'est pas une apologie que nous avons entreprise. Qu'on se conver- tisse, soit , mais dans le secret de son cœur, sans en tirer lucre, ou portefeuille, ou grand-cordon; et surtout, si l'on veut passer pour homme sérieux, qu'on ne se con- vertisse pas. après avoir paradé sur la brèche, tenant en mam, ie dra- peau opposé à celui qu'on avait précédenmient porté. Magistrat , il n'eut qu'un mérite, celui de savoir son droit : mais le droit, il en était le contempteur, et il ne cherchait dans la loi que le moyen d'être légalement injuste, rapace et op- presseur ; rusé plutôt qu'adroit, retors plutôt qu'éclairé, sans con- science et sans entrailles , il ne voyait dans le code qu'un réseau à mailles perfides et impalpables faire tréhucher un ennemi. Mi- nistre, il savait manier la parole devant les chambres, comnie au- trefois au barreau; mais si l'élo- (pience est l'art de persuader mal- gré les f(Uids secrels.il en manqua souvent; jires(iue confnuelJen>ent aussi l'adresse lui lit ael.iut,et peu de carrières ministérielles ont été marquées par |ilus d'insuci^ès. « L'habilele politique suprême , avons-nous dit , c'est de din.inuer h' nombre des ennemis; u on pour-

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rail ajouter : et « d'augmenter celui des amis. » Si celte thèse ♦»>t vraie , que penser de Van Maanpn? Il fit exécrer son maître. Il voulait solidifier le système mo- narchique et donner pour base au trône de Nassau le roc , le granit : on reconnut à la première épreuve que cette base était . en partie, non moins friable que le plâtre de Paris, à peine un mois après juillet 1830, Guillaume tomba comme Charles X. et fut moins regretté. La faute n'en fut-elle qu'à ce monarque? Aveugle qui se l'imaginerait ! Van Maanen y contribua certes pour moitié, si cp n>st pour davantage. V\l. P. VA3Î MARA^^M ^f ARTiN^ , sa- vant néerlandais des plus ingénieux et des plus remarquables par la va- riété deses connaisrances, élait de Delft et naquit, à ce qu'on pense, en 1750, ou très-près de cette date. Fils d'un mathématicien habile et profond Jl annonça très^jeuneencore un goût des plus vifs et d'heu- n*u«es di?[Kisition> p<'iur la scieficc cultivée par son [»ère,et c^ dernier ne les laissa pas dormir stériles. Son adolescence s'écoula entre les «inus et les tangentes, entre les logarithmes et less^iries; il intégra, et la trace en est çensible dan? se^ œuvres, même cjuand la grande S et le î n'en chamarrent pas les pag'^s. Le? mathématiques p<"»urlant ne devinrent point sa spécialité: son père, lorsqu'il s'agit de l'aider à «e choisir une profession , lui fil préférer la carrière médicale , et c'est avec ses vues que le jeune homme se rendit i\ l'académie de Grœningue. Il y suivit les cours voulus, mais d'autres encore; et d'inscription en inscription , de grade en grade, il parvint 1776} au doctoral de médecine d'une part, et de l'autre au doctorat de philo-

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Sophie. (Ou sait que ce nom , dans le vocabulaire scolastique de l'Al- lemagne, indique l'ensemble des sciences philosophiques et littérai- res. Il élait auteurdès cette époque -. car quelque temps avant de sou- tenir sa thèse, il avait fait im- primer un traité sur l'électricité, qui contenait tout ce qu'on savait alors sur cette partie de la physique à laquelle les Hollandais témoin la bouteille de Muschenbroek' avaient fait faire de si notables progrès. Sa thèse elle-même sortait complè- tement de la ligne. Elle ne se rat- tachait à la médecine qu'indirecte- ment et par l'intermédiaire de la matière médicale, car elle roulait toute sur la botanique. Prise en elle-même . elle est en avant de la science de l'époque, soit par les observations exactes et fines dont elle est remplie , soit par les aper- çus nouveaux qu'il groupe au- tour des faits que fournit l'expé- rience. Aussi était-ce un des étu- diants favoris du naturaliste P. Camper, dont l'honorable amitié le suivit hors de la faculté grœ- nintrienne. Muni du brevet. Van Marwm ne retourna point à Delfl ; il alla s'établir à Harlem, et quel- que temps il y pratiqua. La clien- tèle ne lui manquait pas et gros- sissait: mais, il faut l'avouer, il manquait chaque jour un pni plus h la cljentèlv'. La physique, que [>eut-ètre dans les commencemenUî il n'étudiait que p<^)ur en tirer des applieations à la science de guérir, envahissait de plus en plus ses heures, ses journées, ses semaines : I attrait devint un goût, le goût une passion. Un jour vint que, soit pour utiliser deq travaux pé- cuniairement inutiles jusque-là , soit pour réhabiliter et populariser ce dont des envieux lui faisaient

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lin crime, il ouvrit un cours public (]e physique.

Le cours eut du retentissement et (le la vogue ; il décida en quel- que sorte la spécialité définitive de N'an Marwm : sa vocation était de répandre, de régulariser, de per- fectionner les idées scientifiques: le feu sacré s'éteignait en lui lors- qu'il s'agissait de battre monoto- noment monnaie à l'aide d'une science exclusive de toutes les au- tres, tant que l'exploitation durait. Il élait donc professeur, ou rap- porteur de travaux ou d'incidents scientifiques. Il eut le bonheur de rencontrer presque aussitôt ce qui pouvait le mieux cadrer avec ses aptitudes : la Société des sciences de Harlem le choisit pour secrétaire.

Mais elle-mônie, il faut l'avouer, eût la main heureuse ce jour- là; et si bientôt son nom jeta un grand éclat dans le monde savant, très-certainement c'est à son illus- tre secrétaire que revient la grosse pari de cet heureux état de choses. Aux qualités essentielles d'un se- crétaire perpétuel, c'est-à-dire à la ponctualité, à l'aménité de ma- nières, à la facilité de travail. Van .>ïarwm joignait l'activité dans le cahinet et le laboratoire, l'impulsion sur ses entours, l'esprit d'initiative, d'ordre, d'organisation et de i)er- fectionnement. Toute sa carrière depuis sa nomination au secréta- riat de la soeiété de Harlem en est la preuve. Titulaire quchpic temps après <l(»la chaire de j)h}sique, pour hupielle il avait si hrillammeut l)n)uvé (pi'il était le professeur mo- dèle, et ([uc prescjue aussitôt il put cumuler avec la direction du cabinet (le ))li}si([iie (le Ta\ler, il suflil à tout; par ses soins et par le judi- cieux emploi des sommes mises à sa disposition, il éleva cet établis-

sement à un degré de perfection et de splendeur qu'atteignent à peine les mieux rentes et les plus vastes de l'Europe. On y remarque no- tamment les gazomètres et des ma- chines électriques gigantesques. La grandeur n'est pas d'ailleurs le seul mérite que Van Marwm eût su donner aux ajipareils : d'un grand nombre de perfectionnements que lui doivent les instruments scienti- fiques, il en est trois surtout qui méritent ici mention spéciale, ce sont : 1" sa mnchine électrique, qui tient le premier rang entre toutes et que de longtemps on ne surpas- sera pas; 2" sa machine pneumatique (universellement désignée aujour- «rhui par les physiciens sous le nom de umachinede Van Marwm»); 3" son gazomètre (modification de celui de F.avoisier et dont on peut lire la description, tome VIIl, Cour- rier des Arts et Belles-Lettres.) A ces titres que présentait Van Marwm à l'estime des savants de tous les pays, ajoutons, sans pré- tendre les détailler, une nuillitude, c'est le mot, d'expériences intéies- santes et très-vnriées qui presque toutes ont pris rang dans la science ou dans la technologie; car, et c'est encore un trait (|ue le bio- graphe aurait tort de négliger, bon nombre de celles-ci sont des expli- cations dont peuvent tirer parti et Vfndustrie et la vie quotidienne. Le champ, du reste, en est très- varié, la physi(pie et la chimie, la l)olani(pie et riivdrostatique a.Muil été plus familières à rinfaîi- gable secrétaire (pie les mathé- matiques, son étude première ou la médecine sa ])iofessioii. Car il n'était pas de ces gentilshommes ipii. selon Texpressioii de l'aiil- Loiiis, a (Mit oublié toutes leiu^ ma- lhémathi(|ues » : et c'est au soin

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rait ajouter : et « d'augmenter celui des amis. » Si celte thèse est vraie , que penser de Van ^laanen? Il fit exécrer son maître. Il voulait solidifier le système mo- narchique et donner pour hase au trône de Nassau le roc , le granit ; on reconnut à la première épreuve que cotte hase était , en partie, non moins friahle que le plâtre de Paris, à peine un mois après juillet 1830, Guillaume tomba comme Charles X, et fut moins regretté. La faute n'en fut-elle qu'à ce monarque? Aveugle qui se l'imaginerait ! Van Maanen y contribua certes pour moitié, si ce n'est pour davantage. Val. P. VA^ MARWM (^Martin) , sa- vant néerlandais des plus ingénieux et des plus remarquables par la va- riété de ses connaissances, était de Deift et naquit, à ce qu'on pense, en 1750, ou très-près de cette date. Fils d'un mathématicien habile et profond, il aimonra très- jeuneencore un goût des plus vifs et d'heu- reuses dispositions pour la sci(Mice cultivée par son père, et ce d^i-nier ne les laissa pas dormir stériles. Son adolescence s'écoula entre les sinus et les tangentes, entre les logarithmes et les séries; ilintégra, et la trace en est sensible dans ses œuvres, même (juand la grande S et le 2 n'en chamarrent pas les pages. Les mathématiques pnnrlant ne devinrent point sa spécialité; son père, lorsqu'il s'agit de l'aider à se choisir uno profession, lui fil préférer la carrière médicale , et c'est avec ses vues que le jeune homme se rendit à l'académie de Grœningue. Il y suivit les cours voulus, mais d'autres encore; et d'inscription en inscription , de grade en grade, il parvint fl776) au doctorat de médecine d'une part, et de l'autre au doctorat de philo-

sophie. (On sait que ce nom , dans le vocabulaire scolastique de l'Al- lemagne, indique l'ensemble des sciences philosophiques et littérai- res. H était auteur dès cette époque ; car quelque temps avant de sou- tenir sa thèse, il avait fait im- primer un traité sur l'électricité, ({ui contenait tout ce qu'on savait alors sur cette partie delà physique à laquelle les Hollandais (témoin la bouteille de Muschenhroek) avaient fait faire de si notables progrès. Sa thèse elle-même sortait complè- tement de la ligne. Elle ne se rat- tachait à la médecine qu'indirecte- ment et par l'intermédiaire de la matière médicale, car elle roulait toute sur la botanique. Prise en elle-même , elle est en avant de la science de l'époque, soit par les observations exactes et fines dont elle est remplie , soit par les aper- çus nouveaux qu'il groupe au- tour des faits que fournit l'expé- rience. Aussi était-ce un des étu- diants favoris du naturaliste P. Camper, dont l'honorable amitié le suivit hors de la faculté grœ- ningienne. Muni du brevet. Van Marwm ne retourna point à Délit ; il alla s'établir à Harlem, et quel- que temps il y praticpia. La clien- tèle ne lui manquait pas et gros- sissait; mais, il faut l'avouer, il nianquiiit clja(|ue jour un ])eu plus à la clientèle. La physique, ([ue peut-être dans les commencements il n'éludiiiit (pie pour en lirer des applications à la science de guérir, envahissait de plus en plus ses heures, ses journées, ses semaines : l'attrait devint un goût, le goût une passion. Un jour vint que, soit pour utiliser des travaux pé- cuniairement inuliles jusque-là , soit pour réhabiliter et populariser ce dont des envieux lui faisaient

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un crime, il ouvrit un cours public de physique.

Le cours eut du retentissement et de la vogue ; il décida en quel- que sorte la spécialité définitive de Van Marwm : i?a vocation était de répandre, de régulariser, de per- fectionner les idées scientifiques: le feu sacré s'éteignait en lui lors- qu'il s'agissait de battre monolo- nemenl monnaie à l'aide d'une science exclusive de toutes les au- tres, tant que l'exploitation durait. Il était donc professeur, ou rap- porteur de travaux ou d'incidents scientifiques. 11 eut le bonheur de rencontrer presque aussitôt ce qui pouvait le mieux cadrer avec ses aptitudes : la Société des sciences de Harlem le choisit pour secrétaire.

Mais elle-même, il faut l'avouer, eût la main heureuse ce jour- là; et si bientôt son nom jeta un grand éclat dans le monde savnnt, très-certainement c'est à son illus- tre secrétaire que revient la grosse part de cet heureux état de choses. Aux qualités essentielles d'un se- crétaire perpétuel, c'est-à-dire à la ponctualité, à l'aménité de ma- nières, à la facilité de travail, Vnn Marwm joignait l'activité dans le cabinet elle laboratoire, l'impulsion sur ses entours, l'esprit d'initiative, d'ordre, d'organisation et de \icv- fectioDuement. Toute sa carrière depuis sa nomination au secréta- riat de la société do llarlem eu est la preuve. Titulain* quelque temps après delà chaire de physique, pour laquelle il avait si brilIanmiiMjt prouvé qu'il était le professeur mo- dèle, et que presque aussitôt il put cumuler avec la direction du «'abinct (le ])iiysiqu(' de Ta\l<'r, il sullil à tout; par ses soins et par le judi- cieux emploi des sommes mises à sa disposition, il éleva cet établis-

sement à un degré de perfection et de splendeur qu'atteignent à peine les mieux rentes et les plus vastes de l'Europe. On y remarque no- tamment les gazomètres et des ma- chines électriques gigantesques. La grandeur n'est pas d'ailleurs le seul mérite que Van Marwm eût su donner aux appareils : d'un grand nombre de perfectionnements que lui doivent les instruments scienti- fiques, il en est trois surtout qui méritent ici mention spéciale, ce sont : l*" sa machine électrique, qui tient le premier rang entre toutes et que de longtemps on ne surpas- sera pas; 2" sa machine pneumatique (universellement désignée aujour- d'hui par les physiciens sous le nom de « machinede Van Marw m »); 3" son gazomètre (modification de celui de Lavoisier et dont on peut lire la description, tome VIIl, Cour- rier (les Aris cl Belle s- Lettre s.) A ces titres que présentait Van Marwm à l'estime des savants de tous les pays, ajoutons, sans pré- tendre les détailler, une multitude, c'est le mot, d'expériences intéies- santes et très-variées qui presque toutes ont pris rang dans la science ou dans la technologie: car, et c'est encore un trait <pie le bio- graphe aurait tort de négliger, bon nombre de celles-ci sont des expli- cations dont [)euvent tirer parti et industrie et la vie quotidienne. Le champ, du reste, eu est très- v.'irié, la physi(pie et la chimie, la botanique et rh\drostalique [\\[\\\[ été i)lus familières à l'infaii- gable secrétaire (pie les mathé- matiques, sofi étud(» première ou la médecine sa piofession. Car il n'était pas de ces gentilshonunes qui, selon l'expression de Paul- Louis. « ont oublié toutes leui< ma- thémathi(jues » : et c'est an <m\

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qu'il eut de cultiver toujours ces notions de son adolescence qu'il dut cette connaissance étendue de la mécanique dont il fit preuve dans une discussion avec Herselin. L'Institut des Pays-Bas l'admit parmi ses membres, et plusieurs sociétés nationales et étrangères s'empressèrent de se l'associer. Trois fois il avait remporté le prix de pliysique à la société de Rotter- dam. (Voy. plus bas.) Ne pouvant donner ici la liste complète de ses notes, observations et communica- tions, son Courrier des Arts et Bel- les-Lettres de Harlem, liste qu'il faudrait copier sur la table des matières de ce recueil, nous nous contenterons de signaler ici les cinq ouvrages suivants, lesquels sont tous non-seulement de plus longue haleine, mais aussi de plus haute importance. I. Traité de l'é- lectricité, Grœningue, J776, in-8» (nous l'avons caractérisé plus haut). II. Mémoire sur l'électricité, couronné par la Société balave pour la philosophi(3 exjiérimentale de Rotterdam (et inséré dans le tome VI des œuvres de cette Société, 1781). III. Second mémoire sur l'é- leclricit'^, également couronné par la même Société, également in- séré dans son tome VI, mais en 17îi3, en société avec Paels Van Twostwyck, que nous allons re- trouver son collaborateur pour l'ouvrage suivant. IV. Sur la nature des ejchalaisons nuisibles des ma- rais, lieux d'aisance, hôpitaux, mi- nes, etc., et sur les moyens de les corriger et de secourir les personnes qui en sont atteintes (tome VUl, i7^!7, des œuvres de la Société plus haut nommée, qui cette fois encore couronna les deux auteurs). V. Lettre à M. Voila sur la colonne électrique (en France) , Harlem

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1801, traduite depuis et par lui- même en hollandais. Val. P.

VAN MUSSCHEll (Michel), peintre, à Rotterdam en 1645, fut successivement élève de Martin Zuagmoolen, d'Abraham Van Tem- pel, de Gabriel Metzu et d'Adrien Van Ostade. S'il n'adopta exclusi- vement la manière d'aucun de ces habiles maîtres, il prit de ch.icun d'eux quelques-unes de leurs qua- lités éminentes, et produisi-t des ouvrages remarquables ])ar l'ex- cellence de la couleur, la délica- tesse du pinceau, le fini et le pré- cieux de l'exécution , que l'on met au rang des meilleures pro- ductions des Mieris, des Metzu, des Jean Steen, etc. Avant de se con- sacrer exclusivement à ce genre, il cultiva d'abord le portrait et y excella par la vérité de la ressem- blance, qu'il savait concilier avec un peu de flatterie, et par la beauté, la force et l'éclat du coloris. La nature était sans cesse le modèle qu'il étudiait avec le plus d'assi- duité. On cite comme son chef- d'œuvre le tableau de famille il s'est peint, lui, sa fenune et ses en- fants. Ce n'est pas par l'ordon- nance ([ue brille cet ouvrage; le dessin même manque de correction; mais il est d'une vérité si frap- pante, le coloris en est d'une si giandc fraîcheur, que ces qualités rachètent bien tous les défauts (pi'unc critique sévère peut lui re- procher. A peine pouvait-il suffire à tous les travaux qui lui étaient demandés et (ju'on lui payait fort cher. La fortune (ju'il amassa par ses ouvrages lui servit à donner à ses enfants une excellente éduca- tion et à leur procuier une exis- tence indépendante après sa mort, qui arriva k Amsterdam le 40 juin 1705. P.-S,

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VAiV Nî'^K (Jacqi'Es-Corneille) , un des Ijoiiimes do mer auxquels la Hollande a lu naissance de son riche commerce et de ses colonies en Orient, se distingrue du grand nombre de ceux qui méritent part de cette louange , d'un côté comme successeur immédiat de lloutman, en d'autres termes comme le premier de sa nation après llout- man, qui se soit montré dans les mers de la Malaisie, de l'autre romme ayant à deux reprises diffé- rentes promené la bannière des Provinces-Unies dans ces parages lointains. Le ])remier de ces voya- ges se réfère aux années 1598 et 1599, il n'excf'da ])as quatorze mois; liMleuxièmedura un peu plus de quatre ans (de IGOO à 1004). ï/un et l'autre j>résentent (jnelcpies traitsdignes d'être relevés, l'endant le premier, il était à la, tète de huit navires, ipii, tantôt par suite de temj)ètes, tan loi d'après des consé- ([uences du moment et pour varier les résultats ou faciliter les excur- sions, formèrent (huixliotlilIcN, dont l'une, coi!q)lant le plus grand nom- i)re de bâtiments , avait [)our chef le capitaine de YAmsfcrdam, \\\y- biand van Warwick. Ce derni(;r, ayant été poussé par l'orage sur Madagascar, aperçut , après avoir doublé le cap Sainl-.Iulien, uni; île à peu près inexplorée h cette épo- (|ue et si fameuse depuis sous le nom d'lle-d('-l''rance. Les Portugais seuls l'avaient signalée et s'étaient liâtes d(î baptiser (l<Tné, celle terre lointaine, (pi'un navire par- lant de l'Algarve, atteint à peine au bout de 1,600 kilomètres de marche; ils ne s'étaient pas don- ne la peine d'exaniiner s'il s'y trouvait des habita nts. Van War- wick constata (pi't'lle était dé- serte, lui donna en l'honneur du

prince d'Orange ou du vaisseau (|ue montait Van Neck le nom de Maurice, (jue j)lus tard remplaça celui que les Français ainienl à lui donner, et que les Anglais au- jourd'hui ses ])ossesseurs lui main- tiennent officiellement. Pour Van Nek, il atteignit Bantam avec ses trois navires un mois avant la se- conde section de la flotte, mais il en trouva toute la population, ainsi (jue le roi, violemment irrités des excès auxquels s'étaient portés les compagnons de lloutman et déter- minés à repousser toute relation conunerciale ou autre avec les Hol- landais. II ne désespéra ])as , bien que voyant à (piel point les esprits étaient tendus et (jucls j)érils l'on eût courus si l'on eut été moins fort. Il avait un pilote goudjerale (du nom d'Abdoul), grand aventurier, estropiant les jargons malais et fort délié : c'est lui (pi'il envoya d'abord ti terre pour en |)réparer les voies. Ensuite vinrent des j)ré- senls au roi, aux notables. Les en- voyés qui les présentèrent eiuvnt la permission de revenir, déployant les |)atentes des Ktals-(iénéraux et du |)iince Maurice, et les velours, les hanaps, les miroirs dorés, ai- dant, parvinrent à faire com|)ren- dre il ceux cpii les écoutaient les mains pleines et dont la foide n'a- vait qu'à prendre les ordres, (ju'en- tTt\ les projets de Houlman et ceux de Van Nek, il n'existait nulle pa- rité, que ce dernier tenait ses cais- ses largiMiient chargées pour enri- chir le peuple (.'lia \ille de iianlam, en même tem|)s, soit |»our allécher |)ar l'appAt d'un vaste gain, soit |)our enq)ècher qu'il ne jirit envie d'un guet-apens 8ur un écpiipage peu consideiable , Van Nek faisait sonner bien haut la très-prochain».' arrivée des cinq navires qui com-

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qu'il eut de cultiver toujours ces notious de son adolescence qu'il dut cette connaissance étendue de la mécanique dont il fit preuve dans une discussion avec Hcrselin. L'Institut des Pays-Bas l'admit parmi ses membres, et plusieurs sociétés nationales et étrangères s'empressèrent de se l'associer. Trois fois il avait rem|)orté le prix de physique à la société de Rotter- dam. (Voy. plus bas.) Ne pouvant donner ici la liste complète de ses notes, observations et communica- tions, son Courrier des Arts et Bel- les-Lettres de Harlem, liste qu'il faudrait copier sur la table des matières de ce recueil, nous nous contenterons de signaler ici les cinq ouvrages suivants, lesquels sont tous non-seulement de plus longue haleine, mais aussi de plus haute importance. I. Traité de l'é- lectricité, Grœningue, n76, in-8° (nous l'avons caractérisé plus haut). II. Mémoire sur l'élcctricitéy couronné par la Société batave pour la philo.sophi(3 expérimentale de Rotterdam (et inséré dans le tomo \l des œuvres de cette Société, 1781). III. Second mémoire sur l'é- lectricité, également couroimé par la même Société, également in- séré dans son tome VI, mais en 1793, en société avec Paets Van Twostwyck, que nous allons re- trouver son collaborateur pour l'ouvrage suivant. \\ .Surla nature des exhalaisons nuisibles des ma- rais, lieux d aisance, hù]ntaux, mi- nes, etc., et sur tes moyens de tes corriger et de secourir les personnes qui en sont atteintes (tome VIII, Ï7^7, des œuvres de la Société plus haut nommée, qui cette fois encore couronna les deux auteurs). V. Lettre à M. \olla sur la colonne électrique (en France) , Harleru

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1801, traduite depuis et par lui- même en hollandais. Val. P.

VAN MUSSCHER (Michel), peintre, à Rotterdam en 1645, fut successivement élève de Martin Zuagmoolen, d'Abraham Van Tem- pel, de Gabriel Metzu et d'Adrien Van Ostade. S'il n'adopta exclusi- vement la manière d'aucun de ces habiles maîtres, il prit de chacun d'eux quelques-unes de leurs qua- lités éminentes, et produis!.! des ouvrages remarquables par l'ex- cellence de la couleur, la délica- tesse du pinceau, le fini et le pré- cieux de l'exécution , que l'on met au rang des meilleures pro- ductions des Mieris, des Metzu, des Jean Steen, etc. Avant de se con- sacrer exclusivement à ce genre, il cultiva d'abord le portrait et y excella par la vérité de la ressem- blance, qu'il savait concilier avec un peu de flatterie, etpar la beauté, la force et l'éclat du coloris. La nature était sans cesse le modèle qu'il étudiait avec le plus d'assi- duité. On cite comme son chef- d'œuvre le tableau de famille il s'est peint, lui, sa fenuuect ses en- fants. Ce n'est pas par l'ordon- nance (jue brille cet ouvrage; le dessin même manque de correction; mais il est d'une vérité si frap- pante, le coloris en est d'une si glande fraîcheur, que ces qualités rachètent bien tous les défauts (pi'uiK^ ci-ili(iue sévère peut lui re- procher. A peine pouvait-il suffire à tous les travaux qui lui étaient demandés et cpj'on lui |)ayait fort cher. La fortune qu'il amassa par ses ouvrages lui servit à doimer à ses enfants une excellente éduca- tion et à leur procurer une exis- tence indépendante après sa mort, (jui arriva à Amsterdam le 40 juin 1705. P. -S,

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VA>' NKK (Jacques-Corneille) , un des liommes de mer auxquels la Hollande a la naissance de son riche commerce et de ses colonies en Orient, se distingue du grand nombre de ceux qui méritent part de cette louange , d'un côté comme successeur immédiat de Houtman, en d'autres termes comme le premier de sa nation après Hout- man, qui se soit montré dans les mers (le la ]Malaisie, de l'autre comme ayant à deux reprises dififé- rentes promené la bannière des Provinces-Unies dans ces parages lointains. Le premier de ces voya- ges se réfère aux années 1598 et io99, il n'excéda pas quatorze mois; le deuxième dura un peuplas de quatre ans (de IGOO à 1G04). L'un et l'autre yjrésentent quelques traits dignes d'être relevés, l^endant le premier, il était à la. tète de huit navires, qui, tantôt par suite de tempêtes, tantôt d'après des consé- quences du moment et pour varier les résultats ou faciliter les excur- sions, formèrent deux liotlille>, dont l'une, conq)tant le plus gi-and nom- bre de bùliments , avait pour chef 1»; capitaine de Y Amsterdam, Wy- i)iai)(l van Warwick. Ce dernier, ayant été poussé par l'orage sur Madagascar, aperçut , après avoir doublé le cap Sainl-.lulien, une île à peu près inexplorée à cette épo- (jue et si fameuse depuis sous le nom d'Ilo-di'-France. Les Portugais seuls l'avaient signalée et s'étaient liâtes d(; bai)tiser Cerné, cette terres lointaine, (pj'un navire par- tant de l'Algarve, atteint à peine au bout de 1,600 kilomètres de marche; ils ne .-i'élaieiit pas don- né la peine d'examiner s'il s'y trouvait des habita iits. Van War- wick constata qu'elle était dé- serte, lui donna en l'honneur du

prince d'Orange ou du vaisseau que montait Van Neck le nom de Maurice, que plus tard remplaça celui que les Français aiment à lui donner, et que les Anglais au- jourd'hui ses possesseurs lui main- tiennent officiellement. Pour Van Nek, il atteignit Bantam avec ses trois navires un mois avant la se- conde section de la flotte, mais il en trouva toute la population, ainsi que le roi, violemment irrités des excès auxquels s'étaient portés les compagnons de Houtman et déter- minés à repousser toute relation commerciale ou autre avec les Hol- landais. 11 ne désespéra pas, bien que voyant à quel point les esprits étaient tendus et quels ])crils l'on eût courus si l'on eût été moins fort. Il avait un pilote goudjerate (du nom d'Abdoul), grand aventurier, estropiant les jargons malais et fort délié : c'est lui qu'il envoya d'abord à terre pour en préparer les voies. Ensuite vinrent des pré- sents au roi, aux notables. Les en- voyés qui les présentèrent eurent la permission de revenir, déployant les patentes des États-Généraux et du prince Maurice, et les velours, les hanaps, les miroirs dorés, ai- dant, parvinrent à faire compren- dre à ceux {\v\\ les écoutaient les mains pleines et dont la foule n'a- vait qu'à prendre les ordres, qu'en- tre les projets de Houiman et ceux de Van Nek, il n'existait nulle pa- rité, que ce dernier tenait ses cais- ses largement chargées pour enri- chir le |)eupleetla \ille de Banlam, en même temps, soit [lour allécher l)ar l'appit dun vaste gain, soit l)our enq>ècher qu'il ne prit envie d'un guet-apens sur un écpiipage peu considérable, Van Nek faisait soimer bien haut la très-prochaine arrivée des cinq navires qui com-

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plétaienl pour lui le nombre de huit et que montaient de cinq à six cents hommes, dont probablement il ne se faisait pas de scrupule de doubler ou de tripler le nombre. De tous ces colloques très-activement suivis, mais chaque jour un peu moins hostiles, surfrit ])armi les gagne- petit de Banlam, la soif d'un tra- lic léonin avec les nouveaux venus : la demande abondant sur la {)lace, les prix de leuis poivres et autres denrées se tendirent, mais décidé- ment ils avaient au moins autant le désir de vendre que les hollandais celui d'acheter. Tel était le grand but de Van Nek : il avait dès lors iragné sa cause, et une cause qui pouvait sembler désespérée. Nous laissons de côté les incidents ul- térieurs et très-secondaires du voyage, nous bornant à rappeler que l'aller et le retour de Van Nek lui- même neprirentquede13 à 1 imois, et nous nous hâtons de passer au second. Il n'eumienait celte fois que f-îix navires. Ne trouvant que peu de poivre à Bantam, apiès avoir chargé un de ses bâtiments, le Delf\ qu'il liliepartir immédiatement pour la Iloil.'inde. et comme en doOS, il crut bon de séparer ses forces en deux moiliés, se réservant les tiois meilleurs \oiliers avec lesquels, en f'tïét il toucha le premier Java.

Il mit le cap sur les îles 3IoIu- ques, déjà lors du piécédenl voyace, mais après son départ, la division VN'arwick avait inauguré les relations commerciales. Elles se re- nouèrent plus actives que jamais à la mutuelk; satisfaction des indigè- nes et de leurs botes, en dépit des calomnies qu'accimuilait sur leur compte la jalousie des Portugais. Im- piété, piraterie, inceste, tels étaient les chefs d'accusation prodigués contre eux. Le roi de Temate vou-

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lut assister à leurs cérémonies reli- gieuses sur leur navire : il en fut édifié ; il tint à honneur d'y faire pour eux en personne la police pendant l'office divin. Les hos- tilités ayant éclaté entre les deux peuples, il voulut être le témoin du combat naval que bientôt ils se li- vrèrent; mais sa propension en fa- veur des Hollandais ne fut ni dissi- mulée, ni jouée. Deux voiles portu- gaises, dont l'apparition eût ]m décider un désastre des Hollandais, étaient venues à poindre à l'hori- zon ; il en avertit immédiatement Van Nek le priant, l'adjurant pour l'amour de lui d'opérer sa retraite. Van Nek avait eu la main em- portée pendant l'action, mais con- tinuait à commander, comme s'il ne s'apercevait pas de sa blessure. Ayant ainsi jeté les bases d'une en- tente cordiaki et durable entre les peuplades de ce fertile archipel et ses compatriotes, il remit à la voile, et après une excursion dont l'unique fruit pour le moment fui de familiariser les Hollandais avec les mers qui baignent le sud de la Chine et de leur faire de loin entre- voir Makao.il visita le royaume de Patane (tributaire du makarao de Siam) et sa capitale où, malgré les Portugais et les Siamois qui s'en- tendirent pour lui susciter mille entraves, il parvint à fonder un comptoir, et partit comblé de mar- ques d'estime par la reine qui gouvernail presque souverainement ce pays. Sa traversée, pour revenir en Europe, fut une série de tribu- lations aflreuses. De 122 hommes (jui formaienll'équipage de son na- vire, 20 à peine étaient valirles lorsqu'il atteignit Sainte-Hélène, quelques semaines de séjour lui furent indispensables pour remet- tre sur pied son monde. Mais à

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peine la ligue eut-elle été repassée que les symptômes fâcheux repa- rurent. L'état hygiénique de l'uni- que bâtiment qu'il ramenait était encore plus triste. Aussi ne vint-il qu'après avoir encore fait relâche {k Portiand}, opérer son débarque- ment définitif en Zélande. Heureu- sement les trois voiles, seconde di- vision de sa flotte, abordèrent six semaines après auTexelplus légères de quelque cinquante hommes, dont trente-trois massacrésd'un coup sur les côtes de Camboje, par l'impru- dence des officiers et de l'équipage, mais pouvant montrer de très-riches cargaisons : deux autres navires d'ailleurs les accompagnaient dont les lucratives aventures jetaient sur elles certain prestige, vu qu'ils ve- naient porteurs d'opulentes dépouil- les enlevées en mer à des jonques, tartanes ou caravelles portugaises. Somme toute, donc, et par ce qu'il avait fait lui-môme et par le succès de ceux mêmes que, depuis An- nobon, il n'avait pas conduits, et par le contraste des fautes commises à bord de ceux-ci et des sages me- sures par lesquelles il avait toujours amendé ses tristes chances, il est visible que tant au point de vue des intérêts immédiats qu'à celui non moins essentiel de l'avenir, ce deu- xième voyage fut plus encore que le premier un des événements capi- taux do l'époque pour le commerce néerlandais. Val P.

VA>'>ÎI (^Charles , un de ces aventuriers politicjues dont l'his- toire ne daignerait pas enregis- trer le nom sans leur lin tragi- que et sans l'éloquente et sévère leçon morale qu'elle impli(jiie, n'ap- jiarlenait sans doute pas plus»MM?c ([u'à Sienne, en dépit de sod homo- nymie avec les ([ualre célèbres peintres, et semble bien en tout eus

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être d'une famille depuis long- temps établie dans le royaume de Naples, qu'elle en ait ou non été originaire. Nous présumons qu'il naquit vers 1744. A peu près dé- pourvu de fortune, il ne vit pour se pousser que la science de la chi- cane : il a[)prit la procédure et en général tout ce qu'il faut pour don- ner de par la loi échec au droit ; il devint avocat, fermant la porte à qui n'avait pour lui que la bonne cause, fût-ce veuve ou orphelin, et prêt à l'ouvrir à deux battants a tout» Birbanle, » à tout gibier de justice qui viendraitàlui, le dossier bourré de sequins, florins, carlins, piastres ou quadruples. 3Iais la place |)Our lui n'était rien moins que giboyeuse. Dépité, famélique, pénétré du principe qu'il faut avoir plusieurs cordes à son arc, en at- tendant que Thémis lui devînt fa- vorable, il passa de son service à celui de la police. Les Narcisses du gouvernement napolitain, à cette époque, s'étaient pris de furieuse haine pour les fiancs-maeons , qu'ils ([ualifiaient de démolisseurs, d'ennemis du catholicisme, de dé- trôneurs de tous les rois d'abord, puis du meilleur des rois ^traduc- tion officielle, de Sa Gracieuse Majesté Ferdinand IV ; traduction libre, du plus parfait desministres, de Son Excellence Acton). X'altri- bD«ns pas à notre siècle de progrès l'invention de l'agent provocateur: nous prouverions, l'hisloiie à la main, (ju'il existait dès le siècle de Tibère ;mais, sans remonter si haut nous pouvons le montrer florissant en la personne de Vanni. Fécond en palabres retentissantes et sin- ge.inllepalriotisme,il «envisciuail à la glu de son enthousiasme fac- tice de pauvres jiîunes gens qu'en- suite il faisait prendre dans une

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loge de francs-maçons : preuve de complot, s'écriaient les sbires, irrand délit incontestable. Tel fat notam- ment le guet-apens de Capodi- monte (en 1778}, qui plongea dans la désolation nombre de familles honorables, tandis que l'auteur de leurs maux venait pour prix de ses trames perfides siéger parmi les magistrats. Sa place, il est vrai, ue pouvait passer pour une place d'honneur : juge instructeur, il n'était en réalité qu'un inquisiteur et l'âme damnée d'Acton et de la reine Caroline. C'était ainsi que tous le regardaient, même dans cette cour corrompue et vendue. Mais c'était aux yeux de celui qui na- guère était un avocat sans cause un sort enviable et doux. Outre les émargements, il encaissait un assez joli casuel des victimes, qui pour mitiger les sévérités de la sentence se décidaient à bourse délier, et de plus il avait le plaisir de savourer les grimaces de ceux-ci, les terreurs et les tortures de ceux-là. On peut dire que tout lui venait à souliait :

Son bien premièrement, cl puis In mal d'aulrui.

On fut indigné surtout de l'é- trange procédure qu'il se plut à conduire contre le mélencontreux prince de Tarsia. Ce grand sei- gneur, grand-officierde la couronne, avait élé préposé par un caprice de Ferdinand IV à sa fabi-ique de soieries de San-Leucio. lient le mal- heur de déplaire à la camarilla, ou pour parler plus exactement sa si- nécuie vint à plaire, à nous ne sa- vons (jui des maîlros ou valets de la camarilla. Vile des soupçons de malversation coururent, in-ossirent, pesèrent sur le i)rincc; on bâcla un croquis d'accusation ; Vanni fut chaj'gé d'examiner la comptabilité de Tex-di recteur. Les formes acer-

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bes et insolentes dont il fit parade alors n'annonçaient que trop de quelle équité serait le jugement.

Laudauliir corvi, vexai censura columbas.

Des employés subalternes, dont les friponneries n'étaient un mystère pour personne, mais qui les uns avaient servi comme espions par le passé, les autres gagnaient leurs éperons en servant comme faux témoins contre leur ex-chef, aux genoux duquel ils étaient six mois avant le procès, échappèrent, blancs comme neige selon Vanni, gardèrent leurs vols et sortirent ri- ches de la salle d'audience ; l'Ex- cellence, qui n'avait eu guère d'autre tort que de se mêler de ce qu'elle n'entendait pas et de n'avoir eu ni vigilance, ni fermeté à temps, resta le bouc émissaire et fut à peu près ruinée, car le jugement la déclara i-esponsable de toutes les dilapida- tions,... heureuse encore d'en (Mre quitte pour des pei-tes pécuniaires et pour les rigueurs d'une séques- tration préventive, rigueurs pous- sées si loin pourtant que l'instruc- teur fut nommé « le bourreau plutôt que le juge » du prince de Tarsia ! Cet exploit et d'autres de même genre, quoique moins reten- tissants, recommandèrent tellement Vanni au couple semi-royal (nous voulons dire le transfuge français et rAutrichicnne) , qu'il fut cboisi pour présider ( i79o) la « junte de sang, » en style officiel « junte d'État, » chargée d'enquérir et de sévir contre tous ceux qu'on soup- çonnait de pencher d'intelligence ou de cœur vers la révolution ou vers la France. Grâce aux extrava- gances et aux énonnités du gou- vernement, le nombre en était grand et dans la classe moyenne et parmi les sommités sociales. Il y

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avait donc de beaux coups à faire. Ils étaient trois commissai- res, on peut dire trois limiers, pour rabattre et traquer le gibier. Le héros de Capodimonte fut le plus ardent, et le plus féroce, sinon le plus rapace des trois, non pas qu'il ait fait le Cincinnatus: il y eut, pen- dant les 4 ans que dura ce terroris- me, quelque chose de pis que la cruauté, ce fut le progrès de l'hy- pocrisie, du servilisrae et de l'es- prit de dénonciation : la peur d'une part, de l'autre les primes offertes en appât à la trahison vulgaii- saient les infamies, et on peut le dire, 99 pour 100 de la population de Xaples étaient espions et espion- nés. Le reste du royaume, di quà e di del Faro, suivait de près ou de loin, mais enfin suivait. Il fallut pour mettre un terme à ces excès et à ces hontes, l'approche des Français. Championnet n'avait en- core que franchi le Garigliano que le gouvernement, à la veille d'être expulsé par l'émeute, tardive tra- duction de la haine générale, adres- sait h la junte d'État et des admo- nestations mêlées de hh\me et des instructions nouvelles. Les deux collègues de Vanni déclinèrent la responsabilité de leurs actes et re- jetèrent sur Vanni toutes les cruau- tés gratuites et tous les abus de pouvoir. Il essaya bien de fciirc tète à l'orage et tenta, nous ne di- rons pas une apologie, mais quel- ques démarches afin de ne pas seul payer pour tous. Mais on l'écoula comme il écoutait les accusés : ceux mêmes qui l'avaient positivement mis en jeu lui refusèrent audience. Bientôt il reçut sa destitution, puis un ordre d'exil. Soit donc, puisque les Français allaiententrer, (tuisque, même toléré par eux dans Naplcs, il n'était pas sûr de la vie en une

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ville tant de voix lui redeman- daient un père, un frère, un fils, un mari et le stylet était encore assez de mode. Mais Acton et la reine ne pouvaient-ils donner asile à leur fidèle agent à bord de la lloltequi les emmenait en Sicile? Il présenta une demande formelle à cet etiét. La réponse, non moins formelle, fut négative. Ainsi rebuté de tout côté, jeté à la mer par tout le monde, repoussé comme un pesti- féré, il prit du moins sa résolution en vi€;il enfant de l'Italie païenne, et tout aussi mauvais chrétien après qu'avant, aimant mieux abandon- ner que traîner sa vie, trouvant royal de périr de sa main, ju- geant abject d'attendre soit un assassin, soit le bourreau, il traça d'une main fébrile et ferme, ce peu de mots: « L'ingratitude d'une cour i)erfide, l'approche d'un enne- mi redoutable, le manque d'asile m'ont porté à me délivrer d'une vie qui m'est à charge. Qu'on n'accuse personne de ce crime. Puisse ma mort servir d'exemple aux autres inquisiteurs et leur ap- prendre à être sages! Sorrenle, 18 janvier 1799. » Et quelques heures plus tard on trouvait dans une petite maison de la patrie du Tasse ce billet et son cadavre. Val. P.

VAIN.NOZ (Philippine di: Si- VM', madame de ) , poêle, meird)re de l'Académie des Arcades de Rome de cclh' de Goritz, en Frioul. d de l'Acatlémic de Lyon, naquit en juil- let 177'*) à NancN, son père, M. deSivry, président du i)arlemenl de Lorraine, secrétaire jierprliu'i de l'A- cademie de cette ville, occupait un rang distingué par sa naissaïuv et son savoir, et jouissait de l'eslinie I)articulièrc du roi Stanislas.

Issue d'une famille l'esprit et

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les talents étaient héréditaires, ma- dame de Vamioz montra, dès sa plus tendre jeunesse, qu'elle était appelée à prendre une large part dans ce glorieux héritage. Encore tout enfant, la ])etite Philippine montrait une mtelligence qui devait faire pressentir ce qu'elle serait un jour. Ce qu'on observait d'aussi bonne heure en elle, ce n'était pas seulement une compréhension ra- pide, des traits heureux, des expres- sions originales, en un mot, l'esprit desSivry; c'était aussi l'instinctpas- sionné du heau et celte j)uissanle faculté d'admirer, précurseur de celle de produire.

François de Neufchàtcau, lisant un jour devant elle sa traduction de l' A- rioste, remarqua avec étonnement la manière attentivedontl'enfant écou- tait sa poésie, et jugea, d'après r impression ({ue paraissaient faire bur elle les beautés de certains pas- sages, qu'un jour elle serait poëte. Il le lui dit en quelques jolis vers, et la Corinne de six ans ne tarda pas à accomplir la piédiclion. En elïet, des inspirations poétiques se mani- festèrent bientôt en elle, et on la vit composer, lorsqu'il peine encore elle savait écrire ce que lui dictait son imagination.

Une telle précocité tenait du pro- dige et causait autant de surprise (pjc d'admiration à ceux qui en riaient témoins. Celle adniiralion n'eut plus de bornes, lorsqu'amenée à Paris, on \it celle nmse en bas âge (elle a\ail à peine huit ans} .se produire dans les brillants salons (jue remplissaient les grands esprits de l'époque, et y faire entendre ses compositions. Rien de semblable n'y avait jamais appaiu et ne s'y nion- Iradepuis. De nombreux madrigaux lui furent adressés, et les charman- tes réponses qu'elle y fit ont été con-

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servées connue un modèle de grâce et d'esprit.

Tout ce qu'il y avait alors d'hom- mes remarquables ]jar leur mérite, et le nombre en était grand, émer- veillés de la justesse des observa- tions de cette petite fdle, de la viva- cité de ses reparties et de ses bril- lantes inspirations, s'empressèrent autour d'elle et lui offrirent mille témoignages de leur satisfaction. Delille lui lit hommage de ses Jar- dins, et Roucher de son poëme des Mois; Marmontel, Sedaine, Palissot, Lemierre, mesdames du Bourdic et du Bocage, le duc de Nivernais, le comte de Tressan,etc., se montrè- l'cnt enthousiastes de la petite de Sivry. La Harpe surtout fut frappé de ce phénomène, et il inséra dans le Mercure des vers fort remarqua- bles qu'elle venait de lui adresser. Il les a réimprimés dans sa Corres- pondance russe à côté de petites l)ièces*de vers qu'il lui avait lui- mônie adressées ; ce qui pourrait passer pour un acte de modestie de la part du Quinlilien moderne, car la comparaison n'est pa&à son avan- tage.

Elnfinlecélèbre sculpteur Houdon, voulant payer aussi son tribut àcette merveille, exécuta son buste en mar- bre, ([u'il exposa au salon trois ans après.

S<'s succès ne furent pas moins grands auprès d'un autre aréopage : elle avait IVappé d'étonnement d'A- lemberl; (.'l, chez madame Necker, le baron de Grimm et les philoso- phes habitués de l'hôtel d'Holbach partagèrent cette admiration. M. Necker poussa plus loin que les au- tres cet enivrementgénéral: pendant des heures entières, il se promenait avec Philippine dans le parc de St- Ouen, la mettait sur des sujets pro- fods et se plaisait à voir jusqu'où

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pouvait aller en métaphysique une tête (le neuf ans. L'intérêt que lui inspirait cette enfant extraordinaire était devenu chez lui une véritable atlection paternelle ; ce qui explique le mot aimable de madame de Staél lorsque, vingt ans après, à Goppet, montrant madame de Vannoz à Benjamin Constant : « Vous voyez. monsieur, lui dit-elle, la seule femme dont j'aie jamais été jalouse. »

Enfin, la petite Lorraine était de- venue l'idole du jour. Sa réputation parvint à la Cour ; on en parla en termes si élogieux devant la Reine, que celle-ci témoigna le désir de la connaître et demanda qu'elle lui fût présentée. Mais l'éclat de cette dis- tinction ayant donné lieu à une es- pèce d'intrigue, M. et madame de Sivry déclinèrent l'honneur de cette présentation et ramenèrent leur fille ù Nancy.

De retour dans sa ville natale, la jeune de Sivry n'y trouva pas cet engouement dont elle avait été l'ob- jet à Paris et à Versailles, La ])ro- vince, et surtout la province vous avez reçu le jour, est généralement moins portée que la c<ipitale, quel que soit votre mérite, à en admettre la sui)ériorité et à le combler d'élo- ges; on l'a dit il y a longtemps : « Nul nest prophète en son pays. »

La réalité de ce talent poétique si vanté trouva des incrédules : et, chez madame la duchesse de Bran- cas, ùFleviile, des femmes énoncè- rent des doutes l\ ce sujet. Il fallut qu'une épreuve soudaine, faite en présence de quchiues hommes (le mérite, au nombn^ descjuels se trouvait Ccrutti, vengeât la jeune accusée du soupçon de charlata- nisme. La suite démontia à quel jtoint la ré])utation ( olossale de ce talent si précoce était méritée. A mesure que mademoiselle ilc

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Sivry avançait en âge, l'amour de l'étude se développait de plus en plus en elle^, elle embrassait tout, et tout avec succès. A la connaissance des langues vivantes, assez rare à l'époque dont nous parlons, elle vou- lut joindre celle du grec, que fit naî- tre son amour pour Homère ; et, comme on n'avait alors que des dic- tionnaires avec interprétation latine, elle ne put se dispenser d'apprendre la latin. Mais il n'y avait pas de quoi l'effrayer : elle se souvint d'ail- leurs que La Harpe l'avait exific d'elle.

Ces études sérieuses n'excluaient pas chez elle le goût des arts : la musique et la danse occupaient ses loisirs; et tandis que les sciences historiques et naturelles venaient meubler, sans confusion, sa prodi- gieuse mémoire, déjà des romans épistolaires, des épîtres en vers, des pastorales, voire môme des pièces de théâtre multii)iiaient les preuves de sa féconde imagination. Encore ado- lescente, elle reparut à Paris ; et une comédie en vers qu'elle lut dans une réunion d'auteurs, lui valut d' una- nimes applaudissements. Un drame 1\ riijue. Cahjiiso, lui ouvrit à ([uinze ans les portes de l'Académie des Ar- cades.

« Ce que j'avais de remarquable « alors, dit quelque part madame Hycle N'annoz, c'était la faculté de (f me juger. Toutes les louanges ({ dont me comblait une politesse V exagérée, ne m'enqKVhaienI ])as '< de mesurer la distance qui mesc- « parait des modèles. Seulement (' mes espérances ne connaissaient « pas de bornes: j'avais l'idée d'un « perfectionnement infini. Modeste, « (piant au présent, j'étais orgueil- a leuseen avenir, croyant voir dan. << la vie assez de temps et de force « pour tout api>rendrc; cl c'est

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« une des illusions que j'ai le plus « regrettées. »

Ilélas! tôt ou tard les réalités de l'evislencc auraient détrompé ma- demoiselle de Siviy et terni devant ses yeux ce prisme séduisant! Nos orages poliliqucs le brisèi'cnt.

En un moment tout avait changé : le spectacle de la persécuiion des gens de bien, la dispersion des amis de sa famille, les peines de l'exil, la mort d'une sœur et d'un père qu'elle adorait furent le douloureux complément de son instruction posi- tive. Atteinte d'un cruel désenchan- tement, elle ne put de longtemps re- trouver l'inspiration littéraire. La seule étude qui lui convînt encore était celle des mathématiques, dont les difficultés absorbaient sa pensée et l'aidaient à s'étourdir. Enlin, jikis calme et de retour aux foyers domes- tiques, l'exemple et les incitations d'ilofTnian , que Nancy possédait alors, la ramenèrent peu à ])eu à sa première inclination et bientôt h Pa- ris, où sa mère lui fit faire un nou- veau voyage, elle retrouva la vie in- tellectuelle dans lesencouragements de Marmontel, dans les conseils de Clément l'Aristariiue et dans la fré(iuentalion de deux hommes ver- tueux, dignes de la comprendre, Camille Jordan et de Gerando. Ainsi runimée par l<! feu des beaux-arts et de l'amilic, la jeune muse reprit donc sa lyre et commença, sous les bosquets de Hémicourt, des chants fortement médites; mais l'âge était venu des devoirs d'une autre nature devaient réclamer son temps et SCS stjins; mariée, en 1802, à M. deVannoz et devenue mère un an après, les occupations d'un mé- nage et bientôt l'éducation de ses enfants, à laquelle elle s'adonna, l'empêchèrent d'apporter à ser, tra- vaux littéraires cette parfaite li-

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berté d'âme et de pensée, celle plénitude de verve qui en sont ie premier besoin. Toutefois, mal- gré ces diverses occupations. Ou- tre des élégies et des poésies fu- gitives en assez grand nombre, deux ouvrages marquants sortirent de sa plume. Elle voulait les sous- traire à la publicité; mais, grâce à de vives instances qui réussirent à vaincre sa répugnaiice, ces œuvres virent le jour et justifièrent les no- bles espérances qu'avaient fait naî- tre les débuts de cette femme ex- traordinaire. Eloquente et sublime dans la première de ces deux com- positions, gracieuse et fine dans la seconde, par l'une elle fait devi- ner son cœur, et par l'autre son esprit; on voit que nous voulons parler de la Profanation des tom- beaux de Saint- Denis, poëme élé- giaque qui, lors de sa publication (1806), excita Fadmiralion générale et l'emporta de beaucoup sur les divers morceaux essayés sur le même sujet, et de la Conversation, Cfjde facile et judicieux dont les quatre chants, sous le litre modeste d'éiûlres, composent un véritable poëme qui n'a rien de commun, sous le rap[)ort de la forme, avec celui de Delille. Le hasard avait déjà fait , plusieurs années au- paravant, que madame de Van- noz se rencontrât avec l'abbé De- lille dans une même entreprise, (celle de traduire en vers français le Paradis yerdu); mais dès qu'elle eut connaissance de ce concours imprévu, elle renonça sans hésilei" à un travail dont bien d'autres à sa place n'eussent pas fait ainsi l'abandon. Outre les deux ouvrages dont nous venons de parler, ma- dame de Vaiuioz publia diverses poésies fugitives contenues dans un seul volume in-8", et au nombre

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desquelles figure une élégie remai- ble sur le 21 janvier. La Biographie universelle contient d'elle plusieurs articles intéressants sur les femmes célèbres, entre autres mademoiselle Aïssé, madame du Bocage, mada- me de Caylus, madame de Grafi- gny, Héloïse, etc. Les dernières années de la vie de celte femme, bien digne elle-même du titre de célèbre, furent empoisonnées j)ar toutes sortes de raallieurs. En 1838, au moment elle venait de perdre son fils unique, objet de son adoration, une des plus cruelles infirmités de lespèce humaine vint l'atteindre : elle perdit la vue; ce qui lui faisait dire si poétiquement qu'elle était assise dans les ténè- bres sur un tond)eau. 11 lui restait cependant pour consolation dans son malheur l'aOéction duti niari, d'une fille et d'un frère, qui entou- raient sa vieillesse des soins les plus louchants, lorsqu'une mort inopinée vint lui enlever le compa- gnon fidèle de son existence. Elle survécut peu à cette nouvelle cala- strophe, et ISoi la vit s'éteindre sous ces ombrages de Rémiconrt dont elle avait autrefois chanté les charmes et la fraîcheur. G.

VA>'>UC(:ilî :Antoink-Mahie}, à Florence, le 2 février 1724, étudia dans cette ville les belles lettres et la langue grcc»|ue, sous le célèhre abbé Lami. Il s appliqua ensuite à la philoso|)hie, aux ma- thématiques, à la théologie, à la juris[»rudence, et se perfectionna dans ces diverses sciences, «^ Pise, sous les m<'illeurs maîtres. La médiocrité de sa fortune l'obligtM de prendre, à Saint-Miniate, une chaire dt; belles-lettres cl de îdiilo- sophie. Il s'ac(piittaavec distinction de son professorat. De retour dans sa ville natale, il s'adonna plus

spécialement à la jurisprudence, mérita par ses écrits l'estime des premiers savants de son époque et fut nommé membre de l'Académie. Appelé, en 1750, par l'université de Pise pour y remplir une chaire de législation, Vannucchi occupa cette place jusqu'à sa mort, arrivée le 12 février 1792, et fut généralement regretté pour ses talents et ses ver- tus. Il a laissé, en langue italienne, quel(]ues poésies et un ouvrage sur la jurisprudence. M.-G.-R.

VAN STDDîER (Tobie}, pein- tre et graveur en bois, naquit à Strasbourg vers l'an 15o0, et y ap- prit les principes de la peinture. Dénué de fortune, il se vit contraint, pour échaper au besoin, de passer les plus belles années de sa vie à peindre à fresque les farades d'un grand nombre de maisons, tant h Strasbourg qu'à Francforct et dans les environs de ces deux villes. Il se [)laisait à les décorer de sujets sa- crés ou profanes. Le talent qu'il manifesta dans ces divers ouvrages ne pouvait manquer de le faire connaître. Le margrave de Bade ayant vu (luelques-uns de ses por- traits eu fut si frajtpé (pi'il appela Stimmer auprès de lui et le char- gea de peindre à l'huile elde gran- deur naturelle les portraits des mar- graves ses ancêtres. Stimmer s'ac- «uitla de cetlt^ grande etilrrprise avec beauc'jup de suf-c'^s. il revint onsuiteà Strasbourg, il s'occupa à dessiner une foule de sujets dif- férents sur des planches de bois préparées pour être taillées par son frère. Outre une Amionrinlion in- folio et san.s manpie, (pi'il a gra- vée, on lui doit une liihle puhliée àHAle. en l.'isC), par Thomas (iurin, sous le litre suiNant : Snriv Tohiw Stimmer .%(trrorum Itibliorum finmue, versibus latiuis cl ijermanicis cxposi-

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/«'. CeUc Bible, qui est le principal ouvrage des deux frères Stiiiimcr, a servi d'étude aux plus grands pein- tres. Rubens, qui l'avait étudiée lorsqu'il commença à se livrer au dessin, en faisait un cas extrême et la regardait coninie une excel- lente école pour les jeunes élèves, et comme un trésor pour l'art. Jean-Chuistophe Van StimmiîIU, frère et élève du précédent, naquit à Schafliouse en 15o2. Fort jeune en- core, il alla rejoindre son frère à Strasbourg et se livra sous sa con- duite à la gravure en bois. La plu- partde ses pièces sont de la compo- sition de Tobie. U a excellé dans ce genre ; ses planches sont rendues avec des tailles larges et hardies, qui n'excluent cependant jamais le moelleux, manière qui lui a mérite l'approbation des connaisseurs. A- j)rès la mort de son frère, il vint à Paris, il fut connu sous le nom du Suisse. Ses principaux ouvrages, la plupart d'après les dessins de Tobie, sont : i"\e Nouveau Testa- ment avec l'Apocalypse, imprimé à Strasbourg en 11388, in-4"; 2' Re- cueil de ])lusicurs savants et théolo- fjiens allemands, Strasbourg, Ber- nard .I(jbio, 1;)87; 3" Icônes affabrœ, Strasbourg, B. Jobio, loîii, in-i"; 4" Portrait historié, vu juscpi'aux genoux et gravé en bois, de La/are Schewende. Cette estampe, du for- mat grand in-folio, est la pièce ca- pitale de Stimmer. Il laissa un lils qui, vers 1601, grava en bois plu- sieurs morceaux d'après les dessins de P'ranrois (>hau>oaux. Z.

VANSTOOl» (DlHCK-ÏIll-ODORE),

])einlre et graveur à l'eau-forle, na- quilen Hollande, vcrsl'an 1010. On a peu de détails sur la vie de cet ar- tiste ; on sait seulement ((u'il se fit une réputation brillante comme peintre d^ bataill'.-, et que ses ta-

bleaux étaientexlrêmementreclKîr- cliés. Comme graveur, on a de lui douze morceaux à l'eau-forle, d'a- près ses propres compositions, dans lesquelles on admire une exécution facile et précise et un effet très- pittoresque. C'est une suite de dou- ze pièces numérotées, dont les bon- nes épreuves sont avant les numé- ros, et qui représentent des cav;i- liei's et des chevaux gravés sur des fonds de paysage. Ce recueil, de format petit in-folio, a été exécuté ])ar Stoopen lOoJ . RoDiuauiiVAN Stoop, peintre et graveur à l'eau- forte , na(piit en Hollande vers l'an 1612. Il prisse généralement pour être le frère de Théodore. Comme ce dernier, il montra un talent réel comme peintre de ba- tailles, et peignit en outre avec une égale supériorité la marine et le paysage. Jeune encore, il passa en Portugal et s'y établit. L'infante Ca- therine, qui avait apprécié son mé- rite, l'emmena à sa suite lorsqu'elle se rendit en Angleterre, après son mariage avec Charles IL 11 s'élabit à Londres. Il culliva la gravure à Teau-forte et exécuta plusieurs es- tampes recherchées , d'après ses ])ropres compositions et celles de Burlow. Elles sont en général e.\é- cutées avec beaucoup d'esprit cl dans le style des peintres. Lespiiii- cijjales sont : 1" une suite de huit feuilles, rejirésentant diverses vues de la ville de Lisbonne, dédiée à la reineCalherine d'Angietene ; 2"une suite de huit feuilles, représentant la Procession de la vine Catherine, de Portsmoulh n Uamptoncourt, 111-4", avec la date de 1002. Dans l'édition des Fables d'Esope, par Gilby , publiée à Londies, en 1078, parmi les jdanche.sdcliollar, on en trouve quelques-unes de Van Stoop, ({ui se font remar(juer par une exécu-

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tion facile et savanlo. Cet arlisle iiiourat H Londres vers l'an 168G.

Z. VAN SUYDERIIOEF (Jonas), ue.-sinatei'.i" et graveur, naquit à Leyde vers l'an 1600, et fut élève de Pierre Soutman, qu'il ne tarda pas à surpasser. 11 s'attacha moins, dans l'exécution de ses gravures, à un arrangement régulier des tailles, à la délicatesse des tons et au fini du travail, qu'à leur faire produire des effets })ittoresques et piquants. Il a gravé un nombre considérable de portraits, d'après Rubens, Van Dick, Rembrandt, liais et divers autres maîtres. On estime surtout ceux qu'il a faits d'après Hais. Avant de les terminer au burin, il commen- çait ordinairement par les avancer beaucoup à l'eau-forte; il a réussi dans ce genre de manière à compter peu de rivaux. Son œuvre se compose déplus de cent pièces, t<int portraits que pièces historiques. Parmi les premiers, on distingue particuliè- i'^*ment ceux de Charles I", roi d'Angleterre, et d' Henriette-Marie de France, sa femme, d'a[irès Vau Dick; celui d(; Dcsrartes, d'a[irès liais, etc. Ses pièces historiques les plus admirées sont : Id Ciiute desr('i)roiivés, d'iiprèsRuljens; 2' la Cl( :!ise aux lions et aux lUjres, d'a- près le même maître. Cette pièce est très-belle, et il est fort rare d'eu trouver de bonnes épreuves; 3" Vue d'une contrée sauvatje, Von voit des satyres jouant avec des tigres, d'après P. de Laar; les bonnes épreuves sont d'une '.rrande force; A" Trois j)aysans assis, dont l'nn jonc du violon, d'a[»rès Van Osladc; b(*lle pièce connue sous le nom de .Jean de MolV; o" hi Congrès de Munster; cette admirable pièce, que i"ou peut regarder comm»? U\ chcf- d'u'uvrede Suyderhoef, a été gra-

vée d'après le tableau de Terburg, dans lequel le peintre a introduit les portraits des soixante plénipo- tentiaires assemblés pour la conclu- sion de cette paix. Ce tableau pré- cieux fait partie de la collection de Madame, duchesse de Berri.

VAN SWANENÎÎURCH (Guil- laume), graveur au burin, naquit à Leyde en lo81, et fut élève de Jean Suenredam. Peu de graveurs àl'eau- forte ont poussé aussi loin que lui la beauté et la perfection du trait, et Abraham Bosse, dans son traité de la gravure, le présente aux artistes comme le meilleur modèle qu'ils puissent suivre dans cette partie d(3 l'art. Si son dessin était moins maniéré, si les extrémités de ses fi- gures étaient renduesd'une manière plus fine et plus précise, il aurait peu de rivaux dans la gravure. Personne plus que lui n'a seml.dé avoir l'outil à sa disposiliou. Il a gravé également le portrait et l'his- toire. Parmi les portraits les plus remarqual)les, sont : I. Al>raliam Bloemart, peintre, dans une bor- dure historiée. II. Dnniel Ilcinsius. m. Maurice, princed'Orange'Xassau, debout, avec des lointains sur trois difréronls plans. IV. Frtiest-Casimir, comte de Nassau, d'après ]\Iorclseii. Parmi ses pièces historiques on dis- tingue siu'Iout'.I. Ésail vendant son droit d'ainesbc et la Ilésurrection de Jésus-Christ , d'après Morelsen. II. l ne féU' rustique de la vendange àl en- tn'e d'un village, d'api-ès W'enken- booms; très-grand in-f" en travers, ni. Lotit enivré par ses plies et Jésus- Ciirist à table avec les pèlerins d' Em- j//rt/7s, d'après Rul-ens. iV. Letrônede ta Justice, avec ce 'itro : Thronusjus- tiliœ, hoc estoptimusjustitiœ tract i- tus electissimis quihusgur exemplis jndiciariis acri incisis itlustratus Joach. Vgtenn'aetp sculpsit. (i. Sica-

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ncnburch, ifiOo-lGOG. C'est une suite (le ^i feuilles y compris le titre, commentant par J.-C. portant sa croix et tinissant pai' le Juirenient dernier. Swanénburch floiiisait en Hollande dans les premières années du XYii*" siècle.

VANTEMPEL (Adraham), ])ein- tre, à Leyde en 1618, fut clève de Georges van Schooten et se fit une réputation brillante par ses portraits et ses tableaux d'histoire. Il suivit d'abord la manière de son maître; mais Télude de la na- ture lui en enseigna bientôt une })Ius vraie et jjIus parfaite, et ses ouvra- ges furent recherchés de toute part avec empressement par ses compa- triotes. C'est à Leyde en effet que se trouvent la plupart de ses pro- ductions. On vante comme un chef-d'œuvre en son genre le por- trait d'un homme et de sa femme que l'on voit dans le cabinet d'un des amateurs de cette ville. La ma- nière dont il traite les chairs et les ctollfs offre une peih.'C'ion extrêmement rare. On ne fait pas moins de cas d'un petit tableau al- légorique qu'il a peint dans une des salles de la halle aux draps de Leyde, on ne peut rien voir d'un pinceau plus beau et plus délicat. Dans la maison des orphelins de la même ville, il a représenté dans un grand tableau le porliail de tous les administrateurs en charge, et, au sentiment des connaisseurs, la resseiublance en est le moindre mérite. Le goût du dessin de ce peintre est très-bon, son coloris est plein de force et de vérité, sa tou- che large quoique délicate ; ses compositions sont bien entendues et les poses de sus portraits bien choi- sies et pleines de naturel. 11 eut uji grand nombre d'élèves parnu' les- uels il suffit de nommer Michel

Van Wusscher, Charles de Moor, Ary de Voys el surloiit Fraui^ois Mieris. Van der Tempel mourut <^ Amsterdam en 1672.

VAN YSEGHE?^' (Andronic) , capitaine hollandais au long cours, lié vers la fin du siècle dernier, fréquentait les parages des deux grandes iners orientales et passait pour un des marins les plus expé- rimentés qui fissentfiler six nœuds à l'heure des îles Mascareignes à l'Australie. Il faisait pour ses com- me! tan ts et pour lui la traite des noix de girofle, muscade, poivre et autres denrées tant de l'Inde que de la Chine. Courant partout, c'est lui qui transmit, (\\\\ même éventa (en septembre 1838) les premières nou- velles du meurtre du capitaine Wilkins, ce commandant du na- vire américain YEcUpse, qu'avaient assassiné les naturels de Muokie, sur la cote nord-ouest de Sumatra. « Ami VanYseghen, se dit-il alors , voilà pourtant comment U\ pourrais être avant un an? » En e.'Tel, moins d'un an après (en avril 1839), il mouillait, avec son navire VArflaé, sur la côle d'Origas, plus d'une fois il était venu chercher du poivre. Une forle fièvre le fatiguait depuis longtemps et même le clouait au lit, pendant que je subrécargue passait le marché. Mais ce n'est pas au lit et ce n'est pas de mala- die qu'il devait périr. Recueillant ses forces, afin de terminer la transaclion, il descendit à terre, suivi de trois matelots,. dont deux blancs. Il ne s'agissait que de |)rendre livraison. Une altercation s'éleva entre un des chefs et lui, Andronic avait le verbe haut et le ton brusque; les iMalais ont la main leste. Irascible tous les jours et impatienté ce jour-là des retards orrasionnés par sa longue maladie,

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Ton ne peut donc s'étonner que l'un, au lieu de déployer le flegme lioilandais, se soit emporté à la première contradiction; et il est tout simple que l'autre, en homme dont la patience est le moindre défaut, eût lait avec son kriss iiu geste menaçant sur la tète de l'élranger. « Frappe, si tu l'oses, » s'écria l'élranger. L'insulaire ne se le fit pas dire deux lois : seulement il sauta d'un bond derrière Van Vseghen et lui plongea dans les reins l'arme empoisonnée... On sait que ce mode de perfectionne- ment est usuel dans la terre classi- que do rOupas-Anliar. Le capi- taine tomba pour ne plus se relever; les deux matelots blancs furent pris et garrottés; le soir seulement le radjà leur fit rendre la liberté. Instruits dos faits par eux, les offi- ciers de ÏAglfiè vinrent le lende- main, accompagnés de presque tout l'équipage bien armé, recueil- lir la dépouille mortelle de leur infortuné chef, auquel furent im- médiatement rendus sur ])lace les dernit'rs devoirs. Les Malais ne bougèrent pas, ne se montrèrent mémo pas pendatit la cérémonie funèbre , .^auf un seul (pii vint criant : « Je suis l'ami de Van Ysegben ! « et qui en elTet, secrétaire d'un râdjii voisin, avait été dépêché pour indiquer au capitaine un autre mouillage , et le prévenir d'un complot fosraé par les gens du pa.vs pour s'emparer de son navire eu égorgeant tout son monde : l'as- sassin en frappant trop tôt avait donné l'éveil et fait manquer le pian ourdi à loisir. L'émotion fut grande h Saint-Denis lorsque l'on y sut et ces événements et les circonstances qui les cfimmon- laienl plus qu'eloquemmenl ; et le gouverneur envoya sur-le-champ

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la frégate la Dordogne pour venger la victime et faire mettre à mort le meurtrier par ses compatriotes eux- mêmes. Le programme ne fut pas tout à fait accompli, le coupable s'était sauvé; mais les indigènes eurent peur, et tous les chefs jurè- rent qu'il serait poursuivi sans relâche et qu'une fois pris, il serait livré au premier navire qui le ré- clamerait : ainsi, du moins, l'atteste le journal d'un bâtiment marchand de Marseille, qui ayant relâché sur la même côte trois semaines après la démonstration du gouverneur de Saint-Denis, avait reçu l'accueille plus empressé, le plus cordial et, à sa grande surprise, le plus sin- cère. Z.

VAÎlArVNES(VALEUANDE^, Va- laraudiis, Vnramis ou de Vavanis, poète latin, florissait au commen- cement du seizième siècle. Il était à Abbeviile, et s'était fait rece- voir docteur en théologie à la faculté de Paris. Il habitait proba- blement cette ville et, probablement aussi il était dans les ordres. Les dictionnaires historiques que nous connaissons ne donnent aucuns renseignements sur sa vie. Le Moreri de l'-'JO se contente de le nommer et de citer un de ses ou- vrages. Il en a composé plusieurs, qui tous respirent la pieté et un véritable patriotisme. Ils prouvent (fTie l'auteur était non-seulement un bon chrétien, mais encore un très-bon Français. Indépendanmient de leur mérite littéraire, ces ])0é- mes, aujourd'hui fort rares, ollVenl encore un certain intérêt historiiiue. Fn voici les titres d'après la dern. édit. du Manuel du //7'rrt//v, auquel on pourra recourir ])Our les détails que ne comporto point le cadre de cette biographie : l. De Foriioiirnsi coulUclu, cormen. De domo Dei yn-

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riaieusi, carmen. De pid sacenime cntcis veneratione, carmen. De piue- dnrû et insigni theologorum pari- s'iensi facultate, carmen. Paris , .Jacques Moerart, sans date, in-l". Le premier de ces ([iiatre petits poèmes est dédié à François de Melun, prévôt de Saint-Omer, par une épître datée de !o01, ce qui fixe à peu près l'époque de Ja pu- ])lication du volume. IL Decertufio pdei et hœresis , carmen, Paris , Robert Gourmont , loOl , in-i°. Dans ce poëme, en vers élégia- ques, dédié aussi au prévôt de Saint-Omer, de Varannes a fait, dit >L Brunet, un magnifique éloge de Paris, et il a placé à la suite de l'ouvrage une apologie de la même ville, égalenîcnt en vers élégiaquc;. IIL Carmen de expugnalione Ge- nuensi (per Lndovicum XII). Cum mnllis ad fjaUicam hhloriam perli- neniibus. i'aris.XicolasDupré, i.'iOT, in-i". Deux lettres de l'auteur pré- ciVlent le poëme {\). IV. De {je^tifi Johannc virginis France egregie (sic) bellatricis et Anglorum expullricis , libri quatuor. Paris , Jean de la Porte, sans dale, in-i". En tète de ces quatre chants se lisent encore

(I) L'une (h- ces lettres est adressée à (ieoffres d'Ainboise, archevêque de iJoiieii, a qui il ilétlic son pocnie. « Il (I t en avoir puisé les éléments histori- ques dyns un manuscrit du procès de .îe.'iime d'Arc, conservé a la hi!;li(>tii(- que de l'abbaye de Saint-Victor, mais il ajoute que plusieurs de ses conlenipo- rains lui avaient communiqué aussi des (lélails précieux sur l'ht-roine : « Sune et m hanc usque diem siiperslUes plu.s- ruli qui virgiiieui vidcruiit inlcrsunt rivos a'ieiilcm. » Ces témoins oculaires devaient avoir près de cent ans. Voy, le 4j9 du curieux CaUiloduo d'une précteufie coUcrtion de livres^ prove- nant du cabinelr de M. Ch. B... de V. (Buvignier de Verdun.) Paris, J. Tech- ner, 18i9, in-8».

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deux lettres de de Varannes, datées de novembre 1316. Ce poëme a été réimprimé tout entier dans un recueil d'ouvrages sur les femmes illustres , publié en 1521 , par liavisius Textor. (Voy. ce nom , XXXVII, lo3.) Jean Hordal a inséré plusieurs morceaux du môme poëme dans la compilation latine en forme d'histoire que ce juris- consulte mussipontain , descendant d'un des frères de Jeanne d'Arc, a consacrée à la vierge de Domremy. Hordal rapporte aussi la jolie pièce, en quarante-cinq vers hendéca- syllabes , que Salmon Macrin adressa à de Varannes pour le félicilor d'avoir entrepris de réha- biliter la mémoire de cette jeune et malheureuse héroïne. B-l-u.

VAilANGE (Le baron de), en 1792, mort le 24 avril 1852, avant d'avoir atteint sa soixantième an- née, joignait à la naissance et à la fortune, non-seulement toutes les ({ualilés aimables, mais le goût et jusqu'à certain point le culte prati- que des lettres et des arts. Il était membre de la Société des sciences historiques et natui elles de l' Vonne. Amateur et connaisseur distingué, il avait réimi par l'habileté de ses recherches non moins que par la largeur avec laquelle il rémuîiérait et l(\s travaux des artistes et les trouvailles de ceux qu'il employait, une colleclion de tableaux remar- (juable, nolanmiciit ])ar ce qu'elle contenait (réchantillons des écoles italienne et hollandaise. Il avait résolu d'en faim hommage, dil-on, de son vivant même à la ville dAuxerre; et déjà le représentant de cr'ltc ville à la chambre avait aimoMcé à l'édilité, par une lettre spéciale et positive, l'envoi prochain de cette belle galerie, quand le do- nateur fut soudainement attaqué

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d'une inflammationd'entrailles. Peu de jours suffirent pour le mettre à l'extrémité. Les Auxerrois, par cette brusque mort d'un honorable com- patriote, se virent frustrés d'un don que tout commissaire-priseur au- rait évalué à trente mille francs et dont la valeur artistique était supé- rieure de beaucoup. Val. P.

VARAiXGE (Fklix de}, neveu du précédent, du maréchal duc de Valmy et de l'amiral do Mac- kau , et fils du receveur géné- ral de la Marne, n'avait, en dépit «le sa naissance, de la richesse au milieu de laquelle il avait été élevé et de la perspective d'un avancement aussi facile que brillant dans la carrière qu'il lui plairait de choisir, aucune propension àdevenir un des coryphées de la jeunesse do- rée. Un caractère au-dessus de son âge, sans être allier ou morose, un espritsérieux, deslectures immenses, que, toutes, il faisait la plume à la main, extrayant et annotant, et des convictions assez énergiques pour sembler inébianlablcs à quiconque connaissait cette àn»e d'acier, fai- saient augurer aux uns un homme de mer ou un diplomate distingué; à d'autres, ]»lus près du vrai peut- être, une des futures lumières de l'Église, quand un accident, iin}»révu s'il en fut, le ravit à ses parents et k ses amis, le 30 juillet 1843, avant qu'il eût accompli sa vingtième année. Ayant voulu mener baigner un chien de Terre-Neuve que ve- nait de lui doimer l'amiral son oncle, l'envie lui prit de se mettre à l'eau lui-même; une crampesans doute survint , il se noya, malgré les ellbrts désespérés que nudliplia son compagnon pour l'arracher au péril, (juand son corps eut été tiré de l'étang, on aperçut son bras tout déchiré des coups de dents du filêle

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animal , qui vainement avait fait l'impossible afin de sauver son jeune maître. Cette fin si peu prévue el si tragique impressionna doulou- reusement les hautes régions de la société parisienne , d'autant plus que, par une triste coïncidence, presque au môme instant se succé- daient les trépas également pré- maturés , également inattendus du fils de l'avocat général Laplagne- Barris, et de la fille de M. Odilon Barrot. Val. P.

VARCOLLIER (Oscar), jeune peintre parisien, naquit en 1820. Bien que la position administrative fort avantageuse dont jouissait son père h la préfecture de la Seine (il était chef de division au secrétariat) jmt être et eût été pour bien d'au- tres une incitation à la carrière des emplois, rien ne ])hI triompher de la vocation artistique d'Oscar. Enfant, la plume à la main, il cro- quait déjà les maisons, les petits paysages et ses maîtres ; adolescent, il n'eut de repos que lorsqu'à l'é- tude du latin et du grec, de l'his- toire et de la philoso])hie, il lui fui permis de joindre la pratique du dessin. A peine ses classes finies, il déclara ([u'il voulait être artiste; v.l aveo^l'agrément de son père il entra dans l'atelier de Paul Dela- roche. Ses rapides progrès lui conquirent bientôt l'estime dumai- tre"" et celle de ses condisciples, el le labeur opiniâtre venant se- conder ses heureuses aptitudes, ses dispositions brillantes, tout lui présageait un glorieux axenir. Malheureusemeni la vigueur phy- sique n'allait |»as chez lui de paii- avec l'ardeur de l'àme. Ainsi (pi'il arrive souvent pour les intelligences les mieux douées , la lame usa le fourreau longtemps avant l'Age, et une bruscjue mort vint l'arracher à

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sa famille et à ses amis au com- moiiceiiieiU de mars 1840. Il venait de terminer un tableau qu'avait comblé d'éloges non-seulement son maître, mais le patriarche de l'art, l'austère Ingres, qu'on sait ne pas avoir été des j)lus prodigues en fait d'encens. Ce tableau fui admis par le jury d'exposition de celte même année d84(> aux honneurs du Salon, et les sulirages du public , en s'a- joutant à ceux des deux illustres maîtres et des juges, ajoutèrent, en même temps qu'ils leur aj)por- tèrent une consolation, aux amers et justes regrets de ses parents. Val. p. VARÉ ( Louis- Prix ) , un des officiers généraux les plus prisés de l'armée impériale aux premiers jours de l'Empire, était de Versail- les et comptait de 23 à 24 ans lorsque la Révolution éclata. Bien qu'il eût reçu quelque éducation, il n'avait encore alors que les ga- lons de sergent, et il lui aurait fallu sans doute ambitionner long- temps en vain l'épiiulette, si l'émi- gration et ce ([ui suivit l'émigration, le concert des puissances contre nous, et la double invasion, autri- clnenne en Flandre, prussieime en Lorraine et en Champagne , n'a- vaient changé tout cela. Varé fit toutes les campagnes de la Répu- blique sans interruption, moiil;i de grade en grade jusqu'au comman- dement de la î)4^ demi-brigade de ligne, et j)artout dé[)loya non moins de sang-froid que de vaillance, non moins d'intelligence que de sang- froid. On le rfimarcpia notamment lors de la descente des Anglo-Russes sur les cotes de la Hollande septen- trionale, où son intrépide et habile concours aida puissamment h l'ex- pulsion de l'ennemi, mais d'où il revint blessé. Sa promotion au rang

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de général de brigade et la croix de commandeur de la Légion d'honneur furent la récompense de son dévouement. L'avenir cor- taincmcntlui réservait les premiers grades, les premières dignités de l'armée , s'il n'eût en quelque sorte porté défi au sort par son audace à la bataille d'Eylau. Il s'y couvrit de gloire, mais les projectiles prussiens et russes le couvrirent de blessures; il fallut le rapporter du champ do bataille et on l'évacua sur Thorn , , malgré les soins qui lui furent prodigués, il expira le 14 mars 1807. le 19 janvier 1760, il comptait quarante et un ans à peine. Val. P.

VAREÏLLES (le comie niî), une des victimes de l'émeute pendant la période orageuse du règne de Louis-Philippe, et celle dont la mort fiappa le plus le public , parce ^qu'elle était prématurée et quei)lus qu'à toute autre elle arrachait la perspective d'une vie pros])ère. Et par sa fortune et par sa naissance, le jeune comte appartenait à la classe des heureux. en 1811 , il était en 1834, c'est-à-dire à vingt- trois ans , auditeur au conseil d'ï^^lat, officiel' d'état-major de la garde natioiude, chevalier de la Légion d'honneur et bien en cour près de son ministre, le ministre de rinlérieiu*...,ti-opbienpeul-ôlre, car s'il eût été moins dans son in- timité, il ne se serait sans doute j)as trouvé dans la nuit du Li au 14 avril à coté du haut fonclion- naire, au milieu et au plus fort de la lulle. Ou allait enlever une bari'icade opiniâirément défendue, quand un coup de feu, destiné jieut-ètre au ministre , atleignit le jeune homme aux environs du sternum. Bien que la blessure fût grave , on conserva longlemps

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néanmoins l'espoir de sauver le blessé. Mais finalenienl, après de six à sept semaines de souffrances aiguës, on dut cesser de s'aban- donner aux illusions : une infdtra- lion avait eu lieu dans les pou- mons; le jeune comte de Vareilles fut ravi ù ses parents, à ses amis le 6 juin. Mort ainsi martyr de la cause do l'ordre, après avoir été fraj)pé au champ d'honneur, si ce mot peut s'employer quand il est question de guerres civiles, le comte avait rallié bien des sympalhies ; un nombieux concours se pressait à ses obsèques; la ville de Paris avait voulu Taire don d'un lorrain au cimetière du Père-Lachaiso ; le préfet de la Seine prononça sur la losse une allocation animée, l'on put remarquer les traits qui sui- vent : « Puisse celle tombe qui « vient de se fermer sur un jeune « homme si plein d'avenir n'avoir. 0 pas de comiagnesl Puissent les « partis abjurer leurs sanglantes a querelles! Puissent-ils coniprcn- K dre..., elc. Espérons que ilésor- « mais le sang français ne coulera « plus par des mains IVançaises, c et qu'il sera réservé pour défen- « dre i'mdépendanc^i et la gloire « de noire pairie ! » Val. P.

VARiv\A<:Kî<:U (Jean}, fut un des premiers professeurs de la cé- lèbre université de Louvain.Né au bourg de Kuysselède, près de ïilly, dans le diocèse de (land, il entra dans l'étal eccléhiasli([ue. Sa capa- cité le fil choisir pour enseigner la philosophie dans le collé^'e du L\s, \ers le lemps de rétablissement de l'université de Louvain. Il parvint depuis au grade (\r dortenr en ihéologie. En 14i3, il fut noinnie pléban, c'est-à-dire curé de Saint- Pierre, et cependant il ('(iiiliiuia les fonrlions de professeur; nj.iis j'i-

gnore s'il continua d'enseigner la philosophie , ou si on lui donna une chaire de théologie, comme les ouvrages qu'il a laissés pourraient le faire supposer. Ce laborieux ecclésiastique mourut à Louvain en 1475. Varenacker n'a rien pu- blié, et ses compositions restèrent toutes manuscrites. Depuis sa mort on a imprimé, d'alîord en 1012, puisa Paris en 1544, et dans le format in-4°. deux questions quod- libéliques. La première de ces questions est posée ainsi : l'truni cleriri et ecclesiarum prelati inor- talifer peccent , si quod eis de prœ- beudh supercst, in eleemosynam non elaraimitur. La seconde : Ulrum ab iiomine possit dispemari in prœ- ccptis jnris nalurcdis mit divini. Les œuvres manuscrites de Varc.i- ackersont un traité des sacrements : Lecturn in psahnum H8 , Beati im- innculali in Librum Sapientiœ et in quatuor Evcnufclislas ; un autre traité intitule : Monotessaron , con- servé autrefois dans le collège des Théologiens à Louvain, mais qui a peul-èlue été égaré par suite des mouvements révolu lionnain;s. Va- lère-André a consacré un article à Varenacker dans sa Bibliothèque bclijiquc; mais Uupin et la plupart des dictionnaires biographicpies n'en ont point parlé. R-d-k.

-^VAKhNMCS (AiMK de), (|ui en 1 Tbh composa en vers français oclo- s>llabi(pies le roman ou poëme de Florimont, était resté à jieu près in- coniui jusqu'à ces derniers temps. Ni KauchiM'. ni La (j-oix du Maine n'en avaient dit mot. Du Verdier cite bien le roman, mais sans au- cuns détails et en nommant l'auteur Aymon ou Aymé de Chàtillon. Galland parle fort inexactement et de lauteur et de l'ouvrage dans son dixcnurssuv q'ieltjucs uncii'iis pacte

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insén^ au lomc II des Mémoires de IWcudémie des inscriptions. Le ré- dacteur du Catalogue (en 3 vol.) des livres du duc de la Vallière, Giiill. de Bure, en décrivant, sons le numéro 2,706, un manuscrit du roman de Florimont^ a copié les er- reurs des précédents. Les nouveaux critiques, Moncliet, P^xpiefort, Gin- guené et Amanry-Duval ont aussi commis de grandes inexactitudes dans les courts articles qu'ils ont consacrés à Aimé de Varennes (1). Il était réservé à M. Paulin Paris, le savant historien des manuscrits français de la Bibliothèque impé- riale, de mieux faire connaître le poêle du douzième siècle. D'une lecture attentive du poëme, il a re- cueilli tousles renseignements qu'on pouvait avoir sur l'auteur. Il nous permettra de les résumer en quel- ques lignes. Aimé devait être Grec de naissance; cela résulte d'une foule d'endroits de son livre. Il sé- journa longtemps à Galiipolis en Thrace; il visita Damiclle, Ii)sala, Andrinople et Philippopolis. Ce fut dans cette dernière ville, à ce qu'il nous apprend, quil entendit i)our la première fois raconter en grec les aventures de Floi-imont et de Philippe, le i)isaïeul d'Alexandre. Par quel motif ahandonna-t-il la contrée il avait vu le jour? On l'ignore; mais ce qu'ily a de certain, c'est qu'il vint en France, s'arrêta dans If Lyonnais et choisit pour

(ij Les ailiclis de Ginj^umé et d'A- niaiiry-Diivalsc Hionldaiis les toiiiesXV et XIX do VJIisloirc littéraire de la France. Aim6 do Varcnufs n'est pas mémo iiomFii«' dans les tables qui suiit à la lin de la iiii-diocrc (tornpila- tion qu'Auguis a intilulik" : Les Poè- tes français du xn« siècle jusqu'à Malherbe, etc.

demeure la petite ville de Chàtiilon , située sur la rivière d'Azergue, à quelques lieues de Lyon. « Peut- être est-ce lui qui construisit le châ- teau de La Varenne, dont envoyait encore les ruines il y a peu d'an- nées entre Tile Barbe et Chàtilion. )> On ne sait si Aimé passa le reste de sa vie dans ce pays, ni h quelle époque il termina sa carrière. Quoi qu'il en soit, dans sa seconde par- tie, il se ressouvint des aventures de Florimont, et il résolut d'enri- chir de leur récit la littérature de ses concitoyens d'adoption. Comme nous l'avons dit, il exécuta ce pro- jet en 1188. M. Paulin Paris a fait une longue et très -intéressante analyse du roman ou poëme de Florimont, et il en a extrait de nombreux passages qui en donnent l'idée la plus avantageuse {Manu- scrils franrais, \lï, 9-l)S). « Flori- mont, dit-il en finissant, est double- ment remarquable et par sa date ancienne oi par un véritable talent de versification et de composition. » Il serait donc à désirer que ce poème trouvât un éditeur conscien- cieux tel que M. Paulin Paris lui- même. La publication de cet ou- vrage en vers corrects et élégants, plein de mouvement, d'imagina- tion et quelquefois de poésie, ferait bien vile oublier la méchante tra- duction on plutôt imitation en j)rose (pi' un inconnu en fit dans le xv'^ siècle, et qui a été imprimée sous ce litre : Histoire et ancienne crouicqnc de l'excellent roy Flori- mont, fils du noble Mataquas, duc d'Albanie, etc., Paris, pour Jehan Longis, 11)28, in-4", fig. en bois, caract. goth., léimprimée l'année suivante, à Lyon, par Olivier Ar- noullel, qui en a encore fait pa- raître une édit. en lo;3o. Il en existe deux autres de Rouen, sans

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dalc, la première de Nicolas Mulot, el la seconde de Richard Le Prévost. \?ov.Y les détails bibliojiraphiques, consulter le Manuel du libraire^ au mot Florimont). Toutes ces éditions 10-4" sont aujourd'hui rares et chères, surtout celles de Paris et de Lvon. Le prince d'Essling n'a- vait dans sa magniGque collection que celle de Le Prévost, de Rouen. Elle n'a été vendue que 10 fr. B-l-u. VAÏ\E.»EDE FEMLLE (Jean- Charles-Bénigne], fils d'un agro- nome justement renommé ^ voyez tome xLvii, page 500), naquit à Paris le 25 novembre 1780. Il perdit à treize ans son père, mort à L}Ou sur l'échafaud révolutionnaire, et se trouva livré ])ar l'émigration de sa mère à un isolement absolu dans la ville de Bourg-en-Bresse, sa famille était depuis long- temps établie. 11 lut généreusement recueilli par un professeur de ma- thématiques appelé M. Salles, ([ui lui enseigna celte science, et le mit eu état d'enlrer à l'école polytech- nique. En 1810, le jeune de Va- renne fut admis comme auditeur au conseil d'Etat, et nommé l'an- née suivante sous-préfet de l'ar- rondissement de Lyon. Il se démit de ses fonctions au 20 mars 1815. Cet acte de dévouement au régime de la Restauration fixa sur lui les sulîrages des électeurs royalistes qui, quelques mois plus lard (août 1815), l'envoyèrent à la chambre dite introuvable. Varenne vota constanmient avec le parti modéré. Il ne fut |)oint réélu après l'ordon- nanc»' de dissolution du .i septoin- bre et fut nommé, en 181 G, sccré- laire général do la préfecture de l'Ain, fonctions ([u'il exerra jusqu'à l.i révolution de 1830. Il s'y lit ivinanpier par sonéquilé. par l'ex- îième courtoisie de ses rapports el

par son expérience dans les matières administratives. Rendu h la vie pri- vée, Varenne de Eenilie lut à la Société d'agriculture de l'Ahi, dont il faisait parlie, un grand nombre de mémoires, doji [ la plupart sont de- meurés inédit::. Nous citerons ceux sur la destruction des fougères, sur la distillation des i)ommes de terre, ceux sur la plantalion des pins et des mûriers, etc. Ce modeste el utile administrateur mourut aux environs de Bourg dans les senti- ments d'une haute piété, le 6 jan- vier 1848. Son éloge a été prononce à la Société d'émulation et d'agri- culture de l'Ain, par M. Pelletier. Z. VARET (Alexandre Louis), na- quità Paris en l'année 1632. Il était fils d'un avocat d'une probité re- connue, et sa famille fut vraisem- blablement une des premières à s'attacher à ce parti qui divisa d'abord les théologiens et troubla bientôt l'Etat et l'Eglise; tout dans l'histoire de sa vie m'autorise à émettre ce jugement qui se trou- vera justifié par les faits consignés dans cette notice. A l'âge de vingt ou vingt el un ans, le jeune Varet (il le voyage de Rome., en la comjMgnic d'une personne d'une condition éle- vée, sans autre dessein (jue de con- tenter une légitime curiosité. L;i. Diuu lui inspira une forte résolu- tiiiii de ne plus \ivre que selon les n)aximes de la piété. Le Sëcroloijc des plus cHcbres défenseurs de la vérité dit que a la magnificence aussi bien (pie le débordement de cette grande ville J(ome) lui inspi- rèrent un si grand mépris du inonde, qu'à son retour à Paris... •> On comprend tout de suite dans (piel espril l'auteur janséniste a écrit ces deux lignes de criticpie sur Home. Le yérrolofie de Port- iioyal , quoicpie rédi'.'é dans les

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mêmes sentiments dit : w Dieu qni avait des desseins de miséricorde ?(ir son âme... lui lit voir le néant du monde dans la magnificence de celte grande ville, el reconnaître les périls dont on y est environné, par un piège ([ue lendit à sa chas- teté un inlàme miséraiiie à qui il demandait le chemin, après s'être égaré on sn dérol)ant à ses amis ])0ur aller seul prier Dieu dans une église ([u'il cherchai!. Son premier mouvement, malgré sa modération naturelle, fut de charger cet homme de coups d'épée; mais Dieu l'ayant retenu, le préserva de ce second danger. » De retour à Paris, Yaret se relira de toutes les compagnies du monde pour se livrer à l'étude et à la prière. Il consacra ïcpt ans à cette occupaiion, ne cherchant de récréation que dans le service des malades à l'hospice de la Gliarité (jui existe encore actuellement. Le directeur qu'il avait choisi d'une manière extraordinaiîc, l'ohligea à j)rendre les ordres sicré^. 11 avait à cet engagemenl la répugnance ([u'afTeclaient ceux de son parti, mais (pli venait en lui d'un véri- table sentiment de frayeur reli- gieuse, car rim|»rc'ssion (pi'il en ressentit, le rendit malade pendant cinq mois. H garda tous les inters- tices [trcscrits par les saints canons et ne lut ordonné prêtre qu'à l'âge d'environ trente ans; celte éléva- tion ne produisit en lui d'autn; prétention (ju'unc plus grande af- fection au désintéressement et un plus grand attrait p'our la retraite. il s'élail ajjpliqué à l'élude de l'E- criture sainlcet des œuvres de saint Augustin, (|u'il lut ])lusieurs fois tout entières. ^Malheureusement il portait à celle élude, si utile en elle-mônie, l'esprit de i>révention et d'opposition qui régnait dans le

parti de Port-Royal, auquel lui et les siens étaient fortement attachés. Quand on exigea la signature du formulaire, Alexandre Varet, qui n'était point dispose à la donner, quitta Paris et se retira à Provins, oii il habita dans une petite cham- bre du collège desoraloriens, pau vrement meublée, n'ayant qu'un lit, qu'il partageait môme avec une personne (pii s'était retirée avec lui prohablcnienl pour les mêmes motifs, et qu'il servit seul pendant deux mois, donnant ainsi l'exemple (l'une humble simplicité. 11 demeura pendant un an dans cette pauvre maison, qu'il aida à subsister [lav sa pension etcelle de son compagnon. Dans celle retraite, Varet s'occupa à la composition de quelques ou- vrages. H avait deux sœurs reli- gieuses dans la communauté de la congrégation de N.-D. de celte ville. C'est peut-être pour celle raison qu'il choisit Provins pour le lieu de son exil volontaire. Il n'a- vait porté avec lui que sa Bible. Louis Henri de Gondrin (roir Gon- DRiN (I}, xvni, 36), archevêcpic de Sens, lo choisit pour grand vicaire et trouva dans ce nouveau coopé- rateur des dispositions conformes aux siennes; tous deux voulaient sans doute établir le bien dans le diocèse, cl ny mirent que le trouble par leur exagération jansénienh(;. Varet y donna du moins l'exemple

'1) U ost priidc-nt de lire cet Jiitithî avec prc'cnilion conttc ios c'l()i,'cs que rdiiteiii', l'ahln'; Lr( iiy, fait do G.-ii- driii, dont il n'a point fait cnnnaitrç Ut c.araclèro. Il vante :iV(;c jaison ses (pi;i- liU's; niais, par ij^noianco ou p;ir cal- cul, il a omis plusieurs circonstances qui niontrcraicnt dans Gondrin un /èlc qui n'était ni scloîi la science, ni selon la priulcncc.

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d'un parfait désintéressement. Il ne voulut jamais recevoir les béné- fices qu'on lui offrit : il refusait même les droits utiles inséparable- ment attachés à ses fonctions. Ega- lement éloigné de recevoir aucun présent, il faisait à ses frais les visites qu'il devait à plusieurs mo- nastères, et défendait même au domestique qui le suivait de rien accepter. Gondrin étant mort, en 1674, à l'abbaye deChaulmes, qu'il avait gardée avec son archevêché, Varet, qui n'aurait pu d'ailleurs convenir à son successeur, se retira à Port-Royal, il faisait des voyages de temps en temps, et pour lequel il avait les plus vives sympathies. II n'y vécut pas long- temps; il y était venu le 29 juillet 1G76 avec Arnauld, dans le dessein d'y faire quelque séjour, mais il paraît qu'il n'y avait jamais eu de demeure dcdnitive. II y mourut le premier août de la même année, à 1 âge de ii ans. De la 3Ionnoye, dans ses notes sur les Jugements des savants de Baillet, tome iv, se trompe en reculant la mort de Varet à l'année 1685. Le 31oreri de ilo'J dit que Du Pin s'est trompé aussi en la fixant à l'année 168G. Je ne sais il a vu cette erreur. Du Pin, qui n'a point consacré à Varet d'article particulier dans son histoire ecclesia.stique du xvii'' siè- cle, mais qui indique une partie de ses pubif nations dans son intéres- sante table méthodique des ouvra- ges de l'époque, marcpie le jour de sa mort au 7 août, il est vrai, mais bien en l'année 1076. Varet laissa aux religieuses de Port-UoNul son calice en vermeil et niille livres en aumO)ne; il voulut être enterre dans leur église, il eut en effet sa sépulture au bas-côlé gauche du chœur. Une huigue inscription

louangeuse couvrait sa pierre tom- bale, et y avait été placée par les soins de sa mère touchée de douleur, mais soutenue par une ferme expé- rience du bonheur de ce cher fils, disait répitai)he. Cette mère avait pris soin de son éducation avec une conscience timorée, qui lui dicta un fait qui doit être consigné ici et qui lient à f histoire de Varet. Lorsque celui-ci était encore dans les basses classes, son aïeul obtint pour lui la nomination à un béné- fice simple de quatre à cinq cents livres de revenu. Tout était tlisposé pour son entrée en possession, mais la mère y mit opposition, ne vou- lant pas que le jeune Alexandre reçût la tonsure; parce que, le destinant à suivre la profession de son père, elle disait avec raison qu'il n'était pas équitable de lui faire prendre un bénéfice ecclésias- tique en attendant. Lors donc qu'il eut fini ses études, il se fit recevoir avocat, et suivit le barreau pen- dant deux ans. Mais il s'en dé- goûta en voyant que l'exercice de cette ])rofession exposait souvent à parler contre la vérité. Ce fut alors qu'il fil le voyage de Rome mentionné au commencement d-; cet article.

Varet a composé plusieurs ouvra- ges.— l. Lettred' un ecclésiastique à jTTx Morel, théolofjil de Paris, sur trois sermons de ce théoUujnt, in-i'*, 1 00 i. H. Miracle arrivé à Provins fl approuvé par ta sentence des grands vicaires de Sens ^ le 14 décemln'e lOoG, in-4".— IIL Lettre d'un théo- logien ioucliant la censure de la fa- culté de théologie de Poitiers sur lu probabilité. IV. Traité de la pre- mière éducation quon doit procurer auc enfants, etc. Varet était encore dans les écoles deSorbonne (piand, en 1661), à la j)rière d'une de se;*

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sœurs, mariée, il publia ce trailé qui est le meilleur de ses ouvrages. II y donne des maximes excellentes et la manière de conduire les en- fants depuisqu'ilssontsortisdu sein de la nourrice, jusqu'à ce qu'ils passent à l'étude des belles-lettres. Ce livre utile aux gouvernantes et aux premiers maîtres de la jeu- nesse a eu j)lusieurs éditions. V. Facium pour les Ermites du Mont-Valêrieu contre les Jacobins. De graves discussions et procédures avaient eu lieu entre les solitaires ermites du Mont-Valérien et les Dominicains, qui avaient des pré- tentions et s'étaient même établis sur cette montagne. VI. Facium pour les religieuses de Sdinte-Calhe- rine-lès- Provins, \n-i2. Ce facium «'idcva la direction des religieuses aux Cordeliers de Provins, contre lesquels il était écrit. VU. Dé- fense de la paix de Clément L\, '2 vol. in- 12. Mil. Facium de l'archevêque de Sens contre son chapitre. Les écrits de Yaret pour l'archevêque lurent combattus dans la dissertation intitulée : De jure presbylerorum jiar Fonte- nius, pseudonyme ridicule qui ca- ciiait l'abbé Boilc^au. IX. Les Constitutions reli(jieuses de la congrégation de Notre-Dame, dont le successeur d" (jondrin défendil l'usage. X. Défense de la disci- pline qui s'observe dans le diocèse de Sens , louchant l'imposition de la pénitence publique pour les pechc'^ publics , imprimé par l'ordre de Monseigneur l'illustrissime et Hévé- rcndissime Arclœvesque de Sens , Prussurot, 1673, in-8. C'est un volume l'auteur fait étaiago d'é- rudition sur l'histoire et la pratique de la pénitence publique, pour en venii' à juslifier ce qui se faisait dans le diocèse de Sens, et qui n'a-

vait })as le sullrage de tout le monde. Il y a des détails curieuN. surtout dans les 5*", 6"= et 7^ chapi- tres.—XI. Lettres spirituelles, 3 vol. in-12(l). XII. Yaret est auteur de la première préface du livre de la Morale des Jésuites , imprimé à Mons, en 1667 et de celle qui est au commencement de leur prétendue Morale pratique, La 2'' préface de la Morale pratique passe pour être de Pontchàteau, qui, avec Claude de Sainte-Marthe et Baudry de Saint- Gilles-d'Asson, est le principal au- teur de cet ouvrage. On a inséré jdusieurs des lettres de Yaret dans le Recueil des pièces qui n'ont point encore paru sur le formulaire, tes Bulles, etc.; imprimé en 1754, in- 12. Yaret avait aussi composé un mémoire manuscrit contre un plaidoyer de M. Yalon , en consé- quence duquel plaidoyer intervint arrêt du Parlement, portant sup- })ression d'une lettre de M. l'évoque d'Alet (Pavillon) au roi, du 20 août

(I] Dans les lettres de Nicole (letti-e 34') on tmiivri une comparaison qu'il lait enlie celles de Sacy et celles de « Yaret. « Ces iettics (de Sacy), dit-il, <{ sont beaucoup plus noblement écrites 0 que celles de M. Varet, et elles don- « nent même une plus grande idée de (( sa personne et de son esprit, que <•( M, Varet n'en donne de lui par les « siennes. (Cependant, celles de M. Va- <i ret (tut aussi certains avantages (pii « ne sont pas peu considérables. 11 y a « bcaucoiqt plus de matières traitées <( avec étendue qui' dans celles de M. de '< Sacy. Il entre beaucoup plus dans le « détail de quantité (le dispositions ti'è.s- '< communes, et néanmoins tiès-néccs- « saires a régler, de sorte que M. Va- « ret païaît être un directeur de per- n sonnes imparfaites, bizarres, S'-rupu- ' leuses, et que M. de Sacy semble « n'êîrc que poin- des Ames solides, in- « telligentrs et éclairées. Or, le nombre <r (les premières est bien plus grand « que celui des autres. »

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1664. touchant la signature du fonnulaire. Il est à regretter qu'un homme comme Varet, si distingué par son instruction et des qualités nombreuses, ait grossi le parti qui depuis deux siècles a causé tant de mal et jeté partout l'esprit de ré- volte et d'opposition. Ces opinions étaient en lui une apanage de fa- mille, et elles se sont maintenues dans les branches qui lui ont ap- partenu , telles que les familles Pépin , Tartarin. Ce parti n'est pas éteint. On a gravé le portrait de Varet et on le voit en tète du pre- mier volume de ses lettres spiri- tuelles, avec ces vers dus à la plume d'un ami :

For et simple en ses mœurs, modeste de visage, Des vérités «lu ciel épris dès scn -eune âge, Varet jusqu'à leur source alla s'en abreuver; Kt de son grand savoir sun iiumililé saiule

I empreinte,] l'itbion voir qu'en un r^ur la grâce est Les vapeurs de l'orgueil ne sauraient s'élever.

On peut consulter sur Varet ^Alexandre) quelques dictionnaires historiques, le Nécrologe des défen- seurs de la vérité... Les Mémoires historiques et chronologiques... sur l' abbaye de Porl-Hoyal-des-Champs, etc., etc. B-D-E.

VARET (François) , frère du précédent, partageait ses erreurs religieuses. Il a publié une traduc- tion franraise du catéchisme du concile de Trente, et est auteur de la longue épitaphe (|iii se vovait sur la tombe d«' son frère et qu'on trouve dans le Nécrologe de Porl- lloyul. B-n-E.

VAUliAS ou l«AU(iAS ^Martin dk), réformateur «le l'ordre de Ci- leaux, en Espagne. n;upiit à la lin «iuquatorziènuî siècle, dans le Ixnirg de Xérès de la Frontera, province d'Andalousie. Après avoir fait avec un grand succès des études solides

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et variées, il résolut d'embrasser la vie religieuse. L'auteur des an- nales de l'ordre de Gîteaux, Ange Manriquez, dit qu'il fit d'abord pro- fession dans l'ordre des Ermites de Saint-Jérôme d'Italie, et qu'il s'y concilia une si grande estime, que le pape Martin V le choisit pour sou confesseur et son prédicateur. Mais Vargas revint en Espagne pour y vivre dans une plus grande retraite, et fixa sa demeure dans le royaume d'Aragon , avec la permission du Souverain Pontife, il s'agrégea à l'ordre de Cîteaux,dans l'abbaye de Notre-Dame-de-la-Pierre ou de Piedra. Quel dessein avait-il en faisant cette démarche? On ne peut croire qu'il cherchât à suivre une observance plus régulière , puisque les commandes avaient larT gement contribué à ruiner la dis- cipline monastique en Espagne . comme elles le firent plus tard en France. Il est probable qu'il y fut conduit par une disposion spéciale de la Providence pour établir la ré- forme. Ce qui l'anima à entrepren- dre cette réforme, c'est qu'il trouva dans le monastère dix ou douze re- ligieux qui gémissaient sur les dé- sordres dont ils étaient témoins, et qui approuvèrent le dessein de res- tauration qu'il leur avait commu- niqué. Accompagné d'un seul con- frère. Michel de Cuença, Vargas alla à Rome. <>ù, après s'être pré- paré pendant quelque temjjs de re- traite au monastère de Sainte-Cé- cile, il alla se jeter aux pieds du pape Martin V, pour lui demander les autorisations nécessaires h l'exé- rution de son projet de réforme. Au lieu de trouver la résistance ou les épreuves méritoires, ordinaires en pareilles entreprises, Vargas, qui était si connu et si eslinu* du pape, rerut un accueil favorable.

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Le Souverain Pontilo rencouragea à poursuivre une, si pieuse entre- prise, et, par des lettres datées du 24 octobre 4i25,illuî accorda ce ([u'ii demandait, dont le principal était la fondation, dans les royau- mes de Castille et de Léon, de deux monastères, ou comme s'exprimait Vargas, de deux ermitages, dans lesquels les constitutions de €îteaux seraient observées littéralement. Ces lettres donnaient aussi à cette réforme nouvelle des privilèges étendus, et môme l'exemptait de la juridiction de l'abbé de Cîteaux et du chapitre général de l'ordre. C'é- tait en quelque sorte les détacher de l'institut; mais il ne faudrait pas se hâter de blûraer les déci- sions de Rome à ce sujet; sa sa- gesse sait ce qui convient le mieux aux sociétés religieuses, comme à l'Eglise tout entière, et l'on sait que plusieurs branches des frères-mi- neurs ont des généraux particuliers, sans cesser d'appartenir à l'ordre de Saint-François. Toute» ces dis- positions et celle du régime parti- culier de la congrégation furent confirmées par une nouvelle déci- sion datée du 7 juin 1426, sur le rapport du cardinal de Séville, abbé de Salos, chargé d'étudier et d'exa- miner cette atl'aire. Les religieux de Fiedra, confidents de ses des- seins et associés à ses projets, avaient trouvé longue l'absence de Vargaiî, incertains surtout de son sucr».'^. Ils apprirent avec joie l'is- sue de cette ailaire importante, et bientôt ils allèrent bâtir, près de Tolède, avec des branches d'ari)res, un humble monastère, sur un fonds que leur procura un généreux chanoine , lldefonsc M;irtiiiez. Vargas donna le nom de Monl-de- Sion à ce nouveau monastère, bâti sur le bord du T?ge, et fut élu

prieur avec la dénomination de Ré- formaleur, qui resta, jusqu'à la suppression, aux généraux de cette congrégation, désignée elle-même sous le vocable du premier mona- stère. La réforme de la congréga- tion du Mont-de-Sion imposait des austérités et une régularité sévère, surtout par la retraite que les reli- gieux devaient garder dans le mo- nastère (1). Néanmoins, ils sortaient pour se livrer, dans les localités on les appelait, à l'œuvre de la pré- dication et au ministère de la con- fession. Soumis, d'abord, pour les difficultés majeures qui pourraient surgir entre eux, aux décisions de l'abbé du monastère de Poblette , ils furent plus tard rendus à la juridiction de l'abbé de Cîteaux, qui devait visiter leurs maisons, lui-môme et non par délégués. Après la mort de Martin de Vargas, la nouvelle réforme prit beaucoui» d'extension et produisit des hom- mes distingués par leur savoir et par leur vertu. On peut consulter l'histoire de ceVQ congrégation dans Uéliot. tome V; dans le Dictionnaire des ordres reliijienx^ édité par l'au- teur de celte article; et surtout dans les annales de l'ordre de Cîteaux, spécialement dans le Fasciculus sanctorum ordinis Cislerciemis, de Henriquez, membre Ini-mômo de cet édifiant institut, que les récentes révolutions d'Espagne ont détruit avec tant d'autres. Quant au ])ieux réformateur, Martin de Vargas, persécuté et éprouvé comme le sont presque toujours ceux qui entre- prennent d'S œuvres de ce genre, payé d'ingratitude même par ses

(1) Don Vîirga.s fut, ou le premier ou l'un (les premiers a étabin- la tricnnalité dans l'élection du supérieur.

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propres religieux, il fut mis en pri- son dans le monastère de Mont-de- Sion , et mourut dans cette capti- vité, l'an 1446. B d e.

VARICLERY (Laurentio de), à Monbrison en 1472, était de l'illustre et puissante maison de Carrare, souverain de Padoue au xiV siècle. Les chefs de sa branche avaient abandonné Gè- nes, après la fin malheureuse des Carrares, assassinés par les Véni- tiens, et s'étaient retirés en France 011 ils tinrent longtemps un rang proportionné à l'éclat de leur nais- sance. Variclery sut également se servir de la lyre et de l'épée: il suivit Charles Vlll dans son expé- dition de Naples , et s'y distingua par sa bravoure, il fut l'un des premiers qui entrèrent dans Naples; le roi pour le récompenser l'arma chevalier, et lui donna le collier de son ordre. Variclery accom])a£;na Louis XII dans ses guerres d'Italie, toujours conservant la pensée chimérique de rentrer dans l'héri- tage de ses pères. Ses poésies gra- cieuses sont presques toutes écrites en italien; onen trouve une grande partie dans la bibliothèque de Flo- rence, et dans celle de Naples. Il épousa une Espagnole d'une nais- sance illustre, et mourut en 1554, laissant des enfants , dont l'un s'établit à Saint-Félix, diocèse de Toulouse, sa famille existe en- core. B. E. M. L.

VARICOrRT (Pii:niu>.MAiuN- Roupu de), évèrpie d'Orléans, frère de la célèbre niarqiiise de Villelle, fille adoptive de Voltaire (voyez lom. XLix, p. 87), était àOex, le 9 mai 17r):>, d'une famille anglaise, naturalisée (mi Franco, elle avait d'abord embrassé la religion calvi- niste. Pierre de Varicourt se des- tina de boime heure à l'elat ecclé-

siastique. Voltaire, qui appréciait le voisinage d'une famille peu fortu- née, mais universellement considé- rée , admit le jeune abbé dans son intimité, et le recommanda à son amie madame de Saint-Julien. Va- ricourt fit de brillantes études au séminaire de Saînt-Sulpice , fut pourvu bientôt après d'un canonicat dans le chapitre de Genève, d'une charge d'oflicial dans le diocèse d'Annecy, et, peu après, de la cure de Gex. Ce fut dans ce poste que les élections du clergé le députèrent aux États-généraux de 1789. Sa conduite à l'Assemblée constituante ne démentit pas les principes reli- gieux et monarchiques depuis long- temps héréditaires dans sa famille, et son courage se montra au niveau de ses sentiments. Varicourt refusa de pnMerle serment constitutionnel, et cet acte de résistance entraîna la spoliation de son bénéfice, malgré les réclamations les plus vives et les plus pressantes de ses fidèles paroissiens. Lors de la séparation de l'Assemblée, le pasteur dépos- sédé se montra momentanément à Gex, mais il en fut bientôt ciiassé par la fureur du parti révolution- naire et chercha un asiîe ?i Paris, il échappa avec peine aux mas- sacres de septembre. Il prévint les clTets du décret ([ui frappait de dé- portation les prêtres insermentés en se rendant en Angleterre; mais, au bout de sept mois , le mauvais état de sa santé le contraignit à repasser sur le continent, il vint attendre des jours (dus calmes. Après le 9 thermidor, Varicourt espéra pouvoir reparaître avec sé- curité sur sa terre natale; il revint h Gex ; mais les ])assions révoln- liormaires étaient loin d'être apai- sées, et il dut renoncer de nouveau au désir de se réunir ?i ses an-

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ciemics ouailles. 11 traversa la Sa- voie, résida successivement à Turin et à Milan, puis se rendit à Venise, pour y assister à l'éleclion du pape Pie Vil. Le vénérable pontife l'ac- cueillit avec les égards dus à son mérite et à son caiactère , et l'em- mena à Rome où- vint le surprendre Iheureuse nouvelle de la révolution du 18 brumaire. Bientôt après, le concordat de 1802 rouvrit les églises de France , et Varicourt fut enfin rendu à l'empressement de ses paroissiens. Les biens de sa famille avaient été mis sous le sé- questre pendant la tourmente ré- volutionnaire ; mais la sollicitude des Gessiens en avait empêché l'a- liénation, et ce témoignage de dé- vouement, si rare dans les épreuves que l'on venait de traverser, res- serra encore les liens qui unissaient le pasteur à son troupeau. La con- sidération que Varicourt avait si justement acquise attira bientôt sur lui l'œil du gouvernement impé- rial ; on tenta son ambition par l'olfrc d'un évêché ; mais ces sé- ductions échouèrent devant l'invin- cible répugnance qu'il éprouvait pour le pouvoir qui avait hérité de la révolution, et le régime i-oyal put seul triompher de son attachement au poste modeste qui semblait avoir captivé toutes ses affections. Vari- court fut nommé à l'évèché d'Or- léans peu de temps après la pio- mulgalion du concordat de 1817. Il écrivit à plusieurs reprises au car- dinal de Talleyrand , grand aumô- nier de France, pour décliner cet honneur ; il ne céda qu'avec peine et (juitla Gex au mois de novem- bre 1829. Lorsqu'il j)rf'la entre les mains de Louis XVIll le serment épiscopal, a Soyez, lui dit ce prince, le digne frère d un martyr 1 >, Le jiouvel évèque fut accueilli à Or-

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léaiis avec une vive satisfaction. 11 inaugura son avènement par plu- sieurs actes, de bienfaisance au nombre desquels, en résurrection d'un ancien usage, figura la libéra-, lion des prisonniers pour dettes, dont la présence répandit sur son cortège d'entrée un intérêt touchant et original. L'administration de Va- ricourt ne démentit point ces favo- l'ables débuts. Egalement doué de douceur et de dignité, fort d'une expérience précieuse des hommes et des choses, il réussit à maintenii- la discipline sans altérer sa renom- mée de bienveillance, et sans s'alié- ner aucun de ceux auxquels il eut à faire sentir la fermeté de son ministère : tâche d'autant plus difficile que, depuis 1809, le pouvoir épiscopal n'avait été exercé dans ce diocèse que par des pasteurs dé- pourvus de l'institution canonique, et dont l'action , docile aux in- fiuences du régime im))érial , avait sensiblement relâché l'aclion de la subordination ecclésiastique. Au bout de trois ans d'une administra- tion zélée, vigilante, teconde en in- stitutions utiles, Vaiicourt sentit ses forces subir une altération (l'Oj) expliquée d'ailleuis |)arleséi)reuves qui avaient sillonné sa laborieuse vie. Il parut i)Oui' la dernière fois dans ses fonctions épiscopales le 16 octobre 1822, jour du service anniversaire de la reine dont le dévouement de son frère avait prolongé * la déplorable existence, (voyez l'art, suivant; et s'occupa activement dès lors de mettre ordre à ses affaires temporelles. Par son testament, qu'accompagna un écrit rempli des sentiments religieux et monarchiques qui n'avaient cessé d'inspirer sa vie, il distribua sa for- tune presque entière en œuvres de bienfaisance. Le dernier chagrin

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qui lui était réservé fut de ne pou- voir recueillir les einbrassernents de la marquise de Villette, sa sœur, frappée de mort au moment elle se disposait à le rejoindre. Pierre de Varicourt expira dans la nuit du 8 au 9 décembre 1822, au milieu des regrets universels de la popu- lation orléanaise. Son corps fut dé- posé dans un tombeau que ce pieux évoque avait désigné derrière le sanctuaire de la cathédrale , et son cœur dans un mausolée élevé contre le mur de la chapelle du séminaire, selon le vœu qu'il en avait lui-même témoigné. L'abbé Chaboux, direc- teur de cet établissement, ami par- ticulier du défunt, prononça son oraison funèbre dans l'église de Sainte-Croix , et M. Boscheron- Desportes, président honoraire à la cour royale d'Orléans et membre de la Société des sciences et belles- lettres de cette ville, y lut dans la séance publique du 29 août 182:>, un Éloge hisloriqiie et hiogruphiqite de ce vertueux prélat, qui fui dédié à S. A. R. Madame la duchesse d'Angoulèrae, et imprimé : Orléans, 1823, in-8. Enfin, M. Tabbé Dé- pery, aujourd'hui évéque de Gap, lui a consacre en 1840 une notice étendue dans le 2" volume de sa Uiographie des hommes célèbres du département de l'Ain.

A. B— KK.

VAIUCOUUT (François-Rouph dk), frère du précédent, garde-du- corps de Louis XVI, n'a du sa cé- lébrité qu'au trépas héroïque qu'il r«M'ui en défendant à Versailles les jours de la malheureuse reine Marie- Antoinette, dans la matinée du 6 oc- tobre 1789. eonlre les assassins qui avaient forcé les iK»rtes de son palais et de son apparlemenl. à (Je\, le .'■> juillet I7f)0. Franeojs de Varicourt, lils d'Etienne Houph de

Varicourt, maréchal-des-logis des gardes -du -corps , était entré à 19 ans dans la compagnie deBeau- vais. Il se trouvait de faction à la porte de la chambre de la reine, lorsque les sicaires , ayant réussi à pénétrer dans l'intérieur du châ- teau, se dirigèrent avec fureur de ce côté, et ne laissèrent par leurs imprécations et leurs menaces aucun doute sur l'atroce projet qu'ils avaient conçu. « Sauvez la Reine ! » s'écria Varicourt, et ses paroles attirèrent sur lui un groupe d'assassins contre lesquels il défen- dit avec intrépidité le seuil de la porte dont la garde lui était confiée. Il succomba bientôt percé de coups ; mais la résistance de ce nouveau d'Assas , de des Huttes et de Mio- mandre-Sainte-Marie avait donné à l'infortunée princesse le temps de fuir en désordre dans l'appartement du roi, et son lit s'offrit vide et encore chaud à la rage des meur- triers. Ils revinrent bientôt à Vari- court, déjà expiré. Ils tranchèrent sa tôte et la fixèrent au bout d'une ])ique, de même que celles de ses deux braves compaiinons. On porta ces débris à la multitude, et le soir Paris vit arriver au milieu de cris de joie féroces, ces sanglants tro- phées de la victoire populaire. Deux frères de F'ranrois de Vari- court fui-ent lues à l'armée de Condé. L'un d'eux avait été admis ])armi les gardes - du -corps , le 10 octobre 1789, par l'ordre exprès du roi, en considération du dévoù- ment de son frère. Ce fut probable- ment une des dernières réconq^cnses que Louis XVI fut libie d'accorder à la fidélité de ceux qui s'immo- lèrent pour le salut de la cause royale, déjà si gravement compro- mise. Le nom de Varicourt eut la gloire d'ouvrir ee long marlyro-

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loge de défenseurs et de victimes, (jiie la Vendée allait bientôt grossir de son formidable et héroïque con- tingent. A. B— i':e.

VAUIX (Jacques-Pierre), géné- ral de brigade, à Gaen, le 26 fé- vrier 174îi| commença par être simple soldiat au régiment d'infan- terie du roi, en 1764. La révolution le trouva officier : les guerres qui bientôt mirent en question l'indé- pendance et l'intégrité de la France lui fournirent l'occasion de se si- gnaler; il arriva par degrés rapides au grade de général de brigade, en récompense de sa conduite dans h guerre de Vendée , puis il fut chargé du commandement du dé- partement de la Manche. Après un an à pe:j près entier j)a3sé dans ce poste, il futdirigéau commencement de Tan m, sur l'armée de Brest et de Cherbourg. En l'an iv (1796) et l'année suivante, il fit partie de l'armée d'Italie, nous le voyons surtout dépiover son activiîé lors des opérations relatives au siège de Mantoue, d'abord sous Mantoue même, tant que le général pour af- faiblir Wurmser, lui laissa la fa- culté d'eflectuer des sorties (28 fructidor an iv, c'est-à-dire 14 sep- tembre 1796 et jours suivants, puis quand le siège ayant pris forme de blocus, les troupes françaises furent lancées vers Trente et tout le sud du Tyrol pour intercepter les secours qui pourraient venir des Etats héréditaires autrichiens. Va- rin manœuvra donc quelque temps dans ces abruptes contrées (vendé- miaire et biumaire an v, automne 1796), jusqu'à ce que l'armée nou- velle, avec laquelle arrivait Alvinzi, pour débloquer la place assiégée, eût forcé les Français de se replier sur l'Adige : il fut alors chargé de commander la place forte de Pes-

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chiera, importante, on le comprend, pour couvrir le blocus. Un emploi d'un genre tout différent, car il est absolument paisible, l'appela le 1*^' vendémiaire an ix au commande- ment de la succursale des Invalides établie à Louvain. Le 26 prairial an XII il reçut la croii de la légion d'honneur. Val. P.

VAlllIN' (Brice-Marie) , un des membres de nos premières assem- blées législatives, était Breton de naissance et faisait partie du bu- reau de Rennes, lorsque la convo- cation des états généraux ouvrit de toutes parts des horizons, soit à l'ambition, soit au patriotisme et au talent. On sait de quelle indépen- dance la magistrature bretonne s'était montrée animée pendant les dernièresannéesdeLouisXVetsous Louis XVI. Député du tiers-état de la sénéchaussée de Rennes aux as- sises générales de la nation, Varin n'hésita pas à se prononcer dans le sens le plus progressif. Il était in- struit, exijcrt et laborieux : on le vit fréquemment à Tœuvre dans les commissions, et fréquemment il eut à tenir la plume pour ses collègues. C'est lui qui rédigea le rapport à la suite duquel il fut décrété (11 août 1790) ([u'il n'y avait lieu à suivre contre de Toulouse-Lautrec. De mèmf^ (juand l'assemblée résolut de rechercher et d(^ mettre en accusa- tion les auteurs des troubles d'In- grande, ce fut encore d'après un rapport de Varin et conformément à ses conclusions. De même, lorsque le ciirdinal de La Rochefoucauld se vit mettre en accusation comme « auteur d'écrits fanaticjues ». De même, quand furent votées les ac- tions de grâces et autres récompen- ses, tant aux citoyens qu'aux com- munes, parqui s'était opérée l'arres- tation deLouisXVÏ. Varin était alors

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secrétaire du comité des rapports. Bien que les deux dernières de ces mesures soient de celles qui soulè- vent la désapprobation des esprits honnêtes et monarchiques, il faut reconnaître que l'orateur, dans l'une et l'autre occasion, nétait que logi- que et fidèle à ses principes. La qualification qu'il donnait à la po- lémique de La Rochefoucauld, il est probable que La Ghalotais, en sem- blable occasion , s'en fût servi ; et quant à la fuite de Louis X\l, en la considérant, ainsi qu'elle le fut alors, comme une trahison et com- me un moyen d'obtenir un secours de l'étranger, la répression de cette tentative malencontreuse ne pou- vait qu'être hautement approuvée. Malgré les gages ainsi donnés à la révolution, Varin ne plut pas long- temps au\ coryphées de la régé- nération radicale de la société fran- çaise. Il avait voulu fonder l'éga- lité devant l'impôt, devant la loi; il souhaitait quele roi fût loyalement le premier citoyen du royaume, mais que le monarque fût dépos- sédé, que la monarchie fût renver- sée, c'est ce qu'il ne croyait ni j uste , ni sage, ni sûr, et avec cette téna- cité armoricaine, apanage desa pro- vince, il refusait de marcher du même pas que les téméraires elles passionnés, et persislaitdans sa voie. Vint la Convention, survint la ter- reur...la révolution, désormais an- thropo|)hage, se mit à dévorer ses propres enfants. Varin n'était homme ni à se cacher, ni à trouver grâce devant les bourreaux; il était trop en vue pour esquiver le regard , il portait et la tète et le verbe trop iiaut pour qu'on ne voulût pas faire taire celui-ci et faire tond)er celle- là. 11 périt sur l'échafaud en 17U3. Un de ses frères, après avoir été conservateur des hypotlièqucs.

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fut envoyé par le déparlement d'IUe-et-Vilaine au Conseil des Cinq-Cents, et après le 18 bru- maire devint substitut du procu- reur impérial près le tribunal civil de Rennes, place qu'iloccupa jusqu'à la réorganisation des tribunaux, en 18U. Un troisième Varin, neveu de ce dernier et fils de Brice- Marie, le constituant, a longtemps été avocat général près la cour impériale de Rennes : sa nomina- tion remontait aux derniers temps de l'empire; la restauration ne son- gea pas à le révoquer : au contraire l'ordonnance du roi du 3 janvier 1816 le confirma solennellement dans ses fonctions; et en 1824, il passa de ce poste à celui de procu- reur général. C'est par erreur que la première Biographie des con- temporains, celle de Michaud, a confondu ces trois homonymes , si voisins du reste [)ar le sang. C'est d'une autre famille proba- blement qu'était issu Varin d'Ain- ville, mort en 1844, président ho- noraire de la cour royale de Be- sançon. Val. p.

VAI\I>' (Pierre-Joseph), très- savant historien, ou plutôt cher- cheur de matériaux historiques, était de Brabant-le-Roi (Meuse), et naquit le 19 septembre 1802. Les études universitaires alors se com- pliquaient fort peu de grec ; cl le eune hounne ne conq)ensa ])oint l)ar sa vocation , par sa .soif pliil- hellénique, l'absence des soins que iml régent devers l'Ornain, et mê- me devers la Meuse, n'était alors en état de donner à celle partie de son éducation. 11 n'eut donc ja- mais du grec (jue quelques notions des plus élémentaires. En revan- che, il profila de tout ce qui s'en- seignait autour rie lui ; et puisa dans la lecture d'un grand nombre d ou-

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vrages les connaissances dont il était avide (de là, lors même qu'il était adolescent à peine, un noyau déjà solide de notions historiques, et de aussi l'intime familiarisa- tion avec les formes sveltes, les tours variés et l'opulente synony- mie de notre idiome"^ ; aussi le vit- on, presque de lui-même, après sa rhétorique, manier la phrase fran- çaise avec autant d'élégance que qui que ce soit. 11 n'essaya pas d'entrer à l'Ecole normale, et il est un des exemples dont les ennemis de l'Ecole peuvent se targuer, lors qu'il leur arrive de prétendre qu'une monnaie peut être de hon aloi sans avoir été frappée au ba- lancier de la rue d'Ulm , ou, si nous voulons nous reporter aux années 1818-1820, au balancier de la rue des Postes (1). N'étant ainsi ni sous la férule, ni sous les ailes de l'Université pour commiencer, il fit ses premières armes com- me professeur à l'école des pages de Charles X,ii Versailles ; el, dans ce milieu, fort didérent atout pren- dre de celui des collèges, il se fit de l'urbanité, de la grâce des ma- nières, de la distinction du langa- ge et du tact, une habitude el un besoin. Mais, soit inconstance, soil désir de ne pas rester éternellement aux études superficielles, les seules qui fussent nécessaires poui- l'en- seignement qu'il avait à donner, .soit autres causes encore plus pro- saïques ou [dus délicates et plus intimes, il se résolut à courir la car- rière universitaire. 11 avait commis l'imprudence de se marier, beau- coup plus tôtqu'il n'eût été sage d'y

(1) L'école normale, actuellement rue dX'lm, était précédemment rue îles Postes.

penser, aussi peu riche et peu ré- tribué qu'il l'était et ne pouvant compter sur nul apport pécuniaire de la part de sa femme ; la famille s'accrut bientôt, et les appointe- ments restaient les mêmes. On sait combien il est fréquent que ces défauts d'équilibre entre le budget des recettes et celui de la dépense, soit gros d'orages ou même de ré- volutions en ménage comme dans l'administration d'un Etat : Ver- sailles devint intenable à Varin, et il fut heureux d'aller à Reims remplir, à titre provisoire, la chaire d'histoii-e au lycée. Le fixe, grossi de l'éventuel, ne composait encore qu'un tout des plus modiques ; il sut un peu le grossir. Gomme son talent se révéla bien vite, et com- me il était fort insinuant, il eut l'art d'intéresser assez à lui les notabilités de la ville pour que l'autorité municipale l'adjoignît au conservateur de la bibliothèque pu- blique avec le litre de sous-biblio- thécaire aux manuscrits et archi- ves, avec des honoraires de douze cents francs. Varin, à coup sûr, fit plus que les gagner par la mis- sion (juil se donna de cataloguer et de classer cartulaires, pouillés, diptyques el tant de pièces admi- nistratives relatives à la ville du sacre, et pièces probantes de son histoire. SL'iis il ne travailla [)as (\ue pour la cité : tandis que tous ces documents passaient à tour de rôle sous .ses yeux, il en prenait note, il en tenait registre, il les copiait, les uns par simple extrait, les autres m extenso ; il prenait la résolution de les livrer à la publi- cité un jour, si l'Etat lui venait en aide; puis de rédiger sur cette masse de documents irréfragables autant que variés et contenant né- cessairement beaucoup de détails in-

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connus, une Histoire de la commune de Reims, qui laisserait bien derrière elle l'estimable essai de Digault. Ces travaux, au moyen desquels il devenait de jour en jour paléogra- phe plus expert et archéologue plus consommé, il les faisait marcher de front avec l'étude approfondie de l'histoire universelle, sinon sur les sources elles - mêmes quand ces sources étaient étrangères {c'est alors qu'il maudissait son igno- rance des langues) , mais sur les ouvrages puisés iinmédiatementaux sources, et dont les auteurs avaient su joindre à l'érudition le discer- nement, la longue vue et la ré- serve du crilique. Plusieurs années s'écoulèrent pour lui au milieu de ces fortes et fructueuses études, ({ui, dès la fin de 1832, lui méritè- rent un avancement sur place (il devint censeur), etqu'ilsemitbien- lot à spécialiser dans le but de se présenter pour l'agrégation des classes d'histoire. L'institution des censeurs était récente alors, et n'avait encore donné que des ré- sultats, satisfaisants sans doute, mais transcendants? non! et reten- tissants? encore moins ! Mais l'éclat avec lequel Varin ijurut, surtout au\ épreuves oraiss lors de ce con- cours d'histoire de 1833, auquel nous voici parvenus, fit sensation : concurrents et juges furent aba- sourdis de cette facilité, de cette lucidité, de celte vivacité de j);i- roie, de cette variété de con- naissances historiques , de cette originalité do rapprochements et de celte sùrete d'aj)précialiou ([u'il déploya eu même temps. Il y avait lit des élèves de l'Hcole norinal<* exercés dej)uis dix mois sur les questions du concours par quel- ((ues-uns mêmes de ceux qui sié- geaient comme juges et qui ex-

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posaient les solutions données par eux-mêmes. Varin venait de la province, et n'avait jamais pas- sé par le moule de l'enseigne- ment sacramentel. Il fut proclamé par le jury le premier des six ad- mis, et l'opinion unanime de l'au- ditoire, complétant le verdict du jury, le proclama « le premier et hors ligne. »

Il n'eût tenu qu'à lui , après ce beau succès, d'aller avec un titre définitif occuper une des premières chaires de collège royal en pro- vince. Mais il se garda d'en accep- ter une ; il en avait plus que suffi- samment de l'enseignement secon- daire • c'est aux Facultés qu'il as- pirait. Il avait raison ; et c'est à paraître sur ce théâtre que la na- ture de son talent le conviait. Mais ce n'est pas tout; avec l'impatience un peu fébrile et la foi un peu ro- buste du jeune âge, c'est une des chaires de la capitale qu'il con- voitait , ne fût-ce qu'à titre provi- soire. Mais ces titres provisoires mêmes étaient courus avec achar- nement, et toutes les chaires, tant (le la Sorbonne que du collège de France , étaient à des titulaires, les uns s'acquittant de leur charge (c'était le petit nombre), les autres, sinécuristes de longue date, réso- lus à ne se laisser arracher leur sinécure qu'avec la vie. Il solli- cita donc en attendant, et, sa- chant (ju'il faut être à Paris pour obtenir Paris, une place secondaire à la bibliothèque de la Sorbonne. Puis enfin s'impalicnt.uit de ])alien- Icr et coni()renanl combien il était impossible de prendre d'assaut celte loricresse, il envisagea moins dédai- gneusement la perspective (ju'ou- vrail aux jeunes docteurs ès-letlres la création, jiar Salvandy, de trois facultés de cet oiiire, se hAta de

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bâcler les deux thèses exigées (1838), et très-peu de temps après obtint cVemblée, non-seulement un titulariat (la chaire d'histoire) à la faculté de Rennes , mais encore, comme bague au doigt qui n'est pas donnée à tous, le décanat. Il paraîtrait même que le choix lui fut donné par le minisire entre les trois villes qu'on érigeait en chèfs-lieux de faculté (Lyon , Rennes , Bor- deaux). Il opta pour Rennes. Nous tenons ce détail pour éminemment probable ; mais nous sommes loin de prendre de même à la lettre un autre détail dont lui seul nous a donné connaissance : c'est qu'à deux re- prises au moins, soit alors, soit un peu plus tard, il put devenir de doyen recteur à Bennes même. Quoi qu'il en puisse être, le fait est que, soit comme doyen, soit comme pro- fesseur, Varin à Rennes, en dépit de fâcheuses impressions qu'on trouva moyen de faire prévaloir chez un haut et très-puissant employé du ministère , se montra constam- ment à la hauteur de son rôle. Ni l'initiative, ni la responsabilité d'un doyen de P'aculté n'est grande pour l'ordinaii'c : il prend les or- dres de son recteur. Varin prouva qu'il était capable d'autre chose que de prendre et d'exécuter des ordres. Dans le conflit regrettable qui, vers 1842, 43 et années sui- vantes s'éleva entre l'académie et l'évêché, il sut garder une attitude modérée autant que grave, tint la Faculté dans des limites qui ne pouvaient alarmer les susceptibili- tés religieuses, et malgré l'animosité

^^que dès lors laissa percer le recteur "ît qui bientôt se changea (justement

arce que Varin ne commettait au- une faute) en haine outrée, ilper- Uéra dans une voie qui finit par

rue

Postt^ louée de tous ceux qui ne

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jugent pas d'après les opinions des autres. Des trois collègues aux- quels longtemps sa Faculté fut réduite, tous obtinrent l'estime à divers degrés; mais Varin, dès le commencement , se fit classer à part et fut l'objet constant d'un enthousiasme prodigieux, il faut le dire, si l'on tient compte de la nature et de l'esprit du pays.

Sans doute, il faut dans cette vo- gue faire la part de la spécialité à laquelle il s'était voué et qui par la nature môme des choses, tout restant égal d'ailleurs, attire et captive plus que les quatre au- tres chaires ensemble. L'anec- dote, le portrait, le feuilleton en quelque sorte y trouvent leur place et prohibent l'ennui; les hautes vues, la controverse récapitulée par les traits saillants , les lointaines perspectives d'avenir satisfont les intelligences plus compréhensibles et plus profondes. Mais n'attribuer qu'à la nature même de la chaire, les applaudissements dont fut comhlé Varin, ce serait plus que del'iniquité, ce serait de la mauvaise foi. Tout ce que nous avons dit, et de son élocution et de sa science, se re- trouve plus exact que jamais à l'instant auquel nous sommes arri- vés : toutes ses qualités se sont mûries , et le plaisir môme de son succès, en excitant son émulation (rare conséquence ([ui n'existe pas chez tous), le rendait de jour en joursui)érieurà lui-môme. »I1 était pathétique en lem^is et lieu, coloré parfois, fleuri toujours, sans vous aspiiyxier sous les fleurs; et son style exhalant un parfum de poé- sie, avait l'allure du poète, sans en emprunter le langage. Il n'afi'ectait pas plus l'éloquence : il semblait sen- tir (sans que jamais nous l'ayons en tend u émettre cette théorie) que l'éio-

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quence n'est de mise, n'est de bon goût qu'en cas de lutte, et réelle et grandiose. Mais tout ce que l'élo- cution (c'est autre chose que l'élo- quence) peut posséder de trésors et de grâces, il le prodiguait à pleines mains et comme en se jouant. Qu'on ajoute à ces qualités de l'o- rateur académique le plus sédui- sant un débit parfait, un geste qui n'excède ni ne reste en arrière, et une coupe dévisage, des pommettes et des lignes qui rappellent à s'y méprendre les traits de Voltaire, on aura l'idée, un peu terne peut- être, mais exacte, de ce qu'était Varin en sa chaire. A son époque, nul assurément ne l'a surpassé, bien que quelques-uns aient eu leurs jours de succès ; et quiconque ne sait comment se brassent les avan- cements dans les ministères spiri- tuahstes, adroit de trouver incon- cevable qu'il n'ait pas été accordé au titulaire de Rennes de donner l'essor à ses ailes oratoires dans l'atmosphère parisienne. Longtemps du reste, il y compta pleinement lui-même. Le successeur de Nar- cisse-Achille « avait , » dit-il , « donné sa parole. » en lui pro- mettant qu'il le rappellerait à Paris à la première occasion. Enfin la mort de Nodier (1844) ayant pro- duit un mouvement dans le per- sonnel de la l)ibliolhè(iue de l'Ar- senal, le Ministre s'attachant à la lettre de sa parole, lui (it ofTre de la plus belle position u laquelle il pou- vait le nommer dans ladite officine bibliograj)hi(iue ; c'était la seconde seulement, le baron de Cayx s'é- tait abattu sur la première, l'Excel- lence ayant trop petite main pour lui faire lâcher prise ; c'étaient trois mille francs, plus son loge- ment (qui par parenthèse ne se trou- va disponible qu'au bout de plus de

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deux ans). Varin hésite jusqu'aux vacances , il s'agissait pour lui de délaisser le double, net; finalement il accepta, et le voici à Paris, avec sa femme (qu'il venait de rappeler près de lui après douze ans ou plus de séparation) , avec ses trois mille francs,... et l'espérance! Il est douloureux, et profondément instructif, de suivre tout ce que pendant les cinq laborieuses an- nées qu'il avait à vivre encore , il lui fallut de persévérance , on dirait presque d'héroïsme , pour subvenir d'une part aux exigences de la vie parisienne, de l'autre à la suite des travaux qu'il avait sur le chantier. Pour ceux-ci en dépit de la faiblesse de sa vue , en dépit du délabrement de sa santé, à l'Arse- nal comme à Rennes, il quittait le lit longtemps avant l'aurore , et à neuf heures il y en avait six qu'il compulsait, écrivait , sarclait ses épreuves, etc., etc. Quant à celles- là, son seul espoir étant la bonne humeur du ministre, il était sans cesse en course du secrétariat géné- ral aux bureaux et des bureaux au secrétariat général, au guet de toute nouvelle qui pouvait ouvrir un ho- rizon et distillant les cajoleries de toutes sortes, au bout desquelles on lui lâchait assez de centimes additionnels pour doubler et même pln*i que doubler son fixe trop faible : c'étaient des missions pour ins[)ecter les bibliothèques de pro- vince au point de vue surtout des archives et autres manuscrits ; c'étaient des jetons comme mem- bre du jury d'agrégation pour l'histoire. Ce n'était pas la vie en- viable; c'était toujours, sous d'au- tres formes, la lutte laborieuse par huiuelle avait débuté sa jeunesse rivée â la chaîne d'un mariage prématuré en même temps qu'indi-

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genf. II marchait pourtant , et quoique un peu moins vite que no l'eussent voulu les amis de l'his- toire originale et sérieuse, il élevait un étage nouveau du grand monu- ment qu'il voulait ériger à sa patrie adoplive, la commune de Reims, et il se recommandait à la pha- ange religieuse de rAcadémie des inscriptions. Évidemment le temps approchait le docle corps allait le considérer comme c^andidat des plus sérieux, et où, en mettant les choses au pis, après avoir été dis- cuté vivement en deux ou trois élections successives, il réunirait la majorité dos voix. Être memhre de l'Institut, était la plus chère des espérances qu'il nourrissait , et peut-être la seule depuis qu'il revoyait de plus près et collège de France et Sorbonne et qu'il sentait sa voix s'éteindre. Cette consola- tion suprême lui fut refusée. Nous avons dit nn mot de l'état déplo- rable do sa santé. C'était peu dire : la débilité do tout son être, l'im- pressionnabililédeson organisation, sa puissance pour la douleur , puissance qui n'avait été que trop exercée, ne sauraient se rendre. La révolution de JSi8 avait en- core exagéré cos dispositions fa- tales. Survint, l'année suivante, le choléra : cotte apparition le frappa d'un effroi sans égal; il l)rédit qu'il en mourrait. On ne peut dire tout à fait que ce fut une panique ; nn mois à peine après que s'était manifesté le fléau, s'é- tanl rencontré sur le boulevard avec un convoi, il lut comme fou- droyé d'une do ces atteintes (jui ne ])ardonnont [jas : peu d'heures suffiront ))0ur le rendre comj)léte- menl insensible, et le troisième jour '\2 juin 1849;, il expirait. Sa femme non moins impressionnable

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que lui, et 'qui dans cette affreuse agonie ne l'avait pas quitté d'un ins- tant, éperdue de douleur, sous l'é- treinte de l'excessive émotion et en veiilant aux apprêts d'un embau- mement, dont bien des fois il avait exprimé le vœu, afin que ses dé- pouilles mortelles fussent transpor- tées à Bar-le-Duc, ne tarda pas, à ressentir les mêmes symptô- mes que lui , et quinze jours après elle le suivait au tombeau. Le vœu de l'époux avait été pieu- sement rempli. Leur fille obtint immédiatement par l'intervention spontanée de M. Naudet une pen- sion du ministère. Ce fut la seule récompense un peu hors ligne par laquelle l'Administration universi- taire reconnut le mérite d'un de .ses plus brillants et plus dignes enfants, d'un de ceux qui mis à leur place, auraient jeté sur le corps entier l'éclat qu'il devrait avoir et qu'il n'a pas. Voici la liste dos princii)alos productions ou publications de Varin. I. Archi- ves communales de Reims, Paris, j V. in-i°. C'est une œuvre hercu- léenne, ou comme il est à la mode de dire aujourd'hui, une œuvre de Bénédictin. Pour comprendre que l'autour ait pu y suffire quand on sait combien il donnait de temps soit aux relations de société, soit aux visites d'entregent et d'am- bition sans lesquelles il n'eût peut- être pas même eu au banquet uni- versitaire la i)lace un ])0u secon- daire qu'il finit par conquérir, on a besoin do se reporter à ces veilles matinales indiquées plus haut et (\[ù pour lui commencèrent dès le chant du coq. Commencées dès le temps de son séjour à Reims, poursuivies sans relAche à Rennes, non sans une subvention du minis- lèro (jui les avait admises au

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nombre de ses Documenis relatifs à Vkistoire de France^ continuées encore, mais avec diverses inter- ruptions pendant les quatre ans et demi de 1844 à 1849, les Archives communales de Reims dévorèrent, on peut le dire, la vie de l'intrépide ex-archiviste. Il n'a pas même eu le temps de les mener entièrement à fin. Aux quatre volumes publiés et qui ne contiennent, avec des notes, la plupart précieuses, que des textes de pièces soitpar extraits soit in extenso ou l'indication de ces pièces par leur titre, il voulait en ajouter au moins un cinquième de même nature et nous aim-ons à le penser, un index indispensable pour se retrouver dans ce laby- rinthe de richesses: et de plus, après cet ensemble colossal de do- cuments irréfragables il eût rédigé (sur pièces, comme on le voit, et uniquement sur pièces) cette His- toire de la commune de Reims dont nous avons vu surgir chez lui le plan bien avant le concours de 1833. Nous n'avons pas besoin d'in- sister sur la valeur qu'aurait pré- sentée semblable travail exécuté sur de tels matériaux par une telle main. Il serait à désirer, mais l'on ne saurait guère Tespérer, qu'un continuateur vienne, grâce aucjuel l'on ne dira pas éternellement :

. . . Pendent opéra interrupto. . .

\[. La vérité sur les Arnauld, Paris, 1847, 2 vol. in-8''. C'est un coin de la vérité, ce n'est pas toute la vérité. Encore sur bien des points peut-on douter que ce soit elle. Les faits mêmes, quand il ne nous donne que des faits, sont exacts (^mérite réel, quoiqu'ils n'y joignent pas, autant que l'imagine l'auteur, celui d'être comjjlétemenl inédits ou entièrement ignorés) , mais l'a

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geucement des faits, mais les con- jectures surtout qu'il en tire et la portée qu'il attribue à leur inten- tion, entre dans le domaine de l'hypothèse, parfois de l'hypothèse perfide, et ne peuvent prendre rang de vérités acquises qu'après nou- veau contrôle. L'ouvrage du reste est piquant pour qui n'a pas de parti pris ; il nous fait envisager une face trop peu connue d'un épi- sode important du dix-septième siècle ; il tend à faire reviser un procès qui fut célèbre et rembourre le dossier de ceux auxquels l'opinion du lendemain a donné tort tandis que le pouvoir du jour leur donnait raison ; il est à lire, il est à médi- rer après le Port-Royal de M. Sainte- Beuve. Le livre d'ailleurs est écrit avec certaine sincérité, bien que passionné : Variii, très-hautement religieux, penchait un peu plus que de raison, ce nous semble, vers l'ultramontanisme; mais c'était de très-bonne foi, et chez lui c'était logique : il n'aimait pas plus les rouagesdu gouvernement parlemen- taire que les conciles de Constance et de Bàle, qui morigénaient et dé])osaient des papes. Il savait trop bien l'histoire pour ne pas re- connaître sur quelles bases ver- moulues ou mensongères avait re- posé au moyen âge l'omnipotence du Saint-Siège ; mais jamais à ses yeux le Saint-Siège n'avait eu tort: les fausses décrétâtes, il le soutint un jour en chaire, avaient été ré- digées au profit et par l'ordre de (^harlemagne! Charlemagne com- manda le faux!! bref Charlemagne est le véritable faussaire 11!

in. Les deux thèses à la suite desquelles lui fut conféré le grade de docteur et (jui portaient pour titre: la française. Dellnfluonci' des questions de race sous les derniers

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Caiioi'iufjiens, Var'is, 1838, in-S» : la latine, De quibusdam Ilcrberli opusculis et de gallicananim doclri- narnm originibus, même date et inèine iorinat. Ce dernier travail parut en français presque au môme instant dans la Revue française. On trouverait aussi de lui quelques articles dans la licrue nonvelle et dans le Correspondant. Il en avait promis de même et il en fournit deux ou trois au Dictionnaire iiis- torique et géofiraphique de Bretagne par O.L'é, dont il laissa dire qu'il était directeur ou co-dirccteur. Mais nous croyons savoir que cette direc- tion fut un mythe. Val. P.

VARIi\ (JosEPH-DÉsmiî), reli- gieux de la Compagnie de Jésus, fut un de ceux qui contribuèrent le plus au rétablissement de son or- dre en France, et lors même qu'il n'appartenait pas encore à cette célèbre Compagnie, il avait, avec de généreux amis, cherché les moyens d'assurer sa restauration légale dans l'Église. Sa vie accidentée est à la fois curieuse et édifiante. à Besançon, aujourd'hui chef -lieu du département du Doubs, le 7 fé- vrier 1769, Varin sortait d'une fa- mille distinguée par ses sentiments religieux et sa position sociale. Son père était conseiller au parlement de PVanche-Comté. Le jeune Vaiin, (jue, dana sa famille, on appelait (le Solinon, du nom d'une ferre si- tuée sur les fionliôres de la Suisse, montra dè« son enfance un cceur excellent, mais en même temps un naliuel ardent qui le poussait quel- quefois à une impétuosité exces- sive. Il était Êurlout passionné pour la chasse, ft même, étant sémina- riste, n'étant |»as encore, il est vrai, engagé dans les ordres, il cé- dait quelquefois, malgré les conve- nances et ses résolutions, à l'attrait

de ce plaisir bruyant et interdit aux ecclésiastiques. Il joignait à cet entraînement un grand attrait pour l'état militaire. Nous allons voir bientôt que la Providence l'a- mena à cette profession par des voies et des circonstances qu'il n'a- vait guère prévues. Mais élevé chré- tiennement et encore plus poi'té à la piété qu'à toute autre jouissance, il éprouva de bonne heure le désir de se consacrera Dieu. Ilcommença dans la maison paternelle et conti- nua au collège de Besançon des études solides et dans lesquelles il obtint des succès. Après avoir reçu, dès l'àgc de quinze ans, la tonsure et les ordres mineurs, il vint à Pa- ris et entra au séminaire de Saint- Sulpice pour y redoubler son cours de philosophie et étudier ensuite la théologie. Le nouveau séminariste gagna bientôt l'affection des supé- rieurs et des élèves, et se lia à une association composée des plus fer- vents de ses condisfiples, de la quelle faisaient partie les jeunes princes de Broglie, Charles et son frère Maurice, depuis évoque de Gand ; de Villèle, depuis archevê- que de Bourges, les abbés de Sam- bucy , de Tournèly et de Grivcl. Ces trois derniers, comme nous allons le voir, devaient plus tard s'unir -X lui par des liens encore plus étroits. Tous ces jeunes zéla- teurs étaient sous la direction spé- ciale do M. Tassin, un des plus vertueux sulpiciens, mort sainte- ment sous l'habit de trappiste (4),

(!) On peut apprécier ce saint reli- gieux par U) note historique assez éten- due que je lui ui consacrée à la il' co- lonne de la page 2zo du tome LXXXIV. Dans cette note, on a inq)nmé deux fois par erreur le nom La Pavsse, il

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Le jeune de Solmon terminait sa deuxième année de théologie lors- que la révolution française l'obligea à abandonner, du moins pour le moment, la carrière oii il était en- tré; il quitta Paris le jour même de la prise de la BaslillO; et re- tourna dans sa famille. L'année suivante il émigra avec elle en Suisse, bientôt sa santé, grave- ment compromise par une affection de poitrine, porta les médecins à lui prescrire une vie plus active et surtout l'exercice de l'équitation. A l'exemple et surtout à l'invitation de plusieurs gentilshommes de la Franche-Comté, il alla rejoindre l'armée des princes français à Co- blentz, et entra dans un régiment de dragons commandé par le ma- réchal de Broglie, père de ses deux anciens condisciples. La veille de son déj)art sa mère vint le trouver à sa chambre lorsqu'il était déjà couché, et lui dit avec une sorte de vivacité presque solennelle : Omon enfant^ je t'en covjure, ne pei'ds ja- mais la crainte de Dieu. Il ne de- vait plus revoir cette mère, victime de la révolution, et ces paroles, les dernières qu'il ait entendues de sa bouclie, ne s'ellacèrent jamais de sa mémoire, et eurent une grande influence sur le reste de sa vie. Yarin ht avec distinciion les deux campagnes de 1792 et de 1793, et quoiqu'il eût pris une part active à plusieurs batailles sanglantes, il échappa aux plus grands dangers. En novembre 1793, persuadéqu'au- cune action n'aurait lieu avant le printemps, il demanda un congé pour aller voir le reste de sa fa-

faut lire La Samse; et cVst sous co nom qu'on trouvo Tartitlc de ce Sulpi- cieii au tumc L\X, page 319.

mille, retirée en Suisse, à Esta- vayer. Si l'innocence de ses mœurs avait été exposée dans les deux années passées dans les camps, les émigrés n'étaient pas tous édi- fiants, elle le fut encore plus à Es- tavayer, dans le loisir et au milieu d'une jeunesse dissipée, qui avait apporté dans l'exil la légèreté du caractère français. Varin prit goût aux divertissements de ses compa- triotes, et il faillit être victime de son imprudence. Un soir, il s'était abandonné avec plus de laisser- aller à l'entraînement du plaisir, et son âme vertueuse en était agitée et luttait contre la grâce. Sa sœur, qui le voyait disposé à retourner le soir dans cette société la veille, elle avait remarqué ses manières un peu trop légères, lui dit avec bonté : « Prends garde, mon ami; rappelle-toi la gravité de tes pre- mières années. » Ces paroles, tout en le contrariant, le forcèrent à ré- fléchir. Rentré à sa chambre, il jette par hasard les yeux sur un livre dont la première page lui pré- sente le Memorare qu'il avait à peu près oublié. 11 le répète une troi- sième fois avec émotion. Alors, une lutte nouvelle s'élève dans son âme, il renonce à la réunion proje- tée, et le jour mrme il (luitla Esta- vaycr. 11 aurait voulu dès ce mo- ment se donner à Dieu dans un nouveau genre devio, mais il était retenu par un motif plausible en apparence. Contre sa prévision , (jurl([ues jours après son départ de rarniée dcCondé, un combat meur- trier avait été livré, et la plupart (le ceux avec qui il se fût trouvé dans la mêlée étaient restés sur le champ de bataille. Si, d'un coté, il étiiit reconnaissant envers la Pro- vidence qui lui avait consené la vie, de l'autre, son auiour-proprc

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souffrait, et il voulut lui donuer satisfaction, au moins pour un an, espérant trouver dans cet intervalle une occasion de se si^rnaler. N'o- sant plus néanmoins demeurer dans l'armée de Condé, il voulut, malgré le cri de sa conscience qui l'appe- lait déjà à un autre genre de vie, prendre du service dans le corps autrichien commandé par le prince de Cobourg, qui était alors avec son armée sur les frontières de la Hol- lande. Variii. pour le rejoindre, se mit en route pour la Weslphalie et voulut, en chemin, voir ses anciens amis, les abbés de Broglie et de Tournély (1), qui vivaient ensemble avec quelques compagnons, dans le dessein de fonder une Société nou- velle sous le vocable ou le nom du Sa- cré-Cœur de Jésus, et derélablir, au- tant qu'ils le pourraient, l'institut des jésuites. Il voulait aussi obte- nir de Charles de Broglie des lettres pressantes pour les joindre à celles que le maréchal de Broglie avait déjà écrites depuis quelques se- maines en sa faveur, au duc de Choiseul , car Varin désirait en même temps obtenir une place de cadet dans leshouzards, qui avaient ce duc à leur léte. Il les trouva à Venloo, prêts à partir pour Munich en Bavière, les forçait de se re- tirer les succès des armées de la république française, qui les obli- geait à changer d'asile. Cette heu- reuse rencontre causa une joie mu- tuelle, mais la Providence attendait notre jeune homme, qui , après (juelques luttes et ((uelques résis- tances, vaincu j)ar leurs raisons et leurs in.stances , abandonna ses projets et se joignit à eux. Il se

(1) Voir TotRNÉLV, lonic LXXXIV, |)dgc 22o.

trouvait le sixième dans celte com- pagnie naissante, et, comme il me le disait un jour lui-même , tous excepté deux , avaient été mili- taires; deux seulement, les abbés de Broglie et de Tournély, étaient prêtres. Ces pieux jeunes gens con- tinuaient leur voyage à pied, le sac sur le dos, partageant leurs jour- nées entre la messe, l'oraison, le bréviaire, le chapelet et des con - versations édifiantes. A Augsbourg, Varin trouva une lettre de son frère qui lui apprenait la mort de sa mère, laquelle, rentrée en France en 1793 , fut arrêtée, passa une année en prison et périt sur l'écha- faud le 19 juillet de l'année sui- vante, précisément le lendemain du jour lui-môme avait pris la gé- néreuse résolution de mourir au monde. Sa douleur fat profonde mais pleine de résignation chré- tienne. Arrivés à Augsbourg, les jeunes voyageurs remirent la lettre de recommandation de l'abbé Pey à l'abbé Beck, conseiller aulique de l'évêque d' Augsbourg. Cet ecclé- siastique leur dit que les ordres sévères du duc de Bavière, inter- disant l'entrée des Français dans ses États, devait les arrêter, et les engagea à se fixer au diocèse d' Augsbourg, il leur promit la ])rotection de l'Électeur, qui les accueillit avec faveur; ils trouvè- rent aussi des sentiments de cor- dialité dans les anciens jésuites qui dirigeaient le collège de la ville. Les voyageurs virent un trait de la bonté de Dieu dans toutes ces cir- (;onstances, et, grâce surtout à l'in- térêt que leur témoigna M. Baziocki, riche banquier d' Augsbourg, chré- tien zélé, ils purent aller, au mois d'août 1794, s'établir à deux lieues (le la ville, à Leutershofen, ils reprirent leurs exercices et virent

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bientôt leur nombre s'augmenter. C'estlà que commença, à le prendre rigoureusement, la société du Sacré- Cœur ; et les premiers fondateurs de celte œuvre, le 1') octobre de la même année, près du tombeau de saint Ulrich, dans l'église des Bé- nédictins d'Augsbourg, se livrèrent par vœu, au maintien deleurentre- prise; ils y ajoutèrent le vœu d'o- béir au souverain pontife, et d'al- ler se jeter à ses pieds pour se mettre à sa disposition. Forcés, par la vente de la maison qu'ils occu- paient, à quitter Leutershofen en novembre 1795, ils furent recueillis par l'électeur Clément Wencslas dans une petite maison que possé- dait ce prélat généreux au village de Gogingen, à une lieue et demie d'Augsbourg, la Providence leur jirocura des bienfaitetu-s , entre autres l'archiduchesse Marie-Anne d'Autriche. Dès lors, ils tirent des etTorIsponrentrerdans la compagnie de Jésus, qui ne crut pas devoirles admetire et leur conseilla de con- tinuer leur genre •<le vie. Le jeune Varin fut élevé au sacerdoce le 12 mars 1796. L'approche des armées de la république française les força encore à émigrer. Ils se retirèrent d'abord à Passau, en Bavière, puis à Vienne, en Autriche, ils arri- vèrent à la fin de septembre de la même année 179(), et le crédit du P. de Broglie leur avait procuré la protection du ministre de la po- lice; ils trouvèrent un asile dans une partie du couvent des Grands-Au- gustins. Le cardinal Migazzi, ar- chevêque de Vienne, les prit sous sa protection, et ils [)urentsc livrer de nouveau à l'étude et aux exer- cices de la vie religieuse. Hélas! ils ne purent jouir une année de celte vie tranquillt»! Les négocia- tions pacifiques entamées entre la

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France et rAutiiche ayant été rom- pues, la guerre se ranima. Buona- parte parut dans le Tyrol à la tète d'une armée nombreuse et s'a- vança rapidement vers la capitale de l'Autriche, qui lut déclarée en état de siège, et d'où les étrangers durent s'éloigner à une distance de quarante lieues. Le comte de Sau- ren, ministre de la police, obtint de l'empereur un adoucissement en faveur de ses protégés, et, à sa de- mande, Tabbé des chanoines régu- liers de Glauster-Neubourg, otl'rit à la petite société une de ses mai- son?, située à Haguebrunn, dis- tante seulement de trois lieues de la ville de Vienne. Le Père A'^arin- et ses amis s'y installèrent le mardi de Pâques 1797. A peine avaient- ils repris leurs pieuses habitudes, qu'ils se virent éprouvés de nou- veau, mais d'une manière bien plus dure et plus dangereuse pour leur société naissante. Le 9 juillet de la même année, leur supérieur, le P. de Tournely, mourut à la fleur de l'âge, après neuf jours de ma- ladie. La. petite communauté, com- posée déjà de seize personnes, élut à l'unanimité, pour lui succé- der, le P. Varin, que le défunt lui- même avait désigné comme le plus propre à prendre sa place dans des circonstances aussi difficiles. Varin voulut décliner ce fardeau, mais les instances de ses frères l'ohligèient.à s'en charger, et ce fut sous son admi- nisUatioii que l'Institul du Sacre- Cœur entra dans une phase nouvelle, et finit par se fondre dans la conq)a- gnie de Jésus. Ne pouvant aller se jeter aux pieds du Souverain-Pon- tife, détenu à Florence, le nouveau supérieur, muni de reconmianda- tions de plus de vingt évèqucs fran- çais émigérs, et surtout de celles de l'archevêque de Vienne et du c;udi-

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nal Rul'fo, nonce dans cette ville, lui adressa, au nom de ses con- frères, une lettre dans laquelle il le priait de statuer sur leur sort. Le Pape leur répondit une lettre de louanges et d'encouragement, les engageant à la persévérance et les mettant provisoirement sous la dé- pendance absolue du cardinal Mi- gazzi, archevêque de Vienne. On ne peut exprimer la joie que ce bref causa à la petite Société, qui fit bientôt des progrès tels que le nombre des confrères fut plus que doublé et que l'on fit un second éta- blissement à Prague; l'archidu- chesse Marie-Anne fournit aux dé- penses de cette nouvelle maison. On commença aussi dès lois à Ila- genbrunn un pensionnat pour la jeunesse, et on se livra aux. exer- cices du ministère ecclésiastique. Bientôt la Société du Sacré-Cœur, qui tendait uniquement à se réunir aux Jésuites, fil une autre fusion qu'elle n'avait ni prévue ni désirée, toujours néanmoins dans le dessein de parv(.'nir à son premier but. Ce but était aussi celui d'une Société qui s'était formée à Rome vers 1795, et qui avait pour chef Pacca- nari (Voyez Paccauari, tome lxxvi, page 190). Celte Société naissante portait le nom de Sociélé de la Foi de Jésus. Les personnes les plus éle- vées et les plus influentes, le Pape Pie VI lui-même, pensaient quedeux Sociétés, s'élablissant simultané- ment dans les mêmes intentions et tendant aux mêmes fin.s, devaient se réunir «;t doubler ainsi les forces de leur action et les cliances de leur succès; Paccanari désirait surtout celte réunion, et, encouragé par le Souverain Pontife, qu'il avait vu deux fois, muni de recommandations élogieusos pour le nonce à Vienne, et raème pour l'empereur d'Au-

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triche, il arriva à Vienne le 3 avril 1799, et, dès le 7 du même mois, il se rendit à Hagenbrunn. Il y fut reçu avec joie, mais aussi avec réserve. 11 était muni de tant de témoignages, de l'archevêque de Vienne, du Nonce, du Pape lui- même, qu'il était comme nécessaire de faire une union, qui s'effectua en effet, après dix jours de confé- rences, auxquelles prirent part tous les profès du Sacré-Cœur. Le Père Varin, qui désirait aussi peu la su- périorité que Paccanari semblait l'attendre, se soumit à ce dernier avec tous ses associés. Paccanari vit donc ainsi son modeste troupeau triplé par cette agrégation; et, su- périeur général des deux branches fondues dans la seule Société de la Foi de ,Iésus, il nomma le Père Si- néo délia Torre provincial de cette Société en Allemagne, et le père Varin recteur du collège d'Hagen- brunn, qui lui était soumis avant la fusion, effectuée le 18 avril 1799. Le père Paccanari resta quelque temps en Allemagne ; sous son gou- vernement, la petite communauté d'Hagenbrunn changea, sinon d'es- prit, du moins de conduite et de pratiques. Elle donna moins aux exercices de piété, et beaucoup plus, et peut-être trop, à l'étude et aux récréations, et tout cela sous le pré- texte qu'ils étaient destinés à pro- fesser la vie religieuse au ser- vice du j)rochain et non dans un cloître. La princesse Marie-Anne, à qui le père Varin recommanda le père Paccanari, conçut pour celui- ci beaucoup d'estime, et lui accorda l'attachement bienfaiteur qu'elle avait pour les [>ères de la Société du Sacré-Cœur. Elle fit ])lus, cav elle se lia, ainsi que les demoiselles Naudet, ses dames de compagnie, par un vœu spécial, à l'obéissance

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à ce nouveau général. Paccanari n'était encore que tonsuré, mais, au retour de ce voyage de Prague, il reçut du nonce, à Vienne, les or- dres mineurs et sacrés jusqu'au dia- conat, et, après tant de succès, il reprit la direction de la commu- nauté d'Hagenbrunn, l'on crut s'apercevoir bientôt de quelques dis- positions douteuses dans son esprit. De concert avec le père Varin, les anciens membres de la Société du Sacré-Cœur lui demandèrent, dans une occasion favorable, une décla- ration franche sur ses désirs de réunion avec la compagnie de Jésus. Le H août 1799, Paccanari donna une réponse qui ne satisfit point, et qui fut loin de détruire les préven- tions qui commençaient à naître contre lui. Il donna bientôt un dou- ble essor à ses disciples: il les li- vra aux travaux du saint ministère et envoya des colonies, non-seule- ment en divers lieux de l'Allema- gne, mais aussi dans les États étrangers, en Hollande, en Italie, en Angleterre, en Suisse, en France, etc. Ce fut en ce pays que le père Varin fut envoyé en qualité de clief de cette nouvelle mission, et le 19 mars 1800, accompagne du père Roger, et, peu après, d'un second compagnon, le père Halnat, du dio- cèse de Rennes, il prit le clicmin de sou ancienne patrie, marchant à pied, revêtu de l'habit de jésuite, demandant l'aumône dans les pres- bytères et dans les abbayes qui se trouvaient sur sa route. Eu passant à Augsbourg , il visita monseigneur de .luigné, archevêque do l*aris,qui leur donna des renseignements pré- cieux et d'amples pouvoirs. A la frontière de la France ils purent, à la faveur de l'habit laï(iue, entrer sans ôlrc arrêtés, quoiqu'ils n'eus- sentpoiut de passe-port. Néanmoins

dès lors commencèrent les dangers les plus sérieux de leur voyage ; ils parvinrent pourtant jusqu'à Paris, où, avec ses deux compagnons, le père Varin entra le 16 juin. Tous trois commencèrent leur ministère par le service des hôpitaux ; le père Varin envoya le père Halnat à Bi- cêlre, et lui-même se consacra aux six mille malades de l'hospice de la Salpétrière, aucun prêtre n'avait paru depuis dix ans ! Mais il avait aussi mission de soutenir et d'éten- dre la Société des Pères de la Foi ; six mois s'étaient à peine écoulés depuis son arrivée, qu'il reçut plu- sieurs jeunes prêtres au noviciat. La Providence lui ménagea plu- sieurs moyens de faire des œuvres de zèle et de soutenir en même temps son œuvre principale. Il fit surtout la connaissance d'une de- moiselle distinguée par sa position sociale, et encore plus par sa cha- rité et les qualités les plus pré- cieuses. Celte demoiselle était ma- demoiselle Champion de Cicé, nièce de Cicé, archevêque de Bordeaux. (Voir Champion, tome m, page 26.) Elle s'intéressa vivement à la pe- tite Société du père Varin, lui mé- nagea des protecteurs parmi des personnages élevés, et lui donnait aussi des secours en argent. Le père Varin, par reconnaissance et par les mêmes motifs qui animaient sa bienfaitrice, la secondait de tout son pouvoir. La Providence leur ménagea un autre genre de mérite dans une épreuve cruelle, à laquelle elle les .soumit l'un et l'autre. Ma- demoiselle de Cicé était d'origine bretonne, bien pensante et vouée aux œuvres de charité, qui multi- pliaient ses rapports; elle fut donc soupçonnée par la police, qui cher- chait partout des complices dans la conspiration de la machine in for-

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nale. On Hl une perquisition clicz elle et l'on trouva un rouleau de pièces de monnaie dont elle avait indiqué la destination ])ar cette inscription : Pour ces Messieurs. On s'imagina facilement que les Mes- sieurs destinataires de cet argent étaient les personnages arrêtés. Elle n'avait donne qu'une réponse em- barrassée à ce sujet, dans la crainte de compromettre ses protégés, et son embarras la compromettait en un sens elle-même. Le Père Varin, instruit de cet incident, ne balança ])oint à courir la chance q'ue pou- vait faire craindre son intervention [jcrsonnelle ; il se présenta accom- pagné du Père Halnat, et Dieu per- mit que leur explication naïve et simple contribuât, sans désagré- ment pour eux, à la justification de mademoiselle de Cicé, qui fut absoute avec éclat et rendue à la liberté (1), Cependant la colonie française des Pères de la Foi se consolidait et s'étendait en nmlti- j)Iiaut ses œuvres et en augmentant le nombre de ses membres. J/en- trée de l'abbé Barat fournit au Père Varin l'occasion d'une entre- prise (ju'il nourrissait dans son esprit depuis longtemps, et que le I*ère de Tuurnely et le Pèie Pac- canari avaient eux-mêmes conçue, celle d'une société de femmes des- tinées à opérer parmi les personnes de leur sexe ce que les Pères de la Foi faisaient pour les jeimes gens. Pendant quelque tem|»s on s'était pcTsuadé en Allemagne que- la pieri-e fondamentale de cet édifice religieux serait la princesse Louise de Condé ( Voy. Condé t. lxi,

p. 2()1)) (4), puis la princesse Marie- Anne. Dieu ne le permit pas. En entrant dans la société du P. Varin, l'abbé Barat lui parla dune sœur dont il avait soigné l'instruclion et qui avait alors vingt-deux ans ou un peu plus; il la lui offrit pour être la première religieuse de l'ins- titut ({u'il projetait. Le Père Varin fut enchanté et édifié de tout ce qu'il vit dans cette jeune personne. C'était, m'a-t-il dit à moi-môme en vantant ses qualités, c'était une rhétoricienne! Il fut donc enchanté de celte heureuse rencontre et commença alors sa petite commu- nauté, et bientôt plusieurs jeunes personnes se réunirent à la mère Barat, qui est encore, au moment nous écrivons ceci (1861), supé- rieure générale de l'institut nou- veau. Le P. Varin leur fit un règle- ment, les réunit en communauté, d'abord à Paris, puis à Amiens. C'est dans cetteville qu'elles prirent, ou plutôt, comme me l'a dit le Père Varin en accentuant et répétant son expression, qu'on leur donna... qu'on leur donna le nom de Dames de la Foi. Leur institut porte le nom de société de- Dames du Sacré- Cœur, et le Père Varin en est donc le fondateur. Dieu n'a pas agréé, disait-il. pour commencer son œu- vre, des instruments grands selon le monde; mais, afin (jue la gloire en revînt à lui seul, il a voulu que la base de fédilice fût posée sur la siinj)licité, la ])elitesse, le rien. En effet, la première supérieure sortie d'une famille peu avantagée du côté de la fortune, est à la tête

{\) On peut consulter «^^iir la conspi- nitioii (!^- la i)ia<'!ii!io inroin.ile rarticlc Hainl-Bajonl, lyiiie lxx\, p. 3'J9.

(i) Lorsque la princesse de Condé fut béncdictiiic, elle porta le nom (\i'Maric- .fos(;})h (le In Miséricorde, et non celui d<: Maric-Louisc, connue jp fai écrit par erreur, lUid. page :271.

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d'une société qui se croit appelée à faire exception entre les ordres religieux et à exercer uniquement 8on zèle sur les jeunes personnes des hautes classes de la société. Non-seulement la société des Pères de la Foi multipliait ses bonnes œuvres et voyait croître le nombre de ses frères, comme on vient de le dire, mais elle fit aussi de nouveaux établissements , d'abord à Lyon, puis à Amiens et en divers lieux, quand elle devint l'objet des inquié- tudes de la police, étonnée de la correspondance si souvent répétée entre liome et ces prêtres français. Fouclié possédait des copies des let- tres qu'on avait ouvertes et les com- muniqua au Père Yarin, qu'il fit com- paraître devant lui, eri lui deman- dant le niotiC et le sens de ces réti- cences, de ces expressions énigmati- ques trouvées dans les, lettres qu'on lui présentait. Le père Varin, qui n'avait aucun soupçon de la super- cherie dont sa société était victime, fut d'abord surpris et déconcerté ; niais il crut, avec raison, que le meilleur parti à prendre était celui d'un aveu prudent, et il prit ce par- ti; et, connue monseigneur Spina, archevêque de Gorinlhe, nonce en France, rendit de lui un témoignage avantageux, il fut laissé en liberté ; mais les préventions de Fouché demeurèient dans son esprit. 11 Tant se rappeler (pie ce chef de la police était un cx-oratorien, hostile k la religion. Nécessairement d'ailleurs des bruits et des opinions défavora- bles et ennemis couraient sur ces ecclésiastiques (pion ne CDMiprtjiiait pas; quehjues personnes savaient, il est vrai, ce (pi'était la congréga- tion des Pères de la foi, mais le grand nombre n'y voyait ou que desjésuilcs déguisés, ou une société nouvelle. Ces jugements, ces récits

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occasionnèrent encore d'autres per» sécutions contre la société, qui dès lors ne fit que chanceler sur le sol de la France. Ailleurs, elle n'était pas mieux assise; à Rome, par exemple, elle ne se consolida pas longlemps. Le P. Varin fit un voyage en cette ville, il était appelé par le P. Paccanari pour une sorte de chapitre général. De retour en France au mois d'octobre 1802, il vit supprimer le pensionnat de Lyon, et forma peu après le col- lège de Belley, qui fut peut-être le plus important de tous ceux que ses associés dirigèrent. Mais il fallut parer à un orage terrible qui me- naçait tout l'institut. Un décret de suppression de tous les établisse- ments français fut rendu par Buo- naparte, pi*emier consul ! Le P. Va- i-in accourut à Paris, et agit avec tant de bonheur, que ce décret fut suspendu par le crédit de Portails, ministre de l'intérieur, et du car- dinal Fesch, tous deux amis et pro- tecteurs des Pères de la Foi. Non- seulement la nouvelle société se livrait à l'enseignement, mais, en 1804, le P. Varin organisa aussi un corps démissionnaires, dont il par- tagea lui-même les travaux, qui commencèrent par la ville de Tours, le vertueux cardinal de Boisge- lin les avait appelés, et le préfet le trop fameux Pommkiilul, voir tome XXXV, p. 281} leur suscita d'é- tranges obstacles, sans arrêter leur.^; fructueux succès. Peua[)rès, il con- tribua à la formation du premier établissement des vcl'Kiieuscs de la conipuUjalion de .%'ûlri'-D(niu\ dont il est, avec la sœur Julie, le véritable fondateur. Cet institut, formé d'a- bord à Amiens, a Irausléré son prin- cipal établissement en Belgicjue. Lors de son séjour à Rome, le P. Varin avait eu de frécpioiits rap-

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ports avec la princesse Marie- Anne, et surtout avec le P. Pac- canari, son supérieur général. Il trouvait en cet homme une grande facilité d'élocution, me dit-il un jour, et s'il avait eu des études et de l'instruction, il eût été un sujet vraiment remarquable. Mais il s'a- percevait en même temps qu'il n'a- vait ni les vertus, ni les qualités nécessaires à sa haute position, et même à un simple religieux. Son compagnon de voyage, le P. Roza- ven, supérieur de la maison d'An- gleterre, avait été aussi dominé par cette préoccupation. Tous deux se tinrent néanmoins dans une prudente réserve. Mais, en 1804, le P. Rozaven écrivit au P. Varin que la plupart de ses compagnons et lui partaient pour rejoindre les jé- suites de Russie; que même, à son retour deRome,il avait appris que ses confrères avaient, yiendant son ab- sence, obtenu du vicaire général de la compagnie leur admission,, et que, partageant leurs sentiments, il avait averti Paccanariquela mai- son d'Angleterre ne faisait plus par- tie de sa société. Cette nouvelle jcla le P. Varin dans l'anxiété. Devait- il faire la même démarche qui lui souriait beaucoup? Il pria; il s'a- dressa au cardinal Spina, légat en France, qui lui répondit de se sé- parer de Paccanari ; que le Saint- Père ne manquerait pas d'aj)prou- ver sa conduite, puisqu'il ne recon- naissait nullement l'esprit de Dieu dans ce supérieur. Il ajoutait que le moment de s'agréger aux jésuites de Russie n'était pas encore venu, et qu'il ne fallait pas priver la France du secours de leur petite so- ciété dont elle avait besoin. Il fit en conséquence délivrerlui ciie-. siens du vœu d'obéi^bance fait à Pacca- nari. et obtint encore du légat la

conservation des privilèges dont ils avaient joui jusqu'à ce moment. Les associés du P. Varin reçurent alors de lui communication de ses démarches et de leur résultat. Tous y applaudirent et le reconnurent pour supérieur. Néanmoins il faut convenir qu'il aurait légalement les consulter avant d'obtenir pour eux des dispositions qui changeaient tout à fait leur existence religieuse. Il lui restait à lui-même au fond de r*âme un petit trouble qu'il bannit plus tard. Le résultat dont il est ici question date du 21 janvier 1804; aussitôt le P. Varin en fit part au P. de Rozaven, déjà rendu en Rus- sie, et notifia sa séparation au P. Paccanari et à l'archiduchesse Ma- rie - Anne. 'Lors du séjour que Pie VII fit à Paris, il était venu pour le sacre de l'empereur, le P. Varin obtint de lui une audience et une ratification empressée de tout ce qu'avait fait son légat. Le pape approuvait spécialement la déter- mination de rester en France, en engageant les associés à attendre le moment marqué par la Providence pour la réunion aux jésuites, et à se résigner aux sacrifices et aux per- sécutions (jue leur œuvre trouverait dans leur propre pays. L'œuvre continua donc toujours sous le nom de Sociclé de la Foi, et, plus libre, prit un nouvel essor, fit plusieurs établissements. Néanmoins Fouché restait indisposé contre eux, et, en 1807, le l*"" novembre, au milieu de rassemblée de plusieurs souve- rains de l'Europe, qui se trouvaient à Fontainebleau , il porta Buonaparte à interpeller tout haut le cardinal Fesch sur la protection qu'il ac- cordait à ces Pères de la Foi, qui étaient ses ennemis jurés, et lui- mênie réful.i le cnnlinal qui vou- lait 1ns défendre, f.e Ir-ndemain,

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Buonaparte montra à Fesch les écri ts fournis par Fouché, et donna im- médiatement ordre aux pères de se retirer, sous quinze jours, dans leurs diocèses respectifs, sous peine d'être transportés à la Guyane. Le P. Varin, quoique plusieurs de ses frères purent ne pas suivre rigou- reusement l'ordre brutal qui avait été donné, fut renvoyé à Besançon par Fouché, qui le mit sous une surveillance rigoureuse du préfet, dont il devait avoir l'autorisation pour sortir de la ville et même pour prêcher. Son exil et sa disgrâce durèrent sept ans ; mais le temps avait adouci la rigueur du préfet, qui avait pu d'ailleurs apprécier la valeur du P. Varin. Celui-ci se li- vrait avec ardeur au ministère ec- clésiastique et à la composition des règles définitives de la congrégation des religieuses du Sacré-Cœur, et il contribua largement à consolider une autre congrégation naissante, celle des sœurs de la Sainte-Famille, destinées à l'enseignement des en- fants du peuple. Son zèle, en ce genre, peut être comparé à ce- lui de saint Vincent de Paul. La restauration de la légitimité vint, en 1814, ranimer en France tant d'espérances, hélas! non réalisées! Libre, comme le furent toutes les victimes de l'arbitraire, le P. Va- rin vint à Paris, rejoindre ceux de ses confrères qui s'y trouvaient. Il les réunit, ainsi nue ceux des lieux plus ra|)prochés. dans une sorte de chapitre général, et leur de- manda s'ils pensaii^nt qu'on dût continuer l'œuvre sur le pied l'on était en 1807, ou faire de nouvelles démarches pour se réunir aux jé- suites de Russie. î^ur celte ques- tion, le P. Varin sfutit de nouveau ces inquiétudes qui l'avaient tour- menté (piand il se sépara de Pac-

canari. La pensée générale fut qu'il fallait écrire au P. Orzozows- ki, général de la compagnie en Russie, et lui demander d'être ad- mis de la manière qu'il jugerait la plus convenable. Quoiqu'il se sentît porté à prendre ce parti, Va- rin voulut néanmoins consulter le P. Picot de Glorivière et deux pré- lats romains qui se trouvaient à Paris; l'un de ces prclats était monseigneur délia Genga, depuis pape sous le nom de Léon XIL Tous trois réj)ondirent que les membres de la Société de la Foi de- vaient rester en France ety travail- ler comme auparavant, jusqu'à ce que Dieu manifestât plus clairement sa volonté à l'égard de la réunion avec lesjésuites de Russie. On pour- rait demander ici ce qu'on enten- dait par une manifestation plus claire, et pourquoi cette manifes- tation devait être plus claire pour les associés de France qu'elle ne l'avait été pour ceux de Londres et deBelgique. qui avaient pris cette résolution et ce parti conveim sans tant de difficultés. Le P. Paccanari avait inspirédes méfiances en mon- trant toujours une sorte d'éloigne- ment à la fusion aveclacom[»agiiie de Jésus; n'aurait-on pas pu regar- der avec suspicion tous les dila- toires du P. Varin, si l'on n'avait connu sa profonde j)iété et sa sin- cérité? Aussi, eu Belgique ce père s'était rendu pour se concer- ,ter avec les confrères de ce pays, vit-il exprimer une grande surprise sur une telle décision, surtout de la part du P. de Glorivière. Ce re- ligieux était un ancien profès de la compagnie de Jcsus, avec lequel le P. Varin avait fait connaissance en rentrant en France et qu'il vou- lait demander pour suj)éneur, tant était grande lu conti 'uce qu'il avait

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en lui. (V. Clorivière tome l\i, p. 143.) Au milieu de tant d'incer- titudes, le P. Varia se décida h aller en Russie prendre les ordres du général, et se disposait à ce long voyage, quand il apprit que le P. de Clorivière venait de recevoir du P. Orzozowski, général, une com- mission qui le nommait supérieur de la compagnie en France et le chargeait de s'entendre avec les anciens Pères encore vivants pour travailler à la reconstituer. Il re- vint aussitôt à Paris, et, le 19 juil- let, le P. Clorivière le reçut dans l'ordre des jésuites et mit ainsi le comble à ses vœux en finissant ses perplexités. Il fut imité dans celte démarche par le plus grand nombre des Pères de la Foi, qu'il avait eus sous son obédience. Au mois sui- vant, le pape Pic VU publia la bulle SoUicitudo, qui rétablissait canoniquement la compagnie de Jésus dans tous l'univers. Le P. Varin fit le noviciat ordinaire de deux ans et prononça les premiers vœux. Il fut nommé secrétaire du P. de Clorivière. qu'il acconqjagnait dans ses voyages et qu'il aidait dans le gouvernement de la compa- gnie en France. En <818, par une faveur spéciale du général, faveur d'ailleurs bien justifiée par tous les antécédents et les services du P. Varin, il fut admis à la profession solennelle des (jualre vœ.ux, et, de- puis lors, sa vie fut soumise à l'ob- scurité de l'obéissance. Ses emplois les plus importants furent le gou- vernement de la maison de Paris et la direction du collège de Dole, dans le Jura. Mais il n*; cessa jamais de se livrer avec le plus grand zèle et le plus grand fruit à la direction des âmes. Les circonstances avai<iiit bien varié dans une vie si acci- dentée! Il en faisait, me dit-il, la

réflexion lui-même lorsqu'un jour, au parloir de la Visitation, à Metz, il rappelait tout son passé avec une des religieuses de cette maison, qu'il avait connue près de la prin- cesse Marie-Anne. Ileut encore une épreuve terrible à soutenir lors de la révolution de juillet 1830; il était alors supérieur de la maison de Paris. Sa santé alla toujours déclinant, et cependant il n'aban- donna point les travaux du minis- tère de la direction. Dans le prin- temps de l'aimée 1850, le R. P. de Uavignan, son supérieur, crut lui procurer du soulagement en l'envoyantà Mantes (Seine-et-Oise), passer quelque temps dans une maison amie. La Providence en avait décidé autrement. Comme il s'atlaiblissait déplus en plus, on le fit revenir à la communauté de Pa- ris, 011 il mourut dans les plus vifs sentiments de pitié, le 19 avril 1850; il avait 82 ans. Le P. Varin était un homme de taille ordinaire; les années elles infirmités, sans doute, l'obligeaient depuis quelque temps à tenir la tète et une épaule pen- chées d'un coté. Il n'a rien publié que je sache; mais sa corres- l)ondance, i-:i elle était imprimée, présenterait un recueil fort curieux et fort utile. Les éléments princi- paux de cet article ont été pris dans la Vie du H. P. Joseph Varin, reli- (jieiijc de la compagnie de Jésus, an- cien supérieur général des Pères du Sacré-Cœur en Allemagne, et des Pères de la Voi en France, suivie de notices sur quelque s -U7is de ses confrères, par le P. Achille Guidée de la méniecomp<ignic. 1 vol. in-12, Paris, veuve Poussielgue-Uusand, 1854. B.— D.— i:.

VAIUSCO (Camille, le père), en 1735, se distingua dès sa plus tendre enfance par soji appli-

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cation à l'étude et [nnr l'amour de la lelraite. Devenu membre de ia congrégation des Somasques, il vécut près d'un demi-siècle, il puisa dans la lecture habituelle des livres Bdinls une candeur, une douceur et une humilité qui jamais ne s'alté- rèrent en lui, et qui s'alliaient néanmoins à une vaste érudition. Après avoir professé avec éclat l'éloquence et la théologie à Lodi, Camerino, Rome, Xaples et Venise, il devint directeur du collège natio-» nal de Modènc et ensuite prévôt du collège de Pavie, il obtint 1 ami- tié du savant d'Allegro, évêque de celte ville. Bien que très-capable de composer debonslivres, Varisco se borna à traduire en italien divers ouvrages de choix concernant la religion et les sciences théologiques, dans lesquelles il était profondé- ment versé. Il mourut à Milan W. S mars 1808, Agé de 73 ans.

M.-G.-R. VAU>'ER (François-Antoine), à Paris en 1789 et mort en 1854, fit ses études au collège de Sainte- Barbe. Il y eut dans toutes ses classes, au concours général, des succès flatteurs et nombreux. En cessant d'être élève, il fut quelque temps professeur, et quand la conscription raltcignit, après avoir fouiiii deux remplaranls, il entra soldai dans un régiment de dragons. Pres(iue aussitôt, à la recomman- dation de rexcelienl M. di: Lanncau, le général Mathieu Dumas lo pla* .i dans l'adminisiralion de la guerre. L'expédition de Uussiiî se préparait. Varner lit la célébn.' campagne de 1812 comme adjoint aux commis- saires de guerres, (lommenl échap- pa-t-il aux désastres de celle i cirai le (tù l'on n'avait pas moins à icmIou- ler la faim que le froid? En sortant de .Moscou en llammes, et <l<int tous

les habitants s'étaient éloignés, il vit d'une boutique incendiée tomber à terre un pain de sucre. 11 ramassa et jela dans sou chariot ce pain de sucre qui, sagement ménagé, le Boulint dans les moments toute autre ressource lui manquait. On ne pouvait l'entendre sans émolion quand ilc sa parole si vraie, si sim- ple, il racontait le perfide sommeil dont on se sentait saisi sur la route, le périlleux passage de la Bérésina, puis, à Smolensk , les quelques instants insensés d'un excès de bien-être plus destructeur, en quel- que sorte, que le canon, les Cosa- ques elle froid,

Varner ne quitta point l'armée, même après la retraite. 11 était fannée suivante à Dresde, et fut après Leipsick eiifermé dans ïor- gau, vingt-deux mille hommes mouraient en proie h la famine et à la peste. Il } vit succonibor le comte de Yosbonne, qui comman- dait dans la place et dont le cou- rage bravait tous les genres de périls. A son retour en France, Varner trouva la restauration peu favorable aux anciens serviteurs de lempire. Des réformes avaient eu lieu au ministère de la guerre. Les plus capables, comme toujours dans les temps de partis, avaient été d'abord éloignés. Plus d'emploi , point de fortune, mais heureuse- ment un mérite qui lui rendait toutes carrières accessibles. Il eut djibord recours aux lettres, et les lettres, comme dans ses jeunes années, raccueillirent avec, faveur. Un honnne d'un esprit vif, ingé- nieux et fertile en ressources, M. Imbert, avait élé comme lui r<!fornjé; ils publièrent ensendjie. en un volume, \\\rl il'oblcnir des places, eux à (jui l'on venait de ravir les leurs ; ensemble encorq,

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et toujours avec succès, ils donnè- rent au théâtre le SoUiciteur, et plus tard, le Précepteur dans l'em- barras. Un auteur dramatique déjà bien célèbre, M. Scribe, que Varner avait eu déjà pour camarade de classe et pour brillant émule au collège, l'admit en collaboration dans un charmant ouvrage, le Mariage de raison. Celte nouvelle camaraderie resserra, pour l'un et pour l'autre, les liens de la pliîs noble et de la plus profitable amitié. Désormais le nom de Varner prenait place parmi ceux des au- teurs les plus chers à la scène. Quelles circonstances le rattachè- rent à l'administration qui dut s'en féliciter? La campagne de Russie l'avait mis en rapport avec M. Bus- che, auditeur au Conseil d'État, qui, envoyé vers l'empereur en mission jusqu'à Moscou, en revint faisant au besoin, comme tout le monde, le coup de fusil flans les champs. Ouand, sous la restauration, Paris réalisa l'idco impériale d'un appro- vif^ionnement de réserve, iM. de Chabrol, excellent juge en quoi que ce soit, en confia la direction à M. Busche, qu'il avait connu, croyons-nous, à l'école Polytechni- que, et M. Buscliefit, à cette occa- sion, entrer Varner à l'Hôtel de Ville et fit bien. Varner était doué d'un grand sens : sa raison ferme et souple à la fois pouvait arrêter aussi sûrement les bases d'une mesure administrative i\uii\e scéna- rio d'un vaudeville. Quelques an- nées après, sous le roi Louis-Piii- lippc, le bureau des élections avait pris une grave importance. Elles étaient dans leur indépenflance en- tière, et devant la presse libre, l'objet d'une foule de suspicions, de luttes et d'attaques. M. del'am- butean plaça Varner à la tète de

cet épineux service, et le nouveau chef de bureau y porta tant de régu- larité, de droiture, avec une fer- meté si calme et si polie, que tous les intérêts lui rendirent une égale justice. En s'ai)plaudissant de son choix, le bienveillant M. de Hambu- teau sollicita, obtint pour Varner la croix d'honneur, et de loyales mais paisibles occupations lui acquirent ainsi, avec l'aide d'un juge éclairé, cette décoration qu'il avait déjà dix fois méritée dans les campagnes les dIus meurtrières. Quel homme fut jamais plus modeste et plus désin- téressé !

Les réactions hostiles et les vils intérêts qui, en '1848, éloignèrent à la fois de l'IIotel de Ville quatre chefs de division et cinquante-neuf employés supérieurs, n'eurent garde d'oublier Varner. C'était la pre- mière fois qu'une retraite lui mé- nageait un peu de repos. Que ce repos devait peu durer! L'adjoint aux commissaires des guerres avait eu les pieds gelés par 40 degrés de froid en Russie. Sa bonne consti- tution , son extrême tempérance avaient ajourné mais non détruit le principe du mal. Une opération cruellement douloureuse n'eût pré- senté que des résultats incertains : il avait assez souffert! Sa mort fut calme, résignée, courageuse, comme l'avait été la vie la plus honorée de tous et la plus chère à ses amis. B ri:.

VARNEY (J.-B.), littérateur estimable, mort professeur de rhé- torique au collège de Reims dans les premiers mois de 1819, laissa dans cette ville les regrets les plus vifs et les plus honorables. La Hevîie encyclopédique lui a consacré quel- cpies lignes dans son numéro d'avril de ladite année; mais cette courte notice n'indique ni le lieu ni l'épo-

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que de la naissance de Varney. Elle nous apprend seulement qu'après de brillantes études faites à Paris au collège des Grassins, il obtint dans cet établissement une chaire qu'il quitta au commencement de la révolution pour voler à la défense de la patrie en qualité de simple grenadier. Bientôt parvenu au grade d'officier, il abandonna la carrière militaire, lors de la formation des écoles centrales, et il fut nommé professeur de grammaire générale, puis professeur de rhétorique à Chaumont, d'où il passa, en 1812, au collège de Reims. La Revue ne cite qu'un seul ouvrage de Varney. Il en a publié quatre dont voici les titres : I. Le Paresseux, traduit du docteur San. Johnson, Paris, 1790, 2 vol. in-S"; II. Lettres de Junius, trad. de l'aniïlais. Paris, Gueffier et Voland, 1791, 2 part. in-8\ Var- ney est le premier qui ait fait coh- naître en France ces lettres célèbres dont le véritable auteur n'est pas encore bien connu. Sa traduction, qu'il publia sous le voile de l'ano- nyme, est loin d'avoir l'énergie et le mordant de l'original ; elle n'est pas toutefois sans mérite, mais elle a été effacée parcelle que l'on doit à M. J.-T. Parisot (Paris, Béchet, 1823, 2 vol. in-S"). 111. Histoivi' de Miss Nelson, trad. de l'anglais, Neuwied sur le Rhin ( se vendait chez Garnery), 1792, 4 vol., non pas in-S", comme on le dit, par erreur, dans la France littéraire de M. Quérard, mais pfîtit in- 12 d'en- viron 2o0 pages chacun. Barbier aurait pu comprendre cet ouvrage dans son Dictionnaire des anony- mes, car le titre ne porte (jue ce» Iroi^ lettres du nom du trailuctj^ur V.-]^ V. La Feuille, de rorn's'/ïOM- dance du libraire, journal ré[)0- (juc, s'exprime ainsi en aiiFioncant

ces 4 vol. : « C'est l'histoire de la vie, ou réelle ou fictive, peut-être réelle et fictive de plusieurs per- sonnes oisives , par conséquent amoureuses. Elles finissent par sacrifier à l'hymen, comme c'est l'usage. Le roman est assez agréa- ble : l'auteur a pris la forme épis- tolaire; et, selon que nous en pou- vons juger, il intéressera les per- sonnes qui aiment beaucoup les événements qui peignent la scélé- ratesse humaine. » IV. Les Commen- taires de César, traduction novvelk avec des notes militaires, Paris, Délerville, 1810, in-8''. Par une longue et consciencieuse étude , Varney avait acquis une parfaite intelligence du texte; aussi sa tra- duction est exacte et fidèle, mais, suivant un habile critique (1\ le style pourrait en être plus facile et plus élégant. B. L. U.

VARVAKI (Jean\ en romaïke BAPBARH2, patriote grec modem»-, était de l'île d'Ipsara et naquit en 1744. Ses parents l'avaient laissé, jeune encore, maître de richesses qui lui permettaient de s'abandon- ner aux plaisirs. Il ne se donna que le temps de les connaître assez pour n'être pas étranger au courant de la vie usuelle, et au premier cli- quetis d'armes qui pouvait avoir pour résultat l'indépendarsce de sa patrie, eu d'autres termes dès que les hostilités suspendues par cette trêve que l'on qualifiait de paix do Belgrade éclatèrent de re- chef entre la Russie et la Porte, il vendit la totalité de ses biens, arma un bAtimcnt cl courut sus aux musulmans, auxquels il ])rit et

(1^ Terri de Saint-Constant, liudi- ment de In tradurUDn, S- rdil., t. 1", p. XXVf

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coula plusieurs navires. Ces succès en un coin de l'Egée pouvaient à Ja longue devenir le point de départ d'une diversion puissante, et même on peut dire qu'ils le furent; car nuldoule que ce soit à l'impression causée par les courses de Varvaki et de ses imilaleurs qu'est due l'idée de l'expédition russe dans l'Egée en 1790, 1791, expédition l'ap- ])oint des Grecs l'ut si décisif pour le succès de Rouinanssoi". Mais loi ne fut pas le résultat à l'époque de la guerre lurco-jjolono-russe : la })aix de Kutchuk-Ivaïiiardji la ter- mina tout à coup, et les infortunes (irecs, après avoir couru aux armes à l'instigation de Catherine II, furent abandonnés sans pitié à la ven- geance des Ottomans. Varvaki savait quel sort l'attendait, s'il fût resté à la portée des infidèles aigris en- core par leurs désastres contre «ces chiens de chrétiens. » Il se h;\ta de mettre la frontière entre eux et lui, puis il se rendit à Pétersbourg où, moyennant ce (jui lui restait d'iirgcnt, il trouva des protecteurs ([ui firent valoir ses droits très-réels il quelque faveur de la part du gouvernement russe. Le phiidoyer eut son eflet ; et Varvaki fut en- voyé intendant des finances dans le gou vernement d'Astrakhan. On nuiis assure qu'il y donna l'exemple, fort rare en Russie, d'une j)rohité par- fait(' toujours et [uutout au-dessus du soupr.on ; et pour notre part nous crtjyons (jiie du moins il ne suivit que de h)in et dijccumicnl les traces des Russes. Ce dont on ne saurait douter, c'est, d'une part, ([u'il re- rul plus dune fois les témoigna- ges de satisfaction du gouverne- Fueiil, c'est, de l'autre, qu'il était d'une générosité iuéj)uisable. On le regardait comme le père des jjau- vres el l'appui des malheinrjux.

Passionné pour la prospérité, pour la future délivrance de sa patrie, il y faisait périodiquement passer de l'argent pour la fondation des éco- les publiques s'enseignaient le grec ancien et l'histoire, avec des notions sur l'état actuel de l'Europe. C'étaient autantde moyens d'émeute pour l'avenir, et les sommes qu'en- voyait Varvaki n'étaient ni les seules ni les plus importantes qui passas- sent des caisses moscovites dans les succursales de la propagande. Tout, au reste, n'était pas absorbé parles établissements d'instruction: on cite entre autres l'agrandissement du port d'Ipsara connue le résultat de la munificence de Varvaki ; l'on appréciera, en pesant bien ce fait, {|ue plus de 300,000 piastres peu près 72,000 fr.) furent consacrés à cet objet. Mais il ne faudra pas per- dre de vue non plus que, malgré la délicatesse dont il avait toujours fait preuve dans le maniement des deniers publics, son revenu n'était j)as moins d'un million de piastres, quand eut lieu la levée de boucliers d'Vpsilanti. A cette nouvelle, il fail- lit mourir de joie, et sans attendre que le cabinet russe se dessinât, il multiplia ses envois pécuniaires ; finalement, en dépit d(î son grand Age ;il était octogoiiaire), en dépit do .ses infirmités, il se fit transpor- ter à Zant(; avec ses trésors en I82i. Il eut le temps devoir les trois juiissances assurer par la victoire di; Navarin le triomphe de la cause greccpie; mais il ne vit pas la (Irèce transformée en monarchie et le pays desThémislocIe el des Epami- noudas devenir la légitime d'un ca- det de la maison de Witlelsbach : il mourut en 1830. Val. P.

VAUY ou VAUUY Ui: IJJCY, prieur de Flavigny, seigneur de Dombasle en partie, de Crévic, etc.

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par le bon usage qif il fit de sa for- tune, a mérite la reconnaissance de ses contemporains et un souvenir de la postérité. Cet homme de bien apparlenaitàune famille distinguée de l'ancienne Chevalerie de Lor- raine, famille aujourd'hui éteinte, qui tirait son nom du village de Lucy (Meurthe) dont elle possédait la sei- gneurie, ainsi que celle de plusieurs autres lieux (l). Ses armes étaient d'argent à trois lions de sable, ar- més, lampasscti de gueules, couron- nés d'or, 2 et 1. Elle avait pour de- vise : Fraus inimica Luci. dans la ])remière ou la seconde année du seizième siècle, Vary, sans doute cadetde sa maison, embrassa l'état ecclésiastique et entra dans l'ordre de Saint-Benoît. Par un abus trop commun alors, dès l'âge de neuf ans, il fut pourvu du prieuré de Flavigny, bénéfice en commende d'un revenu assez considérable, et qui dépendait de l'abbaye de Saint- Vanne de Verdun. 11 succéda dans ce Prieuré à Barthélémy de Lucy, probablement son proche parent i,quelques-uns disent son oncle), le- quel avait été en même temps jM'ieur de Saint-Nicolas-du-Port et abbé deSaint-Ainoult de Metz. Plus tard Varry eut le titre de protono-

(l) La seigneurie de Donihasle lui < tuit cclnie, en I i:20, pur le mariage de Jean de Lucy, lils (1(; Miihcu de Lucy, avec .Marguerite de DoiuIkisIc, dernière héritière de cett;- niaisoii. Ce Jean de Lucy et Henri de Lucy, son frère ou du moins son parent, comptaient parmi les (luatie-viiigl el (pielques eliev;iliers (juc Cliarles 11 assembla, en I l"2.i, pour!- ur faire de larer, dans ri.'itiiôl de .ses fill' s, qu'a défaut de mâles les femmes pouvaient hériter du duelu' de Lorraine. lu secon 1 Maheu de l.ucy fut mailre «l'htjtel du due Antoine, et Pernelte de Luev mourut abbesse de Vcryaville en 15l)j.

taire apostolique. Le premier em- ploi de ses richesses fut con.sacré à son église, lien fit bâtir ou recons- truire le chœur, qu'il orna de su- perbes vitraux, eximiis vitris iGalL Christ. ,\\\\, col. 1351), siiremcntles mêmes que ceux dont on admire en- core les restes , et que nous avons déjà signalés dans une note de l'art. Ruyr (lxxx, 216). Après Dieu, le seigneur de Dombasie songea aux êtres qu'il affectionnait le plus, c'est- à-dire aux pauvres de ses domaines. Outre les bienfaits journaliers que sa charité leur prodiguait à tous de son vivant, il voulut encore procu- rer à un certain nombre, après lui, les moyens de s'instruire etde s'éta- blir. Il plaça une forte somme, dont la rente devait servir à marier tous les ans cinq à six filles choisies parmi les plus indigentes et les plus ver- tueuses des villages et hameaux de Dombasie, Crévic, Grandvezin, Fla- vigny, Anthelupt, lludivilcr, Lucy et Vathimont. Ensuite, moyennant 3,300 francs barrois qu'il délivra à l'abbaye de Ilemiremoat, le Chapi- tre contracta l'obligation de faire apprendre chaque année un métier à six garçons des mêmes villages. L'apprentissage durait trois ans, pendant lesquels on soignait aussi l'éducation de ces jeunes gens. En- fin, par acte du 3 mai loiO, le digne prieur donna au collège de La Marche à Paris, treize cents écus d'or au soleil, |)Oury fonder à per- pétuité deux bourses, dont jouiraient pétulant les 7 ou ^ années du cours d'études, deux jeunes clercs tonsu- rés de Dombasie et lieux circonvui- sins. Cette fondation, si avantageuse au pays, a eu son effet juscjuà la révolution de 8i). Suivant le Call. Christ, {lac. d/.), Vary termina sa carrière en 1537. Le 7 dccenihrc, ajoute dom Calme t {Liste des

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l'riL'urs de Fiavigny, dans le t. vu de son Histoire de Lorraine.) D'après cela, il est étonnant que le savant abbé de Senonesdise, à l'art. Dom- BASLEde sa iVo//fcdc laraôme pro- vince, que le prieur, pour assurer ses fondations, les fit approuver et autoriser par le duc Gliarles III, par lettres du 25 janvier 1564. Si une autorisation (juelconque a été de- mandée à cette époque, ce ne put être que par les villages intéressés, etc. Vary fut inhumé dans l'église de son prieuré, au milieu du chœur où, en 1605, vint prendre place à ses côtés Antoine dllaraucourt , son successeur imm diat. B.-L.-U. VASCO (Jean-Baptiste) , un des princes de la science économique en Italie, naquit en 1733 à Mondovi, ses parents jouissaient de quelque aisance et d'une certaine considé- ration. Mais, cadet de famille, il fut de bonne heure voué à l'église. Ces vocations par avis de parents tour- nent rarement à bien. L'adolescent se laissa mettre au séminaire, le jeune homme se laissa conférer les ordres. Mais c'est après ces ser- ments qui l'enchaînaient pour la vie que sa tiédeur pour la carrière clé- ricale devint de l'antipathie et que la liberté de langage avec laquelle il s'exj)rimait sur des vicesqui n'étaient pas l'apanage exclusif des laïques et sur des abus qui rapj)ortaient à la caisse, le rendirent suspect à son cvèque. Les admonestations ne ser- viront à rien : il ne se laissait ni terrasser par les arguments du grand vicaire, ni séduire par - lés prosopopées du professeur d'élo- quence sacrée. Après des tiraille- ments sans nombre; après des tra- casseries intolérables par leur mes- quinerie même, il se vil obligé de renoncer à rexcrcice de sa profes- sion, et comme banni de fait. Heu-

reusement, car sans cette circons- tance il se fût trouvé , pendant un temps du moins, dépourvu de tout moyen d'existence, un de ses amis, le marquis de . , . . , le recueillit en son château, et par les preuves d'estime dont il l'en- toura publiquement, empêcha qu'il ne succombât sous les attaques dé- nigrantes de ses persécuteurs. C'est dans celte honorable et paisible re- traite que Vasco, réduisant en quel- que sorte en théorie ce dont il avait le sî)ectacle sous les yeux dans les domaines de son sage protecteur, publia sa Félicité publique considé- rée chez les cnllivatenrs de leurs propres terres , 1769 ou 1770. L'ouvrage trouva presque immédia- tement un traducteur français et jouit d'un certain retentissement non-seulement en Italie, mais à Paris, centre de l'école des physio- crales, et en Suisse. Vasco n'était pas homme à se reposer sur ses lauriers. La même année, 1771, il remportait le prix proposépar la Société libre d'économie de Saint- Péterh?bourg ; et en 1772 il envoyait à l'Académie de Turin son Essai po- litique sur la monnaie. Cinq ans après, ayant résolu de concourir pour un prix que proposait l'Acadé- mie de Vérone, il n'envoya son mé- moire que Irop lard pour être lu en temps utile; mais l'Académie, sur le rapport que lui fit sa commission, lui témoigna, ne pouvant déro- ger aux conditions de son pro- gramme, sa satisfaction de voir la question si bien résolue en l'admet- tant, de son propre mouvement, parmi ses membres. Nous le re- trouvons encore en 1788 menantde front la solution de deux problèmes de première importance, ou pour l'humanité tout entière, ou pour l'Italie, posées par l'Académie de

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Turin, l'un sur la mendicité, l'autre sur les moyens de pourvoir à la subsistance des employés à la fila- ture de la soie. Sa réputation alors avait franchi l'horizon primitif : l'Allemagne même, si aveugle, si féroce ennemie de l'Italie, pronon- çait son nom avec respect : Jo- seph II (il est vrai que ce dernier était un monarque philosophe) le consultait sur les matières écono- miques et financières, et s'il n'eût été ravi trop tôt à ses peuples, nul doute que V'asco appelé à sa cour n'eût joui près de lui d'unhautcré- dit, et n'eût été revêtu de fonctions importantes. Mais dès 1790, l'aîné des fils de Marie-Thérèse laissait le trône à d'ineptes collatéraux , et l'habile économiste le suivit de près au tombeau. Toutes ses œuvres , après avoir été la plupart imprimées séparément, se trouvent dans la Bl- bliothèquedeH économistes italiens (en italien, bien entendu) de Guslodi. Outre celles que nous avons nom- mées dans le cours de cet article, il faut distinguer encore sa Liberté de l'intérêt ( Viisura libéra , tel est le titre italien). Cet ouvrage aujourd'hui n'apprendrait plus rien aux adeptes consommés de l'écono- mie politique. Tous savent {\\\'usura en latin (d'où Fon sens en italien) ne veut dircqu'?>i/^r<?/et n'exprime nullement ce que le français entend par a usure; »> tous savent qu'en fait l'intérêt, tout réprouvé qu'il fui lon^'temps par l'Eglise (il ne l'est plus aujourd'hui), n'a jamais, tant qu'il ne devient pas tyrannique et oppresseur, froissé les conscien- ces délicates et même est entré dans lesmreuis, l.uidiscju'en droit il est la rémunération d'un sci-vice rendu (la disponibilité d'un capi- tal) «'t la compensation d'un risque (la perle) ; tous savent enfin (lue le

taux de l'intérêt varie suivant l'im- portance du service ou bénéfice que procurera ceserviceet suivant lagra- vité du risque. Mais ces vérités po- pulaires aujourd'hui et que ne con- testent plus que les adhérents quand même aux vieilles routines ou des utopistes qui prétendent ne rencon- trer que des constantes dans leurs calculs, étaient alors des nou- veautés en tout pays et des hardies- ses entre les Alpes et le Phare. Vasco mérite donc notre admiration pour être un de ceux qui par leurs propres forces, ont le mieux élucidé ces questions si mal comprises alors, si controversées depuis : il les a prises et reprises sous toutes les faces, il les a simplifiées par degrés, il a merveilleusement faitsorlirdes connues les inconnues ; et après avoir tracé l'origine, analysé les conditions, classé les diverses espè- ces de prêt, il conclut, en arrivant au dernier problème (le taux de l'in- térêt), que, pour contenir l'intérêt dans les limites les plus discrètes, le meilleur moyen c'est la liberté de transactions la plus grande possi- ble, relativement aux circonstan- ces particulières dans lesquelles chacun se trouve. Nous ne termi- nerons pas cette esquisse sans indi- quer les sujets des autres grands mémoires de Vasco. La question de la Société libre d'économie de Saint- Pétersbourg roulait sur le phéno- mène de l'extension à la classe des paysans du droit d'avoir, en pleine propriété, des biens fonciers. En voici les termes: « Est-il plus utile au bien public queles paysans [)03- sèdent des terres en propriété seidemonl des biens meubles ? VX jusqu'oùdoivent s'étendre les droits des paysans sur les terres pour que le public en retiie le i)his grand avantage? » La question de lAca-

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demie de Vérone avait pour ob- jet les corporations d'arts et mé- tiers : Vasco montra combien ces institutions du vieil âge non-seule- ment étaient devenues inutiles en même temps que vexatoires, mais s'opposaient à tout progrès, soit comme perfectionnement des pro- grès, soit comme abaissement des prix. L'on a pu voir plus baut les sujets proposés par Turin, soit en 1785 soit en J772. Voici le titre de ce dernier en italien : Delta moneta, sdfjgio politico. Les opuscules et Iragments de moindre importance, lesquels ne se trouvent que dans la collection Custodi, sont réunissons le titre général de : Annanzi et Eslratti. Disons entiu que le tra- ducteur de la Félicité publique est Bréard de l'Abbaye. Val. P.

VASSAL (Jacques-Claude-Ro- man) , banquier et, à la chami)re des députés de 1829, l'un des deux cent- vingt et un, était de Lyon et d'une famille des plus honorables : il na- (juit vers 1765. Primitivement on avait compté le vouer à la carrière sacerdotale, et ses premières études terminées, il avait été placé au grand séminaire de sa ville natale, quand survint la révolution. Im- médiatement la vocation du jeune Koman, si vocation il y avait , s'évapora devant la nouvelle pers- pective qui s'ouvrait pour tous ; et comme il n'avait point encore reçu les ordres, ses parents ne génèrent par nulle objection ses nouvelles tendances. L'essayer , d'ailleurs, neût j)as été raisonna- ble. De longlenq)S l'Eglise en France ne pouvait offrir de d('boucliés sé- duisants ou j)roductifs à l'ambition. Mais à quelle prolession se livnîrau milieu de l'étourdissante confusion dont les proportions allaient crois- sant de jour en jour? lin attendant

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mieux, il se délenninapour Padmi- nistralion, et il fit ses débuts Gbâions en qualit(^N.de chef du bu- reau des émigrés, (s'^'était {\ coup sûr une de ces position^? le titu- laire pouvait, selon son hx)^^ vouloir, faire ou beaucoup de mal 6»>u beau- coup de bien. Vassal n'hésit^a pas sur le parti à prendre. Quoique}- P'^" triote, il n'était pas des patriolo^^ furibonds ; quoique respectant e'ii- appliquant la loi, il n'en outrait point les sévérités. Sa modération, sa générosité permirent à bien des tètes en péril de se soustraire k la mort .qui les menaçait. Ces services essentiels étaient d'au- tant plus méritoires qu'en écartant des autres le danger, il l'attirait sur lui-môme et qu'il le savait. Bientôt il se vit l'objet des défian- ces, des suspicions, des persécu- tions môme : il ne put y tenir, et, soit dégoût, soit sentiment d'un dé- noûmenl plus formidable, il dispa- rut de la capitale de Seine-et- Marne, et vint chercher refuge à Paris. Heureusement il avait un ])elit|)éculede 7,000 francs : nepou- vantplusse présenter pour deman- der le moindre emploi au gouver- nement dont il lui fallait au con- traire esquiver ou dépister le ref-'ard , il résolut de se créer un établissement de commerce. De quel commerce ? On ne le devinerait pas, vu l'exiguïté du capital. Ce n'était ni plus ni moins qu'une niaison de banque. 11 com- mença, comme on le devine, fort petitement; il escompta fort pru- demment, il ne se laissa pas aveugler ou endormir parle succès; au con- traire il redoubla de vigilance et de circonspection. P(;titàpetit ses opé- lations s'étendirent, sa maison fut citée comme des plus solides de la cai)itale, sa capacité linancière fut

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vantée , sa piobilé sur laquelle clients et concurrenls n'avaient qu'une voix, porta au comble sa réputation. L'estime ])ubliquc le porta successivement à tous les sièges (le la magistrature consu- laire; en d'autres termes, on le vit successivement suppléant, juge, président du tribunal de commerce. Il y déploya constamment une sa- gacité, une profondeur de science tant juridique que commerciale, une netteté d'appréciation et en même temps un vif esprit de progrès qui firent de ses paroles comme aulant d'oracles. Ajoutons qu'il était la bienveillance môme cl qu'il se plai- saità patronner les fiiibles, pourpeu qu'il vît en eux quckiue talent et de la prol)ité, et so:î appui ne lit jamais défaut à qui [our réussir n'avait besoin que de crédit. Aussi le commerce moyen et bas mit-il un rare empressement à lui donner des milliers de voix pour le porter à la députation de Paris, tant en 1829 qu'après la dissolution de la Chambre en 1830. Défenseur éclairé des droits du peuple sans donner le moins du monde dans la démagogie, sans même souhaiter, lui, la chute des Bourbons, il avait, comme nous ravonsindiquéenr.onuncnoant, voté l'adresse des deux -cent- vingt-et- un. La ri'volution des 27, 28 et 29 juillet vint donner raison à la ré- sistance et donner à ceux qui vou- laient arrêter la monarchie sur celte pente qui la conduisait au précipice un triomphe plus complctque beau- coup ne l'eussent souhaité. Vassal fut-il de ceux-là au moment même s'accomplissait ledésarroi"' Nous inclinons à le penser. l"^n tout cas, il ne fut lias longtomps à le deve- nir, car il fut, connncrcialement par- lant, une des premières victimes de la crise qui suivit la chuie de Ghar-

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les X. Nombre d'établissements qu'il avait étayés de sa caisse, et avec lesquels il était à découvert pour des sommes considérables, fu- rent ruinés par l'interruption des afifaires commerciales que provoqua la bouderie de l'aristocratie légiti- miste, qu'augmenta et prolongea l'altitude plus qu'ambiguë de laRus- sie et à laquelle les cris d'une opposition trop généralement et trop souvent furibonde n'étaient pas faits pour porter remède. A'as- sal, à son tour, ne pouvant parer h tant de sinistres qui venaient le frapper coup sur coup, fut forcé de suspendre ses paiements et de dépo- ser son bilan. Energique et intrai- table sur l'honneur, il ne se crut pas le droit de marcher la tète haute, son concordat signé. Il forma la résolution de réparer intégrale- ment les pertes dont avaient à se plaindre ses créanciers, et désor- mais n'assignant d'autre but à sa vie, il dit adieu pour jamais à tout rôle politique, lldéserlalemonde, et, avec les ressources exiguës que lui laissait le malheur, il rejiril les affai- res avec autant, avec peut-èlre plus d'ardeur qu'au temps de sa jeunesse et de ses succès. Il avait fait bien des pas déjà dans celte voie et avanoé la solution du problème qui lui tenait tant au conir, (piand 1 1 mort vint le frapper le 13 octobre \S:ik. On a prétendu que cette fin avait été volontaire et qu'il s'élait îioyé. A ses funérailles se pressè- rent presque toutes les sommités financières et ony remarqua surtout ses ex-collègues de la magislralure consulaire, i[u'\ tinrent à honneurdc prouver par leur présence (piiis savaient distinguer entre le n)alheur et la faute, et en quelle estime ils tenaient l'honorable naufragé. mal- gré son naufnige. Un d'eux, (lan-

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iicroii, dans une notice qu'on peut lire dans le MouUeitr du 17 octobre (même année), paya le tribut à sa mémoire , et il ne fut personne qui n'applaudit aux paroles par les- quelles se terminent ces simples et pieuses li.cnes : « Si un tort réel peutlui être rcprocbé comme homme d'afï\\ires, celui d'une faiblesse qui a été la cause de son infortune, il est certain pour tous ceu.\ qui ont été à même de l'apprécier que cette faiblesse môme prenait sa source dans |r'STi]!i>f:énf''roux sentiments.»

Val p.

VASSEL'R (MlGHEL-FllANÇOls) ,

à Polincovc, dans l'arrondis- sement de Saint-Omer, le 16 mars 1740, et mort dans cette dernière ville, le 20 août 1833, plus que no- nagénaire par conséquent, était un des hommes de France qui connais- sait le plus à fond l'ancienne légis- lation de notre pays; ses conci- toyens l'en regardaient comme le répertoire vivant. Ayant prùlc ser- ment comme procureur à la cour échevinale le Kl janvier 1771 , ayant ensuite continué ses fonctions sol;s le nouveau régime avec le titre d'a- voué licencié, il ne céda sa charge qu'au bout de cinquante ans d'exer- cice et daus la quatre-vingt-onziè- me année de son âge. Il y en avait quatre alors qu'il cumulait avec les soins de son étude le jioste de juge au tribunal civil..., juge suj)- pléanl. i! est vrai, et dès lois ne siégeant ]!as en permanence, mais ne demandant qu'à siéger, insatia- ble des cas épineux, imbrisable à la fatigue, et en dépit de l'assour- dissante et monotone éloquence qui pérore sur les déviations des cours d'eau et sur le mur mitoyen, inac- cessible au sommeil. Il s'était aussi laissé entraîner dans l'administra- tion des hospices, qu'il gérai ta la sa-

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tislaction de tous, triomphant dans le contentieux j)ar sa longue habi- tude des affaires et par son aplomb, lia, connue l'auraient eu les hauts barons de jadis, son mausolée en beau marbre dans l'église de Polin- cove, et sur le marbre se lisent plu- sieurs épitaphes peu poétiques, bien qu'écrites en vers. X.

VASSILLACClîî ( ANToiNii ) , surnommé TAliense, peintre, na- quit dans l'île de Milo, qn 1556, et puisa sous le beau ciel de la Grèce un génie fait pour les beaux-arts et surtout pour les vastes compo- sitions qui exigeaient de l'imagina- tion. PaulVéronèse fut sou maître, mais lorsqu'il eut vu briller les pre- miers rayons du talent de son élève, il en devintjaIoux,l(i renvoya de son école en lui conseillant de ne pein- dre qu'en petit. L'Aliense, voyant que Paul renouvelait envers lui la conduite que le Titien avait tenue il l'égard de Tinloret, résolut de suivre à son tour l'exemple de ce dernier peintre. Il étudia les plâ- tres moulés sur l'antique, ne ces- sant de les dessiner nuit et jour; il se rendit familière la connaissance du corps humain, il modela en cire, copia assiduement le Tintoret, et, comme pour oublier tout ce qu'il avait appris de Paul Veronèse, il vendit juscju'aux dessins qu'il avait faits dans son école. Mais il ne sut pas si bien en perdre la mémoire que, dans ses premiers ouvrages, qui subsistent dans l'église des Vierges, on ne reconnaisse les traces de l'é- cole de Paul, et un artiste formé j)our ce style. Les historiens lui font un reproche d'avoir abandonné cette route poin- en suivre une au- tre moins conforme à son propre talent; ils le blâment surtout de s'être laissé bientôt aller au tor- rent des maniéristes. Quelquefois

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il peignait avecbeaucoup de soin, comme VÉiHphanie, qu'il fit pour le conseil des Dix ; mais le plus sou- vent il abusait de la facilité de sou génie, sans craindre que cet abus put diminuer son crédit, puisque le Palma et le Corona, qui étaient ses rivaux, suivaient le même exem- ple. Il s'appuya contre le Viltoria, son ennemi, d'un artiste en grande vogue, Jérôme Campagna, élève du Sansovino, et il jouit de toute la faveur du Tintoret. C'est on se conduisant ainsi qu'il fut chargé de nombreuses peintures dans le palais du Sénat et dans les diver- ses églises de Venise, et qu'il' ob- tint même de vastes travaux dans d'autres villes d'Italie et notam- ment à Pérouse, dans régUs!» de Saint-Pierre. Cependant, il ne put atteindre à celle réputation élevée à laquelle l'appelait son heureux génie. Parmi ses élèves et ses ai- des, on cite Thomas Dolabella, de Bellune, peintre habile, et qui fut fort bien accueilli à la cour du roi de Polo^Mie, Sigismond IH, au ser- vice duquel il resta longtemps ; et le Flamand Pierre Mera, qu'il aima particulièrement, et dont il Ht le portrait par amitié. L'Aliense mou- rut à Venise en 1529, et fut enterré en l'église de Saint- Vital. Le che- valier Ridolfi, qui fut son ami, a inséré sa vie parmi celles des il- lustres peintres de Venise et de l'Etat. Tome ii, p. 209. P. -S.

VASTKY Je baron de), chan- celier du roi d'Haïti, membre de son conseil privé, maréchal de camp de ses armées, chevalier ile l'ordre royal et militaire de Saint-Henry, Haïtien noir de nation, com- mença sa carrière iioliliciui; , en 1806, comme principal secrétaire d'André Vcrnet (ensuit»' prince des Gonaivesjau département deslinan-

ces et de l'intérieur, et passa avec lui au service du roi. Lorsqu'en 1811 le roi composa la conimissiou législative chargée de présenter les projets de lois pour le Gode Henry, M. Vastey fut nommé l'un des secrétaires de celte commission. Après la mort du prince desGonai- ves (1813}, M. Vastey fut nomnié secrétaire du roi, créé baron et chargé de l'instruction du prince royal. Il remplit son emploi avec autant de zèle et de succès que de talent. En môme temps M. de Vas- tey commença à prouver son pa- triotisme en auteur publiciste, et à combattre pour son pays avec au- tant de gloire que de zèle, faisant preuve d'une instruction digne de toute notre admiration. Lorsc^ue, en avril 1815, les députés du roi étaient de retourdu Port-au-Prince, il publia, pour accompagner une lettre du comte de Limonade, une brochure intitulée : Le Cri de la patrie^ il commençait à dévoiler la turpitude, la trahison et l'exces- sive ambition de Pétion. Quelques mois plus tard, il publia une nou- velle brochure sous le titre : Le cri de la Conscience , il ac- cusa le général Pétion du crime de haute- trahison, de complicité avec Daurion-Lavaysse, de com- plots et d'intelligence criniiiicîlc avec les ennemis d'Haïti pour ren- verser l'Etat, et i)longer la po- pulation dans l'esclavage et les pré- jugés de 1789. Toujours prêt h défendre les droits de sa race et de son roi, il a écrit en 1817 un ou- vrage a\ant pour litre : Ihflexions politiques sur quelques ouvrages et journaux français concernant liiuii. Le roi, pour récompenser autant de mérites, le nomma chevalier de Tordre royal et militaire de Saint- Henry, maréchal de camp ^2'^ umùI

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181'J), et ciirm chancelier. M. de Vastey a composé, j)Our couronner ses travaux liléraires et poliliciues, un ouvrage qui porte ce titre : Es- sai sur les causes de la révolution et des guerres civiles d'Haïti, ù Sans- Souci, de l'iniprinicrieroyale, 1819, rempli de notices très-intércssan- les. H y parle de sa carrière polé- mique et s'en exprime ainsi : «Nous n'avons jamais aimé les discussions polémiques; elles répugnent à no- tre cœur et à nos principes; nous les avons toujours évitées avec soin, de crainte d'être agresseur, et, si quelquefois nous nous sommes élancé dans celte arène, c'est mal- gré nous, et contre noire propre volonté, que nous y avons été cn- Iraîné; mais alors, provoqué par une juste et légitime défense, nous n'avons pas hésité à monter à la brèche pour combattre les ennemis de notre pays et de notre gouver- nement , sous quelque forme ou quelque couleur qu'ils aient pu se montrer ». J. B.

VATAll, juriste de Rennes, il vit le jour en 4773, cl sa mort eut lieu le 21 octobre 1842, a\ail débuté, après de très- fortes études en droit, au barreau de cette ville, son élocution facile et nette, et plus encore son érudition en ma- tière légale et la sagacité avec la- quelle il en faisait l'application aux alîaiies litigieuses, lui valurent sou grand renom. Le ministère public s'empressa de s'adjoindre son la- lent duquel on j)Ouvait se promet- tre tant de services , et indubita- blement Vatar, s'il l'eût voulu, fût arrivé dans cnitc voie au poste le plus boîiorable et le plus envié, pour n'en sortir que premier pré- sident. Mais il apportait dans l'exer- cice de FBS fonctions une indépen- dance d'esprit que ne pouvaient

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supporter ses supérieurs, ni pallier SCS amis, et (jui n'était pas tous les jours du goût du pouvoir. Priu- clpibus placuisse vires était la de- vise d'Horace ; ce n'était pas la sieiuie, et il croyait qu'elle était de mise tout au plus en poésie. Il en résulta que, sans môme qu'il y eût collision entre son procureur géné- ral et lui , on s'alarma dans les régions supérieures, et sa révo- cation lui fut signifiée. Naturelle- ment il revint alors au barreau, plus que jamais il jouit de cette haute considération, apanage du talent qu'accompagne le caractère. Ses consultations étaient surtout regardées comme très-profondes et comme élucidant les cas même les plus controversés. Sa pensée fécon- dait ce que presque tous auraient trouvé stérile; il élargissait les su- jets les plus mesquins en saisissant, en établissant leur connexion avec losprincii es; sous sa main le déve- loppement d'une « espèce » , pour [)arler le langage technique du droit, devenait la démonstration d'une vérité mal connue, et cette vérité, naguère voilée de nuages, jjrennit i-ang d'axiome ou d'apho- risme. Aussi Toulier, qu'il comptait ])armi ses amis avec Malherbe et Carné, disait-il, sans se laisser le moins du monde aveugler par l'a- mitié : <' Quand j'ai pour moi Mei- jin et Vatar, il ne me leste [dus de doute ». l,e courage civique de Va- t.'ir se numifesta glorieusement en ISU; , quand le général Travot traduit devant le conseil de guerre de la VV division, que présidait le général Canuel , fut condam- né à mort ; le barreau de Ren- nes eut l'honneur, lorsqu'il appela l'atTaire, de fournir treize avocats pour s'gncr une consultation en fa- veur de l'appelant; non-seulement

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Valar fut un des lieize ; mais l'é- nergie de ses efforts détermina quelques-uns des signataires, et presque toute la rédaction du mé- moire est son ouvrage. On sait que LouisXVIII, sans permettre un se- cond procès, commua la 'peine on vingt années de détention. 11 est permis de penser que la puissante argumentation des treize réunis, bien qu'elle n'ait pas été soumise à des juges nouveaux^ fut pour beau- coup dans ce résultat. Quoique ainsi champion décidé des libertés nationales, le sage nvocat ne tomba pas dans l'exagération si fréquente à celte époque, et qui sans cesse alla grossissant à mesure (ju'on avançait , de M. de Richelieu à M. Villèle, de M. de Villèle à M. de Polignac : il sentit et com- prit les fautes, mais sans faire de vœux pour la chute des Bourbons, sous lesquels, du reste, il devint, après concours , professeur sup- pléant à la P'aculté de droit. Vin- rent les journées de juillet : il fut replacé immédiatement dans la ma- gistrature, mais comme juge, et il consentit à faire partie de la com- mission provisoire qui maintint l'ordre dans la cité. Ses amis disent que le ministre de l'instruction pu- blique lui fit offrir, en ce temps, le rectorat de l'Académie de Renues, qu'il refusa. Ce dont on ne i)eul dou- ter, c'est que, presque à la même époque, fut créée dans la Faculté de Rennes une chaire d(î droit com- mercial, et (pie Vatar en obtint d'emblée le titre en échange de sa suppléance. Le cumul répugnait à sa délicatesse; il se démit en même temps de son sié;:e au IriJjunal. C'est donc lui qui fui, à Rennes, le premiiîr professeur de droit com- mercial, (hiaiid la mort de Carré laissa vacant le déi'aiiat, e'est lui

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qui fut nommé pour régir la Fa- culté. Il mourut comme il avait vécu dans les sentiments de la plus haute piété. Val. 1\

VATKR (âbuaiiam}, le célèbre disci[)le et imitateur deRuyscb. ne fut pas, comme le prétend l'article auquel nous allons tenter de faire quelques corrections, « nommé en 1710 à la première chaire de méde- cine de l'académie de \Yittemberg.M NôàWittemberg en 1684, il n'était que simple élève en 1710; et ce n'est qu'en 1717, au retour de son voyage scientifique, qu'il lui fut donné de paraître en sa ville na- tale dans une chaire publique : en- core ne fut-ce que comme profes- seur «extraordinaire,» c'est-à-dire comme suppléant ou comme chargé par intérim. Qu'est-ce ensuite que la première chaire de médecine? Rien, pour nous Français, de moins clair que cette épithète : précisons- la donc. C'était la chaire de théra- peutique, à laquelle était attaché le décanat. Vater en fut pourvu, en d'autres termes il fut et professeur de thérapeutique, ce qui n'était dit qu'ambigument et doyen (ce qui n'est pas dit du tout). Mais ce double fait n'eut lieu qu'en 17iC, vingt-neuf ans donc aNant sa pre- mière nomination et trente-six après l'époque donnée pour celle de son entrée en fonctions. Ce n'est pas tout: de 1717 à 1710, quelques particnlarités se présentent à nous qu'on ne saurait négliger: c'est en l7l9 qu'il devint lilulain; de la chaire d'analoinie et de botani- (pie (ce n'était pour lui qu'un troc, accompagné de la stabilité ([ue ne possède pas encore le j)ro- fesseur extraordinaire; C(\ n'était pas un cumul); à partir de 1737, il cunnda son anati-mie et botani- (pie avec la ehaiiv' df palhnl.iirie.

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Quant à la proraolioii de 1740, elle n'ajouta rien à rexoeplionnalité de la situation; en passant à la thérapeutique, Vater dut abandon- ner la pathologie; il ne jouit que des avantages du simple cumul ; il ne tricumula pas (si tant est qu'on puisse ris(|ucr cette expression}, à moins qu'on ne cote ledécanat à plus que sa valeur. A la suite des neuf ouvrages ou mémoires cités, on trouvera, nous le présumons, quelque intérêt h trouver les inti- tulés suivants, qui tous éveillent l'attention et nous jettent sur la voie soit de phénoiïiènos, soit de décou- vertes graves. Le Dictionnaire his- torique de Dcseymeris n'en énu- mère pas moins de cent dix ; c'est donc rester dans les limites d'une stricte sobriété que d'en ajouter à peu pr^s la douzaine. Presque tou- tes nos indications, on le remar- quera, se réfèrent à l'histoire natu- relle, notanimcuLà la bol;tnique, et plus spécialement à la face phylo- graphique de celle science. Nous continuons la numérotation de l'ar- ticle, notre point de départ. X-XII. Trois pièces sur le jardin botanique de Witteuberg, savoir : 1" Calalo- fjus plantarnni inprimis exodcanim horli acadcinici vilehcrfjcnsis, AVitL, 1721, in-i"; 2" Supplemcnluni cata- lo(ji planfanim sislens accessinnea novas horli av. vileh., Witt., 1721, in-i"; Stjllabns planlar. potissimiim exol. qnœ in Iwrlo medico academiœ viteh. alnntur, AVilt., n.'H, in-i**. Xllï. Jti. curvi Scmmedi Viv.uAMi «KRiM iNDicARiM. quo covipreken- dilur liistorid lariorum .uimplicitm ex India orienlali, America aliisque lerranim part ib un alla forum, anlchac lingua Imitanica exaratus , nu^c.,. hUmLlaU'(lonitu^y...\yi{lA12j,iu-'y'. XIV. Disn. deraiaejiiadeuuiue virluli- /;?/.», Wilt., 173'). in- V'.XV-XVf./;/.s'<».

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de laurocerasiindolevenenata, exem- ptis hominiim et cralerum ejm aqna essecatorumconfirmala, 'WiiL, 1737, in-4°; et Progr. de olei animalis ef- ficacia conîrà lujdrophobiam et vene- num laurocerasi, Witt., 1740, in-4" (ce n'est pas le même opuscule, tant s'en faut, que le VII de l'arti- cle). XVIÏ. Diss. de efpcacia admi- randa chinchivœ ad gangrœnam sis- tendamin Anglia obs., Witt., 1735, m-'t". XVIII. De fonte medicato vi- teb'ergensi, Witt., 1748, in-4".XiX. Programma de vitrioli ejasque sul- phuris et tincturœ indole atqueprœs- tantia, Witt., 1750, in-4". XX rapprocher du nMX). Catalogus va- riorumej:oticoruMvarissimor.,m(ixi' mam partcm incognitor. et nullibi descriptor., parlimmedicinœ, partim curiof<ifati inservientium , quce in Muaeo suo poasidet, Witt., 1726, in-8°. HW. Progr. de laboribus suis auatomicis et botanicis per trede- cim annos... susceptis, prœmissum orationi inaugurali de felici anato- mes ad botanicam applicatione...^ Witt., 1733, in-4». Val. I'.

VATIMF.SNIL (Antoixe,-Fkan- ç()is-nKMii-Li:n:avRK m:), magis- trat, député, ministre del'instruction publique, offlcierde laLégion d'hon- d'honncur. naquit à Rouen le 10 dé- cembre 1789. Son père, conscillerau parlement de Normandie, confia sa première éducation à un ecclésiasti- que dont les piéceptes et les exem- ples portèrent d'heureux fruits. Le jeune élève y puisa les germes d'une iiiélé solide à laquelle il se montra conslamment fidèle, etdontla prati- queéclairéc répandit sur les années de sa retraite un relief el dt;s satis- factions qui ne l'accompagnèi-entpas toujours dans les brillantes sphères du pouvoir. Il vint terminer ^es étu- des à Pariset suivit le- hrons de rhé- torique de Liicf <lo Ivancival, qui le

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regardai t comme un de ses meilleurs élèves. Valimesnil fut inscrit comme avocat au barreau de Paris; mais il exerça peu et dirigea bie:» tôt ses vues du côté delà magistrature. Il y entra par une place de conseiller-auditeur à la cour impériiile, le 23 janvier 1812, au moment oîi il venait d'at- teindre l'âge de vingt-deux ans re- quis pour sa nomination. Le jeune magistrat se prononça avec ardeur plus tard en faveur de la Restaura- tion, et fut nommé, le 15 octobre 1815, substitut du procureur du roi au tribunal de la Seine. Ainsi que la plupart des officiers du ministère public de talent et de valeur, ce fut dans les procès de la presse qu'il posa les fondements de sa renom- mée» et il acquit bientôt en ce genre de débat une inronlcstable supé- riorité. Il fit ses premières armes dans TafTaire correctionnelle du lieutenant-colonel Bernard, pré- venu d'émission de fausses nou- velles, délit (jualteignit une con- damnation légère, et qui fournit au jeune magistrat l'occasion de louer, avec moins de goût (juc d'emphase dans Louis XVllI, ce roi « qui n'eut jamais de préjugés, qui est sans passion, h moins qu'on ne donne ce nom au sentiment sublime qui se peint dans son regard et qui rayonne sur sa figure quand il parle du bonheur de son peuple, a Va- timesnil porta la parole quelques mois après dans le procès on diffa- mation inîenlé par (jueUjues baiils fonctionnaires du Lot à MM. La- chèze-Murel et Sirieys de Mayrin- hac, au sujet des dernières éhtr- tions, et ses conclusions, légèrement empreintes de l'cspiit de rcarlion, dont l'ordonnance du 5 .=e|!l(Mnbre avait donné le Fignal, enlrainèrent des peines correc ionnclh^s contre les inculpés. Vers la même éjoque,

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il défendit des attaques de l'impri- meur Paris l'ordonnance d'flm//ts/te rendue par Louis XVIII en faveur des émigrés royalistes, et fit con- damner son libelle comme injurieux pour le roi. Il provoqua et obtint une condamnation sévère contre le nommé Rioust, auteur d'une apo- logie séditieuse de Carnot, et ftt apjdiquer des peines pécuniaires à MM, Chevalier et Dentu, auteur et imprimeur d'une lettre ou (rageante contre M. Decazes. Un procès plus important fut celui que le minis- tère public intenta, au moisde juil- let i81"î, à MM. Comte et Dunoyer, rédacteursdu Censeur européen, pré- venus d'offense au gouvernement du roi à l'occasion de ce glorieux captif de Sainte-Hélène dont la renommée, habilement exploitée par un trop cé- lèbre chansonnier, commençait à prendre rang parmi les instruments deguerre de l'opposition libérale. On remarqua généralement avec quelle mesure Vatimesnil s'exprima sur le compte a d'hommes dont il dé- sapprouvait hautement les princi- pes, tout en estimant leur personne et leurs talents, » et sur la liberté de la presse « chargée de former l'opinion publique, » sur cette li- berté <( qu'il fallait respecter à cause de son utilité, aimer comme une institution noble et généreuse, digne du caraclère de franchise et de courage propre à notre nation; qu'il fallait encouragera demander la révision. Pabrogation môme deë lois inbuffisanl(îs et défectueuses, mais avec les égards commandés aux citoyens lorsqu'ils porlent des lois et de la volonté du prince; » Les conclusions du magistrat ac- cusateur furent néanmoins sévères, et les prévenus subirent la condam- nation exorbitanle, il cette époqur, d'un an d'enjpiisonuemenl et de

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10,000 fr. d'amende. Le zèle et les talents de Yatimesni! eurent bien- tôt à s'exercer sur un |»lus grand théâtre. Il fut noaimc, le 22 juillet 1818, substitut au ].arquet de la cour rovale de Paris. Ce fut en cette qualité qu'il soutint au mois de juillet 1819, devant la cour d'as- sises de la Seine, l'accusation por- tée contre Maurice Lefèvre, éditeur de la Bibliollièque historique, au- leur d'un véhéuicnt article contre les soldats suisses, «^ propos d'actes de brutalité commis sur un mal- heureux enfant par un de ces mi- litaires. C'était la première affaire correctionnelle sur laquelle, d'après la nouvelle législation, le jury était appelé à prononcer. Valimesnil dé- veloppa cette idée que le jugement parjurés appliqué aux délits de la presseserait éminemment salutaire, si les jurés, dédaignant toute con- sidération d'un ordre inférieur, sa- vaient se placer à la hauteur de lours fonctions, « car le sort d'une institution, obsorvait-il, dépendait à beaucoup d'égards du ])rcmier CHsai. En purifiant la liberlé de la presse, ajoutait Valimesnil, vous Ja consoliderez, car l'efTet de la li- cence serait de la détruire après avoir ruiné tous les autres fonde- ments de l'ordre social. » Ces sages exhortations ne prévalurent ])oint sur limpopularité dont ces mili- taires étrangers étaient frappés; Maurice [.efèvre fut acquitté du dé- lit d'olTcnse envers la personne du roi. et ce résultat s'étendit bientôt après à un autre écrivain libéral, Ciignel de Montarlot , qui avait glissé sous rrnvolo|ij»e inofîensive d'un calembour popidaire la thèse de l'extermination de la garde hel- vétique. Valimesnil soutint, au mois d'août 1820, l'accusation plus grave portée par le ministère public contre

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l'ancien archevêque de Matines, ce fameux abbé de Pradt, dont le sort semblait être d'égayer par ses fanfa- ronnades tous ceux qu'il ne révoltait pasparraudaceefTrénéedesesécrils. Cetecclésiastiqueétait inculpé du dé»- lit de provocation à la désobéissance légale et d'attaque contre l'autorité du roi et des Chambres par la pu- blication d'un pam|)hlet intitulé : De l'affaire de la loi des élections. On sait au prix de quels efforts, à Ira- ' vers les insurrections qui, dans le courant de juin 4820, ensanglantè- rent Paris, le germe de vie monar- chique avait été préservé, à la ma- jorité de cinq voix dans la nouvelle loi électorale. Ce triomphe si chè- rement acquis avait inspiré à M. de Pradt, l'un des promoteurs de la Restauration de <814, les prédic- tions les plus sinistres, les provo- cations les plus violentes et les plus subversives. Le fougueux i»rélatqua- liliait d'infâme guet-apens contre la représentation nationale les mesures de résistance prises par le gouver- nement pour proléger la liberlé des d'abats parlementaires, et compa- rait aux dragonnades et aux scènes les plus atroces de la révolution française les précautions militaires déployées pour la défense du châ- teau des Tuileries. A ces encoura- gements manifestes à la révolte contre une léi^islation née dans de telles conditions M. de Pradt avait ajouté une diatribe amère contre la Restauration, à laquelle il repro- chait ingénument de ïavoir éloigné des affaires, ci oii il s'emportait jus- qu'à ])rélendreque/o?i^ bonheur avait fui depuis six ans de celle France, qui se relevait chaque jour des rui- nes accumulées sur son territoire par la révolution, le régime impé- rial et linvasion des Cent -Jours. Dans une argumentation méthodi-

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que, pressante elmodérée,Vàtimes- iiil insista à deux reprises sur le danger de cette publication pas- sionnée ; laissant de côté le carac- tère personnel et les antécédents du prévenu, il exhorta les jurés à tenir exclusivement ciupte de leurs pro- jircs impressions et à se demander si a l'efTet combiné delà haine, du ressentiment, de la frayeur de l'a- venir, du mécontentement contre l'autorité et de la croyance à de grands malheurs, n'était pas d'ex- citer à la guerre civile. » Mais la France de 1820 était livrée à un deces courantsd'anarchie moraleoù les peuples se préoccupent médio- crement du souci de fortilier le pouvoir. En cette circonstance, comme en plusieurs autres, la sol- licitude du jury ne justifia point la confiance du législateur, et l'abbé de Pradt l'ut acquitté au bout d'une demi-heure de délibération. Les troubles de juin ramenèrent quel- ques mois plus lard Janvier 1821} devant la môme juridiction l'infa- tigable athlète du ministère public, qui obtint, celle fois, diverses con- damnations, à la suite desquelles il lut nommé (22 février) premier subs- titut du procureur général chargé de jioursuivre devant la cour des pairs la répression du complot militairedu 19 août. Valimesnil n'excéda point dans cet immense procès le rôle secondairequi lui était attribué, lise borna à la discussion des incidents d'audiencecl,au résumé, des charges produilescontieles inculpés, excepté toutefois au sujetdu colonel Maziau, contre lequel il développa l'aceusa- tion avec son talon t accoutumé, et que la courcondanmacpirlipies mois plus lard à cinq ans d enq)risonnement. (.le rulégaIementVatim<'snil qui porta la parole contre le jxx'te Barthéle- u\\, accuté de provocations sédi-

tieuses à l'occasion de la mort ré- cente de Napoléon, dont il voulait que le gouvernement français ré- clamât les cendres. L'orateur dé- voila facilement l'intention coupa- ble qui se cachait sous l'apparente nationalité de ce vœu, et s'éleva avecforceàce propos conlre l'hypo- crisie politique, ce produit moderne de l'esprit révolutionnaire : « Des hommes, dit-il, qui avaient juré haine implacable aux rois et aux nobles, oubliant tout à coup leurs serments, ont fléchi le genou devant le despote qui les chamarrait de cordons et qui déguisait sous les titres de l'Empire des noms trop célèbres dans les annales de l'anar- chie.» Ce procès, qui se termina par l'acquittement du prévenu, fut le dernier débat important dans lequel Yatimesnil porta la parole. La sphère politique allait s'ouvrir pour lui par son entrée dans la première admi- nistration que le coté droit eût donnée au pays. Le ministère Vil- lèle venait d'être constitué. Une or- donnance du 3 janvier 1822 nomma Yatimesnil secrétaire général du ministère de la justice, sous les ordres de ce même M. de Peyron- net dont il avait été le principal auxiliaire dans l'accusation portée devant la cour des pairs. Il fut bien- tôt après désigné pour soutenir à la môme Chambre, en qualité de commissaire du roi, le projet de loi relatif à la répression des déliti^ commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publica- tion. Yatimesnil combattit avec in- sistance, mais sans succès, l'amen- dement qui limitait la qualifica- tion de délit aux attaques portées contre l'autorité conalilutionnelle du roi; mais il réu-^sil ci souslraiir la plupart des infraction^ de la presseàcettejuiidictiondujur\ dont

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il avait tant tie fois éprouvé l'in- firmité. Appelé quelques mois plus tard à défeiuiro le budget de la jus- tice à la Chambre des députes, il appuya avec chaleur la proposiliou d'augmetiter le traitement des ma- gistrats de première instance et exposa des observations utiles sur le fonds de retenue applicable aux pensions de retraite. Au mois de juin I82i, il prit une part active h la discussion de la loi sur la mise i\ la retraite i\es magistrats intirmes, et démontra sans pein(' combien elle garantissait mieux le principe tutélaire de l'inamovibilité que le décret arbitraire d'octobre 1807. Il participa aussi au débat sur les modificatidus atlénuatives propo- sées à divers articles du code pénal. Ces travaux parlementaires ne re- tranchaient rien à l'activité inces- sante que déj)loyait Vatimcsnil dans la vaste direction qui lui était con- fiée. Il secondait puissamment les vues du chef de la justice en faisant régner l'ordre dans le dédale des bureaux , en simplifiant tous les rouages de l'administration, et sur- tout en coopérant par une sollici- tude quchiuerois excessive à la bonne composition du personnel de la magistrature. Ce fut à lui spé- cialement (ju'on dut la création des surimméraiies au ministère de la justice, pépinière excellente et dans laquelle l'ordre judiciaire a sou- vent été depuis lors en possession de se recruter avantageusement. Ces services essentiels furent re- compensés le 6 août 1824 p;ir la place d'avocat général ii la cour de cassation. Vatiinesnil fut nommé en môme temps conseiller d'J^Ltat en serMce ordinaire, et attaché au comité du contentieux. Il fut in- stallé à la cour suprême, le \H août, parle vénérable Desèze,qui le féli-

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cita « d'avoir fyit oublier sa jeunesî** par ses talents, » et jamais, il faut le dire, plus haute approbation ne fut mieux justifiée. Indépendam- ment de son mérite comme orateur et comme administrateur, Vatimcs- nil s'était montré jurisconsulte plein de savoir et d'habileté dans la première pbase de sa vie judi- ciaire. C'est de ce genre de capacité qu'il allait surtout avoir à faire preuve dans l'exercice des fonctions calmes et austères qui lui étaient dévolues. Vatimesnil soutint digne- ment, devant la chambre criminelle et devant la chambre civile de la cour de cassation, auxquelles il fut successivement attaché, la brillante réputation qu'il s'était acquise. Le baireau a conservé le souvenir de son argumentation toujours savant** sans cesser d'être claire et métho- dique, et toujours dominée par cCs hautes considérations morales et religieuses dont la source était dans l'àme de l'émincnt magistral, et dans le caractère indélébile de sa première éducation. Plus solide (pi'éclatante et dénuée d'ailleurs d'intéiêt historique, cette seconde période de la carrière judiciaire de Vatimesnil fut encore marquée par d'imi)orlants travaux administra- tifs et parlementaires, il fut atta- ché, le tO novembre 1825, au en- mité de l'intérieur du conseil d'fclaf, et fit partie d'une commission ap- pelée à dresser un projet de loi sur la propriété littéraire. Il appartint également à la commission char- gée (20 août 1824) de colliger et de vérifier les arrêtés, décrets et règlements rendus sous la Répir- blique et l'Hmpire, et de préparer les projets d'ordonnances pour rem- placer ceux dont les dispositions paraîtraient utiles à conserver. Il défendit à la Chambre des députés

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le budget des affaires ecdésiasli- ques en (juaîité de commissaire du roi ; il féconda du tribut de ses lu- mières et de son expérience la dis- cussion de plusieurs articles du projet de code militaire. Lors des élections générales de 4827, Viili- rnesnil l'ut appelé à présider le col- lège départemental de l'Eure , et celui de la Corse l'élut député au mois de janvier 1828; mais il ne put accepter ce mandat, parce que quelques mois lui manquaient pour atteindre l'iige légal. (]e- pendant une révolution impor- tante se préparait dins sa destinée. A la carrière paisii)le et uniforme de la magistrature, vocation vérita- ble de son talent et de son rsprif, allaient succéder les agitatioîisdela vie politique, pour laquelle était lieu faite sa nature droite, impres- sionnable, déponi*vue i\ la fois de souplesse et de fixité. La florissante administration de M.deYillèleavait succombé à la fin de 1827, sous les attaques cumulées de l'opposition libérale et de la contre opposition royaliste, La situation des esprits appelait l'avènement d'un cabinet dans la luiance du centre droit de la Chambre,' et MM. Portails et de Martignac furent placés à sa tête. Quelques jours plus tard, Vatimes- nil y entra ({"' février) sous le litre de grand maître de l'Université, et, le 10 février, il fut promu au mi- nistère de l'instruclion ])iibliqui.'. A l'exemple de M. dcVillèle, il refusa noblement l'indemnité qui lui reve- nait pour ses frais d'installation, et déclara que son trailctneat suffirait à tout. La promotion de Vatimesnil, bien justifiée par sa haute intelli- gence, son instruction solide, la fa- cilité de son élocuUon et l'éclat de ses .«services, avait dans l'esprit d" Char- les \ une signification spéciale. Kn

introduisant dans le nouveau cou-, seil réiiergi({ue antagoniste de lâ'I presse révolutionnaire, l'auxiliairô'J fidèle et zélé de M. de Pevronnet, le roi se proposait d'y l'orlitier l'élé- ment royaliste, d'atténuer le sacri- lice qu'il avait subi en se séparant de M. de Viilèle, et de ménager le retour d'une administration plus conforme à ses vues. La conduite ministérielle de A^atimesnil, il faut le reconnaître, ne réalisa pas ces espérances. Soit que les séductions du pouvoir eussent exercé sur son imagination ardente et mobile leur dangereuse fascination, soit quil regardât le cabinet du 4 janvier comme l'expression réelle et réflé- chie de l'opinion publi(iue, il parut rompre brusqueinent avec son passé et entrer sans ménagement dans le système de concessions que le nou- veau ministère venait d'inaugurer. Vatimesnil adressa aux recleurs d'académie une circulaire conçue dans cet esprit. Il y présentait la Charte comme le plus grand bien- fait que jamais la royauté eût con- cédé à la France. » M. Guizot fut équitablement rappelé à sa chaire d'histoire par celui qui, quelques années avant, allait jusqu'à exiger des billets de confession des aspi- rants h la magistrature, et l'on remarqua' dans son attitude et fou langage une intention visible de rapprochement avec ceux dont jus- qu'alors il n'avait cessé de com- Kjllre les tendances ou les doctri- nes. Le parti libéral salua comme une défection cclatanie cette dé- viation moins considérable en fait qu'apparente et inattendue; les royalistes s'en irritèrent; clleindis- |)0*a fortement Charles X, etn- J)arrassa les collègues de Vatimcsail t'lalarmaleclergé,qui avait toiijoin-s compté le jeune ministre parmi ses

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plus formes appuis. Vatimesnil no prit toutefois aucune part active aux ordonnances du 16 juin, dont l'objet fut de soumettre au l'égime universitaire les établissements des jésuites, et de limiter aux propor- tions légales le nombre des écoles secondaires ecclésiastiques. Ces ordonnances furent l'œuvre spéciale de MM. Portalis et Feu trier; mais il les défendit avec chaleur et talent à la Chambre élective contre les attaques de l'extrême droite, et s'efforça d'établir qu'elles ne vio- laient aucune des garanties consa- crées par la Cliarte. « En cette ma- tière comme en toute autre, dit-il, il faut accorder non pas une liberté illimitée, qui est une chimère dans l'ordre civil, mais la mesure de lihei'ti'; qui est compatible avec l'ordre public et le bien de l'ensei- gnement. Si la législation ne com- porte pas encore celle mesure de liberté, il faut s'en rapprocher pru- demment, progressivement, sans léser aucun intérêt et sans hasarder des expériences qui sont toujoius dangereuses, surtout quand il s'agit de l'intérêt de l'enfance. » Son ar- gumentation ramena à la tribune M. de La Bourdonnaye, qui expli- (jua par la désertion des collèges les entraves apportées à l'ensei- gnement ecclésiastique, et ajouta ([ue, livré à lui-même, le ministre n'eût jamais provoqué de sem- blables mesures. Vatimesnil i-épli- (piacjuc les établissements de lUni- versilé ne conjplaient pas moins de o4 mille élèves, et que le noni- ])rc de vingt mille séminaristes, auquel l'ordonnance limitait l'ins- truction ecclésiastique, était suffi- sant j)0ur les b'-boins du sacerdoce. Le nou>eau ministre signala d'ail- leursson avfuemeiîl pai- urif aciivité léconde et éclairée. (]ha(iue degré de

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l'enseignement public reçut sous son impulsion les perfectionnements indiqués par l'expérience. Il dota (28 mars) les établissements uni- versitaires de chaires de langues vivantes et de philosophie en langue française, et créa à la faculté de droit de Paris deux chaires nou- velles pour l'étude du droit admi- nistratif et du droit des gens. Il eut l'heureuse idée d'intéresser les professeurs des collèges à la pros- j)érité des maisons universitaires en attribuant à ceux qui comptaient cinq ans d'exercice dans un collège le tiers de Lexcédant des recettes sur les dépenses. Cette gratification, qui a continué d'exister jusqu'en i850, fut appelée le hom-Yatimes^ nil (1). L'instruction primaire fixa spécialement sa sollicitude. Dans un rapport au roi sous la date du 21 avril 1828, il provoqua une réorganisation presque totale de cet enseignement, auquel il avait été pourvu dans un esprit divers par les ordonnances de 1816, de 1824 et de 1828. Des comités de surveillance, le clergé figurait dans une proportion convenable, furent établis sur tous les points du royaume, et des certificats d'instruction religieuse furent exi- gés des aspirants; les évoques en- trèrent en possession d'un droit permanent de surveillance des écoles, et la condition des institu- teurs reçut des garanties de stabilité qui lui avaient manqué jusqu'alors. (>es j)rcscri plions, marcjuées de l'es- piit libéral (pii a\ait inspiré les

(1) Correspondant du mnrs ISfîO. Le souvenir (U- ceUc hicrivcilhnite me- sure fut porpéliié \)i\v une ni^rdaille que les insliUUeurs tirent rr;q*per en l'Iion- neiu' du îi'inistre (pii eu tut l'auteur.

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ordonnances de 181 6 et de 1820 (l\ furent étendues aux écoles pri- maires des filles, exclusivement placées auparavant sous la direc- tion des préfets. L'ordonnance du 21 avril, que le ministre accompa- gna d'une instruction raison née, fut complétée postérieurement (14 fé- vrier 1830) par les soins éclairés du sage successeur de Vatimes- nil (2), et toutes deux devinrent plus tard les éléments de la mémo- rable loi à laquelle M. Guizot at- tacha l'autorité de son nom et de son expérience. Indépendamment de ces travaux administratifs, Va- limesnil monta plusieurs fois à la tribune pendant la session de 1828. Dans la discussion du projet de loi sur la révision des listes électo- rales, il fit écarter un amendement de M. Busson, qui tendait à auto- riser un électeur repoussé par le préfet, au mépris d'une décision régulière, à se faire inscriie d'of- fice par le président du collège, amendement difficile à défendre, mais qui témoignait de l'incurable défiance que l'administration ins- pirait à un grand nombre d'esprits. Dans le discours qu'il prononça le 19 août à la distribution des prix du concours général, il parla de la nécessité de l'union indissoluble de la légitimité et des libertés jjubli- (pies, et rappela « que le bonheur j)ublic était inséparable de la dignité des trônes et de la stibilité des inslilulions. Vatimesnil défendit avec chaleur, à la session de 1829, le projet de loi sur l'administration départcmonlale. Il répondit pjirticu- lièrement aux objections des ora- teurs de l'extrême droite, qui prélcn-

(1) Mémoires de M. Guizot, t. lit, p. :;8.

(2) M. le comte de Giiernon-Ranville.

daient que les conseils de départe- ment envahiraient l'administration et qu'ils rendraient insupportable la condition des agents de l'autorité ; il repoussa justement le reproche fait aux ministres d'avoir témoigné une défiance injurieuse aux élec- teurs à 300 fr., à ces citoyens, dit-il, « vers lesquels devait se reporter une partie de la recon- naissance que méritaient les amé- liorations progressives apportées à la situation du pays, puisque leurs votes produisaient l'un les pou- voirs qui aidaient la sagesse royale à opérer ces améliorations. J'ignore, dit-il, en terminant son discours, quelle sera l'issue de cette discus- sion ; mais ce que je puis affirmer, c'est qu'en descendant dans nos consciences nous les trouvons pures de tout reproche, c'est qu'elles ne nous rendent d'autre témoignage que celui de notre fidélité à notre double devoir, comme ministres et comme citoyens. « Vatimesnil dé- fendit encore la légalité et la com- position du conseil d'État contre M. Dupin aîné et M. Gaétan de La Rochefoucauld. Enfin, lors de la discussion du budget de son dépar- tement , il réfuta les objeetions dirigées par MM. de Lépine et de Conny contre le système actuel de rinslruction primaire ; au reproche d'être organisé dans un esprit irré- ligieux il opposa avec chaleur les justifications préalables imposées nux aspirants instituteurs par la dernièreordonnan<'e,et, combattant une ol)jection souvent reproduite, il lit judicieusementobserver qu'imr méthode d'enseignement n'était « qu'un instrument destiné à pro- duire de bons ou de mauvais rer-nl- tats selon les mains auxcpielles on en confiait l'emploi. » Ce discours, justement remarqué , fut le chant

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du cvgnciuiiuslciicUle Valiiuesnii. Le cabinet auquel il avait apporîé l'appoint cl"un zèle ardent et Jal)o- ricux et d'une valeur incontestable expirait d'impuissance entre les attaques anarchiques de la gau- che (1) et la systématique et cou- pable indifférence de la cour et du côté droit. Avec les intentions les plus pures et les ressources ora- toires les plus émincntcs , cette administration n'avait réussi qu'à affaiblir la royauté sans profit pour son avenir- Le succès n'avaiî cou- ronné aucune des concessions pai" lesquelles elle s'était flattée de calmer l'irritation })lus ou moins justiiiée des esprits. Les ordon- nances du 16 juin avaient provoqué le mécontentement du clergé, sans désarmer ropposition irréligieuse ou libérale ; la Joi sur la révision des listes électorales constituait, en quelque sorte , tous les pouvoirs publics en état de suspicion i>er- manentc ; l'adoucissement des lois sur la prerse n'en avait ]»oiut affai- bli rboslilité ; un simple dissen- timent de détail , en excitant l'incurable susceptibilité du côté gauche, privait le pays du bienfait d'une organisation communale si impatiemment réclamée. La situa- tion devenait plus forte que les jiommes. L'esprit démocratiijue, momentanément comprimé par l'is- sue de la guerre d'Espagne et par l'habile administration de M. de Villèlc. reprenait son dangereux essor. Qui pouvait se flatter d'en assigner les limites, et répondre qu'il ne rcvélirail pas avant peu un caractère ouverteinenl révolution- naire? N'avait-on pas l'exemple des progrès effrayants (jne l'opinion

(1) Expression de M. de Marlignac.

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libérale, abandonnée à elle-même, avait faits de lSi7 à 1820 ? Dans ces circonstances critiques, Charles X demanda à M. Uoyer- Collard, président de la Chambre, quels hommes y dis{)Oseraient d'une majorité suffisante pour pou- voir vaquer librement , au moins pendant quelque temps, j\ f admi- nistration du pays. Le fidèle con- seiller repondit que a personne, à son avis, ne possédait cette in- fluence , et que le roi pouvait choisir tel ministère qu'il jugerait à propos, sans crainte d'avoir à se dire qu'il eût pu mieux choi- sir (i). » Charles X recula devant le parti périlleux d'une dissolution, et, se confiant au dévouement plus qu'à l'habileté, il appela à la for- mation d'un nouveau conseil un des hommes les plus loyaux , mais les plus inexpérimentés et les plus impopulaires de la France. Le ministère Polignac fut constitué le 8 août. Lorsque Yatimesnil alla à Saint- Cloud déposer sou jjorle- feuille entre les mains de Charle.« X, il en fut accueilli avec froideur et même avec sévérité. Le roi lui reprocha l'abandon de sa ligne politique, et se montra surtout fort blessé des encouragements symjja- thiquos qu'il avait reçus de la pressie libérale (2). Cependant, Charles X adoucit ces témoignages de mécon- tentement par le don d'une pen- sion de douze mille francs, mais sans y joindre , conmie d'usage , le titre de ministre dKtat, faveur et exception auxquelles Vatimesnil parut moins sensible qu'à la ri- gueur inaccoutumée dont le vieux

(!) IJiilletin iiKidit (1rs sèancns <lii conseil «les ministres. (Sénncc du 10 mars IS.'iO.)

(2) Documents inédits.

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monarque avait accompagné son renvoi. L'évèque de Beauvais fut traité moins favorablement encore, et survécut peu de temps à cette disgrâce ou aux causes qui l'avaient occasionnée. Au bout de dix mois de retraite (juin 1830), Vatimesnil fut rendu à la vie publique par le collège électoral de Valenciennes (1) , qui l'envoya à la Chambre après la dissolution qu'avait motivée la trop fameuse Adresse des 221. La date de son élection épargna à l'hono- rable disgracié l'épreuve d'un vole si fatal à la monarchie héréditaire , mais elle ne l'empôcha pas de prendre une regrettable part aux actes qui suivirent la Révolution de juillet. Vatimesnil assista, le 31 juillet, à la réunion des dé- putés qui reçut la déclaration par laquelle le duc d'Orléans annonçait son acceptation du titre de lieutenant général du royaume, et il concourut par sa présence à la proclamation que l'Assemblée adressa au peuple par suite de cette déclaration. Bien que rédigé avec réserve, ce manifeste parlementaire félicitait liautement la poi)ulation parisienne « d'avoir abattu le drapeau du pouvoir absolu, » et se terminait par ces mots, si souvent répétés : « La Charte sera désormais une vérité. » Cette adhésion, dans laquelle il ne fut imité par aucun des députés du côté droit, entraîna l'an^^ien mi- nistre de Charles \ à une démarche moins excusable encore ; ce fut de se joindre aux députés qui portèrent cette AdresseàM. leducdOrléans, et qui l'encouragèrent ainsi, parleur concours personnel, à recueillir un

(1) Vytimc.snil avait été ùhi m mr-mc temps par rarroiulisspnicnt de Sauil- Flour; mais il opta pour rôiecli'jii ilu Nord.

pouvoir que le roi n'avait point abdi- qué. Les premières délibérations parlementaires eurent pour objet la Charte de 1830.LaChambre repous- sa à une majorité de 21 9 voix contre 33 ce principe tutélaire de légiti- mité, dont l'abandon devait rejeter la France dans de nouvelles et san- glantes oscillations. Vatimesnil ne prit aucune part à ce débat ; mais il assista à la remise qui fut faite de sa résolution au successeur de Charles X par les députés réunis, et fut témoin de ces empressenjonts qui saluent toujours paimi nous l'i- nauguration des nouveaux pou- voirs. Il ne tarda pas d'ailleurs à prendre dans l'Assemblée la place que lui assignaient naturellement l'étendue de ses lumières, son ar- deur pour le travail et la diversité reniarijuable de ses aptitudes. Il fut nommé membre de la comnns- sion appelée à proposer des réfor- mes dans l'organisation du conseil d'Etat, puis chargé du rapport sur le projet de loi relatif à la réforme électorale. Vatimesnil combattit et fit abolir ce double vote dont l'a- doption avait sauvé en 1820 la monarchie de périls imminents, et qu'il avait en d'autres temps dé- fendu contre les violences do l'abbé de Pradt. Lors du débat sur le sort des victimes de l'insurrection de juillet, il demanda que les ori)he- lins délaissés par elles fussent éle- vés aux frais de l'Etat dans les -établissements d'instruction publi- que. Il s'opposa vivement, en 1831, i\ la réduction du nombre des ma- gistrats des cours d'assises, soit dans rinlérèlde la dignité de celte juridiction, soit à raisonidel'inijior- lanee des questions qui pouvaient lui être déférées; mais son opposition demeura sans succès. Aux «-lections générales de la même année, Vali-

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mesLiil lut renvoyé à la Chambre par l'arrondissement de Valencien- nes, et l'on retrouve son nom dans une assez grande partie des débats qui remplissent celte nouvelle lé- gislature. Il se prononça à diverses reprises contre le rétablissement du divorce, prit la parole sur les modilications proposées à plusieurs articles du code pénal, et fut chargé d'un rapport spécial sur le budget de la justice pour 1832. On s'étonna généralement du silence qu'il garda, à la différence de MM. Berryer et Marlignac, sur la proposition du bannissement de la branche aînée des Bourbons (1832), et ce fut avec peine aussi que, dans la discussion du ])rojet de loi sur l'ancienne liste civile, on l'entendit qualifier de violation de la fol jurée les ordon- nances de juillet, dont mieux que personne il avait pu apprécier le véritable caractère. Rapporteur spé- cial pour la seconde fois du budget de la justice, Yatimesnil combattit hautement les réductions proposées sur le traitement du ministre ainsi que des chefs de la coui- de cassa- lion et des cours royales. Lors de l'examen du budget de l'instruc- lion publique, il donna de grands éloges à l'administration universi- taire ; mais il rappela la promesse d'une loi sur la liberté d'enseigne- ment consignée dans l'art. GO de la nouvelle Charte, et nous verrons plus tard cette idée devenir le thème et Tapplicalion dominante des der- niers edorls de sa vie. Dans le cours de la session de 1833 il fit plu- sieurs observalifins sur le ])rojet de loi relatif à l'expropriation jtubli- que, exprima quelques considéra- tions nouvelles sur le système uni- versitaire et sur l'inslrurtion |)ri- maire; il insista pour que la loi spéciale à cet enseignement main-

tînt dans les comités communaux la proportion que lui-même avait assignée au clergé par l'ordonnance de 1828, et cette insistance fut cou- ronnée de succès. Enfin il présenta quelques idées utiles sur le budget des travaux publics, sur l'état des théAlres, etc. Ce fut le couronne- ment de cette seconde phase de sa vie parlementaire. Les élections gé- nérales de 1834 ne le ramenèrent pas à la Chambre. Mais les senti- ments de Vatimesnil inclinaient de plus en plus vers la monarchie qui avait captivé ses premières af- fections, et l'on peut croire qu'il se sépara sans peine d'une Assem- blée dont res[)rit général tran- chait si ouvertement avec les principes politiques et religieux de la Restauration, 11 s'était fait ré- inscrire depuis la Révolution de juillet parmi les avocats du bar- reau de Paris; la cessation de son mandat législatif le rendit sans par- tage à l'exercice de sa première profession. Yatimesnil conquit bien- tôt au barreau le rang qui lui ap- partenait, et se livra avec un grand succès, pendant les années qui sui- virent, aux travaux de l'audience et de la consultation. Un incident fâcheux ^inl l'enlever à ces luttes oratoires dans lesquelles sa parole facile, pénétrante, fortement ac- centuée, se déployait avec tant de supériorité. Le 30 janvier 1838, il venait d'obtenir de la cour royale de Paris un arrêt en séparation de corps do la dame Hausse contre son mari, avec autorisation de gar- der ses enfants. Le sieur Dausse, ])résent à l'audience, se récria vio- lemment contre cette disposition, et, s'élançant sur les pasde Vatimesnil, il l'apostropha en termes injurieux et s'emporta jusqu'à le frapper au visage. A cette insulte, qui produi-

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sit une émoliou inexprimable, l'a- vocat offensé répondit avec calme : " Ne craignez rien, monsieur, je n'ai pas besoin de vengeance; vous avez delà religion, j'en ai aussi. » Et comme le président ordonnait de saisir l'agresseur et de le tra- duire à la barre : « Que la cour use d'indulgence, s'écria Yatimesnil; quant à moi, je fais remise de l'ou- trage. » M. Berville, avocat géné- ral, lit noblement valoir, comme circonstance atténuante, ce géné- reux pardon « d'un des membres les plus bonorés du corps le plus bonorable. » L'inculpé fut con- damné à deux mois d'emprisonne- ment. Mais la cour affecta, dans son arrùt, de n'envisager le délit que comme une injure à la majesté de l'audience; elle s'abstint de tout témoignage de considération per- sonnelle envers un bomme recom- mandablc à tant de titres, et qui donnait en ce moment même un si éclatant exemple du pouvoir de la religion sur une nature fougueuse et passionnée. Vatimesnil sentit ce que ce silence avait de blessant pour son caractère, et se concentra exclusivement désormais dans les travaux du cabinet. Sa haute expé- rience, ses notions pratiques au- tant que l'étendue de son savoir l'appelèrent naturellement à unir au rôle d'avocat consultant l'office d'arbitre ou de conciliateur dans la plupart des débats qui s'élevaient au sein des plus hautes familles de la capitale, et ce pacifique minis- tère, accepté par la confiance et la gratitude universelles dans le dé- partement auquel il ajjparlcnait, tarit à leur source d'innouïbiables procès. Un trait de désintéresse- ment, récemment ivvélé. entre plu- sieurs autres. j)arnndes('s plus énjj- nenls auxiliaires, complétera celle

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esquisse du caractère personnel de Yatimesnil. 11 avait été consulté par écrit dans une question importante de juridiction ecclésiastique qui lui était soumise par un évèque. Lors- qu'on vint quelques jours plus tard le prier de fixer ses honoraii-es, il répondit par un affectueux refus. « Depuis que j'ai eu le malheur, contre mes intentions, dit-il, decon- trister l'Eglise, je me suis promis de ne jamais rien recevoir pour tout acte de mon ministère qui au- rait trait aux intérêts de la reli- gion (1). » Ces intérêts devinrent bientôt la préoccupation dominante et presque exclusive des dernières années de Yatimesnil. Il avait mo- destement accepté la vice-prési- dence du comité électoral de la li- berté religieuse fondé en 1844, sous la direction de M. de Monta- lembert, et ne cessa dès lors de se signaler par une ardeur tout juvé- nile dans cette association si fé- conde en résultats. Lors des atta- ques dirigées en 1845 contre les jésuites, il mit à leur disposition toutes les forces de son dévoue- ment, et ce fut lui qui leur traça la marche qu'ils avaient à suivre pour se défendre sans excéder les voies constitutionnelles, qui leur étaient ouvertes comme à tous les autres citoyens. Après avoir réuni autour de lui tous les défenseurs des or- dres religieux, il consigna leurs yioyens de résistance dans un Mé- inîïire soigneusement élaboré et qui subsistera comme un témoi- gnage méniorable de ce que peut une foi vive et sincère combinée avec les ressources de la science et

(1) Soticc sur M. de \'(itimcsnil, p:ir y\.i HeiM'l di' Riaiicev, l'nion du 17 dé- cembre 18G0.

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les armes de la dialectique (1). « On le retrouvait, ajoute l'écri- vain que nous avons déjà cité, dans toutes les œuvres «le la foi chré- tienne; on l'écoutait dans toutes les délibérations destinées à proté- ger ou à maintenir les droits de l'é- piscopat et les droits de l'autorité paternelle ; on saluait sa présence dans toutes les réunions qui se for- maient pour la revendication de l'enseignement libre, pour les pro- grès de la foi catholique, pour le développement des hautes études chrétiennes dans la jeunesse de la capitale. » Le gouvernement de Juillet ne vit pas sans ombrage ces actes d'opposition légale. Cepen- dant, bien que stimulé par des Chambres peu favorables aux idées religieuses, il ne chercha point à les contrarier (2). Il avait offert à Va- timesnil, en 1841, un siège à la Chambre des pairs par l'cntremiso d'un de ses successeurs au minis- tère de rinslriictioii publique. Vali- mes[iil ne crut pas devoir accepter. Mais ce gouvernement ne tarda pas à être entraîné dans la réaction du principe môme qui l'avait établi. La révolution de 4848, ce sanglant corollaire de l'insurrection de 1830, rendit momentanément Vatimesnil à la vie publique. Il fut élu, au mois de mai 1849, membre de l'As- semblée législative par le départe- ment de l'Eure, et compta bientôt ])armi les plus notables rei)résen- tanls du grand parti de l'ordre dans celle réunion si riche en homnifî.s iiilèpres et éminents. Va- lirncsnil appliqua à l'exercice de ce

(1) Il ost intitulé : Mémo're Sur Te- lal lc'f]al en France des associations reWfieuses non autorisées.

(2) Vie du P. de H'ivignan^ par le P. de Ponlevoy, Paris, 1800, t. i, p. 322.

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nouveau mandat le zèle infatigable dont il avait fait preuve dans sa pre- mière législature. Plus libre de ses mouvements, plussympathiqueà ses collègues que dans les Chambres de 1830 et de 1831, il prit une part influente à la plupart des délibé- rations de l'Assemblée, et détermina par son ascendant personnel quel- ques résolutions importantes. Or- gane de la commission chargée d'examiner la demande en abroga- tion des articles du code pénal sur les coalitions d'ouvriers, il fit pré- valoir le maintien de ces articles en démontrant l'étroite et infail- lible affinité des coalitions indus- trielles avec les coalitions politiques, et provoqua l'aggravation des pei- nes qu'ils édictaient. Il présida la commission chargée d'examiner les difficultés qui dérivaient de l'attri- bution de la propriété des terrains conquis sur le lit des fleuves navi- gables par suite des travaux d'en- diguement. Il proposa un projet de loi sur la naturalisation des étran- gers et sur le séjour des réfugiés en France. Dans le débat du projet de loi relatif à l'usure, il signala ce délit ft parmi les plus odieux au point de la morale publique comme de la morale religieuse. » 11 prit la parole sur les modifications proje- tées à la loi électorale, ainsi (jue sur le projet de loi organique de la garde nationale. Enfin, il fut rap- porteur du projet de loi sur l'admi- nistration connnunale, et participa très-activement à la discussion de cette loi, qu'interrompit le coup d'État du 2 décembre. Mais de tous les actes législatifs auxquels con- courut Vatimesnil, trois surtout méritent une mention particulière, par la double importance de sa participation et des résultats qu'ils ont amenés ou promis au pays.

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Nous voulons parler de la loi sur l'assistance judiciaire, et de ses sa- vants rapports sur le régime hypo- thécaire et sur l'expropriation for- cée, rapports que le cours des évé- nements a maintenus à l'état d'é- bauches , mais dans lesquels la législation puisera des matériaux précieux, lorsqu'il lui sera donné de reprendre un jour le débat de ces grandes questions. La loi sur l'as- sistance judiciaire peut être regar- dée comme l'œuvre capitale et per- sonnelle de Valimesnil, et son nom en demeurera à jamais inséparable. Organe de la commission cliargée d'en examiner le projet, il constata (13 nov.) les obstacles presque in- surmontables que, dans l'organisa- tion actuelle de la société, les indi- gents rencontraient à faire valoir leurs droits en justice. A moins qu'ils ne trouvent des hommes gé- néreux qui, par humanité ou par cet intérêt qu'inspire le bon droit, consentent à venir à leur secours, disait-il, les portes des tribunaux ne s'ouvrent pas pour eux, et l'éga- lité devant la loi est à leur égard un mot vide de sens. » Valimesnil exposait ensuite l'état de la légis- lation ancienne et moderne sur cette matière, et les louables cfTorts que la condition des plaideurs indi- gents avait inspirés dans tous les temps, soit à l'assistance publique, soit aux membres des corporations judiciaires. Mais il démontrait l'in- suftisance de ces secours et propo- sait de donner à l'assistance judi- ciaire, étendue à tous les ordres (le ju- ridiction, les formes d'une inslilution dont la permanence et l'organisalion garantissent la pleine efficacité. Pas- sant à des considérations d" une autre nature, l'éminent ra{)i»orleur voyait dans l'assistance judiciaiie le moyen d'ouvrir une nouvelle carrière aux

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hommes qu'un zèle légitime et désintéressé portait à se dévouer aux intérêts généraux de leur pays. « La plaie des Étals modernes et de la France en particulier, ajoutait- il judicieusement , est la sura- bondance des emplois payés par le trésor. L'éducation de l'enfance et les vocations de la jeunesse, au lieu de se diriger vers l'in- dustrie agricole ou manufactu- rière, ont pour but presque exclusif les fonctions salariées dans les- quelles chacun croit apercevoir un avenir plus assuré et une exis- tence moins laborieuse. De naissent l'esprit d'intrigue pour atteindre l'objet de son ambition, et, lorsqu'on n'y est pas parvenu, l'esprit de faction pour bouleverser la société et conquérir par le désor- dre et la violence la situation dési- rée. y> Valimesnil suivit avec une sollicitude religieuse et en quelque sorte paternelle toutes les phases de cette discussion mémorable, dont le résultat fut de doter le pays d'une des meilleures lois qui aient jamais honoié une réunion délibérante. Il comballit hautement, au mois d'a- vril 1851, la résolution manifestée par M. Dupin, de quitter le fauteuil de la présidence, et lit à celle occa- sion un vif éloge de sa justice et de sa fermeté. Le 2 décembre survint. L'impartiale histoire jugera à son heure les causes, les nécessités, les conséquences de celte révolution. Valimesnil fut du nombre des dépu- tés qui protestèrent, à la mairie du 10* arrondissement, contre la disso- luli-n violente de l'Assemblée, et subit comme eux ces rigueurs d'un autre temps, qui, dans le laps d'un demi -siècle, inauguraient pour la seconde fois parmi nous la des- truclion du régime parlementaire. Il sortit de Vincennes après (juel-

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ques heures de captivité, et reprit ses paisibles travaux, mais en les concentrant dans un foyer plus étroit. Lorsque parurent les dé- crets du 22 janvier 4852, qui con- fisquaient au profit de l'Etat une partie des biens de la maison d'Or- léans, il démontra dans une c.on- suilation fortement conçue l'illéga- lilé de ces actes et la compétence exclusive des tribunaux pour en apprécier la valeur. Quatre juris- consultes éminents, MM. Berryer, Dufaure, 0. Barrot et Paillet, s'as- socièrent à SCS conclusions. Quel- ques années plustard, l'administra- tion domaniale ayant contesté à M. le comte de Chambord et à ma- dame la duchesse de Parme, sa sœur, la propriété de leurs forets de Champagne, ce fut encore Va- timcsnil qui, dans un admirable mémoire, défendit les droits de ces augustes proscrits, et en prépara la consécration. Eu 1859, il adhéra par sa signature aux principes ex- posés par M. le comte d'Hausson- vijle, dans une énergique lettre au Sénat, sur la liberté de la presse et le droit de pétition. Cruellemrnt atteint, quelques mois avant, par la perle de sa femme, mademoiselle Duchesne,aprèsuneunion de trente- six ans, ce généreux athlète du droit et du devoir assista avec résigna- tion à la décadence graduelle de sa santé, et parut concentrer toutes ses préoccupations sur les doulou- reux mécomptes que la succession ra|)ide des événements politiques faisait subir ii srs sentiments les plus chers. Il se |)répara au passage suprême par un exercice plus fer- vent encore des pratiques religieu- ses, auxquelles il était toujours de- meuré fidèle, et, réunissant autour de lui, quelques jours avant sa mort, sa famille et ses domesti-

ques, il s'exprima en ces termes sur une circonstance mémorable de sa carrière publique, nous vou- lons dire sa participation aux ordonnances de juin 1828 : « Si j'ai pu agir alors contre les droits et les intérêts de l'Eglise, je ne l'ai pas voulu; j'ai consulté, )'ai éclairé ma conscience; si je me suis trom- pé, j'en demande pardon à Dieu et aux hommes; mais je ne le crois pas, et je n'ai voulu en cela que servir les intérêts de la religion et ceux de mon vieux roi, le bon et loyal Charles X (1). » Il mourut le 10 novond)re 4860, laissant deux fils, dont l'aîné avait épousé made- moiselle Lanjuinais, etune fille, ma- riée cà M. def^estrade. Indépendam- ment des nombreux travaux que nous avons énumérés. on doit à Vaiimesnil une traduction estimée de (a Clémence de Séncque, |)ubliée en 1832, dans la Bibliothèque la- line-française de Panckouke, avec des notes hisloriques et philologi- ques. Ce travail est précédé d'une préface le traducteur combat l'opinion de Diderot, qui voyait dans ce traité une énergique pro- testation contre -les cruautés de Néron, au lieu d'une flatterie à l'a- dresse de cet empereur « dont Ro- me avait déjh désespéré », débat, au fond, de peu d'importance; car, soit qu'on regarde l'œuvre de Sé- nèque comme une protestation cou- rageuse, ce qui est peu probable, soit qu'on la considère comme une leçon indirecte, qu'il avait, a-t-on

(i) Ces paroles sont extraites dii texte littéral de ralloeiition prononcée par M. (le Vaiimesnil a son lit de mort, tel qu'il a clé arrêté par sa fdmiUe. Elles se trouvent a peu i)rc.s rcprodnitcs aussi dans son testament, dont un extrait nous a été communiqué.

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dit, « le torl de donner à genoux,» cette œuvre n'en est pas moins es- timable. Vatlmesnil est encore au- teur de plusieurs articles recueillis dans le Correspondant, notamment sur .V. Hijde de Neuville, sur ma- dame de Créqiiy, sur l'Action du christianisme sur les lois, et d'un fragment posthume intitulé: Les in- térêts religieux de la politique fran- çaise. Dans le premier de ces mor- ceaux, publié en 1857, on distin- gue cette appréciation de la Charte deiSU: « La Charte avait le carac- tère de concession et non de con- trat. Cette firme, inconsidé.fément critiquée par des logiciens étroits, était précisément ce qui en faisait l'excellence. Les^contrats, par leur nature même, poussent aux dis- cussions et aux arguties. Ils abou- tissent presque fatalement li des résultats contentieux. La Charte octroyée par Louis XVIII, en vertu de ses droits traditionnels, avait de meilleures et de plus nobles ba- ses; d'un côté, l'honneur et la foi du monarque, qui l'avait donnée en moditiant les prérogatives anté- rieures de sa couronne ; de l'autre, la reconnaissance des peuples. » Appréciation digne de remarque, et qui témoigne surabondamment îi quel point était devenu complet et sincère, dans les dernières années de sa laborieuse vie, le retour de Vatimesnil aux principes et aux sentiments politiques qui en avaient marqué les débuts. A. B.-ée.

VATLN. Doyen des notaires de France îi l'époque à laquelle il mou- rut (i ou 5 novembre 1841), ayant se3 quatre-vingt-dix ans accomplis, avait fait preuve de présence d'es- prit et de courage pendant les tem- pêtes révolutionnaires. Olficier mu- nicipal à Seiilis, sa ville natale, de 1700 à 4793, il fut pour beaucoup

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dans l'attitude calme et sage que sut garder la municipalité au mi- lieu de l'âprelé sans cesse crois- sante des partis, et jusqu'à la crise qui précipita les Girondins. On comprend que ce refus de s'asso- cier, même par de simples vocifé- rations, sans coopération réelle à la marche inhumaine des événe- ments, ait été taxé d'incivisme par les frénétiques des clubs. A leurs instigations, sans doute, Collot- d'Herbois, dans unede ses tournées déparlementales,vint inspecter Ser.- lis et tenta d'y réchauffer le feu sacré. I! fut effrayé de la tiédeur des uns, de l'esprit aristocratique des autres, et, sans biaiser davantai^e, il bris i la municipalité , avec laquelle il déol;^rait que le char de la révolu- tion ne pouvait marcher, et donna l'ordre d'arrêter les municipaux. Presque tous le furent, en ellet, et Valin n'esquiva la détemion que pour être gardé h vue quinze jours durant dans son domicile. Finale- ment, comme même sous la répu- blique il fallait des notaires, les rigueurs s'adoucirent insensible- ment en présence de son caractère inolTiMisif. Il exerçait depuisdix ans, lorsque la confiance de ses conci- toyens l'avait investi des fonctions politiques locales : après ce court passage aux affaires publiques, il exerça trente-sept ans encore (en tout cinquante). Sadc'licatesse litail égale ù sa probité. Lu de ses amis, iir.mensémeiil riche, avait dessein de lui laisser sa fortune entière : il dressa un testament en faveur des héritiers du sang qu'on voulait dépouiller, et trouva moyen de faire signer le fantasque et irascible mil- lionnaire. Il inspirait une conliance immense; Lucien et Joseph lloiia- parte d'abord, eusuilfla reiue ilor- tensc, |)uis le duc de Valmy. les

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Boissy-d'Anglas, etc., etc., ne vou- laient que lui pour gérer, régler et débattre leurs intérêts. Il n'eût tenu qu'à lui déjouer en ce sens le plus grand rôle près de Napoléon. Plus d'une fois Joséphine lui lit faire des ouvertures en ce sens; mais il dé- clina invariablement toutes les of- fres, ne connaissant rien de supé- rieur à l'indépendanci et à la paix de son élude, au sein de laquelle, en effet, il lui fut donné de voir passer, sans qu'elles eussent prise sur lui, tant de vicissitudes désas- treuses. A peine eut-il quitté le no- tariat, que le vœu unanime de ses concitoyens fil en quelque sorte loi au chef de l'Élat de le nommer maire de Senlis. 11 s'acquitta de ces dernières fonctions avec le même zèle et la même loyauté que des autres, et, malgré son grand âge, il rendit, par sa fermeté, par sa vigi- lance, autant de services qu'on au- rait eu droit d'en attenilre d'un homme plus jeune de quarante ans. Val. p. VATOUT (Jkan), ù Villefran- che, en 1792, eut longlemps une destinée fort heureuse, qu'expli- quaient et que justifiaient son ca- ractère, son mérite et les dons in- telligetïts qu'il avuit reçus en par- tage. Sous-p.'éfet de Saumur sous la Ilestaunition, ses opinions un peu trop libérales lui firent perdre sa place, et sa disgrâce fut encore un bonheur, car M. le duc d'Or- Jéans lui confia le soin de sa bl- blioihèque. Le prince y vennii sou- vent : la conversation de Valout fut goûtée. Bientôt, son style ingénieux et piquant le fut davantage. Il pu- blia 1820j les Aventures de la fille d'un rioi.C'élait, sons un voile trans- parent, l'histoire de la Charte oc- troyée par ï,ouis XVill, avec les in- cidcnls nombreux ri singuliers qui

s'y 1 attachent. Vatout eut son pre- mier succès : on voulut bien lui reconiiaître beaucoup de légèreté dans l'esprit; on loua ses chansons, on cita ses réparties : toutes pré- cautions prises pour lui contester un jugement solide, une littérature étendue. Ces bons amis ne savaient donc pas que Vatout avait fait les plus brillantes études à Sainte- Barbe en concurrence avec Scribe et Varner : les concours géné- raux en grec, en latin, l'atteste- raient au besoin dans leurs fastes. De son côté, Vatout gardait à la mémoire de M. de Lanneau, le di- recteur de Sainte-Barbe, le respect le plus filial, et quant aux souvenirs de collège ils revivaient pour nous et pour lui dans ses plus gais cou- plets. On ne peut en disconvenir, Valout donnait, quand il voulait, à ses paroles un tour gracieux et fin : ce genre d'agrément surprenait d'autant plus alors qu'il semblait moins en rapport avec sa taille haute et puissante. M. le duc d'Orléans, qui n'était pas encore le roi Louis-Philippe, avait désiré pu- blier les mémoires de son frère, M. le duc Montpensier. Vatout, le princeetl'hommedeletlresqu'il dé- sirait charger de cette publication, causaient dans un des salons de Neuilly. « J'ai aussi mes mémoires, « d:lM. le duc d'Orléans, et il ajou- « ta : M. Vatout, allez, je vous prie, « en prendre le manuscrit dans le « tiroir à droite de mon grand bu- « reau. » Vatout sortit; revint cinq minutes après, et dit d'un ton demi- sérieux : « Monseigneur, il faut a iivoir le courage de dire la vérité a aux grands; cette clet-là n'est pas « celle de voire grand bureau. » C'était vrai. Je ne veux pas dire que ses couplets, souvent lori gais, que les anecdole>, qu'il coulait bien ,

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fussent toujours d'aussi bon goût. Quant h ses titres d'académicien, ceux qui ont été si indulgents pour tant d'autres aurair-nt pu se dis- penser de l'être à son égard, pour- vu que leur sévérité conseillât con- sciencieusement leur justice.

Vatout, homme de lettres, s'essaya quelque temps, comme tous ceux qui arrivent avant d'avoir marqué leur place. Ses notices sur la gale- rie d'Orléans n'ont guère d'autre recommandation que celle d'être exactes. Le progrès est déjà sensi- ble dans VHistoire du Palaia-Rnyal (1830); les recherches sont faites avecsoin,et]es autorités, en p: ose, en vers, citées avec goût. Dans la Conspiration de Cellamare, le style manque encore de celle malicieuse élégance dont les Anecdotes sur la Russie, par Rhulières, son! le plus parfait moiéle. .Mais les Souvenirs des résidences royales^ six vo'umes in-8% seront toujours recherchés et lus avec plaisir, avec fruit. Les noms seuls de ces résidences, les personnages, hommes et femmes, qui s'y montrèrent , les scènes galantes ou tragiques dont elles furent le théâtre permettaient de mêler , au ton grave des inté- rêts politiques et religieux , des portraits et des récits moins sé- vères. M. Vatout a parfaitement rempli cos conditions variées de l'ouvrage, et comme on trouverait tout naturel que l'homme du monde raconte avec a;;rément, nous (ité- rons une pîige cpii fera nucux coti- naîire le Ion noble du narrateur : nous rfîiuprnutons :iux souvenirs du château d'Aïubùis" :

« Que de fois, dit l'auteur nos « rois ne sont-ils pas venus, sur » les rives enchantées de la « Loire, chercher un asile contre « les dangers ou les ennuis de

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« la couronne! On n'y peut faire t un pas sans retrouver leurs traces « dans ces ruines ou dans ces mo- « numents qui se recommandent « aux regards des voyageurs et aux « méditations de l'hisiorien. Les « remparts démantelés du vieux « château de Chinon attestent les « combats que Charles VII eut à » soutenir avant le jour i;!orieux « il chassa les Anglais; on montre « au château de la Cour le chiffre de ce prince, entrelacé avec celui « d'Agnès Sorel, sur des rideaux de « soie qui ont voilé de plus doux a souvenirs ; on s'arrête avec effroi '( devant l'ombre sanglante du Ples- « sis-les-Tours; on cherche à Blois « le boudoir oii madame de Noir- » moulier, le cœur plein des plus « tristes pressentiments et lesyeux « humides des plus belles larmes, « suppliait Henri de Guise de ne « point se rendre aux ordres (c d'Henri III ; on se rappelle, à Che- « nonceaux, Diane de Poitiers, for- « cée de quitter, âla voix de Cathe- « rine,celtedélicieuse résidence sur « le pontmême qu'elle avait fait con- « struire pour rassurer sa tendresse 0 contre les Ilots et les orages. »

C'est ainsi qu'un agréable lan.uage mêle l'histoire et l'anecdote à la des- cription des vieux châteaux, dans les six volumes dont nous parlons. Peu d'académiciens pounaiont ci- ter des titres plus littéraires. Nous croyons que Vatout tenait à ces études, parce qu'elles plaisaieut îi ses goùls, comme, dans une autre carrière, il obéit b' aucoup plus îi ses opinions, !i ses affections, qu'à ses iiiterêis. Dès 1831, la Côte-. l'Or s'élaii honorablement rappelé le sous-ptéfel de Saiimuretle nomma depué. Il fut cuu>lammeiil , jus- qu'en 48, membre de la Chambre élective, et dans l'ordre du mandat

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que Valout y avait à remplir, le roi le nomma successivement conseil- ler d'Etat, puis directeur des bûli- ments civils. Valout savait fort bien que, sous tous les gouvernements, ceux que distingue la faveur ont incontestablement les qualités pro- pres à leur emploi. Il en plaisan- tait en fort bons termes; à lui per- mis, car il pouvait sans présomp- tion, quant à lui. se croire à la hauteur des fonctions qu'on lui connaît, et s'en acquitta toujours de manière à mériter des élo- ges. Hélas! une révolution nou- velle lui préparait des devoirs bien plus cliers à son cœur. Louis-Phi- lippe venait de quitter la France. Nulle considération n'y put retenir Valout après lui.

Les événements le pénétrèrent d'un chagrin bien plus amer que s'ils n'avaient atteint que lui seul. Il se reprochait le moindre retard, et, courtisan du malheur, il alla mourir en Angleterre (année 48), auprès de la royale famille exilée.

Cet homme, qu'on disait léger, frivole même, avait la délicat(.'ss(; «le sentiment la plus vive, et si; montrait constant à toutes ses af- fections. D'un discernement rare dans le choix de ses amis, il ne souffrait pas, ami dévoué lui-mêni'î, que la malignité essayât de leur porter d'injustes atteintes. La le- connaissance était un des plus doux besoins de son cœur, et, comme il avait gardé religieusement la mé- moire de Sainte-liarl;.-; et de M. de Lanneau, il devança, dans sa dou- leur profonde, la mort du roi qu'il avait eu pour bienfait(!ur. F. IL

VAIJBAX ' PiEr.nE-FnANç .is le PitESTRE, comte de,, !ieu:cn:int-co- lonel, chevalic r des oidres de Malle et de Saint -Louis, était rim des derniers descendanis de l'illustre

maréchal qui, par ses actions et ses travaux, a contribué si puissam- ment à l'éclat du nom français. Fils du marquis de Vauban, arrière-ne- veu de ce grand homme, grand'- croix de Saint-Louis et gouverneur de Châtillon-en-Dombes, Pierre de Vauban, à Dijon, le 13 août L757, entra au service militaire, îi 10 ans, dans le régiment de Colo- nel-général , et partagea plus lard les fatigues, les soins et les revers de .celte armée de Condé, qui, par la constance inébranlable de son dévouement à la cause royale, ex- cita l'admiration de l'Europe en- tière. Le jeune de Vauban conquit dans ses rangs le grade de lieule- nant-colonel et la croix de Saint- Louis. Après la dissolution des corps qui la composaient, il fit par- tie d'un régiment de nobles émi- grés à la solde du gouvernement anglais, et passa sept ans à Lis- bonne avec le grade de simple ca- l)itaine. Il rentra en France dans le courant de l'an XL Possesseur d'une fortune minime, le comte de Vauban fut contraint d'exercer à Cliàlon-sur-Saône, pendant quel- ques années, les modestes fonctiors de contrôleur de radministration des postes. Cependant le gouver- nement royal, auquel il avait si noblement dévoué ses efforts, ne le vit jamais au nombre de ses solli- citeurs. Le comte de Vauban moi:- rut à Paris le 7 février 18i;i, ne laissant de son mariage qu'une lllle, madame la baronne de Rivoire. femme d'un esprit distingué. Cet estimable gentilliomme était le frère j)uîné du comte de Vaubaj!, auteur du curieux ouvrage iniitulé Mé- moires pour servir à l'Histoire de la (j lierre de la Vendée. Z.

VAL'IÎKRT (Luc), auteur ascé- tique fort estimé, naquit à Noyon,

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en Picardie, le 8 octobre <6-i4. Se destinant à l'état religieux, il entra chez les Jésuites, le 21 septembre 4G62, touchant à sa dix-huitième année, et fit son noviciat à Paris. Suivant l'usage général de la com- pagnie, on l'employa ii renseigne- ment, et, après avoir enseigné les humanités, il fut nommé profes- seur de rhétorique, puis de philo- sophie. Vaubert fut admis à lu pro- fession solennelle des quatre vœux, et les prononça le 2 lévrier 1678. Alors il se livra à la prédication, et remplit dans son ordre plusieurs emplois importants ; ainsi, il fut recteur, puis préfet des pension- nairesau collège de Louis-le-Grand, à Paris. Il employa ses talents et son zèle à composer des ouvrages (le piété. Il mourut à Paris, le 5 avril 1710. On a de lui : I. Screnis- simo duci Enguinensium post captum Limborgum et liberatam obsidione Iliigcnsam Carmen. Parisiis, lG7li, in-l». Le P. Vaubert, avait aimé et cultivé la poésie; néanmoins l'ou- vriige que je viens de citer est le seul qu'il ait publié en ce genre. Tous les autres témoignent de sa piété envers l'eucharistie. H. Exer- cices de piété pour les associés de l'adoration perpétuelle du Saint-Sa- crement, y. 1, p., in- 12. Paris, 1699 ibid. 1704-171 l.Nouv. édition, in- 18. Paris, Edme Couterot, 1720. III. Exercices de piété pour les as- sociés de l adoration perpétuelle du Saint-Sacrement , avec la manière d'assister déiotement à la procession du TrèS'Saint-Sacrement , des re- lierions et considéralions utiles, par le P. Vaubert (sic), de la compa- ;:uie de Jésus, in-16. Nanry, v. lîalthasard, in- 10, 17-47. L'ai^pro- baiion est de Paris, G septembre 1703. Réimprimé plusieurs fois avec les ouvrages suivants, on juut vo'r.

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par le titre, les rapports et lesdif* férences qu'il a avec l'ouvrage pré- cédent. IV. Traité de la communion^ ou Conduite })onr communier sain^ tement. Gros vol. in-12. Paris, Ur- bain Coustelier, 170 i. V. Instruc- tion sur II fréquente communion. Réimprimé à la suittîdes entretiens avec Jésus-Christ, par le Père Du Sault,vol. in-12, 1836. Cet ouvrage a été réuni îi l'ouvrage intitulé ; Sacramentalische, etc., en 1728. VI. La dévotion à Notre Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie. 2 vol. in-12, 2'^ édition. Paris, Edme Couterot, 1706. Cette édition était augmentée d'un tome entier, lequel contenait le Traité de la Sainte Messe, une Méthode pour visiter te Samt-Sacrement , et huit médita- tions pour l'octave du Saint-Sacre- ment. Paris, 1711, ^' édition aug- mentée du tome V'". Conduite pour la communion, i*' édition angm., 2 vol. in-12. Paris, 17 lo.— Puis, en 1739, nouv. édition. Paris, Berlon, 1752, 2 vol., nouv. éd. de 1778, qui contient une p:jrtic des ouvra- ges précédents. Plusieurs réim- pressions. — Edit. nouvelle à Mar- seille, Massy, 1825. Cet ouvrage a été traduit en ilaiir;u par le P. Rer- tolli, Servite. VII. Le saint exercice de la présence de Dieu, divisé en 3 l)arlies: \'% Dieu présent partout; 2", ce que c'est que l'exercice de la présence de Dieu; 3% méthode pour converser avec Di-'U. Ci ou- vrage a eu plusieurs éditions; les pfîis récentes sont celles de Lyon. Ru-and, 1829. Puis, 1833. for- mat in-2i. Il a été aussi traduit en italien. Ee P. Vaubert a corrifré avec soin les Entreliens avec Jésus- Christ, du P. Du Sault. Dans le l- vol. de leur Bibliothèque des écri- vains de la compagnie de Jésus, ou .\otices bibliographiques, etc.. in-'».

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les P. P. Aug. et Al. De Backer, ont indiqué les titres et toutes les éditions des œuvres du P. Vaubert, principalement d'après M. Quérard.

B.-D-E.

VAUBLANC (Vincent -Marie VIÉNOT, comte de), membre de TAssembiée législative, du Conseil des Cinq-Cents et de la Chambre des députés, préfet, minisire de l'intérieur sous la Restauration, membre de Tlnstitul, etc., naquit à Saint-Domingue, le 2 mars 1756, d'une famille noble, originaire de la Bourgogne. Il vint en France à l'âge de sept ans, fut admis k l'E- cole de La Flèche, qui venait d'ê- tre récemment annexée k l' Ecole royale militaire, et entra dans ce dernier établissement au bout de quelques années. Il y forma des liaisons plus ou moins étroites avec divers personnages qui figurèrent avantageusement plus tard sur la scène du monde, tels que le comte de Champagny, le général Ilédou- villeJegénéralMarcscot et plusieurs autres. Vaublanc fut admis comme sous-lieutenant dans le régiment de la Sarre, que commandait le duc de La Rochefoucauld, et dont un de ses oncles était lieutenant-co- lonel. Il tint successivement garni- son à Meiz, à Rouen iH à Lille; puis il obtint des lettres dn service pour Saint-Domingue, l'appe- laient quelques affaires de famille, et partit pour celte colonie. Il ren- contra îi bord du vaisseau qui l'y transportait madame de Fontanelle, dont le mari, gentilhomme nor- mand, avait été attaché comme aide de camp au maréchal de Saxe. Des rapports afTcciueux sétablirent bientôt entre Vaublanc et celte dame, qu*accomp;ignai('ni ses deux filles ; le jeune oltic/ier demanda la main de la cadette ; il l'épousa, et la

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ramena en France, en 1782, avec une fille âgée de deux ans. Peu de temps après, Vaublanc acheta une propriété sur les bords de la Seine, près de Melun, avec l'intention de s'y consacrer exclusivement à l'a- griculture, aux lettres et aux arts, lorsque la convocation des états généraux vint donner un autre cours k ses desiinées. Elu secrétaire de la noblesse au bailliage de Melun, il ie fit remarquer par l'énergie de son caractère, et fut appelé aux fonctions de membre, puis de pré- sident du conseil général de Seine- et-Marne et de président du direc- toiie de ce département. Un esca- dron de dragons en garnison à Nemours s'étant, vers cette époque, révolté contre ses chefs, Vaublanc s'y rendit avec le lieutenant-colonel du régiment, il convoqua la muni- cipalité de la ville et le directoire du district ; et, aidé du concours de ces autorités et de l'officier supé- rieur qui l'avait accompagné, il ré- prima la rébellion, fit mettre aux fers ou en prison dix des pius mu- tins, et rétablit les officiers dans la plénitude de leur commandement. Au mois de septembre 1791, Vau- blanc fut élu député à l'Assemblée législative. Au moment de son élec- tion , il promit solennellement , non-seulement d'être fidèle îi la Constitution acceptée par le roi, mais encore de combattre de tou- tes ses forces les opinions dange- reuses qui menaçaient la France d'une entière subversion. Il prit plac»^ parmi les royalistes constitu- tionnels tels que Pastoret, Quatre- mère de Qiiiney, Mathieu Dumas, Ramond, Hec(|uey, Beugnol, etc., et son énergie ne se démentit point sur la scène périlleuse i! était appelé à figurer. Il dénonça cou- rageusement le despotisme dés ad-

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ministratioiis municipales et s'op- posa à ce qu'il fût dressû une liste des officiers émigrés qui, plus tard, dit-il, deviendrait pour eux une table de proscription. Il s'efforça également de garantir les prêtres insermentés des persécutions diri- gées contre eux. Ces actes de fer- meté n'empêchèrent point toutefois Vaublanc de payer tribut au lan- gage et aux passions du temps. Il insista vivement et à plusieurs reprises pour que l'Assemblée votât des mesures rigoureuses contre les princes émigrés: « Si vous ne faites pas une loi particulière contre les princes, dit-il le 8 octobre 1791, il faut renoncer k faire des lois con- tre les simples émigrés; mais je ne vois pas sans indignation que les princes, nourris si chèrement par la patrie, trament sa ruine dans l'impunité. » Il fut élu le i4 no- vembre à la présidence de l'Assem- blée législative, et se trouva char- gé, en cette qualité, de rédiger un message au roi pour lui faire reti- rer, en l'intimidant, le veto qu'i! avait apposé au décret du 9 de ce mois sur les émigrés. Le but secret de Vaublanc, en prêtant son con- cours à celte démarche, était, dit- on , de provoquer la formation d'une armée royaliste, capable de contenir le parti jacobin, dont lu forciî augmentait de jour en jour, et l'on ajoute qu'il eut, dans cet intérêt, plusieurs conférences |)ar- ticulièros avec les ministres de Louis XVI. Quoi (pTil en soit, l'As- semblée fut tellement satisfaite de son travail, que, i)ar une déro- gation formelle k ses usages, elle voulut qu'il en fût donné lecture au roi par V;uil)lanc lui-même. Le ton (le ce nriuil'este elaiî sec et impérieux : « La nation, disait-il; attend de vous des déclaralious

énergiques; qu'elles soient telles, que les hordes des émigrés soient à l'instant dissipées. » l]n rendant compte à l'Assemblé de la récep- tion de son message, Vaublanc eut soin de faire remarquer que « le roi s'était incliné le piemier, et qu'il n'avait fait que lui rendre son salut. » Amené vingt-cinq ans plus tard à s'expliquer sur cet incident àla Chambre des députés, Vaublanc motiva sa conduite par le désir de calmer la faction déma- gogique qu'exaspérait toute, espèce de prévenance envers l'infortuné monarque: «Deux mille personnes, dit-;l, assistaient à nos séances; les factieux nous entouraient, la fu- reur les animait, et les poignards étaient dans leurs mains. » Il con- vient d'ajouter que Vaublanc ne fut d'ailleurs en cette circonstance que l'organe de la députation qu'il pré.-idait. Dans un rapport qu'il Ot au nom du comité d'instruction publique sur les récompenses na- tionales, le 28 janvier 4792, on remarque encore celle concession » étrange aux préjugés de l'époque : « Longtemps les Français ont été de grands et faibles enfmts; ils ne sont des hommes que depuis la révolution. » L'impartialité nous fait une loi de reconnaître que Vau- blanc effaça ces faiblesses par des actes d'un dévouement inébranla- ble à Ja cause de l'ordre. Il défen- dit énergiciuement, mais sans suc- rées, le ministre de Lessarl contre les attatiues de l'abbé F.iuchet, et contribua à empêcher que Bertrand de Moileville ne fût décrète d'aecu- sation par l'Assemblée. H repoussa vivement aussi l'amnistie proposée en faveur de JoMrd.m cl des auires assiissins de la glacière d'.V\ignon; mais ses elforls échouèreni contre ia tolérance systématique du parti

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girondin, et son impuissance lui arracha celte exclamation piophé- tique, qui excita une vive rumeur : « Vous accordez l'impunité aux as- sassins; je vois la glacière d'Avi- gnon s'ouvrir dans Paris. « Vau- blanc s'éleva avec force, à cette oc- casion, contre l'existence des clubs, auxquels il imputa tous les malheurs de la France et la compression qui pesait sur l'Assemblée elle- même. Peu de jours après, il de- manda et ohiint un décret d'accusa- tion contre Marat. Quand les Giron- dins, de plus en plus fidèles à leur tactique, accusèrent le général La- l'ayette d'avoir violé la constitution et compromis la sûreté de l'Etat, Yaublanc lit preuve d'un grand sens politique en défendant en lui le dernier obstacle qui s'opposait aux débordements de l'anarchie. 11 ex- posa avec beaucoup de détail et d'exactitude les mouvements de sou armée et de celle du muréchal Luckner , rétablit la vérité des faits (1), et démontra pleinement que la conduite de Lafayelle avait été en tout point conforme aux ins- pirations de la prudence et du pa- triotisme. Son discours (8 août) jjro- duisit un grand effet sur l'Assem- blée, qui en ordonna l'impression. Au sortir de cette séance, Vaublanc fut poursuivi par les huées et les menaces de la multitude, à laquelle il sut imposer par son courage cl son sang-froid. Il parvint,' avec quelques autres députés, m(!nacés comme lui, à se réfugier au corps- de-garde du Palais-Uoyal, d'où ils s'évadèrent par une fenêtre (2). Le lendemain, il signala cet attentat à

(1^ ^ouicniis (la çjé.icrd! Mathieu Dumas, t. Il, [) :2I i. (-2) lUid., p. 4:ji

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l'Assemblée, en demandant l'éloi- gnement immédiat des fédérés et des Marseillais, qui servaient d'ins- truments à cet odieux système d'in- timidation ; mais les Girondins fi- rent encore écarter sa proposition. Dans la journée du 10 août, Vau- blnnc, signalé particulièrement aux fureurs des anarchistes, courut de nouveaux dangers ; un coup de sa- bre dirigé contre lui fut détourné par un jeune officier du génie. Ce jeune militaire portait un nom qu'il a illustré depuis par son dévoue- ment il une éclatante infortune; il s'appelait Berlrand. L'établissement de la Convention fut le signal de la dispersion de tous les partisans du gouvernement royal. Yaublanc n'é- chappa qu'à la faveur d'une vie er- rante, au milieu de privations, d'an- goisses et de périls sans nombre, aux proscriptions révolutionnaires, qui, jusqu'au 9 thermidor, ne cessèrent de menacer ses jours. Cependant il ne voulut point quitter la France. Les circonstances l'appelèrent bien- tôt à reparaître sur la scène politi- que. Lors du mouvement insuri'cc- tionncl des sections de Paris contre la Convention, il présidait la sec- lion Poissonnière; il y remplit un rô!e actif et fut condamné à mort l)ar contumace, ainsi que MM. De- lalotet Quatremcre de Quincy, par la commission militaire que la Convention avait instituée pour ju- ger les chefs du parti vaincu. Pre.s- (pie au même instant, le département (le Seiiie-et-Marne relisait ()éputé au conseil des Cinq-Cents; mais ce ne fut qu''i la lin d'août 1790 que s'.îs amis Uorne et Pasloret réussi- rent à faire annuler le jugement rendu contre lui. Aussitôt aj)rès, il vint siéger îi l'Assemblée. Lors- qu'il alla prêter, selon l'usage , le serment de haine à la royauté,

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tous les assislanis furent attentifs; Tun d'eux, au moment il pro- nonçait la sinistre formule, lui ayant crié: « Plus haut! Et vous, plus bas! » répondit Vaublanc sans se déconcerter. Sa conduite et ses discours, éclairés par une i;mère expérience, ne furent qu'une longue et vive opposition aux idées démagogiques et à l'administration corrompue du Directoire. Le club des Jacobins ayant entrepris de se reformer, il profita de celte occa- sion pour demander la dissolution de toutes les sociétés de ce genre, et l'obtint par un décret que sanc- tionna le Conseil des Anciens. II dénonça le ministre de la marine comme accordant des subventions nu liépublicain des colonies, journai d'une démagogie etîrénée. Le 21 juillet 1797, il se prononça avec une extrême énergie contre ce qui restait encore des institutions révo- lutionnaires, et lit un éloquent ta- bleau de toutes les calamités que la révolution française avait décliaî- nées sur la France. Quelques jours aj)rés, il défendit les droits des Con- seils contre les empiétements du Directoire, et fut nommé membre de la commission des inspecteurs chargés d'opposer des mesures de résistance aux entreprises du pou- voir exécutif. Il eut une grande j)art aux résolutions malheureuse- ment irisuftisantes qui furent con- certées dans cet intérêt. On voit aussi, par ses Mémoires, qu'il noua vers cette époque des négociations secrètes avec Carnot pour le ratta- cher îi la cause royaliste, et qu'elles échouèrent surtout |)ar la crainte qui obsédait ce général de ne pou- voir se faire pardonner son vote régicide. Il en fallait moins sans doute pour que Vaublane fût com- pris dans la grande proscription du

18 fructidor. C'était la quatrième dont il était atteint; il échappa par la fuite à la déportation qui le me- naçait, passa en Suisse, puis en Ita- lie, et ne reparut en France qu'après la révolution du 18 brumaire. Il fut à cette époque élu membre du Corps législatif par le Sénat conser- vateur; il y remplit les fonctions de questeur. Le collège départe- mental de Seine-et-Marne le dési- gna comme candidat au Sénat. Un liomme d'un caractère aussi for- tement trempé que Vaublane ne pouvait être négligé p^ le gouver- nement de Napoléon. Le 1" fé- vrier 1803, il fut nommé préfet du département de la Moselle, puis décoré du litre de comte et du grade de commandant de la Légion- (l'Honneur. Vaublane justifia ces faveurs par soîi zèle pour le régime impérial (1) et lit aimer son admi- nistration par la droiture qu'il y dé- ploya et par l'expérience intelli- gente dont tous ses actes furent empi'einls. Il fit l'épreuve de cet in- térêt dans une conjoncture critiqua de sa vie. Vers la fin de 1813, l'ar- mée de Mayence s'élant repliée à l'intérieur par suite du désastre de Leipzig, la ville de Me!z se trouva encombrée de soldais blessés et malades (2\ et ne larda pas ù de- venir un foyer d'infection. L'actif administrateur établit plusieurs hô- pitaux, les visita régulièrement plus d'une fois par jour, et ressentit bientôt les atteintes du fléau qu'il s^fjppliquait à conjurer. Il fut à

(I) Mémoires du comte Miot. t. n, p. ±1\.

{'!) Ces malheureux, dans l'excès de leurs soiilTry lires, dit Vimhlanr liii- iiiéinc, demandaient était la Lou- iherie de Napuléon. i^/t'm., t. in, p. 168.)

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tor.te extrémité. La ville entière lui prodigua, à celte occasion, des té- uioigniiges de la plus honorable sympathie. Vaublanc recouvra la santé, et le gouvernement de la Restauration, dont il embrassa la cause avec ardeur, le mainiint dans ses fonctions. Le 27 décembre 181 i, Louis XVIil le créa grand-officier de la Légion d'honneur. Frappé, dès les premiers mois de 1815, d'un mouvement inaccoutumé parmi le régiment de; grenadiers de Tex- garde impériale qui tenait garnison dans la vilk de Metz, il crut devoir se rendre à Paris pour faire part de ses observations à l'abbé de Mon- tesquiou, alors ministre de l'inté- rieur; mais il n'obtint de lai et de Louis XVIII qu'une attention dis- traite, et ces utiles avis furent malheureusement négligés. A la nouvelle du débarquement de Na- poléon, Vaublanc exhorta la garde nationale de Metz à demeurer fidèle au roi, et il prit, de concert avec le brave maréchal Oudinot, gou- verneur de, la division, toutes les mesures propres à retenir la popu- lation dans le devoir. La ville de Metz fut déclaré . en état de siège, et Icb habitants reçurent l'initation de s'approvisionner pour trois mois. On a prétendu que les dispositions de Vaublanc s'étaient modifiées à la suite du 20 mars, et qu'il avaitécrit à Garnol, ministre de l'intérieur, pour demander à être maintenu dans .-a |)réfeciure de la Moselle. Celle supposition a paru accrédi- tée j)ar une lellre de Carnot, que Vaublanc lui-même cite dans ses Mémoires, et ce ministre lui fait entrevoir le relour prochain de la faveur impériale, dans l'espoir, ajoule-t-ii, que son dévouement à Napoléon " sera bientôt aussi pur, aussi entier qu'il 1 était pour les

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Bourbons. » Mais cette lettre, bien que regrettable, ne saurait sembler suffisante pour autoriser une telle imputation. Ce qu'il y a de certain, c'est que les dispositions favorables de Carnot n'existaient point dans les hautes régions du pouvoir. Une note hostile à Vaublanc fut insérée dans le Moniteur^ et un aide de camp du ministre de la guerre par- tit pour Metz avec ordre de s'as- surer de sa personne. Informé à temps, Vaublanc sortit furtivement de la préfecture, monta sur un che- val tout sellé qu'on tenait à sa dis- position, et se rendit à Luxembourg, il fut accueilli avec beaucoup d'égards par les chefs de l'armée autrichienne. Il partit ensuite pour Gand, s'était retiré Louis XVIII. Vaublanc prédit à ce monarque qu'il serait de retour à Paris avant deux mois, et il lui remit plusieurs mémoires sur la situation intérieure de la France. Il rentra à sa suite, après la chute du gouvernement impérial, et fut nommé successive- ment conseiller d'Etat, puis préfet des Bouches-du-llhône. Vaublanc inaugura sou arrivée à Marseille par un acte de courage et dhuma- nilé. Cinq à six cents individus, si- gnalés comme bonapartistes ou ré- volutionnaires , (talent détenus dans les prisons, et l'autorité n'o- sait les metire en liberté, dans la crainte de les (exposer aux violen- ces populaires. Vaublanc prononça leur libération en présence des principaux fonctionnaires du dé- partement, et cette mesure, hardie dans les circonstances, s'accomplit sans le moindre désordre. Le nou- veau préfet se fit également remar- quer par l'énergie pleine de di- gnité avec laquelle il résista aux prétentions inconsidérées des trou- pes étrangères. Lorsque Louis XVllI

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put rompre avec le ministère que le parti révolutionnaire lui avait im- posé, par rentremise des alliés, il appela (23 septembre), k la tête de son conseil, le duc de Richelieu avec le portefeuille des affaires étrangères, et confia celui de l'in- térieur au comte de Vaublanc. Ce choix, qui lui fut inspiré surtout par Monsieur, comte d'Artois, fit naître d'assez vives répulsions dans le parti constitutionnel, et M. de Richelieu (lonn;i, dit-on. Tordre de surseoir à l'expédition de la dépêche qui mandait à Paris le nouvel élu ; mais il était trop tard (1), et Vau- blanc , accouru sans perdre de teini)s, prit possession de son por- tefeuille. Des dissentiments très- vifs ne tardèrent pas à éclater au sein de ce cabinet , dont les vues politiques étaient loin d'être homo- gènes. Le comte de Vaublanc et le ducdeFelire, ministre de la guerre, marchaient ouvertement dans le sens de la Chambre des députés ; le duc de Richelieu, influencé par les insinuations de Pozzo dlBorgo et du parti constitutionnel, ne s'avançait qu'avec une extrême réserve sur un terrain qui lui était imparfaitement connu, et iM. Decazos commençait à pratiquer celte politique mobile et indécise qui ne cessa depuis lors de le rendre suspect au parti roya- liste. Le comte de Vaublanc fit preuve d'une grande activité dans son administration ; mais toutes les mesures dont il en marqua le cours n'exercèrent pas une influence éga- lement heureuse sur l'opinion pu- blique. Ou lui reprocha d'avoir réorganisé l'Institut sur des bases tout k fait arbitraires, pour en éloi-

(1) Uislotre de la henlatiration, par un humiuc U'Etat, t. m, p. 13o.

gner ceux de ses membres qui s'é- taient compromis dans les Cent- Jours par leur conduite ou leurs discours, et pour leur substituer des hommes plus connus par leur dé- vouement au gouvernement royal que parleurs titres scientifiques. Cet acte d'absolutisme n'empêcha pas que Vaublanc ne fût élu plus tard membre libre de l'Académie des beaux-arts, dont il avait exclu le conventionnel David. On lui fil éga- lement un grief d'avoir licencié l'Ecole polytechnique, dont les élè- ves, par la turbulence de leurs opi- nions politiques et l'indiscipline de leur conduite, donnaient de l'om- brage au gouvernement. Mais ceite mesure n'eut qu'un eifet tempo- raire : TEcole, licenciée le 13 avril 1810, fut réorganisée le 4 septem- bre suivant. Le premier discours que Vaublanc prononça à la Chambre des déuutés eut pour ob- jet la défense du projet de loi sur la liberté iuiiividuelle; on y remarqua le passage suivant, qui excita de vifs applaudissements : « L'im- mense majorité de la France veut son roi... Ces acclamations sont universelles en France, » reprit l'o- rateur, « mais il se trouve une mi- norité factieuse, ennemie d'elle- même, qui ne. peutvivre queilansle trouble : c'est cette minorité si fai- ble, et pourtant si dangereuse, qu'il faut surveiller sans relûehe et com- primer par de fortes lois. » La cor- respondance politique de Vaublanc uvec les préfets était, en tout point, conforme à son langage. 11 ne ces- sait de leur prêcher l'action, ti Louis XVII 1 appelait son dévoue- ment un dévouement à perdre ha- lehic. Remarquons, loulelois, que l'esprit de réaction, dont Vaublanc se constituait ainsi l'apôtre le plus déclaré, fut exempt de toute animo-

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site personnelle, e.{ que, à la diffé- rence de quelques autres, il ne dés- honora par aucune passion haineuse ou vindicative l'ardeur de ses senti- ments royalistes. Lors de la discus- sion de la loi d'amnistie, il contri- bua à faire limiter le nombre des proscriptions et à préserver de la conflscation les biens des régicides et des fauteurs du 20 mars : modé- ration d'autant pluslouable,que le rétablissementde cette odieuse peine avait été un des premiers actes du pouvoir éphémère de Napoléon. «■ Après tant de révolutions faites si facilement depuis quarante ans.» écrivait-il quelques années plus tard, « nous devrions les regarder comme des jeux politiques on est tantôt heureux, tanlùl malheu- reux, en parler froidement avec nos adversaires comme de chances de la vie humaine, el, après avoir été amis liilèles cl ennemis géné- reux, n'avoir de ressentiment que pour les crimes (1). ^> On a fait la r«îmarque que, pendant toute la du- rée de son administration, ce mi- nistre si ardemment noté comme réactionnaire par le parti libéral ne déplaça que vingt-deux préfets, proportion bien inférieure aux des- titutions que ce parti devait opérer (juinze ans plus tard dans le même ordre de fonctionnaires. Vaublanc fut moins heureux dans la suite de sa carrière législative, et ne con- serva de crédit sur la Chambre des députés que par l'appui de Mon- sieur, q'ji l'avait fait placer à la tête des gardes nationales de France, et à qui il communiquait tous les actes importants de son administriition. Ce fut à l'occasion d'une de ces luttes parlementaires

(i) Mémoires, t. m, p. 207.

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qu'il prononça ces paroles souvent répétées depuis : « Je sais fort bien que le gouvernement repré- sentatif n'a pas été inventé pour le repos des ministres. » Son élocu- culion, généralement ampoulée et dogmatique, manquait de précision et de netteté. Les débats qui s'é- levèrent au sujet de la loi électo- rale furent le prétexte ou l'occa- sion de sa disgrâce. A la suite d'un exposé de motifs assez embarrassé, Vaublanc présenta h la Chambre des députés un projet qui établis- sait deux degrés d'élection : les col- lèges cantonaux, composés de fonctionnaires publics et des soixante plus imposés, nommaient des candidats, parmi desquels choi- sissait définitivement le collège électoral du département, également formé des principaux fonctionnai- res publics, des soixante-dix plus forts contribuables, et d'un supplé- ment d'électeurs désignés par les collèges de canton parmi les ci- toyens payant 300 francs et plus de contributions directes. Ce pro- jet divisait les députés en cinq sé- ries déterminées par le sort, dont chacune cessait ses fonctions d'an- née en année. Malgré l'esprit mo- narchique qui respirait, pour ainsi dire, dans chacune de ses disposi- tioiis, la majorité de l'assemblée accorda peu de faveur h ce projet, que le nipporteur, M. de Villèle, battit en brèche sur tous les points ; il y substitua le renouvellement quinquennal el intégral, et des collèges il deux degrés avec des électeurs à 2.'5 francs. Son plan, beaucoup moins conven;ible à l'ad- ministration, mais infiniment plus fivorable à la grande propriété obtint une assez forte majorité à la chambre élective. Mais la Chambre des pairs vit dans l'œuvre du mi-

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uislère une violation formelle des droits consacrés par la Charte , et dans le système de la commission le dessein de constituer une sorte d'aristocratie au profit exclusif de la propriété, et repoussa Tune et l'autre proposition. Cependant, comme une loi d'élection était in- dispensable, M. dcVillèle fut invité parle ministère à proposer un nou- veau projet. Il se borna, dit-on, à demander que, pour le prochain renouvellement quinquennal, on fit usage des listes électorales qui a- vaicnt servi à la formation de la Chambre actuelle, et Vaublanc fut chargé de présenter cette proposi- tion; mais le côté droit se plaignit vivement qu'îiucune précaution n'y eût été spécifiée contre le renouvel- lement partiel de l'Assemblée jus- qu'à la prochaine session. M. de Viiléle, rapporteur du nouveau pro- jet, combla celte lacune, qui n'était pis saiiS imporlame dans l'état d'antagonisme se trouvaient la Chambre et le ministère. Il proposa par forme d'amendement de décla- rer que les collèges électoraux ne pourraient être appelée à aucune autre élection qu'à celles qui se- raient nécessitées par une disso- lution de la Chambre. Cet amen- dement, qui excluait le renouvel- lement partiel f l (piinquennal, fut repoussé p;jr M. Dtc;izes connue inconstitutionnel; mais il fut, au grand étounemeni de la Chambre, appuyé par Vaublanc, et prévalut à une très-forte majorité. Celle dé- fection éclatante aigrit encore les dissentiments qui existaient depuis longtemps entre Vaublanc et quel- ques-uns de ses collègues, et qui avaient fini par dégénérer eu hos- tilités déclarées. Il quitta le minis- tère le 7 mai 4 81 G avec M. de Barbé-Marbois, dont la retraite

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avait, dit-on, été demandée parM. le comte d'Artois comme une com- pensation à ce sacrifice, et fut remplacé par M. Laine. Il reçut le titre de ministre d'Etat et celui de membre du conseil privé. Vaublanc ne reparut plus qu'en <820 à la Chambre, il fut envoyé par le collège départemental du Calvados, à la suite des modifications qu'a- vait subies la loi électorale. Il ne cessa de siéger à l'extrême droite, de défendre, par ses discours et ses votes, les principes monarchiques, et de combattre le côté gauche comme en état d'hostilité perma- nente contre la royauté. A la ses- sion de 1821, il vota pour les six douzièmes provisoires, et repoussa vivement l'insinuation de Stanislas de Girardiu, tendant à faire consi- dérer l'offre du château de Cham- bord au duc de Bordeaux comme un témoignage officiel sollicité par les agents du gouvernement. A propos de la discussion de la loi sur les donataires, il insista pour que l'on songeât à indemniser les émigrés, et rappela la proposition formulée en 1814, â ce sujet, par le maréchal Macdonald. Il fit re- jeter aussi une réduction de 20,000 francs demandée par la commission du budget sur les encouragements destinés aux lettres et aux arts. Le 20 jijiii 1821, il lit un rapport, au nom d'une commission spéciale, sur la prorogation de la censiire des joiu'uaux, qu'il combattit cdunne inconstitutionnelle et arbi- traire, et conclut contre le projet, qui fut néanmoins adoplé. A la session de i822, il fut élu l'un des vice-présidents de la Chambre, et oblint le même honneur dans la plupart des sessions suivantes, il fut encore nommé rapporteur du |)rojet de loi sur la |)rorogalion de

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la censure, mais ce projet fut retiré par le ministère Villèle, peu de jours après son installa ion. Lors de la discussion de la loi des doua- nes, qui eut lieu à la session sui- vanie, Vaublanc prit la parole avec chaleur dans l'intérêt de la pros- périté coloniale, vrai moyen, dit-il, d'avoir une marine bonne ei impo- sante, et insista pour la diminution des droits imposés aux sucres des colonies. A l'exemple de quelques- uns de ses collègues, il combattit la proposition de traduire à la barre de la Chambre le procureur- général Mangin, pour ses accusa- lions prétendues calomnieuses contre plusieurs députés du côté gauche, accusations dont la réalité n'a été que ti op bien établie depuis. L'année d'après, à propos du bud- get des douanes, Vaublanc attaqua assez vivement le système d'admi- nistration agricole, commercial et industriel du ministère, et profita de cette occasion pour demander l'établissement d'un entrepôt dans les Antilles françaises. Le 14 mars 1823, il déposa une proposition tt^n- danl à faire nommer par la cham- bre un comité spécial chargé d'exa- miner l'état du commerce et de l'industrie, etd'en faire un rapport. Cette propositionne fuipas.idmise ; mais les idées que Vaublanc déve- loppa \ï cette occasion obtinrent une certaine faveur et ne furent pas sans influence sur la création pos- térieure du conseil du commerce et des manufactures. Aux élections générales de <824, Vaublanc fut réélu par le collège d. -parlementai du Calvados : il parla dans cette session pu faveur du projet de loi sur la seplennaliié, et soutint que celle mesure était cgalemenl favora- ble aux libertés publiques el à l'au- loritéroyalc. L'avénementde Char-

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les X n'apporta aucun changement notable dans sa situation politique. 11 fut rapporteur di projet de loi sur la liste civile de ce prince, et se prêta volontiers à l'inspiration con- ciliante qui porta le nouveau roi à y assurer par des dispositions spé- ciales une position de fortune in- commutable au duc d'Orléans el à sa famille. Vaublanc pril part, en qualité de commissaire du roi, à la discussion de la loi sur l'indemnité des émigrés. On le vit avec inlérêt, dans celte ciiconstance, s'unir à un député de la gauche, M. Basterrèche, pour glorifier le courage civil, vertu bien autrement rare et estimable que la valeur militaire, cet objet presque exclusif des.hommages de la multitude. Dans la discussion du budget de 1827, il répondit k B. Constant, qui réclamait l'inamovi- bilité pour le conseil d'Etat, que si ce principe était admis, la respon- sabilité ministérielle ne serait plus qu'un vain mot, qu^î les conseillers d'Elal se croiraient à l'abri de la direction des ministres, et que ceux- ci ne pourraient être raisonnable- ment engajîés par leurs avis. Le re- trait du projet de loi sur la police de la presse ayant donné lieu à la proposition La Boëssière, dont l'ob- jet était de veiller k ce que l'hon- neur de la Chambre ne fût pas at- taqué impunément , il fut noinmé rapporteur de celte malencontreuse proposition et membre de la com- mission qui en devint le produit; mais son maiidaf, terminé par la dissolution de la Chambre en 1827, ne fut pas renouvelé. Le comte de Vaublanc avait perdu de son crédit auprès de Charles X, durant l'ad- ministraliou de M. de Villele. Ce ministre, avec leqm l il était de- puis longtemps en opposition ou- verte, avait obtenu du roi la suppres-

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sion des libres entrées dont jouissait Vaublanc, ainsi que quelques autres conseillers intimes. Maigre celte apparente détaveur, le bruit courut plusieurs fois de son retour aux af- faires, où les exhortations du prince deTalleyraiid, dit-on, inclinaient à le porter. On prétendit queCharlesX lui-même en témoigna plus d'une fois l'intention, et que, au milieu des embarras qui l'assaillaient, il re- gretta souvent que !e système élec- toral de Vaublanc n'eût pas été adopté. Nés avec la Restauration et grossis dans son cours, ces embar- ras avaient sollicité dès longtemps la prévoyance politique de l'ancien ministre. « Depuis sept ans, disait- il en 1822 «le gouvernement n'a travaillé qu'à s'affaiblir, et c'est une vérité incontestable, que tous les gouvernements faibles doivent périr.» Quelques mois avant les or- donnances de juillet 1 830, Vaublanc avait adressé à Charles X, par l'en- tremise de M. deChabrol, ministre de la marine, un mémoire se trou- vaient indiquées diverses mesures propres^ détourner la crise qu'il ap- préhendait. Les plus imj)ortantes consistaient en une convoi ation ex- traordinaire des. principales notabi- lités de la France pour délibérer sur les conjonctures actuelles, et l'éta- blissement du gouvernement dans une ville forte du Noi d, l'on eût attendu que Texallation des esprits de la capitale vint a se calmer. Tout porte îi croire que ce mémoire ne fut pas remis au roi. H est douteux, au surplus, que les mesures proposées par Vaublanc eussent réussi à con- jurer les périls qui menaçaient la monarchie, et dans lesquels, on doit le reconnaître, il cniraii encore plus de malentendu cl d'inexpérience politique que d'hostilité décidée. Vaublanc fut rendu momentanément

à la vie publique par une des ordon- nances du 25 juillet, qui l'appelait à participer aux délibérations du Conseil d'État avec MM. Franchet, Delaveau, Forbin desIssarts,Castel- bajac et plusieurs autres royalistes, que l'ardeur de leurs opinions en avait fait écarter précédemment. 11 ne fut point d'ailleurs dans la con- fidence du coup d'Etat projeté, et ne devina l'emploi de mesures extraordinaires qu'à la physiono- mie préoccupée de Charles X , qu'il vit à Saint -Cloud quelques instants avant radoi)tion défini- tive de cette grave détermination. La révolution de 1830 devint pour le comte de Vaublanc le signal d'une retraite absolue. Mais cette retraite fut laborieuse, comme l'a- vait été la vie entière de cet homme d'Etat. Malgré ses infirmités , qui croissaient avec l'Age, il en consa- cra les loisirs à d'utiles études sur des questions d'économie politique et d'administration. Ce fut ainsi qu'il publia, en 1833, un Essai sur V instruction et l'éducation cVuu prince au dix-huitième siùcle, ou- vrage écrit pour Mgr le duc de Bor- deaux, plein de vues estimables et de considérations judicieuses, et plusieurs autres opuscules poli- tiques. Vaublanc chercha de nobles délassements dans l'art de la pein- ture, qu'il cullivail non sans succès, et se livra avec ardeur à !-on goût passionné pour l'équilalion, exer- cice auquel il n'avait jamais re- noncé , même pendant la courte durée de sa carrière ministérielle. 11 donna également l'essor à son pen- chant inné pour la poésie, et fil paraître successivement le Dernier des rjsnrs (181U-30>, épopée le mérite d'une noble conception est rehaussé parune versification pure, animée, abondante en images ; el

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des tragédies dont les principales ont pour titre : Soliman II, Attila, Aristomène, etc. Ces essais drama- tiques, qui présentent des qualités analogues au poème épique dont nous venons de paiier, ont été ^ recueillis en 1839 en un volume in-8°, tiré seulement à 200 exem- plaires. En 1833, Vaublanc publia des Mémoires sur la Révolution de France (Paris, A volumes in-8°), et en 1838, deux volumes de Souvenirs dans lesquels il reproduisit un grand nombre de faits et d'aperçus empruntés à la j)rcmièr(î de ces publications. Le comte de Vaublanc est tout entier dans ces deux ou- vrages, où, à travers un sentiment exagéré de personnalité, on distin- gue des vues hautes et utiles, des particularités intéressantes et bien observées, et quelques vérités po- litiques fortementexprimées. Parmi b'S sentences qu'ilsrenferment, nous citerons la suivante, qui résume avec autant de fidélité que de concision la tactique trop constasite des moder- nes pai lis : « Tout l'art des lactieiix consiste à se faire un droit puissant de toutes les concessions qu'on leur accorde, et leur logique consiste à regarder le refus de nouvelles con- cessions comme une atteinte cri- minelle portée aux premières (1). » Bien que le système gouvernemen- tal de l'auteur se résume, en der- nière analyse, à un emploi intelli- gent mais inflexible de la force, il faut reconnaître que cette politi- que, vulg.jire en apparence, s'en- noblit par les développemerits qu'il lui prête, et (jue, d^ns sa pensée, l'énergie du pouvoir n'a aucun des caractères de celte compression à la fois violente et artilicieuse qui

(1) MémoircSy t. iv, p. 169.

humilie les peuples sans les sou- mettre , etqui ne préserve l'ordre ma- tériel qu'auxdépensdel'ordre moral. Vaublanc se montre favorable en toute circonstance à la liberté de la presse, qu'il regarde comme entrée dans nos habitudes et dans nos mœurs, et ne cesse de recomman- der la modération et la tolérance envers les pariis même dont il veut qu'on réprime avec vigueur les en- treprises ou les écarts: dispositions qu'on ne saurait trop honorer chez un homme que l'animosité contem- poraine s'est plue à signaler comme un partisan outré du pouvoir ab- solu, et dont la qualité la plus incontestable fut un grand courage personnel, accompagne d'une foi opiniâli'c et souvent excessive dans les idées et les impressions qui lui étaient propres. Le comte de Vau- blanc mourut à Paris, presqu'eu- tièremenl aveugle, le 21 août 1845, dans sa quatre-vingt-dixième an- née, sans laisser aucune fortune. De son mariage avec Mlle de Fon- tanelle, il n'avait eu qu'une tille, mariée en premières noces ii M. Segond, officier du génie dis- tingué, qui pirit au siège de Sara- gosse. Un tils unique, qu'il avait laissé, succéda plus tard au nom et aux titres de son grand-père; mais il ne lui survécut quequelques mois. La veuve de ce militaire a épousé en secondes noces M . Potier, gentil- homme anglais, dontia famille s'est fait honorablement remarquer dans l'Église et dans les lettres. A. B-le.

VAUBLANC (JEAN-BAPflSTE-BKR-

NAiw) VIÉNOT, chevalier de), frère du précédent, naquit à Saint-Do- min;-'ue le < 7 septembre 17G1. Il fut élevé à l'École militaire de Paris et retourna sous les tropiques, il fit, à seize ans, sa première cam- pagne. 11 prit part à la guerre de

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l'Indépendance, et reçut du gou- vernement américain des conces- sions territoriales en reconnais- sance de son concours. Il revint en France en 1793, fut nommé adju- dant généra! par Picliegru, et fit partie, en cette qualité, de l'armée du Rhin. Napoléon lui conféra le grade de général de brigade. Lors (le la création des inspecteurs aux revues, le duc de Feltre le proposa au gouvernement pour remplir ces fonctions, et ce choix fut justifié par l'intégrllé sévère et la remar- quable activité que Vaublanc dé- ploya dans leur exercice. Il fut employé, en 1808, dans la guerre d'Espagne et de Portugal, et ren- dit, à l'aide de ces qualités pré- cieuses, de grands services h l'ar- mée française et aux populations. En 1812, Vaublanc fut appelé à faire partie de l'expédition de Rus- sie, et se mit en route sans tenir compte des instances de sa famille et des exhortations du maréchal Kerlhier, qui le pressaient vivement de prendre quelques semaines de repos. Il organisa avec zèle la vaste administration qu'il était appelé à diriger. Vaublanc pénétra dans Moscou à la suite des victoires de la grande armée; mais le succès de nos armes nelui faisaient pas il- lusion sur le caractère aventureux de celle gigantesque expédition : « Quelle serait ma folie d'être venu jusqu'ici, écrivait-il en France, si les motifs les plus légitimes ne m'y avaient conduit! » Quelques ta- bleaux précieux qui ornaient son salon, sauvés de l'Incendie de celle capiiale, restèrent quelques jours après ensevelis sous les neiges, et cette désastreuse rdraile anéantit aussi les matériaux d'un grand ouvrage Vaublanc avait déposé les fruits de sa longue expérience

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dans l'administration militaire. Mais elle devait lui couler plus encore. Parvenu aux portes de Wilna à travers mille périls et des souffrances infinies, Vaublanc suc- comba le 11) décembre 1812, ayant partagé, dit un biographe, les en- treprises et les désastres de l'Em- pire, mais jamais sa gloire ni son opulence. Il laissa plusieurs en- fants; l'un d'eux écrivain distin- gué, auteur de la France au temps des Croisades (Paris, 1844-49, 4 v. in-S"), après avoir été auditeur au conseil d'État pendant la Reslau- ration, occupe aujourd'hui le posle de grand-maître de la maison do S. M. la Reine de Bavière. A. Bée. VAUBRIÈRES (de), écrivain du xvii'' siècle, que nous ne trou- vons mentionné dans aucun de nos dictionnaires historiques, fut d'a- bord professeur à l'université de Ileidelberg, et ensuite maitre de mathématiques des pages de Jean- Isidore, cardinal de Bavière, évê- que-prince de Liège. Il occupait cet em|)loi lors de la publication de son premier ouvrage, intitulé : Principes d'cdiualion pour la no- blesse, concernant les bonnes mœurs et la reliQion, etc., Liège, B. Co- lette, 1751, petit in-8 dédié à Messeigneurs les trois États du pays de Liège et comté de Looz. A la fin du vol., qui a près de (00 |)aQ:es et qui n'est guère qu'une compi- lalion, l'auteur dit : « Je me borne pour le présent aux matières que je viens de traiter... Je suis bien aise de pressentir le goût du pu- blic. Si ces prémices de mon tra- vail n'ont pas le bonheur de lui plaire, je respecterai son jugement et me tairai : s il enjuge autrement, je me disposerai à produire un se- cond ouvrage dans lequel je dé- velopperai le Troisième objet de

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l'édtLcation de la jeunesse, qui est l'étude des sciences, etc. » 11 paraît que le livre eut un certain succès, puisque, en 1761, il en parut, aussi à Liège, une nouvelle édition en 3 vol. in-8°, dans laquelle de Yau- brières développa sans doute son troisième objet. On a encore de lui : Dissertation succincte et méthodique sur lepoëme dramatique , concernant la tragédie et la comédie, l'on fait pré.céd4',r le poëme épi- que et succéder différents autres (lenres de poésie qui ont rapport au drame. Nuremberg, J.-A. l.okner: 17C7, 2 vol. in-8^ Pour une dis- sertation succincte, deux vol. de ce format, c'est beaucoup. Au reste, nous ne connaissons celte produc- tion que par la citation qu'en fait la France liltér. de M. Quérard; mais il ne nous semble pas que de Vaubrières ait été très-capable de parler pertinemment d'aucune es- pèce de poésie, à en juger du moins par une pièce de sa façon insérée dans ses Principes d'éduca- tion et qui a pour litre : Le Paga- nisme tourné en ridicule. Elle se compose de treize quairains, dont les deux suivants donneront une idée :

Voici lei dieux veotez (sic) que cUtz vous ou

révère, L'ÏDcet'.ueux Jupiter; un dieu Mars adultère; L'iofàme dieu l'riape: un Ncptiinfe masson ; Une Diaoe accoucheuse; uu Vukain forgeron;

Un dieu nacchut yvrogoe , Apollon musicien; Eftculape »on fiU et fameux utodccin; Une Venu» impudique; un Mercure voleur, Sont pour voua lea objets d'une t< ndre ferveur.

Quand on mettrait sur le compte du proie liégeois les fautes contre la mesure, et quand on supposerait qu'il y avait dans la copie l'inces- tueux Jupin, Diane t' accoucheuse, l impudique V<^ni/«, etc., les vers, pour en être moins irréguliers, en vau-

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draient-ils beaucoup mieux? Nous ne pouvons dire en quelle année mourut de Vaubrières. B l u. VAUDCÏLVMP (Jeanne), l'An- tigone, ou, pour revenir de la poésie à la simple vérité, la Xantippede Delille, avait pour père un musi- cien de salon de la petite ville de Saint-Dié, en Lorraine; lequel, chargé de famille et courant le ca- chet, n'avait pas plus le temps que la ferme voionlé d'exercer une stricte surveillance sur ses filles. Jeanne, son aînée (qui dut nalire , de 1765 h 1767), apprit un peu, très- l)eu de musique; mais bientôt, trouvant sa ville natale un théâtre trop étroit pour son humeur aven- tureuse , elle prit son vol vers cette capitale que la renommée lui présentait comme un Eldorado chaque jour il pleuvait des quadruples, des louis et des écus autour de la beauté nécessiteuse que sa bonne étoile amène en ces parages. Son entrée dans la brillante et bruyante cité ne fut pas très-triomphale, elle n'y trouva pas la moindre place à demeure ; la pluie métallique ne ruisselait pas pour elle, bien qu'elle se tînt sous la gouttière et bien qu'elle cùl à celte époque quelque chose du physique de son emploi ; si bien que, faute de mieux, Danaé tou- jours expectante, la voiUt réduite à prendre au bras la modeste guitare, et plus modeste encore en sa pa- rure, à courir les rues et places de Paris, éveillant de ses chants les échos d'alentour, brodant de pi- rouettes et gambades ses roulades, cl alerte à ramasser la menue mon- naie qu'on lançait des fenêtres ou que lui jetaient les passants (1).

CI) L'on nous a même dit, mais nous

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Elle se livrait à ce triple exer- cice un jour de tiède soleil et de quasi-printemps, entre la co- lonnade du Louvre et la façade de Saint-Germain-l'Auxerrois, quand Delille vint à passer. C'était en automne, cependant, en l'au- tomne de 1786, et peu de temps s'était écoulé depuis qu'il était re- venu de Conslantinople , Ton sait que l'avait emmené l'ambas- sadeur, comte de Clioiseul-Gou- fier. Il avait encore la tète pleine des fantaisies et des réalités de l'Orient, des houris et des aimées. L'architecture byzantine de l'église ne fut donc pas ce qui lui fit ralentir le pas, ni même, bien que la chanteuse eût une assez jolie voix, le timbre de sa voix tt la pureté de sa méthode : il s'ar- rêta comme nous nous ariêterioiis à Séville devant des castaiiuettes ou des tambours de basque, et s'arrêta plus longtemps; la siiene l'eût peu touché, peut-être, la bayadère l'affola; la célérité des enirechals en harmonie avec des traits mutins plutôt que beaux, avec une physionomie provoquante et décidée, qui promettait, le fit mordre à l'hameçon. Bref, le leu- demain, mademoiselle Vaudchamp venait, franchissant le seuil du Collège de France, achever \i loi-

n'oserioiis lo garantir, que ce n'est pas il la daiiso pure et simple a la danse clior.'giaphiqiie qu'ellf se hvrait ainsi sur la place, niiiis bien a la danse du paillasse, au saul de carpe, a la marche sur les mains, et h toiilos les contor- sions de rc(piilit>iiste. Kt l'on appuyait le faitd'iu) n:ot (pron lui l'ait luonoiicer en passant sur la i)l;:c(' Saint-(u'rmain- l'Auxi'truis: « Cha(|ue fois que je revois cette coldnnadt', ce p;)rlail, vdilà mon eieur qui lait, comiui' autrefois mes iambes, le saul de carpe. »

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sir près de racadémicien la con- versation ébauchée la veille au soir. Elle se renoua, cette con- versation, avant la semaine écou- lée. On vit encore revenir l'infa- tigable interlocutrice quelques jours après, et on ne la vit plus res- sortir que de loin à loin et comme de chez elle. Elle avait, en ce peu de temps, conquis au Collège le droit de cité : le poêle l'avait fait consentir (traduction libre, mais exacte: elle avait fait consentir le poète) à la prendre pour ;^êrer sa maison. On demandera : Qu'est-ce que c'était, en ce temps-lk, que la maison d'un poète? Voici la ré- ponse • Sans être fermier général, Delille, avant la révolution, était fort bien rente, assez du moins pour vivre et faire vivre toute femme qui ne serait pas trop dépensière : il unissait aux émolu- ments de sa chaire ses jetons de l'Académi ' et ses rentes comme titulaire de l'abbaye de Saint-Sé- vérin, qu'il devait à la délicate in- tervention du con.le d'Artois. Ici peut-être nouvelle question : tt Comment l'abbé de Saint- Sé- verin, puisque c'est à cette ap- pelliiion que répondait le traduc- teur des Géorgiques, eut-il l'audace d'introniser en son logis une ména- gère d'âge si peu canonique, sausap- |)rèhenderles censures de sou évo- que? » C'est d'abord que les évè- ques alors se (hoijuaicnl peu ûeb ptM;;cadilles d'un brillant bénéficier, bien en cour et du reste bien pen- sant; c'est ensuite que, tout abbé di Saint-Sèveriu que fiil Delisle, il n'avait jamais dit la messe et ne s'était môme pas vu conférer le moindre des quatre mineurs. Le se.andale donc n'était pas très-effréné pour le siècle des Louis XV et ties Catherine 11; et nulle anecdote du

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temps (Laharpe ou Grinim n'eût pas manqué d'en embellir sa correspon- dance) n'indique que qui que ce soit ait vu pour lors une excentricité blâmable dans le caprice du Virgile moderne. Ce caprice dura, et c'est parce que, passant à l'état chroni- que, il influa notablement sur l'illus- tre écrivain, que donner place dans la Biographie universelle a celle qui l'inspira n'est pas du luxe. L'édi- teur de ce vaste répertoire des célébrités de tout genre comptait bien lui consacrer un article, té- moin le renvoi par lequel il l'an- nonce plus que suffisamment (t. Lxxxiv, p. 177). Il savait que Pro- cope aurait manqué la physionomie de Justinien, s'il n'eût gardé un coin du tableau pour y loger Théo- dora. Remplissant aujourd'hui la tâche pour laquelle il était mieux renseigné que nous, nous tâche- rons, en revanche, d'être plus com- préhensif et moins acerbe que, cer- tes, il ne l'eût été, sans toutefois reculer devant le devoir de relater les faits.

Delille n'est pas remarquable seulement par la perfection de quelques-uns de ses ouvrages, et principalement du premier, il l'est aussi par la célérité de la produc- tion, et, quelque vrai qu'il soit de dire que ce ne sont pas les gros ba- gages qui font aller un poêle à la postérité, il n'en est pas moins cer- tain que la fécondité de la veine poé- Ktique, pour peu qu'elle n'aboutisse ^■asà l'insignilianceou au ridicule, "^oute a l'idée que l'on se fait de ^crivain. Voltaire, si Ton suppri- jyait quinze des seize volumes de ij^'Oésies qu'où lui doit, ne serait pas qV^oltaire. b?i même Delille ; mais Delille, au nv^meDi nous som- mes, ne se doutait pas encore de sa force productive. Soii conviction

que c*èst moins la quantité que la qualité que l'on cote au Parnasse, soit invincible amour du « niente far, » (car tout vierge qu'il fût des quatre mineurs, il avait ceci des abbés de l'ancien régime qu'il pré- férait à tout le repos, et aurait vo- lontiers, comme Lafuntaine, fait deux parts de son temps

. . . Dont il soûlait passer J/une k dormir, et l'auire k ue rien faire.)

il n'avait encore fait suivre sa tra- duction de l'Hésiode romain que des Jardins ou l'art d'embellir les pay- sages (1780), et, se reposant avec un calme tout philosophique sur ses lauriers, il attendait sans impatience l'heure de l'inspiration. Tout au plus, l'idée d'un troisième poëme se dessinait-elle vaguement en son cerveau. L'intérêt qu'y prit ou fei- gnit d'y prendre son Egérie stimula son indolence et fit sortir un chant, deux chants, etc., des limbes sans elle ils fussent restés long- temps encore ensevelis. Lui-môme l'a dit beaucoup plus tard dans cette épîlre charmante en tête du poëme de V Imagination où, con- templant sa divinité au travers du prisme, il s'écrie :

Le sujet t'avait plu, ma muse l'embrassa Et cet ouvrage commença (Que cette époqu'i m'inlércsse! ) Le jour même oii pour toi commença ma ten- dresse (le jour, un seul regard siffit pour m'eiiUammer. r,ar te moutrer c'est plaire, et le voir c'est l'ai- mer.

Toutefois, nous devons, en chrono- logisle fidèle, distinguer les époques et ne pas plus brusquer le narré des événements que Delille ne brusque la Muse. « Ce poiîme,;) dit- il lui-même en tête de la préface de \ Imagination , « a été commencé dans l'année 1785 et fini en 1704. »

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C'est bien le cas de s'écrier que l'auteur se montra stricte observa- teur du précepte de Boileau,

Hàtez-Tous lentement. . .

plus que des incitations de la nym- phe qui l'inspirait, et, comme un laps de temps plus considérable en- core sépare 1794 du millésime delà publication, on peut ajouter qu'il observa de même, disons mieux, qu'il outrepassa celui d'Horace,

. . .Nonumque prematur in annum.

« L'intervalle de ces deux dates, » écrit ensuite le poète, parlant tou- jours de 1785 et 94 « a été maïqué par de grands événements. » Ainsi que l'état poliîique de la France, la vie intérieure de Delille avait subi des révolutions. Dès 1789 et 90, les sourds rugissements de l'orage effa- rouchèrent les Muses, à bien plus juste titre encore la Muse inoffen- sive et tendre du poète, pour qui la gratitude était le plus doux des de- voirs; puis vint le temps où, cha que jour, grondant plus effrayante, la foudre Huit par tomber, non une fois, mais cent, mais mille, laissant partout, en signe de son passage, des traces de sang et des ruines. A moin.-, d'avoir le robur et œs tri- plex que mentionne et que ne s:î vante |)as do posséder le lyrique latin, il était diflicile d'élucubrer des rhinls didactiques au milieu de semblable tourmi-ntc. D'ailleurs, il en viul a ne pas être sans courir lui-même «fuelqucs ris- ques. Déjà il avait comparaître devant le tribunal révolutionnaiie, et il n'avait, dit-on, son salui qu'à la saillie d'un citoyen com- pagnon maçon. Le refus qu'il avait fait d'un hymne pour la fêle de l'Llre suprême, imaginée par Ko- bi'spierre, devait sembler au fa-

rouche dictateur un crime de lèse- nation. Le dithyrambe « sur l'im- mortalité de l'âme, » qui vint en- suite , loin de raccommoder les choses, était de l'huile sur le feu. A vrai dire, rien alors ne retenait Delille à Paris : le Collège de France n'existait plus, même de nom; l'Académie française avait été ba- layée comme tout le reste. De cette société parisienne exquise, polie, qui donnait jadis le ton à l'Eu- rope , pas une trace n'était res- tée ou n'eût osé se produire. Les fonds, d'ailleurs, allaient baissant, l'abbaye de Sainl-Séverin était à l'état de mythe, et, dussent les combinaisons de Vérone être plus heureuses que celles de Coblentz, il fallait en attendant vivre économi- quen;ent. En cette extrémité donc, ce fut un bon conseil donné à l'ex- hénélicierparrex-sauteuse, qui, de jour en jour, s'était rendue plus in- dispensable, que celui d'aller cher- cher un asile en de lointaines et paisibles contrées , au fond des vallées ou sur le versant de monta- gnes peu fécondes en clubs, à portée des ombrages le poète pût rêver sans entendre les aboyeurs de Fou- quier-Tinville. Il eût été naturel que le poète d'Aigueperse 5ongeât à la verte Linr.agne, à l'Auvergne, sa pittoresque et agreste patrie. ..Il y songea peiit-êlre; mais s'il pro- posa, sa conseillère disposa. Par- tant de deux points «pii, plus que jamais étaieiulabase de sa conduite, ne pas le quitter et ne pas se laisser quitliT, elle le détermina (et lui lit croire qu'il se déterminait de son chef, et presque en depil d'elle) pour les Vos-<'s, et dans les Vosges, pour Saint-Dié, et dans Sainl-Dié, pour la maison qu'habitaient encore sa mère ei ses sœuis. C'était ajouter à ses autres liens celui de la recoîi-

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naissance; c'était, de son obscure et besoigneuse famille, faire en quelque sorte la famille du poète ; c'était se créer des panégyristes et des appuis en ca.s de besoin. Mais il faut l'avouer, ce besoin ne devait jamais venir. Au bout d'un an ainsi passé loin des agitations, au grnd profll et de Thomme et du poëte, car c'est alors non- seulement qu'il teiMiiiua if huiiième chant de Y Ima- gination, mais qu'il se pénétra du sujet et (lu plan de la Pilié, l'ange de Saiut-Dié fut décidément l'irtem- plaçable et l'inséparable. Elle fut présente à toules les phases du pè- lerinage de Child-IIarold. Quand de la Lorraine il passa en Suisse, elle l'accompagna (1796); quand de Bâle il se lendit ii Brunswick, elle le suivit à Brunswick (1798); et lorsqu'enfin Londres lui sem- bla le séjour préférable à tous, celui qu'il n'abandonnerait que pour rentrer en France à la suite de ses rois , les rivages de la Ta- mise la virent comme l'avaient vue les plages du Rhin et les bords de rOckcr. Kl tous les amis, tous les protecteurs de Delille devaient, s'ils tenaient à garder leurs relations avec le poëte, s'habituer à la voir, k la mettre de leur conversation. L'urbanité parfaite, le tact de toute cette société de l'émigration et des quelques étrangers d'élite qui bri- guaient l'honneur d'être présentés au grand poète, leur rendaii la tâche légère, en même temps qu'elle sau- vait à peu près l'inconvenance. Quelques visiteurs , cependant , avaient parfois l'épine dorsale moins flexible .ou tenaient moins bi< n leur langue ; et tout Wesl-Knd, tout Piccadilly répétèrent le propos de l'abbé deTressan qui, peu char- mé des airs de sa prcscpie compa- triote, assaisonna ses adieux de

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cette petite flèche de Parthe : « Quand on choisit ses nièces, l'abbé, on les choisit mieux que cela. » Le mot nous est précieux, et nous le relevons à deux titres. Il prouve d'abord que, vers 1800 et 1801, l'inséparable n'était encore passée qu'à l'état de nièce (1). Il nous remet ensuite eu mémoire ce petit détail, qu'auprès de Jeanne éi;iit une de ses sœurs, la plus jeune, qui rendait le triple ser- vice de rajeunir ^un peu la mai- son, de faire bonne garde en cas de collatéraux, et d'être un peu de- moiselle de compagnie, un peu pre- mière ou même unique domestique. Elle ne pouvait d'ailleurs, par ses charmes ou par ses talents, porter ombrage à la sultane, ce qui ne V(;ut pas dire qu'elle fût disgraciée d;î la nature. Nous présumons que son nom était Odile, elle répondait au diminutif de Dilette. Delille ne l'a pas ahsolument oubliée dans ses vers, et sans l'idéaliser à beaucoup près autant que celle à laquelle il dit:

El si jamai* tu te reposrs Dans ce séjour de p.iix,ile tendresse et de deuil,

Dt's j)lt'urs vcr'rés sur mon cercweil, Ciiaquc gcutlo en toinbi^nt fera naître des roses.

Il nous intéresserait presque pour Dilette, quand il la caractérise par ces lignes simples et senties

De notre humble ménage elle fait les douceurs,

i'ar 8> s vertus nous rappelle sa mère, Met sa félieiié dans celle de ses sœur», Et s'embelliides pleurs qu'elle donnehson përe.

(1 ) Aussi ne sonunos-nous pas encore revenu de rétonnemeut (|u'a fait ii;d- ire en nous cette assertion liasanKe par l'auteur de larticle Delille dans VEii- cjjclop(Ulie (les Gens du moiidc^ t. vu, que le poëte était déjà niari<'; lorsqu'il s'expatria de Paris pour l(!S Vosges, ('■poqiie visiblement Delille voulut uf- lieicllcmcnt eu quelque sorte déguiser le vrai.

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C'est sur ces entrefaites que, la paix de Lunéville ayant ouvert les voies à la pacification européenne et le traité d'Amiens étant à la veille de se signer , la maison Giguet-Michaud eut tout à coup l'idée (le faire en même temps une belle affaire commerciale et de rendre peut-être un service à la cause royaliste, en s'inféodant la muse d'un poète qu'investissaient de l'éclat d'une double auréole son génie d'abord et ensuite l'invinci- bililé de sa ligue politique. Le plus jeune des deux associes (l'on devine M. Michaud, le futur bio- graphe), vint à Londres dans ce but (1801). Il avait eu soin de se faire expliquer de point en point la carie de celte mer semée d'é- cueils avait jeté l'aniTC le joii sloop Delille, capitaineYaudchamp; aussi n'est-ce pas au poète même qu'il s'adressa poui- commencer. H noua d'abord des intelligences dans la place. iMimi des pleins pou- voirs de celui que Chénier nomme quelque part, à propos d'Esménard et du poème de la Navigation :

. . . Gip;uet l'armateur,

et porteur d'î\-compte de poids à l'effet d'acheter la cargaison la Pi- tié, c'est avec la dame et maîtresse du lieu qu'au préalable il négocia, laissant éclater son intime per- suasion que nul traité ne vaudrait sans sa ralillcaliou, lui prodiguant ces déférences délicates dont elle était d'autant plus flattée que rarement elle les recevait de per- sonnes distinguées. Non -seule- ment le manuscrit fut obtenu, mais encore Delille , qui jusiju'alors avait résisté aux ouvertures du ministre François de Nrufchâ'^'au, aux instances des amis qui l'appe- laient en France et même, ce qui lui

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devait coûter davantage, aux vœux connus des académiciens jadis ses collègues, se laissa déterminer à franchir le ^.hennal et à revoir ce Paris qui n'était pas encore revenu à ses maîtres et le premier con- sul allait sans cesse se consolidant. Telle fut la force des arguments irrésistibles et autres avec lesquels l'ex-officier du régiment de Deux- Ponts (1) battit la place en brèche. La commandante, en capitulant, ne fit pas mauvaise mine à l'assiégeant vainqueur; et, comme ces pléni- potcnliaiies qui regagnent leur chancellerie native tout chamarrés ou tout chargés des dons de la tour avec laquelle ils viennent de passer un accord, le négociateur revint, sa cravate retenue par une petite épingle en or, vergis mein nicht donnée par la dame, autour du chaton de laquelle se lisait : « Je pique, mais j'attache.» Matériellement, Delille certes n'eut pas à se plaindre de son re- tour. D'ahord sa chaire au Collège de France lui fut rendue d'emblée (ce dont sans doute nous n'en- tendons pas attribuer le mérite à sa compagne); puis celle-ci, ne laissant pas passer la fortune sans la saisir aux cheveux, sti- mula sa verve poétique, lui fit secouer la paresse ses délires et trouva moyen par de quintupler au moins par anses appointemenîs du collège de France. Plus d'une feis à nos questions sur ce sujet M. Michaud a répondu, et nous n'avons nul sujet de mettre sa vé- rarilé en problème, que pour la Pillé, pour r/vn<*/(/c, pour l' Millon,

(1) L'iniprimoar Michaiiil avait été capitaine dans le nV iiiuMit (U^s DciiK- Poiits, depuis, 102' de liiîn.'. (Voir la no- tice placée eu tète du prcseiil volume.)

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pour Vlmagination, pour hConver- saiion, pour les Trois règnes, pour les Poésies fugitives et |)ourhi pro- priété des autres œuvres antérieu- rement livrées au public, plus de deux cent mille francs passèrent de sa caisse dans celle de Deliîle.ll ne regrettait pas cet argent que le pu- blic d'alors lui rendait avec usure.

Ce doit donc être un fait acquis à rhistoire littéraire et aussi à l'his- toire de Delille, si quelque jour on venait à l'écrire avec détail à la façon des Anglais, que Tinfluence décisive de la sœur de Dilelte sur la rapide fécondité qui caractérisa sa vieillesse.

Pourquoi faut-il que nous soyons obligé de convenir que trop sou- vent celle influence dégénérait en tyrannie? Et encore est-ce ici le cas dédire : « Il y a tyrannie et tyran- nie. » Delille (qu'on nous passe uu blasphème qui n'enlève rien à sa couronne de poète, puisque selon l'antique sagesse, il n'est pas de grand homme pour son valet de chambre) Delille était un grand enfant et avait besoin d'être do- miné. Mais il eût pu l'être plusaca- deraiquement, plus moëlleusement. C'est précisémentlkcequ'insinuait le spirituel abbé, fils du gouverneur de la Lorraine française. Rien n'était moins académi(|ue, moins moelleux que Mme Delille, puisque finalement voila le nom de guérie de made- moiselle Vaudchamp, h partir de 1801 et surtout de 1806. . . (Nous expliquerons celte incertitude ap- parente plus lard.) Elle l'enfer- mait lorsque, par exemple, il tar- dait à livrer la copie, contre la remise de laquelle le libraire, obli- gé parfois de faire la sourde oreille aux demandes incessantes d'argent, lâchait le billet de cinq cents. Comme à l'écolier en retard on

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impose cent lignes, elle imposait au rival de Virgile, h rinterprète de Milton, au chantre des Trois règnes, cent vers avant déjeuner, deux cents vers avant dîner; com- me des assiégés qui tardent trop à se rendre, s'il n'arrivait qu'aux deux tiers, qu'aux trois quarts de sa tâche, elle le prenait par les vivres, elle le privait d'un plat; ce qu'elle lui ôtaitde meringues, elle le passaità Dilette. Le pauvre Delille, dont la friandise était fabuleuse, apprenait par expérience ce que c'était que le supplice de Tantale; si, tentant de se révolter, il supportait vail- lamment le martyre des martyrs, le jeûnependantquelquesheures,etse refusait carrément à lâcher la pa- cotille commandée, elle le battait. Nous n'insistons pas sur ces tristes scènes qu'achevait de dépoétiser un langage trop voisin de celui des halles, et l'antipode soit des belles périodes qu'on savoure à l'Acadé- mie, soit de ce que jadis elle rou- coulait en ces romances qui, join- tes aux ronds de jambe, avaient féru le cœur de l'abbé devant le portail de Sainl-Cermain-l'Auxer- rols. Mais nous ne pouvions nous dispenser de soulever un coin du rideau, quand c'est d'elle, et non de Delille, que nous esquissons la vie. El, fùl-ce celle de Delille, n'est-ce pas même un trait de plus à joindre à ceux qui composent la physionomie du poêle, que la sé- rénité, la mansuétude par lesquel- les il répondit constamment aux injurieuses boutades de son irasci- ble compagne? Plus il avançait en âge, plus il l'idéalis.iil eu chaque coin de ses œuvres, et par cela mê- me la recommandait aux respects de tous. En prose, et dans le lan- gage familier de tous les jours, c'é- tait son Anligone! Ce nom est de-

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meure î... N'est-il pas bon que Toa sache U quel point il était mérité? Delille, il est vrai, avait iini par devenir complètement aveugle après son retour en France ; une Antigone eut été pour lui la plus heureuse des trouvailles; il la rêva, ne pouvant la trouver, il prouva une fois de plus qu'il était plein de ce qu'il avait si bien chanté, d'ima- gination.

Heureux, au reste, fut Delille d'être aveugle! Au moins ses yeux, habitués à l'élégance, à l'ordre, au comfort des intérieurs seigneu- riaux, ne furent pas affligés comme ils l'eussent été s'il eùl été témoin de l'indescriptible chaos que sa compagne appelait son iniérieur. Il ne vit que des yeux de la pensée, c'est-U-dire tout au plus soupçonna -t- il les trop diapha- nes moyens par lesquels Tissot s'introduisit auprès de lui, et finit par arracher à sa faiblesse la sup- pléance de sa chaire au collège de France. On peut en lire toute l'his- toire rédigée de visu , non sans un reste de vieille irritation, par celui qui s'était laissé donner le « je pique, mais j'attache, » et sous lu'syeux (!e qui c'était pour un au- tre qu'on se mettait en frais d'at- tacher. Ainsi , l'amie de Delille acheva de se montrer l'émule de cette ignoble Thérèse que Jean- Jacques nommait sa femme. Si l'on buspectiiit sur ce point le trop fi- dèle rapport M. Micaud, connnent ne pas se rmdre au témoignage du chevalier de Lengeac, à qui le fait n'importait pas , et qui l'atteste plus Cl ùmeni encore dans celle vi- laine t'pigramme, non moins irré- cusable que celle dOclave ii propos de Fulvie,

Qnod... Glaphyron Anloniui, htnc mihi po-nam FuUia coDttUuit, elc.

et dont, plus sobre que feu notre collaborateur (lxxxiv, 168}, nous ne rappellerons que la terminaison :

... En son bo ge.

Sou époux en bonnet carré,

Lt son amant en bonnet rouge.

« En son bouge » est de la couleur locale et prouve que nous n'avons pas outré en parlant du ménage de Delille ; le reste s'explique et parle de soi.

A la longue, en dépit de toutes ces ombres au tableau, en dépit des notes d'Herbault, en dépit de ce que le poète impute , avec jus- tesse probablement , si l'on sait traduire, à madame Delillel:

... L'insouciance De l'impénétrable avenir,

celle-ci, à force de mettre son époux en coupe réglée, avait amené la caisse dontelle tenailla clé, à un état de rotondité tellement satisfaisant, qu'il futquesiionde l'achat d'un im- meuble. Mais trop d'amis s'en mê- lèrent, trop d'avis se croisèrent; un moment aussi Ton eut des projets trop ambitieux : en fin de compte,

La montagne en travail accoucha d'un chou

blanc.

L'on ne pouvait acquérir un châ- teau , pourquoi s'affubler d'un chalet? Ft, après avoir eu quelques mois le plaisir de se rêver grande piopriélaire, la dame en revint à l'idée très-sage , Mi sa position, que, lorsqu'il peut surgir n'importe d'où, ne fût-ce ni de Normandie, ni d'Auvergne, des prétendants co- hiritiers, il est bon de ne pas avoir de magot au soleil. Depuis le poème de la ConrtTiïffio/nrailleurs, le tra- vail devenait de moins en moins fa- cile; évidemment la source allait ta- rir, la santé baissait, les attaques de paralysie se présentaient plus for-

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midablos. Il fallait se tenir sur ses gardes. Elle s'en trouva bien, quand vint edfin l'inévitable dénoûment (1" mai 1813).

Tandis que les amis du poète vé- néré veillaient ii la construction du monument sur lequel devait se lire celle simple inscription : Jacques Delille, elle avait à se défendre de quelques Auvergnats. Leurs réclamations et menaces furent peu fructueuses; ils n'eurent juste que leur part de ce qui ne pouvait se dissimuler; une donation entre vifs etde bonnescoupessombresavaient mis le reste en sûreté.

Ce qui pourrait nous rester à dire de Jeanne Vaudchamp après la mort de Delille n'importe plus à l'histoire et ne saurait offrir d'in- térêt. C'est donc ici le lieu de ter- miner par quelques mois sur le nomde madame Delillequenous lui voyons porter, à partir pour ainsi dire de noire siècle, tandis que, dans tout le dix-huitième el quel- ques mois encore après, c'estmade- moiselle Vauchamp, ou, pour|)laire aupoëte, deVauchamp, qu'on l'ap- pelait. A quel instant se produisit celte mélonomasie ? Evidemmentau retour d'Angleterre ; car la nature même des choses, 1801, se trouve IJi merveilleusement placée pour souder deux phases entre les- qut'lles s'olTre une solution de con- tinuité : sept ans alors s'étaient écoulés.

Depuis le d p.irl de Paris que de choses peuvent avoir changé en sept ans, sur lesquelles il se- rait héiéioclile d'établir un in- terrogatoire en règle et en face! Mjis jusqu'il 180G , peut-être le public pouvait ou feindre d'ignorer ou ignorer tout de bon la dénomination nouvelle . Ceci posé, on peut regarder en

quelque sorte comme lettre de faire-part du poète cette épîlre à laquelle déjà nous avons emprunté trois citations, et qui parut, nous l'avons dit, en tête de la première édition de ['Imagination. Qu'à cette lettre de part se soient bor- nées toutes les formalités matri- moniales, c'est ce qui résulte et de tout l'ensemble des faits avérés et des affirmations que nous ont réi- térées des familiers bien informés. A coup sûr, l'union légale n'eut pas lieu en France, et quant à la Grande-Bretagne, c'est en vain qu'on eu eût cherché des traces sur les registres mêmes du forge- ron de Gretna-Green, alors que Gretna-Green florissait. Bornons - nous donc à dire qu'il la sacra madame Delille par ses vers.

Si maintenant nous voulons résumer en peu de mots la physio- nomie morale de celle que Drlille finit par décorer de son nom, nous venons de connaître que, dès le premier moment, à quoi (prait pu tenir la fascination, elle exerça sur son être une espèce de fasci- nation; que dès le premier moment elleprit sur lui, sinon l'empire, du moins un ascendant; l'empire vint ensuite. Il avait cru se donner une maîtresse, il s'était donné un maî- tre! On peut croire que longtemps cet empire ne fut pas tyranniquc ; et quand il eut dégénéré en tyran- nie, longtemps encore ce ne fut pas la tyrannie hargneuse, égoïste et méchante. Il serait téméraire et probablement inique de dire qu'elle n'eut jamais pour lui d'at- tachement réel ; que le calcul s'en soit mêlé, nul doute ; mais quand les beaux jours de 178:; l\ 1791 fu- rent envolés, loin de déserter, elle se cramponna en quelque sorte à celui dont l'étoile s'occultait; et s

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ce fut parce qu'elle comprit qu'é- clipse n'est pas éternelles ténèbres, on peut lui tenir compte d'avoir vu si juste et d'avoir eu foi en son poète. Quant au ton et aux maniè- res si décidés dont fut choqué l'abbé de Tressan, peut-être sera- t-on dans le vrai en pensant qu'il n'en a\ait pas toujours été ainsi. L'éduc;:tion première avait man- qué, c'est clair. Mais ce n'est pas impunément que l'on passe des années dans une intimité d'élile comme celle de Delille. Tant que l'inséparable n eut pas assis sa do- mination sur le granit, tant qu'à toute force il y eut répudiation possible, elle dut se mouler sur celui qui jouait encore le rôle supérieur, elle dut se modifier en bien. Quand la domination lui sembla indestructible, et ce fut lorsqu'elle put croire avoir rendu des services eu l'arrachant à la capitale de la Terreur, lorsque des infirmités toujours crois'-antes nécessiiètent autour de lui des soins incessants, lorsqu'enfin l'im- minence de la cécité, puis la cé- cité, le lui livra pifds et poings liés, oh! alors la confiance im- mense, l'orgueil, l'impatience lui montèrent à la tête : on la quali- fiait Aniigone, elle se qualifiait victime et «jeune victime, » s'exa- gérani la sénilité du vieillard, se croyant, à son huitième lustre, encore dans son printemps , et sVxhalanl en élégies sur la triste condition de ^^arde- malade.

Quant aux autres faits plus graves, il nous suffit de les avoir relates, nous les livrons sans com- mentaires à l'appréciation. Made- moiselle Vauchampsurvi'cul encore di.\ ans à Delille, loin de l'opu- lence, m .is loin de la gène. Elle semblait avoir senti l'honneur du

nom que l'illustre mort l'avait autorisée à porter en l'incorporant à son œuvre; sa vénération pour celle ^l'ande mémoire devint un culte. En approchant du dernier jour, elle exprimait souvent le vœu qui avait été celui du poète, de repoer auprès de sa cendre. Ce vœu fut exaucé; les deux tom- bes s'aperçoivent l'une près de l'autre.

Ce qu'il y avait de curieux dans la soi-disant madame Delille, c'est qu'elle se montrait infatuée elle-même du mérite de son soi- disant époux, se figurait probable- ment être de moitié dans ses glo- rieuses pioductions et semblait prendre sa part des éloges qu'on en faisait devant elle.

Elle disait un jour en parlant de l'empereur Napoléon Cet homme- n'aura jamais un hémistiche de nom. )) Le fait est que c'est elle seule qui a empêché le célèbre poète de céder aux inspirations que de- vaient nécessairement faire naître en lui les glorieux exploits du héros, et si, aux yeux de certaines personnes, celte abstention a pu passer pour un mérite , c'est à madame Delille qu'il appartient entièrement. Val. P.

VAL'CIIER(Jean-Pierre-Etienne) botaniste distingué , instituteur d'un rare mérite, prédicateur élo- quent, naquit le 17 avril i7<i3, à Genève, il est mi)ri le 5 janvier 1841. Son péri , originaire du Val- de-Travers, dans la pi incipaulé de Neuchûtel, maître charpentier et entrepreneur de bâtiments, jouis- sait de quehiue aisance, ce qui permit à Vaucher de suivre la carrière des études, il entra après avoir travaillé (juelque temps à l'atelier, rt il ne tarda pas à se distinguer. Il embrassa la voca-

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tioiî pastorale et fui consacré au saint ministère en 1787. Mais bien- tôt survinrent les secousses politi- ques qui ébranlèrent tant de posi- tions, et Vaucher dut soutenir sa famille en se vouant à l'éducation de la jeunesse. C'est ainsi qu'il fut mis eu rapport avec un jeune Zuricois, qui fat plus tard le célè- bre Escher de la Lintli, dont il devint l'ami après avoir été l'ins- tituteur. 11 ouvrit bientôt une maison d'éducation, comme il y en avait plusieurs à Genève pen- (lijut les années de sa réunion à la France et depuis sa restauration, alors que tant de jeunes Français, Allemands, Russes, Polonais, Ita- liens, Sui^ses, Anglais, Américains, vinrent chercher dans celliî ville une instruction solide, des mœurs pures et simples et des relations de société faciles et agréables. Parmi les élèves de Vaucher, dont plusieurs occupèrent plus tard des postes honorables, il y en eut deux qui furent appelés, par la suite des événements, à de hautes desti- nées, et qui, dans leur position élevée, lui onttémoigné une sincère reconnaissance ; je veux parler de S. M. Charles-Albert, roi de Sar- daigne, et de S. Exe. le comte Alexandre Valew.ski, entré depuis 1830 dans la carrière diplomati- que, où il a joué dès lors et joue encore aujourd'hui un rôle si im- portant. Malgré lessoins qu'il don- nait a ses élevés, Vaucher remplis- sait ( ncoreles fonctions de pasteur dans l'église réformée, il se dis- tingua par la chaleureuse autorité de ses prédications, et celles de professeur d'histoire ecclésiaslique à l'Académie, dont il fut recteur de 1818 k 1820. Enfin, dès sa jeu- nesse, Vaucher cultiva avec ardeur la botanique, à laquelle il dut ses

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plus douces jouissances, qui char- mait ses loisirs durant sa vie ac- tive et qui fut sa consolation dans les années de la vieillesse. Il fit de bonne heure des recherches sur les plantes cryptogames, et publia en 1803 son Histoire des Conferves d'eau douce, Frémellisjiosloes, etc., 1 vol. in- 4°, accompagné de gra- vures dues au burin de sa femme, ouvrage qui obtint les suffrages des naturalistes les plus éminents; il inséra divers mémoires relalils à quelques inFusoires, aux tubulaires, aux équisélacées, à la salvinie, à la chute des feuilles, à la sève d'août, à d'autres points de physiologie végétale, aux sèches du lac Léman, etc., dans le Journal de Physique, le Bulletin philomalhique, les An- nales du Muséum, les Mémoires de l'Académie de Munich, ceux de la Société de physique et d'histoire naturelle de Genève. Il composa pour la Bibliothèque universelle de, Genève des notices nécrologiques intéressantes , il rappelle les travaux scientifiques, la vie active et désintéressée, les nobles qualités de son illustre ami Escher de la Linth et du professeur Marc-Au- guste Piotet. Il j)ublia en 182G une Mono(jraphie des Orobanches, accom- pagnée de planches coloriées des- sinées aussi par sa femme, qu'il eut le malheur de perdre la même année. Dès lors, il renonça k ses fonctions de pasteur et îi sa car- rière d'instituteur, afin de se consa- crer uniquementà la rédaction d'un ouvrage considérable pour lequel il avait rassemblé de nombreuses observations, et il se proposait d'exposer la vie des végétaux, les phénomènes successifs qu'ils pré- sentent dans leur germination, leur floraison, leur fécondation, la dé- nomination des graines, etc. Cet

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ouvrage, dont un premier volume avait paru en 1830, fut publié plus complet à Valence , chez Marc Aurel frères, en 1841, en 4 vol. grand in-S", sous le titre ^'Histoire physiologique des plantes d'Europe ; il renferme une foule de remarques nouvelles sur un sujet qui n'a pas encore suffisamment attiré l'atten- tion des botanistes. Un choix des sermons de Vaucher publié par les soins de ses fils, sous le titre de Souvenirs d'un Pasteur genevois, et précédé d'une notice biographi- que, a paru à Genève, en 1842, in-8-. L. V.

VAUDONCOURT ( Frédéric- François-Guillaume) (baron de), général français qui s'est fait un r.om dans les lettres comme dans la carrière militaire, était de Vien- ne en Autriche : ce n'est pas que ses parents fussent Aile mands ; mais Lorrains tous deux, ils voyageaient en Allemagne, et d'étape en étape ils étaient arrivés dans la capitale de l'Autriche quand force fut de s'arrêter pour donner le jour (2i septembre 1772) au futur officier auquel est consacré ctît article. Le père lui-même était un officier de mérite. Tout naturelle ment donc le jeune Guillaume fut coi nme bei ce d'idées militaires. Ses études clas- siques ne furent point ec ourlées ce- pendant; il les poussa jusqu'en philosophie, et la trace resta tou- jours visibie de cette élégante et forte éducation premi ère. Cepen- dant ses idées na!iv(;s, d'accord avec ses propensions, ne perdirent pas un poure de terrain. C'est à Metz d'ailleurs, ville militaire s'il en fut, qu'il terminait ses cours de collège. Il avait dix-sf:pt ans alors, la révolution éclatai t. Après un court passage à l'écc «le d'artillerie de cette ville, il fut e nvoyéàParis,

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bientôt il fut nanti d'un poste très-subalterne . au comité de la guerre. Mais il n'y resta que quelques mois; et dès qu'en 1791 il fut procédé k l'organisation des bataillons de volontaires, il se pré- senta, fut incorporé dans le batail- lon de la Moselle, et peu de temps après (19 septembre) il recevait Tépaulette de lieutenant. On voit qu'il n'avait pas encore dix-neuf ans accomplis. li passa l'année sui- vante au premier corps franc de la Moselle qu'était en train d'organi- ser son père, et il en reçut le com- mandement en second. Ce corps ne resta pas longtemps inerte : les événemenls marchaient; les Prus- siens, un peu moins prompts, fini- rent aussi pourtant par se mettre en route et passèrent la frontière. Thionville fut menacé, tandis que le gros de l'armée sous le généra- lissime ennemi s'avançait vers Ver- dun et l'Argonne. Le corps franc de la Moselle fut chargé du ravi- taillement de la place attaquée; et quand, le succès ayant couronne ses efforts, il eut fait son entrée dans la ville, il prit part k la dé- fense, qui, comme ou sait, fut bien conduite et aboutit à la levée du siège. Guillaume de Vaudoncourt, dans cette partie de sa première campagne, se fil remarquer dans deux sorties c'e^t lui qui joua ie premier rôle : dans l'une il dé- truisit aux environs de Caitenom un convoi de vivres qui allait al- leindiele camp ennemi; la seconde, qui fut poussée jusqu'àSierck se trouvaient les émigrés, amena la destruction d'un autre convoi plus impoi tant encore îi faire disparaî- tre.... c'étaient (les boulets et delà poudre. Le siège levé, le corps franc revint à Metz, la recon- naissance publique lui vota une 13

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couronne civique. Il repartit bien- tôt pour rendre aux Prussiens in- vasion pour invasion; et il fit la campagne deia Sarre (toujours en iT92, ou plutôt pendant l'hiver de 1792 à 1793). Il alla se joindre en- suite à l'armée de Cuslinc qui ma- nœuvrait le long du Rhin, et prit une i)art des plus vives k l'affaire d'Allsladt. Vd , Vaudoncourt, au milieu de rengagement eut à pren- dre le commandement à la place de son père, qu'un coup de feu venait d'atteindre; et il se maintint devant des (brces ennemies fort supérieures dans une position très- im|)ortante, couvrant deux ponts à la conservation desquels l'avait pré- posé Custine. La même année le vit passer au corps des Vosges sous le général Sully, qui le mit k la tôle de l'avant-garde. Le jeune officier y déploya plus brillamment que jamais le sang-froid et l'intré- pidité qui ne l'abandonnaient ja- mais. Il surprit au mois de juin louie la ligne des avant- postes prussiens devant Deux-Ponts, les refoula dans la ville et réduisit le général prince de Hohenlohe à s'établir en arrière. En juillet et en août, Ilombourg, la forte position du Karisberg et Landstahl, furent enlevés par Vaudoncourt, toutes opérations de nature à ouvrir aux armées de la Moselle et des Vosges la route de Mayence bloquée par l'ennemi et h faciliter la délivrance de la place. KnOn en septembre, le 14, fut livrée la bataille de Pirma- sens. C'est Vaudoncourt qui, m;ir- chant en lète de son avant-garde, ouvrit le passage à toute l'armée ce jour-là; il fut jirodiguc de sa personne et ne reçut uas moins de six blessures : aussi f;illui-il le re- lever du champ di^ bataille; encore n'est-ce pas par des concitoyens

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quMI fut relevé, ce fut par des mains prussiennes, et il resta plus d'un an prisonnier de guerre. La perspective de la paix de Bûle en- fin amena la reddition des prison- niers (179o). A peine eut -il remis le pied sur notre sol, qu'immédia- tement il reprit du service, non plus dans le corps des Vosges, il était dissous, mais dans la nouvelle armée qui cherchait -d se réempa- rer de Mayence : il y figura comme capitaine d'état-major. Nous ne le retrouvons après cela qu'à l'ar- mée dltalie en 1796 et 1797. s'ouvre pour lui une sphère d'ac- tivité nouvell3 : une stratégie plus brillante et plus savante accuriiule comme par enchar.tement victoires sur victoiies et le fait plus rapide- ment avancer de villes en villes : il s'initie pratiquement à la carie de cette Italie supérieure qu'il connaîtra si bien un jour et dont l'histoire contemporaine sera re- tracée de sa main. Le général en chef l'avait distingué, il avait re- connu de pi.'ime-abord en lui et la science de l'orficler d'artillerie et le talent de l'organisateur, en quel- que sorte hérité de son père. Lors donc qu'après les pi'éliminairesde Léoben il jugea l'instant venu de donner un e organisation régulière et permanente à l'armée cisalpine;, VaudoncotiM fut un de ceux sur lesquels il jeta les yeux pour coo- pérer à la réalisation de ce plan : il le nomma (le 23 fructidor an v, 8 seplembie 1797?) ...encore sep- tembre!) major d'artillerie; et quelques moi s après (en 1798 donc) il avait sous ses ordres comme commandanr», en chef tout le j)er- sonnel ei le matériel de l'artillerie de cette armne. Sa vaillance et son zèle ne f.iibl irent pas pendant les mauvais jour s qui suivirent : il ne

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tint pas à lui que la bataille de Aïagnano ne fût un succès éclatant; et quand, après l'événement il se fut rabattu sur Peschiera, il s'enferma, toujours commandant l'artillerie, son exemple et ses ha- biles dispositions contribuèrent à la vigoureuse défense de la place et certainement la prolongèrent : il ne put l'impossible cependant, et la majorité du conseil de guerre, au bout de quarante jours, décida que l'on se rendrait : non-seulement Yaudoncourt opéra en sens con- traire, mais il rédigea une protes- tation, qui fut rendue publique, contrôla reddition. C'était en 1799. L'année suivante, il se chargeait pendant le siège Je Gènes, Masséna, numériquement très- inférieur, avait sur les bras les Autrichiens du côté de la terre et de l'autre la flotte britannique, d'une délicate et périlleuse mis- sion de scivice, et il réussissait eu plein, filant, i;lissant, i l'idleret au retour, aii milieu des croisières, des God save ihe king et des Rule Britannia, etc., rendant sain et sauf au premier consul un rapport écrit (\c Masséna. La victoire de Marengo vint bientôt après trancher le nœud gordien des gi andes questions eu- ropéennes,et l'Italie put r(spirer,dc- barrassée du cauchemar autrichien. Yaudoncourt venait alors de rece- voir sa nomination de colonel. Le Tainqueiir le désigna pour l'expé- dition complémentaire en Toscane, où, (juelque simpliliés que fussent alors les problèmes, il fallait en- core pourtant se donner la ptine d'aller tirer les corollaires du syl- logisme si bien décoché sur les rives de la Borniida. C'est donc 1^ qu'il acheva sa campngnc de 1800, comme commandant en chef de l'ariillerie cisalpine ; dès septem-

bre, au reste, il n'y eut plus même ombre de conflit. La paix signée l'année suivante à Lunéville ne le rendit pas à la France : le pre- mier consul trouvait bon qu'il de- meurât en Italie, le gouverne- ment cisalpin le nomma directeur général du matériel de l'artillerie, ce qui mettait en ses mains d'une part l'étabissement des arsenaux, des fonderies, des manufactures d'armes, de l'autre la direction supérieure de l'armement des pla- ces. Tout fut organisé sur le pied français: la république cisalpine allait devenir une autre France, et, quels que pussent être ses destins ultérieurs, elle s'initiait par cette rapide assimilation à la vie admi- nistrative, et, par suite, à la vélo- cité de pensée, aux habitudes, aux idées même de la France lenou- velée, toutes modiflcations qui portaient en germe sa palingénésie, Sun indépendance nationale et en- fin son unité. Pour consolider l'œu- vre préparatoire, le premier consul, qui jamais ne s'endormait sur ses lauriers et qui ne pensait pas que, toute battue à plate couture qu'elle eut été dans deux luttes à toute outraiice, l'Autriche ne reprit fan- taisie de tomber sur l'Italie, pensa dés 4802 à se tenir sérieusement en garde devers le Pu et l'Adige. Yaudoncourt eut part ii toutes les mesures prises en ce sens, mesures dont l'initiative parlait de Paris; et on le vil successivement ou si- multanément membre de la com- mission de défense (1802), membre du comité de législation militaire (1803) t'i directeur organisateur du dépùt de la guerre établi à Milan. Les prévisions d'en haut étaient justes : Tannée même l'empe- reur des Français (c'était la nou- velle qualification du premier cou-

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sul) recevait la couronne de fer, l'Autriche , toujours à la solde de l'Angleterre en même temps qu'agiiée par ses vieilles ambitions et ses vieilles rancunes, non-seu- lement déclarait la guerre à la France, mais réenvahissait la Ci- salpine. Bien que les événements décisifs aient eu lieu en Allemagne d'abord (Ulm, etc.), puis dans les États héréditaires, cette arche sa- crée des prétendus Habsbourg, les frontières de la Vénétie furent le théâtre de quelques petites péri- péties guerrières. L'archiduc Jean y commandait les ennemis; ce n'é- tait pas un prince Eugène, mais il conduisait de bonnes troupes : la diversion n'était pas mal ima- ginée. Elle n'aboutit pas, comme on sait, et l'armée franco-italienne, après avoir culbuté ses adversaires, franchit les Alpes Juliennes et planta ses drapeaux sur les hau- teurs du Sœmmering. Comman- dant de l'artillerie italienne et di- recteur général des parcs de l'ar- tillerie française, Vaudoncourt eut sa pari de gloire et parfois de dan- gers d'un bout à l'autre de cette campagne, au delà comme en deçi» des monts; il eut ensuite à com- mander l'artillerie du siège de Ve- nise (au commencement de 180G) , et c'est lui qui fui chargé de pren- dre possession de la place. La paix rétablie, on supprima la direction générale de l'artillerie cisalpine; mais le gouvernement ne cessa d'utiliser le talent organisateur de Vaudoncourt. C'est lui que fut confiée l'orî^'anisation de l'artillerie îi cheval, cett«- création, l'objet de tant de sarcasmes de la part de Courier, plusspiritu<;l celte foisfjue raisonna- ble,s'il estvrai qu'on puisse vraiment avoir de l'esprit lorsque Ion n'a pas raison. 11 eut ensuite le com-

mandement de ce corps qu'il ve- nait d'organiser, et à cette position il joignit le commandement de l'é- cole d'artillerie et la d rection de l'arsenal. Jusqu'ici Vaudoncourt ne s'est fait voir à nous que comme militaire : 1807 va nous le montrer sous une autre face. C'est l'année la Prusse, écrasée dans ses pro- vinces allemandes, va traîner la lutte dans ses provinces slaves, et FriedIand va parfaire léna. Mais avant d'en arriver là, il faudra se mesurer avec les Russes; Frédéric- Guillaume était seul en 1806; en 1807 Alexandre I" l'appuie. Alexan- dre, bien conseillé, avait formé le plan, pour opérer une diversion, de dirigersur la Calabre un noyau de Moscovites qui provoquerait l'insur- rection du pays. Malheureusement pour la réussite de l'entreprise, Na- poléon enfui instruit, et par ses or- dres, que lui transmit le prince Eu- gène, Vaudoncourt alla par delà les limites de la chrétienté chercher les moyens, les éléments d'une di- version contre la diversion proje- tée; il parcourt la Bosnie dont il voit, les unsaprès les autres, les di- vers beys et les fait entrer dans ses vues ; il amadoue le pacha de Scu- tari;il excite, ce n'était pas difficile, par l'espoir d'un territoire de |)lus et par la certitude d'une proie fa- cile, le fameux Ali-Pacha, disons plutôt l'obscur Ali-Pacha, dont la célébrité comme les relations avec l'Europe ne datent vraiment que de l'époque de celte mission. Pa- chas et beys fondent tout à coup sur Corfou, sur Sainte-Maure ; les fils d'Albion et de Tlngrie, qui se préparaient à venir charger de la laine dans les Calabres, s^perçoi- vent que d'antres plus prestes sont en train do la tondre chez eux et y courent. Eylau et FriedIand met-

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tent sur l'entrefaite Français et P russo-Russes aux prises ; puis, sur le radeau de Tilsilt, s'embras- sent les deux autocrates, entre qui désormais se partage l'Europe chré- tienne. L'épisode italique de la guer- re de Prusse est terminé: l'ambas- sadeur Vaudoncourt ^ambassadeur botté, on le voit, comme il n'en manquait pas à celle époque, du moins de noire côlé) a joué au mieux son rôle dans celle petite pièce, inséparable de la grande. Aussi l'année suivante est-il nom- mé adjudant-général, soit en ré- compense de ses récents services, soit surtout parce qu'une nouvelle guene, jjarce qu'une quatrième at- taque de l'Autriche est déjà prévue par l'empereur. Le printemps de 1809 réali.-e la prévision. C'estdans celle mémorable année, marquée en traits ineffaçables pour l'Autriche par le désastre de Wagram, que Vaudoncourt, placé déjà très-haut dans l'estime de tous, acheva de déployer tout ce qu'il possédait d'activité, de sang-froid, de lact militaire. Il remplissait les fonc- tions de chef d'élal-major de l'ar- mée d'Italie. Le 22 avril un pont de bateaux ayant été jeté sur l'A- dige par ses ordres, il força, non sans opiniâtie résistance de l'en- nemi, le passage du fleuve, et s'éta- blit avecquinze cents hommes sur la rive droite, donnant ainsi l'exemple à d'autres corps qui s'empressèrent derimiier,d'oùrésulta, pourleslla- liens et les Français, un avantage important. Quand, uu peu plus tard, il fut clair que l'on ne pour- rait le conserver, l'affluence des Autrichiens augmentani sans cesse et même élanl au momeril de met- tre les noires en dauger, Vaudon- court engagea deux fois la lutte avec la division autrichienne Gold-

schraidt, que, chaque fois, il refoula en lui tuant beaucoup de monde ; et, par ce double succès, il couvrit la position capitale de Rivoli, la- quelle mettait à l'abri de danger les colonnes en retraite, c'est-à- dire toute l'aile gauche. Le mou- vement rétrograde ne pouvait du- rer. La marche en avant reprit bientôt. Vaudoncourt prit part à celle foule de petites affaires quoti- diennes de la Brenla, de Tarvis, de Malboighetto, de Saint-Michel, préludes de la bataille de la Piave et de l'entrée dans l'archiduché d'Autriche. Il se couvrit de gloire surtout à la bataille de Raab ; et quand Raab nous eut ouvert ses portes, il en fut nommé gouver- neur. L'archiduc Jean vint mettre le siège devant la place, il la dé- fendit avec succès. Le vice-roi d'I- talie, ou l'empereur, lui témoigna sa satisfaction de cette utile série de beaux faiis d'armes par le bre- vet de général de brigade, par le titre de baron du royaume d'Italie, et par une dotation en Tyrol, Les paisiblesannéesISlOet 1811, bien que vides de guerres italiennes, ne furent pas pour lui des périodes de repos : diverses missions d'organi- sation, d'inspeeiion, de comman- dement se partagèrent toutes ses semaines, toutes ses heures. Vint 1812 : celle fois, après la ni d'an- nées, pendant lesquelles nous l'a- vons vu, à peu de chose près, in- féode à la Péninsule, il s'éloigne de riialie avec le prince Eugène et son armée, qui va former le qua- trième eorps de la grande armée napoléonienne, qui va vaincre à l'.orodino, Slagno, à Moskou, et périr dans les neiges qui sép'.renl le Kremlin du Niémen. Vaudon- court, toujours avec le prince Eu- gène, qui pendant la désastreuse

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retraite mérita si bien de la France et de l'armée, avait, à la suite de tant de fatigues et au milieu de tant de malades, puisé lesgermes du typlius; il s'alita dès qu'on fut à Vilna, et il fallut l'y laisser. Les Russes ne tardèrent pas à s'empa- rer ûd sa personne, et il resta pri- sonnier jusqu'à la paix. De retour, en 1814, il fut compris parmi les généraux mis en non-activité. Aus- si, pendant les Cent Jours, il fut prompt à reprendre du service. De général de brigade, il passa général de division; et Metz le revit chargé cette fois d'organiser la garde na- tionale. Il se tira de celte mission avec la même célérité, avec le mê- me bonheur. La confiance et l'af- feciioLi de ses concitoyens, heureux d'avoir dans leurs murs un de leurs pluis nobles enfants, avaient d'ail- leurs singulièrement facilité pour lui le travail. Ils se plurent notam- ment à le lui témoigner par leurs acclamations à la grande revue de juillet 1815, et bientôt ils le por- tèrent à la |)résidence de la conté- dération de la Moselle. Recom- ma[jdé par ce choix même et j)ar ses convictions au courroux des adiiérenls chaleureux do l'ancien régime, il eut bientôt des risques sérieux ii courir. Il fut mis en ju- gement dès l'année qui vit revenir les Bourbons : nous ignorons ce qu'eût été le jugement s'il so fût présenté au tribunal, mais il fut de l'avis d'un de nos amis qui termi- nait ainsi je ne sais plus quel apo- logue, au temps il ne s'était pas encore attaché à la glèbe de la rime riche :

Ceci fait tôt qu'en mainte cirrsrisUncc L'agilité tant mieux que 1 éloqueuce.

et il crut bon de mettre la fron- tière entre la cour prévolale ellui :

ses juges le condamnèrent à mort par contumace ; faible consolation quand on le savait en liberté, et faible moyen de réconcilier la France nouvelle avec la dynastie revenue à la suite de Waterloo. Les replâtrages qu'avait bâclés la Sainte-Alliance ne tardèrent pas à se lézarder de plus d'un côté : l'é- tincelle partie de l'île de Léon avait mis le feu à Naples dès 1820, au Piémont dès 1821. Les révolu- tions opérées en un clin d'œil sur ces deux théâtres donnaient l'éveil non seulement à la Péninsule as- servie, mais à toute l'Europe; on s'attendait à voir ce que nous voyons en train de s'accomplir au- jourd'hui : l'Italie ou partie de l'Ita- lie ressaisir son indépendance. Vau- doncouri était alors depuis cinq ans auprès du nrince Eugène à Munich, il s'était rendu après un court séjour en Angleterre. Il fut choisi par le prince (ou plutôt c'est lui ([ui plus que tout autre avait donné au prince l'idée de ce j)lan) pour aller se mettre à la tête des forces militaires du nouveau gouvernement piémontais et ten- ter le rétablissement du ci-de- vant royaume d'Italie en faveur du vice-roi, dont le nom était en ces parages plus populaire que jamais. Alexandre adhérait positivement k ce premier remaniement des traités de 1815, et en temps et lieu aurait déclaré son adhésion. Le moinent était favorable : le prince de Cari- gnan par sa défection s'était placé dans l'impossibilité, eùl-il eu et lui eùt-on cru des talents, de con- duire une entr(3prise hostile à l'Autriche. Vaudoncourt se rendit donc muni des pleins pouvoirs du prince à Turin, et un j)remier suc- ces sembla d'abord en garantir d'autres; il obtint le commande-

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ment gênerai de i'armée piémon- laise. Malheureusement cette armée était trop faiblement numérique et d'une orjranisation impossible, vu le peu de temps qu'on avait; les Autrichiens fiient éprouver un échec au génér;il qui commandait la colonne de Novare. Mais ce n'est pas tout : l'échec de Novare sans doute était fâcheux; toutefois ce n'était pas un mal irrémédiable. Mais les membres du irouvernement n'avaient ni cette intrépidité per- sévérante qui fatigue la mauvaise fortune, ni cet esprit de ressources qui la dompte, ni l'accord de vues: ils désespérèrent un pou vite, à notre avis, bien que nous sachions à quel point l'on joue gros jeu et l'on engage sa responsabilité en s'obstinant à la lutte sans forces qui soient au moins du quart de celles qu'il s'agit de combattre; ils se dispersèrent; l'armée fut iicen- ciée. Vaudoncourt, sans soldats, n'avait plus qu'à se retirer. Ce ne fut pas chose facile; on tenait à l'avoir eu main, et le tribunal de- vant lequel on l'eût nmené (si l'on eût daigné s'astreindre à la forma- lité d'un tribunal) n'eût pas mon- tré beaucouj) plus de commiséra- tion ou d'intelligence que la cour prévôiale française. Apres beaucoup de fatigues et de dangers pourtant, et à force de j)résence d'esprit, il put atteindre Gènes, et de il lit voile pour l'Kspagne. 11 y resta jus(|u'ii l'expédiiiou française (1823); mais quoique n'eu pouvant voir le but qu'avec répuliion, il ne recher( ha ni n'accepta de porter les armes contre le drapeau fran- çais. Après le rétablissement de la monarchie, il reprit encore le cours de ses péréj;rinalions, et il revit l'Augleterre. Celle expatriation du reste allait désormais n'èire que de

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courte durée. L'amnistie du 28 mai 4825 le mit à même de rentrer en France dès qu'il le voudrait; il se hâta d'eu profiter. Toutefois il fut radié des contrôles de l'armée et mis à la réforme. On comprend qu'il n'en devint pas plus enthou- siaste des Bourbons. Mais du moins s'il fut réduit à l'inertie à l'âge des hommes de son étoffe peuvent rendre encore tant de services, il eut le plaisir de voir, à partir sur- tout de l'année qui suivit la mort de Louis XVIII, l'infortunée dynas- tie s'aliéner de jour en jour les sympathies, attiédir ou offenser ses propres amis, perdre dans la presse, perdre dans la chambre des pairs, perdre dans l'opinion des chancelleries étriingères et marcher visiblement de |)lus en plus vite vers sa ruine. On dirait qu'il se tenait prêt pour cet ins- tant, sans toutefois être infidèle à ce désintéressement, le plus beau fleuron de la conronue d'un homme politique. La lutte des trois jours n'était pas encore ter- minée, en 1830, qu'on vitsonnom. ligurcr sur la liste des généraux qui se ralliaient au mouvement. La démarche n'était pas sans ris- que encore; il commandait les quartiers des Tuileries et du Roule à l'avant-garde de l'armée jiarisienue. La branche aiuee dé- liniiivemenl mise hors de cause, mais la branche d'Orléans prenant enfin la phtce si longtemps et si studieusement guellée, il se trouva tout naturellement que Vaudou- court ne se sentit pas plus d'at- trait pour le raailre nouveau que le nouveau maître n'en é|)r(UiviMl pour lui. La première conséquence de ce manciue de sympathie fut qu'il ne garda point de coinmau- demenl à Paris : on l'exila en

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quelque sorte, sous d'assez grotes- ques prétextes, dans les départe- ments du Finistère et de la Cha- rente : il s'agissait d'oiganiser eu ces lointaines provinces la garde nationale. 11 eut le temps d'en mettre sur pied une des plus bel- les à Brest. Mais la monarchie de fraîche date, qui n'avait pas plus de goût que Charles X pour la mi- lice citoyenne, bien qu'elle ne fût pas issez naïve et mal avisée pour froisser les susceptibilités natio- nales en la cassant, ne le seconda que mollement après qu'il eût trop bien réussi parmi les Bretons, puis lui signifia d'ajourner, et ensuite, quand il eut obtempéré à l'ordre reçu, remit de jour en jour à l'em- ployer, de telle sorte qu'en fait il ne fut pas même mis en disponibili- té ; il fut derechef mis à la retraite. L'histoire contemporaine doit à cet honorable et habile officier général plusieurs productions qui prouvent sans doute quelques ha- bitudes heureuses de rédaction et même de style, si l'on veut, mais que recommandent surtout l'abon- dance et l'exaciitude des rensei- gnements de visu. Ce sont quatre monographies des campagnes fi- nales de la période impériale et une monographie, monument en même temps de reconnaissance et de talent historique. En voici les titres: I. Mmoires pour servir à l' histoire de la fjuerre entre la France et laliussie en t8l2, Londres, 1816, in-4% pi., auxquels il faut joindre sa tn\s-remarquable/?e/r7/W7i impar- tiale du pnsHarje de la llérésinn par l'armée française en i8l2, Paris, 1 8 f 5 . i n-8 ' . If. Histoire de la gueire soutenue par les Français en Alle- mafjne en 1813, 2 v. in-i. JII. !\fé~ moires sur la campofine du vice-roi en Italie en 1813 et 18U, Londres,

1817, in-4*, atlas. IV. Histoire des campagnes de 1814 et 1815 en Fmnrc, etc. Paris, 1826, 5 v. in-8*». V, Histoire politique et militaire du^ prince Eufjène Napoléon, vice-roi' d'Italie. Paris, 1827 et 1828, in-8\ A ces ouvrages, qui tous rouleut sur des sujets presque de notre ûge, puisque la génération entrain de s'éteindre les a tous vus, doit s'en ajouter un d'un tout autre genre, non moins curieux quoiqufr moins palpitant d'actualité, presque actuel du reste en ce qu'il fut ré- digé sous la pression des grands faits d'armes du jour et avee l'idée secrète de comparer à la façon de Plutarque dans ses vies parallèles les plus célèbres campagnes dont l'Italie antique ait été le théâtre avec les plus célèbres campagnes modernes. C'est V Histoire des cam- pagnes d'Annibal en Italie pendant la seconde guerre punique, suivie de l'Abrégé de la tactique des Romains et des Grecs, etc., Milan, 1812, 3v, in-4°, atlas. Val. P.

VAUDREUIL (Jean -Louis de BICAUD, vicomte de) était le cou- sin issu germain du comte Joseph- François de Paule, le pair de France et gouverneur du Louvre, dont l'article peut se lire, XL VIII, de la Biographie. C'est dire qu'il avait pour aieul paternel le mar- quis de Vaudreuil, si connu comme gouverneur général du Canada, sous Louis XIV et Louis XV, de 169S i72:>. De ses deux lils les plus remarquables, l'un aussi a déjîi son article biographique h la suite de celui de son père (même vol.), c'est lui qui mourut en 1802. L'autre, dit vicomte de Vau- dreuil, se distingua pareillement dans la carrière militaire, il vit la guerre de la succession d'Autriche et la guerre de sept ans. Lieute-

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nant générak, il remplit les fonc- tions de major général de l'armée pendant les campagnes de Flandre, sous les ordres des maréchaux de Saxe, Bellisle et de Brog!ie;il reçut en récompense de ses services la grande croix de l'ordre de Saint- Lazare; comme dignitaire de l'or- dre il eut rhonneur de recevoir Monsieur, depuis Louis XVIII; au moment ou S. A. R. prit l'ordre sous sa protection, il en fut déclaré Je grand-maître. Jean-Louis, son fils, l'objet de cet article, naquit en 1762, et dès l'entance fut destiné à la carrière des armes. Dès quinze ans en effet il entra au service dans le régiment de Dragons-Dauphin, que commandait son cousin plus haut nommé, lequel, ainsi qu'on peut le voir, était son aîné de vingt-deux ans. C'était au moment Louis XVI, obéissant aux géné- reuses inspirations qui furent tou- jours son premier mouvemeni, et jaloux de compenser les ignominies de Louis XV en humiliant à son tour l'implacable ennemie de la France sous tous les régimes, allait prouver, autrement que par des paroles, sa sympathie ii l'égard des colonies anglo-améiicaines en ré- volte contre l'arrogante métropole. Le jeune officier partit avec les troupes françaises envoyées au se- cours de cause de l'indépendance et servit en (jualité d'aide de camp du chevalier de ClKisteliux; il eut part à bon nombre d'engagements importants et partout sa bravoure fut celle de sa naliou et de sa race. Il fut décoré de l'ordre de Cincin- natus. Peu de temps après son re- tour, il fut nommé colonel (1705); il n'avait alors qu(3 vingl-lrois ans. On voit quel magnifique ;jvenir militaire se développait devant lui ; et nul doute que la France n'eût eu

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en ce jeune militaire un de ceux qui devaient ajouter à ses gloires, si des circonstances de force ma- jeure ne fussent venues la tra- verse. La révolution éclata en 1789; bien avant qu'elle eût été poussée à ses graves excès, et quoiqu'il n'eût pas impunément respiré l'atmosphère américaine, il avait, à l'instardes ennemis préma- turés et systématiques de la réno- vation, émigré en Allemagne, et de longtemps il ne pouvait échap- per à ce dilemme, ou tirer l'épée contre la France (triste gloire, eût- il vu les siens vainqueurs!) ou laisser l'épée au fourreau (com- plète absence de gloire... militaire du moins!) Le jeune émigré eut ces deux malheurs. Il fut de ceux qui en 1792 envahirent la France à la queue des Prussiens,... nous disons à la queue, puisque la jalousie prussieiine ne permit jamais qu'un corps français fût à l'avaut-garde, et que les pauvres émigrés armés étaient ii Sterk, tandis que le duc de Brunswick s'avançait dans l'Ar- gonne; cruelle leçon pour ceux dont la foi robuste croit aux sym- pathies chevaleresques des chan- celleries et des coiuloltieri. Vau- dreuil à cette époque était aide de camp de Monsieur; ce général i)eu belliqueux ne l'envoya pas porier beaucoup d'ordres au travers des escadrons; et tel est le résultat des folles alliances , ils virent leurs minces forces subir le même sort que leurs avides et sournois adver- saires,... s'ils plièrent ce ne fut pas sous le poids des lauriers; seu- lement nous nous plaisons à re- marcpuT qu'ils ne furent pas bat- tus. Deux ans et plus ensuite se passèrent sans ()ue l'émigration pût donner signe de vie par les arm<'s. Enfin les braves d'entre eux purent

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lever la lète : l'expédition de Qui- beron fut comblTiée plus vaillam- ment qu'^ sagement, on le sait. Il n'y avait pas de Machiavel parmi ces confiants gentilshommes qui s'embarquaient sur la foi de l'An- gleterre, il y en avait au ministère britannique, toujours en déliance des Français, mf^ne quand ils se préparaient à (D\re du mal à la France. Les meneurs de Paris fu- rent doue sinon renseignés , du moins mis sur la voie, et de sur- tout, plus que de toute autre cause, l'issue désastreuse de l'entreprise. Le vicomte de Vaudreuil avait été dans l'intention d'y prendre part, et dans ce but il avait fait voile d'Allema- gne en Angleterre, accompagné du régiment de Choiseul ; mais le mi- nistère anglais fit surgir des entra- ves à leur prompt départ, et le coup de foudre qui mit brusque- ment fin à l'expédition rendit inu- tile autant qu'impossible tout mm- vement ultérieur. Le vicomte, af)rès cet échec, qui pour si longtemps ajournait les espérancss des cham- pions de la légitimité, alla rejoindre Louis XVIII en Kcosse, déjà se irouvaieiït plusieurs des autres menabres de sa famille et notam- ment son cousin. Jeune encore. puis(iu'il ne comptait pas encore trente-cinq ans, il avait le regret de n'être guère plus actif de ses jambes que son maître et de ne pas se sentir en possession de toute celle force et cette vivacité mentale, apanagt; usuel de l'âge viril et qu'il eût été heureux de mettre au ser- vice (le son prince. Une maladie cruelle, et qui déjoua l'art des plus habiles praticiens, l'atrophia de plus en pius au physique et au mo- ral, en le conduisant au tombeau par un lent dépérissement et par des souffrances aigiies comme l'a-

gonie. Le rétablissement des Bour- bons , en 1814 , fut comme un rayon de soleil au milieu de ces ombres épaissies sur sa vie. Il vît de même, après la courte éclipse des Cent Jours, la légitimité re- brîller sur le trône de tout l'éclat que peut avoir un succès à tant de pertes de sang, de pro- vinces et de millions; mais il ne survécut que peu de temps à ce dernier événement, et il alla, beau- coup plus jeune que la plupart d'entre eux, rejoindre ses ancêtres dans le caveau de famille, le 20 avril 1816. Voy. l'article suivant.

Val. p. VAUDREUIL (Alfred, vicomte de), deuxième fils du précédent, le l'^' janvier 1799 en Ecosse, nous avons vu son père passer les dix-sept ou dix-huit dernières an- nées de l'émigration, profita re- m.arquablement des soins donnés à la partie sérieuse de son éducation, et se familiarisa de bonne heure, tant par la conversation de son père, qui n'avait |)oint oublié les beaux jours de l'Amérique indé- pendante, que par l'air même qu'on respire dans cette île, la terre classique des idées constitution- neiles, avec des idées moins abso- lutistes que celles de la plupart des expatriés de sa castç. De re- tour en France à la suite de l'im- mense chute dont le 30 mars 1814 avait été le résumé, il se décida provisoirement à suivre comme ses ancêtres la carrière militaire, et entra de prime-abord aux che- vau-légers, puis a|)rès les Cent- Jours (^pendant lesquels il avait quitté le sol français pour revoir Albion), il passa des chevau-légers dans les hussards de la garde royale (octobre). Mais il n'y resta pas non plus longtemps. Soit qu'il

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eùtrhumeur moins belliqueuse que sesaïeux ^soD père, en effet, étaitdéjii maladif el réduit à la vie casanière k l'époque de sa naissance), soit qu'après les traités de Vienne, qui semblaient avoir réglé pour long- temps l'équilibre de l'Europe, sa carrière militaire fût loin d'offrir, en France du moins, la brillante perspective et le prestige dont elle eut longtemps le privilège, soit en- fin que les études et les prédilec- tions sérieuses dont plus haut nous avons touché un mot, se fussent brusquement mises en recrudes- cence, soit par suite de quelque autre raison inutile à chercher, il déclara qu'il se sentait de la voca- tion pour la diplomatie. Un nom comme le sien, classé parmi les plus beaux noms de France, étiiit le « Sésame, ouvre-loi. » Il ne larda pas à prendre pied à l'étrier en qualité d'attaché. Naples fut le lieu (Je son début (1816). Nommé en- suite secrétaire de légation, il ré- sida successivement à La Haye et il Cassel. Plus tard, nouvel avan- cement : le secrétaire d(! légation devint secrétaire d'ambassade , à Londres d'abord, l'on élaborait ;i coalition dont le résultat fut la grande victoire de Navarin, ensuite à Lisbonne (en 1827), par in- térim il remplit les fonctions de chargé d'affaires. Uien de moins facile à démêler et plus encore à mener à bonne fln que les négo- ciations alors pendantes entre dun Miguel, alors le inailre de fait du Portugal, et la France qui ne de- mandait qu'à r.ippuyer contre l'Angleterre et les leonistes, mais qui souhaitait voir son absolutisme marcher dans des voies plus con- formes à l'esprit moderne el qui n'aliénassent pas de lui ses sujets les plus fidèles. S'il n'y reu>sil

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qu'en partie, le ministre des affaires étrangères n'en apprécia pas moins le talent d'observation, la justesse de jugement, la finesse de vues, la solidité de plan, enfin la netteté en même temps que la grâce de rédac- tion dont le jeune diplomate offrait le modèle. Il fut admis dès lors que nulle mission n'était trop h:iute pour ses capacités, et qu'un temps viendrait bienlot les positions diplomatiques les plus enviables seraient de droit pour lui. C'est en ce moment qu'il épousa mademoi- selle Collo', la fille aînée du di- recteur général de la Monnaie de Paris... Fortune et beauté du même coup lui échurent en partage. Il se rendit ensuite à Londres, en 1828, avec le litre de premier secré- taire de l'ambassade française; et comme tel, il eut part aux ma- nœuvres, parfaitement de bonne guerre, par lesquelles furent endor- mies en partie lesdéliances anglai- ses relativement à noire première expédition en Algérie. Assez long- temps les ministres anglais et leurs convives ou auiies champions de (|uioonque tient la feuilU; aux si- nécures, se laissèrent dire ou ima- ginèrent naïvement qu'il ne s'a- gissait là (jue de tirer vengeance du coup d'éventail ou d'en tinir avec l'affaire Bakri; puis, quand la grandeur des préparatifs eut prouvé (luil se brassait ^ous ro- che quelque chose de plus, ils se !al: sèrenl convaincre que la France n'allait conquérir ([ue pour rendre cl que, après avoir installé quel- ques échelles ou comptoirs sur la cote mediterraiiéemu', elle s'em- presserait de restituer le pays ;in dey légitime. Vint iinniédialemenl. après la coniiuèie la révolution des trois journées (1830). La po- sition de Vaudreuil se trouva subi-

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tement des plus incommodes et des plus tausses; d'une part, il est visi- h\e que Tinstant approchait le ministère britannique nllait sommer la France de réaliser les pro- messes explicites ou implicites en vertu desquelles on Tavijit laissée se mettre en possession d'Alger et de ses entours; de Taulre, le fils d'un des fidèles de la dynastie bour- bonienne et de la monarchie sem- blait ne pouvoir seconder de sa coopération un gouvernement qu'on ai)pelait usurpateur et subreptice. L'embarras de notre premier se- crétaire ne fut pas long : il venait à peine de prendre la résolution de continuer àservirtoujoursia France, sans examiner quel principe et quel homme la gouvernait, d'autant plus que la monarchie restait debout et quil n'y avait changement que de branche et non de dynastie (toutes considérations que nous avouons ne pas émaner d'un royalisme bien fervent), lorsque Talleyrand vint, muni du titre d'ambassadeur ex- traordinaire, le relayer et le dépos- séder. Il fallait en effet celte archi- machiavélique expérience des vieux complots éventés de i816 et autres pour aborder le traité morganatique en vertu duquel le Foreing-Office allait devenir le patron compro- mettant de Louis-Philippe et l'ar- rogant allié de la France. Le vi- comte Alfred, cependant, ne fut pas évincé de la liste des agents diplomatiques; il s'était rallié trop vite et trop haut pour ôtre suspect d'arrière- pensée : il fut chargé de la légation de Weimar, création récente alors et tout était encore k faire. Il s'y remlit sans retard et réussit dans sa mission an-delîi de tout ce qu'il devjiit espérer. Bien qu'aussi étranger naguère à l'Alle- magne qu'il était fr<miliarisé de

longue main avec la Grande-Breta- gne, il se sentit Ui comme en son élément. Une ville dite avec raison l'Athènes du Nord, une cour éprise de toutes les élégantes et initiée au culte de l'art sous lotîtes les formes, ne pouvait que charmer un des représentants, un des di- gnes héritiers de cette vieille aris- tocratie française, le point de dé- part et le type de tout ce qu'il y avait d'urbanité, de grâce exquise, de formes charmantes d'un bout à l'autre de l'Europe. Tout lui plut dans cette atmosphère parfumée de science du monde et de poésie de- venue presque chez des courtisans seconde nature; il plut lui-même, tant par lui que par ses entours, non-seulement aux oisifs de la cour et aux étoiles de seconde classe, mais aux sommités officielles, non- seulement aux sommités officielles, mais à toute la ville. Les lettrés et les penseurs se pressaient à ses soirées; Goethe, malgré son grand âge et SCS infirmités, Goethe, dont la tin dès lors était imminente, ai- mait à passer des heures entières à s'entretenir avec le couple char- mant que le monarque de France semblait avoir trié tout exprès pour la délicatesse des habitudes et (les mœurs weimariennes. Le vicomte Alfred ne s'endormait pas dans cette Capoue, et l'on nous as- sure que d'une part la perfection avec laquelle il s'acquittait de tous les détails de son emploi, de l'au- tre, les rares qualités de sa ré- daction coulante, nette et sensée avaient provoqué àdiverses reprises l'admiration en haut lieu. La preu- ve ne s'en lit pas longtemps atten- dre : l'ambassade de Munich étant venue h vaquer en 1832, c'est lui qui fut désigné pour aller en rem- plir les fonctions en qualité de mi-

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nistre plénipotentiaire. 11 n'arriva qu'en décembre de celte année; et déjà, réussissant en cette nouvelle résidence non moins quà Weimar, ayant eu l'arl de captiver l'affec- tion et la confiance du souverain de !a Bavière, sans compromellreen quoi que ce fût soit les intérêts, soit la dignité de la France, très- instruit d'ailleurs de tout ce qui touchait à TAUemagne, tant par ses études récentes depuis son séjour à Weimar, que par les voya- ges qu'il avait faits en celte région penc/ant les moments de relâche qu'il savait se créer, il avait aplani il la satisfaction du cabinet de Pa- ris les principaux obstacles qui nuisaient à l'entente des Tuileries avec Munich, lorsqu'une maladie, dont la la gravité ne fut pas immé- diatement aperçue, le contraignit à prendre le lit, puis à suspendre tout travail. Le péril devint bientôt sensibh ; parents, amis accoururent et lui prodiguèrent leurs soins, mais en vain. Il mourut après avcijr lan- gui trois mois le 3 novembre 4834, les laissant dans le deuil et dans les larmes. Val. P.

VAUGEOIS (Gabriel) , anîi- quaire de mérite, naquit à Laigle eu 17o2, mourut à Laigle en 1839, mais ne s'infcodapos quatre-vingt- sept ans durant à Laigle. Au con- traire, il s'arrangea, sans aspirer précisément à faire le tour du monde, pour voir du pays. Au sor- tir du collège, où, parmi ses con- disciples, il avait compte Hrissot et Pélion, il étudia les lois et coutu- mes (on n'en était pas encore alors au Code Napoléon), et il entra dans la magistrature. La révolution in- terrompit momentanément sa car- rière; mais, dès (|n'un commence- ment d'ordre fut rétabli, la carrière se rouvrit pour lui sans difticulté ;

elle s'améliora même, et, finale- ment, nous le retrouvons, au temps de l'Empire, président de la cour criminelle de Namur. Sous la Res- tauration, il fut quelque temps dé- puté. Nous ignorons vraimentpour- quoi, car jamais il n'y brilla ni n'eut chance d'y briller : il n'avait depuis longtemps nul penchant pour la politique. Et même , on peut ajouter que s'il donnait des soins aux fonctions juridiques, et si, par des éludes suivies, il se tenait au courant, soit de la législation, soit de la jurisprudence nouvelle, c'é- tait par conscience plutôt que par goût. Son goût était pour des tra- vaux d'un tout autre genre et très- variés qui dénotent une rare acti- vité intellectuelle. 11 cultivait la physique et la chimie, la géologie et la minéralogie, et, pour se per- fectionner dans ces sciences, ou du moins d<ins les deux dernières, il voyageait loin et de sa résidence et de son pays : en Auvergne, en Vi- varais, en lieux divers qii conte- naient des volcans éteints. Il visita aussi la Suisse et la Savoie (1820). Plus tard, la passioii de l'archéolo- gie à laquelle, dès les pramiers temps, il avait sacrifié, dom.ina celle des sciences, 'que jamais, bien entendu, il n'abandonna ou n'oublia complètement. Ce changement eut lieu surtout après qu'ayant atteint l'Age nécessaire pour obtenir une pension convenable, il prit le parti 6? la retraite. Membre de l'acadé- mie de Caen, et pendant longtemps un des plus assidus aux nssembl -es pèriodi(|ues, il y fut souvent chargé de rapports sur les questions rt'lati- ves soit à l'une, soit à l'aulnr de ses spécialités. Il fut aussi de l'Acadé- mie celtique, au moins à titre de correspomlant. Son caractère doux et liant, éloigné de tout excès et

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de toute outrecuidance, l'avait ren- du cher à tout ce qui l'entourait, même à ce genus irrilabile, non de poètes, mais d'archéologues qu'il avait sans cesse en face de lui pen- dant son long séjour îi Caen. Tel le virent alors les savants et dilet- tanti, tel l'avaient trouvé jadis dans une tout autre sphère, ses amis et condisciples, Pélion et consorts, qu'il égala bien en patriotisme, mais dontjamais il nimiia, soit les exa- gérations, soit les prostrations et les faiblesses. Parmi les Mémoires et Notices qu'on doit à sa plume, nous citerons de préférence : I. Sa Lettre à M. Eloi Johanncau sur la pierre du diable^ à Namur, et sur l'élymo- logie du nom de cette ville, avec la réponse de M. E. Johanncau (dans \es Mém. de ï Acad. celtique, i. m, 180U). II. Son Mémoire sur les pier- res couplées de la forêt de Sainl-Se- ver (dans les Mém. de lasoc.des an- tiquaires de Normandie, t. ii, J825). III. Son coup d'œil sur quelques-unes des voies romaines qui traversent l'arrondissement de Mortagne (mê- mes Mémoires, i830). IV. La rela- tion de la tournée mi-scientifique, mi-archéologique mentionnée plus haut, et qu'il donna sons cet inti- tulé modeste, : Notice abrégée du journal d'un voyage archéologique et géologique, fait en 1820 dans les Al- pes de la Savoie et dans les départe- ments méridionaux de la France (dans les Mém. de la Société des an- tiquaires franc., t. ni, 1821). Un romancier de l'ancienne école, du même nom de Vaugeois (Ilippo- lyte;a publié, sans y mettre son nom et avec un collaborateur éga- lement anonyme, le Brigand de Langerooge. ou les ruines mysté- rieuses, par les deux ermites de Langerooge, (Paris, 1814, ;} vol. iri-12}. Tout se débitait à cette

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époque, quoique la révolution dé- terminée par la plume de Scott commençât à se dessiner ; et, en- couragé par un semi-succès, Vau- geois, seul cette fois, publia l'année suivante le Brigand saxon ou les Souterrains du comte de Honstein (le vrai nom est Hohnstein, mais l'on n'y regardait pas de si près), aven- tures d'un jeune officier revenant des prisons de la Bohême, Paris, 1825, 2 vol. in-12. Après ce second chef-d'œuvre, Vaugeois et son col- laborateur anonyme, qui s'appelait Pigoreau, sentirent qu'il fallait être plus habiles marins qu'eux pour reprendre la mer, et ils prirent leurs invalides. Val. P.

VAUGIIAN (Jean), légiste an- glais, et l'auteur de l'illustration de sa maison, naquit au commen- cement du dix-septième siècle, aux environs de Transcoed, très-mince bourgade du comté de Cardigan, au pays de Galles, où, depuis deux ou trois générations, sa famille jouis- sait de quelque considération. Ses parents le vouèrent au droit, et il y mordit. De bonne heure, il passa pour jurisconsulte très-docte et pour avocat très-retors, ce qui ne veut pas dire (ju'il brillait par l'é- loquence. Le barreau en général se privait alors de ce luxe. Il eût été de mise dans une autre arène qu'a- va it ouverte à l'habile suppôt de Thémis cet entregent qui lui faisait gagner tant de causes. Il avait eu l'art de se faire élire membre de la Chambre des com- munes pour 1G40. On sait comment les caries ne tardèrent pas h se brouiller entre Charles toujours be- soigneux, toujours enclin aux pro- cédés par lesquels il avait gouver- né onze ans sans Parlement, et la- dite chambre qui tenait les cordons de la bourse. Vaughan se plaça

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d'emblée parmi les fauteurs, sinon parmi les champions de l'omnipo- tence monarchique, et, comme s'il se fût agi de stricte légalité en un moment que Ton pouvait regarder comme le quart d'heure de Rabe- lais d'une royauté que ses illégali- tés maladroites avaient conduite à l'impuissance et à l'isolement, il vit dans toutes les garanties que la juste défiance des parlementaires faisait souscrire au prince, autantde crimes de lèse-majesté; puis, la collision engagée, il se sépara de ses collègues. Il fit plus, et protes- tant à sa façon contre le régime triomphant, il ferma son cabinet pendant Pinterrègne, c'est-à-dire pendant que Cromwell régnait. Le Protecteur ne fut point ébranlé par ce défaut de concours et n'en fut pas moins respecté sur terre et sur mei-, pas moins craint des frégates et corvettes hollandaises, pas moins courtisé de Mazarin, pas moins maître, en fin de compte, et de la Jamaïque, que perdirent les Espa- gnols, et de Dunkerque, que lui conquit Turenne (1058). Heureuse- ment pour les nations étrangères, les Sluarls recouvrèrent leur trône deux ans après. Les prospérités britanniques s'arrêtèrent soudain; mais Vaughan reprit son siège au Parlement, en même temps que le roi sa couronne, et de plus, jiour l'indemniser de ce que, par sa lon- gue abstention, il avait manqué de gagner, le gouvernement de la res- tauration lui passa au doigt la ba- gue de (i lordchief-justice » peu près premier président} aux « com- mon pU'as. » Cette position, belle, enviée et lucrative, ne fut dune pas pour Vau|zhan la récompense de longs services : c'est le nienlc far qui la lui valut. Avis à ceux (jui déploient leur activité , courant

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après la fortune, se levant matin, se couchant tard! Tout vient à bien à qui sait l'attendre... dans son lit. Rendons pourtant au membre de Cardigan un hommage qu'il mé- rite. S'il fut un exemple de l'avan- cement facile, il ne !e fut pas de l'avancement déplorable. On ne lui demanda que l'office d'un légiste, et non celui d'un politique à toute outrance. Il ne fut point et il n'au- rait été jamais un Jefferies. L'his- toire doit le lui compter. Sa mort eut lieu en 1774, précisément à mi- distance du retour et de la seconde expulsion de la dynastie antipa- thique aux Anglais. De son fils Edouard, qui, lui non plus, ne vit pas tomber les Stuarts (car il mou- rut en 1683, avant même que le gauche Jacques H montât sur le trône pour en tomber) , naquit Jean II, qui fut le premier lord Vaughan (1095), en même temps que baron de Fethers et vicomte de Lisburne, au comté d'Anirim (Ir- lande), et dontles deux fils, Jean m etWilmot, portèrent successivement ces titres. Le vicomte Wilmot II (le fils de Wilniot; devint comte en 1776. C'est probablement à cette famille, mais comme cadets ou is- sus de cadets , que se rattachent et l'économiste B. Vaughan et l'his- toriographe Ch. Richard Vaughan. Lt; premier était, s'il faut s'en rap- porter aux assertions du titre d'un de ses ouvrages, membre du Parle- ment. L'on a de lui : l. Z>t'.s princi- j)es du commerce entre les nations, traduit in fiançais par Gérard de Payni'val, Paris, 178'J,iu-8". IL Un ouvrage non imprimé en anglais, mais qui, traduit d'abord, à ce qu'il parait, en allemand, passa ensuite de l'allemand en français par les soins du ministre protestant Bla- chon, et dont voici le titre : De l'é-

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tat polilique et économique de la France sous la conslitutionde Van III, Strasbourg et Paris, an iv (1796), in-8". Quant à Ch. Richard Val- GHAN, c'était un membre distingué de l'université d'Oxford, sur les re- gistres de laquelle, non-seulement il figurait (en sa qualité de mem- bre do collège « d'Ail Soûls, » ou de Tous les saints, comme on pré- férera le nommer), mais il émar- geait comme « travelling fellow » (membre voyageur) appointé sur la fondation du docteur Richard. Il ar- pentait ainsi le nord de l'Kspagne, touriste payé au milieu de tant de touristes payants, au printemps de 1808, au moment commençait la lutte, qui suivit l'entrevue de Bayonne. Il passa de cinq à six se- maines à Saragosse, jouant souvent, sinon sans cesse, de la fourchette chez Palafox (c'est lui qui nous l'affirme : « introduced to D. Joseph Palafox, at whose table I lived), et s'enquit avec un soin spécial de tous les détails du siège de Saragosse, ce qui lui fut d'autant plus facile que son ami le brigadier-général Doyle lui remit force notes sur cet événement, et que, d'ailleurs, il accompagna deux fois comme vo- lontaire les petites razias de Pala- fox sur les frontières de la Navarre. Il eut pourtant bientôt assez de la guerre, et nous le trouvons car- rément assis à Londres, « January, 25 th., 1809, » sabre rengainé, idiime rèaiguisée, et vociférant con- tre les ambitieux Français par la publication de sa Relation du siège de Saragosse, Londres, in-8", dont il eut grand soin d'annoncer que la vente se ferait au bénéfice des in- fortunes Aragonais et qui compta dans l'année même au moins six édi- tions. Du reste, il faut reconnaître que, quoique émanant visiblement

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de cet esprit jaloux duquel ont tant de peine à se départir les Anglais quand ils voient la France pros- père, bien plus que d'une vraie sympathie pour l'Espagne, à la- quelle ils ne rendent pas Gibraltar, la narration de Vaughan contient desfaits plus que des déclamations, et qu'il se montre appréciateur calme des probabilités de l'avenir en terminant sa préface par ces mots, en parlant des Espagnols : « Qu'ils puissent tomber, ce n'est pas improbable; mais tant qu'ils ne désespéreront pas d'eux-mêmes, les vrais amis de l'Espagne doi- vent ne pas en désespérer; ar- rive que pourra comme dénoû- ment, c'eet justice, il faut l'avouer, que de perpétuer le souvenir de celte énergique leçon sur ce qu'of- frent de ressources le patriotisme et le courage. » Edouard-Tho- mas Val'Ghan, septième fils du ba- ronnet sir Henry Ilalford, membre de la Chambre des communes pour Leicester, parfit ses études au col- lège de la Trinité de Cambridge, prit des grades en 1796 et années suivantes, fut présenté par lessoins du chancelier à l'église de Saint- Martin de Leicester en 1802 et à celle de Foston en 1812, et, nanti de ce double rectorat, ne se mit en frais d'éloquence que sobre- ment, ne fit gémir la presse que rarement, et cependant ne voulut pas plus pousser à l'excès la so- briété oratoire ou littéraire que le reste. Lors donc qu'il eut à rece- voir son prélat faL^ant la visite de l'archidiaconat de Leicester, il mit quelques dentelles et quelques fleurs de plus à l'homélie du jour; puis, quelque neuf ans après, ravi de l'effet qu'il avait cru produire en prêchant sur cette thèse toute neuve « qu'en Christ seul réside

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chance de salut, » il réunit ces deux spécimens de sa parole évan- gélique en un volume in-8", grand papier, encre supérieure, marges seigneuriales. Or, en ce temps-là, un autre ministre était, ainsi que lui, recteur de Ribworth, donc du même rang que lui, et por- tant un assez beau nom, James Be- resford (nousne savonss'il était ne- veu,cousin ou simplehoraonymede l'ex- ambassadeur britannique en Portugal), lequel voyait un nom- breux auditoire sepresserautour de sa chaire ; Vaughan ne pouvant lui contester le talent de l'élocution, l'attaqua sous le rapport du dog- me, qui, dit-il, n'était pas celui des maîtres de la sagesse ; et, pour éclairer la religion des fidèles, il mit au jour deux opuscules ayant pour titre, l'un : Ce que c'est que le clergé calvinisie (The calvinist clergy defined) ; l'autre : La doc- trine de Calvin mainteuue ou lettre à James Beresford^ etc. Enfin l'on trouve encore de lui, en tête des œuvres complètes du rév. Thomas Robinson (vicaire de Sainte-Marie de Leicester), I8I0, une Helation (Memoirs) de la vie et des écrits de ce personnage. Toutes ces pro- ductions se lisent en peu d'heures quand on les lit; mais reliées cha- cune à part, elles tiennent de la place sur les rayons d'une biblio- thèque; si la bibliothèque esl rangée suivant un ordre méthodique, elles vont se caser dans divers compar- timents. Sic itur ad astra^ sic ou petit ii petit on se crée parmi des amis complaisants la triple répu- tation d'orateur, de conlrovcrsiste et d'historien. Tel fut le lot d'E- douard-Thomas Vaughan , et il en jouit assez longtemps, sa mort n'ayant eu lieu qu'en 1829.

V'AULAliKLLIÙ ( Éléonore-Te-

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NAiLLE bE ) dont le père , officier d'état major à farmee d'Espagne, fut tué dans la campagne de 1808, et le grand-père, Jean-Baptiste de Vaulabelle, fut maréchal des logis de la 2* compagnie des gardes du corps du roi Louis XVI, naquit à Chatel-Censoir (Yonne), le 12 oc- tobre 1801. Après avoir fait d'ex- cellentes études, il embrassa, très- jeune, la carrière des lettres et débuta par sa collaboration avec le poëte Méry dans une épître en vers à l'empereur Sidi-Mahmoud, qui fut publiée sous le nom seul de ce dernier. Il travailla ensuite à la rédaction de plusieurs journaux: le yain, le Courrier de la Jeunesse, le Journal des Enfants, dont il fut un des fondateurs , le Fiqaro, r Eu- rope littéraire, ainsi (pi'à celle de plusieurs journaux politiques, dont la partie littéraire lui fut confiée. Deux romans: Un Enfant (3 vol., 1833), les Femmes vengées (2 vol., 1834), et un recueil de contes mo- raux pour les enfants, intitulé les Jours heureux ^1 vol., 183(5), furent successivement publiés par lui et furent remarqués. Le genre drama- tique fut en même temps abordé par cet écrivain, et devint bientôt l'unique objet de ses travaux ; dans l'espace de vingt-six ans, de 1833 à 1850, il composa soixante-dix piè- ces, dont quelques-unes en collabo- ration de différents auteurs, qui, pour la plupart, eurent un grand bdccès. Nous citerons, parmi les plusa|)plauùies,(;/t/mfrt//«t', les trois Dimanches, l^Ami de la Maison (au ThéAlre-Krançais), le Mari de ma Fille, le Mari à l'essai, la Polka eu province, Colvmbe et Perdreau, i'n Petit de la mobile, la Propriété t'est le vol, les Grenouilles qui de- mandent un roi, les lieprèscnlantsen vacances, le Uourgeois de Paris^ la 14

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Dot de Marie, Vénus à la frainc, les Coules de la mère l'Oie, Turlututn, Florian, etc. Éli'onore de Vaula- belle tint un rang distingué parmi les écrivains les plus remarquables de l'époque de 1830. Son talent, comme journaliste, comme roman- cier et comme auteur dramatique, aurait attiré sur lui une certaine célébrité, si, caractère libre et fier, son dédain de la foule, son aver- sion pour le bruit, son amour pour la retraite et le travail, ne l'avaient porté à fuir la publicité avec au- tant de soin que d'autres en met- tent Il la rechercher; il a vécu so- litaire elsilencieux. Son recueil des Jours heureux est le seul livre peut- être qui lait signé de son nom. Ses romans furent publiés sous le pseudonyme ô'Ernesl Desprez , et toutes ses pièces de théâtre sous celui de Jules Cordier. Esprit élevé et profondément libéral, nat ire généreuse et tolérante, il ne mon- trait de passion qu'envers Tiinpio- bité, la persécution ou l'abus delà force, et répondait habituellement à qui lui demandait quel parti po- litique il avait adopté: «Le parti des vaincus. w Uij des journaux les plus répandus et les plus accrédités di - sait, enaiiionçant la mort de Vau- labelle: « Cet homme de bien, dou- « blé d'un homme d'esprit, ce phi- « losophe content de peu, ce vrai « sage, a compté les succès écla- « lants par douzaine, sans vouloir « jamais que son nom fût jeté au- « public. C'est à lui principalement « que, depuisdix ans, les Parisiens « ont (lù tant de joyeuses soirées: « La PvDjiriéle cest le vol, une sa- « tire si spirituelle, le Bourgeois de « Farin. une comédie si comique; a et ce vaudevilliste mordant, «e gai 0 conteur était aussi un érudit, et « même un véritable savant, mais

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« avec tant de modestie, avec si '< peu d'envie de faire paraître ce « savoir, qu'il a échappé au plus K grand nombre. Disons encore, à « son honneur, que cet excellent « esprit , aussi peu soucieux de la « fortune que de la renommée, re- « poussa toujours leurs avantages « en homme satisfait de son lot et « qui s'en contente.» Éléonore de Vaulabelle, dont l'érudition était en efléi profonde et peu commune, ne bornait pas ses travaux aux pro- ductions légères, dont la nomen- clature précède ; des objets plus sérieux occupaient son esprit. De- puis longtemps il amassait les ma- tériaux d'un dictionnaire historique de tous les mo!s de notre langue, devant présenter leur origine, leur élymologie et leur transformation à travers chaque siè<;le. Il se pro- posait de consacrer les dernières années de sa vie à la composition de cet intéressant ouvrage, mais la mort est venue interrompre une entreprise aussi utile et aussi pré- cieuse. Il n'a laissé qu'uneimmense quantité de notes dont lui seul pou- vait faire usiigc. C'est îi tort que cer- taines biographies contemporaines, entre autres inexactitudes, le pré- nomment Matlhieu. Son acte de naissance comporte le seul prénom d'Eléonore. 11 a\ait pour frère aîné Achille de Vaulabelle, auteur de iJJisluire des deux Reslauralions , représentant du peuple et ministre de l'instruction |)ublique en 1848, existant encore; et pour frère ca- det Ilippolyle de Va labelle, tué par accident le 12 janvier 1856, le- quel, d'un esprit é^ialemenl distin- gué, n'a rien publié. Par une sin- gularité fort remar(piab!e,ces deux fieres, Ilippolyte et Eléonore, sont morts, l'un et l'autre, le jour du mois ils étaient nés. Le dernier,

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comme il est dit au commencemeiU de cet article, le 12 octobre 1801, est mort le 12 octobre 1839. VAUME (Jean-Sébastien), l'anti- vacciiiiste, était natif de la petite ville d'Arlon. Un sien onde ou cousin, suivant que nous parlons à la mode de Bretagne ou à la fran- çaise, et qui figurait à la cour com- me médecin du roi ( Louis XV ), n'eut pas de peine à persuader à sa famille que le jeune homme avait, aurait, et devait avoir la vocation médicale. Donc Jean-Sébastien fut expédié sur Paris, et l'oncle à la mode bretonne aidant, il y sui- vit les cours des maîtres les plus habiles; il travailla sous Moreau à l'Hôtel-DJeu, et sous Sabatier aux Invalides; et finalement, avant d'a- voir pris tous ses grades, il fut placé, d'abord en qualité d'élève, puis comme chirurgien aide-major 0773), à ce qu'on nommait l'ar- mée de Corse , sous Marbeuf. Ce gouverneur, ou si lori vrut ce gé- néral, eut à faire campagne pour conquérir son gouvernement. Vau- me se signala par son activité pen- dant celte première péiiode de la domination française dans l'île génoise jadis, et, en récompense, il échangea son modeste titre d'ai- de-major contre l;i position de chirurgien en chef de l'hûpital mi- litaire d'Ajaccio. L'Étal voulait qu'en dehors des fonctions inhé- rentes à sa place, le chef de la santé propageât l'inoculation de la pe- tite vcroh'. Vaunie s'acquifa de cette tâihe suréro-ialoire avec au- tant de succès que de zèle. Il est curieux de remarquer, et on le Ht assez sonner plus tard, (jue la fa- mille Dunaparie fournit à la liste des inoculés de Vaume un noiable contingent. Malgré les charnifs du climat italien, ce dernier sentit le

besoin de revoir le continent, ne fût-ce qu'alin de régulariser sa po- sition en se faisant recevoir doc- teur. Il dit donc adieu aux Corses en 1776, après avoir passé chez eux de six à sept ans. en 1746, il e:î comptait alors trente. Pour quelle raison est-ce qu'il alla pas- ser ses derniers examens à Lou- vain? On en fut un peu étonné, mais l'étonnement diminua quand on le vit proclamé docteur dans celte ville, moins renommée comme école médicale que comme pépi- nière théologique , s'attaeher au prince de Ligne comme chirurgien- major de son régiment et faire avec lui la campagne de 1778. La fièvre putride (tel était" encore à cette époque, et môme tel fui encon; qua- rante ans après le nom des fièvres adynamiques ou typhoïdes) sévis- saitalors dans toute l'armée. Ce fut le beau moment de Vaume : il imagi- lîaun traitement plus rationnel, plus suivi, plus complet, et cependant plussimplede l'affection dont on dé- plorait les ravages. C'est, à quelques perfeclionnements près, celui qu'on suit aujoui'd'hui. Classé dès lors par l'estime publique parmi les prati- ciens les plus experts, il put trou- ver à Bruxelles une nombreuse clientèle, et il s'y fixa, probablement avec l'idée de ne jamais le quitter. Aussi le trouve-l-on souvent men- tionné avec le titre de membre du collège de médecine de Bruxelles. La révolution des Pays-Bas vint èhanger sa résolulio^j, et, en 171)2, on le vil reparaître à Paris et s'y établir. Il avail au préalable assez dexirement manœuvré pour se faire nantir du titre de médecin de rhôpital du Uoule. Cette po ition assurait le débil de tout ce qu'il publierait. Il commença par mettre au net le résultat de ses observa-

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lions de 17*8, augmentées et cor- roborrées de tout ce que quinze ans ou plus de pratique avaient pu lui fournir, et il en forma celui de tous ses ouvrages dont la science même contemporaine peut encore lui savoir le plus de gré, le Traite de la fièvre putride. (Voy. plus bas.) S'exagérant ensuite un peu les dan- gers de l'initiative particulière dans ia thérapeutique, etc., important en pleine science le despotisme de la consigne et l'aveugle docilité de la caserne , il imagina qu'il fallait contraindre en quelque sorte les praticiens à n'employer que des modes curatifs uniformes, et il eut le malheur de divulguer dans son Code médical les utopies qui ten- daient à transformer le médecin en manivelle à ordonnances. Cette lé- gislation n'était pas faite pour en- lever un assentiment universel , •aussi le bill ne put-il passer et même n'eùt-il pas les honneurs de la seconde lecture. Cet insuccès dé- teignit, ce nous semble, sur l'hu- meur (le Vaume , et c'est surtout au dépit qu'il en ressentit que nous attribuons l'esprit hostile , systématiquement hostile, qu'il op- posa depuis à tout progrès médi- cal, qui ne consistait point en mo- (lilications insigniiiaules et toutes de détails. C'est ainsi que, lors- que la grande découverte de Jenner vint détiuire radicalement le iléau qui par sa fréquence et sa conti- nuité a sans conliedit décimé le plus à fond la race humaine de- puis douze siècles (jue les Arabes Pavaient apporté à l'Europe, opiniâ- trement claquemuré dans son vieux procédé de l'inoculation, qui cer- tes avait rendu des services es- sentiels, cl regardant apparemment comme insulte personnelle à ses états de servicelapparilion et l'em-

ploi d'une proj)hylactique bien au- trement héroïque, et qu'on a pu croire souveraine, après avoir suivi les premiers essais du comité de vaccine, il serefroidità mesure que la supériorité de la nouvelle mé- thode semblait à ses collègues plus péremptoirement décisive. Il ne s'en tint pas là, et s'animant par ses torts mêmes, par la défaveur même qu'il rencontrait chez tous les esprits en même temps éclairés et impartiaux qui n'identifiaient pas le conflit de l'inoculation et de la vaccine à la lutte de l'ancien régime et de la révolution , il en vint à déclarer la nouvelle pratique des plus périlleuses, et quelque temps il soutint une acerbe polé- mique en ce sens. Enfin, pourtant, il s'aperçut bien qu'il ne lui restait de partisans que ceux aux yeux desquels « vacciner, c'est tenter Dieu » ; et comme, après tout, ce n'étaient pas lîi, lui-même le sentait, des suffrages scientifiques, il se re- posa de guerre las. Il bouda de mê- me, mais moins ostensiblement et moins longtemps, la thérapeutique issue du système de Broussais. Il fut plus heureux, et tout le monde se lit un devoir de rendre justice à ses ellorts, lorsque, à force de va- rier les préparations d'hydrargire, dans le but d'en obtenir qui sortis- sent tous leurs effets sans produire d'inconvénients, il arriva aux dra- gées mercurielles, dont l'emploi s'est popularisé si généralement et si vite. Voici la liste méthodique des publications petites ou grandes du docteur Vaume: 1-IV (sur la vac- cine), 1" liéjlexions sur la nouvelle méthode d'inoculer la petite vérole avec le virus des vaches. Paris, an VIII (1800), in-8". 2" ï.es dangers de la vaccine démontrés par des faits au- thenliqves consignés dans quelques

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mémoires et dans différentes lettres adressées au comité médical et cen- tral établi à Paris, pour faire des épreuves sur le nouveau genre d'ino- culation. Paris, an IX (1801), in-8». Nouvelles preuves des dangers de la vaccine, pour servir de supplé- ment et de conclusion à tout ce qui a été publié contre ce nouveau genre d'inoculation. V:ms, an IX, in -8°, 4'» Traité de l inoculation de la va- riole et méthode pour faire cette opé- ration avec facilité et avec un succès constant. Paris, 1825, in-8°. ( Ce n'est qu'une brocli. de 48 pag.) V. (Dernier ouvrage de polémique, mais sur un sujet tout autre.) né\\exions sur la canthavi-sangsues-mause. Pa- ris, 18 -'3, in-8^ ( Ce n'est, comme le précédent, qu'un opuscule; il n'excède pas 16 pages.) VI et VII. Traité de la fièvre putride, précédé d'une dissertation sur les remèdes généraux, et d'un plan pour former un code complet de médecine et de chirurgie pratique, d'après l'obser- vation et l'expérience, dont l'ulililé est circonscrite aux habitants qui sont entre les i3' et 60' degrés de la- titude nord et les T et 40* de longi- tude de notre hémisphère. Paris, 1790, in-8». 2' Traité de médecine pratique sur les remèdes généraux et sur la fièvre putride. Paris, 1799, in-8".VIIIet IX. Rapport sur la société d' agriculture de Tours et sur Vensvignement public, <793 ; et Ta- bleau élémentaire d'histoire natu- relle à l'usage de l'école centrale du département d'Indre-et-Loire. Paris, an VII, 1799, in 8". X. Dissertation sur le mercure, ses préparations et ses effets sur le corps de l'homme. Paris, 1812, in- 12. La pensé' de ces vingt-quatre jx^itcs pages, qui, du resU% contiennent un rapide aperçu des faits en même temps concis et certains sur les propriétés el les

manipulations du mercure, c'est, on le devine, l'espèce de prospectus par lequel elles se terminent ad majorent gloriam des célèbres dra- gées pour lesquelles il se plaisait à prévoir de l'autre côté du Chen- nal une importante « and well paying » clientèle. Vas P.

VACQUELÎN (Louis-Nicolas) , célèbre chimiste, naquit le IG mai 1 7G3, à St-André-d'IIébertot, village de la Normandie, de parents hono- rables mais pauvres, travaillant pour vivre et nourrir leur nombreuse fa- mille. Il passa le.-, premières années de sa jeunesse près de son père qu'il aidait dans le travail des champs, autant que pouvait le lui permettre son jeune âge.

Il existait à Ilébertot une école publique pour les enfants du vil- lage, fondée par le petit-fils du chancelier d'Aguesseau, seigneur de l'endroit. Vauquelin fréquenta cette école et ne tarda pas à s'y distinguer par son application et sa facilité à comprendre et retenir tout ce qu'enseignait le magister, au point que celui-ci, s'apercevani bientùlque son élève en savait au- tant et peut-être même plus que lui, en lit son répétiteur et lui con- fia la direction de sa classe.

Ses progrès dans l'instruction religieiise ne furent pas moins ra- pides, et le curé du village, duquel il recevait cette instruction, frappé delà haute intelligence de son dis- ciple, conçut pour lui une alTection dont il ne cessait de lui prodiguer journellement les témoignages.

Parvenu h l'âge de U ans, V^au- quelin quitta ses parents et vint à Houen, il entra chez un phar- macien comme garçon de labo- ratoire. Ce pharmacien faisait un cours de chimie auquel il »'nlrait dans les fonctions du jeune garçon

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d'assister, et, tout en rinçant et essuyant les vases qui servaient aux expériences, il écoutait atten- tivement les leçons du professeur et en faisait son profit. C'est ainsi que se manifesta en lui un goût prononcé pour une science à la- quelle il devait, par la suite, faire faire de si grands progrès.

Mécontent de quelques procédés de son patron et encouragé par quelques-uns de ses élèves dont il avait su se fiiire des amis, il se dé- cida à venir à Paris avec la recom- mandation du curé d'IIébertol, qui, l'adressant au prieur de l'ordre des Prémontrés auquel appartenait ce même curé, faisait de son mérite le plus grand éloge. Il fut très- favorablement accueilli par ce vé- nérable ecclésiastique, et trouva également une bienveillante pio- tection chez madame d'Aguesseau, dans les propriétés de laquelletra- vaillait habituellement son père.

Pendant les trois ijremières an- nées de s^n séjour à Paris, Vau- quelin fut employé dans plusieurs pharmacies, et, en dcruier lieu, chez M. Cheradame, l'un de ses camarades, nommé Prempain, lui donna des leçons de langue latine, dont il sut profiter avec celte faci- lité qu'il apportait dans tous les genres d'études. Il trouva aussi dans un M. Dubuc, qu'il avait connu à Rouen et qui a:ors habi- tait Paris, un savant herborisateur dont les connaissances en botani- que lui furent très-|)rofitables.

M. (vheradame avait pour cousin le célèbre Fourcroy, qui venait fréquemment ch<'z lui et y voyait l'élève Vauqufîlin dont il entendait souvent faire un grand éloge. L'idée lui vint de s'attacher ce jeune homme, et après s'être assuré de sa vocation bien déterminée pour la

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chimie, il l'engagea à venir de- meurer avec lui pour le seconder dans ses travaux.

Vauquelin accepta celte offre avec empressement et quitta la maison Cheradame pour venir ha- biter chez Fourcroy, dont il ne tarda pas, par son zèle, son assi- duité et la douceur de son caractère, k gagner l'estime et l'amiiié, ainsi que celle des sœurs de ce savant, dont une demeurait avec lui. Dans une f^rave maladie qu'iUit alors il reçut de ces dames les soins les plus empressés.

Pendant le cours de ses études en chimie, Vauquelin ne négligea pas de poursuivre celles de la phy- sique et de l'histoire naturelle , qu'il poussa à un très-haut degré ; il trouva même le temps de faire, sous la direction d'un ancien prê- tre, une année de philosophie et se fit recevoir viafire ès-arts.

Cependant le jeune élève de Fourcroy. devenant de plus en plus l'ami de son maître, devenait aussi son émule, et celui-ci le jugeant fort ea état de le suppléer dans le cours qu'il faisait à l'Athénée, l'en- gagea à faire ce cours; mais Vau- quelin se défiant de son extrême timidité, n'osait aborder cette re- doutable épreuve. Enfin sur les inslances pressantes de son protec- teur, il s'y détermina et se ])ré- senta tout tremblant devant son auditoire.

Cette première leçon de celui qui devait un jour devenir un habile professeur, fut pleine de trouble, d'hésitation, et ce n'est qu'en bal- butiant, qu'il put exprimer les cho- ses les meilleures el les mieux conçues.

Du reste, ceux qui ont connu Vauquelin savent que toute sa vie i! a cor'servé ce caractère de timi-

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dite qui le gênait pour parler en public. Lorsqu'il commençait un cours, il éprouvait un pénible em- barras qui ne se dissipait enlière- menl qu'après quelques leçons et lorsqu'il s'était un peu familiarisé avec ses auditeurs.

Ce premier pas fait, et se voyant soutenu par les marques d'appro- bation et d'enconr.igement que lui donnait l'assemblée, Vauquelin continua ses débuts et devint tout à fait le remplaçant de Fourcroy dans son cours de chimie à l'A- thénée.

L'iniimiié de ces deux savants s'accrut de jour en jour, ils ne tra- vaillaient plus qu'ensemble, et les résultats des recherches auxquelles ils se livraient étaient publiés (!ans des mémoires sons le riom collectif de Fout croy et Vauquelin.

En 1792, V;iuquelin qui s'était Aiit recevoir pharmacien et diri- geait la pharmacie de M. Goupil, rue Ste-Anne, fut a^•sez heureux et l'on peut même dire assez coura- geux pour sauver, au risqne de sa propre vie, celle d'un pauvre soldat suisse qui, éch.jppé au massacre des Tuileries, était parvenu à se sous- traire à la fureur populaire.

En 1703, par suiie des événe- ments révolulionnaiiesqui l'avaient forcé de quitter P.iris, Vauquelin fut nommé pharmacien de rhôi)ital militaire de Melun, et l'année sui- vante (179i) ayant été appelé à Paris, il fin nommé professeur de chimie adjoint à Vécole centrale des iravaux puhlicfi (\m, en septembre 1705, prit le iiom ô'ècole pohjlech- niquc. Les professeurs titulaires étaient Fourcroy et Guilou de Mor- veau.

A peu près îila même époque on réorganisa l'école des mines, pro- jetée par le cardinal Fleury, et

instituée en 1"83. Vauquelin reçut le titie d'inspecteur des mines et fut chargé de faire dans cette école un cours de docimasie; il fut logé dans l'établissement.

Pour la première fois, Vauquelin qui avait toujours demeuré chez les autres, eut un logement à lui, et , plein de reconnaissance des bontés qu'avaient eues pour lui les sœurs de Fourcroy, il disposa de la plus grande partie de son apparte- ment en faveur de ces deux dames, qui vinrent demeurer avoc lui et ne le quittèrent qu'à leur mort.

En celte même année (1793), Vauquelin fut nomm;'' membre de l'Institut national dans ia classe qui porte aujourd'hui ie nom d'Aca- démie des sciences.

Eu 1804, lorsque l'ordre de la Ltgion-d'hoiincur , créé en 1802, reçut l'extension que lui donna l'Empereur Napoléon, Vauquelin en reçut la décoration, et vers la même époque, il fut nommé direc- teur de l'école spéciale de pharma- cie qui venait d'être orgar)isée.

En ce même" temps cm ore, il fut afiaché à la Mouuai;» de Paiis en qualité d'essayeur de la garantie des bijoux d'or et d'arg^^nt.

A la mort de M. Darcet (1801), Vauquelin avait été nommé profes- seur de chimie au Collège de France, mais bientôt a|)tès, M. Droiigniart père, membre de l'Institut et pro- fesseur au J rdin des plantes pour Ja chimie ap|)liijué(^ aux arts, étant décédé, il obtint cette chaire sur la prést'utaliou unanime de l'Insti- tut, de l'administration et des ins- pecteurs des études. Cette nomina- tion le força d'abandonner la chaire du Collège de France qui fut occu- pée par un de sCs élèves. Ce cours de cliimie appliquée aux arts, au- quel le iiouvau professeur ap|)oria

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le tribut des connaissances étendues que lui avaient fait acquérir ses longues études et ses savantes re- cherches, et dans lequel on recevait de sa bouche un enseignement qu'on ne trouvait dans aucun ou- vrage connu, avait une durée de trois ans et offrait le plus grand intérêt aux personnes instruites qui le suivaient assidûment. Il est à regretter pour les manufacturiers et les chefs d'ateliers auxquels ces enseignements eussent été de la plus grande utilité, que ce cours n'ait pas été publié.

En 18H, Fourcroy ayant suc- combé à une attaque d'apoplexie, et la place de professeur de chimie «1 l'école de médecine se trouvant par vacante, Yauquelln se pré- senta pour l'obtenir au concours qui fut ouvert à cette école, mais il eut sans combattre la gloire de triompher, car tousses concurrents connaissant le mérite supérieur de leur adversaire et convaincu que lui seul était digne de cette honora- ble position, se retirèrent du con- cours. Il fut, peu de temps après sa nomination, reçu docteur en méde- cine sur le développement dune thèse ayant pour objet l'analyse des matières entrant dans la composi- tion du cerveau de l'homme et de (telui des animaux. Vauquelin con- serva cet emploi jiisqu'en <822, époque à laquelle il fut révoqué conjointement avec plusieurs de ses illustres confières, MM.deJussieu, Dubois, Pelletan, Pinel, Desgenet- les, Cliaussier, L;jlleman, Le Houx elMoreau. Celte disgrâce, si peu méritée, que rien ne justifie et qui ne peut être attribuée (\uix des in- trigues favorisées par l'esprit réac- tionnaire qui dirigeait alors les actes (îu gouvernement , affecta profondément Vauquelin, mais elle

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affecta peut-être plus encore celui qui en avait été la cause, car, au dire de quelques personnes, le cha- grin qu'il en ressentit altéra sa santé au point de hâter l'instant de sa mort qui précéda cellede Vauquelin.

Lors de la création de l'Académie royale de médecine (1820), Vau- quelin en avait été nommé membre (section de pharmacie), et souvent celte docte assemblée eut à s'ap- plaudir de cette nomination. En 1827, le roi lui conféra le cordon de St-Michel. Enfin, en 1828, le département du Calvados le choisit pour l'un de ses députés. Il fut un des membres de cette chambre qui se distinguaient par leur assiduité ; il n'était point orateur, mais son esprit droit et éclairé, son désir ex- trême de voir le progrès s'accom- plir sans désordre et sans anarchie, son dévouement sans borne aux intérêts de son pays en faisaient un digne et loyal député.

Cet homme si supérieur et si recommandable par son mérite et ses talents, était simple et modeste; sa vie était celle d'un patriarche. La lecture et le travail occupaient tous ses instants; cependant l'a- mour de la science n'avait pas ab- sorbé toutes les facultés de son esprit, et la littérature ancienne et moderne lui offrait des charmes. Horace et Virgile étaient ses auteurs favoris; il les possédait compléte- mefit et souvent en faisait les cita- tions les plus heureuses; il avait également pour la bonne musique un goût prononcé que son ami et compatriote Boieldieu n'avait pas peu contribué à lui donner.

De retour dans son pays naial, il fut atteint d'une grave maladie à laquelle il succomba le V octobre 1829, emportant les regn'tsde tous ceux qui avaient eu le bonheur de

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le connaître et surtout de ses nom- breux élèves qui l'aimaient comme un père. Il en est peu qui n'aient trouvé en lui un appui et un pro- tecteur. Nous citerons à cette oc- casion une anecdote à laquelle le personnage qui y donna lieu ajoute un certain intérêt.

En ^808, Bonaparte, après le désastre de Baylen, ordonna que les Espagnols résidant à Paris et qui pouvaient inspirer des craintes fussent arrêtés et conduits dans divers dépôts. L'exécution suivit l'ordre de près et environ 60 Espa- gnols furent conduits à la préfec- ture de police pour être de diri- gés sur différents points. L'un d'eux, qui était venu a Paris pour étudier la chimie et qui suivait le cours de Yauquelin, n'ayant dans la capitale aucun protecteur sur lequel il put compter, réclama l'ap- pui de son professeur. Dès le len- demain matin, avant six heures, Yauquelin, en costume de membre de l'Institut, était à la préfecture pour réclamer et se porter garant du jeune Espagnol, qui fut immé- diatement rendu à la liberté. Sans cet empressement que mit le géné- reux professeur à s'occuper du jeune étranger qui réclamait son assistance, la France aurait peut-être compté un savant de moins; car le jeune Espagnol dont il s'agit élait Orfila, (jui s'est acquis depuis une réputation européenne.

Vau(}ueliu appartenait à un grand nombre de sociétés savantes de France et de l'étranger et particu- lièrement à la société royale de Londres, à la sociélé de pharmacie de Paris, à la société philomalique dont il fut, en i78.s, l'un des fon- dateurs, à la société d'agriculture, à CL'Ue d'encouragement et enlin a la société de «chimie médicale ; il a

fait un grand nombre d'élèves dis- tingués, parmi lesquels plusieurs ont acquis une haute renommée, entre autres, MM. Eouchardot, Caventou, Chevreul, d'Arracq, Des- cotie, Grimm, Guerard, Kulmann, Lodibert, Mercadieu , Meyrac, Payen, Pelletier, Quenesville, Ro- biquet, Robinet, Lassaigne. L'au- teur du présent article;le sieur Che- vallier, futlui-même un desélèves les plus assidus de cet illustre profes- seur. Yauquelin avait été aussi le maître du célèbre Humboldt. Yoici ce que ce savant écrivait le 29 sep- tembre i8o8 à M. Chevallier : « Ayant {ravaillémoi-vicme, dans des « temps auté-diluviens, conjointe- « ment avec Thénard, dans le laho- « ratoire de votre maître commun « Yauquelin, j'aurai doublement de « plaisir à recevoir M. Chevallier à « Berlin demain, ^0 du mois, à midi, V et à lui renouveler Hwmma(je de « mes sentiments affectueux. » Il est peu d'hommes dont la carrière ait été aussi fructueusement remplie que l'a été celle du savant dont nous racontons la vie; il en estpeu, surtout, dont les recherches et les travaux aient autant contribué aux progrès d'une science sur la- quelle repose le succès d'une foule d'industries. Quand on considère l'étendue de ces travaux, leur im- portance et les résultats immenses de leur application, on se demande comment, dans un espace de cin- quante ans, un homme sorti d'une chaumière a pu, par la seule force de son génie, acciuérir une éducation com|)lète, se livrer avec le plus grand succès à l'élude de la chimie eldesseiencescjui s'y rattachent, puis s'élancer au premier rang de la sociélé, en dotant son pays de dé- couvertes qui contribuent a sa gloire. Ce savant n'a pas laissé

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d'ouvTages complets sur la science fi laquelle il a consacré sa vie en- tière; il n'a publié ex professa, que le Manuel de l'essayeur (1812, 1 vol. in-8').niais il doit sa haute ré- putation aux belles analyses qu'il a faites soit en collaboration de Four- croy, soit isolément, à ses expé- riences publiques, à plusieurs dé- couvertes d'une haute importance et aux mémoires qu'il a publiés dans les Annales de cidmie, dans le Journal des mines, dans les An- nales du Muséum, dans le Journal de physique et dans VEncyclopédie méthodique, ou qu'il a lus à l'Aca- démie des sciences. Ces mémoires sont très-nombreux. Nous riterons les titres des plus remarquables : I. Sur la nature de l'alun (Annales de chimie 1797). II. Sur la nou- velle substance métallique contenue dans le plomb rouge de Sibérie dé- couverte par lui et à laquelle il a donné In nom de chrome. (Annales de chimie 1798.) III. Sur In terre de Brésil (qlucine) , substance in- connue jusqu'à lui. (ibid. 1798.) IV. Deux mémoires sur l'urine, en collaboration avec Fourcroy. (li)id. 1799.) V. Sur l'eau de l'annios du fumier de vache, (ibid. 1800.) VJ. Sur le verre d' antimoine. (Ibid. 1800 ) VII. Observations sur l'identité des acides pijromuqueux , purotartreux, pijrolirjnmx, et sur h nécessité de ne plus les particulariser, en colla- boration de Fourcroy. (Annales de chimie.) VIÏI. Sur les pierres dites tombées du ciel. {\h\d. 1803.) IX. Sur le platine, en collaboration de Fourrroy. (Ibid. 1804.) X. Sur la présence d'un nouveau sel phos- phorique terreux dans les vs des animaux, en col'abor ation de Four- croy. (Ibid. 1803.) XI. Examen chimique pour servir à l'histoire de la laite rfepoïsson, en collaboration

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de Fourcroy. (Ibid. 1807.) XII. A- nalyse de la matière cércbrale de ïhomme. (Thèse soutenue pour le doctorat en médecine, 1812.) XIII. Expériences sur le daphné- alpina. (Annales de chimie.) XIV. Analyse de l'urine d'autruche et ex- périences sur les excréments de quelques autres familles d'oiseaux, en collaboration de Fourcroy. XV. Annales du Muséum d'histoire naturelle. Paris, 18H. XVI. Ana- lyse d'une matière . bleue produite accidentellement dans les fours de la fabrique des glaces de St-Gobin, concluant à ce que cette matière n''est autre que l'outremer factice, susceptible de remplacer avec une immense économie l'outremer de lapis-lazuli. A cette nomenclature des premiers travaux de V,mquelin, on doit en ajouter d'autrt'S encore, faits postérieurement, et qui pré- sentent une moins e^rande impor- tance, savoir : Analyse du salsoda- veda. Observations sur une maladie des arbres analogue à un ulcère et qui attaque spécialement Forme. Nouvelle méthode d'analyser les fers et aciers. Analyse du laiton, précédée de quelques réflexions sur la préci- pitation des métaux les uns par les autres et leur dissolution. Combus- tion des végétaux; fabrication du salin et de la cendre grnvelée. Ex- périences sur les alliages de plomb et d'étain avec le vinaigre, le vin et l'huile. Analyse cfe la gadotinite; exposé sur quelques propriétés de l'ythia qu'elle contient. Expériences relatives à l'action de l'hydrogène sulfuré sur le fer, par laquelle on prétend qu'il se forme de l'acide muriatique. Note sur les eaux sures des amidonniers. Exjiériences qui démontrent la présence de l'acide prussique presque tout f>rmé dans quelques substances végétales. -Ex-

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périencessur le suint , suivie de quel- ques considérations sur le lavage et le blanchissaqe des laines. Expé- rience sur la cérite dans laquelle on a trouvé un métal nouveau. Note sur l'existence du platine dans les mines d'arqent du Guadalcamil. Mémoire sur la meilleure méthode pour dé- composer le chromate de fer, obte- nir l'oxyde de chrome, préparer ra- cide chromique, et sur quelques combinaisons de ce dernier. Table exprimant les quantités diacide sul- furique à 06' contenues dans les mélanges d'eau et de cet acide à différents degrés de Varéomèlre. Instruction sur les moyens de dis- tinguer les différentes sortes d'étain qui se trouvent dam le commerce. Mémoire sur le palladium et le ro- dium. Mémoire sur l'iridium et l'os- mium. Description d'un effet des- tructeur de l'urine sur le fer et ré- sultais utiles de la connaissance de cet effet. Examen d'un procédé pour faire servir de nouveau la potasse employée dans la lessive. Sur (acide benzol que contenue dans les urines des quadrupèdes herbivores, sur le moyen de t'en extraire. Expériences sur la congélation des différents liquides par un froid artificiel de iQ" au-dessous de zéro, Héaumur. Découverte de liode dans le règne minéral. ^ Cii.

VATTRÉ (Victor, baion de), maréch;il de camp,commun(leur de la Légion d'honneur, etc., naciuil le 12 mai 1770, à Dompaire, dans l'ancienne l,orrainc, d'une famille honorablement placée. Il eniia à vingt-un ans dans la compagnie de pi(|net des gariles-dn-corps du roi, et fut le 10 août un des défenseurs duchàteaii des Tuileriesconirc l'al- laqn»; des 'nandt s n'voliitionnaires. Il survécut au massacre des batail- lons royalistes, mais il ne put s'é-

vader de Paris et fut arrêté le 13 et conduit k la Force il occupa un cachot situé immédiatement au- dessous de la chambre qu'habitait l'infortunée princessede Lamballe. Vautré fut assez heureux encore pour échapper k la hache des sep- tembriseurs. On se borna à lui faire prêter serment de fidélité à la Ré- publique sur un monceau de cada- vres gisants à l'extrémité de la rue Saint-Antoine, et il fut enrôlé dans l'église de Saint-Paul pour se rendre aux frontières. Il obiint successive- ment legrade de lieutenant et celui de capitaine dans une compagnie formée des volontaires de sa section, et prit part en celte (lualité aux campagnes de Champagne et de Belgique, et aux sièges de Namur et de Viviers-l'Agneau. Après la défaite de Nerwinde, il fut embri- gadé dans le régimentde Piouergue et chargé provisoirement du com- mandement de trois compagnies. Vautré fut blessé par un boulet au siège de Quesnoy et lait prisonnier de guerre. Il revint en France à la reddition de celle place, en novem- bre 1793, cl fut nommé aide de camp du général Veza, puis employé à Marseille en 1796 et 1797, dans l'é- tal-majordu général Willol, d'où il passa en 1799 ii celui de l'armée dlialie. Le 24 sep'embre 1801 , il fut nommé ch-'f (le bataillon par le géné- ral en chef, puis aide de camp du général Charpentier, et revul le commandement d'un bataillon du Ih'" régiment de lign'e. Vautré prit unoi)art honorable aux campagnes de ISO'i et de 1806, et se distingua nol;imment h la batailled'Austerlitz, soB régiment enleva le plateau de Siikolnitz au pas de charge et en pervanl plusieurs fois les lignes russes. Il reçut la croix d'honneur à cette occasion. L'année suivante.

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à Eylaii, son bataillon fut littérale- ment écrasé par l'ennemi, et, peu de mois après, au combat d'Heils- berg, il eut un cheval tué sous lui et fut blessé de deux coups de feu. Ayant reçu l'ordre de chasser les Russes d'unbois occupé pareux, il exécuta ce mouvement avec in- trépidité, et réussit à rejoindre sou régiment en traversant à la tête de 250 hommes seulement, les postes ennemis, qui s'élevaient à plus de 45,000 hommes. Lors de la grande revue que passa Napoléon le d2 juillet 1807, Vautré fut présenté honorablement par le maréchal Soult à l'empereur, qui le nomma major Ix la suite. Deux ans plus tard, par décret impérial du 29 janvier 1809, il reçut une dotation de 2,000 francs en Westphalie. Le prince Eugène, qui commandait l'armée d'Italie, plaça Vautré à la tête d'un régiment composé de 24 compagnies de voltigeurs. Il justifia ce témoignage de confiance par riutrépidité dont il fit preuve au passage de la Piave, ses volti- geurs protégèrent presqu'àeuxseuls le passage de toute l'armée. Il se distingua également aux combats de Saint-Daniel et des montagnes de Malborghetli, et fut cité avanta- geusement dans les rapports du général Dessaix. Ces exploits furent récompensés, le 17 août 1809, par le grade de colonel da9" régiment d'infanterie légère, par la croix d'officier de la Légion d*honneur (22 août 1812), et plus tard par le litre de chevalier de l'Empire avec une dotation de 2,000 francs. Au combat de Wit^psk, Vautré eut deux chevaux tués sous lui ; c'est avec son régiment que le prince Eugène, à la bataille de laMoskowa, enleva la grande redoute russe qui tenait en échec l'armée française.

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Vautré, k son entrée dans la re- doute, fut blessé d'une balle qui lui ouvrit le péricrâne, il eut l'é- paule droite traversée par un bis- caien, et fut renversé de son cheval par un boulet qui lui causa une forte contusion à la tête. Cette brillante action fut la dernière k laquelle il prit pan. Il fut fait prisonnier le 8 décembre 1812, au passage delà Bérézina, et ne rentra en France qu'au mois de septembre 181 4. Les princes de la maison de Bourbon accueillirent Vautré comme un vieux serviteur; il fut replacé k la tête de son ancien régiment, qui prit le nom de Bourbon, et alla te- nir garnison à Calvi, il se trou- vait lors de la fatale réapparition de Napoléon sur le sol français. Vau- tré demeura fidèle au gouvernement royal, et réussit, par la fermeté de ses dispositions, à garderie drapeau blanc jusqu'au 20 avril. Celte con- duite courageuse lui attira une vio- lente dénonciation de la municipa- lité de Calvi, par suite de laquelle il fut arrêté à son débarquement à Toulon et conduit à la citadelle de Grenoble, il demeura soumis pendant plusieurs jours au secret le plus rigoureux. Sa captivité ne prit fin qu'à l'entrée des troupes alliées à Grenoble. Il fut immédiatement nommé au commandement de la légion de l'Isère, ets'api)liqua sans relâche à l'organisation (lececorjis dont il dut prendre les éléments dans une ])0pulation généralement hoslile au gouvernement restauré. De graves et sanglantes épreuves attestèrent bientôt à quel point il avait réussidanscetle mission d'hon- neur et de fidélité. Exalté par les déceptions personnelles que lui avait fait éprouver le gouverne- mont des Bourbons, Didier (voy. ce nom, tome LXII , page 4G5), avait

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réussi à organiser dans le départe- ment de risère une vaste conspira- tion dont le succès, soit qu'il eût le duc d'Orléans ou Napoléon II pour objet (car ce point est demeuré en- core incertain), était fondé sur une circonstance habilement calculée. Les légions de l'Isère et de l'Hérault, qui tenaient garnison à Grenoble, devaient se porter à la lin d'avril sur le passage de la princesse Caro- line de Naples, qui traversait la France pour épouser le duc de Berry, et cette évacuation momen- tanée allait dégarnir d'une partie de ses forces l'une des régions de la France l'Empire et la Révolu- lion comptaient le plus de parti- sans. La garnison actuelle de Gre- noble se composait de 700 hommes environ, y compris 20 artilleurs et 60 chevaux. Didier s'était ménagé de nombreuses intelligences dans l'intérieur de la ville et parmi les officiers à demi-solde qui habitaient le département (i). Une partie de lagarde nationale devait se déclarer en sa faveur, et les douaniers eux- mêmes, corps influent chez les habitants des campagnes et géné- ralement composé d'anciens mili- taires, étaient pour la plupart enga- gés dans l'insurrection , dont la consistance eût été puissamment grossie par un premier succès. Ce

(I) Ginvanini, ancion commandant de la gcmlaniierie de l'Isère, remplissait les foiiclioiis ila chef (i'éUit-iiiajor de Didier. Il fut tué a la première ren- contre sur la route d'Kybens. (»ii trouva a sa bouche la moitié d'une liste des conjurés, (lu'il n'avait p;!S »u le temps d'avaler. Kllc était tellement nom- breuse que le colonel Vautre crut de- voir la détruire dans l'intérêt des fa- milles qu'elle t;ompromcttail et dans rintcrèt même de la cause ton aie. (Documents inédits.)

mouvement pouvait-il, dans lescon- ditions môme les plus favorables, susciter une nouvelle révolution et mettre sérieusementen péril le gou- vernement royal? Pouvait-il surtout, comme on l'a supposé, affranchir le sol français des trois cent mille étrangers que le 20 mars y avait attirés? Ces illusions n'étaient guè- re permises en présence des troupes coalisées qui occupaient les fron- tières du nord et qui, à défaut même des forces nationales, encore mal organisées, auraient facilement de- vancé autour du trône les bandes tumultueuses de l'insurrection. Mais elles furent entretenues chez Didier par la facilité avec laquelle il était parvenu à recruter ses batail- lons, et surtout par l'inconcevable mystère à la faveur duquel il avait pu, pendant trois mois, organiser librement ses moyens d'attaque, ex- pédier ses ordonnances, entretenir ses partisans, former ses listes et parcourir les campagnes, mystère qui ne pouvait s'expliquer que par la connivence de la plus grande partie de la population. Cependant ses plans furent traversés par un fâcheux contre-temps. Vers l'épo- que marquée pour leur exécution, le passage de la princesse éprouva un retard inattendu. Mais, soit que Didier jugeât son entreprise im- manquable, soit qu'il craignit de déranger sa petite armée par uc contre-ordre, il ne voulut riai chr.nger Ji ses dispositions, etia nuit du ^ au 5 mai i<Sif> fut déliii- tivement fixée pour la prise d'annes des insurgés. A Vizille, à Eylens, à Ilourg-d'Oisans et surtout à La Mure, foyer principal de l'infurrec- lion, tout se mit en mesun dès la pointe du jour; les lemme* surtout se faisaient remarquer pa l'ardeur de leurs excitations : on ^e plaisait

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dans la lépélition de ce jeu de mois sanguinaire, « qu'il y au- rait le lendemain 15 mille joueurs de boules sur la grande place de Grenoble. «^ Le sens de ces sinis- tres pronostics parut surabondam- ment fixé par la remarque qui fut faite le lendemain de l'êchauf- fourée, de certaines traces blan- ches crayonnées sur les maisons des royalistes les plus signalés, et, dans les casernes mêmes, sur la porte des logements de plusieurs ofliciers. Cependant^ durant la même journée, une inquiétude va- gue et générale régnait dans Gre- noble. Les autorités civiles el mi- litaires manquaient d'informations précises, mais cha(|ue moment leur apporlaitquelquesdemi-coufidences dont la répétition croissante faisait pressentirune explosion imminente. L'adjoint de La Mure, qui s'était dirigé par les montagnes pouraver- tir le préfet, avait rencontré les colonnes insurgées, et le hasard le plus extraordinaire venait de livrer au général Donnadieu, commandant la division. mililaireaident, brutal, mais feime et capable, l'un des chefs du complot, dans les rues mêmes de Grenoble. Un autre ha- sard , également inespéré , celui d'un dîner chez le général, avait préservé le colonel Vautré du pé- ril d'ôire arrêté par les insurgés du dedans, au moment même devait éclater l'agression du dehors. L" gt'iiéial Donnadieu coiiceulra ses. forces sur la place Grenelte, |)iil «l'babiles dispositions, v.\. fit marcher un dél.chement d'environ dOO Sommes des voltigeurs de risero el de la lé^^ion de Tllérault àlareg(Onlre des insurgés, dont la pr euiière colonne s'avançait dans la direction de la porte de lionne. Mais ce tfvlacheiuenl, intimide par

la bonne contenance de l'ennemi, se replia bientôt en désordre, et le général prescrivit au colonel Vautré de se porter de suite au-devant des rebelles. Vautré ne se trouvait que depuis quelques minutes en me- sure d'exécuter cet ordre par suite du retard fortuit ou calculé apporté à la délivrance des cartouches nécessaires. Il disposait au plus de 80 hommes ; mais, dans le nombre se rencontraient 30 grenadiers, soldats éprouvés, résolus, intrépi- des, commandés' par un brave ca- pitaine appelé Friol. Ces militaires s'ébranlèrent au pas de course et se trouvèrent à la porte de Bonne en face des insurgés enhardis par la retraite des chasseurs. Lecolonel Vautré poussa le cri de Vive le roi! et s'élança à leur tête sur les mon- tagnards au nombre de 4 ou 5cents, les culbuta et les mit en fuite en leur tuant 7 hommes. A quelque distance, sur la route d'Eybeus, la cohorte fidèle rencontra Didier lui- même qui, sansparaitredéconcerté de l'échec de son avant-giwde, en- gagea un nouveau combat à la tête d'e[iviron 300 hommes. Cette co- lonne, qu'il avait négligé de gariiir ou (!e faire précéder de tirailleurs, fut promplement dispersée en lais- sant quelques morts. Ace moment, Vautré fut rallié par un détache- ment de dragons de la Seine que le général Donnadieu avait envoyé pour le soutenir; une troisième colonne, qu'ils rencontrèrent à peu près à une demi-lieue, eut le même sort que les deux précédentes. Le colonel remarqua ({ue les feux de si- gnaux allumés sur plusieurs points des moniagnes voisines avaient in- sensiblement disparu. A la pointe du jour, il entra à Eybens, d'où il se rendit presipic immédiatement au village de La Mure, dont il dés-

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arma les habitants. Celte répression énergique, opérée si promptement avec le concours d'un si faible dé- tachement, dans une contrée ou le gouvernement royal comptait tant d'ennemis, et sur le lieu même où, quinze mois avant , le colonel Labédoyère avait, par sa défection, prépare le fatal succès des Cent- Jours, fit un grand honneur au zèle et à la résolution du colonel Vautré, et préserva la ville de Gre- noble et la contrée entière d'une imminente conflagration. Sa ren- trée à Grenoble, le 6 mai, à la tète de sa troupe, eut tous les caractè- d'une véritable ovaiion. Un grand nombre de personnes notabli^s vin- rent à sa rencontre ; la joie d'une partie de la population fut portée jusqu'au délire; la plupart des maisons furcLit pavoisées de dra- peaux blancs, etces démonstrations s'étendirent à tous les militaires composant le faible gioupe qui avait donne l'exemple d'une si éclatante et si salutaire répression (1). Ce triomphe fut l'apogée de la vie jusqu'alors si martiale, si inépro- chable de ce brave militaire. L'his- toire doit envisager avec moins de faveur les événements qui restent à rapporter. Le colonel écrivit le lendemain une lettre répandue à profusion par la voie de la presse, il racontait avec exaltation son siu ces de la porte de lionne et s'applaudissait d'avoir « ordonné à ses braves grenadiers d'égorger

(I) Tous les faits qui précèdent sont exlnits do notes idélites rédii^ôes par le C(donel d- Vautré a l'époque leOiiie dos cvéueuients de (jrennlile. Le liip- port eoiilidfiiliel dans lequel ces fjjts se ti'ouvaieiit (Oiisignés fui mh >oiis les yeux du roi Louis XVIII par M le duc de Uuras.

celte canaille à coups de baïonnet- tes et aux cris de vive le roi! » Puis, arrivant aux détails de son expédition de La Mure : « J'ai fait venir, disait-il, une partie du peu- ple sur la place, et j'ai dit que je ne savais pas si je ne les ferais pas tous fusiller et brûler leur ville... Pensez-vous, ai-je ajouté, que j'aie eu besoin de ces 90 hommes pour exterminer les brigands qui ont marché sur Grenoble? Il ne m'a fallu que 22 grenadiers. Eh bien I vos pères, vos enfanis, sont pour la plupart morls aux portes de Greno- ble. Ailez-y voirleurs cadavres. » A celle triste publication, qui accusait moins les passions personnelles de son auteur que celles d'un temps de réaction et de vengeance, le colonel Vautré unit un tort plus grave, celui d'accepter la prési- dence du conseil de guerre formé pour juger les rebelles qu'il avait combattus et dispersés. Cette fausse position devait amener de déplora- blrs incidents. Les avocats des ac- cusés se plaignirent du peu de faveur avec lequel ils furent en- tendus, et des entraves que des juges naturellement prévenus ap- portèrent à la liberté de la défense. Suivant une relation accréditée et qui ne parait pas avoir été dé- mentie, le président du conseil troubla plusieurs fois, par de vé- hémentes et injurieuses apostro- phes, les expl. cations présentées au nom des 30 malheureux que le hort des armes avait fait tomber entre ses mains, et dont la vie, dévouée à une immolaiion prochai- ne, réclamait ce re.4e d'égards que riuimanile commande même aux plus implacables ennemis. Vingt-un accuses lurent condamnes ix mort; sur ce nombre, cukj lurent recom- mandes à la clémence royale par

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le conseil lui-même, avec un em- pressement auquel nous aimons à rendre hommage. Mais le ministère repoussa îi la majorité de cinq voix contre deux (celles de M. de lUclie- lieu et de M. Laine) la recomman- dation des juges militaires, et les mursde Grenoble furent ensanglan- tés à trois reprises de vingt et une exécutions capitales. Didier , qui, après avoir combattu avec courage sur la route d'Eybens, avaitété sur- pris et saisi sur le territoire sarde, expia à son tour, le 18 juin, la con- ception criminelle qui était devenue fatale à tant d'infortunés. Le conseil général de l'Isère reconnut les services du colonel Vautré par le don d'une épée portant ces mots : Fidéiitéj courage, nuit du i au 5 mai 1 816. Le roi les récompensa le 12 mai, par le titre de baron; deux mois plus tard, le 17 juillet, Vautré fut promu au grade de ma- réchal de camp et nommé au com- mandement du département de l'Aveyron, d'où il passa successive- ment à ceux de l'Ain et du Morbi- han. Au mois de novembre 1820, il cessa d'être employé dans un ser- vice actif et fut porté sur la liste des inspecteurs-généraux d'infanterie. En remettant le 30 de ce mois à Bordeaux, en cette qualité, au M" régiment de ligne le drapeau de ce corps, il lui dit « qu'après l'amour de tous les Français pour leur roi, les baïonnettes étaient le premier soutien du trône des Bourbons, la garantie de la tranquillité publique et de la prospérité du royaume. » Vautré tint un langage semblable en s'adressani, dans une solennité analogue, peu de temps après, à Toulouse, au 49' régimentde ligne, qu'il y avait organisé. Il reçut, le i" mai 1821, le cordon de com- mandeur de la Légion d'honneur;

mais il n'obtint pas le grade de lieutenant-général, et ce mécompte lui causa une irritation profonde. C'est dans cette disposition d'esprit que le surprirent les événemenli» de juillet 1830. Le caractère du baron de Vautré ne se montra point à la hauteur de cette formidable épreuve. On vit avec étonnement le loyal militaire, dont le presti- gieux retour de Napoléon n'avait pu ébranler la fidélité, l'intrépide adversaire de l'insurrection de 1816, oftrir son épée à l'insurrec- tion victorieuse de 1830, et, par un contraste étrange , solliciter d'un pouvoir qui comptait le fils même de Didier parmi ses hauts fonctionnaires, l'avancement qu'il n'avait pas obtenu de la Restaura- tion. Il adressa au maréchal Soult et à Casimir Périer, président du conseil, et publia en 1831 plusieurs lettres dans lesquelles il s'expri- mait sansménagenientsurle régime qu'il avait si vaillamment servi, et s'aliéna ainsi les sympathies du parti royaliste, sans se concilier la fa- veur du nouveau gouvernement. Le général de Vautré fut mis à la re- traite en 1832, et mourut à Paris le 8 mai 1849, à 79 ans, laissant avec le souvenir d'un salutaire exemple, celui d'une regrettable défaillance, dont le caractère même de ses ser- vices passés eût dû, de lui plus que tout autre, ce semble, écarter le péril. A. B ée.

VAUX, général français, était depuis des années sous les dra- j)eaux, quand se dessina la révolu- lion française, d'où bientôt l'émigra- tion, et, à la suite de l'émigration, la guerre. Immense danger pour la France que deux puissances colos- sales et nombre de petites, entraî- nées dans le mouvement général, se préparaient à ravager, mais perspec-

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live aîtraviintt' pour le brave qui necleniaiidaitqu'à faire ses preuves, qu'à verserson sang et qui savait que tant d'épaulettes, désertées par les privilégiés auxquels toutes étaient dévolues sous le régime déchu, de- viendraient la récompense de qui saurait, par son dévouement et son talent, les conquérir. Patriote et ne manquant pas d'ambition, Vaux saisit avec empressement toutes les occasions de se montrer aux postes le i)éril était le plus grand, et, au bout des quatre premières cam- pagnes de la république, il était adjudant général. C'tst en cette qualité qu'il servit en <796 à l'ar- mée dltalie et qu'il se signala par un tel héroïsme, à la bataille de la Favorite, que Bonaparte, si con- naisseur en hommes ainsi qu'en manœuvres habiles, fit choix de lui pour aller présenter au Direc- toire son rapport sur la journée; il demandait en même temps pour lui le grade de général de brigade. La demande eut immédiatement son effet . L'année suivante Vaux par- tit pour l'Egypte avec l'expédition française, puis, quand l'armée passa en Syrie, il fut de ceux qui tentè- rent cette nouvelle aventure. Le siège de d'Acre faillit lui devenir funeste, il y fut blessé (le 25 avril 1799) très-dangereusement et il dut être évacué sur la France. Nou- vel épisode malheureux lorsque rexécution de cit ordre fut tentée : les Français, débordés depuis Abou- kir, n'étaient rien moins que maî- tres de la mer; le brick la Ma- rianne, qui le ramenait, fut capturé par une corvette anglaise (1800). Rendu bientôt et bien avant la paix d'Amiens à sa i)atrie par un cartel d'échange, et rétabli de sa blessure, il manœuvrait au mois de décf'mbre de la mèm?. ann?e dans le pays de.»

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Grisons. Les trois ou quatre an- néesde paix, continentale du moins, qui succédèrent (180i-l804), sem- blent avoir commencé poui- Vaux une phase nouvelle. S'il ne prit pas sa retraite, il s'accommoda de postes paisibles à l'intérieur, tant que les prospérités Je l'Empire durèrent. Mais après la retraite de Russie, ce n'est pas en vain qu'il vit son ancien général îaire appel à tout ce que la France renfermait de bras fermes et de cœurs héroïques : il accourut redemander du service et inscrire de nouveau son nom parmi les plus dignes dans cette navrante et mémorable campagne oij suc- comba l'héroïsme de la cause im- périale. Val. p.

VAYSSEDE VILLIERS(Regis- Jean-François), laborieux membre de l'administration des postes, était de Rodez. Sa famille, bien posée dans la magistrature, le destinait naturel- lement à la même carrière; et, bien qu'avantraèmo de quitter le collège, il eût donné quelques signes d'une vocation que quelques juges au- raient nommée poétique (voy.plus bas, à la partie bibliographique de l'article), il dut partir pour Tou- louse, afin d'y suivre les cours de droit. en 1767, il n'était pas en- core étudiant de troisièpir; année, quand la révolution vint, dès 1789, sinon interrompresespaisiblesexer- cices de l'école, du moins y porter la perturbation et l'incertitude. Bien qu'éi)ris des grands principes qui chaque jour gagnaient du lerrain et se réalisaient dans la pratique, il n'y trouva pas prétexte pour déser- ter lei bancs; il tint bon vaillam- ment un an encore, jusqu'à ladésor- gauisatioti de l'école el il .subit des examen.^, il cor.quit des diplô- mes qui, sous toute autre organi- sation que celle d'alors, î;e l'cus-

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sent point rendu habile à plaider, mais qui, certes, suffisaient à cette époque pour qu'il portât la parole au barreau. Très-probablement il n'aurait pas eu de peine, s'il l'eût voulu, à faire partie d'un parquet quelconque; il paraîtrait même, si l'on s'en rapportait à l'article bio- graphique de Rabbe (Supplém., p. 848), lequel est un peu em- preint d'autobiographie, que sem- blables propositions lui turent faites, puisque, nous observe-t-on , il les déclina constamment tant que domina la Terreur. La vue de tant de supplices illégaux autant qu'in- humains ou ne présentant qu'un si- mulacre dérisoire de légalité, l'a- mena rapidement à faire voile ar- rière, peut-être un peu plus loin que ne l'eût fait un de ceS esprits logiques et fermes qui n'excèdent pas.Q.andnousle voyons, à l'exem- ple de son compatriote Flaugergue, défendre la tête de malheureux royalistes voués à Téchafaud, nous i>e pouvons que le louer, et nous trouvons tout eimple qu'après ce trait de courage il cherchât un peu l'ombrcMais quand, aprèsle3i mai, il s'efforce d'engager les royalistes à s'unir aux Girondins proscrits, nous avons de la peine, sur quel- que terrain que nous nous placions, a ne pas voir dans de si bizarres idées des puérilités ou des chimères. C'esl pourtant la même plume qui nous atteste le lait, et certes avec une intention d'éloges. On nous le montre encore, au plus fort de la Terreur, répondant îi la délation d'un jacobin qui requiert son ex- pulsion immédiate de l'assemblée populaire de Rodez par une éner- gique profession de foi, dont tous les articles sont en opposition fla- grante avec les maximes du parti triomphant, soutenant au même

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lieu et le même jour, « avec autant d'esprit que de courage, en quelque sorte corps h corps avec un com- missaire de la Moniagne, » une lutte l'argumentateur courait risque de demeurer court autre- ment que de la langue, et quand le Midi résolut d'envoyer un ba- taillon par département contre les Montagnards, il apposa sa signa- ture à la résolution au bas de celle de Flaugergue. Il en résulta que, quand ce dernier fut mis hors la loi, son acolyte fidèle crut bon de se cacher. Heureusement les poursuites contre lui ne furent point poussées avec le dernier acharnement, ou du moins, la tour- mente perdit bientôt pour lui de sa violence; seulement il s'aperçutque, s'il ne voulait la réveiller, son pre- mier soin devait être d'évitersa ville natale, trop de monde avait les yeux fixés sur lui, et il vint se ta- pir à Paris, probablement ni Ro- bespierre, ni membre quelconque du comité ne songea qu'il existait un citoyen Vaysse de Villiers, leur ennemi capital, au repos pour l'instant, mais aiguisant sa bonna lame, nous voulons dire sa plume pour le jour il pourrait, sans danger, la tremper dans l'encre. Ce jour vint : ce fut le 9 ou, si l'on veut, le 10 thermidor. Le lendemain de l'arrestation de Ro- bespierre, les colporteurs distri- buaient dans les rues, aux por- tes mêmes du club naguère tout- puissant, le ConIre-poisoH des Jaco- bins, par le citoyen Vaysse de Villiers, feuille périodique au moyen de laquelle, sans doute, l'auteur, toujours friand d'influence et de renom, comptailse créer l'un et l'au- tre : hélas! au bout de deux autres numéros, ses chants avaient cessé. Nous disons ses chants, car le jour-

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naliste poétisait à ses heures; l'on trouve de lui, dans un troisième et dernier numéro, une épitaphe du parti jacobin que les thermi- doriens vantèrent fort, et qu'au- rait pu suivre immédiatement celle du Contre-poison...; mais personne ne se donna la peine d'enregistrer au Parnasse le décès du poétique journal. Une consoiation du moins fut octroyée à Vil!iers,et, si la vaine fumée qu'on nomme la gloire lui fit défaut, le solide vint l'en dédom- mager ; ses amis, au pouvoir alors, lui procurèrent une bonne nomina- tion d'inspecteur des postes. Lais- sant là la politique, il ne donna plus de soins qu'à ses fonctions ou à des travaux que hii facilitaient ses fonctions, les entremêlant de délas- sements littéraires à sa portée et selon son cœur. Il atteignit ainsi la fin de l'empire, époque à la- quelle sa retraite lui fut donnée, bien qu'il fût encore dans l'âge de l'activité, bien qu'il eût à grand peine vingt ans d'exercice (1794- 1814). Il n'en vécut que plus dé- voué de jour en jour au culte des lettres et de la science, et sa ré- putation de littérateur et d'homme de goût devint sérieuse et incon- testée, après avoir été de celles qu'on sait un peu sujettes ii con- testation. Du reste, jouissant de plus de loisirs qu'il n'en eût sou- haité, du moins pendant les pre- mières années de sa retraite, très- mobile d'intelligence et enclin, par conséquent, à se porter tour à tour sur des objets très-variés, joignant a l'expérience une indé- pendance d'esprit que sa position de bonne heure acquis* près du camp, sinon au cœur du camp royaliste, lui permettait de laisser voir à nu, il se donna !e passe- temps de revenir de loin à loin

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aux excursions sur le terrain poli- tique, mais sans formes acerbes, sans arrière-pensée ambitieuse et sans \iser à faire grand fracas, quoiqu'il se gonflât toujours un peu. Somme toute, il eût été fort uii!e à la légitimité de savoir écouter des conseillers tels que Vaysse de Villiers. Il survécut à la chute de ce trône qu'il avait espéré ne pas voir pour la troisième fois s'écrouler sous la dynastie des Bour- bons. Voici la liste peu près com- plète des productions de Vaysse de Villiers. I. Description routière et géographique de l'empire français, Paris, 6 v. in-S", 2' édition avec additions qui la complètent, sous le titre de : Géographie complète de la France., par ordre de routes, Pa- ris (chez Renouard), 1829, in-8«. C'est un des ouvrages les plus uti- les, les plus exacts que l'on pos- sède sur le sujet; on le consulte encore tous les jours avec avantage, bien qu'évidemment la révolution introduite par les noies ferrées dans l'ensemble du système rou- tier de la France en ait res- treindre l'usage. C'est le fruit d'un travail de vingt années pendant lesquelles l'inspecteur des postes usait de sa position pour voyager six mois par an, consacrant les six autres au dépouillement et à la ré- daction de ses i.oles. Aussi le» journaux et surtout les recueils scieuliliques se firent-ils tous un devoir de signaler et de recom- Imander ce beau monument de st.v tislique en mémt' temps que de géographie. 11. lie eue il complet des groupes^ statues, bustes, thermes, perspectives monumentales de Yer- sailles, etc., etc. Paris, 1828-1829, in-i" oblong, faisant suite à la Géographie complète de la France, p. 0. d. r. III. Plusieurs brochures

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anonymes, contemporaines, ainsi que leur litre l'indique, de l'un ou •'nuire règne de la restauraiion, par exemple, sous Louis XVIII : l Opinion impartiale d'un capitaliste sur la réduction des rentes, in-8"; sous Charles X, la Lettre confiden- tielle à un journalisie, par lui ami du roi y de la charte^ du repos, in-8°. etc. IV. Des poésies dont bsaucoup, ce semble, sont restées manuscrites et dont plusieurs au contraire ont été tirées à part, telles que : Ode sur les tremblements de terre de la Sicile et de la Calahre arrivés en 1789, Paris, 1821, in-8^ 2" Ode sur les inondations de l'an X, Paris, 1822, in-8"; 3" Ode à lUinti- que Rome, Paris, 1822, in-8°;4°0(ff au soleil, Paris, 1823, in-8". Il se proposait, en 1836, de publier in- cessamment ses poésies fugitives en un volume.

vi:au di: launay (Pierre-

Louis- Athanase) , docte polYgra|)he, nnlif de Tours, s'était promis de suivre la carrière du droit, et reçu licencié fit dûment son stage, fut inscrit sur le tableau des avocats en sa ville natale et plus d'une fois porta la parole, tantôt gagnant les mauvaises causes, tantôt perdant ses bonnes : tels étaient en ce temps les caprices,

De mibs Tbémi»,

qui, comme on sait, n'en a jamais ^Ic pareils aujourd'hui. La révolu- lion le déclassa, ainsi que tant d'autres et lui fil des loisirs, qu'il ntiTsa en les portant sur tout ce qui ne sentait ni les Jnstilutes ni Cojas. El il en résulta que, lors- que furent établies les écoles cen- trales, il se fit très-facilement donner k celle d'Indre-et-Loire la chaire d'histoire naturelle qu'il rcm-

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plit plusieurs années. Ces écoles îi leur tour ayant été, sinon abolies, du moins soumises à un mode d'or- ganisation tout nouveau qui ne souriait plus à ses idées, il ne se décontenança pas etse trouva sur-le- champ avoir une autre corde à son arc : ce fut la science médicale. Il ne la professa pas, il la pratiqua, et il ne fut pas plus médeein sans malades qu'il n'avait été avocat sans causes. Le soin de sa clien- tèle cependant ne l'absorbait pas â tel point qu'il n'eût du temps, beaucoup de temps, à donner aux sciences physiques, h l'archéologie, à la littérature, qu'il avait aimée d'un amour plus que platonique du temps même son cabinet d'affaires aurait l'absorber, et de lire ou d'envoyer des mémoires à plusieurs sociétés savantes. Il était membre d'à peu près toutes celles de Tours, la Société du Mu- sée, la Société d'agriculture, la Société des sciences et belles-let- tres, laquelle avait en lui le plus exact comme le plus infatigable des secrétaires. De i)lus, il était membre du Lycée des arts de Paris. Il vit la première et la seconde res- tauration, il n'en vit pas la fin, la mort l'ayant frappé. Voici, à deux ou trois interversions près, la liste en môme temps chronologique et méthodique des productions de ce savant dont l'intelligence s'était lancée en tant de sphères variées. I-III. Pièces relatives au droit : 1" Discours prononcé au bailli a( je de Tours; Mémoires et plaidoyers; 3" Fragments d'un Commentaire sur la coutume de Tours, Tours, 1787, in-8". IV-VI. Travaux relatifs aux sciences : <" Tableau élémentaire d'histoire naturelle à l'usage de l'é- cole centrale d'Indre-et-Loire, Tours, 1790, in-8"; Manuel d'é-

lectricité, 1809, in-8% figures; 3" Lettre sur l'usage de l^ilcali-ftuor. VI. -VII. Opuscules achéologiques (tous deux insérés au tome IV des Mémoires de l'Académie celtique) ; i" Notice sur la pile de Mars (mo- nument antique attribué aux Ro- mains et situé sur la rive droite de laLoire entre Tours et Langeais;; 2" Notice sur un dolmen appelé pierre de minuit (monument druidique situé à trois myriamètres sud-ouest de Blois). Vli-X. OEuvres litté- raires, les deux premières, drama- tiques et en prose, les deux autres, poétiques, ou du moins en vers : 1" Le corps de garde national (co- médie en un acte), Tours, 1790, in-S**; 2" Stéphanin ou le mari sup- posé (opéra-comique , un acte) , Tours, 1791, in-S"; 3" Voltaire, et autres poésies, Tours, 1780; i" Épîlre d'un père à son fils sur le bonheur (présentée à l'Athénée de Toulouse, en pluviôse, an xi), Pa- ris, 1816, in-8\ Z.

VECCIIIA (Pierre), issu d'une famille noble de Padouo, embrassa la vie religieuse, et se fit bénédic- tin à l'abbaye du Monl-Cassin, le 30 novembre 1G46. Après avoir fait des études solides, il se livra à la prédication, et le fit avec le plus grand sucrés dans toutes les villes d'Italie. Il jouissait aussi d'une grande considération dans sa con- grégation, qui le lit abbé du mo- nastère de Casino. Le pape Inno- cent XI réleva à la dignité épis- copale, (t lui donna le titre de l'évèché de Citla-Nova, en Is- trie (1). i.e (\ mars 16^)0, il fut

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(1) Je m'expriino ainsi dans la pen- sée que peut-tHic ne fut-ce (lu'ini titre honoriîique , ddiit le pupo voulait ré- « unipenser Vecchi.i, car, d^ipns Hi- cliard : Dictionnaire des Sciences

transféré k Andria, dans la Fouille, par Alexandre VIII; puis, l'année suivante, le pape Innocent Xïl le transféra à Melfi (2). Vecchia mou- rut à Naples le 7 juin 1695. Cet évêque, savant et zélé, a beaucoup écrit; mais comme Dupin dans sa Bibliothèque des écrivains du xvn« siècle , et Legipout dans Historia rei litterariœ, 0. S. B, ainsi que les dictionnaires historiques, n'ont parlé ni de lui, ni de ses œuvres, je donnerai la liste de ses produc- tions littéraires d'après dom Fran- çois, qui malheureusement ne met presque jamais le titre des ouvrages qu'il indique. I. Méthode jwur com- poser et bien parler. Venise, 1622. II. Idée de l'éloquence., Venise, 1663. III. Explication de l'épître aux Romains, Venise. 1664. IV. Discours d'un supérieur à ses reli- gieux. 2 vol., Padoue, 1664. V. Pa- négyrique de Saint-Maur, in-4*, Ve- nise, 1608. VI. Traité de la divine Providence, Padoue, 1670. VII. Le temple de la Paix, B rescia, 1670, 2-^ édition 1678. VIII. Uhomme de compagnie, ou la manière de vivre en bon politique et en bon chrétien, Brescia, 1670. IX. Traité de l'Église militante et triomphante, Bologne, 1680, 2'édit., Rome, 1683. X. Ma- nuel des prélats, ou directoire des pasteurs, in-4% Venise, 1684. XI. Panégyriques, in-i", V<>nise, IG82. XII. Traité de la doctrine chrétienne,

ccrk'siasliques, depuis Marc, vingt- deuxi^^^o evêque de CitUi-Nov:i. trans- féré enTarentaise,cn ]A'Xi, il n'y a plus eu d't'vt^que sur le siège de CiUa'-Nciva. (Ji UiciiAnD, Luco citalOj qui dit que Vtcchia était de Venise, donne en effet ce prélat pour le trente-neuvième évo- que d'Andria, et ajoute lui-même que piu après il (ut Ironsfcrcà Mrlfi. Or, a l'article Melli il no parle point de Vccchia, et sa nomenclature contredit ce qu'il avance ici.

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Bologne, 1683. XIII. Exhortation à l'étude des sciences divines, avec un remerciraent au pape Innocent XI de l'érection du collège de Saint- Anselme, nimini, 1G87. XIV. Rè- gles pour bien vivre, traduites en italien du latin de saint Bernard (c'est le Irai De modo benè viveudi)^ Bergame, 1674. XV. Modèle de l'édi- fice intérieur, traduit du môme saint Bernard, Brescia, 1673. Vecchia avait, en outre, traduit et publié k Brescia, en 1677, un ouvrage de saint Jean-Chrysostome. La biblio- thèque du MoQt-Cassin fait mention de plusieurs autres ouvrages en tous genres que Vecchia a laissés manuscrits. B— d-e.

VEDEL ( Dominique -Honoré- Marie-Antoine), général français, remarquable à titres divers, no- tamment parce qu'il fut mêlé au désastre du général Dupont, na- quit le 2 juillet 1771 (et non com- me \edit\3i Biographie S.-S.-T.Nor- vins, le 2 février 1731) à Monaco; mais il appartenait à la France par son origine, et sa famille, long- temps hdbilanlo de cette partie du Languedoc qui devint le départe- ment du Gard, avait fourni des mi- litaires ; aussi prit-il du service dès sa treizième année (le 6 mars i 786), et fut-il, des 1787, gratifié de Té- paulette, malgré son âge, qui, pro- bablement, fut un peu dissimulé. Lieutenant en 1791, capitaine en 179Î, il fit en celte qualité, sa pre- mière campagne du Nord contre les Autrichiens. Il eut l'occasion de s'y rompre un peu vite aux inci- dents de la vie militaire. A l'affaire de Winton, où, pour la première fois, il vit le feu, rintrépidilé lui tint lieu de cet aplomb qu'ordi- nairement donnent l'expérience et l'habitude. Mais, quelque temps après, des faits surgirent qui de-

mandaient du sangfroid en même temps que la vaillance ; encore eùt-il fallu tous les deux, à double ou môme à triple dose; son régi- ment s'insurgea, et l'on ne peut dire ce qui fût arrivé, si Mas- séna, chef de bataillon à cette épo- que, ne fût venu le délivrer, et peut-être lui sauver la vie. De l'ex- trême Nord, il saula Tamiée sui- vante à l'extrême Sud, non-seule- meni de la France continentale, mais de tout le territoire. Toujours friands de la Corse, cette île qui leur serait, « si commode » , et jaloux de l'annexion consentie par la république de Gônesà LouisXV, les Anglais avaient saisi l'occasion de la révolution française pour y débarquer, et s'arrangeaient pour prendre les places et n'en pas être débusqués de sitôt. Le comité de salut public montra que, pour lui, le programme qui qualifiait la Ré- publique française «d'une et indivi- sible » était une vérité ; il envoya des renforts, non des négociateurs. Le capitaine Vedel partit à la tête d'une compagnie franche ; et bien- tôt il fut investi du commande- ment de tout ce qu'il y avait dans l'ile de compagnies semblables. Le service était des plus actifs. Sa troupe fut chargée de servir l'artil- lerie des villes dont l'Anglais for- mait le siège. Vedel et les siens se distinguèrent, surtout à Caivi, par l'habileté comme par l'opiniû- trelé de la défense. Les ennemis avaient fait brèche ; et, comble de mal, non-geulement la brèche était praticable, maisnos batteries étaient démontées. L'assaut eut donc lieu; mais les lils d'Albion furent ac- cueillis de manière à ce qu'ils ne reprirent pas gaîment le chemin de leurs tentes, et qu'après un simu- lacie d'attaque nouvelle, ils tour-

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nèrent leurs efforts sur d'autres points de l'île, coramençant à s'a- percevoir qu'ils pourraient nous disputer plus ou moins longtemps notre possession, mais, qu'en défi- nitive, elle ne deviendrait pas pour eux un second New-Foundiand. Nous retrouvons ensuite Yedel en Italie, lors des magnifiques campa- gnes de 1796 et 97, qui changent tout l'aspect de l'échiquier politi- que de l'Europe. Il y déploya sa vaillanee et son intelligence accou- tumées au passage du Pô, à celui de l'Adda, aux deux affaires de Lo- nado et de Salo. De plus, il fut chargé de plusieurs missions impor- tantes: h lui seul incomba, preuve de la confiance qu'avait en lui l'il- lustre général en chef, la tâche d'aller eu Tyrol, à la recherche de In division Augereau. Cela ne se pouvait qu'eu s'enfonçant à l'inté- rieur de la partie orientale de la provrace,et après avoir, ou forcé le passage, ou i)assé à la sourdine entr« des colonnes autrichiennes. Les ciroonstauces l'amenèrent au premier parti. Un gros détache- ment d'Autrichiens voulut lui bar- rer le passage; infanterie et ca- valerie furent culbutées en peu d'instants ; il enleva de plus leur poste de réserve, et de tous les an- tagonistes, 400 restèrent prisonniers de guerre en ses mains. Poussant plus loin après ce succès, il arbora le drapeau français à Feltre , puis sur les murs d'Udinc, nul n'avait encoie pénétré. La division Augereau, à laquelle il s'é- tait ainsi mis à mémt^ de donner la main, ayant debouch' du Tyrol, il se rabattit sur le gros de l'armée. On sailcpiels événements suivirent tant de liants faits d'armes, dont, il est aisé de le voir, Ve<iel eut uoe bonne part. Les préliminaires de

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Campo-Formio donnèrent d'abord l'espoir de la paix ; puis, à peine Bonaparte pjrti, Bonaparte en E- gypte, l'Autriche fit massacrer les plénipotentiaires français , et la guerre recommença. Le 11 sep- tembre 1798, il opérait sur Sangui- netto, n'ayant avec lui que vingt- cinq chasseurs à cheval, une di- version favorable au mouvement généraldel'armée.et il atteignait ce village après avoir, avec des forces numériquement si faibles, combattu trois escadrons échelonnés sur la route. La bataille de Kivoli suivit bientôt. Vedel y commanda l'artil- lerie de la septième demi-brigade légère, et, par ses manœuvres har- dies et savantes, il s'empara de la chapelle San-Marco, poste impor- tant, cief de j)Osition, donlle géné- ral autrichien sentità l'instant com- bien la perte éiait grave pour ses plans, mais dont en vain il es- saya de se remettre en possession. Toutes ses attaques échouèrent contre la solidité de la défense; Vedel était partout, donnant, va- riant, proportionnant les ordres se- lon les circonstances ; il fut atteint grièvement, mais, nous l'avons dit, il maintint sa position. C'était sa première blessure, mais ce ne fut pas la seule dont il put s'Iionorer dans cette campagne. Chargé, quel- que temps après la granile journée de Kivoli, d'aller, à la tête des gre- nadiers de la division Grenier, at- taquer les retranchements autri- chiens, à la gauche de Bussolengo, il déploya, dans l'exécution de cet ordre, l'eîitrain le plus vif, la va- leur la |)lu> opiniâtre et, par sa vi- gueur décisive comme par l'intel- ligence de tous ses mouvements, il mérita d'èire mentionne dans l'or- dre du jour de l'armée : en revan- che, balles et boulets l'avaient tou-

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ché; so.T cheval avait été tué sous lui, lui-mênie avait une jambe cas- sée, et il fut laissé des heures pour mort sur le champ de bataille. On le releva cependant, et le grade de chefdedemi-brigade (tel était alors le titre officiel) fui la recompense du dévouement et du courage qu'il ve- nait défaire éclater. Ici se termine, en quelque sorte, la première par- lie de U carrière militaire de Ve- del. Le voilà colonel ; huit ans se sont passés depuis qu'il a reçu son brevet de lieutenant; huit autres années (de .1799 à 1807) vont le porter au grade de général de di- vision. Pendant les premiers mois de 1799, il est encore en Italie, avec l'armée d'Italie. Un peu plus tard, il passe avec sa demi-brigade à l'armée des Grisons, dont les mouvements se lient toujours à ceux de l'armée d'Italie, mais qui n'en forment pas moins, poiT le moment, un corps à part. I^es événement marchent, le ccnéral en chef d'Egyple a fait sa réap- parition en Europe, Paris a vu le 48brumaireetritalieavecMarei)go. Vedel, le 10 novembre 1800, est un des quatre cents hommes d'élite (jui, sous les ordes du général de brigade Veaux, marchent sur les redoutes autrichiennes au mont Tonal, et défendent les passages de Val-di-Sole. Après l'inexé- cution de la clause du traité d'A- miens, par laquelle le cabinet de Saint-James avait promis de rendre Malte h la France, et, quand les Anglais ne plaisantaient que du bout (Ihs lèvres des j)lans de des- cente en Angleterre, il fit partii^ du camp de P.oulogne, el il n'eût pas été des moins charmés de re- nouer connaissante, en leur île, avec les habits rn';ges qu'il avait canonnéb dans l'île de Coi se. Le

destin en ordonna autrenieni. Les insulaires, moyennant bmknoles et livres sterling, détournèrent l'o- rage sur d'autres bords, et déter- minèrent les naïves tètes fortes de Schœnbrunn, à tirer pour eux les marrons du feu. L'Autriche, pour la troisième fois depuis treize ans, déclara la guerre à la France. Com- me nous ne nous étions encore avancés (en 1797 et en 1800) qu'à quelque vingt lieues de Vienne, l'héritier des Habsbourg tenait ap- paremment à ce que les hussards français lui rendissent visite dans la capitale. Vedel, sitôt que les hostilités devinrent inévitables, fut compris dans le cinquième corps d'armée que commandait Lannes. Il eut part à la prise d'Ulm; c'est lui qui s'emparades redoutes avancées, parmi lesquelles, notamment , celle de Frauensberg était un point d'ex- trême importance pour le succès de la journée. Ce succès, il est vrai, il faillit le compromettre en vou- lant le pousser trop loin, sans assez tenir compte des circonstances. Voyant les défenseurs de la re- doute opérer la retraite, il lança ses artilleurs ; en changeant la re- traite en déroule, ceux-ci purent, avec les fuyards, franchir les por- tes de la place, et, secondés parles tirailleurs du Til' de ligne, faire douze cents prisonniers, qu'on dé- sarma sur-le-chamj) et dont les ar- mes furent disposées sur place en faisceaux. Tout cela eût été fort bien si les bastions n'eussent pas encore contenu de sept à huit mille hommes, ou si du gros de l'ar- mée on fût venu donner appui aux quatre cents de Vedel et aux quel- ques tirailleurs, ses compagnons de péril. Il n'en fui rien. H en ré- sulta que, ne voyant rien venir et protégés, virtuellement du moins,

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par les nombreux camarades dont il vient d'être parlé, les prisonniers revinrent bientôt de leur stupéfac- tion, se comptèrent, et soudain, tombant sur leurs armes qu'ils avaient à deux pas d'eux, recom- mencèrent la lutte avec l'avantage du nombre et l'assurance d'un prompt renfort au cas le be- soin s'en ferait sentir. Cerné de toutes paris, Vedel resta prison- nier. Heureusement il fut, au bout de quelques jours, compris dans un cartel d'échanges, et il ne tarda pas à coopérer derechef à l'exécution des grands plans de l'empereur. Le 30 novembre (trois jours donc avant Austerlitz), il tint seul avec son régiment la campagne en pré- sence de toute l'armée russe, qui venait s'adjoindre aux Autrichiens. Le jour même de la grande ba- taille, il fut chargé d'aller se pos- ter à Santon, point singulier de la ligne stratégique, il devait servir de pivot à la gauche de l'ar- mée. Il eut, soit pour en prendre possession, soit pour s'y maintenir, une force de cinq àsix milleRusses îi contenir. Il fit mieux, il les re- poussa, et l'empereur fut si charmé de la façon dont il s'était acquitté de sa tfiche, qu'il le nomma géné- ral de brigade. C'est en cette qua- lité que nous allons le voir à pré- sent porter deux ans les armes contre la monarchie prussienne. Pendant la campagne au sein des provinces allemandes, il a part à la bataille de Saaifeld; le 10 octobre 1806, il se signale dans les plaines d'Iéna. L'empereur, «mi ce jour la lutte devient capitale, a voulu retenir sous ses ordres immédiats et comme partie de sa réserve la brigade de Vedel, en attendant que sa garde arrive conduite par Lefrbvre, et, quand celte

dernière est là, Vedel, par ses or- dres, va renforcer successivement plusieurs points, ou menacés, ou trop peu garnis dans les commen- cements ; Vedel enlève plusieurs positions à la droite de l'ennemi, lui fait nombre de prisonniers et le poursuit au galop jusqu'aux portes de Weimar. Le 26 décencbre sui- vant, à l'affaire si chaude de Pul- tusk, l'k-propos, la prestesse, la multiplicité des attaques signalent de raf'me la brigade Vedel, qui, lancée par son chef, exécute plu- sieurs charges brillantes, enfonce les deux premières lignes russes et finit par rester maîtresse d'une bat- terie de 12 canons. Ce ne fut pas sans payer son succès de quelques pertes: Vedel lui-même fut atteint de deux blessures, l'une au genou gauche, en dépit de laquelle il con- tinua de donner ses ordres avec la môme sérénité, toujours sur le champ de bataille, l'autre par un coup de biscaien, qui le renversa sur le sol : heureusement la fu- sillade et la canonnade allaient fai- blissant ; la vicloireavait prononcé, comme d'habitude, en faveur des Français. Celte fois d'ailleurs il ne fut pas laissé pour mort parmi les cadavres, et sa guérison, mar- cha vile. . . , moins vile pourtant qu'un nouvel appel du mailre à sa capacité toujours en haleine. Il fui nommé gouverneur de Nogat et de la place de Marienbourg, ce qui, vu les circonstances et l'imminence d'hostilités nouvelles, li'élaii rien moins qu'une sinécure. Grâce à des mesures lubilemenl combinées, il sut en peu de lemps relever les forlilii-alions de la |)lace et pour- voir à l'approvisionnejneiil de l'ar- mée cantonnée aux en\irons après la journée d'Kylau;— de telle sorte «pie. n'eùl-il rien fait de plus, san

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exagération aucune, il peut être affirmé que son concours pen- dant la campagne au sein des pro- vinces slaves (1807) ne fut guère moins utile à la cause commune qu'en 1806. Mais l\ ces opérations d'adminislrateur ne se bornèrent passes services en cejte mémorable année. Relayé k Marienbourg, où, dorénavant, l'essentiel étant ac- compli, les difficultés étaient de- venues minimes, il reprit un com- mandement actif et fut chargé d'or- ganiser et commander par intérim la seconde division du corps de réserve qu'avait sous ses ordres le maréchal Lannes. On le vit, à la bataille de Gustad, poursuivre les Russes à la tête de cette division, dont toutefois il dut bientôt aban- donner le commandement ;;u gé- néial Verdier, venu de Naples, mais en conservant celui de sa bri- gade, qui comprenaitle 3' de ligne et le 12' léger, l.e W juin, un beau fait d'armes le rocoinmanda de nouveau à la faveur im;)ériale : un ordre lui vient, le 10, à dix heures du soir, d'après lequel il faut qu'il chasse les Russes de leurs redoutes, tout le jour ils ont tenu contre toutes les attaques; il part au plus vite, se trouve le ma- tin devant les redoutes, et, après un court intervalle de repos, pro- cédant à l'attaque, il emporte, non sans peine, non sans perle, non sans deux blessures encore, mais enfin il emporte îï la baïonnette toutes les Ii;.'nes et fous les forts des Mos- koviies, qui, trop d^^cimés pour te- nir Longtemps, prennent le parti d'évacuer Heilbour . Ce mouve- ineiil et ce succès furent un des préliminaires de la décisive bataille de Friedhnd, qui, quatre jours a})res, acheva de dissoudre l.» puis- sance prussienne, et fil penser au

Tzar que mieux valait être l'ami que l'ennemi de la France, et qu'au moins il fallait feindre l'amitié, puisque le colosse ne pouvait tom- ber que par l'imprévu ou par la trahison. Ve'del eut bonne part aussi de l'honneur de cette san- glante journée; chargé d'aller ren- forcer le cent!'e, il fit plusieurs ma- nœuvres décisives, il tint la ligne d'attaque depuis l'aurore jusqu'à onze heures du soir, et h diverses reprises il fut félicité par l'empe- reur en j)ersonne, dont l'œil avait suivi tous ses mouvements. Nul, après cela, ne fut étonné de sa promotion au grade si bien mé- rité de généra! de division, et mê- me Ton fut unanime à reconnaître qu'elle constituait en ce moment une distinction d'autant plus flat- teuse, qu'à l'issue de cette seconde, si rapide et si terrifiante campagne contre les héritiers de Frédéric If, Napoléon fut loin d'en être prodigue : deux offîcitrs généraux seuls l'ob- tinrent, Rutfen et Vedel. Il reçut en même temps les insignes de commandeur de la Légion d'hon- neur* Il avait été créé comte de l'Empire lors de l'institution des majorats. Voilà de tout point certes un commencement de superbe exis- tence militjiire, et nous n'avons encore traversé que deux périodes de la vie de Vedel, abstraction faite de ces premières années d'adoles- cence sur lesquelles il a fallu glis- ser. La troisième va tout changer de face. Mais, on le pressent, c'est iei que l'on court risque, lors- que l'on a pris ftarti d'avance, de se m<'prendre sur les faits en les déplaçi^ni et en outrant le ap- préciations f;jvorables ou contrai- res. Dépouillé, (juant à nous, de toute idée préconçue, nous allons retracer des détails exacts, et nous

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énoncerons ce qui nous semble en lésulter inconteslableraent. Le traité de Tiisiit avait rendu la paix à T. Eu- rope septentrionale et orientale; Jurande armée sétail dissoute, Ve- del était de retour en France. Mais à peine assoupie au delà de l'Oder, la guerre allait sévir au-delà des Pyrénées. Du Nord, momenta- nément nos troupes n'avaient que peu de chose ou rien à faire, Vedel avait été avec sa division dirigé sur l'Espagne immédiatement après la fameuse entrevue de Bayonne (2 mai 1808), et il faisait partie du corps central, qui, sous Moncey et Murât, occupait la Nouvelle-Cas- tille. Du 15 au 20 mai, ordre vint d'aller s'assurer du midi de l'Espa- gne, où tout éiait encore tranquille à la surface, bien que l'incendie fermentât dans les flancs du volcan, et de s'établir k Cadix . précaire asile des débris de notre flotte tra- hie parla forluiie à Trafalgar. Trois divisions, sous un général de divi- sion faisiiiil e:i quelque sorte les fonctions de commandant d un corps d'armée, devaient former le noyau de la force d'opérc.lion à laquelle on comptait que, d'une part, vii;ndraient se joindre au moins les trois régimenls suisses échelonnés à Torlose, à Carlha- gène, à Malaga ; que, de l'autre, Kellennann, de son quartier d'El- va, serait à même de prêter la main. C'e.-i Dupont qui comman- dait ainsi : Vedel n'avait, sauf le cas de circonstances exception- nelles, qu'à suivre ponclut-llemeut des ordres donnés. Dupont partit eu tète, n'emmenantiiuelauivision lîarbou, laqutilf, se composant de douze mille hommes au plus, sur- passait en nombre, à elle seule, le total des deux autres, Vedel n'en comptait que six mille, et Frère,

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le troisième divisionnaire , que quatre milie ; et il enjoignit (de concert sans doute avec le quar- tier général de Madrid) à ses subordonnés de rester, le pre- mier à quatre-vingts ou quatre- vingt-dix kilomètres de Madrid, en deç^ pourtant de la chaîne marianique Tolède), le second au nord de Vedel et tout près de la capitale. De quelque part que vînt l'ordre et quel que put en être le mérite au point de vue mili- taire, il est cbiir que Vedel ne pou- vait qu'obéir. La disposition, d'ail- leurs, eût été irrépréhensible, si la guerre qui se préparait eût été la guerre normale , si les insurrec- tions ne se fussent à chaque heure succédé de proche en proche, et si les trois régiments suisses n'eussent non-seulement abandonné le dra- peau fiançais, mais passé à l'en- nemi. Voilà ce dont il eût été à souiiaiter que se fût douté, au moins comme éventualité à toute force possible, soit Dupont, soit le haut état-major paradant à Madrid. Mais comme jamais, depuis quinze ou seize ans de guerre, pendant lesquels la France n'a- vait eu que des gouvernements et ieurs troupes à combattre, rien danaiogue n'avait eu lieu et comme la dernière tentative avait été ré- primée immJ'dialemenl, il nevenait à l'idée de personne, à Vedel pas plus qu'aux autres, que des rustres, ""des boutiquiers et des piliers de sacristie pussent atta(|uer les vain- queurs d'Austerlitz et d'Eylau. D'jill-'urs, ce n'e>t pas à lui sur- tout qu'il incombait ici de jjrevoir. Nul ordre nouveau ne survenant de (pieUpie part que ce fût, il resta près d'un nmis immobile dans sa position, tandis qu'au delà des monLs il eût par le fait seul do son

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apparition jelé un poids inappré- ciable dans la balance des desti- nées. Dupont, tandis que les onze ou douze mille hommes de ses deux divisions supplémentaires étaient retenus dans l'inertie, ne s'emparait que péniblement de Cordoue, ne recevait de tout côté que des nouvelles alarmantes au plus haut degré ; puis, il le fallait bien, se résolvait à regagner la chaîne Létique : il eût mieux fait de se replier à 30 kilomètres encore plus loin au nord, jusqu'à Baylen, vrai clef de toute la i)Osilion, au lieu de s'en tenir aux partis mi- toyens, qui perdent tout, et de prendre pour station Andujar. Tout en opérant ce mouvement rétrograde, il demandait à Madrid ce qu'il ne devait pas demander là, des renforts, car il eût fallu que, réputés en principe sa réserve et son arrière-garde, Vedel et Frère fussent directement en communi- cation avec lui. Soit sur ses ins- tances, soit spontanément et d'a- près ce qu'il avait aperçu et ouï le long de la route, Savary, qui venait d'arriver à Madrid, enjoignit aux deux divisions d'avancer, pour opérer leur jonction avec Dupont, ou pour communiquer par aides de camp et concerter les mouve- ments. Vedel s'acquitta merveil- leusement de sa part d'action , tandis que la division Gobert, substituée à celle de Frère, venait bivouaquer à San Clémente. Parti de Tolède, il s'avançait hardiment dans les anfracluosilés de la sierra Morena, ripostait éiiergiquetnent k la fusillade de quatre mille Espagnols embusqués au milieu des rochers, com.me si ses tirailleurs n'eussent fait d'autre métier leur vie que celui de contrebandiers montagnards et de Uabuc.iyres. Il

n'avait pourtant que mille hommes de plus qu'eux et que onze canons! C'était bien peu, certes, pour com- penser le désavantage delà position et l'ignorance des lieux. Cet enga- gement si bien conduit eut lieu le 20 juin ; le lendemain Vedel dé- houcha sur Baylen, où, comme on l'a dit plus haut et comme il le de- venait de plus en plus urgent, Du- pont aurait se rendre à l'instant en bon ordre, heureux d'avoir ainsi autour de lui, au lieu de onze mille soldats qui n'étaient pas tous valides et pas tous sûrs, seize mille concentrés que bientôt la division Gobert (elle ne tarda pas en effet) allait porter k vingt mille et qui, par le fait seul de leur nombre, se garantissaient mutuel- lement leur fidélité ! Il est vrai que les récentes instructions de Savary à Dupont semblaient exprimer la confiance qu'il garderait la vallée du Guadalquivir. Mais évidemment c'était un de ces vœux qu'il faut savoir interpréter: Savary, no sa- chant encore à quel point les affaires étaient malades dans le Sud, croyait possible encore ce qui ne l'était plus; il ne fallait donc voir dans cette phrase de sa lettre (lu'un « ojalà » (1), comme disent les Es- pagnols, et non un ordre. Mais revenons à Vedel. Il s'installe solidement à Baylen et il a ses avant-postes en avant de celte ville au bac de Menjibar. Maître de tous ces points le 21 juin au ma- tin, il l'était encore le 15 juillet suivant. Ce jour-là, pour la pre- mière fois depuis vingt-trois jours que les vingt mille Français étaient tous dans l'Andalousie, mais mal liés entre eux et trop à dislance

(1) Invitation, conseil

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les uns des autres, les Espagnols attaquèrent : ils n'avaient pas per- du le temps de ce long intervalle d'inaclion apparente: ils arrivaient au nombre de trente-cinq mille, dont vingt sous Castanos, et quinze sousReding, et ils purent as>saillir en même temps et Andiijar et le bac de Menjibar. Vedel repoussa vigoureusement ceux qui lui tom- bèrent sur les bras et se main- tint, comme, de son côté, Dupont tint tout le jour, plus laborieu- sement, il est vrai; car sous Andujar surtout "se portaient les grands coups. Mais le soir le com- mandant en chef requérant des ren- forts, Vedel se met en route avec toute sa division à peu près, n'en laissant à Gobert, déjà le moindre de tous en forces, que trois ou quatre compagnies. C'était trop peu au cas Reding renouvellerait ses attaques sur les avant-postes de Baylen, Et c'est ce qui ne man- quapas;tandisque, devers Andujar, Castanos était refoulé par les 16,000 hommes de Dupont secondé par Vedel, les traîtres Suisses de Reding, flanqués d'un gros d'insur- gés, jouaient de bonheur à Menji- bar. Un coup de fusil à bout por- tant avait abattu le brave Gobert, qui, loin de rompre d une semelle, commençait à voir plier les bandes hostiles. De un moment de tré- pidation. Dufour, qui avait pris soudain le commandement à la place (lu mort, mais que l'ennemi, encouragé par ce qui venait d'avoir lieu, pressait derechef, ne put que rétablir l'ordre d.jFis ses rangs, et s'attacher à couvrir Dayleu même. Quant au bac de Menjibar, il dut se résoudre à l'abandonner, [)Our se consolider sur un espace moindre. Au total, c'était un échec pour les Erançais, mais de fort minime

importance, Reding n'ayant osé poursuivre et sc contenta m d.; rester en observation. Malheureu- *' sèment Dupont toujours mal ren- seigné, vu l'éloignement, apprend, dans celte journée du 16, que des insurgé:: battent la monta- gne (devers Berça et Liiiares), et il ne sait rien des événements de Menjibar; il expédie à Gobert i'or- dre de se porter sur eux. Qu'ar- rive-t-il? Dufour, qui naturellement prend l'injonction pour lui , ne laisse qu'un assez faible détache- ment à Baylen et court du coté de la Caroline. Ce n'est pas tout, bu- pont averti entin de l'atlaire de Men- jibar renvoie Vedel à Baylen ; mais Vedel, qui ne trouve ^le H au ma- tin) qu'un mince noyau de troupes et à qui la panique générale certifle que l'insurrection occupe tous les défilés voisins et que Defour, parti afin de nettoyer la montagne, doit être lui-môme en péril, se porte de même hors de Baylen afin de le sauver. Baylen est donc découvert, et Dupont n'en sait rien ou ne le saura que trop tard. Le 18, en effet. Reding revient à la charge avec force, et cette fois c'est Baylen qu'il attaque, tandis que Castanos fait mollement et uniquement comme diversion une démonstration sur Andujar. Baylen, ainsi qu'on pou- vait et devait le prévoir, est emporté; et 18,000 Espagnols, tous de trou- pes régulières, s'y agglomèrent. y,edel, en lai>sant ce point essen- tiel de l'itinéraire à suivre, si mal garni de défenseurs [)Our couriroù des informations, au moins légères, lui signalaient un plus grave péril, est-il hors de reproche? Nousn'af- lirraons ni ne contestons : l'on appréciera. Toutefois qu'on oofe bien ceci : force est bientôt rîe rr- connaitrc que la montagne ne re-

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cèle rien d'extraoïuiiiane , \vàs d'embuscade, pas d'organisation; Ja population est hostile, mais c'est tout; elle est éparse, sans armes et à ses travaux; on Ta trompé. Mais ses troupes sont harassées, mais il ne s'avoue que tard son erreur. Il ne se hûte pas, dès le 18 et quand Reding n'a rien parfait encore, de regajrniT Baylen. Il ne s'y décide que le 19, et quand Dupont, qui s'est enfin déterminé le 18 au soir à se concentrer sur ce point, mais qui, lorsqu'il arrive le 19 au matin, n'y trouvant que des Espagnols en forces au lieu de Vedel et Dufour, non-seulement a engagé contre ces masses uu combat dcplorablemenl inégal, mais encore, sur l'annonce véridique que Castanos approche et va fondre sur ses derrières, est entré en pourparlers avec les deux généraux ennemis. A Vedel ici !e mérite de s'être décidé sur la sim- ple audition du canon dont le bruit vient de Baylen! C'est tard, sans doute, mais ce serait ici le cas d'ap- pliquer le célèbre adage : Mieux vaut, etc., » s'il n'avait pas perdu de temps! Mais il en perdit... Les débuts seuls emportent la louange. Dès qu'il a le pied sur les hauteurs de Ba y 1. n cinq heures du soir), Vedel prend toutes les dispo- sitions pour recommencer la lutte, et à la communication que viennent lui faire d'une suspension d'armes deux parlementaires de Reding, il répond qu'il n'en sait rien et con- tinue SCS préparatifs. Pourquoi faut-il que, lorsque ceux-ci insis- tent et d«;maiidrnt que du moins un olficitT vienne de sa paît au quar- tier-général de Reding et s'assure parses yeux qu'un parlemeniaire de Dupont est là, chargé de négocier et porteur de conditions qui s'' dis- cutent, il cède ii cette ouverture et

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envoie en effet un aide de camp s'as- surer du fait? Ne blâmons qu'avec mesure néanmoins : ou dirait que Vede! flaire soit un piège, soit: un déloyal calcul. Son aide de camp tarde à revenir; il se hâte de donner le signal de l'attaque; bientôt ses troupes sont maîtresses de toutes les hauteurs; il a pris trois canons, deux drapeaux et quatre cents prison- niers sont tombés en ses mains; il touche au moment d'emporter la position de l'Ermitage, quand arrive un aide de camp de Dupont lui- même: ordre à sqn sibordonné de ne rien tenter jusqu'à nouvelle instruction. Judaïquement parlant, Vedel ne peut se dispenser d'obéir; son chef n'est pas encore tout à fait au pouvoir de l'ennemi: ce n'est pas un prisonnier de guerre contraint qui prétend lui dicter sa conduite. Vedel ne veut pas courir le risque qu'on l'accuse de trop de zèle; il ne se renseigne pas catégo- riquement près de Tenvoyé de l'état des choses; il se plait peut-être à croire qu'il existe entre son com- mandant et Castanos (bien moins fuîibond que ceux qu'il conduit) un commencement d'accord, à l'aide duquel tout sera sauvé. Aussi per- plexe, il forme en conseil ses offi- ciers supérieurs et leur demande leur avis : des 24 qu'il a réunis, 4 seulement sont pour qu'on ne tienne aucun compte de prescriptions ex- torquées par la contrainte et pour qu'on reprenne le feu. Vedel ac- cède au vœu de la majorité, il se laisse paralyser. La reiponsabilité sans doute est sauve, mais sa divi- sion ne l'est pas, un trait do plnmc de Dupont peut la sacrilier. Quel- ques chances de salut restiMjt ce- pendant; et, iiprès toute la journée du 20 passée en stérik'sou funestes discussions entre Reding, Castanos

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et Dupont, Vedel, instruit enfin delà vraie situation, fait offrir à son chef de reprendre, lui, les hostilités le lendemain, puisque rien n'est encore signé et qu'à coup sûr rien encore n'oblige son second. Dupont, que prostrent en quelque sorte lesenùment et la honte d'un insuc- cès, serefuse d'abord à cette héroï- que proposition qui, réalisée, ou le dégageait ou lui valait de plus douces conditions. Un peu plus tard pourtant, homme de demi- mesure toujours, et cherchant à rendre vaine en partie la capitula- tion qu'il va signer et en vertu de laquelle trois divisions françaises vont rendre leurs armes, il écrit à Vedel de se mettre en retraite sur Madrid. C'est du moins une proie qu'il arrachait à l'ennemi. Vedel, s'il faut en croire ses amis, lesquels nous st^mhlent avoir au moins exa- géré, se hâte d'obéir à Tordre qui lui permet d'aller couvrir Madrid; en armes toute la nuit, il dérobe sa marche à l'ennemi, il impose par sa ferme contenance aux hordes qui voudraient lui barrer la route. Déjà l'on a dépassé la Caroline, déjà l'on louche Ste-IIélèue ; mais déjà aussi, par suite des menaces faites à Duponi de l'égorger ainsi que tous les siens, un contre ordre est surveiui; plein de peur que la colonne qui s'éloigne n'obtempère pas assez vile, une injonction plus impérative encore prescrit de sus- peuilre la marche et rend le général responsable de tout ce qui peut s'ensuivre. 11 faut l'avouer, l'aller- nalive était emb.irraosante ; déso- béir et rendre inévitable à peu près le massacre de li a i mille Français, ou, superstitieusemenl lidèle au principe de lobeissance, ajouter aux perles déjà certaines celle des 4,000 houimes sous SCS ordres immé-

diats ! Quelques militaires, ce nous semble, auraient à leurs risques et périls, dissimulant le teneur des ordres, choisi le premier parti; l'honneur en tout cas n'en aurait pas souffert, plusd'hommes seraient restés à la France, l'effet moral eût été moins préjudiciable , et peut-être la position de l'armée y eût-elle quelque peu gagné. Cette fois encore, comme le 18, Vedel n'osa décider par lui-même : il consulta ses officiers; le parti de l'obéissance l'emporta , et par l'humiliante capitulation de Bay- len, non - seulement la division Barbou que guidait Dupont en personne et qui se trouvait cer- née demeura prisonnière de guerre ; les deux autres à peu près intactes encore, rendirent leurs armes et furent dirigées sur Cadix, où, sui- vant les conventions, elles devaient être embarquées pour Rochefort Mais, honteuse violation du droit des gens, la junte de Séviîle, à l'instigation des Collingwood, des Hew Dalrymple, déclara nulles les promesses de Castanos, en partie désavouées; les soldais de Vedel, de Dupont, quin'avaient été ni cernés ni battus, sauf l'échec léger du 20 à Àienjibar, demeurèrent, contre loule foi et toute raison, prison- niers de guerre, ce ([ui veut dire allèrent périr de soif et de faim à Cabrera ou pourrir sur les pontons de l'Angleterre, et rAngleterre ne pendit pas Gibraltar aux amis qui servaient SI bien sa cause. Les trois généraux n'éprouvèrent pas celle atroce rigueur, et bieuiùl furent reconduits k Toulon. Mais les mé- n;igeuienl.>> mêmes doiU ils furent l'objet achcvaienl d'aigrir encore Napoléon, et Vedel faillit passer devant le conseil d'( luiuête qui, le n février 1812, s'assembla pour

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juger Dupont. L'empereur dans les premiers moments de iiireur (août 1809) n'avait parlé de rien moins que de faire fusiller tous les géné- raux a complices » de l'acte de Baylen, Ces explosions d'un trop légitime courroux cédèrent avec le temps devant les faits; et certaine- ment les 2% et 6' chefs d'accu- sation qu'articula le grand procu- reur-général (Regnault de St-Jean- d'Angely) contre Dupont n'étaient que l'expression de l'opinion finale du maître, plus calme et mieux instruit. Ils imputaient au malheu- reux vaincu de Baylen d'avoir, le J 9 juillet, « exercé sur Vedel une autorité qui ne lui appartenait plus, et paralysé ce général qui eût sauvé ses troupes ; >y d'avoir « flotté du \ 9 au20dans une honteuse incertitude, ordonnant aux divisions Vedel et Dufoiir tantôt la reddition, tantôt la retraite d'avoir « (le iy) étendu à deux divisions libres et victo- rieuses la trêve conclue avant leur arrivée ; » enfin d'avoir « notifié le 21 aux généraux de celles-ci un traité signé le 22. » Admettre tous ces faits (et, nous le répétons, il est clair que Napoléon les admet- lait), c'était acquitter Vedel de toute imputation de trahison, d'in- capacité, d'inertie. Dupont fut donc injuste lorsque, dans sa défense, il accusa Vedel de nombreuses déso- béissances et en vint îi dire: «J'ai trop longtemps ménagé le général Vedel , les fautes du général Vedel sont rorij,'ine de tout.» L'origine de tout doit être cherchée dans le décousu des démarches par lesquelles on se renseignait, dans les indignités du sac de Cordoue, dansle manque de concentration et de communication rapide. Une autre rrcriminalionde Dupont, un peu moinsfausse peut- être, ne doit être elle-même ac-

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cueillie qu'avec réserve; elle se réfère aux faiis du 21 . « La capi- tulaiion eût été avantageuse, » dit h commaudiiut en chef..., « si la division Vedel eût mis à profit rt'c^ l'ordre de départ que je lui avais donné k temps. » L'on n'a qu'à relire les détails donnés plus haut sur cette phase des opérations ; et, que Vedel ait mis ou non le plus de célérité possible au départ pour !a Caroline, on verra qu'il faudrait ajouter à la phrase de Dupont ces deux lignes : « Et si mes aides de camp porteurs successifs de con- tr'ordres ou ne l'eussent pas rejoint ou l'eussent trouvé récalcitrant. » En effet, ou esquiver par un galop à fond de train ou méconnaître par une fin de non recevoir le malen- contreux contr'ordre, tels étaient les seuls moyens de mettre l'ordre précédent « à profit réel. » Vedel 1 a-t-il pu? le pouvant, en stricte règle, en stricte équité, le devait- il? Telles sont, à notre avis, les seu- les questions à poser ici. Les dé- battre n'est ni de notre ressort, ni d'un simple article de biographie. Toutefois nous ne prétendons pas laisser dans l'ombre notre opinion, que du reste on peut avoir déjà pressentie. En droit strict, Vedel, échappant U la condamnation, n'é- chappe pas de même au blâme ; il a fait tout ce que réglementaire- ment , hiérarchiquement il était tenu de faire, et même un peu plus; s'il n'a pas fait tout ce qu'il était pos- sible de faire, il n'a pas commis de grosses fautes, mais il en eût pu réparrr de commises par autrui, et il ne les a pas réparées. Le génie ou l'opiniâtre intrépidité niorale lui a manqué. Dupont entouré n'a pas su mourir, Vedel n'a pas su déso- béir, n'apassu enfreindre la règle: c'est, â quelque palliatif qu'on ait

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recours pour le déguiser un peu oe faiblesse dans une crise décisive. Cette part faite au blâme et le tort de Vedel en un moment W\i pour embarrasser les plus ha- biles, réduit à sa juste valeur, nous ne nous étonnerons pas pour- tant qu'il n'ait point été désigné pour l'expédition de Russie. [On sait à quel point Napoléon ré- pugnait à réemployer ceux qui n'avaient pas triomphalement pro- menéses aigles au sud des Pyrénées et qui lui semblaient importer, inséparable d'eux désormais, leur guignon d'Espagne]; mais nous sommes un peu surpris que la dis- grâce ait été jusqu'à la destitution. Ce n'était plus de la justice, c'était de l'arbitraire politique. Toutefois, pour Napoléon aussi, l'étoile fatale surgit à l'horizon avant la fin de cette année les calamités de Baylen avaient été appréciées si durement; et à n'éva- luer que les pertes matérielles, un seul mois put faire équilibre à plu- sieurs Baylen. Soit que le grand homme, en cessant d'être invulné- rable, eût appris l'indulgence, soit qu'il se sentît besoin de tous en cette grande année 1813 oii tous allaient faire défection, Yedel fut réintégré honorablement et alla commander une division en Italie. De retour en France, au commen- cement de 1814 il fut détaché avec 4,000 hommes pour aller renforcer Desaix, lequelluttait en brave mais péniblement contre les Autrichiens, que favorisait l'inconcevable mol- lesse d'Augereau, en vain stimulé par les véhémentes adjurations de l'Empereur, et, sans trahir , plus sympathique aux ennemis qu'aux défenseurs du sol. Tel ne fut pas Vedel ; il tint aussi longtemps qu'il fat possible de tenir. Il défendit

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energiquement, avec des forces inégales, le passage delà Durance: un peu plus tard, il livra aux Au- trichiens, à Romans, un combat qu'on pourrait presque dénommer bataille, tant il y coula de sang, et tant chefs et soldats y déployèrent la bouillante intrépidité des beaux jours de la république. Le souvenir en vit encore parmi les paysans de Romans, et, selon eux, c'est aux Français que demeura la victoire. Le fait est que nous perdîmes moins de monde que les Autri- chiens, mais ils en pouvaient per- dre davantage. Cependant, à Paris, les événements arrivés le 30 mars avaient précipité le dénoûment. Malgré son récent dévouement, on comprend que Vedel n'ait pas vu de très-mauvais œil la restauration. Il ne s'inféoda pas pourtant à la politique de l'ultramonarchisme. Louis XVIII ne l'en créa pas moins chevalier de Saint-Louis, et Du- pont devenu ministre efifaça du moins ses torts envers Vedel, torts auxquels nous aimons à penser que l'avaient réduit les nécessités de la défense, en le nommant inspecteur général delà S" division militaire et un peu plus lard, à la suite d'un remaniement du personnel, en lui donnant le commandement du dé- partement de la xManche (:2' subdi- vision de la 14' division militaire, chcf-licu Caen). C'est en celte po- sition que le trouva Napoléon au retour de l'iled'Elbe. Vedel, malgré ses vieux griefs, voyant dans l'Em- pereur l'homme delà patrie, se ral- lia sans longs délais et accepta le commandement de la division en- tière. Caen devint alors sa rési- dence. Toute cette division alors était des premières en importance, vu son accessibilité par mer et sa proximité relative de Paris. Pour

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mille raisons donc il ne put pren- dre part à la campagne de Belgi- que. Jusqu'à la nouvelle de la ba- taille de AVaterloo, il maintint la Normandie et particulièrement le Calvados dans Tobéissance. Mais, quelques jours après le grand désastre, des royalistes débarquè- rent à Bayeux : le duc d'Aumont était à leur tète; Vedel y courut ayec deux mille hommes , plus six pièces de canon, et quelques coups de feu furent échanijés, quelques prisonniers furent faits de part cl d'autre, puis Ton s'observa. Le duc eut l'art de persuadera son adversaire que les Anglais allaient débarquer en forces et il lui fit ainsi souscrire une convention par laquelle il s'engageait à laisser l'armée royale entrer h Bayeux, à se retirer à deux lieues à l'intérieur et à rendre les officiers qu'il avait pris. Celte convention était-elle ferme ou conventionnelle? Nous l'ignorons. Ce qu'il y a de sûr, c'est que Vedel n'avaiiaucuneenvie de se laisser escamoter ses avanta- ges sur de simples paroles. 11 com- mença par ne faire que lentement ses j)réparalifs d'évacuation; puis bientôt, ne voyant ni babils rouges à la côte ni voile anglaise k la mer, il dénonça la convention au duc d'Aumont et lui signifia que, s'il ne s'embarquait au plus vile, il allait tomber sur lui avec ses hommes et sonarlillerie.il n'est pasimprobable qu'il l'eût battu, mais qu'en eût-il résulté?4.es événements marchaient plus vile que les hommes, les roya- listes levaient la lêie de tout côté, l'on eût trouvé barbare un général du parti vaincu qui eût donné le signal de la guerre civile et qui n'avait chance de traîner la résis- tance qu'en sacrifiant des villes. D'Aumont put doue à son aise et

sûr qu'il parlait sans risque, ré- pondre par cette bravade : « El moi, je somme, au nom du Roi mon maître et le sien, le général Vedel, de mettre bas les armes. » Presque au même instant une dépulation des notables de Bayeux conjurait le général d'ouvrir les portes au duc s'il voulait éviter une collision et des malheurs : la population en ébulli- lion depuis la veille étant décidée à les ouvrir elle-même. Bientôt en- fin survint la nouvelle que le dra- peau blanc flottait h Caen, dont était sortie la garnison. Ilélaittrop clair que rien d'utile ne pouvait sortir des efforts auxquels manquaient l'o- pinion locale et un centre d'action. Vedel ne s'occupa donc plus que de mettre obstacle aux désordres qui tendent toujours à se produire à la faveur d'une révolution et à laisser le pays en bon ordre au successeur dont il prévoyait la prochaine ve- nue. En effet, il fut révoqué au mois de juillet suivant, et bientôt après il vil son nom sur la fameuse liste des généraux mis en disponibilité par une ordonnance royale. Il prit sans grande peine, ii ce qu'il paraît, son parti des loisirs obscurs que cette mesure lui faisait. Il ne songea pas à se faire nommer membre de la Chambre, brillè- rent IcsFoy et tant de ses anciens compagnons d'armes. Il est presque superflu de dire que ni complot de Béfori,deSaumur ou de la Rochelle, ni lenlalive sur Niort et Thouars, ne le compta parmi ses affidés. II sentait à merveille que la poire n'était pas mûre; et même, calcul à part, son tempérament ne se por- tail pasauxexirêmes. Cette altitude invariablement inoffensive n'em- pêcha pas que, bien qu'il fût loin encore de ses soixante ans, le gouvernement de Charles X ne

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changea sa disponibilité en re- traite. On peut donc tenir pour sûr qu'il ne porta pas plus le deuil des Bourbons après juillet 1830, qu'il n'avait, en 1814, versé de larmes sur Napoléon. Il le porta d'autant moins que presqueaulendemain des grandes journées, il fut compris dans le cadre de réserve que créa l'ordonnancedu 15 novembre 1830. Il y figura, si nous ne nous trom- pons, jusqu'en 1841, c'est-à-dire jusqu'à sa soixante-dixième année exclusivement. Il lui était réservé de voir, après la chute de tant de gouvernemenls, celle de la brunche cadette aussi, puis après tant de résurrections, celle de la républi- que. Il ne mourut qu'en 1848.

Val. p. VEGA (Christophe de}, médecin espagnol, dont le nom a survécu tant dans l'histoire politique que dans celle des sciences médicales, avait été médecin de don Carlos, ce fils de Philippe 11 dont la fin dé- plorable est encore voilée de nua- ges, et il fut un de ceux qui mirent cette mort sur le compte d'uue fièvre chaude, que compliquaient souvent du moins des accès de frénésie. C'est lui sans doute aussi qui l'avait guéri des suites de la chute qu'il avait faite dans l'escalier de l'Escurial, mais qui n'avait guéri que le corps, témoin (s'il faut en croire les récits vulgaires) l'alTai- blissement mental qui fut toujours depuis ce temps l'apanage du prince. Les amateurs de chroniques se- crètes et de mémoires regretteront sans doute qu'il ne nous ait pas, transmis sa relation de la mala- die et de la mort de don Carlos : celle relation probablement ne coïnciderait pas de tout point avec celle que fit courir l'autorité d'a- lors; el, quelle qu'elle put être,

nous serions plus sûrs d'approcher de la vérité sur le fond et sur les détails du fait. Quant au point de vue scientifique, nous nous conten- terons de remarquer que, profes- seur à l'université d'Alcala de Hé- narez, il est regardé comme un des restaurateurs de la médecine des Grecs. Il connaissait à fond leurs usages, dont il se constitua en par- lie le commentateur, et peut-être est-on fondé à lui reprocher de les avoir trop fidèlement suivis et d'a- voir trop peu donné à l'indépen- dance et à l'initiative des idées. C'est du moins le caractère trop constant de ses ouvrages, qui sont au nombre de cinq, savoir : I. Com- mentaria in Hippocratis Prognos- tica, addilis annotationibus in Ga- Uni commentarios , Salamanque , 4552, in-fol.; Alcala de L., 1553, in-8°; Lyou, 1558, in-8°; Turin, 1569, in-S"; Venise, 1579, in-S". 11. De curalione carulacurum. Sala- manque, 1552, in-fol., Alcala, 1553, in-8''. m. Commentaria in libros Galeni de difj'ereniiisfebrium,Xh:i\\'àt 1553, in-8°. IV. Depulsibiis et mh- nis, Alcala, 1551, in-8°. V. De me- thodo viedendi libri 1res , Lyon , 1565, in-fol., Alcala, 1580, in-fol. Un autre Vlga. fleurit de même au xv' siècle, fut de même nanti d'une chaire de médecine, joignit de mê- me la réputation de savant à celle de praticien expérimenté , com- menta de même Galien. Mais il se nommait Thomas -Kodrigne de Yéga, mais natif d Kvera, il pro- fessa dans Coimbre (toujours en Portugal), mais il ne laissa rien sur Uippocrate, témoin la liste suivante et ce nous semble complète de ses œuvres. 1. Commentarios inGalenum tomus piimus^ in quo compltrsus est interprétai ionem Arlis mcdicœ et li^ brorum sex de locis afleclis^ Anvers,

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1564, in-fol. II. Covunentaniin li- bros duos Galeni de dif fcbhum, Coïrabre, 1577, in-4^ III. Practica viedica : acccdit tractatus de fonta- iielUs et cauteriis. Lisbonne, 1578, in-8°. D. V.

VELLÈXE (Joseph-Marie -Fré- déric), jeune acteur de grande es- pérance, mais que moissonna la mort avant qu'il eût eu le temps d'inscrire son nom sur la liste des grands artistes, avait débuté le 4 septembre 1765 à la Comédie- Française (alors à TOdéon) dans les rôles de Darviane et dOlinde, appartenant l'un à Mélanide, l'au- tre à Zénéide. Il avait de l'intelli- gence, du feu; seulement son or- gane était un peu faible. Son suc- cès, sans exciter d'enivrement et de transport, fut assez marqué, assez sérieux pour que la petite république dramatique l'admit en qualité de pensionnaire pour l'an- née suivante. Loin de s'endormir sur ces premiers succès, il poussa ses études avec la plus louable ac- tivité, il gagna sans cesse en no- blesse, en vigueur, en vérité, en expression dramatique, il créa des rôles (Waiter Fursl dans Guillaume Tell et sir Charles dans Eugène}^ il s'attacha surtout à suivre les traces de Mole. Aussi, pendant une lon- gue maladie dont fut attaqué, ce grand maître, est-ce sur Vellène que se portèrent les yeux pour :»uppléer à son absence. Infatiga- ble en même temps qu'éleclrisé par l'idée de ne pas laisser sentir au public le vide laissé par l'inimi- lable, il lit vraiment merveille, il joua presque tous les rôles du ré- pertoire de son chef d'emploi, et il eut le plaisir d'entendre de vieux amateurs affirmer que Mole aurait à peu de chose près un successeur. La prédiction, oii le voit par ce que

nous avons plus haut, ne devait pas se vérifier. Toutefois, la Compa- gnie, appréciant et ses progrès et les services qu'il était en mesure de rendre, lui témoigna sa satisfac- tion en l'admettant lel"avril 1769 au nombre de ses sociétaires. Il avait été trois ans pensionnaire. Il ne jouit pas même trois mois, pas même trois semaines de sa nou- velle position. Dès le 20 avril sui- vant, la mort le surprenait au Bourg-la-Reine. L. C.

VENAILLE, conventionnel, un de ceux qui ne marchaient que for- mules et sentences à la bouche, plai- dait avec un médiocre succès au bailliage de Romoranlin quand l'au- rore de la révolution se leva sur la France. Il fut des premiers à saluer ce jour nouveau; et, comme presque tout le barreau, il adopta chaleureusement les princi- pes à la veille de triompher : il ne tarda même pas à les outrer. Tou- tefois, il faut dire qu'il se maintint dans des bornes raisonnables, tant qu'il n'eut h s'acquitter que des di- verses fonctions municipales dont le revêtirent ses concitoyens, car ni pour la Constituante, ni pour la Lé- gislative il n'avait été, il n'aurait pu être question de lui. Mais, après le 10 août, mais quand les plus ar- dents et les plus résolument logi- ques eurent pris le dessus et se mi- rent k brûler leurs vaisseaux, alors le temps vint le

... Vacuis tcdilis ulubris,

devint le législateur; le district de Romorantin l'envoyasiégerà la Con- vention. Une s'y fit remarquer que par les paroles dont il accompagna son vote de mort dans le procès de Louis XVI. Voici la substance de ce vote : « Trois questions ont été posées : sur la première,

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juré, je déclare Louis coupable de trahison , sur la seconie, juge, j'applique la loi, et politi- que, je prends une mesure de sù- 'reté, la mort; sur la dernière, je me refuse à tout sursis. >; Du reste, au milieu des luttes à mort qui se succédèrent quand la tête de Louis XVI fut tombée et qui ra- virent le pouvoir et la vie aux Gi- rondins d'abord, aux Cordeliers ensuite, enfin à Robespierre et à ses acolytes, il sulmanœurrer avec assez de prudence pour n'être ja- mais des plus avancés et jamais des distancés, de telle sorte qu'il es- quiva jusqu'au bout le sort fatal de tant de ses collègues. La Con- vention dissoute, soit qu'il ne se fût pas senti à l'aise dans les crises au milieu desquelles ont à se dé- battre les sommités politiques, soit que les électeurs solognots de Loir- et-Cher ne lui fussent pas suffisam- ment dévoués, il ne quitta plus Komorantin et son district et se contenta d'y remplir le rôle mo- deste de commissaire du Directoire jusqu'à la révolution du 18 bru- maire. Il eût volontiers ensuite repris son existence de barreau, lors de l'organisation nouvelle qui se produisit. Mais s'il est toujours facile de fermer un cabinet, il ne l'est pas autant de le rouvrir ou du moins de l'emplir. Sous l'empire donc, il s'accommoda, sans autre souci que d'arriver en temps et lieu U la position immédiatement supérieure, des fonctions de substi- tut au tribunal de première instance de sa ville natale. Ce t('mj)s ne de- vait point arriver pour lui : 18 li ne le tiouva que substitut, en mê- me temps que membre du conseil d'arrondissement de Komorantin; et sa conduite pendant les Ccnt- Jours l'ayant placé dans la situation

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fâcheuse frappée d'ostracisme par la loi sur les régicides, 1816 le vit contraint de s'expatrier. La Suisse, cette collection de petites républi- ques dont le point de départ fut la résistance à l'oppression autri- chienne, fut le lieu d'exil qui lui sourit. Ils'ytrouvait encore neuf ans après, c'est-à-dire en 1823. L. V. VEIVDEL - IIEYL ( Louis -An- toine^ , dont, abréviativement et vicieusement peut-être, l'usage a fait Vandéle, helléniste de mérite et professeur distingué, naquit à Paris, en 1791, mais évidemment, ainsi que l'indique son nom, était d'origine hollandaise. Deux ou trois volumes, émanés de la cé- lèbre école hollandaise de Henster- huys, Lennep etScheid, en lui tom- bant sous la main, non -seule- ment lui donnèrent le goût de la langue grecque, mais firent naî- tre en lui la ferme résolution de l'apprendre à fond et de suivre en cette étude d'autres voies que cel- les dont s'était contentée l'uni- versité au dix-huitième siècle : il s'imposa l'obligation d'écrire en grec,c'est-h-dire, tout euphémisme mis de côté, qu'il imagina de s'exer- cer au thème grec. Naturellement, l'adolescent pour qui semblable gymnastique avait des charmes, ne pouvait manquer d'avoir du goût pour l'enseignement public. Il fut admis, en 1812 au plus tard, comme répétiteur h l'école Sainte- Karbe, qui, par le nombre et la force des études, était au niveau de bien des lycées? Il était très-sympa- thiijue à ses élèves; et par l'affection que leur inspiraient sa parole et son zèle pour leurs progrès, non moins que i)ar son talent, il les Dt en as- sez bon nombre participi-r à ses prédilections; il les vit mordre au thème grec : il fut ainsi de ceux

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qui rallumèrent le feu sacré, qui contribuèrent à ressusciter l'étude de cette langued'Homère et de Pé- riclès si délaissée naguère. D'au- tres vinrent, quelques années après lui, qui, mieux placés, qui, par- lantde plus haut, firent faire large place sur toute la ligne universi- taire au thème grec. Qu'on lesloue, ou qu'on les blâme, qu'on les pré- conise, ou qu'on les honnisse (car l'un et l'autre est possible , l'un et l'autre s'est fait), toujours est-il qu'à Vendel-Heyl appartient l'ini- tiative de ce moyen de se familia- riser avec les ressources et la beauté de l'idiome proprement dit classique par excellence. L'uni- versité ne tarda pas à s'approprier Vendel-Heyl. En 1816, iifutenvoyé au collège royal d'Orléans, et il y resta trois ou quatre ans. Sa soli- dité d'instruction, sa clarté de pa- role n'y furent pas moins appré- ciées qui\ Sainte-Barbe. Il fut re- connu par ses supérieurs que sa place vériiable était la Paris. La création du collège Saint- Louis ayant eu lieu sur l'entrefaite, de douze à quinze chaires se trouvè- rent à donner; il en eut une, la quatrième d'abord, plus tard la troisième et quelque temps la se- conde. Personne ne nous deman- dera de retracer ici les phases de cette vie d'enseignement à Saint- Louis. Deux remarques seulement présenteront peut - être quelque intérêt. L'une, c'est que Vendel- Heyl, dans sa chaire, ne fut pas exclusivement un héros de grec, c'était aussi un homme de goût, et les traits, soit historiques, soit ar- chéologiques, dont il émaillait ses leçons étaient pour beaucoup dans Kattr^il auquel près de lui se lais- sait aller son jeune auditoire; l'au- tre c'est qu'il ne fut pas agrégé

titulaire avant l'adoption de ce mode de recensement auquel l'u uiversité nouvelle doit tant; était tout naturellement dispensé de l'épreuve. La commotion intel- lectuelle à laquelle donnèrent lieu les suites de juillet 1830, dérangea cette existence si paisible. Beau- frère de Boblet, le libraire des saint - simoniens , non-seulement Vendel-Heyl s'était pénétré des idées du saint-simonisme, mais en- core quand, après la secousse des grandes journées , ses disciples, qui jusque-là n'avaient été que de libres penseurs isolés et pacifiques, ne sortant de leur cabinetque pour méditer entre frères, crurent le mo- ment venu de se mettre à l'action et de déployer un drapeau mis- sionnaire un peu trop ardent, il crut pouvoir et devoir en sa chaire môme proférer des maximes, déve- lopper des points de vue, qui pré- pareraient les jeunes esprits confiés 4 heures par jour à sa tutelle à de- venir un jour les adeptes de la doc- trine naissante. Ces inopportunes excursions hors du strict domaine des langues anciennes élaientassez du goût des écouiants, ne fût-ce qu'i^ titre de hors-d' œuvre et d'en- torses à la monotonie; et, soit ma- lice, soit vénération pour un pro- fesseur qu'on aimait, ou commen- cement de foi, il en fut beaucoup, il en fut trop parlé hors de classe. Mais ces excursions alarmèrent singulièrement, et non sans cause, il faut l'avouer, proviseur et cen- seur. Il en fut référé au minis- tre. Grand scandale : admones- tation , récidives, petites intrigues épisodiques, huile sur le feu, et finalement incompatibilité décla- rée, et démission de rhellénisle, qui n'avait pas d'autre voie pour échapper à la révocation. On peut

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regretter que l'autorité n'ait pas su trouver un biais pour n'aller, à l'égard de Vendei-Heyi, que jus- qu'à la mise en disponibilité, ou pour lui créer une disponibilité tolérable. Les mesures prises à son égard eurent pour résultat d'enle- ver à l'université de France un de ses plus honorables membres, un de ceux qui pouvaient encore lui rendre le plus de services. Accé- dant h. des propositions liées à des idées d'enseignement plus origi- nales, plus sages et plus fécondes que celles auxquelles jusqu'ici s'est enchaîné l'Etat, il s'embar- qua, en <839, en qualité de profes- seur particulier d'histoii-e, à bord du vaisseau Y Oriental, qui partait de Nantes comme allège flottant, pour faire le tour du monde. Nous ne pouvons dire s'il l'acheva. Ce que nous savons, c'est qu'il traversa l'Atlantique, c'est qu'il vint dou- bler heureusement le cap florn, et qu'il débarqua au Chili, soit avant, soit après toute la traversée ac- complie : il est à parier que ce fut avant. Il est certain aussi qu'au Chili les recommandations dont il se trouvait porteur, ou dont il fut l'objet sur place, décidèrent sur-le- champ le gouvernement à l'atta- cher k ses établissements d'ins- truction publique. Il fut pourvu d'une chaire à Valparaiso, sa capi- tale. Est-ce aux antiquités et îi l'histoire , est-ce au grec qu'il dut initier les jeunes Chiliens? On n'a pu nous satisfaire \\ cet égard , et nous laissons la réponse à l'appré- ciation de nos lecteurs, qui, pro- blablemcnt, apprécieroîit de môme que nous. Mais l'on nous a cerlilié que sa position lui rapportait au moins de six à huit mille francs vers 1853. Vendel Iloyl \\& devait pas revoir sa pairie : ses os repo-

sent à Valparaiso, 11 s'éteignit très-peu d'années, nous dit-on, après avoir reçu les nouvelles de la dernière collision de Nicolas avec la Turquie, c'est-à-dire évidemment de 18o3 à 1856.— Vendel-Heyl a- t-il fourni quelque lustre de litté- rature ou d'enseignement à la presse américaine ? Nous avouons l'igno- rer, comme tant d'autres particu- larités de sa vie sur lesquelles nous avons confesser notre indigence de documents. Mais en France il a beaucoup produit, dans une seule spécialité, il est vrai, dans celle qu'il possédait si bien. Le plus gros ouvrage auquel il ait mis son nom, c'est la révision du diction- naire de Planche, intitulé Dic- tionnaire grec - français , nouvelle édition, sur un plan entièrement nou- veau, augmenté de plus de quinze mille notes, d'après les travaux de la critique moderne, et formant un dictionnaire complet de la langue grecque, par L.-A. Vendel-Heyl et Alexandre Pillon. Paris, 1836, in- 8°. Toutefois, comme il est un fait que la presquetotalité des additions et des réformes est due au collabo- rateur, et que l'idée de la refonte provint du libraire, dont le Plan- che était la propriété, propriété bien singulièrement démonéti- sée depuis qu'un rival avait pris le haut du pavé, nous ne pou- vons on réalité coter très-haut l^s mérites de Vendel-Heyl quant a cette publication. A coup sûr, il avait tout ce qu'il fallait et de science préalable et de vigueur laborieuse pour mener sa lâche h lin, eût-il été seul; mais on ne lui demandait que son nom, ou tout au plus et pour la forme, quehiucs j)ages et quelques conseils avec son nom...; il trouva doux de n'en faire pas plus qu'on n'en demandait; il

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pratiqua l'aphorisme du prince de Bénévent:«Pas de zèle! » et il fut payé, c'est simple, en raison in- verse du carré de la besogne ac- complie. Nous ne nous en éton- nons ni ne nous exclamons; mais, biographe, et en celte qualité jus- ticier sincère, nous devions signa- ler le fait : la capacité, nous la re- connaissons, même dans les cas d'inertie et d'apathie; mais « à cha- que capacité selon ses œuvres. » La révision du Planche ainsi biffée du nombre des vrais travaux de Vendel-IIeyl, l'ouvrage qui reste réellement son titre d'honneur et le livre caractéristique de l'aptitude qui le recommande à la mémoire des hommes de l'enseignement, c'est un Cours de thèmes grecs en deux parties qui parurent successi- vement et qui chacune eurent plu- sieurs éditions : la première partie surtout, comme la plus facile, en comptait déjà cinq dès 1830; la seconde en avait trois en 1831. Ce n'est cependant ni la mieux tra- vaillée ni la mieux réussie. Mais c'est celle qui embrasse et la syn- taxe et les idiotismes: actuellement on ne l'aborde que la dernière et beaucoup même ne l'abordent pas du tout. Les deux parties, du reste, présentent au plus haut degré ce dont les élèves ont le plus besoin, une gradation parfaite de toutes les difficultés à vaincre et un choix appétissant de phrases typiques, de sentences et d'anecdotes, débar- rassé de la vieille rouille et des inélégances dont étaient hérissés les manuels ii thème latin de l'ancien régime. En tête, du cours de Van- del-IIeyl était un Abrégé de gram- maire grecque qui, même après Bur- nouf, avait sa raison d'être, sinon pour la lexicologie, du moins pour la syntaxe; ce que nous n'oserions

pas affirmer de tant d'autres qui comme lui tentèrent de refaire l'œu- vre grammaticale de celui qui di- sait : « Nous savons mieux le latin, le grec, depuis que nous savons le sanscrit, » sans avoir pris au préalable la précaution d'apprendre ce que le traducteur de Tacite sa- vait à l'époque il s'exprimait en ces termes et ne savait pas lors- qu'il commençait à supplanter les élucubrations de Furgault et de Gail. Vendel-Heyl fut, tant qu'elle dura, une des colonnes de la Bibliothèque grecque-latine- française que com- mença, mais que n'acheva pas la maison Poilleux, et dont la spé- cialité consistait à présenter réunis en un même volume texte original et traduction française sur la page de gauche, traduction interlinéaire sur celle de droite, le tout suivi de quelques notes indispensables. Une concurrence surgit, qui, moyennant une modification insignifiante, s'em- para de l'idée mère; et les gros ca- pitaux écrasèrent les petits. Des vingt et quelques volumes que com- prend la collection, douze sont de Vendel-IIeyl, savoir : deux latins (le Cornélius Nepos) et dix grecs, lesquels exhibent chacun une tra- gédie. Eschyle ii lui seul en emplit sept, il est complet ; les deux au- tres grands tragiques sont repré- sentés, l'un par le Philoctète et l'E- lectre , l'autre par Viphigénie en Aulide. U Eschyle (1834-1836) nous offre ceci de particulier qu'il porte à sa suite un petit lexique des mois jusqu'ù ce temps inexpliqués qu'on rencontre dans cet auteur. Tout mince qu'il est, cet appendice est important; il tient lieu de longues notes ou les abrège; il était néces- saire. Quant la traduction, comme sens elle est fidèle; mais ce n'est pas Vendel-IIeyl qui pouvait rendre la

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sombre énergie, le mouvement et la couleur du vieux brave de Ma- rathon. Il est plusk la hauteur avec ses deux rivaux. Nous indiquerons encore deux livresque recommande le nom de Vendel-Heyl. L'un est le Conciones grec, annoté pour le bac- calauréat es lettres, avec traduction très-littérale en regard du texte^ Pa- ris, 1836-1839, 13 livraisons grand in-18. L'autre est un Narrationes dont voici le titre, non tout au long, maisdans ce qu'il a d'essentiel : Nar- rations choisies des meilleurs auteurs latins , Valèrc- Maxime, A ulurGelle. . . , Velleius Pater culus..., Suétone^ Ta- cite, précédées de sommaires et ac- compagnées d'analyses, Paris, 1833, in-12; ou, avec traduction française, 2 V. in-12, même année. Nous laissons de côté nombre d'opuscu- les encore, mais qui présentent de plus en plus le caractère non-seu- lement scolaire, mais élémentaire et compilatoire, ii plus forte rai- son quelques bagatelles ou feuilles volantes, telles que son discours sur la tombe de Ch. Boblet, son beau-frère, le 20 mai 1832, etc., etc. Val. p. VENERI (Augcstin), savant bé- nédictin du seizième siècle. Hélait Napolitain, embrassa la vie reli- gieuse et fit profession en l'abbaye de Cava ou Cave, le 12 septembre 1595. 11 s'était livré surtout à l'é- lude de l'anliquilé, et y avait ac- quis des connaissances fort éten- dues. Cet érudil était aussi un écri- vain laborieux, et il a laissé un grand nombre d'ouvrages, dont je ne puis, malheureusement, qu'in- diquer le sujet sans en donner les litres. Lel*'' est un recueil des pri- Tiléges de son abbaye de Cave, en cinq volumes in-folio. II. Mémoi- res sur plusieurs familles du royau- me de Naplcs, 3 vol. 111. Histoire

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des villes et provinces d'Italie, de ses peuples et de ses rois. IV. Un petit livre des donations faites à l'abbaye de Cave par les princes dB Salerne, et du droit de patro- nage qu'elle a sur plusieurs Eglises, avec l'histoire de leur fondation. Tous ces ouvrages sont en latin. Dans la troisième partie de son Historia rei litterariœ ordinis S. Be- nedicti {pars biographica), Longi- pont n'a point consacré d'article spécial à Veneri. Il le nomme seu- lement dans sa liste supplémen- taire, page 549, et renvoie à Marian Armelin. Ce dernier (voy. ce nom, tome II, p. 479 ) a effectivement parlé de notre religieux dans sa Bibliotheca Benedictino-Cassinensis, sive scriptorum Cassinensis congre- gationis, alias sanctœJustinœ Pata- vinœ, qui m ed adhuc usquè tempora floruerunt, operum ac gestorum no- titiœ, imprimée à Assise, dans le format in-folio; mais cet ouvrage est rare en France. Veneri était de cette congrégation de Sainte-Justine de Padoue. Ce religieux, qui jouis- sait d'une grande estime, mourut en 1638. B.-d.-e.

VENTURA (JoACHiM) naquit à Palerme, en Sicile, le 8 décembre 1792, de don Gaud Ventura, baron de Raulica, et de dona Catherine Galinelli. Douéd'une grande facilité et d'une vive intelligence, il com- mença SQS études de très-bonne heure, et il les termina à l'âge de quinze ans. Elevé chrétiennement, il résolut dès lors de renoncer au monde, et il entra dans la compa'- gnie de Jésus, qu'un bref de Pie VII avait rétablie pour le royaume de Naples seuleme^il. Une no^e sur Ventura a dit qu'il ejitra chez les jésuites par déférence pour le dé- sir de sa mère. Cette obscnalion, qui parait avoir été faite sous son

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influence, a peut-être sa portée; quelques circonstances de sa vie pourront engager le lecteur k pen- ser dans quel esprit elle a été faite. Quoi qu'il en soit, Ventura, après être entré chez les jésuites de Pa- lerme, s'y attira la considération de ses supérieurs, qui lui confiè- rent aussitôt la chaire de rhétori- que. Les révolutions qui amenè- rent le règne passager de Murât, bouleversèrent le royaume de Na- ples tout entier; la maison des jé- suites fut fermée. Ventura, qui avait goûté le bonheur de la vie reli- gieuse, et gardé toute sa candeur, ne voulut pas res'er dans le monde, et entra dans l'ordre des théatins. Il ne pouvait choisir un institut qui fût plus conforme à celui qui venait d'être éprouvé de nouveau. Ventura n'était pas encore prêtre, mais il fut ordonné après son en- gagement chez les théatins, et se livra à la prédication avec un suc- cès remarquable. L'ordre auquel il venait de s'attacher était comme tous les autres, même en Italie, dans une sorte de nouvelle création et avait plusieurs difficultés à vain- cre. Ventura y fut bientôt remar- qué comme un sujet distingué, et on lui donna les fonctions impor- tantes de secrétaire général. Apte à la composition comme au minis- tère de la chaire, il se donna donc aussi aux travaux du cabinet, et se fit bientôt connaître du public par des ouvrages utiles. Le premier qui sortit de SI plume fut un plaidoyer en faveur de son ordre et mr^mede tous les instituts religieux, car il parlait pour tous dans La Causa dei liefjolari al tribunnle del bon senso. Dès lors il fut remarqué dans le monde savant comme publiciste et comme orateur. On publiait à Na- ples une Encyclopédie rccléniasli-

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que, dont les feuilles religieuses en France parlèrent avec éloge ; le P.'' Ventura en était l'âme, ou du moins un des plus actifs collaborateurs. Il fut nommé censeur de la presse et membre du conseil royal de l'in- struction publique du royaume de Naples, malgré la loi qui défendait aux Siciliens d'exercer de telles fonctions hors de la Sicile. Quoi- que son caractère et ses fonctions semblassent le livrer uniquement par goût et par devoir aux travaux de l'administration et aux compo- sitions purement littéraires, il était pourtant entraîné aux méditations plus sérieuses des sciences et de la métaphysique, et il compta bien- tôt parmi les philosophes religieux les plus distingués de l'époque. A la paix continentale (1814), la res- tauration, en France et ailleurs, amena une sorte de révolution dans les idées et même dans les esprits. Bientôt quelques hommes parurent dominer par la puissance de leur intelligence. Entre ces hommes on doit en citer un, tombé aujourd'hui dans l'oubli, mais qui, alors, non- seulement en France, mais aussi dans toute l'Europe, semblait voir l'admiration extasiée devant son génie. En faisant la part de l'exa- gération, on peut convenir que cette admiration lui créa une sorte de culte, et bientôt lui procura des disciples. Ce n'était pas d'abord une école ; on ne voyait on cette plume, à la fois énergique et élo- quente, qu'un instrument dont se servait la Providence pour signaler et réveiller l'indifTérence qui s'en- dormait sur les intérêts les plus sa- crés de l'individu et de la société tout entière. Quand bientôt le philosophe prit la place de l'apôtre , il fut suivi pardesjeunes gfns d'é- lite, âmes ardentes, qui, ne cher-™

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chant que Dieu et la vérité, ne pou- vaient croire qu'on s'égarât en écoutant une voix qui avait éclaté si haut pour l'un et l'autre. On peut le dire assurément , un nombre considérable des partisans du sys- tème philosophique de l'abbé de La Mennais n'adopta ce système que par enthousiasme. Il était comme nécessaire que le P. Ven- tura partageât cet enthousiasme, qui était dans sa nature et dans ses dispositions d'esprit. C'était d'ail- leurs alors une satisfaction pour l'amour-propre que de se dire ou être dit disciple de l'abbé de La Mennais. Ventura avait assurément des connaissances plus variées , plus de science que La Mennais, mais il ne rougissait pas alors de suivre un horame qui avait une ré- putation si brillante.il devint donc un des adeptes du nouveau maître; on ne l'ignora point en France et on lai en sut gré. Ventura, philo- sophedistingué lui-même, adopta-t-il le témoignage de l'autorité générale comme uniqie base des preuves de la vérité? Je ne l'assure pas, mais il n'est peut-être pas opportun de l'examiner ici. Cependant il esti- mait cette preuve k la haute valeur qu'elle a en effet, sans peut-être la regarder comme crilcrium exclusif. Ardent propagateur de celte nou- velle philosophie éclose en France, et qu'il qualifiait de philosophie catholique, il contribua largement à l'importer en Italie, et il encou- ragea la traduction de V Essai sur L'indifférence en matière de religion. Dominé par les dispositions que je viens de signaler , il était également rempli d'admiration pour des hommes tels que M. de Bonald, Joseph de Maisire , etc. Il traduisit en italien l'ouvrage de ce dernier, intitulé : Du Pape, et le

livre si profond du premier sur la Législation primitive. Il était par- venu aux fonctions de procureur général de son ordre, qui condui- saient ordinairement à la première dignité. Le pape avait voulu, dit-on, lui confier la direction du Journal ecclésiastique de Rome. Il consenlit seulement à être collaborateur de cette excellente feuille, à laquelle il ne donna , a-t-on écrit, que quelques articles sur l'action civili- satrice de la France. Cette petite remarque restrictive, écrite dans notre pays, et à laquelle il n'était peut-être pas étranger, n'est point juste. Ventura donna au Journal ecclésiastique d'autres matériaux, entre autres, en 1825, un article fort remarquable sur la disposition actuelle des esprits en Europe par rapport à la religion. Ce titre mon- tre la relation du sujet avec celui que traitait un ouvrage si célèbre 'i son apparition. Cet article parut aussi en divers recueils, fut tiré à part, et révélait dans son auteur un rare esprit d'observation. Après la mort de Pie VII, le P. Ventura prononça son é!oge funèbre; mis- sion fort honorable , mais tâche fort difficile, puisqu'il fallait une hauteur de vue bien remarquable pour envisager sans prévention les positions délicates ce pape s'é- tait trouvé. Ventura réussit en ha- bile orateur et en sage publiciste, puisqu'il parla au goût de tout le monde; ce qu'on peut conclure des éditions de son discours, qui se montèrent à vingt et peut-être da- vantage. Il y a des passages qui m'ont paru d'une grande énergie. Léon XII le nomma à la chaire de droit public ecclésiastique dans l'archi-gymnase romain , et par une distinction ou exception inli- niment honorable, due aux écrits

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que le savant religieux avait déjà publiés, il le dispensa de la loi du concours. On lui confia, en outre, une mission habituelle et très-ho- norable, en le nommant membre d'une commission de censure avec Orioli et le capucin Micara , tous deux devenus ensuite cardinaux,' et avec le camaldule Maure Capel- Jari, qui fut plus lard le pape Gré- goire XVI. Ventura fut, après cela, SLumônierde l'Université. Il se dé- mit du professorat, amené, dit-on, à cette mesure par d'odieuses ac- cusations. En quoi consistaient ces accusations, si elles ont existé, et en quoi étaient-elles odieuses? Je l'ignore. N'était-ce pas déjà le fruit de quelques préventions contre lui à cause de son affection marquée pour le parti mennaisien qui com- mençait à vouloir tout soumet- tre à sa direction? Ventura a passé pour un des rédacteurs du Mémorial catholique ; je n'en pour- rais donner aucune preuve; mais ce journal était l'organe savant de la nouvelle école, et Ventura avait la satisfaction de s'y voir exalté. 11 donnait aussi déjk prise k la criti- que par des formes singulières dans ses écrits. Lorsqu'il publia le premier volume de l'ouvrage inti- tulé : De methodo philosophandi, il le dédia à Chateaubriand, dont il latinisait le nom en l'appelant le vicomte Caslribriantii^ et lui di- sait naïvement que c'était lui qui avait relevé dans sa nation^ par ses écrits, la religion abattue , et qu'il travaillait^ par ses efforts politiques^ à la faire fleurir de plus en plus. Chateaubriand, qui se donnait vo- lontiers ce témoignage k lui-même, n'aura rien trouvé d'hyperbolique dans le compliment du P. Ventura. Si le P. Ventura perdit sa chaire au collège de la Sapience, il ne

perdit pas la considération dont il jouissait k Rome; on dit même que deux cardinaux allèrent chez lui pour le détourner de se démet- tre ; on a ajouté que le pape, n'ayant pu vaincre sa résistance, voulut du moins que le mot spontané fût mis dans la dépêche, etqueVentura jouît k titre de pension de la moitié de ses appointements. Il venait d'être nom- mé consulteur (1828) de la congré- gation des Rits quand il publia le cours de philosophie dont je viens déparier. Le souverain pontife lui confia des commissions politiques : il réconcilia avec le saint-siége Chateaubriand , ambassadeur de France, dont les imprudences ou les prétentions avaient mécontenté le saint-père , qui ne voulait plus le voir. Ce fut j)ar son influence que fut conclu le concordat de Rome avec le duc de Modène , et même, k la prière de celui-ci, il fut question de promouvoir k l'épis- copat le P. Ventura, mais Léon XII voulut le garder près de lui. Dans le corps religieux auquel il avait le bonheur d'appartenir, il jouissait toujours de la même considéra- lion, et les théatins l'élurent à l'unanimité général de l'ordre, le 25 février 1830, dans la session du chapitre général qui eut lieu alors sous la présidence du cardinal Albani, secrétaire d'Etat. Il s'occu- pait toujours k des compositions sérieuses qui le faisaient placer, depuis longtemps déjk, au rang des plus remarquables écrivains de son siècle, et il faisait un cas spé- cial lui-même de ceux dont la France avait droit de s'enorgueillir. Il l'avouait, et il le prouvait d'ail*- leurs par sesœuvres. Ainsi le traité De jure ecclesiastico, qu'il avait édité à Rome en 1826, n'était pas strictement un manuel de droit ec-

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clésiastique , mais on pouvait y voir aussi un manuel de philoso- phie religieuse , car il y avait réuni et classé en ordre les doctrines de De Maistre, de Bonald , de l'ahbé ilobert de La Mennais, de Haller, de Saint-Victor. Les discussions philosophiques avaient, en effet, un attrait particulier pour lui et il était un des panégyristes et même un des apôtres de ce qu'on appe- lait, ou plutôt qu'ils appelaient la philosophie catholique. Néan- moins on ne pourrait peut-être pas dire qu'il se soit fourvoyé dans son enseignement ou dans ses disserta- lions. Ainsi, dès 1825, il développa dans une séance de V Académie de la religion catholique cette proposi- tion : La raison humaine n'a pu et ne pourra jaiMis avoir une paifaite connaissance de la religion hors dn catholicisme. Voilà un sujet qui a, de nos jours, poussé quelques hom- mes bien intentionnés à des con- clusions extrêmes; maison ne peut pas dire , ce me semble , que Ven- tura partage les erreurs des tradi- tionalistes imprudents et exclusifs, puisqu'il dit une parfaite connais- sance, ce qui est vrai, et non une connaissance quelconque. On ne peut douter qu'en s'attachantk cette école qu'il voyait, en France, agi- ter quelques esprits et parler avec tant d'ardeur en faveur des préro- gatives de l'Eglise, de la liberté du catholicisme, Ventura n'ait été ani- mé des intentions les plus louables. A la distance il se trouvait, il n'avait pu, peut-être, comme les hommes plus réfléchiset plus sages, s'apercevoir des excès un zèle présomptueux avait déjà entraîné lesnouveauxdocteursqu'il admirait. Aussi, quelles que fussent ses dispo- sitions naturelles , dont on verra plus tard les tristes effets, il ne parta-

ge» ipoint teni* grossière et fune^e illusion après la révolution de|tiîl- let 1830. Au contraire , voyant les dangers de la situation et les possi- bilités de l'avenir, i4 ne put lire sans étonnement et sans scandale tout ce que la démocratie catholique prétendue de l'abbé Robert de La Mennais et de son escorte insérait dans l'Avenir, journal religieux de la nouvelle école. On y disait qu'il fallait faire une croisade contre les rois, qui sont des barbares, ôesim- pies^ des souverains conjurés... Mcd- heitr, écrivait-on en effet, à Tfm- bécile qui ne le comprend pas!..\. Sous le régime de la restaurât!^ des Bourbons, nous vivions, suivant eux, sous une oppression stnpide... c'était une tyrannie sans échafauds. « I>ans l'enfer qu'on nous avait fait, disait encore le journal de l'abbé Robert (n° 23), nous ressem- blions à ces malheureux que Dante a peints se traînant et haletani sous des chapes de plomb , et comme eux, nous n'apercevions devant nous que cette éternité. Et le même journal parlait ainsi le 28 dé- cembre 1 830 ; « Nous ne sommes que d'hier, et déjà notre cri d'aftran- chissement religieux a volé au delà de nos frontières... L'Italie pensive et souffrante le cache en son sein profond comme une espérance. » Le père Ventura était alors de ces heureux imbéciles qui ne com- prenaient pas. Heureux toujours lui- même si l'aveuglement et l'ambition ne l'eussent pas porté à comprendre autrement! Quoiqu'il en soit, il vil alors, comme toutes les âmes hon- nêtes, ce qu'il y avait d'odieux dans la révolution de juillet ^ ce qu'il y avait à craindre de la part des hom- mes méprisables qui l'avaient faite, ce qu'il y avait d'insensé et d'illo- gique dans les enthousiartcs qui s'é-

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taient déclarés les apôlres du libé- ralisme chrétien, comme Us l'appe- laient. Au mois de janvier 1831 ou plus tôt, il faisait la visite des maisons de son ordre. De retour ^ Rome, il se hâta de lire les premiers numé- ros de V Avenir, et dans son indi- gnation il ne put s'empêcher d'é- crire aux rédacteurs les impressions qu'il avait éprouvées. Ils ne jugè- rent pas utile ou prudent d'insérer la lettre d'un homme qui avait pour- tant été exalté dans le Mémorial catholique, revue produite par leur école, mais elle se trouve dans la Gazette de France (1). La biogra- phie de Ventura exige, pour plu- sieurs motifs, que j'en donne ici quelques ciialions. L'auteur com- mence par des ayeux et des com- pliments; il dit qu'il a lu le jour- nal avec un véritable plaisir, car n'aimant pas plus le despotisme que l'anarchie, l'esclavage de l'Eglise pas plus que l'hérésie, il a cru trou- ver dans l'Af d/iir, à quelques excep- tions près, l'expression, sinon de toutes ses doctrines, au moins de tous ses sentiments. 11 a admiré le noble courage avec lequel il (V Ave- nir) réclame en faveur de la reli- gion la protection qu'on accorde à toutes les sectes..., la liberté de la presse que l'on accorde k toutes les erreurs. « Enfin j'ai, dit-il, béni les efforts pénibles qu'il a faits pour affranchir la juridiction et l'ensei- gnement ecclésiastiques de toute influence d'un pouvoir que des cir- constances fâcheuses ont obligé de se placer en dehors de l'Église... Je n'étais pas le seul qui eût conçu une si belle idée de VAvenir.,.. car, quand on parle de liberté véritable,

(1) Numéro du lundi 7 février 1831, •i )• ne trompe.

de liberté fondée sur la justice et soumise aux lois , on est sur de trouver k Rome des échos, même dans les rangs les plus élevés, à Rome, la liberté est un fait, tan- dis qu'ailleurs elle n'est qu'une for- mule, et les foudres du Vatican ne frapperont jamais les théories de liberté et d'affranchissement dont la philosophie ne se serait jamais doutée, avant que Rome chrétienne ne les eût proclamées. Mais, tout en rendant justice aux doctrines qui dominent dans V Avenir ^ je dois à la franchise et k l'indépendance de mon caractère, je dois à M. de La Mennais, dont l'amitié m'honore, je dois h la vérité qui m'est encore plus précieuse que l'amitié , de protester, comme je proteste en ef- fet , contre la mauvaise tendance que ['Avenir semble avoir prise de- puis un mois. » Après celte intro- duction , il entre"» dans le détail de certains griefs, détail je ne puis le suivre, mais dont je vais indiquer quelques sujets. « Tandis que vous gémissiez, par exemple, sur le sort des contrées catholiques qu'une po- litique imprévoyante a assujetties îàdes gouvernements protestants... tandis que vous avez dit aux gou- vernements égarés... qu'ils n'ont pas de plus fort rempart contre l'a- narchie qui les menace eux-mêmes que les catholiques libres dans l'exercice de leur religion , vous avez été au-dessus de tout blâme et de toute injure. Mais depuis que vous avez invité, excité, poujsé les peuples avec toute la puissance de la parole, approuvé, loué toutes les révolutions faites, applaudi d'a- vance k toutes les révolutions à faire, vous avez soulever contre vous les amis de l'ordre, tous les hommes véritablement catholiques ; car tout cela n'est rien moins que

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catholique. Voire tort devient en- core plus grand que vous paraissez prêcher la révolution au nom de la religion, et que depuis un mois vous en faites l'expression d'une pensée catholique. En cela, vous tombez dans l'excès contraire à ce- lui que vous avez reproché aux gallicans; s'ils font de la religion, dites-vous, l'alliée du despotisme, vous en faites l'alliée de la révolu- tion. » « Je ne saurais par- donner à y Avenir l'article intitulé : La souveraineté de Dieu exclue- t-elle la souveraineté du peuple (1)? Cet article me paraît renfermer tous les principes subversifs des trônes, de la société, de la religion même que vous défendez; car de la souveraineté du peuple en poli- tique à la souveraineté des fidèles en religion, il n'y a qu'un pas bien glissant et bien facile à faire. Aussi ces deux principes marchent tou- jours ensemble, et conjurant amicè; je ne m'arrête pas à relever tout ce que cet article contient de faux, d'absurde, de ruineux. Je remarque seulement que dans le langage des Pères et des auteurs qu'on y cite et dont on fait de véritables révolu- tionnaires, le mot peuple ne signi- fie pas la canaille, mais l'ordre des patriciens de chaque cité, auxquels, en cas de déchéance ou de défaut du monarque, le pouvoir est né- cessairement et naturellement dé- volu. J'observe aussi qu'en pareil cas le patriciat n'agit pas comme mandataire du peuple, mais comme représentant le fondateur de la so-

(I) C'est dans le numéro GO de l'Ave- nir que se trouve cet article. Je suis étonné que le P. Ventura ne cite pas les jansénistes, par exemple, en preuve de ce qu'il dit si sagement dans la phrase qui suit.

ciéié, et comme l'organe naturel de ses volontésprésumées,etqu'ainsi, indépendammment de la souverai- neté de Dieu, qu'on ne peut mettre en question sans abjurer la loi, tout pouvoir, même humainement parlant, vient d'en haut. »

Ventura dit ensuite: De ce que le patriciat doit, en certains cas, dési- gner le souverain, il ne s'ensuit pas que la souveraineté soit à lui. De mêmeque.danslecasd'un schisme, les évêques réunis, et pendant le siège vacant les cardinaux dési- gnent ou choisissent le pape, mais ils ne sont pas pour cela papes eux- mêmes. Il avertit judicieusement l'auteur de l'article auquel il ré- pond que la souveraineté ne peut pas être, comme la liberté, le par- tage de tous, et que la placer dans la multitude c'est la tuer, que le peuple n'est pas plus souverain dans l'Etat que les enfants ne le sont dans la famille et les fidèles dans TEglise ; que la théorie de la souveraineté du peuple n'a été in- vcquée et exploitée qu'au profit des ambitieux, des intrigants, et au préjudice du peuple, etc.

Je vais encore citer textuelle- ment un passage Ventura peint assez bien l'état de la société et de la souveraineté en France, à l'épo- que où il écrivait sa lettre.

« J'aime la France, je prends un vif intérêt à ses destinées ; car le sort des pays catholiques et le repos du monde en dépend. Aussi je sou- haite de tout mon cœur que le pouvoir s'y établisse sur des bases solides ( qu'on remarque ces désirs de Ventura); mais en attendant ce résultat qu'appellent tous mes vœux, qu'est-ce que vous voyez? Le pouvoir errant, incertain, pas- sant successivement du ministère aux Chambres, des Chambres à la

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garde nationale, de la gafde na- tionale aux écoles. Vous le retrou- verez tantôt chez M. Laffitte, tan- tôt chez M. Soult, tantôt chez le préfet de police, tantôt chez le pré- fet de la Seine. Quelquefois vous le rencontrerez dans les bureaux des journaux, dans les magasins des négociants, dans les ateliers des industriels, et rien ne vous assure qu'un beau matin il ne vous faudra pas le chercher dans les ca- barets et plus bas encore. Vous l'avez vu, vous pouvez le voir par- tout, excepté au Palais-Royal (1), il viendra peut-être un jour, mais les napoléoniens, le parti de la ré- sistance et celui du progrès se dis- putent ce pouvoir sans maître comme sans règle, car vous devez convenir au moins que tout cela n'est pas d'un bon augure pour vous faire espérer qu'un jour le peuple remplisse lui-même son rôle de peuple, et ne le laisse pas remplir à une coterie d'intrigants ou à une poignée de monstres... Je ne puis non plus pardonner à l'Avenir de s'extasier devant la révolution de juillet. Je ne suis ni carliste ni philippin... mais je ne puis passera l' Avenir celle expression : Lanation a recouvré ses droils. Que les libé- raux tiennent ce langage, on Je conçoit bien, et ils ont raison ; car les libéraux sont la nation, sont le pays, sont la France, sont l'opinion publique, sont le genre humain, et tout le reste ne vaut pas la peine qu'on s'en occupe. Mais, dans vo- tre bouche, qu'est-ce que cela si- gnifie? quels droits avez-vous? La

(1) Excepté au Palais- Royal..... Ventura veut clin- excepté dans Louis- Philippe, qui résida longtemps au Pa- lais-Hoyal avant d'aller habiter les Tuîlertés, demeure des rois.

Hberlé de la presse? Vous sur les- quels pèsent deux procès (<)? La liberté de la religion? tandis qu'on brise ses croix, qu'on incarcère ses prêtres, qu'on expulse ses curés, qu'on régente ses évoques? La li- berté d'enseignement? tandis qu'on pousse le despotisme universitaire au delà des bornes posées par MM. Frayssinous et Feutrier? Ah! je crains bien que vous n'ayez recouvré d'autre droit que le droit de vous débarrasser au roi que vous vous étiez fait, pour en cré'èr tiri autre qui ne serait pas plus ïiéu- reux; d'autre droit que celui de vous révolter. » Comme on le voit, Ventura faisait un portrait fidèle dte la situation et se montrait pro- phète; ce dernier point était fa- cile. «Mais... venir froidement, ajoutait-il, louer l'héroïsme du peu- ple qui a jugé à propos, comme vous le dites, de faire une autre charte, une autre dynastie, un au- tre roi; vanter la révolution pen- dant qu'on est environné des ruinés qu'elle a accumulées, c'est vanter les bienfaits de la guerre dans un camp couvert de cadavres; c'est mentira soi-même, à la conscience publique, et j'avais lieu de m'at- tendre à tout autre langage dans un journal présidé par M. de La Mennais... Vous verrez que le pro- grès de la liberté pour les autres sera pour vous celui de la servi- tude. C'est que le principe la révolution est essentiellement an- ti-catholique, et que toute révolu- lion dans ce siècle sera et doit être toujours au préjudice de la reli- gion et au plus grand profit de l'impiété... » Il dit qu'il est absurde

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(1) Louis-Philippe avait dît : a Mais il n'y aura plus de procès db pteisè ! »

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devoirdca catholiques... qui, avec une joie féroce, applaudissent à la chute des trônes et au malheur des rois. On peut se faire une juste idée de l'impression désagréable , du mécontement que causèrent à la vaniteuse coterie ces remontrances importunes. Prenons patience, la réconciliation ?e fera bientôt. Mais il eût été bon de remettre ces lignes sous les yeux de Ventura à une époque malheureuse de sa vie, dont j'aurai à parler aussi. On vient de voir que Ventura se flattait de n'être point philippin ; il vient de dire q\i'H désire que le pouvoir s'é- tablisse en France sur des bases so- lides. Le désire-t-il, abstraction faite de la personne en qui le pouvoir résidait trop peu à son gré? Or, cette personne était Louis- Philippe, duc d'Orléans, dont les intrigues et les bassesses avaient réussi à faire expulser la branche aînée des Bourbons, et à lui faire déférer la couronne par une chambre des députés illégale, com- me si une chambre des députés, même légalement constituée, pou- vait faire un roi! Il sut vaincre les effets du mépris qu'on ressentait à Rome pour ce prince félon et usur- pateur, et il a fait écrire que la reconnaissance de Louis-Philippe par la cour de Rome comme roi de fait, sinon de droit fut due à son influence. Comme je viens de le dire, la ré- conciliation de Ventura, sinon avec V Avenir, dévergondage éphémère, du moins avec l'abbe Robert de La Mennais, se lit bientôt. Il avait été attaqué, néanmoins, dans l'Avenir, parl'abbéde La Mennais lui-même, et les articles étaient vigoureux. Ventura conseilla, dit-il, au sou- verain pontife de ménager cet homme or^ueilleuxct aigri.— loule autre conduite, disait-il, pourrait

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changer l'apologiste de Rome en fléau de Rome (1). » Ce conseil pou- vait être bon ; mais, appuyé sur de telles raisons, il ne faisait guère l'é- loge des convictions et du désinté- ressement de l'abbé Robert, qui se fâcha en effet et laissa voir sa co- lère, comme si l'Église avait été tenue à suivre les mouvements et les variations de son esprit. Ven- tura calma ses premières colères et s'est flatté de lui avoir suggéré ridée d'un livre sur les Maux de l" Église et leurs remèdes, dont trois chapitres, dernières lignes catho- liques d'une plume qui avait tant rendu de services à la religion, chapitres «compos^'s sous l'inspi- ration du ciel et presque dans le ciel même, » écrivait Ventura dans son enthousiasme, se gardent au dépôt des archives de Rome. On voit dans ces expressions à quelle hauteur s'élevait son admiration pour M. Robert de La Mennais, et combien peu il lui gardait rancune des attaques qu'il en avait reçues dans /'Arenir. Ses rapports avec un homme alors si peu estimé lui at- tiraient à Rome des désagréments qu'il regarda à la fin comme des persécutions, et le mirent dans le cas de quitter la cour pontificale pour vivre libre dans la retraite. Celte retraite fat fort fructueuse pour un homme aussi travailleur et

^ (l)Ces lignes étaient déjà imprimées quand un article foi t reinar.inal)le de M. de Montalenibei-t, (ians le Corres- pondant^ m'a appris que li' V. Veniura avait hlàme le P. Lacordaire d'avoir c'cril ses Cousidérolwns surlc^nsicmc jihilosopltiinw de M. de La }Liinais; « Veidura, dit rartirlc, qui avait, lui, .< tant à se repioiln-r les encuuraj^e- " meiil^ quil avait pHtiligués a M. de « La ?>lcniiais pi ndanllosdernicr> temps « de son séjour ii Itomc. »

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aussi capable que l'était Ventura. Il se livra à rétude de rÉcriture- Sainte et des saintsPères ; il lut sur- tout S. Tiiomasd'Aquin, et il donna, en 1839, le fruit de tant de lectures dans un ouvrage intitulé : Beautés delà Foi, et formant 3 vol. in-8". Il ne se bornait pas aux occupations du cabinet, car ce fut dans le même temps qu'il fit avec succès des prédications solennelles à Saint- Pierre de Rome, à l'église Saint- André délia Valle. Dans cette der- nière église, qui appartient à son ordre, il prêcha onze ans de suite l'octave de l'Epiphanie. Préoccupé de ridée qui a été partagée par tant de personnes, celle du danger de voir dominer l'esprit païen par l'usage exclusif des auteurs païens dans l'enseignement des collèges, il entreprit aussi à Rome, et à l'épo- que dont je parle, une publication d'un choix d'extraits des ouvrages des Pères de l'Église et des poètes sacrés, qu'il donna sous le titre de : Dibliolheca parva, seu graliosa et elegantiora opéra veterum SS. Ecclesiœ Palrum, ad usumjuventutis chrisUanarum litterarum studiosœ. Imitée en France, cette tentative a excité une polémique trop ar- dente entre des hommes respecta- bles, tous animés des meilleures intentions, et même tous d'accord pour le fond de la question. L'é- Iccliofl du piipe Pie IX, le l" juin 1840, fut une époque doublement remarquable pour toute l'Europe. On sait tout ce que les intentions généreuses du nouveau pontife le portèrent à tenter pour ie bonheur (lelÉglise; on sait aussi comment il a été ajiprécié et quelle recon- naissance il a trouvée dans ceux qui l'avaient d'abord pxalté avec l'ap- parence de l'enlhousiasme. Le nouveau règne fut une phase nou-

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velle dans la vie du P. Ventura, qui trouva dans le pape un ami et un protecteur, et qui eut, dit-on, l'honneur de lui donner des con- seils. J'ai mentionné ci-dessus les prédications réitérées que, pendant plusieurs années, le P. Ventura fît à l'église de sa communauté durant l'octave de l'Epiphanie. Un jour il eut un suppléant illustre, qui n'a- vait pas choisi peut-être sans mo- tifs personnels la chaire de Saint- André délia Valle. Le mercredi, \3 janvier 1847, clôture des exercices spirituels qu'il présidait, Ventura voyait un auditoire nombreux au- tour de la chaire qu'il devait occu- per, lorsqu'il se fit un mouvement extraordinaire... Pie IX, désirant se faire entendre des fidèles, ve- nait remplir la place du célèbre théatin! Celui-ci fut encore, sans doute, la cause du choix du Pon- tife, quand il ordonna que, pendant trois jours (du 24 au 27 du même mois), il y eût des exercices de prédication et de prières en faveur de la nation irlandaise, qui fut en ce temps-l:i fort éprouvée. L'année 1847 vit toute l'Italie en fermenta- tion. Les conspirateurs avaient plusieurs mots d'ordre et partout faisaient répéter: Union de l'Italie, occupation étrangère , vive Pie IX, esprits et projets rétro- grades, etc., etc. Les masses étaient impressionnées; les esprits ne rê- vaient que création de garde na- tionale, projets de constitution, concessions des souverains à leurs infortunés sujets. Les hommes sa- ges prévoyaient la fin que pour- raient amener toutes ces ruses et ces prétextes. Le P. Ventura fut-il de ces hommes sages? Il est cer- tain qu'avec des intentions géné- reuses, sans doute, il embrassa ar- demment le parti du mouvement,

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auquel rengageaient les idées qui depuis quelques années dominaient en lui. Ses allures, ses prédica- tions l'avaient rendu populaire, et il sut un jour tirer un parti avan- tageux de ces dispositions des masses en sa faveur. Le lundi, 17 juillet 1847, une multitude de ces hommes de désordre qu'on re- connaît dans les révoltes populai- res, était assemblée auprès d'une maison voisine de l'église Saint- André ; dans celte maison on sup- posait être caché l'agent de police Minardi, contre lequel s'élevaient des ressentiments dont on avait tout à craindre. Le gouverneur, Mgr. Morandi, se rendit sur les lieux et ne put rien obtenir pour la dis- persion de la foule. Quelques per- sonnes s'empiessèrent alors d'aller chercher à son couvent le P. Ven- tura, qui fait ouvrir les portes de l'église; on allume les cierges, il expose le saint sacrement, monte en chaire, et sa prédication élo- quente à une telle heure (il était onze heures du soir), produisit un effet magique sur l'effervescence de cette muUitiide, qui fut dès lors calmée. Remarquons en passant qu'un tel succès n'eût pas été peut- être ausi facile ailleurs, et même aujourd hui le serait-il sur le peu- j)le romain? Un événement remar- quable de Tannée est eiu'ore lié à la vie du P. Ventuta, la mort du célèbre agitateur de l'Irlande, O'Gonnell, enlevé lorsqu'il se ren- dait à Ro;ne. Cette perte, sensible à tous, le fut iTinc'palement h un certain parti, (jui voulut montrer ses sympathies. On sait qu'en France, M. AfTr( , archevêque de Paris, après avoir refusé à un haut personnage de laisser f.ire (lan3 nos églises l'éloge funèbre tie l'il- lustre défunt, l'usage des panégy-

riques étant tombé en désuétude parmi nous, accorda néanmoins cette permission à une députation de plus de cent jeunes gens. L'o- raison funèbre fut prononcée à la métropole de Paris par le P. La- cordaire, dominicain. Ceux qui l'entendirent purent savoir si l'o- rateur répondit à l'attente des au- diteurs accourus de tous côtés. Le P. Ventura l'avait déjà prononcée à Rome, et il devait être, plus quii tout autre, choisi pour une telle mission. Il paraît qu'il s'éleva à une grande hauteur et qu'il obtint un véritable succès. Il en voyait et en citait lui-même la preuve dans le produit de la quête qui se flt à cette occasion et qui s'éleva à 100,000 francs. Entre les témoi- gnages flatteurs qu'il put recevoir, il convient peut-être ici de signaler celui d'un prélat français. M. Si- bour, évêque de Digne, avait eu, comme on sait, des sympathies pour la rédaction de r Avenir, dans lequel on trouve des preuves écrites de ses sentiments; mais on sait aussi avec quel empressement il se sou- mit à l'encyclique de Grégoire XVI, qui réprouvait les doctrines du parti mennaisien. Il avait donc la manière de voir du P. Ventura et partageait ses idées dans les circonstances actuelles; il était d'ailleurs son ami. Lors de son dernier voyage à Rome, il avait eu des rapports avec le célèbre théa- tin dans sa maison de Saint-André, et tous deux s'étaient communiqué leurs pensées sur Us maux de la religion ci de la patrie, et tous deux s'étaient entendus. M. Sibour se hàla de féliciter l'orateur sur son paiiégyriqued'O'Counell.Il a laissé publier sa lettre, et un de ses pas- sages trouve n .turelhmcnt ici sa place : " Cette grande et sainte po-

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litique (1), mon révérend Père, vous l'avez formulée avec autant d'éloquence que d'exactitude dans votre belle oraison funèbre d'O' Connell.Ge fut plus qu'un discours, ce fut uu événement. Votre parole puissante a allumé dans le cœur des Romains les flammes du plus pur patriotisme; elle a réveillé dans la ville éternelle des échos depuis des siècles endormis. iMais bénie par le Pontife suprême, elle a franchi les limites du temple et de la cité, et des hauteurs du Va- tican, elle a pu se faire entendre non-seulement de l'Italie, mais du monde entier. Nous y avons tous lu le manifeste d'une pensée su- prême, qui ne cherche pas à s'en- vironner de mystères et qui veut être éclatante comme la vérité. Oui, il faut que désormais on ne puisse plus dans les âmes semer entre la reliijion et la liberté des divisions funestes k l'une et à l'au- Ire. Il faut qu'on sache que les peuples comme les individus gran- dissent, que les conditions de la vie et de la prospérité des nations changent selon leur âge, et qu'il y a une émancipation légitime que la religion sait bénir et consacrer... Voilà, mon révérend Père, les sen- timents qui naissaient dans mon cœur à mesure que je lisais celte oraison funèbre d'O'Connell, si digne du grand homme qu'elle cé- lébrait, des circonstances qui l'in- spiraient, et des hautes vérités dont elle allait devenir une des plus magniliques expressions...» Grâce à Dieu ! tous n'avaient pas lu comme

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M. Sibour, et il en donne lui même la preuve en ajoutaut : « Mais la préface que vous venez de joindre â la seconde édition de votre dis- cours, en m'apprenani que votre œuvre, et aussi sans doute la sienne (1), a trouvé des contradicteurs, me force en quelque sorte de rom- pre le silence, et de vous exprimer le plus hautement que je puis mes vives sympathies et l'adhésion que je donne, non-seulement comme ami, mais comme évoque, aux principes que vous avez si élo- quemment développés comme ora- teur. » A Iiome, Ventura était de- venu l'homme des révolutionnaires modérés. Quelque temps après qu'il eut obtenu ce succès populaire dans le panégyrique d'O'Connell , ils le prièrent de parler dans un service funèbre en l'honneur des victimesdu siège de Vienne. Il le fit à leur sa- tisfaction, et il y parla aussi de manière à intéresser la foule en faveur du pape. Quoiqu'il avançât dans le chemin glissant il se fourvoya malheureusement, il te- nait toujours à être prêtre lidèle à la religion et au digne pontife qui l'attachait j)ar tant de liens. J'ai la satisfaction de rapporter ici un des plus beaux traits de sa vie. Plu- sieurs croyaient, et personne ne se trompait peut-être, que l'abbé Ro- bert de La Mennais vivait, sinon dans le remords, au moins dans le trouble, et ne jouissait pas de la sérénité de l'âme. Ventura crut amicalement et charitablement aux bruits qui en couraient, et par at-

(I) M. Sibour venait de parler d'une

politique «ulrée qui, dans la régéné- « ration d'un peuple, pose les bases

de la règ) riérution de tous, i

(!)... E( aussi sans doute de la sienne... c'fst-a-dire de Pie 1\. Quoi que M. Sibour ait écrit sans doute, sa phrase. Dieu merci, est dans un sens dubitatif, qui est encore trop peu pour les hommes rélléchis.

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tachemenl et par zèle, il lui avait, au mois d'août de celte même an- née 1847, adressé la lettre qui suit; elle est courte et ne fera qu'embellir les quelques pages que je consacre à sa mémoire. « Mon très-cher ami et frère, le livre que je vous envoie vous appartient; c'est le résumé de ces grandes et magnifiques doctrines que vos an- ciens écrits ont développées dans mon esprit. De malheureuses cir- constances ont pu faire croire que vous aviez oublié ces doctrines qui ont fait votre gloire et votre bon- heur, ainsi qu'elles font encore le mien. Mais rien n'a pu me per- suader qu'elles se soient effacées de votre noble cœur. La preuve de cela est que vous n'êtes pas, k ce qu'on me dit, si heureux que je veux que vous le soyez et que vous méritez tant de l'être. J'ai aussi une grande ambassade à vous faire. C'est de la part de l'ange que le ciel nous a envoyé, de Pie IX, que j'ai vu ce matin. Il m'a chargé de vous dire qu'il vous bénit et vous at- tend pour vous embrasser. C'est le bon pasteur qui cherche sa brebis; c'est le père qui va à la recherche de son enfanl. Ainsi, je ne désespère pas de vous voir re- venir à l'ancien drapeau, pour combattre ensemble comme nous l'avons fait déjà îi la gloire de la religion et au bonheur de la pau- vre humanité. Dans cet espoir, que je vous prie de ne pas ébran- ler en moi, je suis pour la vie votre très-affectionné ami et frère, Ventura. » DiLS quelles disposi- tions une lettre si tou( hunle trouva- l-elle l'abbé de La Menuais? La ré- ponse qu'il fit et qui désola sans doute celui qui l;i reç it doit être connue, puisqu'elle complète ce que commençait celle de Ventura.

Cette réponse est datée du 3 no- vembre 1847. « Comme après les preuves si nombreuses que vous m'avez données, mon cher ami, je n'ai jamais douté un seul instant de vos sentiments à mon égard, vous ne pouvez non plus douter de ceux que je vous ai voués de- puis si longtemps et qui ne s'é- teindront qu'avec moi. Mais tou- jours amis par le cœur, nous avons cessé de l'être complètement par les convictions de l'esprit. Celles que vous savez être les miennes et que vous ne pouvez partager, je le comprends, sont mou être même, ma foi, ma conscience, et j'y trouve plus de paix et de bonheur que je n'en goûtai jamais en aucun temps de ma vie. Elles me consolent des maux présents par l'espérance, certaine à mes yeux, de l'avenir digne de lui, de sa puissance et de sa bonté, que Dieu prépare au monde. Il s'agite et se transforme sous sa main. Nous assistons à une grande mort et à une grande nais- sance : seulement nous voyons clairement la tombe, et le berceau est encore voilé. Je prie de tout mon cœur celui qui dispose souve- rainement des choses humaines de bénir les desseins qu'il inspirera lui-même au pontife vénérable dont les peuples, en ce moment, encou- ragent les efforts par leurs accla- mations unanimes. La mission que la Providence a coutiée k son zele est immense. Il ne restera point en arrière; il marchera jusqu'au bout avec fermeté dans la roule glorieuse ouverte devant lui. Veuil- lez mettre à ses pieds mes vœux et mes respects. Le petit livre qu'on m'a remis de votre part mé- rite toutes les louanges (ju'il a re- çues universellement. Je garderai le portrait comme un souvenir pré-

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cieux de l'ami cher et tendre à qui je suis heureux de redire avec quelle sincère et vive affection je lui serai toujours dévoué. » Je ne sais de quel livre il est question dans ces deux lettres, mais ie por- trait que l'abbé Robert promet de garder comme un souvenir précieux était celui de Pie IX et non de Ven- tura. A la lin de Tannée 1847, les événements les plus graves appro- chaient aussi. La France ne rêvait que les banquets réformistes, l'Ita- lie commençait ses soulèvements. Combien d'écrivains parlaient sur le royaume de Naples, sur les princi- pautés du centre de la péninsule ita- lienne, avec une imprudence et une prévention qu'ils regretteraient au- jourd'hui ! On peut croire que le père Ventura n'était pas de ceux qui gardassent le plus de modéra- lion dans leurs opinions ou de retenue dans leurs paroles. Il est important de l'apprendre. Ce que je pourrais en dire n'égalerait point le récit d'un journal français qui ne doit pas être suspect en cette circonstance. Le Journal des Débats contenait une correspondance de Home, en date du 28 février, dont un extrait nous apprendra ce qu'é- tait déjà le père Ventura, et l'idée qu'on avait de lui : « L'événement de ces dix derniers jours a été la publication, à quelque intervalle l'une de l'autre, de deux brochures politiques du fameux père Ventura. Sicilien, jésuite (juelques an- nées, puis théatin, ancien profes- seur de droit civil , enfin prédica- teur célèbre et justement célèbre ; de plus, ancien général de son ordre et cardinal en expecta- tive, le père Ventura ambitionne maintenant la gloire d'homme po- litique. C'e.sl toujours une tentative hasardeuse pour une popularité

déjà faite que celle de se lancer dans une nouvelle voie. Le moins à quoi elle puisse s'attendre, c'est de se voir entamée et compromise : voilà précisément ce qui arrive à la popularité, si vieille déjà, du cé- lèbre théatin. La première de ces publications porte pour titre : La Question sicilienne résolue suivant les vrais intérêts de la Sicile, dz Naples et de Vltalie, et est dédiée à don Roggieri Seltimo , chef du mouvement palermitain. L'auteur se prononce ouvertement pour la séparation totale de la Sicile. Cette opinion a été relevée par la presse romaine comme compromettante pour la cause générale de l'Italie; maiscomme le débat n'intéresseque très-secondairement l'État pontifi- cal, et que, d'ailleurs, il a été com- plètement effacé par la seconde brochure, qui entre dans le fond de la situation romaine, je crois inu- tile d'y insister. Le pape, entraîné par l'exemple de Naples, de la Tos- cane et du Piémont, a promis une constitution ou quelque chose qui ressemble à une constitution. Mais s'il a suffi aux souverains de ces divers Etats de faire traduire plus ou moins la Charte française pour avoir des constitutions locales, à Rome, la souveraineté se base sur deux principes de nature diffé- rente, natures distinctes en droit, tandis qu'en fait elles sont le plus souvent mêlées, enchevêtrées, fon- dues l'une sur l'autre ; k Rome, dis-je, la rédaction d'une constitu- tion présentait trop de difficultés pour être ainsi improvisée en quel- ques heures. Les masses ont com- pris elles-mêmes cet état de choses à part et s'en sont préoccupées. Une commission a commencé des études sur ce sujet. Le projet de Statut se formait peu à peu ; mais

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la difficulté majeure qui le domine n'a pas encore été abordée : je veux parler de la position du sacré col- lège dans le nouvel ordre de choses. C'est le thème de la brochure du père Ventura , lancée pour sonder l'opinion. Elle est intitulée : Opi- nicn sur une chambre des pairs dans les Etats pontificaux. Puisque au- jourd'hui on ne conçoit plus une constitution sans une chambre des pairs, comment se devra consti- tuer la chambre des pairs dans les Etats pontificaux ? Trois opinionsse débattent autoiT de cette question: la première veut qu'elle soit formée purement et simplement par les laïques ; c'est celle qui, par esprit d'imitation ou par antipathie cléri- cale, voudrait enlever à l'État tout élément ecclésiastique ; la seconde est celle des amalgamistes oj paci- fiques, qui veulent, disent-ils, con- cilier tous les intérêts et tous les amours-propres, et qui introdui- raient dans la chambre haute un certain nombre de prélats et de cardinaux; la troisième opinion, enfin , dit qu'une chambre des pairs, proprement dite, dans l'Etat pontifical, « serait non-seulement (c inutile, mais un danger, et que, « voulant un corps intermédiaire « entre le souverain et les fcpré- « sentants du peuple , il n'y a rien 0 de mieux à faire qu'à rétablir le « sacré collège dans ses anciennes « attributions et d'en faire le pre- « mier corps de l'État. » Cette opinion, contrairement à toutes les prévisions, car le célèbre écrivain n'a pas toujours , comme prédica- teur, ménagé la pourpre, est celle soutenue et préconisée par l'au- teur; et, selon moi, elle n'a qu'un tort, celui d'arriver trop tard. Aussi l'écrit dont je m'occupe a-l-il été accueilli par une réprobation gé-

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nérale. On ne le discute pas, on le siffle, et le père Ventura, tant aimé, tant choyé par les progres- sistes jusqu'à ce jour, n'est plus qu'un moine comme les autres. » On voit par cette remarque : contre toute prévision, l'idée que le parti révolutionnaire s'était formée déjà du père Ventura. La première de ces deux brochures n'aura peut- être pas été sans influence sur la détermination que la Sicile prit bientôt après. Des bâtiments an- glais, dirent les journaux de l'é- poque , sillonnaient ses mers et longeaient ses bords; elle poussa son cri de liberté et d'afl"ranchisse- ment, leva l'étendard de la révolte et se sépara de la mère-patrie. On peut s'exprimer ainsi. En effet, le parlement de cette île , séant à Pa- lerme, rendit, le 13 avril 1848, un décret ainsi conçu : « Ferdinand de Bourbon et sa dynastie sont pour toujours déchus du trône de Sicile. Art. 2. La Sicile sera régie par un gouvernement constitutionnel. Elle appellera au trône un prince italien dès qu'elle aura revisé sa constitu- tion (i). B On peut se figurer de quel œil Ventura, Palermitain, vit tous ces mouvements dans sa pa- trie. Le nouveau gouvernement qui avait et qui connaissait toutes ses sympathies , le nomma ministre plénipotentiaire et commissaire extraordinaire à la cour de Rome.

(I) Cette constitution éphémère fut eficctivcmcnt rodigce quelque temps iiprès. Elle portait du moins connue ar- ticle fonilynicntal que la rcIii;ion ca- tholique serait la religion de l'Etat, que le roi de Sicile la professcniit néces- sairement, et que le fait de la profes- sion d'un autre culte serait une abiti- cation! Que ferait-on aujourd'hui dans Cftte malheureuse ile subjuguée par Ij traiusoD?

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11 n'accepta, dit-on, cette mission d'un gouvernement insurrectionnel qu'avec le bon plaisir du pape II est bien vrai que Ventura accepta ces étranges fonctions ; mais est-il bien vrai que Pie IX ait sanctionné, en quelque sorte, par son appro- bation, la révolte d'un peuple égaré contre un souverain son allié, au- quel il alla bientôt demander un asile à Gaéte ? Plus d'un lecteur partagera mes doutes. Pendant quelques mois, Ventura sembla se tenir à l'écart ou dans le silence, mais, vers le milieu du mois de fccpiembre, le bruit courut à Rome qu'il allait publier un écrit sur la Sicile. Ce fut peut-être alors qu'il publia un mémoire sur Vlndépcn- dance de la Sicile, et un autre sur la Légilimilé des actes du Parlement sicilien; jjuis un gros volume inti- tulé : Mensonges diplomaliqiies. Si Ventura avait gardé le silence du- rant les mois précédents, il n'avait pas, néanmoins, été dans l'inacti- vité, ce que d'ailleurs ses idées et sa nature ne lui auraient pas per- mis dans de telles circonstances. On a dit que, d'accord avec le cé- lèbre abbé Rosmini (1) et d'illustres représentants des divers Etats ita- liens, il préparait, vers le mois de mai, une confédération italienne,

(l) L'abbé Hosmini, mort il y a quehincs années, était un iioninie dis- tinijuc piir ses talents, et suitout coninift philosophe profond. Ses écrits juslilicnt cette opinion. Distingué aussi par sa piété et son zèle, il a londé une société religieuse sous le nom de la Charxlc, qui s'est déjà étabiii-. en An- gleterre, et qui avait essayé un établis- sement en France. Il doïina trop aux idées qui égareront l'ilahe en 18 i8, niai^ il se soumit avec un empressement édiliant au jugement (pie Home avait porté contre une de ses productions. (Voir ci-après.j

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laquelle eiit eu le pape pour prési- dent, et il a prétendu que l'aveu- glement de l'abbé Gioberli et l'am- bition du roi de Piémont, Charles- Albert, firent échouer ce projet. Il avait poussé le pape {\ donner une constitution au peuple romain, mais, suivant lui , le pape s'y décida trop tard. D'autres pourront croire que le pape s'y décida trop tôt, et qu'il eût été heureux de ne s'y décider jamais. Quoi qu'il en soit, le régime constitutionnel fut établi -a Rome, et on sait tous les malheurs qu'il y amena. Le pape n'eut d'autre res- source que de s'échapper et d'évi- ter la cruauté de sujets ingrats; il partit furtivement de Rome le 24 novembre 1848, et se retira à Gaéte, ville fortifiée du royaume de Naples, et située assez près des limites de l'État pontifical. On sait que les cardinaux et la partie saine de la diplomatie étrangère alla l'y rejoindre. Ventura resta à Rome, tandis que Teslimable abbé Ros- mini, avec lequel il s'honorait d'a- voir des rapports , alla aussi à Gaële. Rosmini refusa le ministère de l'instruction publi(iue dans le nouveau gouvernement , et Ven- tura, de son côté, refusa la candi- dature à l'Assemblée constituante, quoiqu'il ait prétendu être autorise par le pape à l'aocepler, ce qui, pour moi, reste fort douteux. Tout ce qui se passait alors d'étrange et d'indigne sous ses yeux, ne les lui ouvrit guère apparemment. Il crut pouvoir, dans de telles circon- stances, imprimer le discours fu- nèbre qu'il avait prononcé en l'hon- neur des viclimes de Vienne, et dont j'ai parlé ci-dessus. Il y joignit une préface et une noie sur la fuite du pape, mais il semblait craindre le jugement du public, et ne se hâtait pas de les lui livrer. Néanmoins

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l'opuscule parut, mais il avait eu auparavant le suffrage du Contem- poraneo , journal révolutionnaire qui avait sans cloute son estime. Je ne dirai donc rieu de suspect à la mémoire du père Ventura, en em- pruntant à une feuille amie les expressions et le jugement sur celui de i^es ouvrages que je dois faire connaître plus que tous les autres. Le titre est caractéristique : Paroles du père Ventura sur les événements actuels. « Nous avons déjà rapporté les libres et élo- quentes paroles par lesquelles l'il- iuslre P. Ventura terminait le dis- cours qu'il a lu dans l'église de Saint-André délia Valle, pour les funérailles des martyrs de la liberté à Vienne. Aujourd'hui, en l'impri- mant, il y a mis une savante pré- face, dont nous prenons quelques extraits très-remarquables et rela- tifs aux affaires actuelles de Rome et de l'Italie. » Après avoir débuté ainsi , le journal cite plusieurs phrases d'inie violence extrême à l'adresse de ceux que le père Ven- tura appelle imbéciles et stupidcs obscurantistes^ et auxquels il dit : « Vous avez envié à Pie IX l'hon- « neur de donner son nom à son « siècle... De Guelfe qu'il devait « être pour être fort, vous l'avez « fait paraître Gibelin. Italien par « son origine terrestre, vous l'avez a fait paraître impérial ; de popu- « laire vous l'avez fait royal... Vous a en avez fait le prisoimier de la « diplomatie (voyez la note de la « fin), le jouet de l'absolutisme. » Cette parenthèse : Voyez la note... n'est pas ds moi, elle est bien du père Ventura, et pour répondre à ses désirs, pour entrer dans ses vues, je vais en donner les princi- paux passages : « Pie IX n'avait « pas la moindre idée de quitter

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« Rome ; c'est l'intrigue absolutiste « qui la lui a inspirée, en lui fai- « sant croire que sa personne et sa « dignité comme chef de l'Église « n'étaient plus en sûreté à Rome. « Une certaine diplomatie voulait a avoir le pape entre ses mains « pour en tirer parti dans un inté- « rêt purement politique... La pri- « son de Pie IX à Gaéte est certai- « nement plus splendide que celle « de Pie VII à Fontainebleau. Elle « n'est ni plus sage ni plus sûre... « Le pape n'est pas libre, ou au « moins il est sous une contrainte « morale. Le parti autrichien obs- ff curantiste travaille à obtenir « une déclaration de principes « ami -libéraux. Nous espérons « qu'il ne l'obtiendra pas, et que « Pie IX ne se mettra pas en con- « tradiction avec lui-même. Oh ! « quelle confusion quand cette hor- « rible intrigue sera connue ! En « attendant, les journaux étrangers « ne cessent pas de déclamercontre (( la prison que Pie IX ^iubissait à « Rome comme prince et comme « pontife. Ils sont trompés sans pu- « deur par leurs correspondants a légitimistes, philippistes, obscu- « rantistes, fourbes ou imbéciles. « Ces journaux sont dans une igno- « rance complète de la vraie siiua- a tion des affaires à Rome. Ils « croient que la question est entre « une poignée de démagogues qui « veut la licence et l'anarehie, et u Pie IX qui s'y oppose, quand, « au contraire, la question est : Si « la constitution donnée par Pie IX « doit ou non être détruite ; la a question est entre l'absolutisme « et la liberté. » Ainsi écrivait Ventura vers la On de l'année 4848 ; nous allons voir bieulùt comment il agira en 18i9. Qu on se rappelle, eu lisant ceci , ce que j'ai

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cité de la lettre aux rédacteurs de V Avenir, et ce que , l'année précé- dente, Ventura adressait à l'abbé Robert de La Mennais, sur ses dé- fections et les remords qu'il devait éprouver. Ventura, en face de sa con- science, de Dieu et des souvenirs des bontés de Pie IX, pouvait-il avoir l'àmetranquille! Un homme qui pou- vait tracer de telles lignes, méritait bien l'affection et les préférences d'un démagogue tel que Lucien Bonapaite, prince de Canino. Aussi ce prince avait-il proposé de faire entrer le P. Ventura dans la junte de gouvernement, destinée à rem- placer le pape ! Le jour de Pâques 1849, les nieml)res du gouverne- ment révolutionnaire de Rome or- donnèrent la célébration d'une messe solennelle, à laquelle trium- virs, fonctionnaires civils et mili- taires, durent tous assister. A l'au- tel réservé au pape seul, dans la basilique Saint-Pierre , un prêtre nommé Spola, qu'on dit du diocèse de Verceil, osa célébrer et se subs- tituer à la place de Pie IX , assisté du père Gavazzi et du père Ven- tura. Le père Ventura était \h quand les colonels, généraux et offi- ciers prêtèrent, devant l'autel, ser- ment à la République romaine ! Il accompagna encore, avec Gavazzi, l'abbé Spola se rendant procession- nellement 'd la façade de l'église Saint-Pierre, djoii le pape a cou- tume de bénir solennellement la ville. Celte parodie sacrilège se ter- mina par la bénédiction du Saint- Sacrement. Je cherche à me per- suader que Ventura n'a pas eu une part si large à celte profanation, quoique j'en trouve le récit avec ces circonstances, dans une feuille alors si justement accréditée, ÏAvii de la Heligion. Le même journal dit ail- leurs, d'après une correspondance

de Rome : « Les places d'honneur « occupées autrefois par les mem- « bres du sacré collège étaient « remplies par les triumvirs et « l'Assemblée constituante. Le mal- ce heureux père Ventura était éga- « lementlà pourreprésenter, comme « envoyé de Sicile, tout le reste du « corps diplomatique qui était ab- « sent. » Ventura se serail-il borné ii ce rôle, ne serait-ce pas déjà une prévarication inconcevable de sa part? Effrayé cependant de la situa- tion de Rome, Ventura quitta cette ville le 4 mai. En passant à Palo, il demanda à voir Oudinot, général en chef de l'armée envoyée par la république française pour délivrer Rome de ses oppresseurs et la rendre au souverain pontife. Il était chargé par les triumvirs Mazzi- ni, Armellini et Safli de dire au général que la journée du 30 avril n'était qu'un malentendu (1), qu'il était peut-être encore possible de concilier les choses, si Oudinot consentait à faire une déclaration établissant d'une manière nette et précise que la France n'imposerait aucun gouvernement aux États romains. Oudinot répondit qu'il- croyait avoir assez fait connaître la pensée de son gouvernement, pen- sée toute libérale. Qu'après ce qui avait eu lieu (le ôlO avril) il avait, à coup sûr, le droit de se montrer sévère ; que cependant il était en- core prêt à entrer à Rome en ami, comme intermédiaire entre l'anar- chie et le despotisme (2) qui me-

(1) Dans cette journée du 30 avril i8i9, des Français avaient été attirés dans un guet-apens par la foiirbciie des républicains romains, qui en avaient tue et blessé quelques-uns, et arrêté les autres.

(-2) Despotisme ! ! ! de qui?... On voit de qui il veut parler.

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nacent les populations. Il ajouta qu'en agissant ainsi il croyait agir dans le véritable intérêt du peuple romain. Oudinot indiqua ces parti- cularités dans sa dépêche au mi- nistre des affaires étrangères. Ven- tura se rendit à Civita-Vecchia. Quoiqu'il partît alors pour une sorte d'exil volontaire, il n'avait pas ou- vert les yeux sur l'abîme qu'il avait aidé à creuser, et quelque temps 'dpT(is]e Monilore romano contenait les lignes étranges que je vais rap- porter, et qui sont extraites d'une lettre de sa naain : « Qaaiit au pape, « j'ai soutenu, il est vrai, à une cer- « taine époque comme moyen de « résoudre la question, la répu- « blique avec la présidence du a pape pro tempore. Mais l'homme « d'État, prudent et sincère doit ff savoir faire le sacrifice de son « opinion quand il la voit en oppo- « sition avec le vœu public du « peuple. Or, dans les États ro- « mains, le vote libre du peuple s'est « catégoriquement prononcé pour a une séparation absolue entre le « spirituel et le temporel ; pour- « rais-je avoir la folie de faire a triompher une opinion contraire ff à ce vote ? Il y a quelques mois a la chose était possible ; mainte- « nant elle ne l'csten aucune façon; « il n'y faut plus songer. Ceux-là a même qui auraient la vouloirne a l\mt pa.H voulue; tant pis pour eux. a Aujourd'hui le clergé doit renou- er cer absolument ii toute parlicipa- i< tion, même indirecte, au gouvcr- « nement temporel de l'État. <f Aujourd'hui sa seule occupation 0 doit être de prêcher au peuple « libre, et par la parole et par « l'exemple, la vraie doctrine de a l'Éj^Mise , alin de prévenir tout « égarement, afin d'empêcher le rt grand mouvement qui ébranle j qui

« renverse tout, et qu'aucune force « humaine ne saurait arrêter, de « devenir protestant ou voltairien, de « chrétien qu'il a été et qu'il est « encore.» La presse s'occupait de lui de temps à autre, en France comme en Italie. Il trouvait des sympathies, dont on lui donnait des preuves fort peu honorables pour lui, telles que celles fournies par ces lignes de l'abbé Anatole Le- ray (l), qui mettait Ventura « au « nombre de ces hommes d'élite qui « défendent la cause démocratique « et sociale. Il cherche à délivrer la Œ papauté de la servitude des a alliances avec les gouvernements a et les dynasties, pour l'unir à la « cause et à l'idée des peuples. « C'est lui qui a inauguré à Rome « la politique de la franchise, et a frappé de mort, en la dépoi)ula- a risant, la diplomatie de la ruse et a du mensonfje. Il a tout fait pour a délivrer lu papauté de celte in- a fhience (jui la paralyse, de ces « intrigues qui l'avilissent.... Le « zèle de la vérité le dévore !... Le « père Ventura est la personnifica- a tion vivante de la pensée catho- « lique... Et si un concile général « a lieu prochaitiement, c'est lui « qui en sera l'âme et la parole V puissante. >> Ventura reçut l'hu- miliation de cet éloge, mais on dit qu'il le réprouva, peut-être l'en- tend-on de cette repaobation indi- recte, mais positive, qui résulte de îa soumission dont je vais parler tout à l'heure. 11 connaissait lui- même Anatole Leray ; je voudrais

(1) L'abbé Anatole Leray était un jeune prîtUo, du (liol•^sc do Saint- Urieuc, passionne jus(|u'a la lolic pour k^ ulccs (|ui doiiiiiiaiciit cil(ir>. Ou dit qu'il uiou- rut dans ccb scntiujculs peu de lumps après.

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douter de l'existence d'une lettre dont je n'ai pas vu le texte, qu'il lui écrivit pour Tencourager, disant que, pour lui, il n'était plus d'un âge à pouvoir soutenir une lutte. Dans un manifeste aux prêtres ita- liens, Mazzini donnait à Ventura im témoignage dont celui-ci n'au- rait pas voulu s'applaudir partout. « Prêtres italiens, s'écrie-t-il, mes paroles sont graves : si le salut du monde et de vos croyances vous est cher, écoutez-nous. Nous pourrions

UN DES VÔTRES l'a DIT, et qUC CC

soit pour vous une preuve de l'es- prit qui nous anime, nous pour- rions vaincre sans vous, mais nous ne le voulons pas. » Si de sem- blables compliments étaient peu flatteurs, et probablement alors moins agréables au père Ventura, il avait reçu des remontrances aux- quelles son amour-propre , et , croyons- le, sa conscience aussi, avaient être fort sensibles. Son ordre, désolé et humilié de la chute si lourde faite par un homme qui en avait été le chef, lui fit écrire après l'assemblée générale, au mois d'août 1849, une lettre charitable, grave et môme sévère , remplie de reproches fondés et de bons sou- haits. Après l'entrée des Français et le retour du pape h Home, la posi- tion de Ventura eût été fort gênée dans cette ville. Sa place naturelle était une retçaite dans l'une des maisons de son institut. Il avait toujours aimé la FYance, il en fit le lieu de son exil volontaire, et, muni probablement de la permission de ses supérieurs, il vint habiter la ville de Montpellier , il fut accueilli par M. Thibaut, qui en était alors évêque, et il passa deux ans. Peu après son arrivée, il y apprit que son Discours funèbre pour les morts de Vienne était coa-

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damné à Rome. Cette nouvelle dut lui causer plus de peine que de surprise ; mais il se soumit aussitôt au jugement porté, et il le fit en des termes si édifiants que cette pièce forme encore une des plus belles pages de sa vie, et que, nonobstant son étendue je crois devoir la don- ner ici, après avoir fait des cita- tions assurément moins impor- tantes. « Je soussigné , n'ayant su qu'aujourd'hui seulement, par le moyen à\x Journal romain ^ que mon Discours pour les morts de Vienne, débité et imprimé à Rome k la fin de novembre 1848, a été mis par décret de la sainte congrégation de l'Index, au nombre des livres pro- hibés ; n'ignorant pas ce qu'en de semblables circonstances l'Église a le droit d'exiger d'un de ses enfants docile et soumis, surtout s'il est ecclésiastique, et voulant pleine- ment m'y conformer, me croyant obligé en conscience envers les âmes que j'ai dirigées, envers le peuple que j'ai évangélisé, de leur donner l'exemple, et que j'ai con- stamment recommandé dans mes discours, ayant toujours déclaré et protesté vouloir soumettre au juge- ment dudit saint-siége apostolique et du souverain pontife toutes mes actions, et ayant par \k contracté l'engagement solennel envers le public chrétien, de lui prouver par des faiis, le cas échéant, la loyauté de mes déclarations et protestations, et la sincère volonté que j'avais de les mettre, au besoin, en pratique; sans y être ni contraint, ni con- seillé par personne, mais n'écou- tant que mes propres sentiments, qui sont ceux d'un vrai catholique dont, grâce à la divine miséricorde, mon cœur n'a jamais dévié ; libre- ment et de mon propre mouvement, je déclare que j'entends accepter

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comme j'accepte, en effet, le susdit décret qui condamne mon opus- cule ci-dessus indiqué, et que je le condamne sans restrictions ni ré- serve, mais dans toute l'étendue du sens dans lequel il a été condamné par l'autorité légitime; je réprouve encore, rejette et condamne toutes et chacune des doctrines, maximes, expressions et paroles qui, dans mondit livre ou tout autre de mes écrits, se trouvent ou pourraient se trouver en contradiction avec l'en- seignement de la sainte Ëglise ca- tholique, apostolique et romaine, la seule véritable. Je proleste, en ter- minant , que c'est dans cette sainte Église, qu'avec l'assistance de Dieu j'entends et espère mourir, quoi qu'il m'arrive et au prix de quelque sacrifice que ce soit. Montpellier, 8 septembre; signé D. Joachim Ventura, de l'ordre des RR. PP. théatins ; je l'atteste, je proleste et déclare comme ci-dessus. » Il au- rait pu, peut-être, faire cet acte de soumission en moins de mots et étendra sa rétractation plus loin. Quoi qu'il en soit, à partir de ce temps , sa conduite et ses doctrines n'offrirent aucune prise à la cri- tique. Il y eut, toutefois, un petit incident, pencianlsonséjour à Mont- pellier, qui doit être encore men- tionné. La Gazette du Midi publia l'analyse d'un sermon de Ventura, d'après laquelle le prédicateur n'au- rait pas craint de se vanter du haut de la chaire, devant un nombreux auditoire, d'avoir une fois reçu en confession les secrets de la con- science du souverain pontife! Oa fut fort afleclé, à Rome, de cet oul)li descouvenances. » La pénible impression produite à Rome a celle occasion, écrivait quelqu'un, me rappelle qu'il y a quelques mois un diplomate accrédité auprès du

saint-siége faisait des démarches pour obtenir un démenti à certain article publié dans son pays, sous la rubrique : RomCy et il faisait sensation. Voici la réponse qui lui fut faite : Des journaux français ont annoncé, il y a quelque temps, que le saint-père avait envoyé au R. P. Ventura des facultés pour accorder, par une bénédiction spéciale, des in- dulgences aux fidèles qui suivaient le cours de ses prédications à la cathé- drale de Montpellier. Le saint-père n'a pas fait démentir cette nouvelle, quoiqu'elle fût complélement fausse; voyez par s'il entre dans les usages de la cour romaine de jamais rectifier les erreurs que peuvent commettre les journaux. » Et on ajoutait : « Puisse le compte rendu du dernier sermon du R. P. Ven- tura être aussi peu véridique que l'histoire des indulgences accordées àses auditeurs de l'année dernière.» A Montpellier, Ventura ne se livra pas seulement au ministère de la chaire, il composa aussi un ouvrage sur le séjour de saint Pierre à Rome. H est intitulé : Lettres à un ministre protestant, 1 vol. in-<2, 4859. Il y répond à un ministre de Genève, qui avait renouvelé celte banale objection si souvent présen- tée par les siens , et qui consiste à nier le séjour et l'episcopat de saint Pierre dans la capitale du monde. En 1851 , Ventura vint s'établir à Paris, l'on peut croire que se portaient ses projets et ses désirs. Il u'eut aucune humiliation à subir; tout le monde parut igno- rer ou avoir oublié son passe. On raconte , sur l'obtention de ses pouvoirs ecclésiastiques, une anec- dote (jui ne semble pas aSvSez sé- rieuse jiour trouver sa place ici. Sous l'adminisiralion de M. Affre, qui avait accordé le celebrct au trop

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fameux Vincent Gioberli, peut-c(re aurait-il trouvé qu(-lque difficulté; car, au souvenir des actes des der- nières années, se serait peut-être joint le souvenir de la différence de sentiments sur certains points. C'était à M. Affre, alors grand- vicnire d'Amiens, que Ventura fai- sait répondre par ses amis, ou ré- pondait sur l'équivoque du mot. ç|J07j- iiinée, présentée par celui-là d'une manière piquante, à l'occasion de la démission du professorat dont j'ai parlé au commencement de cet ar- ticle. Mais Ventura trouva M. Si- bour archevêque de Paris, et sous la juridiction de cet ancien ami, sa position était naturellement toute différente. C'est à dater de son sé- jour dans la capitale, je crois, qu'il signa son nom Ventura de Raulica. Sa science et ses connaissances étendues le mirent en relation avec les hommes les plus distingués, avec les mathématiciens comme avec les littérateurs. Pendant les dix derniè- res années de sa vie, qu'il a passées à Paris , il s'est, comme à Mont- pellier, uniquement donné à la composition d'ouvrages nombreux et à la prédication. Il fut bien- tôt appelé à exercer ce ministère, et il devait prêcher à la métropole, aux exercices de l'Adoration perpé- tuelle, le 2 déc(!mbre1851, lorsque les troubles occasionnés par le coup d'Klat de ce jour, lirenl momenta- nément fermer l'église. 11 a occupé souvent les chaires de Saint-Louis d'Anlinet de la Madeleine, quel- ques incorrections d'expression et de langage n'empêchaient pas qu'il fût goûté. Il a même prêché une station à la chapelle impéride des Tuileries, il montra, dil-on alors, une certaine hardiesse ou énergie. Comme ses sermons sont imprimés, OD peut juger de ce qu il y a de

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vrai dans celte persuasion. Ventura paraît avoir rompu, dans tout ce temps-là, avecles opinionsde l'abbé Robert de La Mennais, qu'il n'y avait d'ailleurs plus de gloire ou d'inté- rêt à suivre; il l'a vu cependant quelquefois, mais ils étaient loin de s'accorder sur tout. L'huma- nité est grosse d'un grand avenir, d'une religion nouvelle, lui disait La Mennais vers 1852. Vous vous trompez, lui répondit Ventura : je lui ai tûié le pouls, à l'humanité, elle n'est pas grosse, elle est atteinte d'une hydropisie. D;ins la préface de quelques-uns des livres de Ven- tura, et notamment dans celle de ses Conférences^ on lit quelques traits sur sa propre histoire. On y verra, par exemple, que le pape, à qui l'on demandait quel homme il regardait comme le plus savant, après un in- stant de réflexion, répondit que c'é- tait le père Ventura, etqu'ilnecon- naissait personne plus instruit que lui et l'abbé Rosmini. Ces aveux ou ces révélations s'écrivaient sous les

yeux de Ventura et peut-être

Une notice biographique, rédigée par lui-même et confiée à un ami pour un certain journal, fut insé- rée avec des modifications. Depuis lors, Ventura ne voulut plus voir cet ami auquel il avait cependant des obligations littéraires, et qui n'était pas l'auteur des mutilaiions de l'au- tobiographie. Depuis quelques an- nées, Veptura allait se délasser et chercher quelques loisirs à Versail- les; c'est qu'il a été atteint de la maladie dont il est mort, le 2 août IHOI, après avoir reçu, avec une piété édifiante, les derniers sacre- ments. Ses obsèques eurent lieu le 5, au milieu d'un concours assez nombreux, vu l'heure matinale ( il n'elait que huit heures ). et qui se grossit de l'église cathédrale, le

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corps fui d'abord porté, jusqu'à l'é- glise des pères capucins, auxquels il fut confié. L'évêque de Versail- les célébra lui-même la messe , et il avait témoigné un dévoue- ment admirable au célèbre défunt pendant tout le cours de sa mala- die. Dans le cortège funèbre, on voyait plusieurs hommes distingués. Italiens, Polonais, etc., et parmi eux M. Méglia, internonce du saint- siège à Paris, ainsi que le révérend père Girino, procureur général de l'ordre des théatins, qui était dé- puté pour assister son ilbistre con- frère, auquel le pape Pie IX en- voyait une indulgence plénière dans cette extrtmité. Le Père Cirino a reporté à Rome le corps de Ven- tura, qui reposera définitivement au milieu de ceux qu'il n'aurait ja- mais dû quitter (1). Qu'il a été mal- heureux pour ce religieux savant de joindre tant de faiblesses à tant de qualités! Ses écarts, les circons- tances auxquelles il s'est prêté d'une manière si répréhensible, ont trou- blé son repos et brisé tout l'avenir que la Providence lui préparait, car on ne peut douter que, s'il eût suivi une voie p!us droite, il ne fût parvenu aux plus hautes dignités de l'Église, même au cardinalat. Ce qu'il y a eu de condamnable dans sa conduite n'efface pas entière- ment ce qu'il y a eu de louable en lui, et je crois pouvoir employer ici l'expression d'un savant prélat sur une autre célébrité malheu- reuse : « La faute d'un jour ne peut faire oublier les inspirations de toute une vie. » Les journaux français ont dit peu de chose sur Ventura après sa mort; on trouve néanmoins dans le Monde (numéro

(1) Il est Inhumé au pied de la chaire de l'oylise Saint-André.

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du 9 août 1 861 ) un article intéressant fourni par M. A', de Fontaines, qui fait bien connaître les opinions ji:- dicieuses du savant théatin sur les matières religieuses, politiques, so- ciales, etc. Il nous rappelle en pre- mier lieu que ses profondes connais- sances théologiques lui donnaient une aversion prononcée pour le gallicanisme, qui, disait-il, n'estau fond que la négation de la souverai- neté spirituelle du pape dans l'É- glise. Il est vraisemblable qu'une vie telle que celle de Ventura, qui a touché si fortement à tant de points divers, trouvera un écrivain capable de la faire apprécier. Je me suis empressé de recueillir les faits dont est composé cet article, qui était d'urgence, pour que le cé- lèbre théatin occupât dans la Bio- graphie universelle la place méritée à tant de titres. Outre les ouvrages que j'ai mentionnés ci-dessus, on connaît encore du père Ventura : La Femme chrélienne ou Biographie de Virginie Bruni, écrite par le r. R. P. Venlura de Raulica, ancien général des théatins, consulteur de la sacrée congrégation des Rites^ examinateur des évéques et du clergé romain, traduite par madame de B"*, in-12. Paris, 1851.— La Rai- son philosophique et la Raison ca- tholique, in-S', 1852. Cet ouvrage est précédé d'une Introduction, par M. l'abbé Ilippolyte Barbier. Les Femmes de l'Évangile, in-12, 1853. La Femme catholique, 3 vol. iii-8", 1851. De la vraie et de la fausse philosophie, en réponse à une lettre de M. le vicomte Victor de Donald, in-8". Essai sur l'o- rigine des idées, fc-S", 1853, École des miracles ou les OEuvrcs de la puissance et de la grandeur de Jésus-Christ, 3 vol. in-18, 1854- 1858. La Tradition et les semi-

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pélagiens de la philosophie ou le Semi- Rationalisme dévoilé^ ouvrage renfermant de nouveaux et amples développements sur la nature et les forces de la raison ; sur les prin- cipes des connaissances humaines ; sur la loi naturelle ; sur la néces- sité de la tradition et delà révélation divines, et sur les funestes effets de l'enseignement philosophique ac- tuel dans les établissements dirigés par les rationalistes soi-disant ca- tholiques, in-8\ G'estencevohime surtout que le père Ventura montre clairement à quelle école philoso- phique et religieuse il appartient. Plus d'un lecteur y trouvera peut- être qu'il est allé plus loin que je ne l'ai supposé dans la remarque que j'ai faite ci-dessus en parlant du discours qu'il prononça en 4 825 îi VAcadémie de la religion catholi- que sur la puissance de la raison humaine. Le Pouvoir politique et chrétien, discours prononcés à la chapelle impériale des Tuileries pen- dant le carême de Vannée 18.j7, pié- cédéd'une Introduction, parM. I.ouis Veuillot, in-8°. Essai sur le pou- voir public, pour faire suite au Pouvoir chrétien, in-8°, 1857. Traité sur le culte de la sainte Vierge, la mère de Dieu, mère des hommes, in-12, Lyon, 18o2. Gloires nouvelles du catholicisme, ou Eloges funèbres, Vies et Exem- ples de quelques grands catholi- ques décédés dans la première moi- tié de ce siècle^ ouvrage traduit de l'iliilien sous la direction de l'auteur, in-8°. Eûoposition des lois naturelles dans l'ordre social, iii-8'. L'ouvrage intitulé : La Bai- son philosophique et la raison catho- lique a eu depuis deux autres vo- lumes, contenant, comme le pre- mier, une suite de conférences reli- gieuses. Aucun des ouvrages de cet

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écrivain fécond n'a subi les censu- res de l'Eglise, si ce n'est lopus- cule qu'il publia sur les morts de Vienne, et dont voici le titre tout entier : Discorso funèbre per morti di Vienna, recitato il giorno 27 no- vembre 1848, sulla insigne chiesa di S. Andréa delta Valle, dal R. P. D. Gioacchino Ventura, con Introduzione e Protesta dell autore. Le décret de V Index est du 30 mai d849 (1), mais il ne fut approuvé par Pie IX, à Gaëte, et promulgué que le 6 juin suivant. On a dit, mais à tort, ce me semble, que Ventura avait écrit contre le pouvoir temporel du pape (2) dans son Journal de Gê- nes. Le portrait du célèbre théatin a été gravé; on le trouve en tête du volume intitulé : le Pouvoir po- litique et chrétien. B n e.

VÉRAC (le marquis Charles- Olivier DE Saint-Georges de), railitaire et diplomate français, plus

(1) Il est k remarquer que c'est le même jour et par le uiême décret que furent condanuiés l'ouvraj^e de Ven- tura : La Coiistituzione seconda la Guistizia sociale, con unu appendice sulla unila Italia, d'Antoine Kosmini Sfîrbati ; il Gesuita moderno , de Vincent Gioberti. Rosmini se soumit de suite, et sa soumission est louée dans le décret. Ventura se soumit au mois de septembre, des que le décret lui fut connu... Gioberti ne se soumit pas du tout.

(-2) L'abbé Passaglia, après sa dé- fection, s'était retire ii Gênes (1861), et devait, suivant la Ferseverenza, feuille de Milan, a devenir un des plus assi- « dus et des principaux écrivains du c journal VAmico, de Gênes, journal c du clergé libéral italien... M. Passa- « glia succédera, disait-elle, dans cette f( œuvre ii un autre grand écrivain, qui < vient de mourir, le P. Ventura, qui, avec Toinniaseo, Ainori et d'autres « savants du premier ordre, défendait fl dans ce journal les intérêts de la li- c berté et de la nation italienne, en a cherchant à les concilier avec la re- « ligion catholique. »

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grand seigneur, mais moins écla- tant météore dans Thistoire que le militaire diplomate Dumouriez, son contemporain, mérite pourtant une place dans notre Biographie et de- vraildéjàlavoir obtenue, t. XLVIII. Il naquit le 10 octobre 1743 au châ- teau de Couhé-Vérac, en Poitou. Son bisaïeul avait été lieutenant général de la province de Poitou; lieutenant général de la province de Poitou devint son aïeul; lieutenant général de la province de Poitou se trouvait son père, quand venait au monde l'espoir de la dynastie de Couhé... L'on ne s'étonnera donc pas qu'en vertu du principe, déjà connu des Romains ,

Nati Metelli fiiint consnles Rorr.îe,

le jeune Charles-Olivier, bien qu'il ne comptât encore que « deujc lus- trcfi romplels » ait été pareillement investi de ce titre. Quatre ans après, (1757), il mettait le pied à rélrier dans les mousquetai- res, vie commode et paisible mal- gré la guerre de sept ans qui rugissait en Allemagne et dont souffrait cruellement la France. Trois ans environs se passèrent sans que les pimpants mousque- taires du corps de Vérac culti- vassent autre chose que les bou- doirs et la parade. En 1761 la scène changea : Charles-Olivier fit cam- pagne comme aide de camp du duc d'Havre, second éjjoux de sa mère, et le Kl juillet il eut part à la san- glante rencontre de Willinghaustn, il faillit laisser un bras. D'IIuvré fut tué d'un coup de canon; le même boulet blessa au bras l'aide de camp. Avouons que l'elTel de cette blessure fut des plus heureux : en 17G7, sans action d'éclat qu'on ait citée, Vérac derenait colonel au corps des grenadiers de France; en

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1770, il recevait le grade de mestre de camp, l'épaulette de lieutenant du régiment royal-dragon et la croix de chevalier de Saint-Louis. Ainsi comblé militairement, comme on lui reprochait de n'avoir pas beaucoup couché sur la terre, beau- coup placé de batteries, beaucoup bravé de fusillades et vu crever beaucoup de bombes, il répondit, ne contestant pas des vérités trop clai- res malgré sa blessure de 1761: « J'étais pour la diplomatie, » et il se trouva des ministres peur le nommer de prime abord à des pos- tes diplomatiques, sans le faire pas- ser par ces grades intermédiaires d'attaché , de secrétaire , du moins l'on apprend les éléments de la science ou de l'art qu'on as- pire à pratiquer. Il est vrai qu'il lui fallut dans les commencements, tout en arrivant d'emblée chef de légation, se contenter du simple titre de plénipotentiaire. C'est en cette qualité qu'il vint résider, en 1772, à la cour de Hesse-Cassel ( sa mission n'était guère qu'une sinécure), en 177-i auprès du roi de Danemark, en 1779 à Saint- Pétersbourg. En 1784 enfin il de- vint de plénipotentiaire ambas- sadeur ; mais , traiisplanté des quais et des îles de la Neva aux rivages du Zuyderzée, il no trouva pas la tiuhe si facile entre les deux nuances gouvcrnemeniales qui di- visaient les Provinces-Unies cju'au- près de l'autocratie à laquelle nul ne rési'>lait depuis (juo, grâce ;'i Mikhelson, Pougatchef avait cessé de la faire pâlir. Le plus fâcheux, il faut le dire, c'est que son gou- vernement même ne savait |)as très- bien ce qu'il voulait, ou du moins à quels moyens il comptait avoir recours pour obtenir ce qu'il vou- lait. Ainsi l'on eût pu croire (|iie,

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contrairement à l'Angleterre et à la Prusse, le cabinet de Versailles s'opposerait à l'agrandissement ou du moins à la consolidation de la maison d'Orange. Vérac pourtant fut désapprouvé pour avoir con- seillé aux États de Hollande de retirer au stadhouder le gouverne- ment de la Haye; et son minis- tre le rappela fort cavalièrement. Nous trouvons, nous, cette dis- grâce honorable, et nous pardon- nons de tout notre cœur à l'envoyé français de n'avoir pas voulu ti- rer les marrons du feu pour le roi de Prusse. Pendant quatre à cinq ans Vérac resta ainsi dans l'ombre. Il ne revint sur l'eau qu'en 1789, pour aller toujours, avec le titre et les appointements d'ambassa- deur , continuer la mission de Vergennes en Suisse. Mais un peu plus ou un peu moins de Suisses autour de la personne du roi de France, et un peu moins ou un peu plus de haute paie pour aviver le feu sacré du dévouement en train de s'éteindre, ce n'étaient plus les questions vitjdcs auxquelles te- nait le salut de la monarchie. Celait à Pavie, c'était à Mentoue, en at- tendant Pilniz, c'était dans les trois capitales hostiles (Vienne, Berlin, Madrid) qu'étaient en ébullition les {ïrands projets pour l'annihilation des nouvelles idées qui prenaient racine en France. C'était sur une autre frontière que celle du Jura que devait s'effectuer l'évasion de Louis XVI. Nul doute, au reste, que Vérac ne fûtdejjuis longtemps informé do celte mesure décisive arrêtée en principe à la cour au moins six mois auparavant (dès décembre 1700), et qui, remise en question un moment par les tergi- versations de Léopold II, fut hrns- qaement déterminée par l'ambi-

tion personnelle du marquis de Breteuil. Les fameuses journées du 21 au 25 juin (1791), en rivant désormais le souverain fugitif à Paris et en entourant l'Assemblée de ce prestige, de ce surcroît de puissance que donne aux gouver- nants toute insurrection vaincue ou toute conspiration déjouée, montraient assez qu'à l'avenir ce n'était plus par des voies régulières et correctes qu'un ami du roi pou- vait lui prouver son dévouement, et que pour le moment il ne fallait plus songer à servir du même coup la nation et le monarque. Son choix fut prompt, et ce fut celui de presque tous les membres de sa caste. Il envoya sa démission, et au lieu de revenir en sa patrie, il partit pour Landau, d'où successi- vement il se rendit à Venise, à Florence, et finalement, revint à ce Nord, centre et point de départ des coalitions, à Ratisbonne, la ville des diètes sempiternelles, la serre froide des conclusions qui ne con- cluent rien. En France, l'on est moins long k conclure, l'on n'at- tendit pas ce retour aux parages germaniques, l'on n'attendit môme pasle commencementdu [)èlerinage pour porter Ghild Ilarold sur la liste des émigrés, d'où virtuelle- ment et ti'op souvent réellement les domaines étaient vendus, les titres lacérés, le mobilier au pil- lage, — de sorte que nulle remise n'arrivait de la part des intendants aux expatriés volontaires, dont les ressources s'épuisaient vite dans les pou confortables hôtels de l'Alle- magne. Véraceut, ce semble, sa part et plus que sa part de ces déboires. Aussi, malgré sa fidélité à ses rois, ne persévéra-t-il dans l'émigration que tîMit qu'il y eut risque à reve- nir. Mais sitôt que le premier con-

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sul eut décrété l'amnistie et la permission de rentrer h tous émi- grés, sauf les princes de la famille prétendante, il ne s'opiniàtra pas à végéter sur la terre étrangère (1 801). Il n'était peut-être pas sans espoir de se remettre en possession de quelques débris de sa fortune. Il est permis de penser qu'il en fut ainsi, soit que tout n'eût pas trouvé d'acquéreur, soit que des intermé- diaires ou que de fidèles amis eus- sent racheté sous main une par- tie de ses biens pour les lui re- mettre, car évidemment il ne re- vint pas gros capitaliste de la terre d'exil, et l'Empire ne le pourvut d'aucun office. Toutefois, personne, quand 1811 ramena les Bourbons, ne cria plus haut que lui sur les toits que la Révolution l'avait cora- j)létement dépouillé, que ses terres avaient été vendues, ses titres (de propriété sans doute?) jetés au vent, ou au feu, ses meubles rais Ji sac, ses châteaux démolis, ses bois cou- pés, etc., etc. L'>uis XVIII, pour lui témoigner sa reconnaissance de sa tidélité de dix ans, s'était em- pressé, dès 18i4, de faire revivre pour le marquis les grandes entrées, puis après son deuxième retour et après avoir fait quelque temps la sourde oreille, comprenant qu'on a beau avoir été un parangon de fidélité, ou ne vit pas de pain sec et d'honneur, en 1816, il l'investit de quelque chose de plus solide, et qui se résolvait en emargemtînts : il le promut au ran? de lieutenant général, vu qu'en 1770 il avait été mestre de camp. Du reste, n'é- lait-ce pas un des vétérans de l'ar- mée selon le cduir de la dyna'^tic? En parlant de Mol ou 1758 {l'épo- que de son début comme mousque- taire), et comptant ses vingt et une anuées d'exercice ou de di.^ponibi-

lité diplomatique (1770-1791), plus l'intérim, qui pour un fidèle servi- teur avait été le plus saint des de- voirs pendant le triomphe de l'a- narchie et de l'usurpaiion, c'était comme cinquante huit ou cinquante- neuf ans de services! De tous les officiers à services cinquantenaires, on peut tenir pour certain que pas un ne comptait moins de campagnes. Toutefois il n'eut pas longtemps à jouir de celte étonnante preuve de la reconnaissance de son royal maî- tre, lequel, ce me semble, aurait mieux fait, puisque Ton voulait qu'il y eût une pairie dans la maison, de donner la pairie à l'ex-diplomate, et de faire de l'ex-carabinier son fils (voy.un peu plus bas) un lieutenant général. Quoi qu'il en puisse être, le lieutenant général marquis et non pair, Charles-O. de Vérac, mouiut la même année. Il n'aurait pas vu toute une session. vers 1770, Ar- mand-Maximilieu-Erançois-Joseph- Oiivier, son fils aîné, entra fort jeune au service, et, officier dans les ca- rabiniers royaux au moment delà Révolution, émigra, plus tôt peut- être que son père ne quitta son poste diplomatique en Suisse. 11 le suivitlors de son retour en France, dans les commencements du gou- vernement consulaire ; mais il de- meura étranger pendant l'Empire à tout service civil et militaire, et vécut dans ses biens paraphernaux, avant d'obtenir la main d'une fille du vicomte de Noailles. Eouis XVIII non-seulement le nomma chevalier de Saint-Louis en 1814, mais, lui conféra la pairie le 17 août 1815 (donc bien avant la mort de son père). Son nom, en elTet, nous saute aux yeux à l'ouverture <le la session de 1818, nous le trou- vons un des (juatrc socrélaires de la noble chambre. En rSi'J, il fut

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Danli par ce prince d'une autre si- nécure, le gouvernement du châ- teau de Versailles. Il était, de plus, président du conseil général du dé- partement de Seine-et-Oise, et de- puis la session de 1818 inclusive- ment, il présida le plus souvent le collège électoral de ce département. Val. p. VERDIER (le comte Jean-An- toine), un des lieutenants généraux français par qui fut le plus vaillam- ment, le plus fréquemment payé la dette à la patrie pendant les lon- gues luttes de la République et de l'Empire, vit le jour à Toulouse le i"^' mai 17G7.11 n'attendit pas pour s'engager que sa dix-huitième an- née fut écoulée, et, en 1785, dès le 18 février, il entrait au régiment de La Fère. L'émigration, en lais- sant des places vacantes dans l'ar- mée, puis l'imminence de la guerre étrangère, qui commandait de rem- plir au plus vite ces lacunes en con- férant aux plus dignes ce qui na- guère était aux mieux nés, lui va- lurent, en 171)2, le grade de sous- lieutenant. Deux ans après, il devenait capitaine au second ba- taillon des volontaires de Haute- Garonne (1794), et bientôt Auge- reau le choisit pour son aide de camp. L'armée des Pyrénées-Orien- tales, à laquelle il appartenait, opérait en Catalogne, mais en vue, pour ainsi dire , des frontières françaises et sans avoir encore rem- porté d'avantage signalé. Verdier, se plaçant à la tête d'un bataillon de chasseurs de la Drome, se préci- pita l'épée à la main sur le camp retranché de Llers, que défen- daient 4,000 Espagnols et 80 bou- ches à feu; et, par le succès de celle attaque audacieuso, décida la prise de Figuières (automne 179o). A la suite de ce fait d'armes, il fut

nommé adjudant général chef do brigade. Une se distingua pas moins les deux années suivantes en Italie, h la suite du jeune vainqueur de Colli et de Beaulieu, de Wurmser et d'Alvinzi. En 1796, il assaillit et prit avec un rare et magnifique entrain la redoute de Meledano ; puis, toujours faisant partie de la division Augereau , il concourut puissamment à la mise en déroute du centre de l'armée autrichienne à la journée de Castiglione, et fut créé général de brigade sur le champ de bataille ; en 1797, il était à cette longue et rude affaire d'Ar- cole si longtemps les héroïques tentatives pour passer la chaussée sous le feu d'une artillerie écrasante avaient été impuissantes, et une blessure le mit hors de combat. A peine guéri, l'armée active le vit reparaître, n'ambitionnant que les postes les plus difficiles et les plus périlleux. Il fit ainsi toute la cam- pagne de l'hiver, 1796-1797, et prit part à tous les combats jusqu'aux préliminaires de Léoben. Bonaparte ne manqua pas de l'emmener, lors- qu'il mit à la voile pour l'Orient ; et, tour à tour, l'Egypte, la Syrie furent le théâtre de ses exploits. En Egypte, il eut sa part à peu près de tous les faits d'ar- mes de quelque importance : à la batailles des Pyramides, il avait sous ses ordres une des brigades de la division Kléber. En Syrie, il commandait les grenadiers et les cclair(;urs au siège d'Acre; et, s'il n'eût dépendu que de lui, la place, certes, aurait été emportée. Il faillit y pénétrer le jour de l'iissaut : il fut des premiers à l'escabide, sur- prit un poste ennemi et atteignit l'en droit que le plan général arait désigné à ses efforts et oij l'on devait se rejoindre ; malheureusement les

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essais sur d'autres points ne furent pas aussi heureux, et VerJier eut l'amer chagrin, après avoir, quant à lui, mené raffaire à bien avec ses braves, de recevoir l'ordre de re- venir aux tentes, non sans le fatal pressentiment que jamais l'occasion ne se représenterait aussi propice, et que bientôt il faudrait abandon- ner, non-seulement Saint -Jean - d'Acre, mais encore la Syrie pour courir à la défense de l'Egypte conquise. Il ne se trompait pas. L'Angleterre avait retrempé, avait pourvu de tout le matériel qui lui manquait le vieil esprit domina- teur des Ottomans, et se prépa- rait à les seconder par terre et par mer. Le général en chef, quand cette douloureuse nécessité se fit sentir, et quand d'ailleursil songeait à revenir en France, choisit Verdier pour gouverneur de la province de Damiette. C'était le poste de l'hon- neur, c'était l'avant-garde, c'était par que l'ennemi devait parailre. Bientôt, en effet, se montre l'énor- me escadre conduite par Sidney Smith, et à laquelle les Français n'ont pas un navire qu'on puisse opposer. Empêcher le débarque- ment est impossible: déjà 8,000 ja- nissaires sont sur le rivage avec un matériel considérable, au Boyau de Damiette, cnlre la rive droite de la Méditerranée et le lac de Menzaleh. Maison peut les faire repentir de leur audace. Verdier avec un élan, une résolution et une vigueur dont l'his- toire, si l'on en excepte l'histoire de France, offre peu d'exemples, s'é- lance sur eux avec mille hommes qu'il a sous la main ; il ne se donne pas même la peine d'attendre De- saix qui vient avec drs renlorls: c'est toujours l'ollicier (pii fond sur le camp de Llers, en CalalogQc : deux mille (ou a même dit cinq

mille) janissaires restent sur le champ de bataille, huit cents de- meurent prisonniers; trente-deux drapeaux , dix pièces de canon sont encore les trophées de la victoire. Kléber, qui se connais- sait en bravoure, fut émerveillé de ce fait d'armes et lui décerna en mémoire du combat de Menzaleh un sabre d'honneur. Malgré ces prodiges de résistance, l'attaque anglo-turque, dont sans cesse les forces allaient grossissant, tandis que la minime phalange française était coupée du reste du monde, avançait irrésistiblement. C'est l'in- térieur du pays qu'il fallait défen- dre : les coalisés parurent devant le Caire. Verdier était du nombre des officiers qui se renfermèrent dans la ville. Il s'y distingua non moins qu'en rase campagne, et c'est alors qu'il fut promu au rang de général de division. Cependant Bonaparte devenu le premier con- sul, et qui, la seconde coalition virtuellement anéantie par les suites du coup de foudre de Marengo, voulait encrer la France en Ita- lie, le rappela avant que l'éva- cuatiin générale de l'Egypte fût consommée. Les croisières an- glaises auraient pu rendre cet or- dre nul : Verdier leur échappa. De retour à Paris, il fut toute l'année 1801 , avec la division qu'il comman- dait, employé à diverses missions toutes concourant à l'objet prin- cipal: il fut d'abord sous les or- dres de Murât. Passant ensuite en Etrurie, il y fut chargé du com- mandement de toutes les troupes françaises qui s'y trouvaient en cet instant. De il eut à se rendre dans l'Italie méridionale pour aller occuper la i'ouille, sous Gouvion Saint-Cyr. Enfin il fut de nouveau donné pour chef au corps français

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de rÉtnirie, royaume tout nouveau l'installation d'une dynastie nouvelle réclamait ou du moins justifiait la présence, soit du pro- tecteur, soit de ses délégués. Sauf quelques très-courtes absences, Verdier y passa tout le temps qui s'écoula jusqu'à la rénovation de la guerre avec l'Autriche , en iSOo. Il eut le plaisir de faire d'un bout à l'autre cette magnifique campagne qui nous ouvrit Vienne, tant de fois menacée, tant de fois épargnée, et qui finit par la bataille d'Auslerlitz. Verdier faisait alors partie du corps de Masséna. Le petit-fils de Marie -Thérèse ainsi réduit à résipiscence, ce fut le tour de son allié, ce Ferdinand IV ou Ferdinand I'' qui, toujours le jouet de son impure compagne, croyait qu'un trône est inébranlable et qu'un prince est inamovible quand il a pour lui l'archiduc des archi- ducs, en d'autres termes le Hetman des Szeklers et des Pandours ; et le parterre européen eut à contem- pler la petite pièce après la grande. On devine qu'il s'agit de cette fuite nouvelle du Rourbon de Na- ples, quittant sans coup férir non- seulement Naples et son royaume continental, mais ce qui lui tenait le plus au cœur, son Parc-aux- Cerfs de San-Lcucio, que lui per- mettait la reine moyennant que le royal époux lui permit Acton. Ver- dier, revenu des bords du Danube, prépara et détermina ce départ. Après un court séjour en Toscane, au retour de la campage de Mora- vie, il avait été désigné pour aller (devers ce pays qu'il avait parcouru sous Gouvion Sainl-Cyr) seconder le général Re},Miicr chargé de châ- tier le roitelet si heiireux naguère des calamités de la France. Il s'ac- quitta comme k l'ordinuire de celte

mission, qui pour lui n'était qu'un jeu; et après n'avoir que posé le pied dans la capitale, marchant toujours en avant, de concert avec le chef du corps français de Naples, il atteignit Reggio, le fond de la botte, et vit ces fuyards, qui ne va- laient pas la peine d'être faits pri- sonniers, s'embarquer pour rejoin- dre au delàdudétroitleurmonarque 1 in partibus iy (1806). Pendant ce temps beaucoup des anciens cama- rades de Verdier. cueillaient, au cœur de l'Allemagne septentrionale et contre la Prusse entrée en lice à la dernière heure, des lauriers plus opiniâtrement disputés, et dont il eût certes préféré les périls à la piomenade, l'arme au bras, qu'il avait été chargé de faire le long de la riante péninsule. Mais sa soif de drames militaires un peu plus ac- cidentés fut bientôt satisfaite. Bien que la victoire d'Iéna eût ouvert à l'empereur des Français les portes de Berlin, la Prusse avait encore ses provinces slaves, et Napoléon, pour se faire demander la paix, allait y lancer ses bataillons vain- queurs des provinces allemandes et qu'il nommait déjà la grande armée de la Vistule. Commençant par la remettre au complet et plus même qu'au complet, car il n'igno- rait pas qu'il allait avoir les Russes aussi sur les bras, il n'oublia pas le second de Régnier. Verdier at- teignit le théâtre de la guerre, juste à temps pour donner avec son monde au grand combat de Hcils- berg, où, suivant son usage, il fit beaucoup de prisonniers. A la décisive et sanglante journée de Friedland, il contribua si puissam- ment par la célérité, par l'aplomb de ses manœuvres au triomphe des Français, qu'ils eurent, sa division et lui, l'honneur d'uiie mention

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spéciale au bulletin du jour, ou- vrage propre ou peu s'en faut de l'empereur. Ce n'est pas d'ailleurs à de stériles hommages que se borna le maître : la même année Verdier reçu le titre de comte de Tempire. La même année aussi le vit partir pour l'Espagne, qu'il n'avait guère qu'entrevue lors de ses débuts sous la République et qu'il allait apprendre à connaître. C'est à lui d'abord que fut confié le commandement du corps chargé d'opérer au nord. En Galice, bientôt débarquèrent des Anglais, il eut à livrer le combat de Lo- grono, matériellement la vic- toire nous fut fidèle, mais qui n'anéantissait en aucune façon l'in- surrection dans des régions toutes montagneuses, qu'on eût dites créées pour laguerre de guérillas. Il n'en dut pas moins se replier sur TÈbre, et même sur la Navarre Parapelune était à nous, mais d'où l'on pouvait voir l'esprit de soulève- ment gagner de proche en proche et tendre à couper les communica- tions entre la frontière française et Madrid commandait Murât. Pour rendre impossible le plan du cabinet de Saint-James, il fallait avant tout être plus solidement éta- bli qu'on ne Tétait en Aragon et en tenir la capitale hors d'état de bou- ger. Neuf mille hommes donc, parmi lesquels neuf cenis de cava- lerie, se mirent en marche de Para- pelune pour Saragosse : Verdier était à leur tète. C'était au com- mencement de juin. II était bien temps de prendre sérieusement les mesures vigoureuses. Dès Tudela, l'on aperçut de grosses bandes de paysans qu'avait rassemblés li la hâte le marquis de Luzan (frère aîné de Palafox) et qui n'auraient pas mieux demandé (lue de barrer

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le passage. Ils n'osèrent et ils al- lèrent prendre position dans un bois d'oliviers entre le canal d'A- lagon et le village de Ilalden. II fallut les en débusquer. Un peu plus tard, après avoir dépassé Ala- gon, l'on vit apparaître des cita- dins de Saragosse qui, spontané- ment ou non, s'étaient levés avec ce qu'ils avaient pu se procurer darmes et avaient demandé à Pa- lafox de les conduire à l'ennemi, en plaine! Indisciplinés et mal ar- més, ils ne tinrent pas longtemps: les uns furent taillés en pièce, les autres ne durent leur salut qu'à l'intervention de deux cents régu- liers et de quelques fusiliers que leur général avait gardé pour ré- serve. Lelendemain(14) un petit dé- tachement de cavaleiie française s'é- tant hasardé dans un des faubourgs de la place, comme cela semblait possible et facile dans une ville ou- verte, paya de quelques morts sa témérité. Verdier comprit bien vite que l'émeute désormais ne pouvait être prise pour un caprice et qu'il faudrait un siège en règle. Il s'y résolut sur le champ'; mais, ayant vu les Aragonais, tout irrégulières que fussent leurs manœuvres, non- seulement fermer passage à coups de canon au gros des forces fran- çaises qui voulaient forcer la porte Portelle , mais exterminer, avec transport et sans pitié jusqu'au dernier, les quelques braves qui, plus ardents que les autres, avaient pénétré dansles rues, il crut à pro- pos de se placer provisoirement à dislance un peu plus respectueuse de l'artillerie aragonaise (au vil- lage d'Epila), pour revenir sous peu moins faible quant au nombre et mieux ap[)rovisonné quanta l'at- tirail de siège, puisque évidemment il ne falUil plus compter sur les ra-

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pides coups de main et les triomphes au galop. Palafox profila de ce répit pour réunir , lui aussi , quelques troupes de plus, pour ajouter aux ressources, en vivres et en muni- tions, d'une ville qui n'avait jamais, depuis des siècles, été considérée comme place de guerre, et pour organiser la résistance indéfinie par tout TAragon, par tout le royaume, au cas mèmeoùlagrande cité aragonaise tomberait. Il eut même Tidée d'anéantir le corps de Verdier par un grand coup en se portant à la Muela, ce qui devait pla- cer le général français entre sa pe- tite mais intrépide armée et les mi- lices de Saragosse. Déjà il avait at- teint les environs d'Epila, et une marche peu longue allait le con- duire au point souhaité. Mais Ver- dier voyait clair, Verdier devinait. Tandis que les hommes de Pala- fox se préparaient, par le repos et le sommeil, à la marche du lendemain , Verdier , à la tête de ses tr oupes bien éveillées , avançait de nuit jusqu'à leurs grand -gardes négligemment po- sées, les surprenait et, eu dépit d'une résistance si belle de la part de dormeurs si brusquement ré- veillés, les contraignait à prendre la roule de Catalogne, d'où ce ne fut pas sans peine qu'ils purent, eux et leurs chefs, regagner Sara- gosse. Presque en même temps les Français arrivaient sous les murs, plus forts qu'en commençant, non moins impétueux et plus sur leurs gardes. Chaque jour nou- velle attaque, circonspecte et su- bordonnée à un plan systématique, et chaque jour un pas en avant. Le 28, un tiers de la ville était en la possession des Français, qui, de plus, s'étaient rendus raaîires de l'importante position de Torrero,

défendue par cinq ceuts hommes et de l'artillerie. Le commandant, en rentrant à Saragosse , fut déclaré traître immédiatement et subit le supplice de la hart. Verdier n'en vint pas moins à bout d'investir complètement la ville, dont long- temps on n'avait pu empêcher les communications avec le dehors; les vivres y devinrent rares, 1,200 bombes et plus qu'il y jeta en- combrèrent les rues et les places de cadavres que la paresse des Espa- gnols,non moins grande, il faut le dire, que leur courage et leur per- sévérance, ne faisaient pas dis- paraître avec assez de rapidité pour empêcher le typhus. Enfin, le 3 août, furent complétées les batteries sur la Guerva, et le A, après que le feu de celles-ci eut réduit en ruines le splendide cou- vent de Sainte-Engracie , maître de la rue de Cozo et du centre de la ville, il put se croire à la veille de dicter des lois. Avec d'autres que les descendants de la race de Sagonte et de Numance, il eût été dans le vrai. Aussi fut-ce généro- sité plus qu'outrecuidance de sa part d'envoyer aux assiégés un par- lementaire avec ces deux lignes: « Quartier général de Sainte-En- gracie : Capitulation, «et fut-ce avec surprise que tous ses officiers lurent la réponse espagnole : « Quartier gé- néral de Saragosse: «Guerre au cou- teau. » Les efforts énergiques d'un cùté, désespérés de l'autre, conti- nuèrent donc avec plus d'intensité que jamais. Nul doute qu'enfin Verdier n'eût vu les siens, à la lon- gue, couronnés par le succès, si des événements de force majeure n'eussent fait tourner la chance. Mais la vérité nous force ii dire que, quelque sages et savantes que fussent les dispositions du gé-

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néral français, du 5 au i'3 août, les Espagnols, non-sealemcnl ne perdirent plus un pouce de ter- rain, mais pouce à pouce rega- gnèrent, chose incroyable! sur rintrépidité française, partie de ce qu'ils avaient perdu. Dix jours durant l'on se battit de maison en m.'iison, de rue en rue, de place en place ; et finalement la ban- nière française, après avoir plané au centre de la cité, ne flottait plus que sur les faubourgs. A lui seul, certes, ce raourement rétro- grade, dû surtout à trois mille hommes de renfort qu'on n'avait pu empêcher de rejoindre les com- pagnons de PaUfox et qui refluaient du sud le drapeau de l'indé- pendance était levé, ne pouvait rien pour l'avenir. Mais ce que faisait pressentir la disponibilité de ces trois mille hommes vint presque sur le champ à se réaliser. Madiid aussi s'était prononcé contre les Français, Murât opérait sa retraite, la junte de Valence envoyait six mille hommes au secours des Ara- gonais, ordre vint à Verdier de lever immédiatement le siège pour prendre la roule de Pampelune, base des opérations ultérieures. Le 1 i au matin donc, après que toute la nuit un feu terrible de la part des assiégeants avait remis en question tous les avantages récents des assiégés, ceux-ci virent, en se levant, les abords de leurs fau- bourgs inoccupés et l'ariière-garde même des Français loin, bien loin déjà, sur la route qui conduisait en Navarre. Tel fut ce premier siège de Saragosse, si fécond en péripéties inattendues et en épi- sodes émouvants, parmi lesquels on cite l'héroisme d'Augustiue ei le bataillon de la comtesse Burita. Si Verdier, en deux mois

à peu près qu'il passa sous et dans les murs de celle cité, ne triompha pas de sa résistance, d'une part il appert des délails qu'on vient de lire, et nul ne songe à le nier, que l'insuccès ne doit être regardé que comme une interruption et que l'in- terruption trop absolument qualifiée de levée du siège ne fut pas de son fait; de l'autre, il est connu que le second siège avant d'aboutir coûta bien plus de temps, de dépenses et de sang, usa au physique et au moral plus d'un des illustres de l'Empire, et en aboutissant ne mit au pouvoir du vainqueur que des décombres et non une ville. Pie- prenonsle fil des événements. Dès que les renforts considérables, dont Napoléon avait soudain senli la nécessité, eurent réorganisé l'ar- mée portée au double et bien- tôt au triple, au quadruple, Ver- dier marcha des premiers avec les troupes redevenues agressives, il arriva devant Madrid, non en qualité de général en chef, et après avoir été témoin, aux por- tes de cette grande capitale, d'une faible résistance , y fit son en- trée avec sa division et le reste du corps (1809). Comme ce n'était pas la que se portaient les grands coups, il fut bienlùt jugé utile ail- leurs, et fut redirigé sur l'Èbre, mais l'Èbre inférieur, puis plus loin que l'Èbre, daui la haute Catalogne , infectée de guéril- las, puis finalement chargé du siège de Girone, le tout avec ce sans-façon, ce ton insouciant et superficiel des petits génies qui croient prouver ainsi leur supé- riorité de coup d'œil et qui se frayent la voie à riugratilude. C'est Augorcau qui lui expédiait ces ordres. Quelques jours après les premières opérations, il veut voir

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«où l'on en était» et si «l'affaire mar- chait.» Il ne manqua pas de dé- clarer que Girone n'était qu'une bicoque, incapable d'opposer une résistance sérieuse. A quoi pensait Verdier de demander tant de pro- jectiles, tant d'ingénieurs, et d'em- ployer à pareille misère « toutes les herbes de la Saint-Jean»? Ah! son ex-aide de camp s'était « bien rouillé » depuis qu'il ne l'avait plus à ses côtés! Il ne faut pas de- mander s'il rit de son rire le plus épais, quand il sut que les habi- tants de Girone avaient élu pour général saint Narcisse. Mais pour pour commander sous saint Nar- cisse, ils avaient leur gouverneur Alvarez ; et, pour exécuter les ordres d'en haut, ils avaient, indé- pendamment de l'exemple de Sara- gosse, leur foi robuste au bienheu- reux patron, leur courage, leur ar- deur pour le martyre, et la haine de l'étranger, et l'horreur plus grande encore de l'hérétique, du voltai- rien et de l'athée. Verdier était loin de se les représenter comme invincibles pour cela, mais il pré- voyait qu'il en aurait pour long- tempsavec ces royalistes et qu'il fau- drait jouer serré. L'intrépidité, l'o- piniûtretê gironaises, furent celles de Saragosse. Prêtres, femmes, enfants combattirent et déployèrent tous la même vaillance, partici- pant chez les uns du paroxisme et de la frénésie, calme et accom- pagnée de sang-froid chez les au- tres. Soixante mille boulets, vingt mille bombes, tombèrent sur la ville avant qu'il fût possible d'y pénétrer; les murailles ouverte» et franchies, il fallut prendre presque une à une les maisons. Enfin, au bout de sept mois, Verdier put re- mettre, et la place soumise et la Catalogne entière un peu moins

récalcitrante, à l'altier duc de Cas- tiglione, qui trouvait tout facile, mais dont la gloire personnelle dans tout le cours de la lutte d'Es- pagne n'éclipse celle de personne. Tout défavorable qu'était Napo- léon aux officiers supérieurs qui n'avaient pu lui conquérir l'Es- pagne en un tour de main et rendre llbérie malléable au premier con- tact, à la veille de la colossale ex- pédition de Russie, il appela Ver- dier pour le mettre de la grande armée, et il lui donna une des divisions du deuxième corps , que commandait le maréchal Ou- dinot. Nul peut-être de tout le corps ne se distingua plus que lui : il eut part à tous les combats, à Javabovo, à Kliaslisti, à la Driffa,à Svolna,à Polotsk, blessé griève- ment, il continuait de promener sa lunettes sur les positions de l'en- nemi et de donner ses ordres avec le même sang-froid que pour un dîner, sous une pluie de mitraille, et soutenu par le capitaine Lebrun- Rebort! C'était au moins la troi- sième fois qu'il acquittait ainsi le tribut auquel n'échappent que par miracle si peu de braves. Il est étonnant que nul de nos peintres n'ait saisi, pour le fixer sur la toile, ce beau moment de la vie mili- taire du général toulousain. C'est tandis qu'il remplissait ou plutôt outre-passait ainsi, impassible et simple comme les héros de Plu- tarque, ses devoirs d'officiers, que le j)rince Eugène passant au galop arrêta son cheval pour lui jeter ce mot se confondent la sympathie, l'affection et l'estime : « Eh quoi! cher général, c'est donc toujours votre tour! » Aussi, ce prince, h qui tous les partis ont rendu justice, tint-il à l'avoir dans sonarmre fran- co-italienne en 1813, quand l'irapi-

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loyable coalition redoublait ses armements. On connaissait la mai- son de Lorraine et les héritiers des Thugut : on n'était pas sans augurer que sous peu le beau-père allait trahir le gendre et tomber sur le royaume d'Italie. Le génie des généraux autrichiens ne brilla pas d'un vif éclat dans leur pre- mière campagne. Verdier, entre autres, leur livra sur les bords du Mincio un combat dont ils ne se rantèrent guère et dont les glorifi- cateurs de l'Autriche atténuèrent à qui mieux mieux Timportance. En effet, il n'y avait là, tout compte fait des deux armées, que vingt- trois mille hommes, mais les autri- chiens étaient au nombre de dix- huit niiile, donc trois et demi contre un; ils avaient franchi le Mincio, et, plein de jactance, ils allaient pré- cipiter les Italiens et les Français des hauteurs de Mozembano,»oùle général les avait solidement établis. Toute la journée ils revinrent à la charge, toute la journée ils redes- cendirent plus vite qu'ils n'a- vaient grimpé; puis le soir, au lieu de coucher, comme ils l'espéraient, dans le camp des adversaires, ce furent leurs adversaires qui prirent l'offensive, qui les poursuivirent, et ils furent heureux, repassant le Mincio, de voir celte barrière entre la furia frauccHC et eux. L'effet matériel et moral de cette victoire fut considérable; et le vice-roi, digne appréciateur de tout grand acte, non-seulement le nomma commandeur de lu Couronne de Fer, mais ne balança pas à de- mander pour lui le grand cordon de la Légion d'honn»urà l'Empereur. Napoléon le promit. Que ni l'un ni l'autre n'ait trop fait, c'est ce «pi'au besoin dénionlrcr.sient les propoiilions que conseillèrent de

faire au prince Eugène les fortes têtes du conseil aulique après la bataille du Mincio, et qui lui furent effectivement adressées. On faisait luire à ses yeux la couronne de Milan à condition qu'il aban- donnerait Napoléon. On sait le noble dédain avec lequel furent constamment rejetées les ouver- tures du machiavélisme autrichien; mais, pour qu'elles fussent faites, même avec l'intention de manquer de parole, il fallait qu'on se fût aperçuqu'entre les Alpes et l'Adria- tique, et même quand Napoléon n'était plus là, le génie napoléonien animait toujours les cœurs de ses soldats. La bataille de Mincio était l'épisode auquel ils devaient cette conviction. La récompense toute- fois n'exista que sur le papi^îr. Mal- gré les merveillfs de la résistance, la faialité marchait, le glas de l'Empire sonnait. Absorbé par tant d'autres soins, Napoléon ne donna pas officiellement le décret de no- mination : il est tout simple que la Restauration ne s'en sftit pas fait un devoir. Il est trop clair d'ailleurs que ni Verdier ni qui que ce soit pour lui ne fit de réclamation. Louis XVllI donc pour le moment se contenta de conhrmer les déco- rations françaises réelles du géné- ral et de le déclarer (8 juillet I8U), comme presque tous les ofliciers- généraux français , chevalier de Saint-Louis. H lit plus l'année sid- vanie (l'j janvier}, et il le nomma, sinon au grand cordon, du moins grand-croix de la Légion d'hon- neur. En revanche il l'avait mis en non-aclivitc, bien qu'il eût à peine 47 ans. Survinrent les cent jours. Verdier n'avait pas eu de sernuMit à prêter au drapeau des lis; Verdier ne crut pas pouvoir refuser sa coo- pération -À son ancien général, li

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celui que la nation acclamait, à celui par qui la France avait été si grande, à celui que détestait l'étran- ger, non pour son usurpation pré- tendue, mais parce qu'il avait fait la France grande. Il se laissa nom- mer membre de la Chambre des pairs, et il sollicita du service dans l'armée avec laquelle l'Empereur allait reprendre la grande lutte contre la coalition plus implacable que jamais. Mais l'Empereur savait qu'il lui serait plus utile à Tinté- rieur, et surtout dans le Midi, les éléments hostiles et même traî- tres à la patrie n'étaient pas rares. En conséquence, il lui confia le commandement de la seconde divi- sion, chef-lieu Marseille. Il s'y con- duisit bien et jusqu'au 20 juin, par un habile mélange de modération et de vigilance, il vint à bout, adresse rare! de maintenir le calme dans une ville populeuse , turbulente et passionnée, sans avoir recours aux mesures de rigueur. Egale fut sa sagesse quand arrivèrent les pre- mières rumeurs de Waterloo; mais différentes furentles mesures, quand enhardis par les sinistres nouvelles, les fauteurs de l'étranger arborè- rent la cocarde blanche et que du manteau de la cheminée les cris « A bas Napoléon! » descendi- rent dans la rue. Il tint d'abord tête à l'orage et commanda quelques arresti.tions; mais l'agitation deve- nant de l'exaspération, des éner- gumcnes étant tout prêts à s'atta- quer aux fusils chargés, observa- teur habitué î» ne pas circonscrire sa vue au seul point de l'horizon qui fût à ses pieds, il comprit qu'il avait quelque chose de mieux à faire que d'user de roideur, que d'es- sayer une compression impossible, que de retarder de quelques heures uu déQûùmeiit k peu prcb infaillible

en faisant mitrailler des Français par des Français. D'une part il fit sortir nuitamment de Marseille pres- que tout ce qu'il avait de troupes, ne laissant que ce qu'il fallait pour maintenir la police ; de l'autre, il alla s'établir en force à Toulon, à rébahissement et au désappointe- ment de l'escadre anglaise qui stationnait devant le port de cette ville pour en prendre possession, « pour Louis XVIII! » comme au temps de M. de Robespierre. Pour peu que quelque collision éclatât dans la province, et même sans qu'il y eût de collision du tout, le marquis de Rivoire se pré- parait à leur remettre le port et l'arsenal « provisoirement. » Grâce à cette conduite du général Verdier, à vau-l'eau toute collision de Buonapartiste et de Verdets, à vau-l'eau toute chance de surpren- dre forts, chantiers ou arsenal. Nos amis n'ont i)lus occasion de sauver la caisse, la flotte ou l'artillerie, en- traînant l'une à la remorque, etchar- geantles autres sur quelques navires marchands. Toute leur campagne se réduit à parader en rade, à dis- tance: puis, dûment remerciés de leur dévouement, ils remeitent le cap au sud. Malheureusement, tan- dis que les suites du grand sinistre étaient atténuées de ce côté, un épouvantable désastre se produisait sur le point que venait de quitter Verdier. Le peu de troupes qu'il lais- sait avait été impuissant devant la croissante animosité de la réaction, l'assassinat ayant éié mis subite- ment comme à l'ordre du jour. Six centsvictimesavaientsuccombésous les coups des Trestaillonsde l'efl'er- vescenle cité, parmi lesquelles d'an- ciens et braves militaires habitués aux luttes du champ de bataille et qui ue &'altendaicnl pub u trouver des

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Croates et des Szeklers dans leurs concitoyens. Plus d'un historien a fait des reproches à Verdier de ce résultat, et l'on a même osé impri- mer que sa retraite nocturne s'ef- fectua dans le plus grand désordre. De telles expressions, même en les dépouillant de l'évidente exagéra- lion qu'on a prise pour vigueur de style, ne prouvent que l'ignorancô de ce que c'est que l'émeute, et l'émeute dans une ville de cent m.ille âmes fourmille la popula- tion qui ne croit qu'à la force du poignet; dans une ville bouillon- nent en même temps et passions politiques, et inimitiés privées. On nous dira que Verdier, méridional lui-même, aurait prévoir les elietsde la fermentation des masses que justement il avait pour mission de contenir; c'est-à-dire qu'il lui fallait à la fois conserver Toulon et contenir Marseille, ce qui lui était impossible. Verdier était Tou- lousain : tout diflicile à contenir que soit Toulouse, laCannebièreest bien autre chose encore. Tout ce que l'on a droit de dire, c'est que Ver- dier ne lit pas tout îi fait l'impos- sible. Mais qui l'eût fait? qui, parmi les sommités soit des hommes d'État, soit des hommes de guerre les plus vaillants de l'époque, aurait été à la fois assez énergique et assez habile pour suflire à cette double tûche? Quoi qu'il en soit, les vrais Fran- çais, s'ils regrettent qu'il n'ait |)as fait davantage, ne peuvent que lui savoir gré de ce qu'il lit, mince titre d'ailleurs aux yeux du sou- verain rétabli qui, par son ordon- nance du l"août 1817, In mit î'i la retraite. Il ne fût pas mêFne,en 1823, question de lui, bien (|ue son expé- rience eût pu rendre des servicps en celte occasion. Il n'est pas sûr; c'est vrai, qu'il eût accepte de dc-

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venir ainsi le soldat de la Sainte- Alliance; ou plutôt, il est sûr qu'il n'eût pas accepté; toujours est-il, et nous le devons remarquer, qu'il n'eût pas la peine de refuser. Un des premiers actes du gouverne- ment issu de Juillet fut de le réta- blir sur les cadres, mais seulement (et rien de plus simple, vu son âge) sur le cadre de réserve. Le système, du reste, n'était pas assez belli- queux pour que le vétéran de Liers, de Polotsk et du Mincio se flattât de repasser de la réserve U l'activité. Il vécut assez longtemps pour espérer que la doctrine des faits accomplis et la longanimité quand même en présence des inso- lences de l'étranger auraient enfin un terme ; il vit de loin la tentative de Strasbourg en 183G, il vil de prés en 1838 le procès Laity à la cour des pairs, et il put se dire que tout n'était pas dit encore îi l'égard de la dynastie qu'on s'était flfittée d'étouffer en 4815. S'il rendit le dernier soupir avant sa prévision accomplie, il le rendit certairi que l'accomplissement n'en était pas loin.

M'"^ Verdier, femme de ce géné- ral, ne mérite pas moins que son époux de survivre dans l'histoire. Bien des hommes ont su verser leur sang sur le champ de bataille, et à la bravoure et au dévouement pour la patrie unir le coup d'œil, la ra- pidité de pensée, les combinaisons stratégiques; mais peu de femmes ont, au même point que M"" Verdier, belle, jeune, adulée, pouvant ne vi- vre que pour les plaisirs et les fêles, trouvé le bonheurdans l'abné- gation et le dévouement, non-seule- ment en suivant son époux au camp, au delà des mers, au lieu d'atlen- dre tranquillement de ses nouvelles, mais s'exposanl, par humanité, par

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patriotisme sublime, à des dan- gers parfois aussi grands que les siens. Telle fut M""" Verdier : tout le camp la vit en Syrie se multi- plier pour sauver les blessés. Ce n'est pas de la charpie qu'elle con- fectionnait, qu elle appliquait aux infortunés : elle allait les recueillir sur le champ de bataille, et même, quand on se battait encore, sous les balles et la mitraille; elle allait à cheval en chercher jusqu'au dé- sert, et en arracha plus d'un aux arabes prévenus de quelques se- condes par la célérité de fécuvère. Ce n'est pas qu'elle dédaignât celles qui n'avaient pas le même indomp- table courage, le même mépris des boulets : elle s'asseyait aussi comme elles au chevet des malades, elle leur donnait des soins, elle retrem- pait leur moral. L'effet que sa vue, que le rôle d'amazone bienfaisante exerçait sur le soldat est inimagi- nable. Nous doutons, que cette cé- lèbre impératrice, usurpatrice des Gaules, Aurélia Victoria, qui donna la pourpre k deux fils et qui la ra- vit à Loilien, ait jamais mérité mieux qu'elle ce litre qu'on lit au- tour de ses médailles, « Mater txEu- ciTULM. » Nous avons plus haut, en parlant de ce premier sicgo de Sa- ragosse, mémorable îi tant do titres, cité le nom de la comtesse iJurila et de son bataillon, tout composé de femmes, formé par elle et (jui, tandis ({ue les éj)0ux cl les frères se battaient , allait de rang en rang, conduit par elle, ramasser les blessés elles porter à l'ambulance. Mais qui sait si l'héroique comtesse n'avait pas ouï |)arler de l'héroïsme déployé en Syrie par la compaj^ne du général qui les assiégeait, et si ce n'est pas une généreuse émula- tion plus qu'une iniliativ(! véritable qui donna l'idée à la noble Arago-

naise d'une création Imitée depuis, au sein de crises semblables, par d'autres opprimées , par les polo- naises en 1831?... Ainsi partout il faut le rappeler, on retrouve la France! Valp.

VERDIER (Marcel), peintre dis- tingué, naquit en 1818. Elève d'In- gres, dont il est facile de reconnaî- tre chez lui les qualités solides, il sut pourtant ne pas s'inféoder à sa manière. Très-indépendant, non de cette indépendance qui jette la jeu- nesse dans tant d'écarts intellec- tuels et moraux, mais de celle qui naît de la défiance des traditions et des règles arbitraires et qui va cher- chant le vrai, le beau dans toutes les voies; il avait compris de bonne heure qu'épris d'un maitre, fût-ce Raphaël, fût-ce l'immortel Vecelli, on tombe en servage; on passe, d'ar- tiste, fabricant d'imitations ternes et incolores, on tourne autour d'un moulin comme le cheval aveugle..., car même on devient aveugle, on s'étrécit chaque jour un peu l'esprit, on arrive à l'inintelligence. II réso- lut donc, au lieu de jeter en passant un coup d'ceil superficiel aux pro- ductions des écoles qui se sont suc- cessivement fait place au soleil, de s'imprégner successivement des pro- cédés et des traditions du plus grand nombre possibh; d'entre elles, pres- que avec autant d'amour que s'il comptait se vouer à l'une d'elles, sans toutefois s'y vouer jamais exclusivement. Point d'exclusiviié donc, telle fut sa devise. Ce point de vue si riche, si neuf et si juste amenait, comme corollaire, des étu- des éclectiquesnéccssairem(int très- vastes : Verdier les entama hardi- ment, les poursuivit vaillamment, nous n'oserions dire jusqu'il ce qu'il eut épuisé tous les horizons qui s'uu- vraient k lui, mais assez pour que

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rien de capital n'échappût à ses ex- plorations toujours pratiquées le pinceau à la main. Il devint ainsi peut-être l'artiste qui, de tous ses contemporains, a le mieux j)Ossédé l'histoire de l'art, du moins quant à la peinture; et, incontestablement, 11 s'acquit une manière qui lui est propre. On reconnaît dans presque toutce qu'il a fait,mèmeensejouant, de l'énergie sans exagération, de la grâce sans mollesse : il entend à merveille le coloris, et, à la préci- sion du dessin, à la justesse des con- tours, il joint la magie des teintes qui séduisent et parlent soit au cœur, soit à l'imagination rêveuse. Idéaliste en même temps qu'exact reproducteur des réalités, il excel- lait dans le portrait : c'est qu'etfec- tivement il transfigure et néanmoins il laisse toujours reconnaissables ses personnages; de plus, il les fait vi- vre et respirer : on croit voir leurs impressions du moment, leurs aspi- rations de toujours se répercuter sur leurs physionomies; la toile est une révélation, le visage est une épo- pée où le spectateur lit avec le pré- sent le passé, presque l'avenir de l'homme d'Etat, du magistrat, du guerrier, de la jeune fille ou jeune femme qu'il représente. L'on ad- mire sa Madeleine repentante; évi- demment, ce n'étaient pas encore les derniers mots du peintre : tou- jours cherchant le mieux, son ta- lent gagnait tous les jours. iMais il n'en était pas ainsi de sa santé : l'ex- cès du travail, ou, pour nous expri- mer plus exactement, le trop penser le minait. Il succomba le 20 août 1850, laissant (les regrets universels, d'autant plus vifs qu'il n'avait pas encore donné sa mesure. I). M.

VEUDUIN ( PiEnuE-AoniEx ) , d'Amsterdam, exerçait la chirurgie ivec honneur àlanndudi.x-septième

siècle et au dix-huitième. C'est à lui qu'on attribue l'invention de l'am- putation à lambeaux, perfectionnée sans doute après lui par Rémond de Vermales, mais dont l'idée n'en constitue pas moins un pas im- mense. C'est lui qui, recourant sou- vent à ce mode de traiter les bles- sés, le popularisa non-seulement en son pays mais fort au delà. L'opé- ration qu'il effectua, selon sa mé- thode, sur le réfugié français Ver- gnol, qui, lui-môme, avait exercé la chirurgie, n'y contribua pas peu. Vergnol même se rendit le traduc- teur de l'ouvrage dans lequel le re- nommé praticien décrivait sa mé- thode, et dont voici le titre : Dis- sert, ejiistolaris de nova artnum de- cuntandorum ratione^ Amst., 1696, in-8'. Il n'en est du reste pas; et même, on peut le dire, on préfère celle de son rival (Massuet), Paris, 1756, in-8' : Il est entendu que l'une et l'autre sont en français.

D. V. VERGAINI (Ange), grammairien italien, était, suivant les uns, du Pié- mont même ou des environs de Gênes , selon les autres , d'Avi- gnon , l'italien avait non moins cours qu;^ le français, et qu'habitaient quantité de familles italiennes. Celle de Vergani, la fi- nale l'indique assez, était de ces dernières. Il était assez fréquent alors que des jeunes gens mal dotés <le la fortune, mais ayant reçu le bienfait d'une éducation scolaire dont le point de départ était l'élude des deux langues, allassent utiliser, hors de leur cité natale, en France surtout, ce qu'ils savaient et pou- vaient apprendre à d'autres mieux que personne. Telle fut la voie (jue suivit Vergani. Nous ne le suivrons pas dans ses diverses pérégrinations Lyon, en Lorraine et ailleurs),

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pas plus que dans ses situations dis- tinctes, tantôt à la veille de com- mencer ou commençant une éduca- tion particulière, tantôt retenant aux leçons en ville. S'exprimant parfaitement en notre langue, lu- cide, bref, s'entendant ù merveille à simplifier les difficultés en saisis- sant toujours le point le néces- saire n'est plus qu'utile, l'utile ne l'est plus que pour le maître ou pour le savant, mais ne l'est plus pour l'étudiant, il formait rapide- ment des élèves, et à son école l'ap- prentissage de la langue était de bonne heure attrayant, au lieu de n'offrir que ronces et épines. La renommée de cet enseignement simplificatif, s'il nous est permis d'user du terme le plus apte à pein- dre la chose, le fit admettre à don- ner des leçons d'italien à qui vou- lait les prendre au collège de la Marche. La Révolution, en dislo- quant l'Université de Paris ainsi que tant d'autres institutions du passé, les plus essentielles comme les plus abusives, dérangea l'exis- tence si paisible de Vergani : l'on n'avait plus guère le temps en France de roucouler le Piccini. L'on nous assure que, sans préten- dre émigrer le moins du monde, l'ex-professeur du collège de la Mar- che passa le détroit et qu'il ne repa- rut en France que lorsque la réor- <^ganisation du pouvoir, au 18 tlt^rumaire , et les suites de la vic- taiiire de Marengo eurent fait renai- se le culte de Cimarosa et de Paë- rang,'o. Le collège de la Marche exista bless(;iemps encore après la chute du Mais le; seulement il changea de nom n'ava appela Collrgedes ColonicH. On dépl(peupla de négrillons que l'on fit du gJr d'Amérique, pour prouver que ce n'tifférence de couleur n'avait au- tion p, influence sur les capacités in- qui d

iellectuelles. L'ex-professeur d'ita- lien fut gardé comme professeur d'anglais. Mais ce que nous croyons tout à fait indubitable, c'est que c'est à la nécessité de parer au déficit des leçons qu'est due l'idée qui vint alors à Vergani de publier des ouvrages d'enseignement. Il com- mença modestement en 4804 par un remaniement de la vieille et in- finiment trop vantée grammaire de Veneroni. Bientôt, comprenant que l'indigeste et pesante gram- maire (car elle pèse brochée très- près du demi-kilo,) n'était pas de vente facile et courante, ou s'aper- cevant de plus en plus, a mesure qu'il essayait de la retoucher, de tout ce qu'elle présentait d'exubé- rant et d'insuffisant, de superficiel et d'erroné, il donna d'autres Elé- ments en son propre et privé nom. Puis, ce nom ayant conquis dans sa sphère une certaine renommée, vint l'ère des compilations, un peu plus lucratives pour lui et fort lucratives pour les libraires. Il lui fut môme demandé (car il possédait l'anglais et il avait enseigné sinon l'anglais ii des compatriotes, du moins l'ita- lien a des anglais, sans l'intermé- diaire du français,) d'élaborer ou plutôt de décorer de son nom des Eléments de grammaire anglaise analogues à ceux de sa grammaire italienne. La rémunération, toléra- blement grossissante, bien que par- cimonieuse toujours, de ces divers travaux, argenta quelque peu les dernières années de Vergani, qui mourut vers 1813 à Paris. Voici la liste des publications qu'on lui doit, et dont il serait inutile ou fastidieux de détailler au grand complet toutes les réimpressions ou contrefaçons, les unes pures et simples, les autres avec modifications : il faudra bien pourtant en citer quelques-unes,

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car beaucoup de tard-venus ont brouté le Vergani, ont vécu des miettes de sa grammaire, se sont taillé des rentes dans son bagage. 1. Grammaire de Vcneroni, simplifiée et rédnHc à viiujl leçons avec dea thè- mes, des dialogues et un petit recueil de traits historiques en italien, à l'u- sage des commençants, Paris, an VIJI, in-12, 2'- édit., an IX, etc., etc. Bientôt il ne fut plus nécessaire, pour la vente, de garder inscrit en tête le nom du pseudo-florentin de Verdun, et ildisparut du frontispice : c'était justice. A Vergani reviennent de droit toutes ces menues, mais appétissantes améliorations qui ca- ractérisent son livre, et qui décè- lent un esprit de trempe contraire il celui du charlatan lorrain : la réduction à vingt leçons, c'est-à- dire à vingt heures consciencieu- sement et vaillamment consacrées à l'étude des éléments, la suppression de tout l'inutile et de tout l'ajour- nable, la méthode, la lucidité, la justesse parfaite, à bien peu d'ex- ceptions près, de toutes les formu- les, le choix des exemples caracté- risent le mérite de cet ouvrage. Vergani peut être nommé le Lho- mond de la grammaire italienne; mais ici c'est à Lhomond que l'as- similation fait honneur. Si Lho- mond est simple, pratique et court ainsi que Vergani, il n'est pas com- me lui méiaphysiquement irrépro- chable et liop souvent il n'a de la clarté (jue l'apparence (qui veut creuser ne rencontre qu'inexactitu- des et ténèbres) tandis (jue Verjjiini, diaphane comme l'eau de roche, peut être fouillé m/ii-ff/ in cute. Pt r- reili donnait vers le même temps une grammaire à coup sur i»lus minutieuse , plus philologique ; Riagioli, un peu plus laril, ( n cla- borait une plus opulentu, et que

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certes l'appendice prosodique met hors de pair. Mais il s'agissait de savoir grâce auquel des trois gram- mairiens un élève au bout d'un temps donné saurait le plus d'italien et s'acquitterait le moins mal soit d'un thème, soitd'uneversion;il nous semble que l'avantage ne resterait ni à l'un ni à l'autre des deux ri- vaux de Vergani. Ce qui le prouve, c'est qu'il ne s'annonce, nous l'imaginons , ni seconde édition de Perretti, ni troisième de Bia- gioli, malgré leur mérite incon- testable à nos yeux; c'est sur- tout que personne parmi les li- braires n'a fait main basse sur eux pour se parer des plumes du paon, tandis que partout vous ren- contrez des Vergani augmentés ou corrigés avec des noms d'arran- geurs, et quatre au moins à ce mé- tier ont gagné un renom et quel- que chose de plus que le renom. 11. Grammaire anglaise simplifiée et réduite à vingt et une leçons, nom- breuses éditions dont seulement les premières par Vergani lui-mê- me, les 4% D" et beaucoup d'autres par Ilamonière, 1814, 1820, 25, 2U, 3:3, 36 et les dernières, depuis 1843, par Salder qu'on pourrait qualilier de Briccolani du Vergani aiiglais. V. (Trois petites chreslo- malhie.^ italiennes, savoir:) {"Uac- conti istorici messi in lingua ita- liana, etc., bien moins pâteux que les nouvellesde Franc. Soave, etc., très-fréquemment réimprimées, réé- ditées, rëamplitices ('*'" éd., par Pe- ranesi, en 18 il ; auire encore par Zirardini en 18i9, (le tout in-12); 2 Innova scrlta di favole, norclle tcticree poésie ilaliAne,con unlral- lalo delta poesia ilal., (poésie, eu celle occasion, ne signifie guèr»^ qu'art de ver>.ilier) ; \rrgani com- pense ici la langue que quelques 19

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juges seraient tentés de reprocher à son premier livre en le mettant en parallèle avec la grammaire de Biagioli; 3" Bellezze délia poesiaita- liana, truite dai pin cclehrc et pos- thume; avec un traité de la poésie italienne et de courtes notes à l'u- sage des étrangers, par Pianesi, 1818, in \±. VI. (Une chrestoma- thift anglaise, une seule : ) l'Euglisli iruflitutor, or iisiifiil and inlcrsaining passage in prose selectcd from the mosl eminent english ivriters and de- signed for ihe use and improvemenl of those wlio lean thaï language, Paris, an IX (1801), in-J2, et 2^ ou éd. 1812.

VERGAM (Paul) , écrivain et penseur italien , dut naître vers \ 7b3 dans le Piémont. Sa famille tenait de loin, et dans un rang un peu in- férieur, à l'organisation judiciaire du pays. Il fut voué de bonne heure à l'état ecclésiastique ; mis au sémi- naire, il étudia plus attentivement qu'on ne le fait d'ordinaire et, pour nous exprimer à la façon des ita- liens, avec amour, l'histoire d'abord, le droit canon ensuite, mais non rhistoiredel'Kglisetoutsimplemcnt, car il y joignit l'histoire profane, et non le droit canon tout seul, car avec la science, essentielle aux yeux de ses chefs spirituels, il fil marcher parallèlement la science de luxe, le droit civil. Il eût donc pu, nous ai- mons à le croire, être déclaré doc- teur7jn//ro7y(?; mais, soit que ce dou- ble examen coûtât double prix, soit humilité chrétienne, soit tout autre raolif, il se contenta d'un seul titre, celui de docteur en théolo^'ie. Déjà il avait reçu les saints ordres, ses travaux lui faisant souhaiter d'habi- ter une grande capitale, et son sa- voir ayant été connu du sacré col- lège, il reçut du Saint-Père la dignité de chanoine de Saint-Jean-de-La-

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Iran. C'est dans cette position mo- deste, mais sûre, qu'il composa les trois premiers des ouvrages dont l'on va trouver la note un peu plus bas, et qui lui donnent un rang dans celte école de moralistes el légistes philosophes grâce auxquels l'Italie, au dix-huitième siècle, n'a guère moins contribué que la France à la réforme de la jurisprudence. Les deux premiers furent très-goûtés, et tous eurent, comme on le verra, les honneurs de la traduction fran- raise. Il s'ensevelit ensuite, bien qu'approfondissant toujours, dans un long silence de trente ans; tan- dis que les idées de la scienza nuova germaient, prenaient racine et for- maient en s'épanouissanl cette ma- gnifique forêt de haute fulaic à l'om- bre de laquelle finira par être, heu- reuse de s'asseoir, l'Europe enfin éclairée. Les événements de 1811 et 1812, en déterminant, à la suite de l'enlèvement de Pie VII, la dis- peision des chanoines de Sainl- Jean-de-Lalran , amenèrent à Paris l'abbé ou, comme le porte souvent le titre de ses livres, le docteur Paul Vergani; il reprit la plume, aidé parfois par son ami, notre collabo- rateur, Tabaraud , et il s'éteignit vers 1820, sans avoir revu l'Italie. Voici la liste chronologique de ses écrits : I et IL Traité de la peine de ?»or/, 2" édit., Milan, 1780, (traduit par l'avocat Cousin, avec un Dis- cours svr la justice criminelle, Paris, 1782, in-12.) III. De rénormifé du duel, ( également traduit par Cou- sin, qu'on reconnaît sous son ini- tiale C... et à son titre dn Membre des Arcades de Rome. ) IV. La lé- gislation de Napoléon le Grand con- sidérée dans ses rapports avec l'Agri- culture, Paris, 1812. in-8". V, Essai historigue sur la dernière persé- cution de l'Église, revu par Tabaraud,

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Paris, 1814, in-S". VI. Discussion historique sur un point de la vie de Henri IV, Paris, 1818, in-8 .

VERGER (Jexn-Lolis), assassin de l'archevêque de Paris, a droit à un article dans la Biographie universelle, puisqu'elle donne Yhis- toire des hommes qui se sont fait remarquer non seulement par leurs écrits . leurs vertus , mais aussi par leurs crimes. Fils de Jean Ver- ger, tailleur, et de Marguerite Fre- rain , il naquit h Neuilly-sur-Seine, banlieue de Paris, le 22 août 1826. Après avoir fréquenté l'école mu- tuelle de sa commune, et travaillé quelque temps du métier de son père, qui voulait en faire un garçon boucher, il eut le bonheur d'être recommandé par un jeune abbé à la supérieure des filles de la Cha- rité, sœur Mclanie, dans le monde marquise de Hochefort, femme ar- dente, qui aimait à agir. Eprise de ridée de faire un prêtre, elle se sentit disposée à exercer sa charité pour cet enfant qui lui paraissait digne d'intérêt. Comme elle était chargée de distribuer dans la pa- roisse les aumônes de la princesse Amélie, épouse du duc d'Orléans, alors chef du gouvernement, elle fit les frais des éludes de Verger, qui fut placé au petit sérninuir(; de Paris, d'abord à la succursale, puis dans la ville même. Les premiers débuts du jeune écolier furent très-sntisf;iisanls, sinon du côté des études, du moins du côté de la conduite, qui n'offrait aucune prise à la réprimande et était même édi liante. Ou remarquait néanmoins déjà une j)ropcnsion à ce caractère sournois qui se montra si sensible plus tard, et qui était vraisemblablement le fruit d'un amour - propre déjà froissé au milieu de tant d'élèTcs d'un

autre âge, et d'une position so- ciale plus élevée. A Saint -Ni- colas - du - Chardonnet , était alors le séminaire , aujourd'hui transféré dans la rue Noire-Dame- des-Champs, il continua de mon- trer un caractère singulier, et les idées se modifièrent, s'éclaircirent bientôt sur son compte. Le supé- rieur du séminaire était M. Dupan- loup, devenu depuis évèque d'Or- léans, qui, bientôt, crut s'aperce- voir que le nouveau venu ne méri- tait pas toute confiance. On lui représenta en vain que son opi- nion était peut-être précipitée, il resta persuadé et il disait que ce jeune homme ne ferait point hon- neur à l'état ecclésiastique. Une circonstance amena un dénoue- ment qui, s'il ne fut pas la suite d'une indélicatesse, fut du moins l'effet de l'étourderie et de la pré- somption. Il en sera question dans lesdébatsdu procès de Verger, dont M. Dupanloup crut devoir se débar- rasser dans cette circonstance. Ver- ger, congédié au mois de septembre 1814, trouva un prolecteur dans le vicaire de Neuilly, qui le recom- manda à M. Vervost, chef d'insti- tution à Paris. Ce respectable ec- clésiastique reçut Verger, t't dès lors, comme depuis que son établis- sement fut transféré à Auleuil, il n'a jamais cessé de lui être attaché, sans txcuser, bien entendu, tous les écarts dans lesquels il a donné. Le 22 juin 1840, en le faisant ad- mettre au grand séminaire de Meaux, il le recommandait comme un excellent jeune homme, dont il voulait faire un collaborateur dau^ sa maison. Celte maison fut son asile pendant ses vacances. Dans le cours de ses dernièrei étuilfs, Verper offrit bien quelques sujets à la répréhension, mais ces sujets

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élaienl sans gravité majeure, et, quoiqu'il eût commencé à étudier étant déjà dans radolescence, il fut ordonné prêtre avec dispense d'âge, ie25 mai 1850. Sa première messe fut, àNeuilly, une sorte d'ovation, mais son orgueil fut blessé de voir que le curé ne l'eût point invité k prêcher. G'étailun jour non chômé; mais la manie de Verger a tou- jours été la prédication, pour la- quelle il n'était point fait. On pour- rait se demander comment, ni alors ni depuis, il n'alla point professer à la pension d'Auteuil, Les supé- rieurs ecclésiastiques du diocèse de Meaux,le nommèrent aussitôt curé de la succursale de Guercheville, mais il n'avait rien pour s'établir dans son presbytère, et M. l'abbé Sibon, qu'il paya bientôt de tant d'ingratitude, confident des cha- grins que lui causait sa détresse, lui procura, deshabitants deNeuil- ly, de l'argent et du linge. Bientôt Verger manqua de prudence en toutes choses, et donna déjà des j)rcuvesd'uncaractère qui annonçait de la folie; il lit porter ses meubles k Nemours, les vendit le dimanche, à l'encan, et quitta sa paroisse sans adieux. L'évêquc de Meauxle i)laça en qualité de vicaire à Jouarre, il porta son air sournois, et resla peu de temps, car il fut bientôt nommé curé à la succursale de B;»illy-Carrois, près de Molun. Là, ses extravagances continuèrent ; il perdit un procès, et voulant échap- per aux frais de sa condamnation., il traversa sa paroisse, déguisé et vêtu d'une blouse, suivant le char- retier qui emmenait ses meubles, passa la nuit dans une écurie, et vint à Paris. 11 est utile de racon- ter tous ces inj.idcnls pour peindre l'homme «|ui sj' livra depuis à un ii grand crime. Que va-t-il devenir?

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Après avoir passé quelques jours chez l'abbé Deleau, curé de Ncuil- ly, qui n'eut point à se louer de ses procédés, il partit pour l'An- gleterre, disposé à tout, dit-on, à rester catholique, k se faire pro- testant et même domestique. Il ob- tint un celebret^ mais le cardinal Wisemann ne pouvait employer un prêtre qui avouait ne pas savoir la langue anglaise ; Verger revint donc à Paris, la sœur Mélanie, qui lui portait toujours de l'inté- rêt, le fit recevoir dans le clergé do Saint- Germain -l'Auxerrois, dont elle avait connu le curé, M. Le- grand , lorsqu'il était vicaire k Neuilly. Ce curé, qui avait, pour cette mesure, pris les conseils et l'autorisation de l'archevêché, fit un accueil charitable à Verger, fit môme des avances pour payer ses dettes, et pria l'un de ses prê- tres de recevoir le nouveau venu au nombre de ses commensaux. Ce prêtre était précisément M. l'ab- bé Sibon, à qui Verger devait déjà beaucoup, et qu'il paya d'une noire ingratitude.ïout alla bien d'abord, et Verger fut même employé à des fonctions subalternes au service de la chapelle des Tuileries, confié alors au clergé de Sainl-Germain- l'Auxerrois. Mais au bout de quel- ques années, dominé par son or- gueil et ses idées extravagantes, il revint à ses anciennes impruden- ces, et je dois en signaler une que le lecteur sera curieux de connaî- tre. La fille d'un épicier de village, qui se confessait à Verger, lui fit croire qu'elle était comtesse d'Ar- gentville; et dés lors, pour l'aider k rentrer dans ses biens, dont il devait lui-môme recueillir une part, il di'essa un mémoire, et alla tiou- verM. Roulland, alors procureur général, aujourd'hui (1802) mi-

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nistre, pour l'engager ù prendre les intt'rôts de la prétendue héri- tière. M. Rouland lui dit avec gra- vité qu'il n'aimait pas à voir les prêtres se jeter légèrement dans les procès; puis, sans écouter da- vantage Verger, il sonna son do- mestique et lui dit : « Demain, la guillotine pour les huit heures du matin. » Cette parole, que Verger aurait pu regarder comme prophé- tique, fit sur lui une si grande im- pression, qu'il ne put la taire à son hôte, rabl)é Sibon. Le curé de Saint-Germain, mécontentde lui de plus en plus , commença par lui retirer le ministère de la confes- sioii, selon qu'il était convenu avec l'autorité diocésaini^ Verger, de son côté, irrité et vindicatif, prit des résolutions extrêmes, déchira cruellement les mœurs du curé |)ar les plus odieuses calomnies, quitta le presbytère, alla demeurer avec son frère pour exploiter avec lui un certain procédé j)0ur l'étamage des glaces, reprit l'habit laie et laissa pousser sa barbe. Au bout de quelque temps, il fit des mena- ces de veugeaiice à l'abbé Sibon, qui n'en fit de cas autrement (lu'en lui envoyant seci clément une aumône. Il vit bientôt que son commerce de glaces était une illusion. Il chercha à intimider le curé de Saint-Ger- main, qu'il avait dénoncé au par- quet, îi l'archevêché, au public, et menaçait de f;iire de l'éclat, si on ne lui rouvrait son église, avec un traitement qu'il fixait lui-même h 2,300 francs. S'enhardissant dans ses idées diaboliques, il avait com- posé, sur les mœurs du clergé, un libelle qu'il alla faire imprimer en Belgique (1,\ je ne sais par quels

moyens; mais, vraisemblablement, vers ce temps-là, je ne sais par quels moyens aussi, il trouva, en novembre 1853, un emploi dans une pension dejcunesgens,àMonti- viiliers, dans le département de la Seinc-Tuférieure, qu'il fut bientôt obligé de quitter, sa qualité de prêtre ayant été connue. De retour à Pa- ris, il alla reprendre le modeste lo- gement qu'il avait occupé rue de Savoie. C'était aussi dans le même temps qu'il projetait de se faire ministre calviniste et qu'il se pré- sentait pour cela au ministre Montandon. Mais un autre acte de folie tout à fait caractérisé , fut la scène ridicule que, dans lo même temps. Verger iïi dans l'église de la Madeleine. Le dimanche 8 fé- vrier 1850, il s'y présenta portant sur la poitrine une petite pancarte sur lafiuelie étaient écrits en latin ces mots imités de l'Evangile. « J'ai « froid et lis ne m'ont pas vêtu ; a j'ai faim et ils ne m'ont j)as donné fi à manger; puis en français: « Je « ne suis ni suspendu, ni interdit, « copcndaut on ine laisse mourir de « faiîîi. » La police s'émut avec raison de cette démonstration sin- gulière, lit arrêter l'individu, et le relaxa après qu'on eut constaté qu'il n'était pas fou, mais le laissa sous une surveillance spéciale, qui ne Huit que lors de sa réintégration ecclésiasti(|ue. Verger eut cet avantage le <2 mars 1850, ayant été nommé curé de Scrris, suc- cursale du canton de Crécy. Il n'y demeura pas longtemps sans montrer son caractère étrange et donner des preuves d'une sorte d'aliénation. Dès le mois de novem-

un iniprinu'ur qui voulût so c'lijrb''"r île (1) Il n'avait pu Irouvrr en France ce paiM[ililct scandaleux.

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bre, il fil un libelle contre la cour d'assises de Melun, à roccasion d'un épicier nommé Lamy, accusé et con- damné comme assassin de sa femme. Sans connaître l'individu, sans être guère plus au fait de sa cause, Verger s'établit son défenseur et adressa au préfet de Seine-et- Marne un écrit composé contre l'institution du jury et qu'il intitula Colin-Maillard. L'autorité ecclésias- tique fut avertie du scandale; Ver- ger en donna bientôt un autre plus coupable encore, puisqu'il attaquait Ja religion. Lorsqu'il était attaché à la paroisse de Saint-Germain l'Auxerrois, Verger professait une dévotion qu'on peut dire enthou- siaste, envers le mystère de l'Im- maculée Conception. Avant même qu'il fut proclamé , il avait prêché d'une manière et avec des expres- sions imprudentes ; puis il reçut fort mal les observations qu'on lui en fit. A quelque temps de là, et sans que la cause en soit bien con- nue, il changea loutk fait d'opinion ou du moins de langage. Le 30 no- vembre , il adressa au rédacteur d'un journal religieux intitulé le lioHier de Marie, une lettre injurieuse au culte de la Sainte Vierge, et dans l'église d(3 son village il prê- cha contre le dogme do l'Immaca- lée Conception, décrété par TKglise. Le 12 décembre 1857, l'évêque de Meaux interdit Veiger, et comme il prévoyait que celui-ci allait retour- ixT d;jns la capitale, il prévint l'Archevêque de Paris de la mesure qu'il avait prise, et de laquelle il donnait trois motifs: l'affaire scan- daleuse du libelle injurieux à la cour d'assisps de Mf'Iun; les pré- dications contre l'Immaculée Con- ception; et enfin la découverte d'un écrit intitulé : Testamenl, rem- pli de diatribes violentes contre

les dogmes de la religion, contre l'autorité et la discipline ecclésias- tique. Verger revint effectivement à Paris, et de écrivit à l'évêque de Me;àux, cherchant à l'amener à changer de détermination sur ce qui le regardait, usant de menaces et disant qu'il se marierait, etc. Une personne respectable le vil de la part de l'évêque, chercha à le cal- mer et lui fit entendre que les me- sures que l'on avait prises à son égard l'étaient saris retour. Verger demanda une audience à l'arche- vêque de Paris, qui nécessairement dut la refuser. Alors l'idée d'assas- siner ce prélat, déjà conçue l'année précédente, lui revint au cœur et se changea en résolution. Sous l'in- fiuence funeste de cette pensée, il acheta un couteau et se disposa à frapper l'archevêque quand il en trouverait l'occasion. Le same- di 3 janvier 1857, monseigneur Sibour, archevêque de Paris, était allé, dans l'après-midi, malgré le temps froid et pluvieux et une santé indisposée, célébrer la fête patronale de sainte Geneviève, à Saint- Ëiienne -du -Mont , le tombeau de la sainte attire depuis soixante ans un concours con- sidérable de pèlerins pendant toute la neuvaine qu'on y fait chaque année à pareille épofpuî. L'occa- sion parut favorable au dessein pervers de Verger. Il se munit de son couteau, qu'il tint d'avance ouvert, etserendilàSaint-Étienne, il entra dans la nef pendant le Maqnifirat. Son premier projet éia;i d'aller se placer près du banc- d'oiuvre, afin de frapper l'arche- vêque au momei'l il y entrerait pour entendre le sermon, mais craignant d'être reconnu des ecclé- siastiques, il s'éloigna et alla se placer dans la nef, il entendit

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le sermon de monseigneur Lacarriè- re, ancien évèque (le laBasse-ïerre (sermon sur la prière, qu'il trouva hérétique !).Lorsqu'eui lieu la pro- cession, qui devait précéder le sa- lut, et à laquelle ofliciait l'arche- vèque, le prélat rentrait dans la nef du milieu, pour retourner au chœur, quand Verger, placé à l'en- trée et aux premiers rangs des chaises, du coté gauche, se releva, tournant le dos à l'autel, saisit monseigneur Sibour par le bras et le frappa de son couteau, qu'il avait su tenir caché 1 ! ! Une femme aperçut néanmoins l'instrument fatal, au moment le coup était porté, et voulant l'arrêter, fut lé- gèrement blessée. 5f, l'abbé Su- rat, vicaire-général , qui assistait le prélat, et soutenait sa chape, frappa de la main l'assassin, qu'il croyait coupable seulement d'a- voir battu l'archevêque. En im- molant sa victime, Verger s'écria : Pas de déesaes, à bas les déesses! Il était revêtu d'un paletot, et ne se débarrassa pasde son fer meurtrier. « Je n'ai pas frappé une seconde fois, a-t-il dit depuis, car j'avais la certitude que mon premier coup avait porté. » Il a dit aussi à M. l'abbé Ilugon, aumônier du dé- pôt des condamnés, qu'il avait res- senti, après le coup, comme cette espèce de s;itisfaction qu'on éprou- ve après une œuvre qu'on devait accomplir. Néanmoins, en re( evant le soufflet que lui donna M. Surat, l'assassin chancela en répétant son inconcevablfi exclamation : Pas de déesses! A basiesdéi'sses ! On peut se faire une idée du tumulte qu'oc- casionna cette attaque subite, et du trouble elle jeta tous les esprits. On croit à un accident, à une in- sulte, mais personne ne soupçonne un tel crime! Pendant qu'on s'em-

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presse de rassurw 38-:prfelat,' on voit ses yeux s'étei ^ùrB é^sMuNet s'attacher sur le cri Me' -■• - 'Ht^ vrcs murmurent: «Onl^L;. u ; nterr^- Dieu ! le malheureux ai^^ i «Quel malheur! « car sa voix^.aRv3if».«Mf, peut laisser distinguer sisflte. Hea^ les derniers mots qu'il arf. (ifei^Vn-j l ces!! Tout à coup son )• i >. Vj^^ife» m soutenait seulement le p^iU. *Jc «eo 9^- chape, s'affaisse violemmenli^*-»-: ^\ rière et retentit sur les dall8$;;:!tJï}. se précipite, on relève Monseiinœiîrvt on le transporte dans la saciliâwp on essaie de le faire revenir dmitt'- qu'on pense être un évanouiss»^" ment. La syncope pei-sisie, ofd étend le corps du prélat, et un méV. decin, qui s'était trouvé à réglisei découvre l'horrible vérité. Après avoir soulevé la chape et l'étole, il reconnut une plaie large elprofonde entre la cinquième et la sixième côte. Le sang s'en échappe* avec abondance, les paupières du mou- rant frémissent encore, mais déjà le pouls a disparu. M. Surat donna une dernière absolution à l'arche- vêque, qui mourut à l'instant. Le bruit de cette affreuse catastrophe se répand aussitôt dans une partie de la ville, et produit un etfet in- dicible. On ne peut se résoudre à croire à cette nouvelle : Monsei- gneur est assassiné! Par qui et pour quel motif, dans un temps les émotions populaires sem- blaient assoupies! L'indignation est générale. Le chef du gouvernement s'abstient du spectacle, il se dis- posait à se rendre. L'auteur de cet article n'oubliera jamais la scène lugubre et majestueuse qu'offrait le presbytère de Saint-Etienne-du- Mont. Instruit par hasard du mal- heur qui venait d'avoir lieu, il s'y rendit des premiers. Le prélat était étendu, revêtu d'une partie

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de ses lial>its ecclésiastiques, un pie<l vSOrti Ju soulier, tombé au pied Ju Ut, ce lit n'était qu'un matelas pesé par terre, sur lequel l^archevùqiic.V paraissait endormi ; son m^Dteau recouvrait la plaie. Prosfct'Hé.près de sa tète, son se- crôtrire particulier, M. Tabbé de Ctt»*)li, serrait une de ses mains et restait en silence, presque •iiii'anli? Monseigneur Lacarrière, quelques ecclésiastiques du pres- bytère et autres, n'échangeaientque quelques mots à voix basse, et la stupeur était sur tous les traits! Tandis que ceci se passait au pres- bytt're, une autre scène se passait à quelques mètres de là, dans Thô- tel delà mairie (alors du xu" arron- dissement). Lorsque M. l'abbé de Rorie, curé de Saint - Etienne , cherchait, dans son illusion sur la réalité du malheur, à rassu- rer les fidèles et voulait conti- nuer l'office, un assistant qui avait compris ce qui se passait, avait saisi l'assassin par derrière ; un sergent de ville le désarma et l'ar- rêta. On le conduisit au milieu do la foule saisie d'horreur au poste de la mairie. M. Piétri, préfet de police, M. de Cordui-n, procureur impérial, M. le substitut Moignon, M. Treilhard, juge d'instruction, s'y rendent en toute hâte, et pro- cèdent à une première instruction. Verger dit que ce n'est point la personne de Monseigneur l'arche- vêque qu'il a voulu frapper, mais en sa personne le dogme de l'Im- maculée Conception. Que signilie, lui demande-t-on, ce cri que vous avez proféré : Pas de dresses! à brnt iet déesses! Il répond que par il entendait protester (1) contre l'Im-

(1) La société des dames de Saiate-

maculée Conception et contre la confrérie des Génovéfaines. H avoue et donne des détails avec un sang- froid qui laisse douter s'il a la cons- cience de son crime. Un moment ce- pendant, vers la lin de l'interro- gatoire, comme on lui représente la grandeur d'un tel forfait, il sem- ble le comprendre. Quelques lar- mes coulent de ses yeux et il s'écrie : «Oui, c'estaffreux ! » Mais, conduit à ia prison de Mazas, Verger a bien- tôt recouvré son calme. Il demande à manger, parce que, dit-il, il est à jeun depuis !e malin, par précaution pour ne pas avoir la main tremblante. Comment, lui dit-on, vous qui êtes prêtre, avez-vous pu commettre un crime semblable? « La faute en est au célibat des prêtres, répondit-il; pourquoi ne voulez-vous pas que les prêtres se marient comme les autres hommes? «Réponse insensée, qui, comme celles qu'il a faites à la mairie , prouverait que le mal- heureux est victime non-seulement de sa scélératesse, mais aussi de son orgueil ou de sa folie. Quels rapports, en etVet, peut-il y avoir entre les raisons qu'il donne et l'as- sassinat de Mgr Sibour? L'instruc- tion commença et marcha promp- tement ; on saisit chez le frère de Verger, avec lequel il demeurait au moment du crime, et à son pro- pre domicile à Sarris; on lit les in- formations au séminaire de Meaux, et dès le 10 janvier, le parquet de la Cour impériale de Paris, par l'organe du procureur général , M. Vaïsse, déclarait que Jean-Louis Verger était accusé d'avoir, le 3 janvier 18o7, commis volontaire-

Geneviève, établie par Monseigneur Si- bour, a son autel [>rés du tombeau de sainte (ienevièvi-, et se réunit à Saint- Etienne-du-Mont.

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ment, avec préméditation et guet- apens, un homicide sur la personne de Mgr. Sibour, archevêque de Pa- ris, crime prévu par rarticie 302 du code pénal. Pendant ces opérations préIiminaires,Verger semblait, dans sa prison, être à l'aise et dans une position qui pourrait le grandir. Ceux qui pouvaient l'approcher étaient curieusement interrogés. II se montrait calme, vantard, discu- teur. Il n'était préoccupé que de l'idée de se former un piédestal aux yeux de l'opinion publique, de poser y de faire de l'efiet. Il péro- rait sur les questions de dogme, avançait froidement de vieilles hé- résies, qu'il donnait comme les pro- ductions de son cerveau, mêlait à toutes ces divagations religieuses les questions les plus étroites d'in- térêt personnel, calomniait gros- sièrement tous ceux qu'il avait pu connaître dans sa carrière ecclé- siastique, et principalement il écri- vait, il écrivait sans cesse, surtout et à propos de tout. Transporté quelques jours après à la Concier- gerie, il montra les mêmes disposi- tions; il semblait n'avoir pas cons- cience de sa situation , parlait froidement de l'avenir, et récla- mait bonnement une couverture pour passer l'hiver. ,Quand on lui annonçait (juelque visite, quelque démarciie de curiosité, sa figure rayonnait ; « !\Ia cause est une nou- \clle cau^e célèbre, disait-il, on en parlera longtemps. » Étrange satisfaction de l'orgueil , qui ne pouvait se trouver qu'en Ver- ger! Aussi, ful-il et panil-il vive- ment contrarié ({uand l'autorité se refusa îi laisser reproduire ses traits. Ooirail-on (lu'il avait fait venir à sa prison son frère accom- pagné d'un pholograpbe, pour faire son portrait! Tout semblait révéler

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chez ce malheureux,'! cet** rfnçiWyi^- ble fatuité du crim , qin s.'ftrii}>are de quelques intellit, rnôàH jidj'vcr»^ ses. Il laissait entr» -^h ^^e'qui'iJ aurait voulu faire, ( ,a\U^ on, du désir qu'il avait i, Ir-e

à Rome, de façon à lais.>- ,^uia>o»< ser le regret monstrueux ci. a^avoip pu frapper une autre et ploRk^ ' tre tête. On chercha à lui yt/y^ comprendre combien il s'abWi^ sur la situation des esprits ;u;bo^. égard ; on n'aura point réussi. T^U» le 9 janvier, le rapport surson alTaitîè avait été présenté à la chambra des mises en accusation par M. J'a- vocat général Salle. La cbambre prononça immédiatement l'arrêt par lequel elle renvoyait Verger devant la Cour d'assises de la Seine. Ce même jour, à quatre heures. Verger reçut notification de l'arrêt, il avait dès lors cinq jours pour se pourvoir en cassation contre celte décision. M. le président Ronniol do Salignac lui nomma d'offlce pour défenseur un avocat conim par son beau talent, 31. Nogent-Saint- Laurens. Ce choix parut faire plai- sir à l'accusé, que l'avocat trouva à la Conciergerie feuilletant avec ardeur les pièces de procédure qui lui avaient été sij^niliées. Verger se leva, fit quelques pas au-devant de lui, et du geste lui indiqua un siège, le remerciant d'avoir ac- cepté sa défense. « C'est, lui dit-il, « une véritable satisfaction pour' « moi que de ujc voir assisté par un « avocat que j'ai déjà eu tant de (( plaisir à entendre à Alelun. » Néanmoins il manifesta l'intention de se défendre lui-même. Il dit que l'examen de toutes les pièces et la préparation de sa défense nécessi- taient un temps plus long que celui qui lui était donné, et qu'il ne croyait pas pouvoir être prêt [iour

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le 17 Janvier, jour fixé pour les dé- bals de l^affairtt Le 14, il informa ofûciftllefiieâtale sa résolution le direcleur delà ('.onciergeric, et après qu.il e^t \u libeller et qu'il eut sïgmVA'ng^ consiatant sa diciara- liOH(^,.&irvoi ,il se remit avec une a^yitèmivreuse à classer, à rédiger sesiDioyeiis de défense. Le 15, la €9<ir du cassation fut saisie du iwurvoi , que Verger n'avait fait soMiriiir par aucun avocat. Comme allô trouva que la procédure avait été régulière , etc. , elle rejeta le pourvoi. Par suite decette décision, .Taflaire fut maintenue au rôle des assises pour le samedi 17 janvier. Lecture de cette décision fut faite à Verger, dans la Conciergerie, par M. le premier président Delangle, qui, sollicité par Verger de recu- ler le jour de l'audience, et ne croyant pouvoir l'accorder, vit l'ac- cusé ne pas faire d'insistance et dire qu'il serait prêt pour le 17 , jour fixé. On conçoit que de son côté le public se préoccupait de l'affaire , qui faisait le sujet des conversations. Mgr. Allou, évf'que de Meaux, eut la charité de visiter le coupable dans sa prison ; les journaux rendirent publique une lettre que M. l'abbé Jlenard, supé- rieur du séminaire de Meaux, avait cru devoir écrire,etqui,en donnant des explications, comme pour sol- liciter ou présenter une sorte de justilicalion, assurément bien inu- tile , accusait dans ce respectable ecclésiastique, une sorte de peine ou d'embarras. Tout le monde at- tendait avec une sorte d'anxiété l'ouveriiiredes débats, qui eut lieu, en effet, le 17 janvier 18:i7. Jamais pareil spectacle ne s'était offert dans l'enceinte de la Cour crimi- nelle. Le crime él^it inoui ; la foule qui se pressait dans ce trop étroit

prétoire de la Cour d'assises, com- posait une de ces assemblées d'élite dont on peut dire qu'elles représen- tent tout Paris. La plupart des il- lustrations s'y trouvaient réunies; notabilités administratives , judi- ciaires,artistiques, militaires ;lesda- mes étaient en très petit nombre. Dès cinq heures du matin une longue file d'avocats en robe se pressait à la grande grille d'honneur du pa- lais; sur plus de deux cents, une trentaine réussit à obtenir le droit d'entrée. Quanta la foule du public elle était compacte, mais les décep- tions avaient été nombreuses, car le plus grand nombre des places était réservé, et personne n'entrait sans être muni d'un billet signé par le premier président. Vers dix heures, on expose les pièces k conviction, les habits pontificaux de Mgr. Si- bour, la chape souillée d'une large tache de sang, le couteau terrible, dont la lame damasquinée n'a pas moins de 10 centimètres de lon- gueur, et son acier est terni par |)laces; on reconnaît en frémissant qu'il est terni par le sang de la victime. Peu après, l'accusé est introduit et attire les regards d'une curiosité avide. L'impression géné- rale est celle du désappointement. On avait attendu un homme à l'al- lure féroce, au regard sombre, on voit entrer un jeune homme insi- gnifiant, ï.oin de reconnaître en lui un assassin, à la pâleur mate de son teint on se persuaderait facile- ment (pi'on a sous les yeux un de c(;s jeunes gens en qui l'étude éteint les passions en éclairant et en développant l'intelligence. Il est vêtu de noir; une cravate de méri- nos noir, sans col de chemise, fait ressortir l'extrême pâleur de son teint, sa voix est à la fois duuce et sonore; l'Impresion qu'il produit

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d'abord est presque favorable. Un seul mouvement dans sa physiono- mie peut inspirer quelque défiance : il passe sans cesse la langue entre ses lèvres légèrement contractées. Verger, entré avec calme , jette un regard rapide sur l'auditoire, et concentre toute son attention sur une liasse de notes qii'il met en ordre. Dans cet article, rédigé avec toute la simplicité possible, je n'ai rien dissimulé de ce qui pou- vait faire apprécier Verger, et s'il se trouvait, dans les voies ora- geuses qu'il a suivies, quelque éclaircie qui semblât le montrer dans le chemin du retour, je ne l'ai point voilée à l'œil du lecteur; mon récit suffirait absolument à le faire connaître. Néanmoins, on peut dire qu'il ne s'est entièrement ré- vélé à tout le monde que dans les débats de son procès. Il n'est ni dans la nature ni dans la mesure de notre travail de les reproduire. La Gazette des Tiibunaux, le Droit et les autres annales judiciaires, ont, dans le temps, rapporté les scènes scandaleuses auxqutMles ont donné lieu ces déplorables débats, ainsi que les actes de violence et de fureur qui exi^'èrent l'expulsion de l'accusé. Ainsi qu'il n'était pas permis d'en douter, le résultat fut une condamnation à mort pronon- cée à la suite de la courte et una- nime délibération des jarés. Le lendemain, Verger s'empressa de faire savoir qu'il entendait se pour- voir en cassation et adresser à l'Empereur une demande en grâce. Son père vint le visiter en présence du directeur de la prison. L'émo- tion ne fut pas très-vive. Son père lui dit : Ton affaire m'a causé bien des dérangements, enfin te voilà condamné \ mort. « Tout n'est pas ff fini, répondit Vergrr, oh ! non,

« tout n'est pas fini. » Une inquié- tude secrète agitait cependant le condamné, malgré sa tranquillité apparente; il mangeait peu, dor- mait mal, et alors il reçut volon- tiers la visite de M. l'abbé Notclet, aumônier de la Conciergerie. Sa plus grande privation était de ne pouvoir écrire, car on l'avait, sui- vant l'usage, revêtu de la camisole de force. L'arrêt avait été prononcé le 17 janvier ; le 19 à quatre heures, on procéda à la translation de Verger de la prison de la Concier- gerie à celle de la Roquette. Lors- qu'il monta dans la lugubre voilure, il était morne, abattu; pendant le trajet, il manifesta à plusieurs re- prises la crainte qu'on ne le con- duisît au supplice. Ses gardiens cherchaient en vain à le rassurer; il ne se calma qu'en .^e voyant rentrer dans une autre prison. Pendant les quelques jours de dé- lai que lui laissait son pourvoi, Verger se livra à l'espérance. Il avait obtenu qu'on lui laissât la main droite libre, et il en profitait pour écrire incessamment. L'or- gueil reprenait le dessus. M. l'abbé Hugon, aumônier de la maison du dépôt des condamnés, a rendu public le récit que Verger lui lit de son acte coupable et des impres- sions qu'il avait ressenties quand il eut frappé ce pauvre Monse'ujncur\ il parlait presque comme un héros, disoiis du moins un artiste, qui fait la relation satisfaisante de son oeu- vre. 11 paraissait aussi compter beaucoup sur sa demande en grâce et attendre tout au plus un noble exil. Néanmoins il calculait avec émotion le moment serait jugé son pourvoi en cassation. Ce fui le 2'J janvier que la cour suprême fut appelée à l'examiner, sous la présidence de M. Laplagne-Rarris.

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Une foule considérable se pressait dans l'auditoire pour assister à l'audiçncequi ouvrit à onze heures. M. Morin était l'avocat chargé par l'accusé de soutenir son pour- voi, et il présenta trois moyens de cassation, qui furent discutés par le procureur général, M. de Royer, qui conclut au rejet en montrant aussi la régularité de la significa- tion de l'arrêt faite au condamné. La Cour, après délibéré, rejeta le pourvoi. En même temps le chef de rh'tat, usant de son suprême privilège, faisait appel ù une com- mission de médecins pour cons- tater, une fois de plus, d'après les faits du procès, l'état mental du condamné. Le rapport de M. le doc- teur Conneau conclut que Verger jouissait du libre exercice de sa raison. L'ordre d'exécution fut donné pour le lendemain, vendredi 30 janvier 1857. M. l'abbé Hugon, aumônier, avait eu plusieurs en- treliens avec Verger depuis l'en- trée de celui-ci dans la prison du dépôt, dite la Roquette; il n'avait pu rien gagner sur ce malheureux, qui disait toujours qu'il ne voulait pas de prêtre, et entendait mourir comme il était, n'ayant rien, di- sait-il, à se reprocher. Le diman- che 25 janvier, ou avait admis Verger à entendre la messe. L'au- mônier prêcha sur les châtiments que l'on subit dans la vie, sur les moyens de les rendre utiles pour le temps et réternitél Verger l'in- lerrorapii par des vociférations, criant : Analhème ! erreur ! malé- diction, et soutenant que l'enfer n'est pas ce qu'on dit qu'il est. Comme on ne pouvait le faire taire, on fut réduit ti l'emporter de force. Dans la nuit du jeudi au vendredi, quoique ignorant tout eu qui se j)assait, il avait eu un sommeil

agité. A sept heures du matin, le vendredi 29, il dormait lorsqu'en- Irèrentdans sa chambre, M. l'abbé llugon, d'abord seul, j)uis aussitôt après M. le directeur, suivi d'une dizaine de personnes. M. Hugon, qu'il avait refusé de voir depuis le dimanche, lui dit qu'il n'avait plus à attendre que la justice et la mi- séricorde de Dieu, dans les bras duquel il le suppliait de se jeter. Verger ne voulait rien entendre. Au directeur, qui lui donnait com- munication des ordres reçus, il de- manda la permission de prendre une heure ou deux pour écrire à l'Empereur, et il reçut nécessai- rement un refus. M. l'aumônier lui faisait de douces instances en lui montrant le crucifix ; il répon- dit qu'il voulait mourir tel qu'il était et qu'il ne voulait ni prêtres, ni reliques, et il en revenait à la demande d'écrire h l'Empereur. Il entra en fureur, disant qu'il ne voulait point aller à l'échafaud, et qu'on ne le tirerait de son lit qu'en pièces; son air était hébété, sou œil atone, et sa face décom- posée! Il s'enroula dans ses cou- vertures et dans ses draps, qu'il tenait entre ses bras crispés com- me dans un élau. Il fallut le vêtir (le force, et on ne put lui mettre (jue son pantalon ; il se déballait violemment , «t criait avec une voix éliange. « Au meurtre! au se- cours! à l'assassin ! » On ne put, le faire entrer dans la chapelle pour y prier un instant comme c'est l'usage, et l'aumônier fut le premier à conseiller de passer outre. Une fois arrivé dans l'avant- greffe, se fait la toilette des exé- cutions, dès qu'il sentit le froid de l'acier des ciseaux dont se servaient h.s aides de l'exéeuteur pour lui couper les cheveux, il fut saisi

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comme d'un frisson. Sa face, rouge de colère, se couvrit d'une pâleur effrayante ; 5a fureur se changea en uu profond abattement : « Point « d'amis, point de parents! dit-il « bientôt avec désespoir, mourir « ainsi, c'est affreux! » M. l'aumù- nier, qui se tenait en face de Ver- ger et épiait le moment de tenter un nouvel effort, crut que le mo- ment était venu, et lui présenta le crucifix, que Verger ne repoussa point. Alors il lui parla avec bonté et lui dit que parle repentir et le re- cours àDieuilpouvaitencores'assu- rer une éternité heureuse. La grâce triomphait, et, gagné par elle, Verger répondit : « Monsieur l'aumônier, « mon frère, mon ami, je ne vous « ai que trop longtemps résisté. Je « ne résiste plus. Je me remets en- a tièrementenire vos mains. Dites- « moi ce qu'il faut que je fasse. » M. l'aumônier lui dit qu'il fallait, devant toutes les personnes présen- tes, rétracter et abjurer toutes ses erreurs, toutes les calomnies pro- pagées par ses écrits, ses prédica- tions, ses propos avant et pendant sa détention, et Verger se levant alors de l'escabeau il était accroupi, les mains déjà liées, les pieds retenus par une courroie, s'adressa k l'assemblée avec un ac- cent à la fois humble, ferme et digne: « Messieurs, dit-il, je rougis « maintenant de la scène de vio- « lence dont je vous ai rendus té- « moins, et je vous en demande « pardon. Je demande pardon à « Dieu et aux hommes du crime « horrible que j'ai commis; je ré- « tracte et j'abjure toutes les er- reurs, toutes les c.ilomnies que « j'ai propag(ies. J'offre h Dieu ma « vie en expiation de tout le mal « que j'ai fait. Dans toute la plé- « uilude de ma raison, je déclare

ft et je vous prends à témoins que « je veux mourir en chrétien, en * catholique , en prêtre , autant « qu'il dépend encore de moi. M. l'aumùnier l'entraîna dans un angle de la pièce. Verger le com- prit, se mit k genoux et fit sa con- fession... confession hâtée sans doute!... mais enfin! ! Puis l'aumô- nier récita les prières des agoni- sants, que Verger écouta avec re- cueillement, faisant lui-même les réponses en latin ; puis, les larmes aux yeux, il demanda pardon à tous les employés de la maison. Il mar- cha vers l'échafaud dressé sur la place en face de la prison, soutenu d'un côté par l'aumônier, de l'au- tre par l'exécuteur, et témoignant sans cesse publiquement de son re- pentir. Alors il ne disait plus sim- plement comme les protestants et les jeunes écrivains de nos jours : le Christ, il savait dire Jésus-Christ et répétait de la voix que lui per- mettaient ses forces épuisées : Vive Notre Seigneur Jcsus^Christ ! A'jneau de DieiL (ijjez pitié de moi! Vivent Jésus el Marie! Vive la mère de Dieu, notre bonne mère à tous! Arrivé sur l'échafaud, il se mit spontanément à genoux. Il chargea i'aumônierde faire amende honorable à ses su- périeurs, et puis, comme dans une sorte d'extase et les yeux levés vers le ciel, il s'écria : a Dieu d'amour « et de miséricorde, prends pitié « (le ma malheureuse famille; j)ilié " pour mon vieux père; protège (' la France que j'ai tant aimée! X protège l'Église; pitié pour tout « l'univers entier; protcge l'Em- « pereur, fais la France grande ei « prospère!') Assurément il y avait encore dans ces exclamations quel- que chose du caractère de Verger, et peut-être aurait-on préféré , puisqu'il voulait parler sur l'c-

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chafaud . entendre une nouvelle rétractation de ses calomnies et une invocation h la sainte Vierge, que ces expressions de tendresse pour la France, qui n'y a trouvé ni édification ni sujet de recon- naissance. Vergfer baisa une der- nière fois le crucifix avec une ar- dente effusion, puis, s'abaudonnant doucement à l'exécuteur, il reçut la mort avpc toute l'apparence des dispositions qui auront frappé vi- vement les dix mille spectateurs. Le Droit, journal des matières ju- diciaires, dans un article, donna des allégations qui tendaient ci nier la sincérité et môme la réalité de la conversion de Verger. Le Journal des Débats et celui de la Presse les reproduisirent, les autres feuilles publiques furent plus équitables. Son Em. iMgr le cardinal Morlot, venait d'être nommé à l'archevê- ché de Paris. M. Hugon crut de- voir l'instruire des circonstances que je viens de décrire, et se hâta de lui en adresser à Tours les dé- tails. Le cardinal lui répondit dès le 31 janvier. La science a décidé que Verger jouissait de toutes ses facultés et la justice l'a frappé d'une peine méritée. On eût été assuré- ment consolé si on eût pu prouver que la démence seule avait pu le conduire à un pareil forfait. Le minislè.'-e sacré du prêtre est, dans l'opinion publique, d'un ordre si él(!vé, qu'il semble à quebpies-uns que les misères et les crimes de l'humanité ne doivent jamais mon- ter assez haut j)Our l'atteindre. D'autres, trop vivement frappés de la faute d'un seul homme, en re- portent trop légèrement la respon- sabilité à l'ordre tout entier, ou- bliant, pour un qui s'égare, les ver- tus infinies de tous ceux qui pas- sent ignorés en faisantlc bien. Mais

enfin s'il est vrai, comme on ne peut le nier, que Verger avait la conscience de ses actions et agis- sait avec préméditation et raison- nement, ne pourrais-je dire que l'ensemble de sa vie, dans le peu que j'en ai montré, prouve aussi ce qu'il y avait d'étrange dans son cerveau, de déficit dans ses facul- tés? J'ajouterai que ces dispositions si singulières étaient peut-être dans son sang. Sa mère se donna la mort en se jetant dans un puits; un de ses frères est mort en se jetant dans la Seine ; une de ses sœurs s'est jetée dans un puits à Saint- Denis, mais elle en fut retirée par ses voisins. Son frère Frédéric, qui se porta à quelques excentricités, et chez lequel il demeurait lors- qu'il assassina l'archevêque, avait été exilé pour ses folies politiques. B. D— i:. VERGEZ (Jean-Marie), lieute- tenant-général français, le 11 janvier 1757, à Saint-Pé (Hautes- Pyrénées), et sous les drapeaux de- puis 4778, avait porté onze ans, sur mer et sur terre, le havre-sac du soldat ou quelque humble épau- lette, quand la prise de la Bas- tille fit prendre la fuite à presque tous ces gentilshommes, lieutenants ou capitaines, chefs d'escadrons ou colonels, lesquels en quiltant leur poste crurent livrer l'armée à la désoiganisation, et n'y semèrent qu'une émulation immense. Ils laissaient partout des vides, « A nous de remplir les vides! » s'é- crièrent les i)lu5 alertes, les plus braves et les plus capables. Le temps de Vergez était enfin venu. Il passa comme simple fusilier à la garde nationale mobilisée. Nous ne savons s'il fut de ceux qui se déployèrent et qui combattirent à Valmy (voy. Dumouriez) ; mais,

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dès cette même année 1792, nous l'apercevons coopérant à la cam- pagne sur la frontière septentrio- nale. Le 9 février 1793, il est nom- mé capitaine au premier bataillon de chasseurs des montagnes. Bien- tôt, dirigé sur l'armée des Pyrénées occidentales, il est chargé par le général du commandement des éclaireurs de la colonne ; et il jus- tifie sa confiance, non-seulement en enlevant deux drapeaux à l'en- nemi le jour de la prise de Marsa, mais en éteignant deux mèches allumées par les vaincus pour faire sauter le fort qu'ils évacuaient : c'était sauver partie du corps vain- queur qu'effectivement l'explosion aurait détruit. Même légèreté de mouvements, même réussite k la prise de Tolosa: l'ennemi en se retirant emmenait son artillerie: Vergez, avec les siens, tombe com- me la foudre sur le cortège fugi- tif, met la main sur les mulets et reste maître des bouches à feu, canons, obus et couleuvrines (1795). Même année, à l'automne, (ven- démiaire an m, disent les rap- ports), lorsque la valeur française enlève Llambery, Vergez , cette fois encore, comme s'il y avait en lui une facullédi\ inatrice spéciale à •l'effet d'éventer les éléments explo- sibles, avise quatre mèches qui brûlent sournoisement au fond de barils défoncés à quelques pas d'un énorme magasin de poudre, et conserve ainsi le dépôt à l'ar- mée victorieuse et la vie ù des centaines i)eut-être de ses camara- des. L'année suivante, il était, sous Hoche, à l'armée de rv)uest dite des côtes de l'Océan, et mis k la tête (les {'arabiniers, il eut une part décisive à l'achèvement de la première guerre de la Vendée. C'est luiqui fit prisonnier l'indomp-

table Cliaretle. après avoir tué de sa main les deux chefs qui l'accom- pagnaient et l'avoir blessé d'un coup de pistolet d'abord, d'un coup de sabre ensuite. On sait que Cha- relte s'était défendu comme un iion. Cet exploit valut à Vergez, le 18 thermidor suivant (o août 179G) le grade de chef de bataillon. L'Ouest tranquille pour l'instant, c'est en Italie que Vergez reçut ordre de se rendre: il y passa la fin de Tan- née et les deux années suivantes, moitié dans l'inaction amenée par la paix de Campo-Formio et ces vaines négociations de Rastadt que l'Autriche dénoua par l'as- sassinat des plénipotentiaires fran- çais, moitié dans les expéditions de Rome et du royaume de Naples. Mack, par une audacieuse viola- tion de la foi des traités et avec des forces quintuples, avait con- traint les 16,000 Français du patri- moine de Saint-Pierre à quitter la capitale, bientôt (5 frim.an VII ou 2onov. 1798) crût bon de faire son entrée triomphale ce grotes- que époux de la reine de Naples, ce Ferdinand IV, qui, trente-deux jours plus tard (7 nivôse ou 27 dé- cemb.) devait, chassé de Naples après l'avoir été de Rome, s'em- barquer pour Palerme avec ladite épouse et l'indispensable Acton. (Voy. Caroline, au supplément L...) C'est surtout dans l'inlervalle d^ cette entrée à celle fuite que Vergtz avec le reste des forces françaises trouva l'occasion de se signaler. Il faisait partie de cette rolonnc de renfort si impatiem- ment attendue de Terri par Macdo- nald, lorsque les Napolitains s'é- taient portés de Caivi sur Otricoli pour intercepter les communica- tions de l'armée française, e( (|ui, dès qu'elle déboucha, fut dirigée

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sur Osleria: et sur vingt points aux environs (l'Osteriadi Vaccone, rOsleria di Corezze, etc.) fut livrée ce qu'on appelle la bataille de Cataiupo, dont les résultats furent la retraite ou plutôt la fuite de Mack, la rentrée victorieuse des Français dans Rome et onze mille prisonniers (25 frim. ou 15 déc). Vcrgez, dans cette journée, à la tête d'un détachement, s'empara de deux pièces de canon sur la co- lonne napolitaine qu'il avait à combattre. Moins de cinq mois après (17 floréal ou 5 mai 1799), Macdonald le nommait provisoire- ment aux fonctions de chef de bri- gade. Mais en ce moment les affai- res militaires tant d'Allemagne que d'Italie avaient cessé d'être en Toie de prospérité, lesdangers de nosarmées au contraire étaient immenses et croissaient tous les jours. L'attentat sans nom de llasladt avait été com- mis, l'Autrrche avait jeté le masque et ne se bornait plus, comme lors- que Mack allait infatuer le manne- quin de San-Lucio (voy. Ferdi- nand iv, au supplém. L.)et galvani- ser les lazzaroni, k faire la guerre indirecte et subreptice, elle atait envoyé son archiduc Charles avec soixante mille hommes rejoindre et commander ce qui lui restait de forces entre les Treize Cantons et l'Adriatique; la machiavélique Ca- therine II avait souscrit à ses sup- plications qu'appuyait la Grande- Bretagne , et quatre-vingt-dix mille Russes descendaient avec Souvarof de l'Adige vers les Alpes. Il ne faut pas demander si, dans cette crise, Vergez payait vaillamment de sa personne. Le 24 prairial (tou- jours en Tan VII), il fut blessé d'un coup de feu à l'épaule droite îi la prise de Modéne ; puis, le 9 fructidor, pendant la bataille de

Chiavari, ce fut le tour de la han- che droite, qu'atteignit également un coup de feu. Il se rétablit del'un et de l'autre accident; et le 15 bru- maire an VIII il exécutait devant Novi, à la tête d'un escadron, une charge non moins vigoureuse que brillante dont l'effet était de couper en deux la ligne de l'ennemi, et prenait toute leur artillerie (cinq canons et six caissons) : ce succès partiel devint général, et l'avantage de la journée resta aux Français, grâce au mouvement si vivement conduit par Vergez. Trois jours après avait lieu la révolution du 18 brumaire, et bientôt (15 floréal ou 4 mai 1800) le premier consul, en train de combiner la campagne d'Italie, que devait signaler la vic- toire de Marengo, le confirmait dans son grade de chef de bataillon. Plus tard, il le fit colonel du 12*^^ de ligne et officier de la Légion d'hon- neur. Il l'employa ensuite à la troi- sième division du camp de Bruges, puisàla première campagne contni les Prussiens. il se couvrit d'une gloire nouvelle, mais il fut blessé pour la troisième fois en chargeant à la tète de son régiment. Napoléon reconnut ses services en le nom- mant l'année suivante (1807) géné- ral de brigade. Ce fut le terme de son avancement sous l'Empire, bien qu'il eût, depuis ce temps, fourni plus d'une fois, notamment en 1810 et dans la guerre d'Espagne, la preuve qu'il était toujours l'agile et intrépide officier de la République : ainsi le siège et la prise de Lérida (14 mai) eurent en lui un vigou- reux auxiliaire; ainsi le 10 juin, attaqué par 1,800 Espagnols, il en tue 400 et fait 217 prisonniers dont 10 of/iciers; premier succès dont le résultat fut la prise de Te- ruel. Mais on suit k quel point Nu-

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poléon se montra fréquemment, si- non injuste du moins tiède à l'é- gard des desdichados qu'il envoyait se consumer en Espagne le sol était si peu propice à nos lau- riers; et même depuis 4810 on ne le voit pas figurer sur les cadres. Nous ne l'en trouvons pas moins, chose singulière, promu sous Char- les X, en 1823, au grade de lieute- nant-général ; mais, évidemment, ce ne fut qu'un gracie honorifique. Le lieutenanl-géneral Vergez mou- rut peu de temps après. Val. P. VERGMAUD (Henri), parent du célèbre girondin, naquit à Limoges en 17G0OU tout au commencement de 1 761 , et, reçu avocat, il exerça au barreau de celte ville. 11 n'eut au- cune part aux événements de la première ni même de la seconda phase de la Révolution; mais il commença vers 1794 à se mêler i la vie politique, et fut députe par Saint-Domingue au conseil des Cinq-Cents. On ne saurait dire qu'il se lit remarquer pendant le cours de sa législature par celte faconde dont semble inséparable le nom de Vergniaud, il se distingua plutôt par son silence. Mais il utilisa son passage à Paris en contractant des liaisons qui ne demeurèrent pas infructueuses : il s'acquit notam- ment dans Lucien Bonaparte un ami qui, plus tard, aurati été, s'il l'eûlvoulu, sonprotecieur.il ne pro- fila, ostensiblement du moins, de cette bonne volonté, que pour l'airo ériger sa ville natale en chef-lieu de cour d'appel, faveur qui certes eût pu lui man(pier sans quel- que appui d en haut. Depuis, ces précédents ont constamment sor- ti leur etîet, et Limoges n'a cessé de s'appeler cour d'appel que pour être (lualiliée cour impériale. Pour lui, il ne demanda ni simple

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bonnet de conseiller, ni place quel- conque au parquet, encore moins de présidence. Psous ne croyons pas non plus qu'il ait ambitionné les titres de maire ou d'adjoint : il trou- vait que c'était bien assez d'assister aux sessions du conseil municipal. Il avait beaucoup de celte ataraxie philosophique que quelques-uns qualifièrent de paresse chez son éloquent homonyme. Il n'en vécut ni moins vénéré, ni moins Iran- quille, ni moins longtemps : il était dans sa quatre- vingl-lroisième an- née lorsqu'il dit adieu au monde le 13 juin 1844.

VERIILELL- DE-SAVEi\AER (l'amiral, comte Charles-Henri), marin renommé que se disputent la Hollande, sa patrie de fait, et la France, sa patrie adoplive,la patrie de .son cœur et de sun choix, na- quit le 11 février 1764 à Dœlli- chem, au pays de GuelJre. Sa fa- mille était des mieux posées de la province, et cela depuis des siècles , soit dans la magistrature, soit dans les armées de terre et de mer. Son aïeul maternel était commandeur de l'Ordre leutoni([ue. 11 avait un frère aine dam la marine, lequel parvint a la position de capitaine de haut-bord, et dont il sera dit encore un mot plus tard. La voca- tion maritime n'était pas moindre chez lui; mais, probablement, par avis de parents et pour que les jeunes gens ne se nuisissent pas l un à l'autre en se faisant concur- rence, on lui lit prendre parti d'a- bord dans le service de terre eu qualité de cadet. 11 méritait ce titre à tous égards. Il était peu de ses camarades dont il ne lût le ca- det : il n'avait alors que onze ans (1175). Quatre années après, ses idées s'étaient (ixees, et ses instan- tes prières pour obtenir sa transla- 20

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tion du régiment à n'importe quel navire de l'État eurent pour résul- tat son embarquement comme élève sur une frégate de quarante-quatre que commandait le célèbre capi- taine, depuis amiral, Ringsbergen (1779). Il ne pouvait être à meil- leure école. Dès 1781, sa frégate fut employée à diverses croisières dans la mer du Nord, et il lit en quelque sorte en arrivant son pre- mier apprentissage de la guerre, la Hollande s'étant alliée à la France en faveur des colonies anglo-amé- ricaines, et toute voile hollandaise dès lors, étant sans cesse sur le qui rive. Le 5 août 1781 il fut ac- teur en cette sanglante affaire de Doggerlbauk, en vain livrée par Parker à Zoutman, et qui ne prit fin que parce que, de part et d'au- tre, les amiraux virent leurs navires désemparés hors d'état d'exécuter les manœuvres qu'ils commande- raient. La frégate sur laquelle se trouvait Verhuell avait constam- ment figuré sur la ligne de bataille, et les traces n'en étaient que trop visibles. Presque toutes les œuvres vives avaient été labourées par la pluie de boulets , et deux mâts , sinon trois , avaient été ou mis hors de service ou renversés; tou- tefois le feu avait pris aux voiles et aux cordages, et, pour l'étein- dre, il avait fallu, de la part de trois matelots et ofliciers une énergie plus que surhumaine, et dont eux- mêmes osaiiut à peine espérer le fuccès; les deux tiers de l'équipage étaient ou tués ou blessés, Verhuell lui-même avait sa blessure, mais combattait et commandait toujours, remplissant, vu l'urgence, les fonc- tions de second. Lui seul et le ca- pitaine, après le combat, se trou- vaient assez valides pour continuer k présider le service. Zoutman so

hâta, en conséquence, de le nom- mer provisoirement à cette place de lieutenant de frégate dont il deve- nait indispensable qu'il continuât à remplir l'office; et comme il n'a- gissait qu'eu vertu de pouvoirs préalables, le gouvernement, sur son rapport, ne balança pas à re- connaître sa nomination, et, de plus, le décora de la médaille que reçurent tous les ofUciers signalés pour leur participation à ce grand fait d'armes naval, La guerre, on le sait, ne prit fin qu'en 1783 par le traité de Versailles ; si les deux années qui séparent de cet événe- ment la terrible collision de la mer Baltique furent moins fécondes pour Verhuell en périls imminents, elles n'en exigèrent pas moins de vigueur et d'activité ; il ùnt la mer presque sans interruption, et fit par- tie de maintes croisières; dans une de celles auxquelles il prit part au nord de. l'Ecosse, il eut à conduire, commander la corvette qu'il mon- tait, le capitaine étant tombé ma- lade. La paix signée et les bonnes relations rétablies avec la Grande- Bretagne, assez longtemps il eut l'air (le ne faire que des campagnes pacifiques, tout au plus un peu la- borieuses, dont quatre dans la Mé- diterranée, deux dans la mer du Nord. L'on serait loin du vrai pour- tant, si l'on s'en tenait à ces qua- lifications. Il est en pleine paix des incidents tout aussi redoutables que ceux de la guerre déclarée, et cha- que instant peut les voir surgir, alors même que Ton a droit d'y compter le moins... Ce ne sont pas les tempêtes et les risques de nau- frage, ce ne sont pas les volcans sous-marins... ce sont les révoltes à bord. Verhuell, en cette première période de sa vie maritime, en vit une, mais qui ne servit qu'à mettre

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dans tout son jour ses qualités supérieures. Ce n'était pas, du reste, sur sou navire qu'avait eu lieu l'acte d'insubordinution dont il et parlé, mais c'est sur lui que l'on jeta les yeux lorsqu'il fut question de le réprimer. L'insur- rection durait dé,à depuis plusieurs jours, et elle était triomphante; tous les officiers avaient été em- prisonnés; heureusement ils n'a- vaient été privés que de la liberté, carsilesrei)elle5 avaient poussé leur attentat plus loin, nul doute que la répression eût été plus difficile, l'impossibilité d'un pardon fermant la porte à l'hésitation et au repen- tir. Même dans la position actuelle, pourtant, la mission de Verhuell était scabreuse. Il s'en tira comme si de sa vie il n'eût eu qu'à domp- ter des émeutes. Deux officiers, quelques matelots dévoués, une compagnie d'élite, voilà ses com- pagnons; une chaloupe, voilà son moyen de transport; un silence profond, voilà son auxiliaire... Il s'approche inaperçu, donne en s é- iançant le premier sur le navire le signal de l'abordage, et sur-le- champ entime la lutte avec les rebelles qu'il trouve sur le pont et que d'autres viennent joindre : l'engagement se généralise, mais bientôt il est visible que les assail- lants vont l'emporter, la démorali- sation gagne les insurgés, eu moins d Une demi-heure force est restée à lajuslice et ceux des meneurs qui survivent attendent à leur tour dans les fers ce qui sera ultérieurement décidé de leur sort. La rapidité d'exccution, la nelli té, lasùrete de coup d'œil dont tout porte \/\ l em- preinte furent hautement appré- ciées et par les marins et par l'ad- ministration de la marine. Mais l'estime ne se traduiikit que par des

missions nouvelles : tantôt c'est un corps de canonniers qu'il est chargé a'organiser, tantôt ce sont les côtes de la Guyane qui doivent être l'ob- jet d'une exploraiio[i de sa part ; puis, l'exploration finie et comme corollaire, comme complément de l'œuvre dont il a si bien jeté les bases, ce sont des croisières qu'il s'agit d'échelonner dans le voisi- nage des colonies hollandaises de l'Amérique. Au milieu de tous ces travaux l'avancement n'arrivait pas ou n'arrivait guère. On assure, il est vrai, qu'au commencement de 1795, il fut nommé capitaine de vaisseau, mais le brevet, ou ne fut pas signé à temps par qui de droit, ou ne lui fut pas expédié : le fait qui ne peut se nier, c'est qu'en ladite année 1795 il n'avait d'autre position officielle que celle de 1784, et qu'il était simple lieutenant de marine lorsque, comme la plupart de ses camarades, il donna sa dé- mission, bien que par cette bou- tade il interrompit, ei faillît com- promettre sa carrière. C'était le moment où, sous la pression de la République française naturellement et fortement antistadhoudérienne, les Provinces-Unies devenaient ré- publique balave,... et même quel- que chose de plus; démagogie ba- lave (1795;. Et:iit-ce donc que le jeune marin lùtpariisanenthousias- tede la maison de Nassau? hntiiou- siasle ! c'est plus que douteux ; mais >^ convaincu que le personnel dont se composait le gouvernement nouveau serait loin d'ollrir les garanties de l'ancien..., c est plus que pos- sible. Choqué d'ailleurs dans sfs habitudes de régularité militaire et de discipline, il devait ne se sentir que peu de foi en l'avenir do la Batavie trop lestement régénérée. Il se retira donc quelque temps à

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la campagne; et il ne reparut même pas, quand, fait capital pour ses conrictioiis et ses tendances, la révolution du 12 juin 1798 vint, enrayant le principe démocratique, substituer, dans la république ba- tave, aux furibonds les modérés, aux hommes de club les hommes d'Etat. 11 ne resta pas même, ce qui, nous le pensons, aurait été bien plus dans sa nature, dans sa situation expectante; et quand sur les côtes de la Hollande septen- trionale débarquèrent les Austro- Russes en 1799, croyant trop vite que le récent édifice allait crouler, il se rendit auprès du prince héré- ditaire d'Orange, dont la réussite des étrangers ne pouvait que servir plus ou moins les intérêts. L'en- treprise manqua, et les attaquants purent se tenir heureux de pou- voir s'en retourner avec capitu- lation. Verhuell, après ces insuc- cès de la cause à laquelle il s'était rallié, ne put que s'enfoncer plus avant dans la retraite et se vouer, comme s'il ne devait jamais re- prendre la vie active du marin et du guerrier, ^ Texploitation et aux solijs domestiques. Ce ne dut pas être absolument sans regret. Sa- gace et froid observateur, il venait de s'apercevoir bien neliemeul, que l'heure du retour n'était pas prés de sonner pour les ÎN'assau, et il devenait probable qu'après les deux crises qu'elle avaU sur- montées, la révolution qu'avait en- gendrée dans les Provmces-Uiiies le cou Ire-coup du mouvement fran- çais de 8'J à 92, avait désormais de grandes chances de survivre dans tout ce quelle avait d'essentiel. C'est donc volontiers qu'il eût re- pris du service. Mais quand? com- ment? Sur-le-champ, c'était en quelque sorte se démentir. Plus

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tard, c'était se laisser par trop distancer; déjà son absence avait laissé libre à d'autres le champ de l'avancement; puis quelle serait sa position? Ici l'élément litigieux se dressait redoutable. Nommé par un acte à la dernière heure, il ne pouvait exhiber de brevet. Au temps même du slathoudérat, avec la conscience qu'il avait de sa va- leur, il répugnait à mendier ce qu'il lui croyait dû; il fréquentait moins les bureaux que son port, il sollicitait peu, il ne pétitionnait pas du tout, bien que convaincu que ce n'est pas ainsi qu'où gravit l'échelle des grades. 11 hésitait bien autrement sous un ordre de choses qu'il avait com- battu à se poser en solliciteur. Grand donc était son embarras pour regagner le temps perdu, et il en perdit encore Heureuse- ment l'inattenau, qu'il attendait peut-être, qu'il guettait, car doré- navant nul mieux que lui n'excella dans l'art du guet, vint linalement le tirer de sa perplexité. En 1804, une fois avérée la résolution prise parle cabinet britannique de laisser inexécuté le traité d'Amiens, Na- poléon n'eut plus qu'un projet, la descente en Angleterre; mais dé- termine à n'agir qu'après avis pris de tous les juges compétents et qu'avec des forces navales hollan- daises comme auxiliaires, il requit le grand -pensionnaire Schimmel- penninck de lui envoyer un ancien oUicicr de la marine avec lequel il put entrer en coiilércnccs, et qui commanderait le contingeni balave. Le clioix du grand-pensionnaire tomba d'abord sur le capitaine Verhuell, ce frère aîné mentionne plus haut. Mais le capitaine déclina cet honneur, en ajoutant que Char- les-Henri son frère tout exigu, tout

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contesté, ou tout récent quf» fïït son grade, s'acquitterait l)ien mieux que lui de la lâche dont on prétendait le charger et répondrait amplement à l'objet qu'avait en vue le souve- rain de la France. La recomman- dation eut pleinement son effet, et d'ailleurs le frère ne disait du frère que ce que depuis longtemps tous les marins en pensaient. Napoléon, de son côté, au premier contact de Verhuell, sentit bientôt de quel rare et précieux collaborateur U république amie lui faisait don, et il se bàla de l'attacher i la France en le revêtant sur-le-champ du ti- tre de contre-amiral. Les événe- ments ne lardèrent pas à justifier celte élévation par laquelle d'un bond étaient franchis tant d'éche- lons. Dans les conférences, soit avec le ministre de la marine, Decrès, soit avec l'empereur lui- même, Verhuell se montra cons- tamment à la hauteur dcs circons- tances, à la hauteur des exigences. Prudence, hardiesse, fécondité de ressources, vues d'ensemble, par- faite connaissance des moindres détails, il réunissait tout ce qui pronostique et souvent assure le plein succès. Les destinées de l'ar- mement de Boulogne cependant ne furent point aussi splendides qu'une imagination méridionale l'aurait rèvc ; mais il faut ne pas perdre de vue, d'une part, qu'avant le moment auquel les actes décisifs allaient avoir lieu, survint la troi- sième levée de boucliers de i'Au- iriche, celle que remit si magis- tralement au néant la victoire d'Auslerlitz; levée de boucliers que suscita seule l'Angleterre profon- dément épouvantée de l'armement de Boulogne et détournant ainsi la foudre de Middiesex sur Schœn- brunn ; de l'autre, que la dispro-

portion de forces navales, puisque c'était le colosse britannique qu'on avait en face, était immense. Somme toute, aux yeux de tous les sages esprits, il demeura plus humiliant pour l'Anglelerre de ne pas nous avoir fait payer par quelque grand échec les terreurs dont elle avait été contrainte à s'avouer émue pendant plusieurs mois, que pour la France de ne pas avoir planté son drapeau à Ca- rlton-House. L'expédition n'eut pas lieu, vu la diversion conti- nentale ; mais ses éléments pa- rurent tous à l'appel, capitaux, génie de constructions navales, talent stratégique, d'où toujours des pas en avant, des pas mena- çants et sans faute aucune. Et cette appréciation des sages, ce fut aussi l'idée dominante de John Bull, qui, lorsqu'on cessa de l'un comme de l'autre côté de la Manche de se préoccuper du débarquement des « présomptueux flibustiers fran- çais, » se pl.iignit amèrement que « les coquilles de noix ennemies » n'eussent pas été détruites. Com- ment! des croisières anglaises avaient tenu bloquées les côtes de Hollande ainsi que celles de Flan- dre, et toutes les embarcations néerlandaises avaient , conduites par Verhuell, quitté le port l'on s'imaginait le tenir paralysé. Puis, quand Kleilh, un amiral anglais, >avec sa double et triple escadre de frégates et de vaisseaux de 7i, de DO, dri 120, les ratlra|)ail, il laissait de rechef ledit Verhuell le mysti- fier. Il avait eu la maladresse de laisser échapper les neuf dixièmes de ces guêpes flottantes, lesquelles avaienldoublé le cap; ilavaiteul'c'U- lanlillage de s'acharner à tirer des bordées sur le dixième restant, dont les aiguillons l'avaient passable-

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ment piqué lui-même. Si bien qu'à présent les deux côtes de l'Armada redoutée, que divisaient naguère plus de cent milles, av;iient cessé d'être disjointes, et que Napo- léon, l'homme des gros bataillons, pouTait manier les sept ou huit cents galiolles comme un seul homme. Si bien aussi que si U fière Albion pour le moment en était quitte pour la peur, c'est parce qu'un autre, moyennant ar- gent, recevait les coups à sa place, se faisait rogner les ongles à sa place, payait les frais de la guerre à sa place! en d'autres termes, c'est parce que les troupes françaises de- venues nécessaires en Allemagne, avaient manqué àlaflotille; et non parce que la flotille avait manqué aux troupes ou avait été mise, par la supériorité britannique dans l'impossibilité de débarquer sur les plages britanniques une armée d'invasionl Ce n'étaient donc pas des forces anglaises qui tenaient sauve l'Angleterre! Pendant ce temps Verhuell passait, par dé- cret de Napoléon, du grade de contre-amiral à celui de vice-amiral; et Schimnielpennincklui décernait le même titre, le même rang dans la marine hollandaise. Très-peu de temps, en effet, après la jonction des deux flotilles, l'impossibilité d'agir en même temps au cœur de l'Allemagne et dans les mers de l'archipel britannique ayant amené l'ajournemfnt de Tcutreprise, il regagnait son pays; et maintenant nous allons le voir de l'arène mi- litaire passer sur la scène poliliciue. Très-piohablemeni il ne partait pas de France sans avoir k l'a- vance reçu des ouvertures sur ce qui s'élaborait avec sourdines en- core au printemps de 4 8ÛO, un peu moins silencieusement ^ l'automne

suirant et tout haut en <806. Les républiques improvisées à l'instar et à la lueur de la république fran- çaise,ne pou^aientdurer, depuis que le souffle républicain avait fait dé- faut aux poumons de la mère com- mune; la république batave devait donc se transformer en royaume... Quand? Comment? Au profit de qui? Telles étaient les seules ques- tions réelles. Toutefois il fallait bien faire semblant de ne pas avoir résolu avant discussion la conversion en monarchie, et la Balavie étant censée malade, on devait étudier la situation pathologique avant de formuler le remède. Schimraelpen- ninck (comme on peut s'en assurer à son article, LXXXI, 288), n'était rien moins que favorable à cette façon d'opérer. Mais il n'était pas (le force à s'y opposer. Unedéputa- tion hollandaise fut chargée d'aller rechercher, de concert avec le sou- verain de la France, les moyens les plus aptes à sauvegarder les inté- rêts, à développer les éléments de prospérité du pays. Les négocia- tions durèrent quatre mois, pen- dant lesquels un principe nouveau se fit jour, c'est que les provinces néerlandaises avaient besoin d'un monarque pour recouvrer partie au moins de leur ancienne puissance et de leur éclat, et au bout des- quels la question de personnes suite indispensable de Ja question de choses ayant été agitée, il fut prononcé que le monarque serait le second des frères cadets de Na- poléon, le prince Louis. Les dé- putés allèrent ensuite en audience solennelle communiquer à l'Empe- reur des Français le résultat de leurs travaux et lui demander de condescendre à leur vœu et d'as- surer la félicité de la Hollande en permettant un second trône à sa

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dynastie. C'est Verhuell qui porta la parole en cette occasion. Nous n'avons pas besoin de dire quelle tut la réponse de l'Empereur. Nous croyons qu'il serait également su- perflu d'avertir qu'à la harangue of- ficielle, ne se borna pas dans cette grande affaire le rùle de Verhuell. C'est lui sans contredit qui, plus que tous les membres ses collègues, dé- termina l'événement voulu d'avance par Napoléon, longtemps décliné par Schimmelpenninck et pour le- quel la plupart des délégués, quoi- que n'arrivant à Paris que par suite d'influences napoléoniennes, n'éprouvaient pas plus de vives sympathies quede répulsions invin- cibles. On sait du reste, et l'his- toire s'est complue à rendre justice à l'honorable élu, que peu de mo- narques plus consciencieux, plus dévoués à leurs sujets occupèrent rarement un trône. Verhuell donc usa-t-il de quelque pression sur ses collaborateurs, que dominait un peu sans doute l'ascendant de sa position, de ses services et de son caractère, nous ne saurions rien voir qui fasse tache à sa vie et dont il faille justifier sa mémoire. Nous irons un peu plus loin, et nous soumettrons une considéra- tion à nos lecteurs. On a répété cent fois qu'en plaçant son frère Louis sur le trône de Hollande, Napoléon avait prétendu sacrifier la Ilollande à la France, et que le frère, qui se croyait quelque chose de plus qu'un préfet, eut raison mille fois pour une de défendre les intérêts de ses sujets qui n'étaient pas simplement ses administrés. A notre avis, ces assertions con- tiennent un peu de vrai, beaucoup de faux; du vrai quant au prin- cipe, du faux quanta l'appiicalion. Or, la politique consiste surtout

en applications: c'est un art, ce n'est pas uniquement une science. Que le roi de Hollaiide ait eu le droit d'agir comme il agit, nul doute; qu'il ait cru que pour lui c'était un devoir, nul doute non plus. Mais était-ce vraiment un devoir? et ne se méprenait-il pas fondamentale- ment sur les intentions de son frère ? ici commence l'incertitude. Sacrifier la Hollande à la France n'est qu'un de ces gros mots faciles à trouver et qu'on jette en pâture aux niais, mais que l'on oublie de prouver et dont on se garde d'en- tamer l'analyse. Ce que voulait Napoléon n'était-ce pas tout sim- plement sacrifier le présent pour assurer l'avenir? Ce qu'il demandait à la Hollande son alliée, réduite au troisième ou quatrième rang par la spoliatrice et inassouvissable Angleierre, n'était-ce pas un peu d'abnégation dans le présent pour en être un p^-u plus tôt, un peu plus tard, récompensée au cen- tuple par l'annihilation ou la pros- traîion de l'ennemie commune, an- nihilation que certes eût facilitée une résignation de courte durée ^ l'abandon des gains au jour le jour. Ces gains, il est vrai, sont pal- pables et la perle en est posi- tive, les brillants résultats de l'ave- nir ne sont qu'à l'état de pro- blème; puis la vie à mener tant que se prolongent l'intérim, la vie de chômage et de privations, est dure. Soit! mais quels grands ré- sultats s'obtinrent jamais sans dé- vouement? et quels immenses di- videndes sans quelques risques? C'est ici qu'involontairement l'on s'écriera qu'il est deux politiques. la petite par laquelle on vivote, la grande par laquelle on se déve- loppe et s'élève. Celle-ci, incontes- tablement, fut toujours celle de

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Napoléon; elle le fut notamment dans ses relations avec la Hollande, et les seuls torts qu'il eut avec cei ex-républicains furent ces impa- tiences, ces brusqueries, ces formes un peu tranchantes et trop peu parlementaires de l'homme qui veut que tout marche comme au pont de Lodi. Celles-ci furent pour quelque chose sans doute dans ce « défaut de confiance » que nous reprochons ài h Hol- lande. Mais l'égoïsme national et un patriotisme à gauche y furent pour bien plus. De quelque ma- nière donc qu'on l'envisage , Verhuell, en aidant à porter le prince Louis sur le trône de la Flollande. agissait en ami de ses concitoyens ; il leur donnait, en fait, un roi qui devait ne pas son- ger moins qu'eux-mêmes aux in- térêts directs, présents, positifs et palpables du nouveau royaume; éventuellement, il les associait au système qui, sans les folles ja- lousies et rineplie du reste de l'Europe continentale, aurait dé- truit le monopole britannique et fait justice de la sangsue gorgée des deux mondes. On ne séton- nera pas qu'après une participa- tion si prépondérante au nouvel état de choses, Verhuell ait fait partie du |)rcrnier ministère du roi Louis. On devine quel poitefeuille lui fut donné : ce fut celui de la marine. Dans cette position, la plus apte à ses goûts, à ses antécédents, son r61e fut double : tantôt, se ren- fermant dans les fondions pro- pres à son département, il ne songe qu'à développer les forces na- vales de son |)ays, utile en cela du même coup à son pays et à la France; mais i-n loiit cas, et la France même n'eûl-elie plus nul intérêt commun et nul rapport av«c

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sa voisine du nord, incontestable- ment utile au pays; tantôt, en con- seil de ministres ou dans ses con- versations avec le roi Louis, il lui déconseillait sa politique exclusive- ment au point de vue étroit de l'égoïsme hollandais. Il n'en était pas moins personnellement agréa- ble au roi et même au couple royal. A son grade de vice-amiral, il joignit la dignité de maréchal de Hollande. Quant fut créé Tordra de la Réunion, il en fut le premier nommé grand-croix. Il ne venait jamais trop au palais. Vers la fin de 1809, cependant, il dut donner sa démission de ministre, et, soit à titre de consolation, soit pour tout autre motif, il fut chargé de Tambassade de Paris. Les rensei- gnements qu'il put donner en per- sonne sur l'élat matériel et moral de la contrée qu'il venait de quit- ter ne furent sans doute pas sans influence sur les événements qui suivirent. Mais ce qui, sans con- tredit, contribua plus que tout le reste à les précipiter, ce fut l'attaque anglaise aux bouches de l'Escaut, connue sous le nom d'expédition de Walcheren. L'instant avait été choisi comme savent le choisir les Anglais avec autant d'astuce que de haine. Le successeur de Pitt avait commencé par resubvenlion- ncr le toujours besogneux, le tou- jours bilieux, le toujours malen- contreux et orgueilleux François II, par la grâce de Dieu ex-duc de Mi- lan, ex-maîire des Él;jt»-Véniiiens, ex-empprcur, de ce qu'on nommait encore en 1803 le Saint-Empire, le- quel bercé de sa chimère de deve- nir le chef de file d'une quatrième coalision , avait derechef jeté le gant au roi d'Italie; et Napoléon, forcé d'aller lui donner une (jua- trierae leçon au cœur de ses Ëtats

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héréditaires, était alors ^ plus de neuf cents kilomètres de sa capitale, à plus de mille des bouches de TEs- caut. Toujours, on le voit, la même manière d'opérer, à Timproviste, sans déclaration de guerre, et de se ménagerun débarcadère sur laterre d'ciutrui, comme Gibraltar, comme en <793TouIon, si la Convention les eût laissé faire ! Heureusement, au moment nous sommes arrivé, la décision d'esprit dont fit preuve immédiatement le duc d'Otrante, mit promptement un terme aux espérances d<^s ennemis deTEmpire. C'est à Bernadotte et à Verhuell qut, sau:, hésiter et avec ce coup d'œil qui jauge et dise 'rne les capacités, Fouché remit le soin de renvoyer les insulaires en leurs foyers et* de faire que l'histoire ne donnât à leur invasion d'autre nom que celui d'éihaiiffourée de Walcheren.Xo:is renvoyons à l'article Charles-Jean (dans la 2^ édit.) ceux qui seraient curieux de voir de quelle manière le béarnais se lira de la partie de sa lâche ; il ne doit être ici question que de Verhuell. Sa commission le nommait commandant de toutes les forces navales de la Zélande, de l'Escaut et de la Meuse, et le rele- vait provisoirement de ses lonc- lions d'ambassadeur. Transmettre immédiatement et même avant d'à voir quitté l'hôtel de l'ambassade des 01 dits préalables à tous les capitaines ou commandants ou chefs d'escadre, voler avt c la ra- pidité de l'edair à rexlrémilé septentrionale de l'Empire, at- teindre Anvers, puis Ilotterdam, planter son pavillon à boid du lioynl-HoUnndais do (pialr^-vingls canons, et, par une savante distri- bution de navire.-), soit le l(»ng du littoral, soit dans les nombreux ca- naux des deux Delta, fermer d'a-

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bord à l'ennemi l'accès des îles qui n'étaient encore que menacées et les mettre ^ couvert de toute sur- prise, puis faire passer les appré- hensions du côté des envahisseurs, les réduire presque ^ la possession de Walcheren, resserrer le cercle autour d'eux en les mettant k la veille d'être eux-mêmes enveloppés et bloqués, tels furent les moyens devant lesquels force fut aux An- glais de battre en retraite. Ils avaient à leur tête cependant un prince du sang, le duc d'York, comme les Autrichiens, sur deux points importants du théâtre de la guerre, avaient l'honneur d'être cora- mandéspar deux archiducs, le prince Jean et le prince Régnier. De part et d'aulrela masse des lauriers futégale et les altesses impériales se consolè- rent de leur déconvenue en sa- vourant la relation des triomphes de l'altesse britannique morale- ment fustigée plus que jamais valet de pied anglais ne le fut par le Horse-Whip. Ce qu'admirent sur- tout les juges compétente dans cette campagne de Verhuell, c'est que toutes les opérations à peu près furent celles d'un tacticien, d'un stratégiste, d'unorgaiiisdteur. C'est en quelque sorte sans coup férir que les frais débarqués se rembar- quèrent pour leur ile. Nai)Oléon, au relourde la campagne, que dé- noua Wa ram, témoigna toute sa s;^li..faclion à l'habile marin dont la modestie et la simplicité d«ns cette crise avaient égale la vigueur et l'aplomb. Dès que, pour évi- ter les malentendus et les tirail- lements auxcpiels avait donné lieu la trop complète identification du roi Louis aux méticuleuses ten- dances hollandaises, la Hollande eût été déclarée partie inlégrjule de l'Empire français, non-seule-

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ment il reconnut à Verhuell le li- tre de vice-amiral qu'il avait dans le ci-devant royaume, mais encore il le nomma commandant général de toutes les forces navales de l'Empire et dans la mer du Nord cl dans la Baltique depuis l'embou- chure de l'Emsjusqu'îi Dantzig. L'ac- tivité, la sûreté de coup d'ceil qu'il déploya dans l'inspection de ces pa- rages auraient porté bien d'autres fruits si l'Empire n'était tombé pré- maturément avant d'avoir doté l'Europe de toutes ces heureu- ses transformations les nationa- lités parvenues et aveugles s'ob- stinèrent à voir l'oppression de la conquête. G;s déploiements du gé- nie de la France ne demeurèrent pas sans résultat néanmoins. C'est sous l'œil et sur les plans de Ver- huell, importateur des idées nées aux Tuileries que ces ingrates villes de Brème, de Lubeck, de Hamboing ont vu naître les chan- tiers de construction, féconds ins- truments de toute haute prospérité pour le commerce maritime et dont jamais leurs administrations natio- nales n'avaient môme commencé à les doter. Ces belles créations, mieux jugées par le grand homme de Tilsilt que par ceux auxquels elles profitaient, valurent en 1812a leur auteur la dignité de grand of- ficier de l'Empire et le titre d'ins- pecteur-général des côtes de U mer du Nord. Bientôt après mou- rait le regrettable amiral Dewin- ler. Mais du moins nous fut-il per- mis dr; dire que le service naval de l'Empire ne perdit rien au change quand le commandement de l'es- cadre duTexcl passa aux n:ains de Verhuell, avec celui des flottilles échelonnées depuis les bouches de la Meuse jusqu'à œs lointains dé- parlements, bouches de l'Yssel et

bouches del'Ems! La tâche qui n'a- vait pas laissé d'être laborieuse pour Dewinler, pendant ces années rela- tivement pacifiques qui coururent de ia paix de Vienne à la retraite de Russie (1809-1812), devint bientôt des plus lourdes pour le successeur. Lorsque tant de trahisons succes- sives, dont celle des Saxons en pleine bataille ne fut que l'apogée et le couronnement, eurent amené la retraite des aigles françaises, Amsterdam leva la tête et se pro- nonça, plus marchande que cheva- leresque, contre un gouvernement qui ne satisfaisait pas comptant les vœux des débitants de denrées co- loniales, et, par ce déplorable en- couragement donné si vite aux coa- lisés, détermina le passage du Rhin du 31 décembre, par ces hordes si longtemps battues, si surprises en- core de leur triomphe de quatre contre un et qui comptaient ne nous envahir qu'au printemps. L'a- gonie de l'Empire commençait. C'est ici que nous devons de vifs éloges et une profonde reconnaissance à Ver- huell. Il fut fidèle au drapeau, il fut fidèle à la France. D'autres au mi- lieu de soldats dévoués jusqu'à la mort, ou lâchaient pied, ou trahis- saient; Verhuell, au milieu d'é- quipages désaffectionnés, ou fran- chement hostiles, tint bon. Tout son monde, moins quelques offi- ciers, voulait déserter à l'instant et aurait laissé sloops, corvettes, fré- gates, vai>seaux de guerre à la merci de l'ennemi. Après de sté- riles tentatives pour ramener la masse opiniâtre, sentant limpossi- bililé d'user de force, l'illustre ma- rin, par son ascendantpersonnelel par un appel chaleureux à ce qui restait, soit d honneur, soit de dé- férence et d'affection pour lui, soit plutôt de routines disciplinaires

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chez ces hommes exaltés, parvint du moins à les retenir jusqu'à ce qu'avec leur concours il eût fait rentrer tout ce qu'il avait de na- vires dans le Nieuw-Dsep et mis ainsi son escadre en sûreté. Ce but atteint, et la résolution daban- donner le grand Empire au nau- frage étant toujours la même chez les siens, il les congédia en forme, épargnant à ses compatriotes d'a- bord la délébile honte de trahir le drapeau, d'abandonner le général et de livrer un dépôt, puis le tort réel de rompre avec un gouverne- ment dont tout le tort était de voir de hrr.;i el de saisir des ensembles. Il s'orcupa ensuite de mettre en état de défense les forts qui proté- geaient l'entrée du port, asile (ie son escadre. L'un fut pourvu par ses soins de tout ce qui pouvait prolonger la défense, hommes et approvisionnements (c'était le fort Morland); il s'enferma dans l'autre (le fort Lasalle) avec l'équipage d'un vaisseau de haut bord français et toute la garnison française de Helder. Bie-ntùt paradèrent aux en- virons les navires britauniq;ies; bientôt vinrent les sommations de se rendre.... L'on ne se fit pas faute non plus d'autres tenta- tives,celles qiiô proverbiale. lient ou désigne par la périphrase « d'ar- guments irrésistibles. » La séduc- tion , nos lecteurs en sont con- vaincus k l'avance, n'eut pas sur lui plus de prise que l'intimidation. Albion ie sut bientôt inaccessible à toute séduction; et telle fut, à ce qu'il semble, la persuasion à cet égard, aidée par la furce des me- sures défensives qu'il avait prises, que les corps alliés chargés de cerner les forts renoncèrent à l'idée des embossages, après lesquels on eût lancé la bombe ou battu en

brèche, puis donné l'assaut, et qu'ils se bornèrent au blocus. Ce blocus fut long : les deux forts tenaient encore leurs portes fermées que Paris avait, non pas ouvert les siennes, mais été livré par ceux qui devaient le défendre, et que l'abdication de Fontainebleau avait frappé d'inopportunité toute ré- sistance indéfiniment prolongée. Pourtant, au commencement d'avril encore , Verhuell se refusait à capituler, seulement il consentait à quitter ses forts sur un ordre émanant de l'autorité française. Cet ordre vint enfin, signé de l'al- tesse royale, lieutenant général du royaume. Il accomplit donc, comme c'était son devoir et son habitude, un ordre du chef de l'État, il n'en passa pas par les ordres de l'é- tranger, il ne capitula pas. Pre- nant passage ensuite sur U!ie cor- vette f ançaise avec tout son état- major, il aborda au Havre , tandis que tous les autres défenseurs français, équipage de haut bord et garnison , regagnaient par terre la France. Louis XVIII, il faut ie dire, comprit ce que la conduite de Verhuell avait de digne et de no- ble : il lui témoigna sa considéra- tion et sa bienveillance ; il lui con- serva ses litres, son grade; charmé de le voir, quand définitivement la Hollande et la France allaient ap- partenir k deux dynasties différen- l€s, préférer à la patrie de naissance It patrie d'adoption. Non-seule- ment il lui lit délivrer les lettres de grande naturalisation, mais en- core, dès 18i.\ille comprit dans U chambre des pairs. Si Louis XVI II n'avait jamais marché que sur cette ligne de civilisation et d'im- partialité, si, comprenant ce que c'est que gouverner, il eût eu l'art de grouper autour de lui, de lier

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savamment à sa cause les forces vives et si bien disciplinées que lui laissait l'empire, forcés de suivre ses traces ou de s'en écarter peu, ses héritiers jouiraient de ses droits, et l'Europe ne les ap- pellerait pas les Stuarts de la France. Verhuell, à la chambre des pairs, se montra ce qu'il avait été pendant sa vie navale et politique, ce qu'il avait été comme homme (\e guerre et comme ambassadeur, consciencieux et courageux, ou- vert aux idées et antipathique aux excès, patriote et calme. Il vota, sans système à toute outrance, pour chaque mesure libérale, et i! fit partie de cette noble opposition de la chambre haute sous Charles X, opposition qui retarda de quelques années le iies irie, dies illa de la branche aînée, opposition qui l'eût sauvée si la Camarilla n'eût eu des oreilles pour ne point entendre et des yeux pour ne point voir. Il fut souvent, ou plutôt il fut toujours consulté utilement dans les com- missions relatives, soit k l'organisa- tion, soit à la comj)t;ibi!ilé de la marine. Il assistait très-régulière- ment à la chambre maigre son âge ; et ce ne fut que lorsqu'il allait de- venir octogénaire qu'il adressa i ses collègues des demandes de con- gés un peu longi. Aux travaux poli- tiques de la chambre, il joignait comme disliaclion divers patro- nages de sociétés ou d'oeuvres utiles. Chrétien fervent et con- ^ain(•u, mais non catholique (s'il avait renoncé à la patrie, il n'avait pas répudié la foi de ses pères), il fut un des fondateurs de la société prolesl;<nte des missions chez les peuples non chrétiens. Sa mort eut liru le 25 octobre ISi'i au bout de quelques jours de maladie. Si;s obsèques furent simples, il l'avait

formellement ordonné par testa- ment, simples et touchantes... :nul appareil, soit militaire, soit civil, quelques amis parmi lesquels des frères d'armes, des sommités intel- lectuelles et administratives et plu- sieurs des ministres de sa religion, qui chacun se firent un devoir de jeter sur cette tombe vénérée des éloges qui, contrairement à ceux de tanld'oraisons funèbres, avaientleur écho dans tous les cœurs. M. Pelet de la Lozère en prononça une autre à la chambre des pairs. Val. P.

VERnULST ( Philippe- LoDis), tils d'un médecin de Gand, naquit en celte ville à la lin duxvii* siècle ou au commencement du siècle sui- vant. Il embrassa l'état ecclésiasti- que, mais ne fut point, croyons- nous, promu au sacerdoce. Doué d'une mémoire heureuse et appli- qué au travail, il acquit une érudi- tion variée qui engageait un de ses confrères et collaborateurs, le fa- meux janséniste Leiiros (voyez Le- GRos, t. xxni, p. 586) à l'appeler une bibliothèque vivante. Jeune en- core, il fut placé à la tête d'un nou- veau collège fondé dans la ville de Disth en Hrabant. Son opposition à la bulle Vnigenilus lui lit perdre cet emploi. Il se retira à Louvain, il se livra à l'étude. Mais toujours dominé par ^on affection pour le jansénisme, dont il devint un des plus ardents zélateur s dans ces con- trées, il se lia intimement avec deux hommes célèbres dans le parti, Opstraét et Van Espen (voyez ces noms, xxxn, 38 et xm, 321) et publia de concert avec eux une partie de ses écrits. Il avait les pré- ventions les plus vives contre les jésuites. Eu l'année 1729, sans y être obligé à ce (pi'il par.iit, et uni- quement par enthousiasme, il signa avec neuf autres Louvanistes une

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déclaration sur la bulle Vnigenitus et sur le formulaire, déclaration équivalente à un acte d'appel ; et, la même année, il s'était retiré en Hollande, ainsi que plusieurs mem- bres de l'Université de Louvain et du clergé des Pays-Bas. On lui donna, au séminaire d'Amersfort, la place de profesbeur de théologie, qu'il occupa avec zèle pendant plus de vingt ans; et, pendant quelques années, il l'exerça conjointement avec l'abbé Legros. H ne discon- tinuait pas néanmoins ses composi- tions, et ses travaux littéraires épui- sèrent sa santé, il mourut dans cet emploi au mois de mai 1753, disent Richard et Moreri, mais au mois d'a\ril, disent les Nouvelles ecclé- siastiques, que nous croyons mieux inlormees. Dès 1711, il avait com- mencé à écrire, exerçant sa plume surtout contre les jésuites; et, pen- dant quarante ans, il n'a cessé de soutenir sa polémique théologique et littéraire, il a donc putlié : Inipostura et errores jesuitarum. Lovanieiisium contra IV thèses PP. Martin et Leonardi Grisven, anno 1711. C'est un iii-4' de quatre pages seulement. Ces IhèbCs furent cen- surées par M. de Coriache, grand- vicaire de Maiiiids, sede vacante. Grivenius mate defensus ab crro- rïbus et impostura, etc., 1712. Ca- hier de 10 pages hi-4'. ;J" La Vérité qui se plaint du relâchement des jé- suites, ni3. Cit ouvrage est en Ûa- mand. La chaire déshonorée, eic, 1714; ausbi en llamaiid. 5" Epistolœ

doctoruni , eloqucntiuni viro-

runi, ad varia viembra et supposita facuttalis Coloniensis^ 17 il». G' Lin écrit contre le docteur Delvaux (de- puis évèque d'YprcN), au sujet d'une harangue, etc., en Uamaiid. 7" Traduction llamandedUiNouveau Testament, imprimée ù Gand en

1717. Verhulst y a eu la part prin- cipale. S^ Avertissement touchant les prétendus avis salutaires à MM. les protestants et délibérants avec un avis aux censeurs et un aux jésuites, 1719, in-4" de 8 pages. 9^ Lettre aux RR. PP. jésuites de Flandre au su- jet d'un feuillet qui a pour titre :

POKTRAIT DU JANSÉNISTE. 10" De aUC-

toritate Romani Pontificis disser- taiio tripartila, 1719. 11' Deman- des proposées à A/. Jean-Baptiste DeSmet, etc., 1719-1720, en Oa- mand. 12" Réponse d'un juriscon- sulte des Pays-Bas à un avocat de Paris, au sujet de quelques calomnies avancées par M. Govarli, vicaire apostolique de Bois-le-Duc et par M. le cardinal de Bissy contre M. Van Copen, docteur en droit, à Louvain, ni4, in-4'de 35 pages. 13' Lettre à un avocat, etc., ou Remontrances à M. D. B. D. et Th., à l'occasion de la visite de l abbaye de Ulierbeeck en 1725, in-4°. 14° Échantillon des fautes renfermées dans le livre du P. Dujardin, 1724, 2' edil. augmen- tée en 1725, en flamand. 15" Con- futatio orationis de dugmatica buUa IJNjGEMTus, habita 24 auyusti, per Hermannum Damen, S. T. doctorem, etc., juin 1725, in-4° de 39 pages. 16' ^Quinque Epistolai) De cunse- cralione urchiepiscopi lUrajectensis, etc., ab uno episcopo, adversùs doc- torem Damen, 1725-1720, in-4' de 64 pages. 17° Consideratiunes ad epistotam sextam D. lioyinek Van Papendreyt, etc., 1730, lévrier 473i. 18" Prœfatio ad Acia quidam Eccle-

SliE CLlRAJE(.TENSlS,elC., 1737.19^1^5

fondements solides de la loi catholi- que touciianl le i:iaint-Sac renient de L'autel, en irois parties, 6 vol, in-12, publies en 1739-1741, en flamanu, sous le pseudonyme de Zeelandcr. 20" Lettres de M. Vlamng contre Picrman, avec une longue préface,

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1739, 1740, nil,3 vol. in-12. On y traite du Formulaire, de la Cons- titution ijnigenitus, et des droits de l'Eglise catholique d'UlreclU.21'' fie- flexions sur les maximes de Salomon, 4732, en flamand. 22° Traité sur le titre d'évêque universel, 1752, en flamand. 23" Expostulatis super edicto Academiœ Lovaniensis, dato 20décemb. 1730, février < 731, iu-4". Presque tous ces ouvrages ne sont que des élucubrations du cerveau janséniste de Verhuist; mais il faut en excepter les six volumes indiqués sous le n" 19. Celle œuvre a été com- posée contre Van-Den-Iionerl(l),et elle parut si solide, même aux pro- testants, qu'ils furent contraints d'avouer que Verhuist avait trop terrassé son adversaire. Verhuist a en outre fourni en diflerents temps divers Mémoires pour la défense de l'Eglise janséniste d'Ulrecht. 11 a eu la pari principale aux ouvrages de Vander-Cioon, imprimés en 1737, sous le tiire de Acta quœdam eccle- siœ UltrajectensiSy etc. On trouve la liste des ouvrages de Verhuist dans les Mémoires historiques sur l'affaire de la bulle Unigenitus dans les Pays-Bas autrichiens, etc., et lui-même a obtenu l'honneur bien mérité d'un article spécial dans le Supplément au nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité, publié par l'abbé Cerveau.

B.— U— E. VEilWA (Jean - Marie - Victor - Dauphin de), premier adjoint muni- cipal de la ville de Lyon, député du Rhône, naquit d'uni* famille noble et ancienne du Dauphiné au châ-

(1) Van-ben-Uonert était un fameux miDi^lre protestant de Leyde, proba- blemeDt de la famille des llonert, dont il est parlé daos la biographie imi- versellCf t. xx, p. bili.

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teau de Verna, le 28 juin 1775^ Il sortit honorablement à. dix-sept ans de l'Ecole royale de marine, et lit, en qualité d'élève, le voyage de Constantinople. iMais la révolution de 1789 vint l'arrêter au début même de sa carrière ; il rentra dans ses foyers jusqu'au moment le général de Précy, appelé par les Lyonnais pour organiser leur ré- sistance contre la Convention, s'a- dressa au dévouement de tous ceux qui aspiraient ù secouer le joug ty- rannique et sanguinaire de cette assemblée. Le jeune de Verna avait eu la douleur de voir son père im- molé par le tribunal révolution- naire, et l'extrême générosité d'in- tercéder avec succès pour son dé- nonciateur, menacé d un sort sem- blable. 11 ne fut pas des derniers à répondre à l'appel de Précy ; il ser- vit avec honneur dans l'arlillerie lyonnaise, et, demeuré prisonnier des assiégeants, fut assez heureux pour être sauvé par un ollicier ré- publicain dont il était personnelle- ment connu. Après le siige de Lyon, Verna, fugitif et proscrit, chercha un asile dans l'armée des Alpes il remplit pendant quelque temps les fonctions d'aide-medecin. 11 quitta la vie des camps lors du ré- tablissement momentané de la paix, et épousa en 1806 mademoiselle Ferrusde Vandranges, sa cousine, dont le père avait péri comme le sien sous la hache révolutionnaire. Pendant vingt ans, Verna partagea sa vie entre ses devoirs de famille, les douceurs de l'étude et la prati- que des bonnes œuvres, qui en con- sumait la plus grande portion. Rien n'égalait, à cet égard, la constance de son zèle, si ce n'est l'intelligence et la délicatesse avec lesquelles il l'exerçait, mêlant toujours des con- solations religieuses aux distribu-

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lions inépuisables de sa charité, et non moins occupé de l'âme que du corps. Des vertus aussi éminentes, unies à une instruction solide et variée, fixèrent sur lui l'attention un peu tardive des dépositaires du pouvoir. En 1826, il fut nommé aux fonctions de premier adjoint de la mairie de Lyon, et se vit souvent appelé à diriger l'admiiiistration municipale en l'absence du maire, M. de Lacroix-Laval, que retenaient à Paris ses devoirs de député. C'est à son initiative ou à son concours que la classe ouvrière fut en grande partie redevable des établissements du Dispensaire, de la Solitude de Sainte-Madeleine, des Sourds-et- Muets, des Frères des Ecoles chré- tiennes, de l'œuvre de Saint-Fran- çois Régis, etc. Deux ans plus tard, ses concitoyens, qui avaient appré- cié le mérite de ses services, le dé- putèrent à la Chambre à une forte majorité. Verna prit une part ac- tive aux travaux législatifs; mais, naturellement timide et plein de déliance de lui-même, il monta ra- rement à la tribune, et ne parla guère que sur les questions lin- dustric nationale était intéressée. En rapportant une pétition par laquelle une dame dénuée de res- sources sollicitait de l'Etat une in- demnité au nom de son père, fon- dateur d'un établissement d'horlo- gerie dans la ville de Resançon, Verna s'exprimait ainsi : « Il résulte de cette deinande deux faits égale- ment certains : la prospérité d'une branche de commeriL* national par le père de la dame Clermoni, la gène et le malaise de la lille du fonda- teur. Il est digne de nous, Mei- sieurs, de faire cesser ce contraste afQigeaul qui blesse en quelque sorte l'honneur national; il est d'ailleurs avantageux pour le pays

d'accorder des encouragements aux hommes intelligents qui importent en France une industrie nouvelle.» Ces judicieuses conclusions furent couronnées de succès. Lors de la discussion du projet de loi sur la dotation de la pairie, Verna déve- loppa un amendement qui avait pour but de mettre à la disposition du roi, pour être transmise jusqu'à concurrence de 13,000 francs par an, au pair dont la fortune serait insufflsante, la pension qu'un suc- cesseur à la pairie n'aurait pas ré- clamée, ou dont il n'aurait pas de- mandé la transmission dans les six mois : « Je voudrais, dit-il à cette occasion, que, semblable à l'astre qui servait d'emblème au grand roi son aieul, sa lumière éclatante vint se réfléchir sur ceux qui l'en- tourent. Ce n'est pas assez pour moi d'adopter cette maxime de no- tre gouvernement constitutionnel : Tout bien vient dwroi, je veux encore que le bien lui soit possible. » L'a- mendement de Verna ne fut point accueilli. Ce digne mandataire s'était prononcé tropouvertementen faveur de ia prérogative royale pour être compris dans la réélection gé- nérale de 1830.— Le gouvernement de Charles X répondit à l'Adresse des 221 par le coup d'Etat du 25 juil- let, qui convertit en une crise re- doutable une situation dont la lan- gueur et les incertitudes préoccu- paient depuis longtemps tous les esprits. Verna remplissait alors les fonctions de maire de Lyon en l'absence de M. de L;icroix Laval. Son caractère aussi ferme que bien- veillanib'honora par lexempled'un courage civil rare à une époque où, déconcerte par la formidable tem- pête qu'il venait de déchaîner, le pouvoir, muet et immobile, semblait avoir abdique toute direction sur

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ses propres agents. La première nouvelle des mouvements de la capitale excita à Lyon une vive et menaçante fermentation. Le 31 juillet, le préfet et les autori- tés militaires se réunirent à l'Hô- tel-Ue-Ville atin de concerter les mesures les plus propres à combat- tre Tinsurreclion qui se préparait. Un des chefs de la garde nationale qu'elle avait improvisée vint som- mer le conseil de reconnaître le corps insurrectionnel rassemiblé sur le quai de Retz, et d'admettre qua- rante hommes de cette garde à par- tager avec la ligne le service de l'hôtel -de -ville. Varna repoussa hautement cette sommation, et dé- clara quil ne consentirait à la reu- nion d'une garde nationale orga- nisée par le préfet qu'après la dis- persion immédiate du bataillon insurrectionnel. Le préfet, long- temps indécis, consentit à l'admis- sion demandée, moyennant le li- cenciement de ce corps. Le négo- ciateur de la sédition se présenta à la tête des quarante hommes cou- venus, mais il trouva, k sa grande surprise, les portes de l'hôtel fer- mées. Introduit seul, il se plaignit vivement de l'iiitidélité du pretet; et, posant sa montre sur la table, autour de laquelle étaient groupées les autorités, il déclara que. si dans une demi-heure la porte n'était pas ouverte à sa compai^nic, sos amis s'empareraient de vive force de l'hôtel. Le général Rouget, qui com- mandait le département (1), lui ré- pondit avec beaucoup de fermeté; Verna l'exhorta a se retirer, et le préfet remit au commandant divi- sionnaire l'autorisation de repous-

(1) Ce général était le frère de 1' teur Ue la MametUaise.

au-

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ser la force par la force. Un conflit paraissait imminent, mais il fut dé- tourné par la défection d'un régi- ment de chasseurs, dont la fidélité avait été ébranlée par ces tergiver- sations et ces conférences. Les qua- rante insurgés furent introduits; ils justifièrent les détiances de l'au- torité en soumettant tous les actes de l'administration à une surveil- lance rigoureuse et en s'attribuant presqu'exclusivement l'exercice de la police locale. Dans la nuit arriva de Paris au commandant de la di- vision l'ordre de faire prendre aux troupes la cocarde tricolore et de reconnaître le duc d'Orléans comme lieutenant général du royaume. Celte circonstance encouragea le parti insurrectionnel à s'emparer ouvertement de l'administration. Une commission, représentée par le docteur Prunelle, vint demander au premier adjoint un local à l'hôtel-de-ville pour y tenir ses séances. « Les circonstances sont pressantes, dit M. Prunelle d'une voix altérée , les autorités de Charies X n'inspirent plus de con- fiance au peuple; il peut se porter ii tous les excès, nous venons nous interposer entre vous et lui. Je ne sais, répondit Verna avec calme, si j'ai perdu la confiance du peuple; ce que je sais, c'est que rien ne pourra me déterminer k aban- donner ni môme à partager l'auto- rité que je tiens du roi... Si vous pouviez lire dans mon cœur, vous verriez que je suis prêt adonner ma vie pour sauver la ville des mal- heurs dont elle est menacée. Comme individus, je vous engage à user de toute votre influence pour pré- venir des désordres dont nous se- rions tous les victimes; mais, ne vous reconnaissant pas comme corps légalement constitué, je ne

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puis accéder à votre demande. » Ce langage, si courageux en pré- sence des événements accomplis, imposa aux délégués de la com- raission, l'autorité de Verna fut respectée, et la garde nationale, réunie déjà au nombre de près de deux mille hommes, retourna pai- siblement sur la place d'armes. Le lendemain, la commission renou- vela ses instances. Verna crut devoir, en considération des désor- dres qui menaçaient la ville, con- céder le local demandé, mais sous la double condition que ce comité ne s'occuperai-t que de Torganisa- lion de la garde nationale et que le drapeau blanc ne cesserait pas de flotter sur Ihôtel de ville. Comme la multitude, animée par le succès général de l'insurrection, commen- çait à détruire les emblèmes de la royauté, le vigilant m^igistrat prit la précaution de serrer avec soin les clefs du beffroi sur lequel ils étaient déployés. Mais les chefsmili- taires, perdant tout espoir de con- server Lyon à l'autorité du roi, et déjà taxés de retard par le nou- veau gouvernement, se décidèrent h arborer les couleurs de la révo- lution. Cette soumission entraîna la retraite de Verna; mais il ne quitta l'hôtel de ville qu'après atoir signé une énergique protestation contre la violence de celte substi- tution, et emporta enserelirantrcs- time et le respect des adversaires mêmes auxquels il avait opposé une si persistante lidélité. « Attaché consciencieusement, dit une rela- tion révolutionnaire du tem|)s, aux principes et aux chois du gouver- nement qui succombait , il s'ef- força de les défendre avec tout le zèle et le dévouement d'un homme d'honneur, et sans l'arrière-pensée d'obtenir le pardon ou la faveur du

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gouvernement qui allait lui succé- der. Une pareille conduite et de tels sentiments sont trop rares de la part des hommes de la congré- gation pour ne pas mériter l'appro- bation de ceux mêmes qui les ont combattus (1). » L'injurieuse apos- tille qui termine cette citation était un hommage involontaire à la vertu des principes qui avaient ins- piré Verna dans cette circonstance capitale de sa vie. Homme de de- voir parce qu'il était homme de foi, il portait une de ces consciences dont la pureté peut toujours af- fronter sans trouble l'épreuve du passage suprême. Que pouvaient sur une âme ainsi préparée les vo- ciférations de l'émeute et les me- naces de la Révolution? La mo- deste sérénité du vaincu défiait le bruyant orgueil des vainqueurs. Complétons par un rapprochement cet intéressant épisode de nos ré- volutions contemporaines. Quel- ques mois plus lard, ce môme docteur Prunelle, organe de la sé- dition de juillet, assailli à son tour dans cet hôtel de ville d'où il avait banni le maire de Charles X, se voyait réduit à disputer sa vie à une populace ameutée, et l'insurrection lyonnaise de 1830 devait servir de préface aux sanglantes colli>ions de 1831, de 1834, de I8i9! —Éloi- gné des fonctions publiques, Victor de Verna se dévoua avec une nou- velle ardeur aux actes de bienfai- sance dont l'exercice avait rendu son nom si recommandablo aux classes indigentes, et déploya un zèle en quel(iue sorte apostolique dans la dillusion des doctrines |)ropres à combattre, dans tous les

(l) Une semaine de révolution, ou L<jon en 1830, par M. Murn.nul.

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rangs de l'ordre social, les débor- denientvS de la licence et de l'im- piété. L'admirable société de la Propagation de la Foi destinée à faire pénétrer les lumières et les bienfaits d\\ christianisme dans les contrées les plus reculées de l'uni- vers, dut à son zèle et h ses con- seils des perfectionnements salu- taires, et Lyon ne compte aucune institution charitable il n'ait laissé des traces intelligentes et durables de sa coopération. La bienfaisance et la loyauté du carac- tère de Vema ne le mirent point à l'abri des suspicions ombrageuses de la police, lors de l'agitation que produisit en 1832 le débarque- ment delà duchesse de Berry. Une perquisition eut lieu dans son do- micile; mais cette stérile épreuve tourna à la confusion de l'autorité qui l'avait ordonnée, et souleva une réprobation générale. Ce pieux citoyen, peu fait pour le siècle il vécut, s'éteignit le 17 juin 1841, après avoir béni ses nombreux en- fants, et reçu quelques jours avant, de l'un d'eux, récemment ordonné prêtre, le sacrement de la ( ommu- nion. La population entière assista à ses obsèques par des représen- tants tirés de tous les rangs de la société. Toutes les préoccuj)ations, toutes les divisions furent un ins- tant suspendues dans un sentiment universel de douleur et de respect; « le peuple en foule s'était porté au-devant du cortège, et, par ses larmes, témoignait de sa vénéra- lion et de sa reconnaissance pour celui qui avait été le bienfaiteur do tant de malheureux (1). » Victor de Vema, cultivait avec un goût éclaire les arts ei les lettres, et

(1) Notice biographique, par M. Hcz.

possédait, dans son château de Chaintré, près de Màcon, une col- lection curieuse de livres et de ma- nuscrits du w siècle et de meu- bles d'une haute antiquité. Le musée et le cabinet d'hiatoire naturelle de Lyon furent redevables à son crédit momentané de plusieurs ac- quisitions importantes. Il avait reçu de Charles X la croix de la Légion d'honneur, et le pape Gré- goire XVI avait récompensé par la décoration de Saint-Grégoire son zèle pour les missions étrangères. Parmi les productions consacrée» k la mémoire de ce grand homme de bien, nous citerons la Notice l/'iographique publiée li l'époque de sa mort par iM. l'abbé Bez, cha- noine de Sainl-Dié (Lyon 1841), et l'article inséré dans la Revue géné- rale de Pâscallet, par M. H. de Lestrées, Paris, avril 184G.

A. B ÉET.

VERINEÏLII DEPUYRASEAU

(le baron Charles-Joseph de) homme politique et historien, était de no- blesse périgourdine et naquit aux environsdeNontron.il titdeboimes éludes humanitaires, suivit ensuite des cours de droit, prit ses grades, mais ne se fit pas inscrire au ta- bleau des avocats et se passa de stage : il voulait sans doute passer d'emblée magistrat. Survint, hélas! la révolution qui d'un coup balayasé- néchaussces et parlements, lise con- tenta d'être maire de sa commune, d'abord, puis de devenir membre du conseil général de son déparle- ment (la Dordogne). Les relations qu'il eut occasion de nouer en va- quant h ses nouvelles fonctions lui procurèrent bientôt après la prési- dence du tribunal de Nontron. Il avait, on le voit, de très-bonne grAce pris son parti de l'ordre de choses qui commençait à s'installer

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enFranee. Aussi, quand approchè- rent les élections pour l'assemblée législative destinée à remplacer la constituante, se mit-il sur les rangs pour la députation. 11 fut un des élus, et alla s'asseoirsur les bancs de la droite, où, du reste, il ne fit pas parier de lui. La modération était le fond de son caractère : il ne re- présentait pas le royalisme rétro- grade, mais il appuyait d'un vote loyal la constitution, y compris la royauté. On devine aisément qu'il ne fiicura pas dans la convention : évidemment, en septembre 1792, il n'aurait pas trouvé ce qu'il lui fal- lait de suffrages pour continuer de représenter ses concitoyens, mais il ne les mendia pas non plus. 11 se hâta de se retirer en sa com- mune; et mettant de plus en plus en pratique la devise du sage, hene qui laliiit^ hene vïxH^ il traversa sans encombre la période delà Terreur. Lorsque le simoun eut passé, il re- leva la tète et alla remplir k Bus- sières-Badis l'office de juge de paix, lequel ne fut pour lui qu'un intérim, car dès les premiers jours du Directoire nous le retrouvons h Paris même, au ministère de l'inté- rieur, chargé d'un bureau spécial. Bientôt après, ilsiégeen qualité de haut-juré à la haute cour de Ven- dôme chargé de juger Babeuf. La capacité, la fermeté, le tact dont il fit preuve en cette affaire lui furent comptés par le gouvernement, qui le revêtit en 1799 d'une présidence plus en vue que celle de Nou- tron, la présidt;nce du tribunal civil du chef-lieu de la Dordo- gne. Cette preuve d'estime du Di- recloire ne lui fut pas nuisible au- près de Tauleur du 18 brumaire. Loin de là, dès 1800 le premier consul le fit prcIVtde la Corrèze, et, reconnaissant en lui le talent de

l'organisateur en même temps que l'aptitude et l'habitude adminis- trative, dès que la Savoie devint, sousle nom de départementdu Mont- Blanc, partie intégrante de la Ré- publique française, c'est Vcrneilh de Puyraseau qui, nommé préfet de la récente acquisition, alla la régir et l'initier aux institutions françaises, dont jamais, même aux jours de Téclipse de notre puis- sance, les fruits n'ont été stéri- les et les traces inaperçues en pays qui fut à nous. 11 y resta sept ans de suite, et plus bas il sera dit de quelle manière notamment il mit «on séjour à profit. En 1809 il retournait à Nontron pour y prési- der le collège électoral de cette ville. Ses concitoyens le renommè- rent, comme en 1791, leur repré- sentant législatif. Investi de nou- veau de ce mandat qui conférait si peu de puissance réelle alors, il ne fit, dans la docile et muette assemblée, tant que persistèrent les prospérités impériales, ni moins, ni plus que ses collègues. Mais quand la fortune abandonna nos drapeaux, moins tenace optimiste que d'autres, sans être traître, il se rangea des premiers du côté de ces politiques dont le peu do foi dans l'éloile de l'Empire n'an- nonçait pas un dévouement j^i toute outrance : il vota pour l'im- pression, pour la publicité du rap- portun peu tiède, un peu sombre, un peu louche, présiiité par Laiué à la commission extraordinaire. On sait la suite. La Restauration ne trouva diDUc pas en Verneilhde Puyraseau, un eimemi, au contraire, mais son royalisme n'était pas l'enthousiasme brùlautde ceux qui venaient, après vingt-quatre ans d'absence, con- danmer en bloc, comme illégi- time, tout ce qui s'était fait eu leur

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absence. Il n'avait, lui, ni émi- gré ni coiffé le bonnet rouge; il n'avait jamais boudé 1rs régi- mes réguliers et calnjes : consul ou empereur, le grand homme l'avait toujours trouvé prompt h le comprendre et à le ser- vir. Choisi derechef par les élec- teurs de >'ontron pour siéger à la Chambre des députés, Verneilh de Puyraseau s'y montra, plus peut- être que ne l'eût voulu, soit l'une, soit l'autre des deux opinions qui divisaient alors la France, l'homme de la conciliation et des tempéraments. Selon les pané- gyristes et champions de l'an- cien régime, il fallait ne pas per- dre un instant pour décréter l'an- nulation en principe de toutes les ventes de biens nationaux, et le gouvernement de Louis XVIII dé- sertait sa mission et trahissait sa faiblesse en se contentant d'offrir au vole de la Chambre un projet qui n'accordait aux émigrés que la restitution des biens non vendus. Verneilh de Puyraseau, après avoir discuté les diverses dispositions du projel(28 octobre;, demandaqu'aux anciens propriélnires revinssent en- core, outre les immeubles inven- dus, les biens cédés soit à la caisse d'amortissement, soit aux hospices, mais que, moyennant ces retours, il AU bien entendu, il fût bien stipulé, pour tranquilliser à l'avenir les dé- tenteurs des biens nationaux, qu'à partir de ce moment nulle récla- jiation ne serait admise, nulle pos- liôf.'^" «léserait attaquée. La même celui''" 'e vit encore à diverses fois tant (^*^ .''* Parole. Ainsi, le 2isep- dc Ve^' '' ^'"^'^ '^*'^ remarques fort éclairé'^^^^"'''^P''oJet de loi relatif jturalisatiod : ainsi, le 27 dé-

re, il défendit un amendement

e la commission au projet de loi

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sur la Cour de cassation. Dans l'une et l'autre occavsion, l'on peut dire qu'il se montra sinon brillant ora- teur (ce n'eût pas été le cas d'ail- leurs), du moinsjuriste délié, sagace et plein d'expérience. Il faut croire qu'à l'œuvre les amés et féaux des Bourbons lui semblèrent de bien chétifs ouvriers, car lors des cent jours il ne balança point à se por- ter sur les rangs pour la Chambre dont la session s'ouvrit en mai. Il s'y distingua, ainsi que toujours, par sa modération. Le 30 juin, donc quinze jours après Waterloo, il prit la défense de Malleville atta- qué par Gareau. La seconde chute de Napoléon consommée, et en ce moment l'exaspération des légi- timistes triomphants laissait présa- ger !a Chambre introuvable, il ju- gea peu prudent et fort inutile d'aller poser sa candidature de- vant des électeurs de la Dor- doghe; et il profita des loisirs que lui faisait la tension des partis pour se livrer ii des travaux de cabinet qui le consolaient du présent par la contemplation plus approfondie du passé. L'ordonnance du 5 sep- tembre vint changer la face de l'horizon politique. Le28aoùtl819, l'ancien préfet de la Corrèze et du Mont-Blanc, le collaborateur des législatures de 1790, de 1810-1813 et 4815 présidait le collège électo- ral de Dordognc, ce qui, comme à l'époque impériale, impliquait, de la part du gouvernement, une faveur avouée pour la candidature du prési- dent. Du reste, il n'eut besoin, près des électeursà 300 francs, d'aucune manœuvre pour voir sortir son nom de l'urne électorale, il en sortit d'emblée; c'élaientd'anciennescon- naissances qui votaient, et l'on ne faisait que revenir à des habitudes prises, et, ajoutons-le sur-le-champ,

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prises une fois pour toutes. En ef- fet, il fit partie de toutes les légis- latures suivantes sous Louis XVIII sous Charles X, et on le revit môme sous Louis-Philippe, dont il faut avouer d'ailleurs que les allures et la ligne politique étaient bien plus selon son cœur. Les siennes furent un peu embarrassées dans le com- mencement (1819, etc.}, et il ne satisfit pleinement aucun des par- tis extrêmes : la gauche ne pou- vait avoir très-haute confiance en celui qui se prononçait en prin- cipe pour le système électoral con- çu en haine du 5 septembre et arraché au ministère que chaque jour débordaient un peu davan- tage les torys du Conservateur; en revanche, la droite, peu charmée déjù qu'il eût voté contre les deux lois d'exception, fut bien autrement scandalisée qu'il se ralliAt à l'amen- dement Boin qui maintenait en partie l'élection directe. 11 n'échappa donc, pas à l'injure de celte quali- fication alors prodiguée par les absolutistes pur sang, c'est un mi- nistériel. La preuve pourtant que son entente d'alors avec les minis- tres n'était rien moins que ser- vile, c'est qu'il fut de moins en moins ministériel, à mesure que les amis du comte d'Artois et les membres du gouvernement occulte prirent le haut du pavé. Sous Charles X, il tut dans les rangs de l'opposition, excepté pendant l'in- terrègne Marlignac. Son nom fi- gure sur la liste des deux cent vingt- un. Nous avons tu plus haut qu'il siégea pareillement sous Louis-Philippe. Il fui de ceux qui lui décernèrent la couronne per- due, k la suite des ordonnances, par la branche ainée ; et, comme on le pressent de reste, il vola constam- ment avec le parti conservateur.

Ce n'était que rester fidèle aux fer- mes convictions de toute sa vie. Sa mort eut lieu en 1839. Voici la liste des ouvrages sortis de sa plume et dont les titres suffiraient seuls à mettre en relief la variété de ses connaissances et la sou- plesse de son esprit , très-orné, très-lettré , quoique ne sacrifiant qu'au solide et à l'utile. L Projet de Code rural, revu et augmenté d'après ks observations des commissions con- sultatives. Paris, 1814 in -4". Nous n'avons pas besoin d'insister sur l'importance dont serait pour notre pays la codification ccmplète de toutes les dispositions qui régissent les campagnes. C'est à l'heure même nous écrivons, une des préoccupations majeures du Chef du gouvernement, et le Conseil d'État a reçu mission spéciale d'é- laborer ce travail législatif qui fut une des idées de Napoléon P' avant d'être celle de Napoléon IIL Ce n'est pas un médiocre honneur pour Verneilh de Puyraseau de s'être voué pieusement à la réalisation d'un des projets du grand homme et d'avoir préparé des éléments à ceuxauxquelsilest réservé de com- pléter l'œuvre. IL Statistique du dé- partement du Mont-Blanc, Paris, 1809, in-4', 573 pages. Des deux cents statistiques départementales, publiées la plupart h l'instigation de circulaires impériales et qui parurent en divers formats, celle du Mont-Blanc était, suivant les amis de Verneilh, la meilleure ; les juges compétents n'hésileront pas à la certifier une des meilleures; c'était une des plus ardues îi con- struire, vu la multitude des détails topographiques. On comprend assez que l'honneur ne saurait en reve- nir à Verneilh seul ; mais il pro- voqua, il dirigea, il coordonna les

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recheiohes. Il lui fallut Ue plus re- chercher nombre de docunients anciens, explorer des archives, tra- duire ou faire traduire. Enfin c'est lui qui méthodisa, qui rédigea tout. De là, en somme, un ouvrage net, exact, riche en faits, en rensei- gnements, on résultats curieux, neuf lorsqu'il parut, presque neuf en- core de nos jours, surtout pour la France, et auquel la récente réan- nexion de la Savoie prête un inté- rêt tout particulier. III-IV. Deux ouvrages historiques, l'un et l'autre enfants d'une même idée, l'un et l'autre traitant, mais sous des faces différentes, le même sujet, celui qui tenait le plus au cœur de Ver- neilh, les destinées de sa patrie. Ce sont : V Histoire politique et sta- tistique de ï Aquitaine ou des pays compris entre la Loire et les Pyré- nées, VOcéan et les Cevennes, Paris, 1823-1827,3 vol., in-8^; 2'> Histoire de France, on l'Aquitaine depuis les Gaulois jusquà la fin du règne de Louis ,l'V7, Paris, 1843,3 vol., iu-S*», L'idée du second écrit ne laisse pas d'être piquante, quoique ap- partenant à la famille des puradoxes insoutenables; l'Aquitaine est seule au premier plan, le reste de la France reste sur le second; la France n'est en quelque sorte que l'Aquitaine ornée d'un certain coefficient. C'est trop girondin I mais cela réveille, et nous par- donnons... La Dordogne est si voisine de la Gironde. Quant h la précédente production, tirée en majeure partie de la grande Hist. du Laufjuedof- de dom Vaisselte, elle a été dépassée, partantéclipsée par Fauriel ; elle n'en reste pas moins une tentative et, on peut le dire hardiment, plus qu'une tentative, éminemment honoiable pour son auteur. V. Mém^jires historiques sur

la France et sur la révolution, de- puis la fjuerre de la Fronde^ jusqu'à la mort de Louis AT/, avec un supplément jusqu'à la restauration, Paris, 1831, in-8^ A toutes les phases de notre histoire Verneilli retrouvait la personnalité de sa chère Aquitaine. Nous ne par- lons pas de l'Aquitaine de Ca- ribert II et de Waïfre, de celle d'Assénor de Guyenne et du Prince Noir. Mais, sous la régence d'Anne de Médicis, c'est en Aquitaine que la princesse de Condé opère en armes sa diversion pour la déli- vrance de son époux ; sous la Con- vention, c'est de l'Aquitaine que Charles IV, es|)ère voir roi son cousin Louis XVII; en 18U, pres- que de nos jours, c'est de l'Aqui- taine que part le signal du retour des Bourbons et le dernier fait d'armes des braves de Napoléon ; le maire Lynch arbore les lis ii

Bordeaux, le 181i; Soult bal

encore Wellington, le 10 avril 1814 à Toulouse. Val. P.

VERiNKS (François), ou Vernesde Luze, lils du célèbre pasteur de ce nom (Uioiiraphie, t. xLvni, p. 238), qui, lui-même, descendait d'une fa- mille frani^aisc protestante sortie de France, à la suite de la révocation de redit de Nantes, naquit à Ge- nève le 10 janvier 1705, lit au collège de cette ville de bonnes études, ety remporta plusieurs prix. Il se voua de bonne heure à la culture des lettres, ci ne tarda pas à devenir un écrivain distingué. A une flexibilité d'esprit remarquable, Vernes joignait la profondeur du moraliste. Tous ses ouvrages sont empreints d'un désir sincère et persévérant de concourir au pro- grès de l'humanité et au dévelop- pement des saines doctrines reli- gieuses et philosophiques. A l'âge

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de 11 ans, il composa la fable du Coq et du Miroir, qui lui valut la faveur d'être présenté à Voltaire et d'en recevoir des encouragements. Le voya/jenr sentimental à Yverdou, qu'il publia à vingt ans, est l'ou- vrage qui a le plus contribué à sa réputation. Cet ouvrage, qui a eu plus de dix éditions, a été traduit en plusieurs langues. Laurent de Bruïelles lui a donné une place dans sa collection des classiques, et le comte Ro^derer, alors rédacteur du Journal rf^Prtns.a consacré dans ce journal nu long article ù cette production. Lié avec tous les amis de son père, Vernes, dans ses voyages à Paris, fut accueilli avec empressement par les personnages de la plus haute distinction. Le duc d'Albon, la duchesse d'Anvilie, le duc d'Aumont, l'abbé Delille, La- harpe, Raynouard, d'autres encore, lui ouvrirent leur salon. Aussi bien reçu à Coppet qu'à Paris, M. Neckerse fit un plaisir de l'at- tirer, il fut honoré de l'amitié de madame de Staël, chez laquelle il retrouva Charles de Sismondi, son parent, Catrufîo, le compositeur, Benjamin Constant, le poéleWerner, etc. Ses relations avec la baronne de Montaulieii, Jean-Baptiste Say, Etienne Dumont el Louis Simon, auteur du Voyaae d'un français en Awjleterrc, contribuèrent a étendre sa réputation. Vernes est mort à Verjoix prés Genève, le 6 avril 1834, laissant deux fils : l'un, M. Vernes (François), est le traducteur des Avis aux jeunes gens, de William Cobbet; l'autre, M. Vernes , Théo- dore), auteur de Saples et Ijs i\'a- poiilains,'à été élu en IHolJ, membre du consistoire de l'église réformée de Paris. M. le professeur M un icr, dans soQ rapport sur l'instruction publique dans le canton de Ge-

nève, a lu, le lo juin <83o, dans la cathédrale de Saint-Pierre, à la cérémonie des promotions, les lignes suivantes consacrées à la mémoire de Vernes : « Je ne puis « pas omettre de payer un t'ibut a à la mémou'e d'un de nos com- « patriotes, dont les ouvrages sont « moins connus el moins appréciés « chez nous qu'à l'étranger. Irai- « tateur heureux, dans sa jeunesse a du profond et spirituel Sterne, « M. Vernes, excita l'attention pu- ce bliqiie par son Voyageur seuii- « mental qui lui a attiré des cri- « tiques , mais des traits « piquants et originaux lui valurent '.( les encouragements de quelques « bonsjuges.il tourna plus tard « ses méditations sur des questions « d'un ordre élevé, et eut ii cœur « de les approfondir. Fermement « convaincu de bonne heure, et il « le devait sans doute à son habile « et respectable père, de la vérité « de la religion, et pénétré de l'im- « possibilité d'asseoir la morale et « la société sur aucune base plus a solide, il consacra ses veilles à « la démonstration de ces grands « théorèmes, et il a publié, dans (( les dernières années de sa vie, « trois ouvrages sur les rapports de « la morale et de la politique avec « la religion, qui sont des services « rendus à la cause qu'il avait em- u brassée. Ces ouvrages portent le « cachet d'un esprit qui se com- a plaisait dans les spéculations les « plus graves, d'un Ciouv ieli4,ieu\ a et siMisible, occupé du bonheur « de l'humaiiiié et avide d'y con- <( Iribuer. A tous ces titres, et dans « une époque les écrivains de « celte tendance sont rares, M . Ver- « nés n'a t-il pas droit à ce que « nous déposions sur sa tombe un a hommage et un regret? * Les

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ouvrages publiés par cet écrivain sont : 1" Eloge de Jacob Vernes, placé en tcte du 2' volume des Ser- mons. Lausanne, n92. 2" Adélaïde de Clarence, 2 vol. in-8o. 3" Almed, 3 vol. in- 12. Paris, 1815. Almed, ou le Sage dans Vadversité. Paris, 1816. Les Aveugles de Francon- ville, comédie en 1 acte et en prose. Paris, 1807. fi" Nouveaux Contes moraux en prose et en vers. Paiis, 2 vol. in-12. 7" La Création ou les premiers fastes de Vhomme et de la nature, poëme en six chants, 1 vol. in-18. Paris, 1804. 8" la Deicée ou Méditations nouvelles sur l'exis- tence et la nature de Dieu, sur ses perfecUons, ses œuvres et la desti- née de l'homme, suivie à'Elvina, tragédie chrétienne, 1 vol. in-S». Paris, 1823. 9" La Duchesse delà Valiière, tragédie eu 5 actes et en vers. Paris, 1807. 10° Etrennes à mes enfants, conseils moraux en vers, suivis d'un Théâtre de société,

2 vol. in-18. Paris, 1816. il« La Franciade, ou l'Ancienne France, poème en seize chants, 2 vol. in-18. Lauzanne, 1789. 12*^ L'Homme reli- gieux et moral, ou Exposition des principes et des sentiments les plus nécessaires au bonheur (1), 1 vol. in-8o. Paris, 1829. 13" Idamora, ou les Sauvages civilisés, 3 vol.in-i 2. Pai'is, 1827. U" Mathilde au mont Carmel, continuation de Mathilde de madame Cottin, 2 vol. iri-12 ou

3 vol. in-18. Paris, 1832. Une tra- duction en langue russe. 15« Sclin AdheloMatilda en et monte Carmelo, traduction par I). Manuel Antonio

(1) A l'époque de la publication de ce livre, un père de famille se présenta chezl'édit-iir en lui en demandant cinq exemplaires, et en ajoutant : < J'ai quatre enfants, et je veux que chacun d'eux ait ce livre entre les mains. »

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Gabat. P^ris, 1816, 2 vol. iii-18. 10° Odisco et Felicie, ou la Colonie des Florides. Paris, 1803, 2'^ édit., 1807. 17° Poésies fugitives, 1 vol. in-8°. Neuchatel, 1782. Autre édit. à Londres, Cazin, 1786. 18° Rose blanche. Princesse de Nemours, nou- velle historique, suivie de contes moraux, 2 vol. in-12. Paris, 1826. 19« Seymour, ou Quelques mots du secret du bonheur, 2 vol. in-8", Paris, 1834.. 20° Théâtre de ville et de soci(^^^, précédé des Contesmoraux et dos Novateurs gascons, ou Préser- vatif contre lamaniedes révolutions, facétie, 2 vol. in-8". Paris, 1820. 21" Voyage épisodique et pittoresque aux glaciers des Alpes, suivi de la Duchesse de la Vallière, tragédie en o actes et en vers et des Aveugles de Franconville, comédie, 1 vol. in-12. Paris, 1807. 2^ édit., 1808. 22" Voyage sentimental en France sous Robespierre. Genève, i vol. in-12. 23" Le Voyageur sentimental, ou Ma promenade à Yverdon. Lau- zanne, 1786, un vol. in-12. Lon- dres, 1780. Dresde, 1787. Bruxel- les. Autre édition augmentée et suivie du deuxième voyage fait par l'auteur, quarante ans après, 2 vol. in-<2. Paris, 1825. 24" V Homme politique et social, ou Exposition des principes fondamentaux de l'état so- cial et des devoirs qui en dérivent, \ vol. in-8". Paris, 1831. V.

VERNET (Garle), peintre d'his- toire, né à Bordeaux en 1758 et mort à Paris en 1835, a soutenu par son grand talent l'illustration acquise ii son nom j)ar son père Joseph Ver[)et, célèbre peintre de marine. Les dispositions de cet ar- tiste pour le dessin et la peinture se manifestèrent de si bonne heure et avec un tel éclat que, dès son enfance, on le regardait comme devant être un grand artiste. Il

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avait bien dans l'œil et dans la main les qualités propres ii justi- fier ces espérances ; mais sa légè- reté, la bizarrerie de son caractère, furent des obstacles au dévelop- pement sérieux de son talent. De très-bonne heure, des dispositions d'esprit contraires paraissent avoir altéré l'équilibre de son caractère. Ainsi, dans sa jeunesse, aimable, élégant, rechercha de la haute so- ciété où l'avait introduit son père, il s'y faisait particulièrement re- marquer par le talent futile qu'il avait déjî), et qu'il a conservé jus- qu'à ses derniers jours, de faire des calembours, ainsi que par son goût pour l'équitalion et la chasse. Puis, en opposition à ces goûts pu- rement mondains, ce jeune artiste, dont le talent était déjà apprécié, devint d'une dévotion presque exa- gérée, qu'il a cependant trouvé moyen de concilier, pendant toute sa vie, avec son goût pour les plai- sirs du monde. Avec un esprit ob- servateur et un œil qui retenait bien ce qu'il avait vu, au fond, Carie Vernet était un homme léger, ne tendant ni dans sa vie ni dans son art vers un but fixe, et, par cela mêmn, ayant été entraîné h disséminer lesefTorts de son talentau lieu de les concentrer. En effet, la va- riété des sujets qu'il a traités justifie véritable cette observation, et le grand nombre des spirituelles cari- catures qu'il a produites avec une incroyable facilité, est peut-être la portion de toute son œuvre se développe avec le plus de verve io caractère de son talent. 11 se fit connaître cependant par un ouvrage d'un caractère sérieux. Obéissant au goût qui régnait vers 178S, il entreprit une vast(! composition, le Triomplw de Paul Emile, qui lui ou- vrit les portes de l'Académie. Dans

ce tableau, que l'on verrait encore avec plaisir, on remarqua surtout l'art, en quelque sorte nouveau à cette époque, avec lequel les che- vaux y sont traités. Aux formes con- ventionnelles que les peintres d'his- toire avaient données jusque-là k ces animaux, le jeune G. Vernet substitua celles qu'en sa qualité d'écuyer il avait observées sur lana- ture. Au nombre des autres ou- vrages d'un style sérieux, nous mentionnerons seulement les Cour- ses de chars pour les funérailles de Patrocle, une suite de fort bons dessins représentant les principaux faits d'armes de la fameuse cam- pagne de 1797 en Italie, et la Morl d'Hippoljjte. Mais le tableau capital de C. Vernet est la Bataille de Ma- rengo, exposée au salon de 180i, aujourd'hui l'un des ornements des galeries historiques de Versailles. L'ordonnance de cette fameuse composition est très-pittoresque, et ce qui relève cette qualité est le soin qu'a pris l'artiste de ne négli- ger aucun des détails qui se rap- portent il la stratégie, en sorte cpie tous les sjiectateurs, simples cu- rieux ou militaires instruits, sont pleinement satisfaits en le voyant. En 1804, l'heureuse alliance du pit- toresque et de la stratégie dans un tableau de bataille était une inno- vation, et c'est à Carie Vernet qu'on la doit. Ce tableau est son chef- (•'(euvre dans le genre sérieux, et sera toujours mis au nombre des bons ouvrages de cette époque. QuRut îi la partie familière et comi- que de son (luivre, elle est bien plus considérable et plus variée. La passion de cet artiste pour les che- vaux, ré(|uitation et la chasse lui ont fait imj)roviier une suite de ta- bleaux et de dessins dont les gra- vures recherchées avec empro^e-

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ment lorsqu'elles parurent, sont soip:neusement conservées aujour- d'hui par les amateurs. Ce sont des courses de chevaux et de chars au Champ-de-Mars sous le Directoire, des calèches remplies de dames élégantes et entourées de jeunes cavaliers. Puis des chasseurs au tir, des trains d'artillerie légère, des lendez-vous de chasse et les exer- cices de Franconi, le tout accompa- gné d'une multitude de dessins de chiens de chasse, dont le caractère et les allures sont saisis de la ma- nière la plus vraie et la plus spiri- tuelle. Mais C. Vernet a une |)lace à part parmi les dessinateurs et peintres de caricatures. 11 s'est par- ticulièrement adonné k ce genre à deux époques : sous le Directoire et en 1815, lorsque les Anglais vin- rent en foule à Paris. Ces carica- tures ont presque un caractère historique, car pour ceux qui ont vécu à ces époques, les gravures des Incroyables et des Merveilleuses ne sont que des portraits; ce sont les originaux qui fournissaient la caricature. Celui des deux Incroya- bles, vu de protil et tenant son cha- peau à la main, est la ressemblance exacte de Carat, également célèbre sous le Directoire par ses ridicules et par la perfection de son chant. Quant aux Anglais et Anglaises de 1815, c'est la vérité même. Ce pein- tre, C. Vernet, est également vrai et pins plaisant encore dans des ca- ricatures animées par son imagi- nation. Rien n'est plus drôle qu'une des dernières qu'il a pein- tes. C'est le trouble que cause le fracas d'une diligence traversant la rue étroil<* d'un petit village. Les chiens qui aboient, les oies qui s'enfuient, les enfants et les fem- mes qui risquent de se faire écraser pour satisfaire leur curiosité, tous

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ces détails sont exprimés de main de maître. Il faut en dire autant des scènes d'animaux et de chiens savants qu'il représente avec leurs costumes grotesques, et d'une foule d'autres sujets analogues qu'il jetait sur le papier avec une faci- lité extrême, et que l'on s'empres- sait de reproduire par la gravure. Son œuvre gravée etlithographiée, qui se trouve à >la bibliothèque de la rue Richelieu est considérable et présente les scènes les plus graves ainsi que les plus comiques qui ont en lieu pendant l'existence de l'ar- tiste. Si cet homme, d'une rare habileté, ne se fût pas trouvé placé entre son père Joseph et son lils Horace, ses ouvrages auraient sans doute donné plus d'éclat à son nom, si ce n'est par leur perfection, du moins par leur originalité. La vie de Carie Vernet a été calme ; il l'a passée en cultivant agréablement son art, en fréquentant le monde, en satisfaisant son goût pour l'équi- tation, entremêlant toutes ces oc- cupations de pratiques religieuses, qu'il a observées pendant tout le cours de son existence. Comme sa vie, sa mort a été douce. Sans am- bition, il s'est trouvé heureux d'être le fils d'un artiate célèbre et le père de M. Horace Vernet, dont il a vu avec bonheur se développer le ta- lent qui lui a fait acquérir une gloire solide. Les dernières paroles prononcées par C. Vernet quelques heures avant sa mort donnent une idée juste de son caractère et résu- ment en quelque sorte sa vie. Admirateur du talent de son père et de celui de son /Ils : « C'est singulier, dit-il, près de rendre l'esprit, comme je ressemble au grand dauphin, fils de roi^ père de roi... el jamais roi. » E.-J. D. L. VERiMÈUES, général français.

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était au service dès avant la Révo- lution. Lorsque la coalition faillit s'ouvrir nos frontières, il fut de ceux qui ne crurent pas l'armée désorganisée, parce que neuf offi- ciers sur dix avaient délaissé le drapeau qui devenait celui d'un peuple. Sa bravoure, qu'accompa- gnaient d'autres qualités non moins essentielles, eut alors maintes oc- casions de se déployer, et son avancement fut rapide. Il comman- dait un bataillon d'artillerie en 1706, au siège de Mantoue. Nous le retrouvons général en 1799, et, comme tel, il fît partie de laseconde expédition en Irlande. Passant en- suite d'une mer ù l'autre, de l'ar- chipel britannique aux iles Ionien- nes, il rendit des services au siège, bientôt suivi de la prise de Corfou. Vers la fin de 1800, il alla ensuite tirer les corollaires de la campagne de Marengo, non en Italie même et dans les belles plaines entre l'Olona et l'Adriatique, ce qui n'eût été pour lui qu'un intermède agréable sinon un délassement, mais dans les montagnes des Grisons et du Tyrol, ses opérations étaient des plus pénibles. Il s'y distingua de nouveau, et nul doute qu'il n'eût atteint ii la longue, et peut-être sous peu d'années, les premières dignités militaires, s'il n'eût été prématurément emporté vers le commencement de l'Empire. B.

VKllNIN '1*ierre-Jea>\ membre de nos j)remières assemblées déli- bérantes, était, avant la Uèvoluiion, lieutenant général du présidial de Melun, sa ville natale. Le temps venu où, pour remédier an déficit, Louis XVI convoqua les états géné- 1 aux en iiccordiuil duuble représen- lalion au tiers, il l'ut un des élus de ce dernier. Rien de surprenant donc li ce qu'il ait voté des deux mains

tout ce qui devait rendre à îa mo- narchie décrépite sa verdeur, à la monarchie obérée des caisses bie». remplies et du crédit, k la monar- chie sans cesse bridée par ses par- lements , par l'aristocratie terrienne et par de vieilles routines dites li- bertés provinciales,'^ la franchise d'allures sans lesquelles il n'est pas de gouvernement, en d'autres ter- mes qu'il ait volé la fusion des trois ordres, la péréquation de l'impôt, l'abolition des privilèges et finale- ment la constitution, y compris la constitution civile du clergé. Mais il n'entendait point aller au delà, et il se tint parole k lui-même. Lorsque des élections nouvelles eurent lieu pour remplacer la Cons- tituante par la Législative, il ne se mit point sur les rangs, la loi dé- fendant atout constituant de figurer à la seconde assemblée. Encore moins en fut-il tenté, bien que nulle interdiction ne l'ècartât, lorsque la législative s'effaça pour faire place il la Convention. Il eût été plus chevaleresque peut-être de revenir alors, afin de contenir les passions qui, chaque jour plus incandescen- tes, menaçaient de réduire en cendres tout l'édifice social. Mais on ne pouvait s'attendre à trouver un ci-devant lieutenant au présidial très-chevaleresque, et il faut avouer que Vernin, non-seulement aurait échoué, mais aurait échoué sans 'gloire. Loin de manier la parole avec le brio et la facilité des Girondins, il n'avait jamais, pendant ses deux ans dp la constituante, abordé la tribune, non qu'il en fût incapable de tout point, mais sou talent ora- toire demandait une température un peu moins vesiivienne, et une atmosphère un peu plus calme. Telle fut, relativement au passe du moins, la période qui suivit la chute

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de Robespierre. Vernin alors recher- cha de nouveau les suffrages de ses compatriotes, et de nouveau les obtint. 11 alla siéger trois ans au conseil des Anciens; il y parla même, mais sur des sujets qui ne passion- nent point, sur des matières de judicature. Le 11 février 1797 il vota le rejet de la résolution qui soumet à la cassation les déclara- tions opposées des juges sur les mêmes faits. Désigné par le sort pour sortir du conseil le 20 mai 1798, il se rejeta sur la carrière judiciaire. Sous l'Empire, il passa comme conseiller à la cour impé- riale de Riom,où plus tard il devint président de chambre. Sa mort eut lieu en d84o. L. C.

VERMNAC (Jean) , religieux bé- nédictin de St-Maur, qu'on ne con- fondra point avec les deux Verninac de St-Maur, dont il est parlé tome XLviii, pages 255-2S7 (1), naquit à Souillac, diocèse de Gahors, le 1^' mars 1090. Se destinant k la vie re- ligieuse, il entra dans la congréga- tion de Saint-Maur, et j)rononça ses vœux dans rabbayedeSainl-Allire de Clermont, le 20 décembre 1708. 11 fit d'abord le cours d'études usité dans la congrégation, puis les su- périeurs lui donnèrent ou lui per- mirent le séjour du monastère dit les RIancs-Manteaux, dans le quar- tier du Marais, à Paris, pour y co- opérer il une entreprise littéraire. J'ignore qu'elle était la nature de cette entreprise; mais il est plus que probable qu'elle favorisait le jansénisme, car lui et ses compa- gnons furent obligés à quitter la maison des Blancs-Manteaux, qui était, dans le dernier siècle, un

(1) Ils étaient du moins ses compa- rlotes et probablement ses parents.

des foyers les plus ardents de la secte, et même a quitter Paris. On l'envoya au colline de Saint-Ger- mer, et ensuite à l'abbaye d'Vvry pour enseigner la jeunesse. Les supérieurs le nommèrent en 172G à la place de bibliothécaire du mo- nastère de Bonne-Nouvelle, îi Or- léans, place qu'il a occupée pen- dant vingt-deux ans, h la grande satisfaction du public. Ses connais- sances étendues, surtodt en his- toire, lui concilièrent l'estime des hommes savants. Les religieux de sa congrégation, qui travaillaient sur la métropole de Paris, pour le nouveau Gallia christiana^ le priè- rent de leur fournir des mémoires. Verninac se rendit volontiers à leurs désirs; il employait le temps des vacances de sa bibliothèque à visiter lei archives des cathédrales de Chartres, de Blois (2) et d'Or- léans, et des abbayes situées dans ces diocèses. Il prenait des notes exactes et les mettait en ordre pour les envoyer aux auteurs du Gallia Chrisliana, mais il tirait plus d'un parti de ses investigations; rien n'échappait à ses recherches, et jusqu'à la destruction des monas- tères, on conserva dans le sien ces extraits de titres avec des réflexions. Ces matériaux curieux sont peut- êtreâujourd'hui il la bibliothèque pu- blique d'Orléans. En récoltant pour le GalUa chmtiana, il s'aperçut que quelques-uns des titres qui lui pas- saient sous les yeux pouvaient être utiles à des familles nobles, pour éclaircir leurs généalogies, et il leur en fit la remarque. La manière

(1) L'église de Blois ne pouvait lu être d'un grand s^ccours en tant que cathédrale, car le siège épiscupal de cette ville était d'institution récente.

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dont il leur en rendît compte, leui' lit connaître combien il était pro- pre lui-même à cette science spé- ciale. Le premier qui l'apprécia fut M. d'Oriéans de Villechauve, avec lequel il était lié d'amitié, et au- quel il accorda volontiers de se charger de mettre en ordre les ti- tres de sa famille. Tl le fit en effet avec tant de soin et de talent, qu'il mit cetie généalogie en état d'être imprimée dans le troisième registre de l'Armoriai fjénéral. Par attrait el par le désir d'être utile, domVerninac se livra presque tout entier à ce genre d'étude ; il exa- mina les titres de plusieurs familles, les mit en ordre, et fixa l'antiquité de plusieurs maisons nobles, anti- quité qu'elles n'avaient connue jus- que alors que par tradition. Ce goût et celte préférence d'éludé pour l'éclaircissement des généalo- gies se sont vus en plusieurs reli- gieux. On apprécie les utiles tra- vaux du père Anselme; cependant quelques personnes blâmèrent dom Verninac de porter ses soins et son application ; mais leur critique était à la fois déplacée et injuste, puisque sa régularité monastique n'en souffrait en rien. Déjà des j)articuliers avaient d'eux-mêmes publié de grandes histoires de pro- vinces ou de villes particulièces, tels que le [)ère Lobiueau, par exemple, qui avait donné V Histoire de Drelagiie. La congrégation d* Saint-Maur comprit l'avantage (ju'il y auraità publier riiistoire spéciale de chaque province, et on eu forma le |)rojet. Connaissant combien l'é- rudition de dom Verninac pouvait être utile pour seconder ce projet, elle le chargea de l'histoire du Herri. Verninac accepta avec obéissance et peut-<'tre avec joie cet ordre des supérieurs , mais

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comme il connaissait l'étendue de la mission qu'on lui confiait et se voyait déjà avance en âge, il se fit associer un de ses confrères, dom Guillaume Gerou (1), religieux très-apte à ce genre de travail. 11 fit plusieurs voyages dans le Berri, pour y recueillir les maîériaux qui lui étaient nécessaires. En 1746, il fut saisi, à Bourges, d'une fièvre maligne qui le conduisit jusqu'au tombeau; il n'eut depuis qu'une santé chancelante et mourut le 29 février 1748, muni des sacre- ments de l'Eglise. Dom Verninac était fort abstrait; c'était, dit-on, l'application à l'étude et aux exer- cices de piété qui l'avait rendu tel. A beaucoup de pénétration il joignait la justesse d'esprit et une excellente mémoire, qui lui servait

(l] Dom Gcrou était natif d'Urlcaub, et fit profession à l'âge de dix-sept ans, dans l'abbaye de Vendôme, le i20 juil- let 1718. Après ses études, il alla pro- fesser à Pout-Levoy. A la mort de dom Verninac, il resta seul charge de VHis- tuire du Berri. Quoiqu'il eut du goût pour ce genre de recherches et qu'il eût amassé des matériaux pendant plu- sieui*s années, se défiant de ses forces, il se borna à perfectionner la BibliO' thcque des auteurs du Berri, conmien- cée par dom Méry. Les matériaux de cette BiljliolhèqHC et Us autres recueil- lis par (ierou passèrent aux mains de dom Turpin, religieux de Saint-(Jer- main-des-Prés. Gerou fut aussi charge de mettre en ordre la liibliothèquc de TuJirainCf (oniposée par dom Liron. 11 composa ensuite en quatre ans la /^»- bliothdque dc^ auteurs de VOrlêanais Aucune de ces trois Bibliothèques n'a de imprimée, croyons-nuus. Il travailla a la Collection des Charles, entreprise par les bénédictins de Saint-Maur, en vertu d'un ordre du ministre llertin. Dom (ierou, distingué par sou amour du tiavail et s;i régularité, mourut à l'abbaye Saint-Benolt-sur-Loire (aujour- d'hui département du Loiret), le 27 avril 17G7.

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beaucoup, surtout dans ses éludes généalogiqnes. Il était en relation avec plusieurs savants, entre autres avec racadémicien Foncemagne (Voy. Foncemagne, XV, 162), au- quel il adressa une dissertation il prétend prouver que la seconde et la troisième race des rois de France descendent de la première. Il adressa au célèbre abbé Lcbeuf une autre dissertation pour mon- trer que le Gebamim^ dont parle Cé- sar dans son Commentaire, est la ville d'Orléans, et non pas la ville de Gien, comme le prétendait son adversaire. Ces deux dissertations étaient restées manuscrites au mo- nastère de Bonne-Nouvelle, à Or- léans. Quelque temps avant de mourir, A. Verninac lit imprimer le supplément au Catalogue de la bi- bibliothèque publique d'Orléans. Dom Tassin, dans son Histoire lit- téraire de la congrégation de Saint- Maur^ dom François, dans sa Biblio- thèque générale, vantent les quali- tés de dom Verninac et sa tendre piété. Mais il y a un point sur lequel ils gardent le silence : Ver- ninac était janséniste, et lorsque, après le chapitre tenu eu 1733, et dans lequel la congrégation prit des mesures pour réprimer les ef- forts et les intrigues de la secte qui la minait et finit par la perdre presque tout entière, dom Sarrazin eut été nommé visiteur de Bourgo- gne, 'd}d visite qu'il fit, en n3o, au monastère de Bonne-Nouvelle, à Orléans, Verninac fut un de ceux qui ue voulurent point reconnaître son autorité et protestèrent contre ses actes. Au reste, il avait des formes polies et vraiment religieu- ses qui lui conciliaient le respect et raffeclion. H a beaucoup étudié et jreu publié; il mérite une place dans la Biographie universelle pour

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rappeler une fois de plus qu'il y a des milliers d'hommes érudils et savants, surtout de la classe des religieux et du clergé, dont le nom est resté obscur, et quelquefois tout à fait inconnu dans la républi- que des lettres, à laquelle ils ont été pourtant si utiles. B. d— e.

VERVOOllT (adrien), avocat à la cour royale de Paris, était belge de naissance, et très-religieux en même temps que très-éclairé. H fut plus remarqué comme consul- tant que comme orateur, et comme écrivain habile que comme prati- cieu. Sa mort eut lieu en 1840. On a de lui l' la Liberté religieuse se- lon la charte, Paris, 1830, in-8, très-estimable ouvrage dont l'ins- piration fut due au concours pro- posé par la Société de la miorale chrétienne, sur la législation rela- tive à l'exercice de la liberté religieuse en France, et qui valut uue mention honorable a l'auteur; 2" les Tarifs en matière civile y com- merciale et criminelle expliqués el commentés par A. Vervoort; Paris, 1829, in-8. L. G.

VES TUIS - ALLARD ( marie- auguste), nommé plaisamment Vestris II, était le fils du Vestris de Florence, celui qui ne re- connaissait en Europe que trois grands hommes, Frédéric, Voltaire et lui, et de la brillante et spiri- tuelle danseuse Allard, pour la- quelle l'aifection de Vestris se sou- ^m tint vive et tendre jusqu'au terme ^B de sa vie, quoique (ou parce que) il se garda de l'épouser. en quel- que sorte dans les coulisses de l'Opéra, et bercé sur les genoux de Terpsichore, Marie-Auguste fut, dès sa première enfance, initié ii tous les mystères de l'art auquel les auteurs de ses jours devaient et leur renommée européenne et de

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fort enviables revenus. Il pratiqua la pirouette avant Ta-b-c ; les en- trechats, les jetés-battus lui fu- rent démontrés avant les principes de l'écrilure. Il avait d'ailleurs au plus haut degré les dons naturels et la vocation du danseur. le 27 mars 1760, il débutait le 18 sep- tembre 1772, c'est-k-dire avant d'avoir atteint onze ans et demi, dans la chaconne du divertissement 'e la Cinquantaine. Des applau- sements accueillirent le père nd, avec triple révérence so- Mie et suppliante, il apparut scène, présentant à sa ma- e public son plus jeune et ^-„.. ^..3r élève; les applaudisse- ments, à mesure que la représen- tation avançait , éclatèrent plus multipliés et plus vifs, et cette fois c'était bien l'exécutant, ce n'élait plus l'introducteur qu'on accla- mait. Encouragé par les marques d'une sympathie méritée, le père et la mère le firent reparaître à plusieurs reprises, mais de loin à loin, et toujours avec succès. Des deux artistes, d'ailleurs, chacun était jaloux d'accaparer le rejeton, soit, ont dit des ennemis, pour exploiter son jeune talent, soit plu- tôt par soif d'encens et pour cumu- ler double ration de gloire. Quoi qu'il en soil, on comprend qu'il ré- sulta, de cette rivalité des auteurs de ses jours, un assaut de soins donnés à son éducation chorégra- phique, et qu'avec les dispositions si rares que nous avons signa- lées plus haut, il dut, sous la pres- sion de l'atmosphère des trois mai- sons entre lesquelles se partageait exclusivement son existence, celle de sa mère, celle deVestris, et l'O- péra, faire de rapides progrès. Aussi n'était-ce plus un élève que de nom lorsqu'il fut reçu élève d'M'Ecolo de

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danse, en 1775. Dès l'année sui- vante, le noviciat pour la forme avait pris fin, et il entrait à l'Opéra. Toutefois ce n'était pour lui qu'un premier pas, et quatre ans, (de 1776 à 4779), il se désola de ne figurer que parmi les doubles, bien que pour le talent, l'opinion le classât parmi les premiers sujets, d'abord, et, plus tard, au-dessus des premiers sujets. Son père lui- même, tout hyperbolique admi- rateur qu'il fût de sa propre per- sonne, et bien que souvent il s'ad- ministrât, sans sourciller, le brevet de génie créateur, se plaisait h reconnaître que s'il était supérieur pour rinvenlion, en revanche, pour l'exécution , son lils était sans égal. Enfin le titre de pre- mier danseur devint la récom- pense des services essentiels qu'Au- guste rendait à l'Opéra et qui ne furent pas un mince élément de la constante prospérité de ce théâtre (sous Louis XVI, sous la République et sous l'Empire). VestrisII garda ce titre trente^six ans, toujours goiiié du public, et longtemps son favori. L'idolâtrie (car pendant longtemps ce fut de l'idolâtrie) ne fit place qu'après le commencement du siècle actuel à des sentiments moins exaltés. Ce n'est pas qu'il eût perdu, au con- traire; mais il n'émerveillait plus, il n'étonnait plus. Eminemment supérieur à son père pour la vi- gueur et l'élaslicité, il eut droit, non moins que lui, au renom de créateur: S! Veslris I" avait porté â son apogée la danse noble et majestueuse, Vestris II avait ima- giné un autre style animé, vif, (fui, sans exclure soit la correc- tion, soit la grâce, exigeait la sou- plesse, l'infaligabilité de l'acteur. L'on eût pu le qualifier, comme

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les Arabes et les Berbersqualilient leurs chevaux pur-sang, de « roi du jarret.» Telle était sa légèreté que, du fond de l'iminense scène de l'O- péra, deux enjambées l'amenaient à la rampe. De haute taille, mais surtout prompt à réagir, comme le ressort d'acier, prompt à rebon- dir, comme le volant sur la ra- quette, il semblait, en frappant les planches, aller se perdre dans les frises; ce qui faisait dire plaisam- ment à son père : « Si Auguste ne « reste point en l'air, c'est pour ne « pas humilier ses camarades. » De plus il avait porté la pantomime îj un degré de perfection qu'elle n'avait encore jamais atteint et qui n'a pas été dépassé, de sorte, qu'aux yeux de tous, il resta le maître du genre, lors même que, comme danseur, il eût trouvé des rivaux tels que Laho- rie, Deshayes, Didelot, ou même un vainqueur, si vraiment Dufort mé- rite ce nom, que s'est hâté peut-être un peu trop de lui donner Berchoux dans son poëme de la Danse ou lea Dieux de l'Opéra. Outre ses émoluments à l'Opéra , Auguste Vestris utilisait parfois des congés que ne lui refusait pas l'adminis- tration. Son voyage de 178U fut particulièrement fructueux. Malgré les sommes énormes qu'il gagnait, trop souvent, il était à court ou aux expédients. Dans les premières an- nées suriout(iui suivirent sa promo- tion k remj)loi de premier danseur, croyant sans doute, parce que son fixe et ses feux lui valaient de huit à dix fois au iant que les maigres hono- raires du simple danseur, sa caisse inépuisable, il menait la vie à grandesguidesetdépensait en grand seigneur, l'argent des autres en même temps (|ue le sien. C'est U cette occasion que Vcsiris le père, ri- gide sur l'honneur (et doal , au reste ,

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la maison était admirablement tenue par son frère le cuisinier), s'écriait, pour couronner ses reproches : «Vois-tu, Auguste, je ne veux point de Guéménée dans ma famille! » C'était le moment le prince de Rohan-Guéménée venait, au grand scandale de tout ce qui pensait noblement, de ruiner des centaines de familles par une banqueroute de plusieurs millions. Sous bien d'autres rapports encore, Auguste Vestris aurait fait sagement de suivre les inspirations paternelles. Il ne se bornait pas comme son père à vénérer l'art, il en avait l'infatua- tion en y mêlant celle de son indi- vidualité propre. Il lui prenait fréquemment les plus grotesques accès d'orgueil. Le roi et la reine de Suède, étant venus à Paris en 1789, il refusa péremptoirement, en dépit des instance» qui lui fu- rent faites, de danser en leur pré- sence. En vain son père, avec le bon sens et le savoir-vivre qui le caractérisaient, lui répétait, se plaçant sur son propre terrain : « Voyons, Auguste, la reine a fait son devoir^ elle t'a prié..., fais le tien, danse. » L'opiniâtre artiste tint bon, prétextant un mal de pied subit... Il venait de gam- bader, plus leste et plus frais que jamais, dans le foyer. L'esclandre fut énorme. Le grand - vizir de l'Opéra, baron de Breteuil, l'en- voya au For-l'Evôque. 11 fallut (juc Vesiris remuât ciel et terre, suppliât, importunât le baron et lui déclaîâl qu'il mourrait si Au- guste ne lui était rendu, pour que le captif, nous ne disons pas lui fût rendu sur-le-champ, mais vît réduire le temps de sa peine. On ne sera pas très-surpris que longtemps, enfant gâté du succès, aussi léger au moral qu'au phy-

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sique, vain, comme nous TavoDs dépeint, irascible et tout de feu, fort bien enfin de sa personne, il ne se soit jamais beaucoup piqué d'être bon mari. Sa femme, Anne- Catherine Augier, très - jolie et svelte personne, née en 1777 et qui débuta en 1793 à l'Opéra, sous le nom d'Aimée , l'avait épousé par inclination , et quelque temps l'inclination avait été par- tagée. Un jour vint pourtant se riant des

Non più andeai farfalloue amoroso

thème favori de sa femme, Auguste reprit ses allures de papillon vo- lage. La douce artiste n'eutd'abord que de vagues soupçons, puis des probabilités, puis des certitudes : elle avait passé par degrés des premières appréhensions aux pleurs amers , aux spasmes de la jalousie ; elle s'exalta presque jusqu'à la lolie, et se porta deux coups de poignard. L'on s'aperçut assez à temps, il est vrai, de son hémorragie pour poser un appa- reil sur ses plaies, et pour le mo- ment on lui sauva la vie, mais elle ne recouvra jamais la santé ; elle dépérit des suites de tant de se- cousses et mourut de langueur, en 1809:- elle n'avait que trente-deux ans. Auguste Vestris en avait alors très-près de cinquante. 11 en passa encore sept à l'Opéra d'où suc- cessivement soit par mort, soit par expatriation volontaire, il vit disparaître tous ses rivaux. Satis- fait d'avoir ainsi repris possession de ce sceptre de la dantie qu'il avait porté si longtemps , et ne vou- lantplus s'exposer îi se le voir ra- vir par de jeunes talents, en ISIG, il demanda sa retraite. Il comptait alors quarante années de services dont, comme nous l'avons dit,

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trente-six à titre de premier sujet. Sa requête fut accueillie, et la représentation pour sa retraite fut à son bénéfice. Il ne se laissa du reste pas oublier, quoique à la retraite. Nous le retrouvons , de

1819 à 1820, professeur de grâce et de perfectionnement au Con- servatoire. Il faut avouer qu'on ne pouvait mieux choisir. En 1826, Taministration de l'êpéra lui fit encore la galanterie de donner une représentation à son bénéfice, et il y parut dans le rôle du nègre Domingo de Paul et Virginie. Ce fut sa dernière apparition sur la scène ; il avait dépassé de six ans la soixantaine, celui dont on avait salué le début dans la chaconne de la Cinquantaine , et les applaudis- sements des pelits-fils faisaient écho, en quelque sorte, aux bravos des aiwils. Il survécut seize ans encore à cette curieuse solennité, sa mort n'ayant eu lieu qu'en 1842. Les annales de l'Opéra présen- tent encore deux autres Vestris, tous deux de la même dynastie d'artistes, mais qui n'y figurèrent pas longtemps. L'un, Auguste-Ar- mand, était le fils, l'autre, Charles, était le neveu de celui qui fait l'objet de cet article. L'un et l'autre avaient été ses élèves, l'un et l'autre, mais surtout le second, promettaient des successeurs re- marquables il leurs père et aieul. Auguste-Armand débuta le l"mars

1820 dans le troisième acte de la Carafane;\c début de Charles §ut lieu le 3 octobre 1809. Mais, une fois leurs mérites reconnus par le public parisien, cet aréopage de l'Europe élégante, les deux cou- sins, voyant la place occupée pour longtemps à l'Opéra, prirent, sur l'avis même de leurs grands pa- rents, le parti d'établir leurs pé-

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na'tèsà l'elranger. Auguste-Armand passa les Alpes, Charles ne fran- chit que le Cliennai (vers IsiS) et lut, pendant de longues années, premier danseur à l'Opéra-Gomi- que de Londres. Val. P.

VEYRAT (PiEuuE-IluGUKs), un des plus recomiiiandables inspec- teurs qu'ait possédé l'administra- lion de la police,, avait Genève pour patrie. en 1756, il avait été longtemps négociant en horlo- gerie cl joaillerie lorsque la révolu- tion éclata en France. La Suisse en ressentit le contre -coup, et le com- merce de luxe surtout se vit subi- tement paralysé par la suppression d'un de ses principaux débouchés. Veyrat, après avoir iongteirips lutté contre ce qu'on j)eut nommer la force majeure, céda la suite de ses affaires et vint chercher for- tune à Paris. Ses efforts ne furent pas absolument infructueux, et, ad- mis avec un humble titre dans les bureaux de la police, dos 1795, il devenait inspecteur général, et bientôt son instruction, son habi- leté qu'accompagnait une honora- bilité sans tache, furent comme proverbiales dans radroinisiralion. Tout appréciateur compétent eut cru qu'en tout état de cause , et .sous quelque gouvernement que ce fàl, Veyrat, aux yeux de (jui l'uni- que devoir élaitde servir la France, <iuel que fût le maître donné par l;i Providence, devail être non moins inamovible qu'irremplaçable. Il n'en fut pas précisément ainsi : pendant les vingt ans qui séparent .sa proMiotion de sa retraite, il fut cinq foi^ éloigné; mais, chaque fois, au bout de peu de mois, ou mcnio de peu de semaines, le be- soin de sts lumières et de .son action .se faisait sentir à tel point qu'il faillit le rappeler. Bonaparte, dès

qu'il porta son attention sur Teii- semble de la police, lui conféra par décret spécial l'inspection spéciale du qûalriëme arrondissement, dans lequel Paris se trouvait compris. Dans celte haute position, toute- fois le dominait uii chef non moins redoutable que tous ses prédéces- seurs , Veyrat, sévei-e et ferme, mais plein de tâci et de hiesuré, mérita constamment la reconnais- sance des victimes dés troubles, en usant de modération aussi souvent que sa modération n'offrait aucun danger, et plus souvent certes que ne ï'àiirait jugé à propos Fouché laissé à iiji-même. Il iie mérita pas moins bien du maître en met- tant constamment la conciliation à la place des rigueurs impolitiques. Cette ferrfletéjointeàl humanité qui ne l'abandonnait jamais, la plèbe de Paris en eût la preuve au 31 rriars 1814, et la capitale lui dut d'être préservée du si)eclaclé d'un crime dont !a honte aurait ruj ail li sur elle. Deux officiers russes, un peu trop pressés de venir visiter les rués Paris, s'élaieni lancés plus que té- mérairement à l'intérieur de la ville, mais bientôt avaient été environnés, renversés, dévalisés, garrottés... Trois minutes encore, et s'ils sa- vaient nager , ils eusseht eii k déployer leur talent daris la Seine. Les cris par lesquels il.<;'in- voquaient la capitulation n'exci- taient que la fureur des uns et le rire des autres. Tout à coup Veyrat arrive, feint de s'inforiiler (il savait parfaitement ce qui se pas- sait), réclame les deux imprudents, et, par un geste rapide que les émeuiiers n'ont pu prévenir, s'en empare, les remet à ses agents qui l'ont rejoint au galop, déclare à la foule, interdite et incertaine, qu'ils sont désormais sous la garde

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l'honneur français, et dans tous les cas, sous la sienne , puis, com- me enfin leilt" proie leur est échap- pée et qu'àHen ne servirait de vou- loir la ressaisir, il profite de leur stupéfaction du moment pour leur faire (entendre la voix de la sagesse, (Calme ainsi l'orage par degrés, et enfin fait arrêter quelques récalci- ti^nts qui grondent eilcoré. Les Moscovites l'avaient échappé belle ; Veyrat avait en même lempi rempli son dévoir, sauvé des fous et prou- vé qu'en France, alors môme que l'indignation a pu iiiônter à son t)ai^6xysme, la générosité demeure encore et l'emporte. La conduite de Veyrat fut encore remarquée en une autre occasion, ei fut louée, non-seulement par les légitimistes, mais par les esprits impartiaux de toutes les nuances. Les circons- tances, du reste, n'offraient pas de difficultés graves, et nous ne pré- tendons en aucune façon les com- parer à l'anecdote du 31 mars 18l4. Nous voulons parler de l'af- faire Fauche-Borel, en 1816. On sait quellfe accusation vint k dé- cocher uri jour contfë un des fidè- les servants de la cause, par lui si platement trahie, I^erlet, cet ex- commis - libraire ignare , après avoir simulé le journaliste, après avoir profité de la folle confiance de Louis XVlIl et de quelques émi- grés en Angleterre, pour leur ten- dre des pièges, après avoir été l'espion de la police impériale, (c'est-à-dire de Veyrat lui-même) près des autres libraires ses con- frères. Veyrat fut un des té- moins appelés. Sadéposition nette, exacte, feime, sans passion, mais sans rélicence, o(i vibrait l'accent de la vérité, produisit un effet sans égal. L'acte d'accusation ne sUbsistiilt plus, les plaidoiries dii

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défenseur devenaient superflues; Perlet, démasqué, s'évanouit com- me par enchantement. C'est peu de temps après cet épisode qui fixa sur lui les yeux, et qui dé- montra que tout n'est pas taré dans ces ténébreuses régions de la police, c'est en 1817, que Vey- rat demanda et obtint sa retraite. Il était plus que sexagénaire alors. Il pouvait, si les interruptions du service n'étaient pas trop judaïque- raent supputées, arguer de quelque vingt ans de service. Il fut traité selon ses désirs. Il survécut vingt- deux ans encore à cette fin de sa carrière active et ne mourut qu'en 1839. Son fils, François Veyrat, qu'il avait fait entrer dans son ad- ministration, y fut, ainsi que lui, inspecteur général, mais seize ans seulement; et quand il dit adieu à la police, se fil commerçant, finis- sant par son père avait com- mencé.

Un autre VEYRAT (J.-P.) n'est connu que comme homme de let- tres. Il acquit un moment de no- toriété, lorsque, la Némésis ayant cessé de paraître, il crut pouvoir remplacer l'absent , prétention qu'au reste un autre au moins eut comme lui. L'œuvre de Veyrat a pour titre : l'Homme Itouge, salive liebdomadairey else compose de 2"! livraisons de 8 pages chacune, à partir du 31 mars 1833. 11 faut y joindre 48 pages iu-8', et les lla- liennes, poésies politiques deCamille Sainl-Htiènc, Paris, 1832; et un autre morceau de la dimension a jicu près d'une double livraison de « VUommc Routic «, A sa Ma- jesté le roi de Sar daigne, de Chypre et de Jérusalem, duc de Savoie, prince de Piémont, Paris, 1838, IG pag. in-8'. Ou doit de plus à Veyrat trois vaudevilles, plus un

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drame-vaudeville , plus une folie- vaudeville. Il mourut en 1844.

Val. p. VEYSIE (Daniel), théologien et grammairien de quelque renom, natif du comté de Devon, suivit les cours de haut enseignement à TU- niversité d'Oxford, prit ses grades de maître ès-arts et de docteur, en 1783, et finit par obtenir le rectorat de Plymtrée, ce qui lui fut d'abord agréable, parce que c'était à peu près son pays. Mais il ne tarda pas à s'a- percevoir qu'il n'est pas facile d'être pro|)hcte en son pays. Ses parois- siens, tout ses compatriotes qu'ils fussent, le trouvèrent un peu strict, et ensuite un peu rapace dans la levée de ses dîmes, si bien qu'ils en vinrent à les lui contester. Un procès s'engagea : il fut fort long, il y eut appel et réappel, des années s'écoulèrentavant qu'enfin laCham- brc des lords y mît un terme par son arrêt. C'est le décimaieur qui l'emporta. L'animosité des conten- dants avait attiré sur l'affaire cer- taine attention, et par suite avait valu certaine notoriété à Veysie, qui d'ailleurs maniait la parole et surtout la plume avec facilité. L'on a de lui des sermons, des ouvrages de controverse et un autre livre encore. Les sermons ont pour titre: i" La Doctrine de saint Jean et la foi des premiers chrétiens, Oxford, ITîil, in-8". (L'auteury touche, ou plutôt y « frise, » qu'on nous par- donne la familiarité de l'expression, celle grave question : « l'identité du Messie et du Verbe fit-elle par- lie des croyances primitives de l'Eglise? fut-ce une idée juive d'o- rigino, ou ne se produisit-elle qu'après le contact des apôtres juifs avec les gentils, du messia- nisme avec le platonisme? Faut-il la faire remonter à saint Paul , en

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y voyant le caractère dislinclif de l'école de saint Paul, par opposi- tion à l'école de saint Pierre? ») la Doctrine de l'exinalion (huit sermons qui se font suite et qui tous furent prononcés aux séances dites Bampton Lectures), Oxford, 1791, in-8''. Les ouvrages de con- troverse sont au nombre de trois : Examen de l'hypothèse de Marsh sur les trois premiers évangiles ca- noniques, 1808, in-8°. (On voit assez que le traité doit être mis à côté du premier sermon); Préservatif contre lesocinianisme, 1809, in-8°; Défense du préservatif contre VUnitarisme en réponse à L. Carpen- îer,prédicateurdecettesecteàExetcr, I8l0,in-18". En dehors de ces tra- vaux, tous essentiellement afférents à son ministère sacré, l't-ndoitaussi à Veysie une Dissertation grammati- cale sur r article prépositif grec (1810, in-8"), qui décèle, en même temps qu'une connaissance assez profonde de la langue de Thu- cydide, l'acuité du coup d'œil et l'aptitude aux études de grammaire générale. L. C.

VIAL (Honoré), général fran- çais, natif d'Amibes, avait reçu le jour en 1766. Antérieurement à la révolution, il figura sur les ca- dres de la marine. L'imminence des guerres dont nous menaçait la coalition européenne en herbe dès 1701, et l'immense carrière dont elle laissait entrevoir la pers- pective, le détermina de bonne heure à se rapprocher de l'armée de terre. Il était, en 1702, attaché au ving-sixième d'infanterie de ligne , en quelle qualité, nous l'ignorons; mais bientôt il rece- vait l'épaulette de lieutenant, et, dirigé sur la Corse, il prenait part k la défense de Bastia. De cette île il passa, en 1794, à l'armée de

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Hollande comme officier d'état- major, et il fit preuve détalent non moins que d'ardeur guerrière ù la prise du fort de Harlem. La récom- pense ne tarda point à couronner sa bravoure : dès le mois d'octobre suivant (exactement le 23 vendém. de l'an II1\ il était nommé capi- taine an premier régiment de cava- lerie. Traversant rapidement en- suite les grades intermédiaires, tous conquis par quelque service ou quelque action d'éclat, il se trou- vait adjudant général au commen- cement de cette fameuse campagne de 1796 qui commença l'ère des prodigieuses et longtemps inces- santes victoires et conquêtes. H eut le bonheur d'être désigné pour l'armée d'Italie. Entre autres preuves d'intrépidité qu'il y donna, on le vit , le i G novembre (2G brum . an V), au milieu des manœuvres préparatoires de la giande journée d'Arcole, après le passagedel'Adige à Ronco, et quand il fut avéré que la vivacité du courant ne permet- tait pas de fixer les fascines, à l'aide desquelles le général en chef lui- même avait compté qu'on pourrait franchir l'Alpon (vulg.-irement on dit le canal) qui, bordant le village d'Arcole, empêchait de le tourner, on le vit, disons-nous, s'élancer dans cette rivière, ayant de l'eau jusqu'au cou, et à l'effet de la pas- ser à gué, donner l'exemple à la colonne, en tête de laquelle il marchait: personne, il est doulou- reux de l'avouer, ne se sentit de force à le suivre, et il fut obligé, après de vaines incitations, de revenir sur ses pas. Malgré l'in- succès de celle courageuse en- treprise, Bonaparte lui sut gré de son élan , et le lui témoignu sur-le-champ en le nommant gé- néral de brigade. C'est en celle

qualité que Vial eut part à la bataille de Rivoli, qui signala le commencement de l'année sui- vante, et qui, livrée par d'AIvinzi pour faire lever le siège de Man- loue, eut pour suite de rendre mathématiquement certaine et prochaine la reddition de la place. Elle capitula en effet quinze joui's après (le 30 juillet 1797;; il y dé- ploya le môme entrain que devant Arcole, et non content de s'être multiplié sur le champ de bataille, il se siguala encore plus dans la poursuite. Les Autrichiens, en se décidantàla retraite, avaient compté arrêter les vainqueurs aux gorges de Callione, qu'ils avaient cru transformerenun poste inexpugna- ble, en en augmentant considérable- ment les défenses. Vain espoir! quand ils les atteignirent, déjà les Français les avaient emportées, et Vial qui les poursuivait, les refou- lant sur Trente, entre dans celte ville en même tem|)s qu'eux, puis les en chassant immédiatement, fa- cilite au général Joubert la prise de leurs magasins, qu'ils n'eurent pas le temps d'évacuer, et de leurs hOpilaux, qui ne contenaient pas moins de deux mille blessés ou malades : lui-même, il poussa jus- qu'aux rives de l'Arisso, et leur lit huit mille prisonniers. Deux mois après,quandraii;hiduc Charles, envoyé pour remplacer d'AIvinzi, comme d'.Vlvinzi avait remplacé Beaulieu, venait de voir deux de ses colonnes battues aussi, l'une entre Klagenfurlh etVillach, l'autre sur le Lavis, Vial gêna considérable- ment les mouvements de l'ennemi qui, franchissant lehaul Adige après sa défaite, avait résolu de s'y dé- fendre et de se retirer à Boizen (Bolzano), s'il était force : il s'ctait emparé, lui, du; pont de Neumarck,

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et avait pareillement passé TAdige, pour empêcher les. Autrichiens de lilersur Boizen. Il n'y parvint pas seul ; et si le général Dumas, en se jetant k la tète de sa cavalerie dans le village de Tramin, n'eût déterminé la déroute de leurs an- tagonistes communs, l'avantage se- rait probablement resté douteux. Mais enfin c'est lui, c'est sa ma- nœuvre savamment conçue et con- duite qui mit les Autrichiens dans la nécessité de tenter le passage par les armes, puisqu'il avait su s'emparer des issues; et sachant que d'autres Français étaient à portée, il avait bien droit de comp- lersur la coopération décisive qu'ils -•q)portèrent k la réussite de son plan. C'est donc ^ juste litre à lui, non moins qu'k Dumas, et même lin peu plus qu'il Dumas, que doit être attribué le succès de Tramin (22 mars 1707, 2 germ. ;in V). Le commencement de l'anné/^ suivante (1798, niv. an VI) le vit chargé du commandement de Rome, à la suite du tumulte au milieu duquel avait péri le général Duphot, vic- time du zèle avec lequel il défen- dait l'inviolabilité du palais de l'ambassade française.Vial lit preuve en ce poste difficile d'autant de tact que d'énergie: les deux qua- lités étaient de même nécessité. II n'y resta cependant que jusqu'au moment de l'expédition d*Égyptc. Son ancien général en chef tint ii l'avoir près de lui et l'emmena. Il combattit aux Pyramides, il con- tribua au gain de l'affaire devant Chouarii (20 septembre 1708, qua- trième jour complémentaire de Tan VI), il enleva l'admiration et les éloges de tous par sa conduite au siège infructueux do Saint-Jean- d'Acre, notamment les 20 et 30 mars, les 7 et 1Î5 avril 1798 (6, 10,

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IS, 26 germ. an VU), lors des vi- goureuhes sorties de l'ennemi. Il fut de ceux qui restèrent en Orient après le départ dyi général en chef, et quoique le? lauriers alors de- vinssent plus rares que les périls et les épreuves, il y moissonna du moins de la gloire jusqu'à son em- barquement pour la France, qu'il revit le 15 brumaire an IX. Le 26 floréal an X, le premier consul le nommait piénipotentiaive près Tordre de Malle. Il y réunit le titre d'ambassadeur près la répu- blique helvétique, intérim lucra- tif, mais non bague i)u doigt, comme tant des légations et cons.ulats de nos jours. La diplomatie cependant ne le rendit point inlidèle àl'épée, ou plutôt l'empereur (ce n'est plus le premier consul que nous devons dire) s'aperçut qu'il pouvait lui rendre encore plus de service en campagne que dans les catacombes d'une chancellerie. Il le rendit donc à l'atmosphère militaire, aux bivouacs, aux charges brillantes. Austerlilz, léua, Friedland, le vi- rent agir avec la même inlréjûdité qu'aux jours d'Arcole et des Pyra- mides. Vint entin la période des calamités: Vial dans ces nouvelles épreuves se montra ce qu'il avait toujours été, le premier au danger, le dernier à la retraite : il périt à la bataille de Leipzig, en y donnant l'exeuiple du plusbeau dévouement.

Z. VIAINÎNEY (1) (Jean-IUptiste-Ma- rie), a joui, même pendant sa vie, d'une si haute réputation de sainteté, (pi'il faudrait peut-être remonter à Saint-François d'Assise ou à Saint-

(1) Nous croyons suivre ici l'ortho- graphe de son nom, qu'on a écrit de différentes manières.

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Bernard, pû\ir trouver un homme qui ait é(é placé aussi haut dans l'opinion, et qui ait reçu des preu- ves aussi nombreuses de vénération et confiance. Ajoutons que, par un privilège presque unique,' cette réputation si méritée n'a |^oiut été altérée par ces soupçp^is, ces alternatives dont la vertu la plus solide n'est pas toujours exempte. le 8 mai 1786, au village de Dardilly, aujourd'hui du départe- ment du Rhùne, le jeune Vianney passa ses premières années h garder les troupeaux. Ses parents, simples cultivateurs, rélevèrent dans Va- mour et la pratique de la religion; il répondijit si bien à leurs soins, que. dès l'ûge le plus tendre, il montrait une grande inclination à la piété et même à l'amour de la .solitude. Inquiète, un joqr, de son absence, sa mère le cherchait et fut tout attendrie en le trouvant dans la grange, agenouillé et Joignant ses petites mains dans l'attilude de la prière. Ajoutons, pour montrer mieux son caractère et expliqi]cr ce qu'il deviendra, que déjà aussi sa piété envers la sainte Vierge se manifestait par des actes qu'on voit souvent dans les jeunes pnfants,m^is qui avaient un caractère singulier : en allant aux champs, il porlait avec lui de petites images de Marie, les plaçait dans le creux d'un arbre ou les fixait à l'extrémité d'un bâton (ju'il plantait en terre, et autour de cet autel improvisé il réunissait ceux de son âge, les prêchait sur la Ste^ Vierge et priait avec eux. Avec de tels préliminaires, il fit sa première communion dans les heureuses dis- positions qu'on peut concevoir; l'impression qu'il en reçut influença le reste de sa \ie. A dater de ce jour, il cessa, pour ainsi dire, d'être un enfant. Dès lors, en effet, et tout

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le temps qu'il passa encore dans son village, il fut un modèle à la maison, i^ l'église et partout. A Tâge de dix-huit ans, il n'avait fait au- cunes études, cependant il sentait un grand attrait pour l'état ecclé- siatiqiie, et souvent il demandait k Dieu' la faveur de devenir prêtre : cette faveur a été, en effet, accor- dée J^ ses pieux désirs, à la pureté de ses mœurs, à la religion de ses parents qui secondèrent de tout leur pouvoir sa vocation. Le curé de Dardilly, frappé de la conduite de son jeune paroissien , s'offrit pour lui enseigner les premiers principes de la langue latine. C'était, comme on le voit, à l'époque où, l'exercice de la religion devenu légal en France, après le concordat, plu- sieurs bons prêtres, sur les divers points de l'empire, cherchèrent à développer les vocations naissantes, pour réparer les brèches que la ré- volution avait faites au corps sacer- dotal. Le jeune Vianney était desti- né, dans le cours de ses études, à des é[)reuves de plus d'un genre. Il passa bientôt à l'école d'un an- cien chartreux, qui lui apprit, avec! les sciences humaines, la science de la pénitence et de l'austéiité, qui sont devenues le caractère dis-^ tinclif de toute sa vie. Ce chartreux, si fidèle à l'esprit de son orilre, était l'abbé Balley, curé d'Ecully, près de Dardilly. Il reçut dans son pres- bytère le bon jeune homme, (pii y fnt heureux et semblait devoir V faire toutes ses études ; mais ses parents jugèrent ix propos de l'en retirer pour le faire entrer au petit séminaire de Verrières. Le bon re- ligieux pleura en se séparant de son élève, le benilet lui dit, comme par une sorte de previsidii Mirnatu- relle : « Allez, mon enfant, Dieu vou^ appelle , et puissiez-vous un

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jour revenir près de moi; c'est vous qui me fermerez les yeux. » Yian- ncy entra au séminaire de Verrières en l'année 1807 et y fut tout de suite un modèle admirable pour toute la maison. Si sa conduite excita l'ad- miration, elle amena aussi quelques jalousies : un mauvais écolier fit de de notre jeune homme l'objet de ses railleries et en vint jusqu'à le frapper; mais il ne lassa jamais sa yertu.Vianney craignait davantage une autre persécution, celle de la conscription qui venait l'atteindre, car il n'y avait point d'exemption pour lui. Il allait terminer son cours de latin, et sa vocation se fortifiait de plus en plus; la voyant exposée, il prit un parti, que je fais connaître sans prétendre approuver ou juger sa démarche... 11 crut devoir se ca- cher et se réfugier dans les mon- tagnes des Alpes! Aprèsune longue course, il arriva près de Gap, au village d'Eourrès, et fut reçu en qua- lité de valet dans une ferme, sous le pseudonyme de Jérôme. On a comjjaré au .séjour de Joseph chez Putiphar le séjour de Jérùme chez le métayer d'Eourrès : il fit tout prospérer dans celte maison par ses travaux consciencieux et assidus; le soir il donnait des leçons aux en- fants de son maîlre, faisait à haute voix une lecture pieuse qu'il expli- quait ^ la famille attentive, et ter- minait par la prière faite en com- mun. Celte désertion, qui l'exposait à tant de chances, ne fut pas très- longue; l'enrôlement de son frère, qui alla mourir dans la folle camj)a gne de Kussic, le rendit libre du service militaire et de .sa personne. Après avoir rempli pendant quel- ques mois les fonclions d'institu- teur dans le village desNoës, il en- tra au grand séntinaire elful tonsuré le i28 mai 181 l.Vianney n'avait pas

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beaucoup de facilités naturelles ; ses études, commencées tard, interrom- pues comme nous venons de le voir, ne le mettaient guère en état de vaincre, en répondant, sa grande» timidité. Pendant quelque temps, les supérieurs du séminaire de Lyon doutèrent s'il était capable d'être admis aux ordres. Le bon jeunehomme supporta cette épreuve avec soumission, mais ne se décou- ragea point; il redoubla d'applica- tion li l'étude , et il s'adressa à la sainte Vierge pour obtenir la grâce d'apprendre et de réussir. Sa con- fiance fut récompensée : un prêtre éminent, voyant la solidité de juge- ment et surtout l'angélique vertu deViaimey, réponditde sa vocation. Vianney futdonc admis; et, à l'ûge de trente ans, il reçut la prêtrise, le 9 août 18 15. On avait mis la con- dition qu'il ne confesserait per- sonne, exception fort rare de nos jouis. Nous allons voir bientôt si la Providence en avait disposé ainsi sur son futur ministre. Le bon char- treux, qui avait assisté avec tant de bonheur et d'édification î'i la pre- mière messe de son ancien élève, le demanda et l'obtint pour vicaire à Ecully, Vianney, après quelque temps, l'assista à la mort, comme Dom Bdlley le lui avait prédit onze ans auparavant. Les habitants d'E- cully, enchantés de leur vicaire, dé- siraient l'avoir pour pasteur , et le voyant nommé ailleurs, ils allèrent le supplier de consentir à une dé- marche qu'ils voulaient faire, dans ce dessein, auprès de l'autorité dio- césaine. H répondit avec modestie; que la paroisse d'EcuIly était trop importante pour ses faibles talents, et que d'ailleurs la volonté de son évoque était pour lui un ordre du ciel. Pour épargner do pénibles adieux, il partit au milieu de la

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nuit et se rendit à Ars, cure qui lui était assignée. Ars est une petite paroisse de 400 habitants, située sur le versant d'un coteau, dont le pied est arrosé par la Saône. Elle est dans le département de TAin, arrondissement et canton de Tré- voux, aujourd'hui du diocèse de Beiiey. Sa distance de Villefranche est de huit kilomètres; elle esta trente-cinq kilomètres de Lyon. L'abbé Vianney y fut installé en fé- vrier 1818. C'est dans ce lieu jus- qu'alors inconnu, mais rendu par lui si célèbre, qu'il passa toute sa vie dans l'exercice des actes édi- fiants dont je vais donner quelque connaissance dans le reste de cet article. Vianney s'aperçut bientôt qu'il avait à défricher une terre in- grate et négligée : les sacrements y étaient abandonnés, et il y avait une i.^norance générale. Quoique petit, levillage était peuplé de cabarets les habitants employaient au jeu et à la débauche la partie du di- manche qu'ils ne donnaient point à destravauxdéfendus. Le nouveau curé mit la main h. l'œuvre avec énergie; comprenant que la source du mal était le défaut d'instruction, il ouviit pour les adultes un cours de catéchisme, qu'il sut rendre in- téressant, et il eut le bonheur de le voir suivi et fructueux. Ne j)0U- vant entrer dans le détail de tout ce que lui inspirait son zèle, je vais me bornera citer quelques faits. A la fête patronale, celle de Sainl- Sixle, le 0 août, les habitants étaient dans la coutume de déserter l'église el de passer la journée dans la danse, rivrogneric el le liberti- nage. Déjeunes niais, ridiculement déguisés, se présentaient dans cha- que maison, escortés de musiciens, et faisaient une quête dont ils con- sacraient le produit à de malhon-

nêtes amusements. Ces désordres étaient reproduits k Ars quatre fois dans l'année, car ils avaient lieu aussi le jour de Saint-Blaize, 3 fé- vrier, le premier jour de mai et le mardi gras. Le nouveau curé, qui fut toujours ennemi de la danse et finit parl'abolir, eut recours, le jour de Saint-Sixte, à un stratagème bien simple et qui réussit néanmoins à une époque il avait assez d'in- fîuence, et qui n'aurait pas le même succès dans tous les tempi et dans tous les pays. Les hommes s'étaient promenés, musique en tête et avec des rubans à leurs chapeaux. Si tout s'était borné à cela, assuré- ment le curé n'aurait rien dit, mais il condamnait les suites : « Je crois, dit-il en chaire, le dimanche sui- vant, que les hommes de ma pa- roisse sont mécontents de leurs femmes et qu'ils veulent se vendre, car ils avaient des rubans à leurs chapeaux comme les domestiques qui, un jour de marché, veulent se louer. « Cette plaisanterie, qui mit les rieurs contre les promeneurs, produisit son etîet sur eux et sur les autres. Un aubergiste était chargé des préparatifs de la voque, nom bizarre donné au bal dune fête du lieu. Le curé, par l'inter- médiaire d'un paroissien, lui fait demander ce qu'il espère gagner de cette vogue, et l'aubergiste rap- pelle le chiffre des années pu-cé- dentes. Eh bien ! dit le visiteur, si on vous assurait relte somme, em- pêcheriez-vous que l'on fil la vogue cette année? Sur sa réponse affir- mativ«\ M. Vianney donna l'argent ; l'aubergiste déconvia les musiciens, la vogue n'eut point lieu à Ars celte annéo-là, ni même dans la suite, car les jeunes gens, qui comnieu- çaient à comprendre el à étudier leur pasteur, ne firent aucune dé-

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marc}]p pour rétablir la fêle. Di- sons d'ailleurs tout de suite que l'influence acquise par le pasteur sur le troupeau eut, comme le reste, quelque cl^ose d'extraordinaire , sinon de miraculeux. 11 a amené son Yjllage H n'aypjr plus de caba- rets, et on n'y trouve que quel- ques auberges convenables pour recevoir |es pplerjns, qui y vien- nent de tous cOlés. Les habitants devinrent unis comme une famille, et la plqs grande partie assistait tpus les jours à la messe, et même, le soir, à la prière commune, que précédait la récitation du chapelet. L'église était restée presque à l'état de dénûment l'avait mise la révolution de la fin du dernier siècle; Viannoy,par ses sacrifices, secondé ^ussi par les dons de quel- ques personnes généreuses, et sur- tout de M. le marquis d'Ars, qui voulut voir de près si les qualités de ce prêtre répondaient à sa ré- putation , parvint à la réparer à rpxlérieur et 4 l'enrichir à l'inté- rieur. Pî^r les mêmes moyens, ce pauvre curé ç|e village est parvenu à établir dans sa paroisse une mai- son de Frères pour l'instruction des jeunes garçons ; une niaison dite la Providence, jes jeunes filles pauvres sont nourries, ha- billées, instruites, dressées au tra- vail, et, ce qui est encore plus su.j,renant dans sa position, une communauté de missionnaires. Mais une autre œuvre, complément de cette dernière, qui surpasse tout ce qu'on aurait pu attendre de Vjanpey, est celle de quatre-tingt- dix missions, qu'il a fondées dans le diocèse de Bellcy, pour i-tre prêchées, chaque dix ans, h per- pétuité, dans les campagnes les plus abandonnées. Les curés de son ypisjnage l'invitèrent à évan-

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géliser leurs ouailles, et il donna plusieurs missions et retraites, qui produisirent des fruits touchants de conversion. Les pécheurs qu'il avait rarpenés, les justes qu'il avait affermi* dans ces exercices, conti- nuèrent k venir le trouver jusqu'à Ars, afin de profiter de sa pieuse direction. Les personnes éprou- vées par des tentations ou par le malheur venaient df^mander se^ conseils et s'en retournaient con- solées ou fortifiées. Plus tard, des malades crurent devoir à ses prières leur soulagement et mêmç leur guérison. Le nombre des vi- siteurs s'accrut quand le bruit se répandit qu'il faisait des miracles, et cette réputation de haiite sain- teté se répandit de côté et d'autre, et attira à Ars un tel concours de peuple, qu'il fallut prendre des moyens pour le seconder. L'admi- nistration s'occupa d'améliorer les chemins ; un service de voitures s'établit, et depuis l'établissement de la voie ferrée de Paris à Lyon,* des prix réduits furent créés de Lyon à Ars, et des omnibus cor- respondaient à Villefranche avec tous les trains. On a calculé que, pendant vingt-cinq ans, le nombre des étrangers attirés à Ars par l^ réputation du curé s'est élevé, en moyenne, à cent mille chaque an- née. Pour se faire upe idée de la physionomie qu'avait prise le vil- lage, il fç^ut savoir qu'un grand nombre de ces étrangers séjour- naient six, huit, neuf jours et même un mois, pour y faire desneuvaines et des retraites spirituelles ; qup tous, excepté les prêtres, étaient obligés a attendre au moins qua- rante-huit heures avant d'arriver h leur tour auprès de l'homme de Dieu, et que la moitié des habitants avaient transformé leurs maisons

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en magasins, se vendaient cha- pelets, médailles, livres pieux, et surtout des portraits et des biogra- phies de l'abbé Vianney. Ce bon curé était partagé entre les dispo- sitions de sa charité et de sa mo- destie. 11 était heureux d'être utile, mais son humilité souffrait de cette affluence, et, pour la décourager, il avait obtenu qu'aucun de ses paroissiens ne tiendrait auberge, inutile prépaution! Il fallut bientôt tenir jusqu'à cinq hôtels constam- ment occupés , sans compter un nombre considérable de maisons Ton donnait seulement à loger. Le plus bel ordre régnait ordinai- rement dans cette multitude. Pour ce qui concernait l'accès près du curé, l'arrivée de chaque personne déterminait son rang. Mais s'il y avait des privilégiés, c'était sou- vent les plus grands pécheurs. On dit que le curé les distinguait quel- quefois au milieu de la foule, et les appelait lui-même. Cette invi- tation imprévue a été pour plu- sieurs un coup de foudre de la grâce. Quelques-uns avaient été conduits à Ars par des pensées d'indifférence, de curiosité et même de critique hostile , car on peut croire que sur une telle af- fluence il n'en pouvait être autre- ment; il était rare qu'ils ne s'en retournassent pas convertis. Pour donner un tableau plus frappant encore de ce qui se passait à Ars, je vais, en quelques lignes, mon- trer la conduite des pèlerins, car on peut leur donner celle qualifi- cation, et exposer un piécis du règlement de vie du curé. Les étrangers passaient la journée dans l'église, et y restaient souvent jus- qu'à une heure bien avancée de la nuit. Quelques-uns, et je le sais

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fait, quelques-uns ne se couchaîpfll pas, de peur d'être devancés à 1^ por^e çle l'église, où, plusieurs heures avant l'aurore, se pressait une foule de péqitenls. Dans les premières années, ces pénitent^ généreux restaient à l'air pour at- tendre, mais le bon curé fit consr truire un vestibule garni de sièges ils pussent attendre à l'abri du mî^uvais temps. Si les fidèles mon- traient (iu zèle et de la constance, le bon curé n'en montrait pas moins; qu'on en juge par ce prépis de son règlement de la journée : il se levait, siiivant la saison, à une heure ou à deux heures après mi- nuit. Dès qu'il sortait de son pres- bytère, qui n'est séparé de l'église paroissiale que par la largeur d'un chemin , il était assailli par le§ étrangers, qui réclamaient la faT veur de passer avant les autres, par le motif qu'ils étaient depuis ((uatre ou cinq jours. A son entrée dans l'église, il trouvait la nef déj^ lemplie de femmes; les hommes occupaient le sanctuaire ; ils ét^ipnt toujours préférés et avaient leurs heures réservées. Il faisait la prière du matin à haute voix, puis entrait au coiifessionnal, et montrait pe qu'il était dans l'ordre de la Pro- vidence. On d't qu'il devinait en quelque sorte l'état des âmes, et, à la surprise du pénitent, il com- plétait lui-même certaines confes- sions que la honte laissait inache- vées. A six heures tl demie, il célébrait la messe qu'entendait une assi'^lance nombreuse chaque joui- comme le dimanche, puis il bénissait divers objets que les étrangers se trouvaient heureux d'emporter aux quatre coins de la France, et enfin, dans ce moment, quelques personnes pouvaient ob- le^ii' pe parole d'avis ou unp ré-

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ponse sur une affaire douteuse. Vers huit heures, rentré au pres- bytère, il prenait son déjeuner, composé de deux onces de pain trempé dans une tasse de lait, et aussitôt il retournait à son con- fessionnal , qu'il quittait à onze heures pour faire le catéchisme. Quoique ce catéchisme fût fait avec toute la simplicité de sa position et de son instruction, avec une voix si affaiblie, qu'elle était pres- que insaisissable, l'auditoire était comme suspendu à ses lèvres, et cependant quelquefois, dans cet auditoire, on voyait des person- nages distingués, des magistrats, des évêques, etc. Tant d'exercices avaient pu exciter l'appétit du bon curé, qui allait en effet prendre son dîner, lequel consistait en une nouvelle tasse de lait avec quel- ques onces de pain ! Sa récréation consistait à dépouiller son courrier, et il recevait des lettres de tous les pays; il en a reçu jusqu'à trente ou quarante dans un jour. Sa mo- destie l'a porté a les détruire pres- que toutes! Elles eus.sent été les meilleurs mémoires pour sa vie apostolique, car on le consultait sur toutes sortes de difficultés; on l'interrogeait sur toutes sortes de matières : une agitation de con- science, une affaire de famille, une vocation, etc. ; il chargeait le plus souvent un de ses auxiliaires de répondre pour lui. Vers une heure, il iiilail visiter sa maison des Sœurs, ou celle des Frères, ou celle des missionnaires, qu'il avait fondées pour seconder son ministère à Ars. Il consacrait aussi un quart d'heure à se di'iionrdir, ainsi nommait-il l'indispensable délassement qu'il prenait dans une conversation agréable par son angélique gaité. Après ces courts instants de dis-

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traction, il récitait la suite de son bréviaire, visitait les malades de sa paroisse, s'il y en avait, puis rentrait au confessionnal il res- tait jusqu'à la nuit, excepté qu'il en sortait encore momentanément vers cinq ou six heures, pour ré- citer publiquement le chapelet et la prière du soir. 11 rentrait ordi- nairement chez lui à neuf heures, restait absolument seul dans sa chambre jusqu'à onze heures, et alors il se couchait. Cette vie si uniforme, déjà par même si mé- ritoire et si saintement occupée, est celle qu'il a menée pendant de longues années dans la petite pa- roisse d'Ars, qu'il a rendue à ja- mais célèbre. Voilà quelle fut la vie ecclésiastique de celui qu'on n'avait reçu aux saints ordres qu'à la condition qu'il ne confesserait personne, et il confessait plus de pénitents qu'aucun prêtre de France et peut-être de tout l'univers! Le talent qu'il avait de toucher les âmes et même de les éclairer, ne pouvait venir que d'un don gratuit et de la grâce, car il n'avait guère le temps de réparer le défectueux de son instruction, si je puis m'ex- primer ainsi, et ses moyens natu- rels étaient très-bornés. Lui-même reconnaissait et avouait avec sin- cérité et modestie son peu de sa- voir. 11 pouvait, dans les deux heures de solitude absolue qu'il passait dans sa chambre avant de se mettre au lit, se livrer à la lec- ture, et on a su du moins qu'il avait de l'attrait pour la lecture de la vie des saints dans les BoUan- distes. Une pieuse femme voulut le servir lorsqu'il arriva à Ars; mais, voyant son genre de vie, elle le quitta au bout de huit jours, di- sant qu'il n'avait pas besoin de. servante. Ses paroissiens lui four-

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nissaient son austère ordinaire, et vraisemblablement quelqu'un fai- sait son modeste ménage. Surpris par une visite inattendue de l'évê- que de Belley, il fut fort embar- rassé, et voulut, en exprimant sa reconnaissance et ses excuses, se mettre en étal de traiter de son mieux le premier pasteur. Celui-ci n'y consentit jamais, et voulut ab- solument partager avec lui sa ra- tion de lait et son pain grossier, sans qu'on changeât ou qu'on ajoutât rien. Les curés du canton de Trévoux se résignaient à cette maigre pitance , en voulant une fois, pour lui faire pièce et mettre son hospitalité à l'épreuve , se donner la récréation de fixer le lieu de réunion de la conférence théologique dans son presbytère. Quelle fut leur surprise en trouvant un (lîuer largement et délicatement servi, dont il fit les honneurs avec une grâce toute cordiale I On a écrit que ce fut peut-être le seul jour le foyer du presbytère sentit un peu de feu. On voit, dans cette phrase exagérée, l'idée qu'on avait de l'ordinaire du pieux curé. On l'avait obligé , à la fin , de prendre un peu de viande. Les choses étant ainsi, il est vraisem- blable que son vicaire ne parta- geait point sa demeure. Quand il paraissait dans les rues de son vil- lage, les étrangers quittaient tout pour le voir. Voilà le 6ain( qui passe ! disait-on; on se pressait sur ses pas , on l'environnait de toutes parts, de sorte qu'il avait peine à marcher. Un homme le suivait en étendant les bras pour le protéger contre l'empressement parfois im- portun de la multitude. Cela ne rap- pclle-t-il pas les courses de saint Ber- nard en Italie, en Allemagne, et dans ses prédications contre l'héré-

tique Henri ? Eh bien ! le curé d'Ars craignait extrêmement la mort et les jugements de Dieu! Plusieurs fois il demanda, sans l'obtenir de son évêque, la permission de se retirer k la Chartreuse ou à la Trappe, et il faut placer ici un trait édifiant de sa part et de celle de ses paroissiens. Il prit active- ment la résolution de se soustraire à la vénération publique et de s'en- sevelir dans un monastère. On s'en douta, et on monta la garde autour du presbytère. A minuit on aperçut de la lumière dans sa chambre; quelques minutes après on le vit sortir portant son bréviaire et un petit paquet de linge. Les Frères de son école font tous leurs efforts pour le décider à rester ; efforts inutiles. Alors ils vont sonner les cloches. Les habitants se lèvent en foule comme pour un incendie, se précipitent sur ses traces et l'attei- gnent sur les bords de la rivière du Foubleins, qui coule au fond d'un ravin. On se met à genoux sur la planche qui seit de passe- relle, espérant le fléchir; il fallut le laisser passer! Alors on recourut h la ruse. La nuit était sombre, et le bon curé, qui sortait rarement, ne connaissait guère les chemins qui avoisinent Ars ; on lui fit prendre un chemin tortueux et ombragé qui conduisait au village, de sorte qu'après avoir marche pendant une demi-heure et se croyant très-éloigné, il fut fort surpris de se trouvei" dans sa pa- roisse. Croyant voir en tout cela une manifestation de la volonté de Dieu , il abandonna son projet. Mgr Chalandon, évêque de Helley, le fit chanoine honoraire et lui imposa lui-même de force la mo- zelte sur les épaules. Celle mo/.eilc, il ne la porta jamais, et il la vendit

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înirriécltàteniëril au profit A'es pau- vres. Il en fut de même de la croix la Légion d'honneur, dont il ne voulait point, parce qu'elle ne lui rapporterait rien pour eux. Il vendit immédialement pour la somme de cinquante francs qu'il leur consacra. —Les fortes chaleurs de juillet 1839 avaient cruellement éprouvé le bon curé; il avait eu plusieurs défaillances. On l'avait Vu souvent se tordre de douleur dans son confessionnal. Il souffrait d'ailleurs d'iine toux sèche depuis vingt-cinq ans. Le vendredi 29 juillet, il fit, comme à l'ordinaire, son catéchisme, ses seize ou dix- sept heures de confessionnal et la prière du soir. En rentrant chez lui, il s'affaissa sur une chaise, en disant : Je n'en peux plus! Il resta seul dans sa chambre jusqu'à une heure du malin. Quand il voulut se lever pour aller à l'église, il res- sentit une insurmontable faiblesse, el appela. On viut à lui, mais il ne voulut pas qu'on allât chercher quelqu'un. Le joUr venu, il com- mença à condescendre à tous les soins qu'il avait déjà repoussés. Quand on ne le vit point le matin venir célébrer la messe, la coiis- ternation fut générale. Dès lors on dut mettre des gardes à la porté du presbytère, pour empêcher la foule qui "demandait à le voir. Dans la nuit du 29 au 30 juillet, il en- voya chercher son confesseur; il i-eçut les derniers sacrements avec ia ferveur dont on peut se faire Une idée. Averti des progrès du mal, Mgr de Langallerie, évêque de tielley, arriva en hâte, priant à haute voix, fendant la foule agfe- liouillée sur soti passage, 6t vit son vétiérable curé à ses dernières heures. La nuit suivante, à deux heures du malin, le 3 août 18Ô9,

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après cruelles souffrances, Vian- ney expira sans secousse, sans agonie, à l'âge de soixante-quatorze ans. Pendant deux jours et deux nuits, une foule incessamment re- nouvelée accourut de plusieurs points de la France voir les restes vénérés du saint prêtre, exposés dans une pauvre salle basse du presbytère, qu'on avait du moins décorée de tentures blanches se- mées de fleurs. Deux Frères se tenaient auprès du lit de parade, protégé par une forte barrière, et leurs bras se lassaient à présenter les divers objets que les fidèles voulaient faire toucher aux mains du saint défunt. Les funérailles furent faites 6 août par l'évêque diocésain, au milieu de plus de huit mille étrangers el de trois cents prêtres, et le corps fut inhumé au milieu de la nef de son église, sous une pierre qu'entoure aujourd'hui une balustrade en fer. Les pèleri- nages continuent à Ars. On parle de miracles opérés avant et après la mort du vénérable curé ; ils ne peuvent êlrfe discutés dans cet ar- ticle. L'Eglise jugera en cette ma- tière, et déjà, en décembre 1859, lors de son voyage à Rom«, Mgr De Langallerie a fait, pour la béatifi- cation dé Viauney, une demande qui a reçu un aécueil biehveillant. On a un livre do prières publié sôùs le norti de Vianney, cl le por- trait de (;é sâirit cul-é, décharné par la pénitence, a été gravé eh plusieurs formats. On annonce aussi une histoire de sa vie, donnée en deux volumes. B— d— c.

VICTOR dit PEniim (Claude), Dtc Dk Bellune, maréchal et pair de France, chevalier du Saint-Es- prit, grand'croix des ordres de Saint-LoUis et de la Légion d'hon- neut, etc., naquit le 7 décera-

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bre 1764 (1) à La Marche, petite ville de rancien duché de Dar, oii son père, Charles Perrin, exerçait la profession d'huissier. Il entra comme simple soldat, le < 6 octo- bre 1781, au 4* régiment d'artil- lerie , il demeura jusqu'au 10 mars 1791. A cette époque, il obtint son congé absolu et s'éta- blit à Valence, il fit, partie de la garde nationale jusqu'au 21 février 1792. Il fut nommé alors adjudant sous -officier au 3*= bataillon des volontaires de la Drôme et fut promu le A août adjudant - major capitaine dans le 3" bataillon des Bouches-dli- Rhône; le 15 septembre suivant, il obtint le grade de chef de bataillon du même corps. Ce fut dans ce grade qu'il alla rejoindre l'armée d'Italie, avec laquelle il fit les cam- pagnes de 1792 et 1793. Victor occupait avec son bataillon, fort d'environ 600 hommes, Coaraza dans le comté de Nice, quand il y fut attaqué par un corps d'environ 3,000 Piémontais; il se défendit courageusement, et parvint à les forcer à la retraite. Ce remarqua- ble fait d'armes mérita d'être mis à Tordre du jour de l'armée. Victor fut envoyé au siège de Toulon sur la On de 1793; de datèrent ses rapports avec Napoléon, qui, sans avoirjamais présenté un grand caractère d'intimité, ne demeurè- rent pourtant pas sans influence sur lï'clat de sa carrière militaire. Victor se signala tout d'abord à Tattenlion du jeune commandant de l'arlillene pa^ la vigueur avec

(1) iMusiriirs l)ioi;r;tplies assignent à la naissanc»' du rnariHhal la date de 1766 ou 17«7. Cilhî qiio j'ai inditjiu'eîs est extraite de sou dosbier con?>orNe aux archives du ministère de la guerre.

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acfdellé, dans la nuit 30 hovértl- bre, il enleva les redoutes et les retranchements de la montagne de Faron; mais, le lendemain, il sou- tint Un combat fort inégal contre 6,000 assiégeants, et, mal souletiu pat' des soldats nouvellement re- crutés (1), il ne put conserver sa position. Ces actes d'intrépidité lui valurent le grade d'adjudant géné- ral chef de brigade. Victor prit ensuite le commandement de la division de droite de l'armée de siégé; ce fut en cette qualité qu'il organisa l'attaque du fort de l'Ai- guillette, surnommé \e petit Gibral- tar, redoute anglaise, siir laquelle il marcha, le 18 décembre, à la télé de ses gi'enadiers, et qu'il emporta, après y avoir essuyé deux coups de feu, dont l'un l'atteignit assez gra- vement au bas-ventre. Ce succès contribua beaucoup à la prise de Toulon, qui eut lieu le lendemain. Les représentants du peuple nom- mèrent provisoirerlient Victor jré- néral de bHgade, et le Directoire confirma sa nomination le 13 julti 1794. Au commencement de cette aiînèe, il fut envoyé l'i l'armée des Pyrénées, et concourut à la plu- part des affaires importantes qui s'accomplirent pendant les deux années suivantes. 11 dirigea avec habileté une fausse attaijue sur Es- polla par le col de Banyuls, pen- dant que Dugommier forçait les lignes ennemies à la Montagne- Noire, prit part aux sièges du fonf Saint-Elmc et de Collloure, et com- manda une brigade à celui de Ro- ses; puis il passa à l'armée d'Italie, dont il fit partie sans interruption depuis les derniers mois de 1795,

(1) Mémoires du duc de Bellune, \). 36.

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jusqu'après la paix de Campo-For- mio. Victor prit le commandement de la première division de droite. Il concourut au succès de la ba- taille de Loano (23-27 novemlire), en investissant par cidre d'Auge - reau le mamelon appelé le Grand- Caslcllaro, défendu par le brave Roccavina, tandis que 100 grena- diers et 200 chasseurs, placés en observation, empêchaient l'ennemi de recevoir des renforts. Ses trou- pes s'élancèrent ensuite dans les retranchements, et tuèrent tout ce qu'elles rencontrèrent. L'année suivante, Victor prit une part ac- tive à l'attaque dirigée contre Pro- veïa au château de Cossaria, à la déroute de Wukassowich , et surtout au second combat de Dego (15 avril), où, à la tête de la 89^ demi-brigade, il seconda vaillamment les efforts du général Bonaparte. Il se signala également au combat de Peschiera par l'intrépidité avec laquelle il dirigea la 18'' demi-brigade dans l'attaque entreprise jjar Masséna contre le camp retranché au-devant de cette place; il battit les Autri- chiens sur tous les points, et leur prit 18 canons. Le 4 septembre 1790, au combat de Saint-Marco, il perça la ligne ennemie après un engagement fort acharné, et entra dans Roveredo au pas de charge; quelques jours plus tard, il fut chargé de compléter l'investisse- ment de Porto-Legnago sur la rive droite de l'Adige. Cette place capi- tula le 13 septembre. Le surlende- main, Victor culbuta les troupes qui couvraient le fort Saint Geor- ges, où il entra pêle-môleavec elles. A Cerea, l'armée française était vivement pressée par AVurmser , Victor rétablit le combat avec un bataillon de grenadicMs, dégagea l'armée, repoussa l'ennemi, et re-

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prit l'artillerie dont il s'était em- paré. Il concourut, le 15 janvier 1797, au combat de Saint-Georges, faubourg de Mantoue, qu'il enleva en marchant droit aux Autrichiens, à la tête de sa demi-brigade, en colonne serrée par bataillon à hau- teur de division. Il fut blessé dans celte action, qui mit 2,000 prison- niers et 25 pièces de canon au pouvoir de l'armée républicaine, et dont l'effet immense fut de refou- ler Wùrmser dans Mmtoue, dont il avait voulu opérer la délivrance. Victor ne prit pas une part moins active à la bataille de la Favorite, qui eut lieu le lendemain de ce beau fait d'armes. La veille au soir, le général Bonaparte avait établi son quartier-général à Uo- verbella, toutes les troupes de Masséna et de Victor s'étaient ren- dues à marches forcées pour con- courir à l'action qui se préparait. Dans la nuit du 15 au 16, Victor reçut l'ordre de se porter sur la Fcjvorite avec les IS'^ et 51'' de li- gne et le âo" de chasseurs, afin d'attaquer l'ennomi à la poiiilc du jour. Le 16, à cinq heures du ma- tin, ProveraetWurmser assaillirent la Favorite et Saint-Antonio, dont ce dernier parvint h s'emparer à la tôte de troupes qu'il avait fait sortir de Manioue ; mais Viclor, avec la 57'' demi-brigade, et le gé- néral Serrurier, qui commandait le sié;,^e, repoussèrent vivement le vieux maréchal. etViclor, marchant contre Provera avec les brigades P>on et (iiyeux, réussit bientôt à acculer au faubourg Saint-Georges la colonne autrichienne, dont les généraux Miolliset Augcreau com- plétèrent le désordre et bientôt la déroute par des attaques simulta- nées sur son flanc droit et sur ses derrières. Entamé de tous côtés,

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abandonné de Wurmser, qui s'était renfermé dans Mantoue, privé de son pont sur l'Adige, Provera se vit obligé de mettre bas les armes et de se constituer prisonnier avec les 6,000 hommes qui lui restaient. Plusieurs généraux, un parc d'ar- tillerie et un grand nombre de dra- peaux tombèrent entre les mains des vainqueurs. La capilulaiion de Mantoue fut la conséquence pres- que immédiate de ce succès. Le général en chef reconnut la bril- lante coopération de Victor en lui conférant sur le champ de bataille le grade de général de division, et, le 10 mars 1797, le Directoire con- firma celle promotion. On sait que le pape Pie VI, cédant à des insii- gaîions mal inspirées, avait cru de- voir prendre part à la lutle en- gagée entre la monarchie autri- chienne et la republique française. Une division de l'armée pontificale, forte d'environ 0,000 hommes, as- semblés à la hâte au son du locsin, après avoir coupé les ponts du Sé- nio, s'était retranchée à Castel- Bûlognese, sur la rive droite de cette petile rivière qu'on a\ ail gar- nie de canons. Le 4 février, la di- vision Victor, ayant îi sa lète le général en chef lui-même, se mit en mouvement par Imola. Son avant-garde, commandée par le général Lannes, passa la rivière à gué, coupant à leimemi sa retraite sur Faenza; au bout de (quelques instants d'un feu bien dirige, la troupe romaine >e débanda, aban- donnaiiisoQariiilerieelbon nombre de prisonniers. L'armée française occupa Faenza, dont le général en chef réussit, par des mesures ha- biles,à calmer l'exaspération, sur- excitée par les jjrjdicalions de quehjues fanatiques. Luc seconde division pontilicale, sous les ordres

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du général autrichien Colli, com- posée d'environ irois mille hommes, était campée devant Ancône ; mais, à l'approche des Français, que commandait Victor, ce général allégua quelque prétexte pour quitter le service du pape, et se relira avec les officiers autrichiens. Victor fit cerner cette troupe, qui occupait une position assez forte ; elle se rendit sans coup férir. Le général entra dans la ville et s'em- para de la citadelle. Ce résultat était d'une haute importance, parce que Ancône renfermait le seul arsenal de l'Étal romain. Il déter- mina le traité de Tolenlino (19 fé- vrier 1797) qui inaugura les pre- miers rapports pacifiques du Saint- Siège avec le gouvernement répu- blicain. La sollicitude du général en chef ne larda pas à se porter sur les États vénitiens, venait d'é- clater une insurrection formidable contre les Français. Cette répu- blique qui, à l'origine de la coali- tion, avait refusé de faire cause commune avec les puissances eu- ropéennes, s'était trouvée, peu à peu entraînéedans l'orbite de l'Autriche par aversion pour les princij)fcs révolutionnaires; roccu|)alion de Bergame par l'armée française acheva de développer ces germes de division. Cependant, le gouver- nement veniiien promit sa neutra- lité au général en chef qui, peu conlianl dans celte assurance, réu- nit un corps de troupes assez con- sidér.ible pour lui en faire expier évcntuellenienl la violalion. L'évé- nement ne larda pas à juslifier celte précaution. Sur le bruit accrédite de prétendus revers éprouvés par les Français, l'aristocraiie véni- tienne encouragea hautement les excitations des émi.^^saircs autri- chiens, et, dans la journée du

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vid

9 avril, à la suite d'une révolte po- pulaire, tous les Français établis à Vérone ou dans les environs furent impitoyablement massacrés. Les ef- forts réunis des généraux Balland et Chabran prévinrent l'extension de ce mouvement; mais la ville demeurait dans une atfreuse con- fusion, lorsque la division Viciot* reçut l'ordre de se joindre aux troupes du général Kilmaine pour attaquet* les rassemblements in- surgés sur tous les points ils s'étaient manifestés. En peu de jours, le Véronais fut complètement pacifié. Victor se porta ensuite sur Rovigo et Vicence, puis sur les bords de l'Adige, il prit po- sition. I.e tn)ité de Campo-Formio (47 octobre 1797) vint, quelques mois plus lard, consommer le dé- membrement de l'ancienne répu- blique vénitienne, dont les États servirent à indemniser l'Autriche de la perte de Mantoue et de la Lombanlie. Le général Victor s'associa avec ardeur, comme toute l'armée, au coup d'É';itdii 18 fruc- tidor, réaction de la force bri-tale coiurfî les progrès de l'opinion publique. En sa qualité de com- mandant de la H" di.ision, il en- voya au Directoire une adresse k cette occasion : « Les vertueux patriotes persécutés, assassinés, » ydi>ait-il dans le siyiedutemps(l), « les prêtres pro'.égés, sonnant par- loulle tocsin de la discorde et de la guerre, les ♦•migres dégouttant en- core dusang de nos frères d'armes, rentrant en foule pour partager des crimes dont l'horreur fait fré- mir, sont des atrocités q le ceux qui combaiieiit depuis six ans pour conquérir leurs droits, ne peuvent plus tolérer.... Plus d'Indulgence,

(1) Moniteur du 26 tbenuidor an v.

plus de demi-meslires : la Républi- que ou la mort! » Victor rentra eil France après le traité de Campo- Formio, et fut appelé le 17 mars 1798 au commandement de la \2^ divi- sion militaire, dont le siège était à Nant-es. Il y reçut une lettre du général Bonaparte qui , prêt à s'embarquer à Toulon pour l'expé- dition d'Egypte, lui témoignait le regret de ne pas l'emmener avec lui. Victor, retourna au bout de quelques mois dans la Péninsule italique, de nouveaux événe- ments réclamaient sa coopération. Après de longues et orageuses né- gociations, le Directoire s'était dé- cidé à déclarer la guerre au Piémont, dont la capitale était déjà occupée et surveillée par une garnison française. Victor passa , dans les premiers jours de décembre, le Tessin à Buffarola, avec la division Dessolles, et rentra à Novare et à Veroeil ; Su2e, Coniel Alexandrie furent surpris et les garnisons faites prisonnières. Ces mouve- ments déterminèrent l'abdication du roi de Piémont , dont les Ëtals furent réunis à la république française. Au mois de février 1799, les hostilités entre la France et l'Autriche, suspendues par le traité de Campo-Formio, se rallumèrent, et le commandement de l'armée d'Italie fut confié à Schérer, mili- taire infirme, usé, et qui n'inspi- rait aux soldats qu'une confiance irès-limilée. Victor fut placé, avec le général llatry, sous les ordres directs de Moreau, au centre de l'armée ; ces deux divisions réu- nies se composaient de 14,450 combaitants. Le 26 mars 1799, au combat de Véro le , son avant- garde s'engagea vivement contre les avant-posies de Liplay, qu'elle rejeta sur Sauta-Lucla, et le surplus

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de sa division se déployant pour secourir la légion polonaise, qui pli;;ir devant, une charge de lius- sarris impériaux, consomma la dé- faite du régiment de Furstemberg, qui fut presque f-ntlèrpincnt détruit. A la bataille de Mîignano (o avril), si funeste à l'armée française, la division Victor fit ét^alemei t preuve de bravoure et 'le résolution. Elle rencontra, entre Raldon et San- Giovanni, la colonne dirigée par le général autrichien Mercantin, et ses efforts, combinés avec ceux delà division Greni<M', l'accablèient en quelques instants et lui détruisirent deux régiments. Mais ces deux divisions se trouvèrent arrêtées ù la hauteur de Tomba par une colonne composée de plusieurs ba- taillons sortisde Vérone. La division Grenier fut attaquée la première parle général Krav; Victor s'élança poui' l;i soutenir, mais, chargé lui- même par les régiments de Nadasiy et de Reisky, il ne put lui porter un secours efticace; elle eut son centre enfoncé et fat contrainte à se retirer; assaillie dans sa re- traite parle corps deRiay, qui avait rallié environ 12 mille hommes, et criblée parla mitraille et la mous- queterie, elle se replia néanmoins €n bon ordre sur Maz/.agaita. Les Français se letirèrenl sur l'Adda, et Schérer ne pouvant plus suffire aux exigences de la siiuaiiou, re- mit à Moreau U; commandement tie ratmée. La division Victor fut ch^irgée de défendre Lodi. La coa- lition euroj éenne venait dî* se re- cruter d'un allié redoutable dans le czar Paul P', le seul souverain peut-être qui ne portât qu'un intérêt de principe à cette croisade contre la révolution fiançaise, mais dont raiiimosiié, très-vive néanmoins, était partagé* par ses généraux

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Souwarow et Korsakow, lesquels avaient commencé à pénétrer dans la haute Italie. La jonction entre l'armée autrichienne et les pre- mières coloimes russes s'était opé- rée le 24 avril, derrière le Mincio. Le lendemain même, 2."), eut lieu, à la tête du pont de Lecco, le pre- mier choc entre les Français et les Russes. Ceux-ci furent repoussés ; mais Moreau fut moins heureux le 27, à Cassano, contre le baron de Mêlas. Il perdit près de cinq mille hommes et beaucoup d'artillerie, et ce revers fut encore aggravé par la capitulation de Serrurier qui, abandonné sans secours à Verderio, ne put tenir contre Wu- kassowich , et se vit obligé de mettre bas tes armes. L'arrière- garde française était infailliblement perdue, si le feld-maréchal Souwa- row, commandant général des forces austro-russes, eût songé à devancer au passage du Tessin le général Grenier, qui la comman- dait. Privé, par la capitulation de Serruiier, de toute possibilité de tenir la ligne du Tessin, Moreau divisa en deux colonnes son ar- mée fort affaiblie , et dirigea l'une, cumpoiîèe des divisions Victor et Laboissière, vers Alexan- drie, afin d'être j'i portée d'y re- cueillir larmée de Naples, (jui de- vait venir le renforcer. Victor, dont la division était demeurée intacte, prit position entre Alexandrie et la Rormida, Moit'au ne larda pas à le rejoindre avec le gros de ses forces. j)our y surveiller le passage du Vo par l'armée ausiro- russp.Le genér.ij Rosembergext'cuta cetleopeialioudanslanuitdu H au 12 mai à Borgo-Franco , avec un seul bataillon que soutenait la brigade Dalheim. Moreau songea aussitôt à tirer avantage de cet acte de lé-

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ni('ri(i',et Victor eut ordre de se por- ter rapidement par les hauteurs vers le point du passage, alin de couper toute retraite à l'ennemi. La division Grenier et la brigade Quesnel préparèrent le succès de ce mouvement par une attaque vi- goureuse contre les Russes, dont tous les efforts se concentrèrent sur les hauteurs de Pezetti, qu'ils enlevèrent d'abord, mais dont ils furent bientôt délOizés par Moreau et le chef de brigade Gardanne. Pendant ce temps, les bataillons de Victor débordaient par le flanc gauche de l'ennemi, qui^ près d'être enveloppé, se forma en carrés. Mais cette manœuvre demeura sans succès; il fut rejeté avec perle sur le village de Bassignano, et con- traint de regagner l'île la plus voi- sine, où il essuya toute la journée un leu de mitraille qui lui fit beau- coup de mal. Les coalisés pei'dirent dans cette affaire tous leurs bagai^es, quatre pièces de canon, et ils eu- rent 1,500 hommes mis hors de combat. Lorsque, quelques jours plus tard, l'insui reciion du Piémont coniiaignit Moreau à se retirer sur Turin et Coni, Victor seconda uti- lement ce mouvement en marchant sur la rivière de Gènes par Ac(|ui, Spigno et Dego, village les insur- gés tentèrent de l'arrêter, et qu'il incendia; puisilse réunit le liimai au général Pérignon qui occupait les débouchés du côté de Plaisance et le col de la Bocchetta. La jonction de l'armée de Naples, commandée par Macdonald, avec les troupes de Moreau, eut lieu sur la fin de mai dans les plaines du Pô. Les deux généraux conrerlcrent leur plan d'action, que devait exécuter une armée d'environ ;iO,000 combat- tants. Celle arme»; présentait le grand avantage de former une masse

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compacte et homogène, tandis que les forces austro-russes étaient dis- séminées sur une foule de points. Comme dans cette campagne la tâche la plus forte incombait à Mac- donald, il fut convenu que la divi- sion Victor, débouchant sur Parme, passerait sous ses ordres, et que la division Lapoype descendrait la vallée de la Trebbia pour lier la communication entre les deux corps. La marche de Victor fut secondée par une alt^tque du général polo- nais Dombrowsky contre le général Morzin, qu'il rejeta sur Poniremoli, et la division Victor, forte de 7,000 hommes, put s'avancer sans obsta- cle dans le val Taro. Macdonald, ayant cette division à Tavant-garde, s'établit le 15 juin entre la petite rivière du Tidone et la ïrebbia , qui, pour la seconde fois, après l'intervalle de plusieurs .siè- cles (1), allait aitacher son nom à une mémorable scène militaire. Il appela à lui les divisions Olivier et Montrichard , qui couvraient la droite et les derrières de l'armée, et, décidé à accabler le corps au- trichien de Ott, qui venait d'être repoussé au delà du Tidone, il or- donna à Victor de l'attaquer dès le 17. Victor passa le Tidone, ^t, sou- tenu par les généraux Dombrowski et Rusca, il aborda avec impétuo- sité le corps ennemi au secours duquel Souwarow s'avançait à mar- che forcée. Oit plia et fut rejeté en désordre sur San Giovcinni ; mais Chasteler, avec l'avant- garde de Mêlas, et Bagration, à la tête de l'infanterie russe, rétablirent le

(1) La preniiérc bataille de la Tré- bie, entre; Ariiiibal et los consuls Sci- pion et Somproiiius, avait eu lieu l'an 218 avant l'ère chrétienne.

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combat. L'armée de Macdonald débouclia sur trois colonnes par la grande route et les chemins de Ve- rato et de Motla-Ziana, et, quoi- que inférieure en nombre, elle ob- tint des avantages marqués, lors- que l'arrivée de Souwarow vint apporter à l'ennemi de puissants renforts. La division polonaise, qui flanquait la gauche d(^s Français, fut mise en désordre par le prince Gortschakoff, et repoussée derrière le Tidone. La droite avait réussi à contenir le corps de Bagration, quand les bataillons du général en chef russe la contraignirent égale- ment à la retraite. Apres avoir battu la légion polonaise, la cavalerie de Gortschakotîviiit prendre en flanc la brave division Victor qui, malgré des efforts inouïs, fut rejetée au delà du Tidone. Victor, avec le reste de son corps, repassa la Treb- bia, suivi des Russes, auxquels il fit essuyer un eu meurtrier. L'ayant- garde française s'établit à la nuit sur la rive gauche du fleuve, occu- pant par une chaîne de postes tout le territoire d'Imento à Grigiiano. Les divisions Victor, Dombrowski et Rusca restèrent sur la droite. Macdonald attendait, pour lenren- dre l'offensive, les division^ Mont- richard et Olivier; mais il fut pré- venu par Souwarow, qui se mit eu mouvement dè.> ie malin du 18 juin. Informe de celte manœuvre, Victor, qui commun iait en l'absence de Macdonald, rtU^nu au quartier gé- néral par une blessure, rassembla à la hâte son infanterie, et résista d'abord à la principale aUaquL* con- duite par Kosemberg; mais il se vit contraint de céder à la pression croissante des bataaioiis russes, el de se replier vers la nuit sur la droite de la Trobbia. Les deux di- visions auxiliaires s'elaieul oré-

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semées vers deux heures sur le théâtre du combat, elles avaient fait bonne contenance ; mais la re- traite de Victor décida Montrichard à repasser la Trebbia, il s'établit sur le prolongement de la division Victor. La nuit même n'apporta au- cun repos aux combattants. Trois bataillons français, entrant inopi- nément dansle lit de la rivière pour assaillir les postes ennemis, provo- quèrent une mêlée qui devint bien- tôt générale, et qui, sans résultats importants, couvrit le lit du fleuve du sang et des cadavres des deux armées. Incertain des mouvements de Moreau, qui s'était porté par Tortone avec son corps de troupes, en détachant par liobbio la division Lapoype, Macdonald, qui avait re- pris le commandement, résolut de livrer aux Russes une troisième bataille, et de tourner, en divisant ses forces, les ailes de l'armée de Souwarow. Victor et Rusca furent chargésd'aitaquer l'ennemi de front, tandis que les divisions Watrin, Dombrowski, Olivier et Montrichard opéreraient sur ses flancs dans la direction de Pavie et de Xiviano. L'armée française passa la Trebbia le 19 juin, à dix heures du malin. Une attaque heureuse du corps de Dombi owski sur Rivalla ayant forcé le général en chef ii romprii l'unité de sa colonne, Victor et Rusca s'é- lancèrent précipitamment par celle trouée de quelques centaines de toises, el culb. itèrent la droite du général russe Schweikow>ky, qu fut rejeiée sur Casaliggio. Mais ce mou>emenl ayanl ele mal soutenu par les Polonais, Bagraiion put prendre ii revers lesd.^ux divisions, (jue Soiiwarow lui-mènie aliaipia vivement de front, et eUes furent ramenées Aur la Trebbia, dont elles dispulerent vicluiieiiscment le pas-

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sage à l'ennemi. Cet échec, qui coûta environ l,iOO hommes à chaque parti, annula les avantages qu'avaient d'abord obtenus sur d'autres points les divisions Watrin et Montrichard, car il permit au généralissime russe de j)orler des renforts k son extrême gauche ; la 5* légère, qui précédait hi division Montrichard, ayant été simultané- ment assaillie de Iront et de flanc, s'enfuit en désordre, et cette cir- constance fâcheuse livra les divi- sions Victor et Rusca à des forces supérieures, qui les obligèrent de repasser la Trebbia. Affaiblie par ses pertes accumulées, démoralisée par ses revers, privée de munitions et d'artillerie, dépourvue de la plu- part de ses chefs blessés et hors de combat, l'armée de Macdooald dut songer à la retraite. Elle se mit en marche dans la nuit du 19 juin. Victor s'avança sur San Giorgio avec les trois divisions de l'aile gauche. Informé de la désorganisa- tion de l'armée et de la direction de sa retraite, Souwarow fit de promptes dispositions pour la pour- suivre. Son avant-gaids atteignit, sur les bords de la Nura, près de San Giorgio, Victor qui défendit le gué pendant quelques instans à la tête de six escadrons français appuyt's d'une tres-faible artillerie. Menacé par Bagralion qui survint avec des renforts, Victor se dispo- sait k évacuer San Giorgio, lors- qu'il fut assailli sur tous les points par des forces supérieures, il lutta avec intrépidité; mais deux nou- velles divisions russes passant la Nura enveloppèrent celle demi- brigade et la forcèrent k mettre bas les armes, après des prodiges de valeur qui firent, dit-on, l'admi- ration de Souwarow lui-même. Cet échec amena la dispersion de la

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colonne de Victor, dont les débris ne se lal lièrent que dans les mon- tagnes de Gastel-Arquato. Ce géné- ral fut chargé de garder les gorges de Pontremoli et du val Taro, d'où il se replia avec Montrichard sur Florence et sur Gènes. Par suite de la mort de Joubert et de la promo- tion de Moreau au commandement de l'armée du Rhin, Championnet fut nommé, au mois de septembre 1799, général en chef de l'armée d'Italie. Un de ses premiers efforts tendit à débloquer Coni, occupé par 3,000 Français, que les Autrichiens convoitaient avec ardeur comme la clef du Piémont. Il dirigea sur Mondovi, dans cet objet, en le fair sanl appuyer par des forces con- venables, le centre de son armée , qui se composait des divisions Vic- tor et Lemoine, et le premier de ces généraux eut ordre de s'empa- rer de cette place; mais son avant- garde seule parut à l'entrée du faubourg; le gros de la division ayant été obligé de rétrograder k Villa-Nova, faute de vivres. Atta- qués sur ce point, le 2 octobre, par la brigade aulricliienne Laur don, les deux généraux la repous- sèrent avec perte ; mais Victor fut moins heureux , quelques jours plus tard, au combat de Beinette, village dont le général russe Mi- trowski s'(!mpara après un<i dé- fense opiniâtre. Victor déploya la même intrépidité à la bataille de Genola, le 4 novembre, dans un engagement meurtrier avec Elsnilz, sous le canon de Fossano. La vic- toire paraissait prête à se déclarer en sa faveur, quand l'arrivée de Mitrowski vint égaliser les chan- ces du combat. Cependant Victor tenait ferme; mais, par suite de la retraite du général Grenier, il re- çut du général en chef l'ordre de

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quitter le champ de bataille et de se replier sur Murazzo, il ne put tenir contre l'attaque de Mê- las; et, après avoir été séparé de son arrière-garde, il gagna le camp de Madona-del-OImo avec une perte de quatre cents prisonniers. Le 29 novembre, au combat de Santa-Anna, Victor défendit vaih lamment contre les Autrichiens la position de Monastero ; mais, à l'approche des renforts ennemis, il se replia sur Vico, puis sur Ga- ressio. La capitulation de Coni et la prise d'Ancône terminèrent celte succession de désastres, à laquelle la fortune gardait une éclatante et prochaine compensation. Une des premières pensées du général Bonaparte, parvenu au pouvoir su- prême, fut de reprendre à l'Autri- che ce territoire italien qui avait été le berceau de sa gloire. Pen- dant que Masséna luttait pénible- ment pour y conserver les derniè- res traces de l'occupation fran- çaise, le premier consul organisait avec autant de mystère que d'in- telligence et d'activité une armée, de réserve assez puissante pour reconquérir par un coup de main hardi tout' ce que les fautes de Scbérer, l'impéritie du directoire, les revers de Macdonald et un concours fatal de circonstances avaient fait perdre k la France. La réunion des corps de celte ar- mée devait former une masse de 67 mille combattants . Les divisions étaient commandées par les géné- raux Mural, Lannes, Viclor, Mon- cey, Loison, Walrin, Houdet el ChambarIhac.La première colonne, forte de 36 mille hommes, sous les ordres du général en chef, avait franchi le grand Saint-13eruard, tourné le fort de Bard, pris Ivrée et débouché eD Italie, sans que le gé-

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néral Mêlas eût ajouté foi à cette au- dacieuse entreprise, d int il ne pér nétrait pas le véritable but. La pre mière action à laquelle prit part U division Victor, fut la iDataille de Montebello (8 juin), l'interven tion de la division Ghambarlhac, qui faisait partie de son corp§, secondant la bravoure du général" Lannes, qui commandait l'avant- garde de l'armée, décida la victoire; 3,000 mille hommes tués, 6,000 prisonniers furent les résultats de cette brillante affaire dans laquelle l'armée autrichienne avait engagé 18,000 hommes de ses meilleures troupes, et notamment lesgrenadiers de Ott, l'élite de cette armée. Le premier consul se porta dans l'après-midi du 12juinsurlaScrivia, les divisions Gardanne ei Gham- barlhac, commandées par Viclor et formant l'aile gauche de l'armée française, s'établirent en avant de Tortone, soutenant l'avant-garde de Kellermann. Le lendemain il passa a Scrivia et ordonna à Victor de se porter sur le village de Marengo et de pousser des coureurs jusque vers la Bormida, afin de s'assurer si l'ennemi avait jeté quelque pont sur cette rivière. Viclor trouva Marengo occupé par une arrière- garde de 4,000 Autrichiens; il cul- buta ce corps et prit possession du village, il établit ses deux divisions, fortes d'environ 9,000 hommes, en plaçant un peu en arrière le général Kellermann avec trois régiments et un escadron de cavalerie. Les éclaireurs, légère- ment informes, annoncèrent que l'ennemi n'avait fait aucune dispo- siiion de passige et ne purent donner aucune nouvelle ihi corps de Mêlas. Ce général, menacé à la fois par l'armée de réserve ei sur »es derrières par celle de Sucliei,

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s'était décidé, après de grandes perplexités, à livrer bataille au premier consul et ù rouvrir, en lui passant sur le ventre, ses commu- nications avec le conseil aulique. Le 11, à la pointe du jour, les Autrichiens traversèrent la Bor- raida sur trois ponts et attaquèrent vivement le village de Marengo, qu'ils empoi tèrent à la suite d'ef- forts répétés, et, après avoir obligé la division Chambarlhac, décou- ragée et épuisée de munitions, à se replier pour attendre les renforts annoncés au général Victoi' (1). Il fallut toute rintrépiditédes 800 gre- nadiers à pied de la garde consu- laire pour arrêter et contenir Fen- nemi. Ce fut h cet instant seulement que le général en chef parut sur le chamj) de bataille, sa présence ranima sur tous les points le cou- rage et l'espoir. Les fuyards se rallièrent peu à peu sur San-Giu- liaiio, ù la pauche de Lannes, qui concourut avec Victor à supporter pendant plusieurs heures le choc d'une armée de 40,000 hommes, servie par la mitraille de 80 pièces d'artillerie. Personne n'ignore que la bataille paiaissait perdue et que Mêlas blessé, accablé de fatigue, ét:iit rentra' dans Alexandrie, lais- sant à son cht'f d'étal-major le soin de poursuivre l'armée française. L'intervention de Desaix , avec G, 000 hommes de troupes fraîches, changea la déroute commencée en une victoire décisive. Victor rap- pela ses batiiilioiis dispersés, l'ar- mée reforma ses rangs, les habiles manœuvres du premier consul et les chaînes irrésistibles de la cava- lerie de Keliermann firent le reste.

(i) Mémoires du duc de Ikllune, p. ITi.

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L'armée autrichienne fut jetée en une épouvantable confusion, ;\ la- quelle contribua puissamment la division Victor par la reprise de son champ de bataille , en avant du village de Marengo. Le pre- mier consul retourna à Paris, e les divisions composant l'armée de réserve furent réunies *:i l'ar- mée de Ligurie sous le com- mandement général de Masséna, à qui son immortelle victoire de Zurich avait as-igné le plus haut rang parmi les lieutenants de Na- poléon. Victor, désigné le premier dans le bulletin du généi-al en chef, en reçut un sabre d'honneur pour récompense de la brillante part qu'il ;ivait prise à. la bataille de Marengo. Il fut nommé le 25 juillet lieutenant du commandant supé- rieur de l'armée de Batavie, puis capitaine général du corps destiné à une exj)édition en Louisiane. Mais cette expédition ne put avoir lieu, par suite du blocus établi par les Anglais sur les ports de la Hol- lande. Cependant Victor demeura à LaHaye,dontiI r,onservalecomman- dement jusqu'à la paix d'Amiens. A la suite de ce traité,, Victor fut nommé ministre plénipotentiaire de France en Danemark. Il y reçut successivement la croix de grand- officier (14 juin 1804) et celle de grand-aigle (6 mars 1805) de la Légion d'tionneur. Le général Vic- tor ne prit aucune part îi la guerre d'Allemagne, en 1805; mais, lors de la campagne contre la Prusse, l'an- née suivante, il fut désigné pour remplir les fonctions de chef d'<!tai- major du 5" corps, commandé par le mnréchal Lannes. Il partit de Copenhague sur lu fin de septem- bre, et figura le 10 octobre au com- bat de Saalteld, qui coula la vie au prince Louisde Prusse, 1,600 hom-

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mes tués ou pris à l'ennemi, et 30 pièces de canon. Il se signala par l'exactitude de ses dispositions à la bataille d'Iéna, dont le succès dépendit en grand" partie de la bravoure du corps d'armée auquel il appartenait, et qui porta k la monarchie prussienne une atteinte dont elle fat longtemps à se rele- ver. Dans cette sanglante action, Victor reçut une eoniusion violente causée par un hiscaïen ; mais il n'en continua pas moins de vaquer avec zèle à l'exercice de ses fonc- tions. Ce fut lîii qui, comme fondé de pouvoirs du maréchal Lannes, signa, le 25 octobre, la capituiaiion de Spandau. Le 26 décembre, il prit une part honorable au combat de Puitusk, ies Russes, bien re- tranchés, se défendirent avec ach,ar- nemeni. Quelques jours plus tard, Victor reçut de l'empereur la mis- sion d'i.'.'Sjjeeterlestravauxdessiég^'S de Colberg et de Dantzig. Il par- courait dans cet objet, au mois de janvier 1807, ies environs de Stet- tin, en voilure, avec son aide de camp et un domestique, lorsqu'il fut enlevé par un parti de chasseurs prussiens; mais Napoléon, qui ne pouvait se priver d'un tel auxiliaire, le fit bientôt échanger contre quel- ques prisonniers prussiens. La mis- sion de Victor n'eut, du reste, aucune suite, et il revint immédiate- ment participer aux périls et aux exploits de la grande armée. La bataille de Frie.lland, livrée le sep- tième anniversair»' de la journée ne Marengo, lui fournit une uouvt-lle occasion de montrer sa bravouie et sa solidité. Il commandait le pre- mier corps de cette formidable phalange, enrempl'.cementde ber- nadotte. «îrievemenl bles.sé quelques jours avant au combat de Spandau, et fut chargé de se porter sur la

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villedeFriedlând,àlasuitedeNapo- léon et de la garde impériale. Sa di- -vision dut former avec cette garde le corps de réserve. Le maréchal Ney,qui occupait la droite de l'ar- mée, s'étant ébranlé pour marcher à l'ennemi, ce fut le corps de Vic- tor qui reçut ordre de lui succéder dans sa position , et de soutenir cette attaque par fe feu de sa redoutable artillerie. Le général Dupont, chef de l'une des divisions de ce corps, s'apercevant que la division Bisson, qui formait la gauche du maréchal, commençait ^ plier sous le choc de la garde impériale russe, marcha spontanément à son secours. Cette garde fut à son tour chargée avec une impétuosité qui força toute la gaii.'he de l'nrmée ennemie à se précipiter, dans une inexprimable confusion, sur la ville de Fried- land. Il s'ensuivit un affreux carnage. Les quatre divisions de Gortschakotf furent littéralement anéanties par le fer et le feu, ou noyées dans les eaux de Lalle. L'empereur récompensa, le 13 juil- let 1807, l'utile coopération de Victor par le bâton de maréchal, et, plus tard, par le litre de duc de Bellune. Après le traité de Tilsit, il fut nomme gouvernei-r de Berlin, et remplit ces fonctions avec une intégrité et un esprit de modération qui lui concilièrent l'estime et la re- connaissance des habitants.— Lors- que Napoléon, aveug'.Ji par sa for- tune, eut médité d'accomplir par la trahison et la violence l'usurpa- tion de la couronne d'Kspagne, il n'employa point immédiatement le concours du nouveau dignitaire. Ce ne fut qu'au mois d'août 4808, quelques jours après le désastre de Baylen, qu'il confia à Victor le commandement du premier corps de la grande armée. Victor se diri-

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gea sur Bayonne dans le, courant de septembre 1808. Lors de son passage à Paris, il fut reçu à la barrière de Pantin par le préfet de la Seine qui le complimenta, et remit à son corps des couronnes d'or destinées à orner les aigles des régiments dont il se composait. Le commandement de Victor en Es- pagne fut marqué à son début par quelques fautes de stratégie qui lui ont été sévèrement reprochées. Il eut le tort de disséminer ses forces, lors de sou arrivée à Viltoria, et d'envoyer en Biscaye, sur la de- mande assez mal motivée du roi Joseph, la divison Vilatte qui en faisait partie, et que le maréchal Lefebvre employa à des opérations prématurées, qui contrarièrent le plan de campagne de Napoléon. Ce grand capitaine s'appliqua promp- tement à rectifier la partie mal en- gagée. Victor eut ordre d'appuyer le maréchal Lefebvre dans son mouvement sur Orduna, et de ral- lier ensuite le centre de l'armée. Mais cet ordre ne reçut qu'une exécution imparfaite. Le chef du î*" corps se contenta iie flanquer son collègue de la brigade La- bruyère, qui ne fit aucun mouve- ment sérieux, et qu'il rappela bien- tôt a lui, laissant k Balmeceda la division Vilatte exposée au choc (lu généial Blake, fort supérieur en nombre. Les deux maréchaux y opérèrent le 10 novembre unejonc- lion momentanée, puis le duc de Belluiiese trouva vers le milieu de la journée devant la petite ville d'F^spinosa, .;n présence de Blake, qui y occupait, a la tète de ;i(J,000 hommes avec G pièces de canon, une position suftisammeut retran- chée. Le géneial VilaiiL*, qui avait réintégré son corps d'armée, aborda résolùDient les Espagnols, ei, ma|-

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gré l'infériorité du nombre, il par vint à les faire j)lier; un brouillard épais suspendit le mouvement des deux armées; mais, le lendemain 11, à la pointe du jour, Victor re- commença la bataille ;^ la tête de 17.000 hommes d infanterie, et, aidé des efforts du général Maison et du colonel Moulon-Duveruel, il finit par repousser l'ennemi sur tous les points .Ma fois, et par l'en- traîner dans une eff'royable déioute qui lui fit perdre son artillerie, ses bagages, et lui mit près de 20,000 hommes hors de combat. Cette ac- tion, dont la conséquence fut de désorganiser entièrement l'armée de Blake, fit honneur à l'intelli- gence militaire de Victor qui, au lieu d'aborder un bataillon carré dans lequel Blake avait concentré ses meilleures troupessur sa droite, vis-à-vis d'un coude formé par la petite rivière de la Trueba près d'Esi)inosa, s'était rendu maître des hauteurs la gauche des Espa- gnols avait pris position. Celte ma- nœuvre habile avait décidé le suc- cès,quecompléta le maréchal Soult parla dispersion des débris du gé- néral espagnol. Le maréchal Victor vint remplacer son collègue au centre de l'armée, pendant qu'il achevait celte expédition. L'empe- reur, après la bataille de Tudela, s'éiant déterminé à marcher droit sur Madrid, prit avec lui le corps du maréchal Victor, la garde im- périale et une partie de la réserve de cavalerie. Le 30 novembre , Victor précéda Napoléon devant le défilé de Somo-Sierra garde par un corps de 13,000 hommes et l(i piè- ces de canon. Le maréchal culbuta promptement cette troupe, et l'em- pereur, s'eluul rendu eu personne au pied du défilé, ordonna à un esc;^(|ron de chevau-légers polQr.

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nais de le gravir au galop. Cet acte de témérité, accompli avec un élan irrésistible, fut couronné d'un plein succès. Il amena la disper- sion du corps espagnol avec de grandes pertes, et l'armée fran- çaise put s'avancer jusque sous les murs de Madrid , dont les troupes de Victor investirent les abords. Le -4 décembre, celte ville ouvrit ses portes. Vers le milieu de ce mois. Napoléon s'éloigna de Madrid pour marcher sur l'armée anglaise ; il confia au maréchal Victor la garde de celte capitale, avec les divisions Ruffin et Vi- latte, la division allemande Levai, et les dragons de Latour-Mau- boui'g. Mais celte expédition ayant avorté par la letraite de ces deux auxiliaires, l'empereur se décida à retourner à Paris et ordonna à Victor de s'acheminer sur Cuenca pour y culbuter les débris de l'ar- mée de Castanos, qui, dispersés raoraentanément à Tudela, étaient parvenus à se rallier et semblaient méditer quelque mouvement offen- sif. Le 13 janvier 1809, le maré- chal partit de Tolède, se trou- vait son corps d'armée , pour combattre le {rénéral Vénegas et le duc de l'infantado, qui avaient réuni, dans la direction de Madrid, les débris de l'armée d'Andalousie. Seconde par les généraux Vilatle ctRutlin, il les batlitcompléteraent, coupa leur retraite sur Alcazar, il fit mettre bas les armes à six mille hommes; rartilierie du gé- néral Seiiarmont acheva celte dé- route, qui coûta à l'ennemi dix mille prisonniers, quaiante pièces de canon el lreiile-f|u;ttre drapeaux. Lors de l'invasion du Foiiugjl, le duc de Bellune fut désigne pour pénétrer dans ce royaume, par.ille- iement au maréchal Soult, en des-

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cendapl le Tage et en traversant 1^ Haule-Estramadure. Maisle passage du fleuve lui ^yant été disputé par le général Cuesta, Victor s'était vu obligé de faire rétablir le pont d'Almaras que les Espagnols avaient détruit, «t de débusquer préala- blement l'eimemi de tous les points qu'il occupait sur le littoral. Cette opération accomplie, l'armée ira- ver^a le Tage el s'avança sur U Guadiana, yis-à-vis de Medelin, qu'il occupa. Le maréchal rencontra sur ce point, le 28 mars, le géné- ral Cuesta, qui avait pris une forte position entre la rivière Mingabrib et don Benito. L'aile droite fran- çaise était formée de la division des dragons de Latour-Maubourg, l'aile gauche, de la division Lasalle, et le centre, de la division Levai; à la réserve se trouvaient les divi- sions Vilalie et Ruffin, en tout vingt-trois à vingt-quatre mille hommes ; mais il n'y eut en réalité que douze mille combattants enga- gés contre des forces triples. L'at- taque, commencée par le centre, fut mal secondée par les dragons de Latour-Maubûurg; mais la division Vilatte rétablit le combat; Latouf- Manbourg reforma ses régiments, et la cavalerie légère de Lasalle contint les assauts dirigés contre l'aile gauche par quelques batail- lons d'infanterie et une partie de la cavalerie espajinole; puis il rq- prit inopinément l'offensive, el ce mouvement, habilement conçu et conduit avec vigueur par le maré- chal lui-même, décida le gain de la bataille qui fut très-meurlrière, et priva l'ennemi de vingt mille homnie>, y compris huit mille pri- sonniers, et de dix-neuf bouches à feu. Ce brillant succès ne décida point le duc de Belliuie à fraiK hir la Guadiana et a pénétrer en Pw-

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tugal, les Anglais avaieut con- centré des forces imposantes. Il craignit que des rassemblements formés sur ses derrières ne vinssent à couper ses communications avec la capitale par W pont d'Almaras. Il était sans nouvelles des progrès qu'avait pu faire le maréchal Soult, et ne pouvait, dans cette incerti- tude, s'aventurer k travers un pays ennemi et soulevé. Il se cantonna dans la Haute-E^lramadure, entre le Tage et la Guadiana, et sa pru- dence fut pleinement justifiée par les événements qui suivirent. Le maréchal quitta son cantonnement à l'approche de l'armée anglo-por- tugaise, qui envahit l'Estramadure pour menacer Madrid, et il se porta vers le Tage, dans la direction de Talavera.Leroi Joseph manœuvra pour le joindre, avec l'espoir que le quatrième corps, commandé par Sébast ani, aurait le temps de se rallier à eux avant l'attaque de l'ar- mée coalisée, et que ces bataillons rassemblés profiteraient des mouve- ments ordonnés au maréchal Soult dans une autre direction. Celle es- pérance ne devait pas se réaliser. Attaqué à Tahivera le 22 juillet, le duc de Bellune, trop inférieur aux forces qui venaient l'assaillir, quitta sa position pour se porter d'al>ord sur Torrijos et de sur la rive franche de la Guadarrama, k deux lieues de Toiéde, il lut rallié par Sébastiani. Lestrois corps réu- nis formaient à p^in(^ 40,000 com- balta:jis. Ce fut à la lùle ù>: ces di- visions que Joseph entreprit, le 28 juillet, sur le conseil de Victor, et contre l'avis de Jourdan, leur chel d'état-major, d'affronter une armée de 7.*>,00() honjujHs, campée dans une position formidable et fortifiée |)ar des ouvrages de campagne pratiqués avec soin sur tous les

accidents du terrain, et commandée par lord Wellesley, depuis duc de Wellington, en personne. Le ma- réchal Victor, dans l'nrdeur de son zèle, essaya, à la faveur de l'obscu- rité, de s'emparer d'un mamelon s'appuyait la gauche de l'armée ennemie; mais celte attaque, opé- rée simultanément par les géné- raux Ruffln et Lapisse, échoua par une insuffisance de forces que com- pliquèrent quelques-uns de ces contretemps si fréquents à la guerre, et ne servit qu'à signaler aux Anglais l'importance de ce point, dont ils retranchèrent soi- gneusement les approches. Le 1" corps, commandé par le duc de Bellune, avec deux divisions de cavalerie, occupait la droite de l'armée française ; le 4" corps, aux ordres de Sébastiani , avec une division de dragons, formait la gauche ; au cenire et en troisième ligne était la réserve, commandée parle général Dessolles. La gauche ennemie ayant été regardée comme le point le plus vulnérable, les généraux Ruffin et Barrois eurent ordre de renouveler Totlaque de la veille contre le mamelon ; mais ce fut sans plus de succèa. Vers trois heures, le roi Joseph se décida à tenter un assaut général sur tout 1b front de l'armée ennemie. La division Levai, qui s'avança la pre- mière, fut repoussée par 15,000 Anglais, auxquels elle résista vail- lamment en se formant en bataillon carré. Les i"' et A" corps eutierent à leur tour en ligne; la division Lapisse tenta encore d'escalader la redoutable éminence ; elle y réussit, mais sans pouvoir s'y maintenii'. Pendant que, mieux avisé, le maréchal Victor essayait de la tourner, deux légimenls de cavalerie anglaise vinrent charger

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les bataillons français; un de ces régiments s'élança sur» la brigade Strollz; le 10' de chasseurs à cheval ouvrit ses rangs pour les refermer sur ce régiment, qui fut taillé en pièces. Les Anglais paraissaient ébranlés, leur artillerie était dé- montée, leur feu presque éteint. Encore quelques efîorls, et la vic- toire allait, selon toute apparence, se fixer sur nos drapeaux, lorsque le roi Joseph, troublé, irrésolu, crut devoir, malgré l'heure peu avancée, remettre au lendemain, contre les instances pressantes du duc de Bellune, une lutte que de nouveaux conseils et d'alarmants rapports lui tirent abandonner. Il jugea plus prudent de se rapprocher de sa capitale, dont laccèsavait été rendu libre à l'ennemi par la jonction de Victor et de Sébastiani, et il or- donna la retraite. Le duc de "Bel- lune se porta à Casalejas sur l'Al- berche ; Sébastiani suivit le roi qui partit avec sa garde et la division de réserve pour dégager Tolède, menacée par le gén:'ral Ve- negas. Lorsque, dans les premiers jours de 1810, encouragé par quel- ques avantages plus ou moins con- sidérables, le roi Joseph, contre le sentiment du maréchal Soult, décida l'expédition d'Andalousie, l'aile dioite de l'armée, commandée par le duc de Bellune, reçut l'ordre de se diriger sur Almaden,enmême temps que l'aile gauche, sous les ordres de Sébastiani , remonterait sur Linarès, et que le centre, com- posé du corps du maréchal Mortier, et de la réserve confiée au général Dessolles, suivrait la grande route de Madrid à Cadix. Le maréchal Victor fut spécialement chargé de forcer le délilé de Despena-rcrros, qui passait pour inexpugnable, et dont l'ennemi avait essayé de faire

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un obstacle inévitable en hérissant de retranchements et d'artillerie les deux voies parallèles qui con- duisaient dans l'Andalousie. Les corps des divisions Cazan et Des- solles parvinrent toutefois à tourner ce défilé, et forcèrent l'armée espa- gnole à en abandonner la défense; ils pénétrèrent dans l'Andalousie après avoir mis l'ennemi en une déroute complète, et le maréchal Victor y déboucha de son côté par Cordoue, à la suite d'un engage- ment heureux aux environs de Bel-Alcazar, Le maréchal se pré- senta le 29 janvier devant Séville, qui capitula, et se dirigea aussitôt sur Cadix, qu'il bloqua par terre, en distribuant les trois di\isions de son corps d'armée sur les points les plus importants du littoral. Il occupa Rota, Santa-Maria, Puerto- Piéal et Chiclaua, mit en état de défense les forts élevés sur la côte, pri[icipalement à l'embouchure du Guadalquivir et des rivières de San-Pédro et de San-Pétri, et ferma aux bâtiments ennemis l'accès de l'arsenal de constructions mari- times établi au nord de l'ile de Léon. Le premier incident remar- quable de ce blocus fut la prise du fort de Matagorda, situé à la pointe la plus méridionale de la terre ferme, au nord-ouest de Ca- dix. Ce fort fut évacué le 23 avril, après avoir essuyé pendant douze jours le feu de dix mille coups de canon, et ne livra à l'armée assié- geante qu'un monceau de ruines. Ce résultat procura au maréchal la satisfaction précieuse de sauver la vie à plusieurs centaines d'officiers et de soldats français que les Espa- gnols avaient, à la suite et au mé- pris de la capitulation de Davien, renfermés dans deux pontons de- vant Cadix, et qui proruèrenl du

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voisinage de leurs frères d'îirmes pour chercher leur saliil dans l'éva- sion la plus périlleuse. Le duc de Bellune envoya deux barques pour recueillir les fugitifs, et leur fit pro- diguer tous les soins d'une affec- tueuse hospitalité. Dix mois plus tard, dans le courant de tVvrior 1811, le maréchal reçut avis qu'un corps ennemi s'organisait dans l'inten- tion de débloquer Cadix et de dé- livrer l'Andalousie en prenant k revers toutes les lignes des Français, tandis que la garnison de Cadix les attaquerait de fiont, et que les vaisseaux el les chaloupes canon- nières menaceraient tous les points de débarquement. Ce corps, com- posé de 12,000 Espagnols et de 0,000 .Anglais, fut embarqué le 20 février dans la rade de Cadix, et réuni à Tarifa sous les ordres du général La Pena. Il se mit en marche le 28 sur Chiclana, siège du quartier général et des maga- sins de l'armée, et se trouva le 4 mars en vue des avant-postes français. Réduit à des forces extrê- mement restreintes par l'indépen- dance réciproque des généraux qui coopéraient à la guerre d'Es- pagne, le maréchal Victor jugea prudent d'attendre l'attaque des coalisés, dont le premier détache- ment «ssaya sans succès, dans la matinée du 5, d'emporter les lignes de San-Pétti. A l'approche de la colonne ennemie, il se con(tenlra dans Chidana, il avait établi sa réserve, composée de deux bri- l^des. H se décida bientôt néan- moins h marcher à sa fencorilre avec un corps de 6,000 hommes et deux batteries d'arlillerie. Les Es- pagnols, abusés sur rinfcriorité de ses forces , plièrent , furent mis en déroule el accolés à la mer. Mais ïib corps nombretix de coa-

lisés occupait l'importante position de BarrosafLe maréchal tit enlever celte hauteur au pas de charge par le général Ruffin, qui se porta rapidement ensuite sur le flanc de l'ennemi, tandis qu'une brigade de la division Vilalte, après s'être emparée de la tête du pont de San-Péiri, menaçait la tête de sa colonne^ Le général anglais Gra- ham , averti de l'occupation de Barrosa, marcha à la tête de 12,000 hommes pour le reprendre. Le maréchal Victor, perdant tout es- poir d'envelopper un ennemi aussi supérieur en nombre, fit évacuer la hauteur, et rappela sur sa droite et sur sa gauche les brigades avancées. Mais le corps de Ruffin était déjà aux prises aVec les Anglais, et ce général ayant été blessé mortelle- ment dans ce choc acharné, sa bri- gade ne put rallier que tardivement la gauche du corps d'armée. Après deux ou trois attaques inutiles, les Anglo-Espagnols rentrèrent dans l'ile de Léon, laissant sur le champ de bataille 3,500 hommes tués ou prisonniers, trois drapeaux et quatre pièces de campagne. La mésintelligence qui se glissa entre les deux corps des coalisés les empêcha de tirer parti de leur nombre et de leui' position (1).— Il n'était pas donné au duc de Bellune de conduire à leur terme les Oj)éra- tions du siège de Cadix. La gigan- tesque expédition de Russie se préparait, et Napoléon réclamait le concours d'un de ses plus braves et de ses plus solides lieutenants. Le 3avril 1812, le maréchal Victor fut appelé au commandement du

(Ij Jniroductionà l'Histoire de Vex- pédUion de Huasie^ par le marquis de Chambray.

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neuvième corpsdela grande-armée, qui se composait de la division française Partouneaux, de la divi- sion allemande Daendels et d'une division polonaise sous les ordres de Gérard. Ce corps, dont la con- sistance était de trente-huit ou trente-neuf mille combattants, avec soixante bouches à feu. fut chargé d'occuper l'espace compris entre l'Elbe et l'Oder. L'empereur dé- signa en outre le maréchal pour commander Berlin dès que l'armée active aurait dépassé celte capitale. Il y reçut, sur VSl fin de juin, l'avis du passage proch sin du Niémen, Tordre d'arra.^r Spandau et celui de surveiller avec soin la conduite de la Prusse pendant les événe- ments qui allaient avoir lieu. Quel- ques jours plus tard, le maréchal eut ordre de s'avancer sur Danfzig et Kœnigsbeig, puis de se porter sur Tilsit et de sur Wilna, qu'il vint occuper au mois d'août. Il y reçut de nouvelles instructions (26 août) qui lui enjoignaient de quitter la rive gauche du Niémen pour se diriger en hâte sur Smo- iensk. L'empereur, plaçant sous sa direction toutes les troupes qui se trouvaient dans les gouvernements de Mohilow,de Witep^k et de Smo- lensk, aimonçail au maréchal sa marche sur Moscou, et lui recom- mandait de lier soigneusement ses communications avec la grande armée. Le 4 septembre, Victor tra- versa le Niémen à Kowno, et arriva le 21 à Smolensk, l'empereur le destinait à soutenir, en casd'cchec, le maréchal Saint-Cyr ou le prince de Schwarlztnberg. Un avis posté- rieur l'obligea bientôt à se rappro- cher (!e Polutzk et de Minsk, et de modiiier lu distribuiicui primitive de ses divisions. Il laissa à Smo- lensk la division Baraguay-d'Hil-

liers, qu'il venait d'organiser, dirigea sur Baliinowiczi celle de Daendels, et cantonna les divisions Gérard et Partouneaux avec la cavalerie à Senno el à Orsza,.où il établit sou quartier général. La désastreuse retraite de l'armée fiançaise était commencée ! Informé que le maré- chal rus^e Wittgen.stein approchait avec des forces supérieures, Victor détacha la division Daendels, soit pour inquiéter le maréchal, soil pour détendre Witepsk, en cas d'attaque ; mais, lorsqu'il apprit l'évacuation de cette ville, il ne songea plus qu'à secourir Gouvion Saint-Cyr, dont le corps d'armée avait éprouvé, le lî) octobre, un échec assez grave à la bataille de Poloizk, et se porta sur Czasniki à la tète de toutes les forces dont il disposait. Son armée, réunie aux corps des généraux Legrand e t Merle, présentait un etîectif de trente-deux miHo hommes de pied et de quatre mille ciievaux. Les deux maréchaux français et russe se rencontrèrent, le 30 octobre, sur les bords e la Lukmolia. Le dessein du duc de Bellune était d'attaquer Willgenstein avec vigueur. Mais il fut obligé d'y renoncer par suite d'un contretemps qui le privait d'une partie de ses troupes. Le général ennemi, qui s'aperçut de ce mécompte, prit biusquemment l'orténsive, rejeta sur la rive droite du ruisseau les troupes qui bordaient la rive gauche, el, garnissant le centre de sa colonne d'une forte arlillerie, obligea le maréchal à faire recuiér celle qu'il avait sur ce point. Une forte canonnade sans résultats sensibles se prolongea jus- qu'à la nuit, et le lendemain le duc de Bellune se retira sans èire pour- suivi sur Senno, oii il concentra ses deux corps. Celte conceniraiioo

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ne lui permit pas de secourir Minsk, qui fut pris par les Russes, quelques jours plus lard. Après avoir passé deux jours à Senno, le maréchal se porta sur Czéréia, Napoléon, ignorant la véritable po- sition des généraux Kuiuzow et W'iltgenstein, lui lit passer l'ordre de rejeter ce dernier au delà de la Dwina.Mais il différa avecOudinot, qui commandait le deuxième corps, sur la manière d'exécuter cet ordre, et sou opinion comme plus ancien en grade ayant prévalu, il fit ses préparatifs pour tourner la position du feld-maréchal, au lieu de l'attaquer de front comme le voulait son collègue, et les deux corps se miient en marche avec la division Parlouneaux pour avant- garde. A deux lieues de Smo- liany, cette division fut arrêtée par une colonne russe embusquée dans des bois qui traversent la roule. Parlouneaux surmonta vaillamment cet obstacle, et le 14 novembre, les deux armées se trouvèrent en pré- sence devant Smoliany, qui fut disputé avec acharnement, et qui demeura au pouvoir des Fran- çais. Le raarécljâl russe reprit der- rière la Lukmolia la positiou qu'il y occupait ie 31 octobre. Le duc de Bellune, comprenant la néces- sité de ménager des troupes qui devenaient l'unique ressource de la grande armée, n'essaya point de l'en déposter, et il porta, le 17, sonquartier général à Krasnogura, il resta quelques jours. Il y reçut des instructions de l'empereur qui lui recommandaient de masquer avec soin le mouvement que le duc de Reggio devait exécuter sur Minsk, de prendre position entre Borizow,\Vilna et Orsza et l'armée ennemie, cnOn de couvrir la ligne entre Borizow et Nacra contre les

entreprises du corps de Witfgcn- stein, et d'arriver à Borizow le 25 ou le 26, de manière à prendre l'arrière-garde de l'armée. Quand, queîquesjours plus tard, Napoléon, modifiant ces dernières instructions, lui prescrivit de se retirer sur Ba- ron pour occuper la route condui- sant de Lepel à Borizow et à Weselowo, Victor avait déjà com- mencé son mouvement de retraite sur Borizow, par Batury et Chicha- Yruy. Son arrière-garde, commandée par le général Delaître, réussit à arrêter dans le voisinage de la Bé- rézina une partie des troupes de Wiîtgensiein, assez de temps pour permeilre au gros du corps d'ar- mée d'arriver, et, le 23, l'héroïque général Éblé put jeter sur le fleuve ces ponts dont la traversée devait sauver les débris de cette armée, naguère si nombreuse et si for- midable. Victor prit position à Ratuliczi, pour couvrir le prince Eugène et le maréchal Davout. Il quitta ie26au matin cette position, atteignit Loznilza, puis il se rendit le même jour à Borizow, où, par une précaution vaine et barbare, l'empereur lui prescrivit de laisser ladivision Parlouneaux, afin d'abu- ser l'amiral Tchitchakotf sur le vé- ritable point du passage. Le 27, avec ses deux autres divisions Gé- rard et Daendels, il arriva de bonne heure à Studianka, dont il investit et fortifia les abords. Quand le maré- chal vint occuper Studianka, la ma- jeure pariie de l'armée française avait effectué son passage , pres- que inopinément et sans exciter la vigilance! des Russes, répandus sur les deux rives du fleuve. Mais, dans la soirée du 27, leur surveillance avait cessé d'être eu défaut, et chaque heure aggravait les difli- cultés et les périls de cette opéra-

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lion. Uu désastre facile à prévoir était venu les compliquer encore : c'était )a perle de la division du générai Partouneaux qui, se voyant coupé du gros de son corps, avait cherché vainement à se frayer une voie de salut à travers les bataillons de Wittgenslein. Le duc de Bellune, dont la colonne sensiblement ré- duite par ce revers, ne dépassait guère 6 mille fantassins et 7 h 800 chevaux (I}, lutta toute la journée du 28 sur la rive gauche du fleuve, contre des forces quintuples, avec une énergie désespérée. Les Rus- ses s'étant momentanément empa- rés d'un bois à la droite de Slu- dianka, le général Diébitch dirigea de celle hauteur, sur la foule des traînards, hommes et femmes, ac- cumulée autour des ponts, le feu de plusieurs batteries qui produi- sirent dans ces masses compactes un effroyable ravage. Victor, com- prenant la nécessité d'écarter à tout prix ces redoutables assaillants, jeta une partie de son infanterie dans un ravin assez large qui des- cendait jusqu'à la Bérézina, et le séparait de l'ennemi. Puis il fit exécuter par le général Fournier plusieurs charges vigoureuses de cavalerie qui, apj)uyani ce mouY3- ment offensif, en décidèrent le suc- cès. Les Russes reculèrent, et leur nombreuse artillerie cessa de vomir la mort dans nos rangs. Diébitch, parvint toutefois à ramener la co- lonne française au bord du ravin, mais sans le franchir. La nuit sur- vint à point i)Our séparer les com- battants épuisés et pour mettre fin

à celle lutte inégale dont la durée eût infailliblement anéanti les tronçons du O*" corps. Le maréchal laissa une arrière-garde en pré- sence de l'ennemi, et traversa le fleuve le 28 au soir. Le lendemain matin, il fît passer son arrière- garde et retira ses avant-postes. Ce ne fut que vers huit heures que le général Eblé, à l'aspect des co- saques qui accouraient au galop, put se résoudre h sacrifier, par la destruction des ponts, quelques milliers de retardataires que leur insurmontable apathie avait empê- chés de le.^ franchir. Napoléon , sauvé d'un désastre complet ou même d'une honteuse captivité par la mollesse ou l'impérilie des gé- néraux russes, se mit en marche, suivi à quelque dislance des restes de la colonne de Victor. Exaspéré par la i)erte de la division Partou- neaux dont lui-même était le prin- cipal auteur, il ne craignit pas de la reprochera l'intrépide maréchal et de blâmer amèrement l'incerti- tude de ses dernières manœuvres, incertitude à laquelle la versatilité de ses propres instructions, comme on l'a vu plus hau!, n'avait que trop contribué. Victor s'éloigna le cœur navré (l). L'empereur arriva le 6 décembre à ^Vilna, et ne dut qu'à l'industrie artificieuse des rapports du duc de Rassano la fa- veur presque inespérée de traver- ser impunément le territoire ger- manique, où régnait contre lui une irritation universelle (2). Le maréchal Victor conduisit jusqu'à Smorgoni, non sans obstacles, la

(I) M. Thiersdomc mv de Vllisloire de l'Kmpire) cVcw ce nonibro a 9 ou 10,000 soldîtt-s. M. de Chambniy (t. ut, p. 03) le rabaisse a 4,800 hoiiiiiics.

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(1) Thicrs, tome xiv^ livre to.

(2) Chambiay, Hisl. de l'expéd. de liussie, liv. IV.

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faible colonne qu'il traînait à sa suite. Lîi, commencèrent à se dis- soudre les débris dont elle se composait, et celte dernière ar- rière-garde de la jirande armée acheva de disparaître dans les plaines glacées de la Lilhuanie ! Lorsque Timpulsion féconde du génie de Napoléon eut fait éclore en quelques semaines une nou- velle armée, Victor reçut le com- mandement du 2'' corps et la mis- sion de Torganiser en Westphalic, "où il demeura jusqu'à ce qu'un ordre de l'empereur lui pret^crivît de se porter à l'entrée des gorges de Bohème, au dcfdé de Ziitau, passage important qu'il fut chargé de garder avec le corps de Ponia- lowski. Napoléon ayant profité de Tarmistice de Pleiswitz pour aug- menter Teffectif de ses troupes, le corps du maréchal fut porté à seize régiments, et l'armée coalisée ayant débouché par Péterswald sur lesdeirières de Dresde, Victor eut ordre de se replier sur l'Elbe en laissant Poniatowski seul à Ziitau, et distribua une partie de ses troupes autour de Stolpen pour appuyer éventuellement les opéra- tions prescrites à Vandamme en cas de retraite de l'ennemi. A la bataille de Dresde (27 août), le duc de Bellune fut placé, sous les or- dres de Murât, à l'aile droite de l'armée, avec injonction de tourner les Autrichiens par leur gauche, et de les pousser à outrance vers la vallée de Plauen, dont le gé- néral Teste vint garder l'entrée avec huit bataillons. Victor se forma en colonne au pied des hauteurs (pii la dominent, et, sur le signal donné à Murât, il entre- prit de lc> gravir pour enlever les villages de Tollschcn, de Pioslhal et de Corbitz. Ce mouvement, exé-

cuté au sabre et à la baïonnette, réussit complètement; l'infanterie autrichienne fut précipitée dans le ravin de Plauen, et la division Meszko gravement entamée ; à deux heures, l'aile gauche de l'armée combinée était détruite, presqu'au même instant le général Moreau tombait aux côtés de l'empereur Alexandre, mortellement frappé d'un boulet français! Le duc de Bellune, dont la manœuvre avait puissamment contribué au succès de la journée, fut chargé de pour- suivre les coalisés à travers les montagnes de la Bohême, pour les livrer ii l'étreinte puissante de Vandamme ; mais quand le désastre de Kulm eut fait échouer celte combinaison (Voyez Vandam- me, t. Lxxxiv, p. 443), il fut rappelé à Freyberg pour y concourir h. la conservation de Dresde, en veillant à la fois sur la grande chaussée do celte ville et sur le chemin de Tcepliiz par Altenberg. Vers la fin de septembre, la grande armée en- nemie, abandonnant enfin sa tac- tique évasive, se disposa à passer l'Elbe et à déboucher en Saxe par tous les défilés aboutissants. Na- poléon enjoignit à Victor de se re- plier aux environs de Chemnilz, il se lierait avec les corps de Mac- donald et de Lauriston, de façon à présenter à l'ennemi une première barrière de -40 mille hommes, tan- dis que lui-même se porterait dans la direction de Leipzig pour atta- quer isolément l'une et l'autre des trois armées coalisées. La sanglante bataille de Leipzig fut le résultat de la concentration de ces masses opposées. La veille de cette trop mémorable action, Victor, sou- tint avec intrépidité, dcviint le vil- lage de Wachau, le choc du prince Eugène de Wurlemberg, à la lête

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de son infanterie russe et de la di- vision Klux. Ce village fut pris et repris cinq fois en deux heures. A midi, l'empereur envoya au maré- chal deux divisions de la jeune garde avec quelques autres trou- pes, et lui ordonna de reprendre l'offensive. Les ducs de Bellune et de Reggio repoussèrent le prince sur le village de Gillden-Gossa; il revint à la chaige soutenu par les cuirassiers russes, mais les deux maréchaux tinrent ferme, et la di- Tision Dubrelon, du corps de Vic- tor, emporta à la baïonnette la bergerie d'Avenhayn, le prince s'était retranché. Malgré le succès du combat de Wachau, Napoléon se vit obligé de réunir toutes ses forces autour de Leipzig, et Victor reçut, comme la plni)art des chefs des corps qui y avaient pris part, 1 ordre de rétrograder d'une lieue et de formel- sur le plateau de Probstheyda un cercle plus com- pacte et plus resserré. La mission spéciale de défendre cet angle sail- lant, sur lequel devaient s'acharner les efforts de l'ennemi, fut confiée à Victor, et l'empereur lui recom- manda de s'y maintenir opiniâtre- ment. L'infanterie du maréchal et l'artillerie de Drouot arrêtèrent toute la journée les efforts de Blii- cher et de Bernadolte, qui toutefois occupèrent momentanément ce re- doutable plateau. Malgré l'épuise- meni de leurs lioupes, les maré- chaux Victor et Laurision fondirent de nouveau à !a baïonnette sur les Russes et les Prussiens réunis, cl les rejetèrent hors du village avec des pertes immenses. Tous ces avantages s'anéantirent dans le dé- sastre de Leipzig, effroyable ex- plosion des ressentiments (juc tant d'années d'iiumilialion avalent ac- cumulés au cœur de l' Allemagne.

Cette journée à jamais lamentable abaissait les barrières de la vieille France devant ces peuplades vin- dicatives que le conquérant était allé affronter dans leurs propres foyers. L'armée impériale fut con- trainte de chercher dans une prompte évacuation le salut de ses débris, et ce furent les corps de Victor et d'Augereau qui ouvrirent cette lugubre retraite sur laquelle les lauriers de Ilanau projetèrent un suprême mais stérile éclat. Le 2 novembre, Napoléon repassa pour la dernière fois ce Rhin dont les bords avaient salué si souvent ses aigles victorieuses, et, par une vigoureuse résistance à l'invasion étrangère, il se prépara h briser du même coup les hostilités mena- çantes que le déclin de sa fortune commençait à soulever autour de lui. Les maréchaux Ney, Macdo- nald, ()udinot,Saint-Cyr, Marmont, Mortier furent chargés de couvrir les abords de la capitale. Victor couronna sa vie militaire en pre- nant part à cette glorieuse campa- gne, où la puissance de la stratégie tint en échec durant trois mois toutes les forces d ' l'Kurope coa- lisée. Trop faible pour lutter contre les masses compactes qui avaient franchi le ileuve à Strasbourg, il essaya de ralentir leur marche par les combats d'Épinal et de Saint- Dié; mais il ne put se maintenir dans les Vosges, et, craignant d'être coupé du reste de l'armée par les colonnes ennemies, il se replia sur N.incy, puis sur Chàlons-sur- Marne, après avoir opéré sa jonc- tion avec le maréchal Ney. Le ^9 janvier, à la bataille de Hrienne, il entra en ligne à trois heures, et, (luoi(|ue son corps d'armé»^ fût fati- gué d'une marche de plusieurs heures, la division Duhesme qui

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en faisait parlio engagea un feu très-vif contre reuncmi embusqué dans de larges fossés et dans les jardins qui entouraient la ville, dont il était maître. Cette attaque, longtemps infructueuse, fut secon- dée par le général Ghataux, gendre du maréchal, qui gravit rapidement les terrasses du chAteau et réussit h s'en emparer au moment même le maréchal Bliicher qui l'oc- cupait, allait se meilre à table av^c son état-major. Bliicher réunit aus- sitôt les corps russes Sacken et AIsuflefi, et tenta par trois fois, mais vainement, de reprendre ce point culminant. L'ennemi, chassé des rues de la ville, entretint de l'intérieur des maisons un feu vio- lent de mousqueterie dont la nuit seule interrompit les ravages. Les Russes se retirèrent en bon ordre par la route de Bar-sur-Aube, après avoir subi et fait éprouver de grandes perles. Cette snnglante échaulîourée n'aida nullement au succès du plan de Napoléon, le- quel consistait à manœuvrer isolé- ment contre chacune des deux grandes armées ennemies, dont il ignorait la jonction récente. Les effets de cette jonction devinrent trop manifestes trois jours après, à La Iloll)ière,où remi)ereur ne craignit point d'allronter, à la tète de oG mille hommes, les forces coalisées s'élevant à 106 mille combattants. Victor, qui comman- dait la gauche de l'armée, repoussa énergiqueraent les allaques du prince royal de Wurlemberg; mais le général bavarois de Wrède ob- lint contre le duc de liaguse des avanta^M's marqués que Napoléon essaya de neutraliser par une di- verMon sur le village de La Ilothic- re, qui demeura sans effet. Victor lui-même, chargé de nouveau par

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le prince qu'avaient renforcé trois divisions, fut contraint de céder au nombre, et de se retirer entre Petit-xMesnil et Chauménil, vive- ment poursuivi par l'ennemi, qui s'empara du premier de ces villa- ges. Les Français se retirèrent en bon ordre, laissant sur le champ de bataille 6 mille hommes tués ou prisonniers et ;)i canons. Le combat de Champaubert Napo- léon, culbutant complètement le corps du général Alsufiefï, partagea par le centre l'armée de Silésie, et la bataille de Montmirail, signalée par la destruction presque entière de celui de Sacken ; la journée de Vauxchamp, qui acheva de mettre hors de combat les divisions de Blù- cher, relevèrent lesespérancesetle courage de l'armée française. En se portant sur la iMarne, que le feld- maréchal prussien se préparait à franchir. Napoléon confia aux ma- réchaux Oudinot et Victor la dé- fense des passages de la Seine contre la grande armée austro- russe, dont ils devaient arrêter la marche sur Paris. Victor, qui était en position à Nogent, rétrograda lentement et laissa dans cette ville le général Bourmont, qui prit ses dis- positions pour sy maintenir. L'en- nemi tenta plusieurs attaques qui furent repoussées; mais le maréchal, ayant appris que les Bavarois pas- saient la Seine à Bray, envoya l'or- dre d'évacuer Nogent dont on dé- truisit le pont. Cependant l'armée du général Schwarzenberg, k la- quelle les Bavarois servaient d'a- vant-garde, s'avançait sur Nangis; le prince de Wurtemberg avait en- levé S'us, et Blanchi menaçait Fontainebleau. Le 16 mars au ma- lin. Napoléon quitta Meaux pour se diriger sur Guignes, dont la vallée était, depuis midi, le théâtre d'une

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1 tte acharnée. Les ducs de Bel- lune et de Reggio disputaient à l'ennemi, toujours plus pressant, la route de Chaulnes, par laquelle l'empereur avait promis d'arriver. Lorsque ses têtes de colonnes y débouchèrent, ce chemin était oc- cupé par des tirailleurs ennemis. Les corps français réunis arrêtèrent devant Guignes la marche des Austro-Russes, et l'on se hala d'expé- dier des courriers à Paris, qu'a- vait grandement alarmé le bruit de leur approche. L'armée française se reporta en avant. Le maréchal Victor qui marchait en létr\ sou- tenu par les corps de cavalerie de Kellermann et de Miihaud, ren- contra près de .Mormaut un corps russe (le huit mille hommes, qui se replia aussitôt, mais que le ma- réchal lit attaquer de Iront pendant que la cavalerie le tournait par ses flancs. Ce corps, pressé en outre par l'artillerie de Drouot, fut mis en déroute complète et entièrement dispersé. Vers trois heures, le duc de Bellune, à la hauteur de Val- jouan, se trouva en présence de la division bavaroise Lamotie, qud l'échec de l'avaut-garJe russe obli- geait à rélro^irader sur Monte- reau. Ce corps, attaqué aussitùt par les généraux Gérard et LJor- desoulle, fut débusqué de Ville- neuve, occupée par une partie de ses troupes, et chargé avec tant de vigueur qu'il dut chercher son salut dans la formation de son in- fanterie en bataillon carré. Mais ce bataillon fui bientôt rompu par une nouvelle charge à la liaion- nette qui le mit dans le plus grand désordre, et si le duc de Bellune eût fait appuyer ce mouvement par la cavalerie, c'rn était fait proha- blemiiît de la division entière. Le maréchal ne voulut jjoinl ini-

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poser cet effort aux troupes fati- guées. Accablé lui-même de lassi- tude, il s'aiTêta pour coucher à Salins, et ce fâcheux retard per- mit aux Bavarois d'arriver avant les Français aux jionis de Monte- reau. Ce point devint, le 18 mars, le théâtre d'une attaque dirigée, sous la conduite de Napoléon en personne, par les généraux Gérard et Pajol, qui culbutèrent les avant- postes ennemis. Victor ne parut qu'à neuf heures devant Montereau, dont les hauteurs et les deux ponts étaient occupés par le prince de Wurtemberg, dans l'espace com- pris entre Villaron et Saint-Martin. Impatient de réparer le relard que l'empereur était en droit d'imputer à son beau-père, le général Chataux enleva vigoureusement la position de Villaron, mais sans pouvoir s'y maintenir. Il chercha alors î» tour- ner la hauteur de Surville pour s'avancer jusqu'iju pont sur la Seine, et touchait à ce but, quand, atteint morteilemcnt par un coup de feu, il tomba sous les yeux mêmes du maréchal, à la tête de sa troupe, qui piia. Gérard fut aussitôt appelé à conduire les ba- taillons engagés; il réussit à neu- traliser l'arLilierie wurtembei- geoise par l'action de soixante batteries françaises dont le général Daring tenta vainement de s'em- parer, et le i)rince royal ayant été en même temps dcbusqué des hauteurs, les coalisés s'enfuirent dc'.ns un affreux désordre auquel succéda bientôt le carnage le plus meurtrier; huit mille hommes, dont ein(j mille prisonniers, quatre dra- peaux elsix bouches i* feu couvrirent Itf-champ de bataille. Napoléon, vi- vement in(lisj)0sé contre le duc de Bellune, lui envoya lapermission de (luilter l'armée, et donna ^on cum-

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mandement J\ Gérard. Informé de cet ordre, le maréchal monta p''é- cipitamraent à Surville, se trou- vait l'empereur, et vint, les larmes aux yeux, en solliciter la révoca- tion. Napoléon, donnant un libre cours à son mécontentement, re- procha à son lieutenant de servir de mauvaise grâce, de fuir le quar- tier général, et môme de mani- fester une opposition plus déplacée dans les camps que partout ail- leurs. Vivement blessé de ces re- proches, qui n'épargnèrent pas même la maréchale, dame du palais impérial, Victor parvint à peine k rappeler à son maître qu'il avait été l'un de ses plus fidèles compa- gnons d'armes, et qu'à ce titre il ne pouvait quitter l'armée sans déshonneur. Ces souvenirs ayant adouci le ton de l'entretien, Napo- léon ne parla plus au maréchal que des droits que six blessures et ses services lui donnaient au repos, et insinua que ces ménagements pouvaient jusqu'à un certain point compromettre les exigences d'une campagne aussi active que celle qui était imposée à l'armée. Ces derniers mots réveillèrent la sus- ceptibilité militaire du vieux guer- rier; il voulut justifier sa lenteur de la veille pai' son concours du lendemain, mais, au nom du géné- ral Chataux, les sanglots étouf- fèrent sa voix, et Napoléon témoi- gnant à son tour une vive émotion : « Je vais prendre un fusil ! s'écria le maréchal; je n'ai point oublié mon ancien métier; Victor se placera dans les rangs de la garde. » Vaincu par cet excès de dévoue- ment : " Ueslez, lui dit alors Napo- léon en lui tendant la main, je ne puis vous rendre votre corps d'ar- mée, puisque je l'ai donné îi Gérard, mais prenez deux divisions

de ma garde, et qu'il ne soit plus question de rien entre nous. » Le mécontentement de l'empereur s'étendit au général Guyot, auquel il reprocha publiquement le peu de soin qu'il avait pris de son artillerie, et surtout au général Digeon, dont il ordonna la traduc- tion devant un conseil de guerre pour avoir laissé ses batteries man- quer de munitions sur les hauteurs de Surville. Napoléon dissimulait mal sous ces rigueurs impuissantes la clairvoyance de sa situation. En dépit d'efforts presque surhumains, le cercle de la lutte se rétrécissait chaque jour. Les coalisés pous- saient leurs masses compactes sur la métropole des révolutions mo- dernes, et la défaveur progressive de leurs propositions de paix té- moignait irrécusablement du peu d'illusion qu'ils s'étaient fait sur la valeur réelle de nos derniers suc- cès. Avec quelle amertume ne dut pas s'ofiVir alors à Napoléon le souvenir de ces honorables propo- sitions de Prague dont le criminel refus coûtait tant de sang, de larmes et de sacrifices à la France ! Quoi qu'il en soit, le dévouement de Victor ne fut pas soumis îi une longue épreuve. Le 7 mars, à la bataille de Craonne , au moment il venait de s'emparer de l'abbaye de Vauclerc après des prodiges de valeur, il fut frappé iur la lisière du bois d'Aillés d'une balle qui lui traversa la cuisse, et quitta le champ de bataille pour n'y plus reparaître. Le duc de Bellune ne se montra point parmi les maréchaux qui sollicitèrent avec une insistance si indécente, à Fontainebleau, l'abdication de leur ancien chef, mais il fut un des premiers à offrir sa soumission au gouvernement royal. Il fut ac-

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cueilli avec bienveillance par Louis XVIII, reçut la croix de Saint- Louis le 2 juin 1814 , et fut nommé le 6 décembre suivant au commandement de la deuxième di- vision militaire. En 1813, à la première nouvelle du débarque- ment de Napoléon, le duc de Bel- lune adressa de Sedan (10 mars) aux troupes de sa division, un ordre du jour il rappela les mesures prises pour réprimer « le nouvel attentat de Bonaparte contre la paix et le bonheur dont les Français jouissaient sous le gou- vernement de leur souverain légi- time et justement chéri, «etexhortait « tout homme d'honneur à prendi e les armes contre l'homme qui avait tyrannisé, désolé et trahi la France, ainsi que contre les satelliies qui l'assistaient dans ses brigandages.» Le maréchal Victor ne se borna pas il cette véhémente proclamation. Il vint à Chàlons le 16 mars pour y rassembler un corps de troupes deslinéà marcher contre Napoléon ; puis il partit pour Paris, d'où il adressa à tous les colonels de son corps d'armée l'invitation de réunir les officiers et sous-ofliciersde leur* régiments et de leur faire connaître « la position affreuse Bonaparte voulait réduire la France pour satis- faire ses passions violentes aux dépens de la fortune, de la tranijuil- litéetdu sang des Français... Cette guerre, ajoutait le maréchal , est celle de la trahison contre la fidé- lité, de l'iniquité contre la justice, de la honte contre l'honneur. » Victor repartit pour Châlons. il arriva 1«"î !20, et il trouva reunies toutes les troupes de son comman- dement. 11 ordonna sur le champ diverses dispositions pour s'avancer à la rencontre de Napoléon, dont il ignorait l'arrivée à Paris ; mais ses

troupes lui témoignèrent un mau- vais vouloir marqué ; elles arbo- rèrent les couleurs impériales, et Victor, appréhendant poursa propre sûreté, s'éloigna rapidement et alla rejoindre à Gand le monarque au- quel il venait de donner des gages si éclatants de sa fidélité. Napoléon exaspéré, le punit par une mesure sans exemple encore , même dans les fastes de l'arbitraire impérial : il i)riva Victor de son titre de ma- réchal, et frappa du même anathème les maréchaux Oudinot et Gouvion Saint-Cyr, coupables au même chef. Le duc de Bellune tint peu de compte, comme on l'imagine, de cet acte d'impuissante vengeance. Il fitpartie avec la plupart des autres maré- chaux du cortège de Louis XVIII à sa rentrée dans Paris, et ne tarda j)âs à recevoir des témoignages mul- tipliés de la bienveillance royale. H fut nommé le :26 juillet président ducoUége électoral de Loir-et-Cher, et pair de France le 17 août sui- vant. Le 6 septembre, une ordon- nance du roi l'appela à l'une des quatre places de major général de la garde royale. Le 12 octobre, le duc de Bellune reconnut ces faveurs en acceptant la présidence de la com- mission chargée « d'examiner la conduite des ofiiciers de tous grades qui avaient servi pendant l'usurpa- tion; i) tâche délicate à remplir par un vétéran des armées impériales à l'égard de ses ancieus frères d'armes, et dont l'exercice fut en- core compliqué par la subtilité et la bizarrerie des instructions ministé- rielles destinées i le régler. «Ces ins- tructions étaient conçues de telle façon, dit un historien grave, que -leshommeslesplus éminculsde l'ar- mée, ceux qui en faisaient la gloire et la force, se trouvaient eu grande partie relégués dans les dernières

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catégories qu'elles établissaient, et marqués ainsi eu quelque sorte d'un stigmate de flétrissure(l).»Au bout dft deux ans de travail, la commission se sépara sans laisser dans l'armée d'autre trace qu'une irritation profonde contre le pou- voir qui l'avait instituée. Le 10 jan- vier 1810, le maréchal Victor fut appelé au commundemeni de la Indivision militaire ; le 3 mai sui- vant , il fat promu au grade de commandeur de l'ordre de Saint- Louis, et la 24 août à la dignité de grand-croix de cet ordre; enfin, à la formation du ministère de droite du 14 décembre 1821, le départe- ment de la guerre fut confié au duc de Dellune. Comme valeur politique, le maréchal n'apportait aucune force au cabinet ; mais son passé militaire, l'éclat du grade dont il était revêtu, son esprit conciliant, et par-dessus tout, le dévouement in- défectible dont il avait fait preuve pour la cause des IJourbons, justi- Jièrent surabondamment ce choix, qui fut accueilli avec beaucoup de faveur par le parti royaliste. Peu familier avec les débals parlemen- taires, le ducdeBellune n'aborda la tribune, e:rl 822, que pour défendre à la chambre desdépulcs le budget de son département. 11 combattit spécialement les réductions pro- posées par la commission sur le traitement des officiers généraux et des officiers d'état-major en non- activité, et réfuta la supposition que plusieurs d'entre eux seraient conduits, p;ir l'amélioration de leur sort, il prélércr l'inaclion k l'acti- vité, a L'armée, dit-il, à cette occa-

(l) Ilisloire lïc la lieslduraliou, par M. L. de Vicl-Castel, tome iv , p. 2oL

sion (28 mars) , existe pour être le salut et l'appui des honnêtes gens, le désespoir et l'elTroi des rebelles;» conclusion qui excita d'ardentes clameurs au côté gauche de la chambre. Le maréchal écrivit à la même époque (22 avril) une lettre par laquelle il donnait de grands éloges aux officiers qui avaient re- poussé la proposition de s'affilier aux sociétés secrètes dont l'armée su- bissait vivement la pernicieuse in- fluence. Trois mois plus tard, le 28 juillet , en présentant à la chambre le budget de 1823, il repoussa les attaques dirigées contre le ministère au sujet de l'arrestation du capitaine Lafon- taine, et soutint qu'elle avait été motivée par sa conduite séditieuse, etnon par le sens politique de son vote aux élections de la Cote-d'Or. Il combattit énergiquement aussi les reproches adressés par les ora- teurs du cOté gauche aux régiments qui avaient réprimé les complots de Béfort et de Saumur, et s'étonna que « de telles erreurs pussent être le partage d'un député français. »> Le maréchal manifesta néanmoins d'une manière éclatante sa répul- sion pour les instigateurs de la dé- monstration insidieuse à laquelle s'étaient prêtés les deux régiments de chasseurs de Colmar et de Neuf- Brisac, démonstration dont le but avait été de démasquer les mili- taires engagés dans les complots révolutionnaires. Un lieutenaut-co- lonel, principal promoteur de cet in- qualifiable guet-apens, sollicita vai- nement du loyiil ministre l'avance- ment qu'il croyait avoir mérité. Le maréchal ne jugea pas (|u'une pro- motion militaire dût être la récom- pense d'un pareil dévouement. Parmi les actes de l'administration du duc de liellune, nous citerons

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rordonnance du 3 juillet 1822, sur l'inspection des troupes de toutes armes, et celle du 18 seplembrede la même année, sur la réorganisa- tion de l'intendance militaire. Lors- que, dans les premiers jours de 1823,1e gouvernement pourvut aux préparatifs delà guerre d'Espagne, le maréchal témoigna, dit-on, un vif désir de faire partie de celte expédition en qualité de major- général de l'armée. Le général Guilieminot lui fut préféré. Mais la police ayant découvert une conspi- ration militaire dans laquelle le chef d'escadron de Lostende, pre- mier aide-de-camp du général, se trouvait compromis, le comteGuil- leminot ne put conserver ses fonc- tions: le 17 mars, le duc de Bel- lune fut appelé cl le remplacer, et l'intérim de son ministère fui confié au général Digeon. Ces arrange- ments, qui causèrent beaucoup d'omi)rage au duc d'Angoulême, généi'alissime de l'exfjédition, ne devaient être que momentanés. M. de Losiende , complètement disculpé, fut renvoyé à l'armée des Pyrénées, et le général Guiliemi- not reprit ses fonctions. Le ma- réchal, après un court séjour à Dayonne, revint prendre posses- sion de son ministère. Mais cette réintégration ne fut que provisoire. Le duc de Dellune s'attira la disgrâce du dauphin par la mol- lesse de ses dispositions et la négligence qu'il avait apporiee dans la transmission des ordres du prince à l'intendance militaire, chargée de l'équipement et des sub- sistances du corps expéditionnaire. Ce contretemps, si fâcheux, à la veille d'une entrée en cam|)agne, avait obligé le duc d'Angoulême à souscrire l'onéreuse convention si connue sous le nom de marchés

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Ouvrard. M. de Villèle, président du conseil, sacriQa à regret un homme qu'il aimait et estimait , et peu de jours avant le glo- rieux retour de M. le dauphin à Paris (19 octobre), le maréchal dut résigner définitivement le por- tefeuille de la guerre. Cepen- dant le vainqueur du Troca- déro n'obtint qu'une satisfaction incomplète. Le candidat de son af- fection, le général Guilieminot, ne fut point agréé, et le duc de Bel- lune eut pour successeur le baron de Damas, l'un des choix les plus propres, non sous le rapport de l'illustration militaire , mais sous ceux de la droiture et de la fidélité monarchique, à indemniser le parti royaliste du sacrifice qui lui était imposé. Le 30 novembre, le roi nomma le ducdeBellune ambassa- deur de France en Autriche, et accompagna celte promotion d'une lettre conçue dans les termes les plus flatteurs; mais le duc n'accepta |)Oint et se concentra exclusivement dès lors dans ses fonctions de ma- jor-général de la garde royale. Lors du sacre de Cbarles X, il reçut le commandement du camp de Reims, et fut compris, b l'occasion de cette solennité, parmi les cheva- liers de l'ordre du Saint-Esprit. Enfin, le 17 février 1828, le maré- chal Victor fut nommé membre du conseil supérieur de la guerre. Ce fut le dernier emploi qu'il remplit sous la Restauration, mais non le terme de son dévouement. Le 29 juillet 1830, lorsque l'insurrection de Paris commença à menacer la sûreté de la famille royale, le vieux guerrier alla offrir ses services au duc de Raguse , et lui proposa de servir sous ses ordres, (|uoi qu'il fût son ancien en grade. Soit «spril de rivalité, soit que le mare-

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chai Marmont se crût assuré alors de dompter ou de pacifier le mou- Yemenl révolutionnaire, ses ottVes ne furent point accueillies, et le dauphin, assez malheureux pour n'avoir pas perdu le souvenir de ses anciens griefs, se montra peu sensible à ce généreux empresse- ment. Le duc de Bellune quitta Saint-Clouil, péniblement affecté. Il préla serment au roi Louis-Phi- lippe, mais il demeura entièrement à l'écart et s'abstint même de sié- ger à la Chambre des pairs. Cette réserve n'empêcha pas que son nom ne fût plusieurs fois mêlé aux com- plots formés par le parti légitimiste en 1831 et 1832, moins sans doute par l'effet d'une participation réelle, qu'à raison de son attachement si prononcé, si persévérant à la cause des princes exilés. Le duc de Bel- une mourut le 1" mars 1841, lais- sant un nom recommandable par de grandes qualités militaires que rehaussait une rare modestie de caractère, jointe à une loyauté irréprochable. Le maréchal Vic- tor, diTorcé d'une première femme qu'il avait épousée à Valence en 1791, s'était remarié en Hollande en l'an IX, à l'époque il com- mandait l'armée de Batavie, à ma- demoiselle Julie Vosch de Ave- saat, qui fut dame du palais im- périal. Il en eut deux (ils et une fille, mariée au général Chataux, tué en 1814 sur le champ de ba- taille de Montereau. Son fils aîné, e marquis de Bellune, membre du Sénat, mort au mois de dé- cembre 18.-)3,a publié, sous le titre û'ExIraits des Mémoires inédits du dur de lU'llune (Paris, 18 Uj, in-8°), un volume (jui contient le récit des premières campaj^nes du maréchal, et (jue termine une réfutation cir- constanciée des inexactitudes dans

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lesquelles l'historien du Consulat et de l'Empire est tombé à son égard. On a de plus, du maréchal, un Mé- moiresurles marchés Ouvrard (Paris, 1826, in-8"), précis destmé à com- battre les inculpations d'incurie ou d'imprévoyance qui lui avaient été faites ù l'occasion de la seconde guerre d'Espagne. A. B— ée.

VIDAL (DoM Pierre), issu de parents distingués, vers 1G08, à Joigny, au diocèse de Sens, en Bourgogne, se destina à la vie reli- gieuse. Ayant embrassé la règle de saint Benoit, dans la congrégation de Saint-Maur, il fil profession, à l'âge de dix-huit ans, dans l'abbaye de la Trinlté-de-Vendôme, le jour des apôtres saint Simon et saint Jude de l'année 171 G. Lorsqu'il eut fini ses cours de philosophie et de théologie, qu'il fit avec distinc- tion, on le nomma professeur de ces deux sciences élevées, pour les enseigner aux jeunes religieux. Il demeura longtemps dans l'abbaye de Sainl-Germain , Ji Auxerre , dans l'obédience de sous-prieur, et il jouit de la bienveillance et même de la confiance de M. de Gaylus, évêque de cette ville. Ces dispositions d'un évêque, ardent janséniste, à son égard, feraient seules présumer des opinions de Dom Vidal. Il était en effet forte- ment attaché à ce malheureux |)arti qui a tant fait de ravages dans ri^glise, et même dans la congrégation de Saint-Maur en particulier. On sait que l'illustre saint Germain, après son voyage dans la Bretagne armoriquc, alla îi Ravenne, en Italie, et y mourut le ai juillet 4't8; on sait aussi que l'impératrice Placidie lit renfermer son corps dans un coffre de bois de cyprès , et le fit reporter à Auxerre, il arriva cinquante

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jours après sa mort. Au dernier siècle, on découvrit des ossements dans un coffre-fort de l'abbaye Saint-Marien, dans la même ville. Le célèbre abbé Lebeuf crut et voulut persuader au public que ces ossements étaient les véritables reliques de saint G'^rmain. Dom Vidal, qui ne partageait point celte persuasion, \)ub\h: Leltrescritiques, dans lesquelles on fait voir le peu de solidité des preuves apportées par ceux qui poursuivent la vérification des prétendues reliques de saint Germain, évoque d'Auxerre, avec cette épigraphe : Adhug sub jcdice LIS EST. Ces lettres, qui furent publiées sans indication de lieu, mais à Auxerre, dans le format in- 12, parurent anonymes (1) et sont au nombre de sept. On y ré- pondit par trois lettres imprimées à Auxerre, chez Fournier, en 1753. Dom Vidal y répliqua, et comme c'est assez l'usage dans les duels, même littéraires, il eut des adver- saires et des j)arlisans. Après la mort de Caylus, Dom Vidal fut obligé à quitter la ville d'Auxerre. Les supérieurs l'envoyèrent dans Tabbaye de Saint-Bénigne, de Dijon, pour y administrer le tem- porel. Plus tard , il revint à Auxerre, dans l'abbaye de Saint- Germain, il mourut le 10 sep- tembre 17()0. Outre l'ouvrage que j'ai indiqué, Dom Vidal avait eu part à quelques écrits polémiques

(I) Barbier, qui inonlioune ces lettres dans le troisit'ine voIuiir' de son IHc- tionudirc des Anonymes, mais en don- nant 1753 pi)iir date de celte édilinii, indiipu' qu'il b b attribue h dom Viilal, d'a|très lecataloj,'ue manuscrit de l'abbé (î()uj(!t. Il est étoiiiiaiit ((u'il i^uoiàttiue dom Tassin les a données a dom Vidal, dans le petit article qu'il lui a consacré.

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gur les affaires du temps, c'est-à- dire sur et pour le jansénisme. Néanmoins son zèle n'a pu lui faire obtenir de l'abbé Cervau une place dans son Nécrologe des plus célèbres défenseurs de la vérité.

B.— D— E.

VIDERÏC ou VIDRIC, ou, selon d'autres, AVIDRIC, en latin Vin- drius et Vindericus, est le nom d'un pieux et savant religieux du xr siè- cle. Il embrassa la vie monastique dans l'abbayé de Saint-Èvre-les- Tûul, sous la règle de Saint-Benoît. Le monastère, fondé au \*^ siècle, avait d'abord suivi la règle d'A- gaune, ou plutôt celle de saint Colomban. Gauzlin, évêque de Toul au x" siècle, y introduisit le ré- gime des bénédictins, jusqualors inconnu en Lorraine. Videric de- vint abbé de ce monastère, qui, avant la révolution française, ap- partenait à la congrégation Je Saint-Vanne. On connaît peu les actions de ce religieux, qu'on sait pourtant avoir été distingué par son savoir et sa haute i)iété. On ignore môme l'époque de sa mort, mais on sait qu'il vivait encore en 106j(i j, puisqu'on trouve son nom à la fin d'un titre de l'évèque Odon, pour l'égiise de Saint-Gen- goul, de Toul. Comme auteur, Vi- deric est connu seulement par ce quil a écrit sur saint Gérard, évê- que de Toul. 11 a : 1" écrit sa vie, à la prière de Léon IX, qui, avant d'être pape, avait été évêque de Toul. Cette vie, d'après laquelle Baillet a composé la sienne, se

(Il Alors que penser de la date 091, "Xloiinée par Lmgipont, dans la nomen- clature qui termini' le 8"- volinnc de >on JJisluire litlérairc de l'ordre de S(iiut- Itcnoit? Dom Fran(.M)is dit aussi que Viiicric a Yécu dans les et xr siècles.

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trouve, comme on doit le penser, dans le recueil des Bollandistes. Elle est fort édifiante, dit Godes- card, et très-bien écrite. L'édition la meilleure et la plus complète que nous en ayons, est celle qu'ont donnée dom Martenne, tome IIl du Thésaurus Anecdotonim , p. lOiS, et dom Calmet, dans les Preuves de son hisloire de Lorraine, App. mon. tome IV, part. 2, p. 137. Le P. Benoît Picard, capucin, publia le même ouvrage en français avec de longues notes, 1700, vol. in- 12. Il le fit reimprimer en 1707, dans son Histoire ecclésiastique et civile de Tout. Outre la Vie de saint Gérard, Videric a 2" donné et dédié h Udon, évêque de Toul, V Histoire de la canonisation et de la translation du même saint Gérard, faite par le pape saint Léon, en lOoO ou 105J, dont lui, Videric, dit avoir été témoin. Enfin, 3* notre auteur, tou- jours hiérophante de saint Gérard, a aussi mis en vers la vie de ce saint évêque. Son style est simple, dit Dom François, et sa poésie n'est pas relevée; mais l'ouvrage respire la sincère piété de celui qui l'a écrit. L'estime et la répu- tation dont jouissait Videric sont bien prouvées par l'épitaphe qui se lisait autrefois au chapitre de Saint-Evre, et qui donne quelques indices sur sa vie :

UJc tegitiir tomba mouachorum lucida gemma,

Excmpluiu vita-, maxima lux patrifi-, Alibas Oifitio Videricus, (termine claro,

Kxiinius mundo, c^egius Domino. Dum rcvebit cursiu, per senas Marlius ides,

Taie decus terris, livida mors rapuit, Nos petimu> vidui, miserd sab sorte relicli,

Sil dit'iius re^no Tirere, Cbrisle. tuo.

Le père Mabillon, au tome IV, des AJinales de son ordre, a aussi parié de Videric. B.— d. e.

VIDOCQ (François-Euglne) doit U une uoloriélé plus populaire que

recommandable l'honneur de figu- rer dans ces colonnes ouvertes à des hommes et à des actions plus dignes d'intéresser la postérité. Il naquit le 23 juillet 177o i\ Arras, son père était boulanger. Ses inclinations vicieuses se révélèrent de bonne heure par quelques lar- cins commis dans la maison pa- ternelle, lesquels grossirent de proche en proche, jusqu'à un dé- tournement de deux mille francs qu'il effectua à l'aide d'effraction ; puis il s'enfuit à Ostende avec le projet de s'embarquer pour l'Amé- rique; mais des malfaiteurs l'ayant attiré dans un lieu suspect le dé- pouillèrent à son tour des produits de son vol, et Vidocq se vit obligé, pour vivre, d'entrer au service d'un saltimbanque du plus bas étage qui l'assujettit aux traite- ments et aux exercices les plus humiliants. Dégoûté bientôt de cette existence abjecie, il revint à Arras solliciter le consentement de son père pour s'engager dans le régi- ment de Bourbon et l'obtint sans peine; mais s'étant pris de que- relle avec son sergent-major, il déserta dans un régiment de chas- seurs d'où l'exila bientôt la crainte d'être traduit à un conseil de guerre pour son dernier méfait. Ce fut sous un drapeau étranger que Vidocq alla cette fois chercher un abri contre la vindicte militaire de son pays; il se lit incorporer dans les cuirassiers de Kiiiski; mais les rigueurs de la schlague ne tardèrent pas à lui rappeler sa qualité de Français. 11 repassa la frontière, reparut dans son ancien régiment de chasseurs, et quitta momentanément le service par suite d'une blessure qu'il avait reçue i\ la jambe. 11 profita de co répit pour épouser, à dix-huit ans,

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la sœur «l'un aide de camp de Jo- seph Lebon, appelé Chevalier; mais il la quitta à la suite d'une mésa- venture conjugale, reprit sa vie errante, et profita du dérèglement de la discipline militaire pour par- venir rapidement au grade nomi- nal de lieutenant, et même à celui de cjipitainc de hussards. Une dame de qualité chez laquelle il était logé, s'intéressa assez yivc- ment à lui pour le gratifier d'une somme de quinze mille francs. Vidocq vint à Paris au commen- cement de 179G, dépensa rapide- ment cette somme en compagnie de joueurs et de femmes perdues, et se rendit k Lille il ne tarda pas à subir un emprisonnement correctionnel pour voies de fait exercées sur un officier du génie, avec qui il s'était trouvé en rivalité. Cette détention fut l'occasion de la seule sentence criminelle qui pa- raisse avoir été prononcée contre lui : Ciile de huit ans de fers pour complicité dans !a fabrication du faux ordre de mise en liberté d'un cultivateur condamné pour vol de blé. Vidocq fut conduit Ix Brest d'où il s'évada après une semaine de séjour : mais il ne put se sous- traire îi la surveillance de la gen- darmerie, et essaya seulement d'a- méliorer son sort en se faisant passer pour déserteur de la marine. Traduit à Ponianion dans la mai- son de détention destinée aux ma- rins, il parvint encore à s'évader sous le costume d'une religieuse. A la suite de diverses aventures sans intérêt, Vidocq fut reconnu, et dirigé de nouveau sur Brest, d'où il s'échappa pour la seconde fois déguisé eu mal»'lot. Il fut de nouveau livré à la justice sur la dénonciation d'un faux frère et conduit dans les prisons de Douai,

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dont l'enceinte fut aussi impuis- sante à le retenir que l'avait été la surveillance des gardes-chiourmes de Brest. Il Tint à Paris, fit la con- naissance de la femme d'un che d'escadron nommée Annelte, et entreprit un petit commerce qui eût prospéré, sans les saignées ré- pétées qu'il lui fallait faire subir à sa caisse pour rétribuer la discré- tion de ses anciens compagnons de captivité. Ce fut alors que Vi- docq, à bout de voies, prit le parti d'aller, dans les premiers jours de 1809, offrir son concours à la po- lice de sûreté, sous la seule condi- tion de subir le restant de sa peine dans la maison de force qu'on voudrait lui désigner. Son offre fut agréée après quelque hésitation, et voilà Vidocq enrôlé dans les rangs et bientôt à la tête de cette fameuse bande d'agents secrets, dont l'in- dustrie, aussi nécessaire que mé- prisable, consiste à appliquer à la recherche des malfaiteurs les res- sources que la plupart ont dé- ployées précédemment pour pré- parer le succès de leurs méfaits. Cette seconde phase de sa vie ne présente ni plus d'intérêt, ni sur- tout un intérêt plus attachant que la première. Des ruses de police, d'astucieux déguisements, d'igno- bles perfidies, toutes les formes de langage employées dans les lieux les i)lus infimes; tels sont les ta- bleaux nauséabonds que nous dé- roule Vidocq lui-même, historien de ses propres turpitudes, et qui, sous le nom fastueux de Mémoires, ont joui, pendant plusieurs années, du triste privilège de désennuyer l^s oisifs de la capitale et de la province. Cette existence dégradée cl périlleuse dura jus(}u'eu 1827, et il faut constater, pour être juste, que Vidoc(i signala son exercice

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par quelques coups de main habiles cl par quelques services essenliels. On conçoit toutefois qu'un tel per- sonnage ait été peu sympathique à M. Delaveau qui, dans le rêve d'une belle âme, avait imaginé de moraliser la police, et d'en purger le personnel de cette foule d'êtres dangereux, dont les services équi- voques lui paraissaient propres surtout à jeter un irrémédiable discrédit sur une institution des- tinée par-dessus tout i^i protéger l'honneur et la sûreté des citoyens. Vidocq s'alarma sérieusement de l'invasion des jésuites dans la rue de Jérusalem, et donna sa démis- sion. Il se retira à Saint-Mandé, dans une maison modeste qu'il avait fait construire dt puis peu, et dirigea ses vues et son intelligence du côté de l'industrie. Préoccupé de l'avantage de secourir par le travail ceux des repris de justice auxquels, malgré un repentir sin- cère, cette flétrissure fermait tout accès à un emploi utile, il fonda une manufacture de papier et de carton destinée à recevoir exclusi- vement des libérés des deux sexes, moyennant une rétribution déter- minée. Mais cette idée, bonne en soi, échoua soit par le défaut d'ap- pui du gouvernement, soit |)ar la répugnance des détaillants de Paris à employer des produits d'une origine aussi impure, et Yidocq fut contraint, au bout de quelques années, ù une liquidation onéreuse. Cependant l'ouragan de 1830 ve- nait de balayer le régime qui avait soulevé ses susceptibilités. Vidocq se décida à rentrer dans la police sans caractère officiel , comme en 1809 ; mais ce fut, cette fois, à la police politique surtout qu'il offrit le tribut de son intelligence et de son dévouement. On le vil (igurer

dans ces bandes dites A'assommetirs chargées d'intimider les ennemis du nouvel ordre de choses; et les services qu'il rendit à la cause de l'ordre, lors de l'insurrection des 5 et G juin 1832, sont établis par une lettre du préfet de police au mi- nistre de l'intérieur, en des termes qui ne permettent pas d'en contes- ter l'importance. Il fut même pré- senté au roi Louis-Philippe à cette occasion, et lui-même reproduit dans ses Mémoires le fait de cette entrevue, mais avec des détails tel- lement excentriques, qu'ils empê- chent d'y ajouter une foi absolue. . Il ne paraît pas d'ailleurs que la gratitude de l'autorité se soit exer- cée avec beaucoup de munificence \x l'égard de Yidocq, car, au mois de juin 1833, on le voit ouvrira Paris un bureau de renseignements pour éclairer le commerce sur les fai- seurs de dupes dont celte ville abonde, et mettre en œuvre plu- sieurs autres i)rocédés industriels dont il parait avoir tiré un certain profit. Quant à l'agence commer- ciale , elle prospéra assez long- temps, bien que troublée par deux actions en police correctionnelle, pour escroquerie, (jui n'amenèrent aucune condamnation définitive contre le prévenu. Toujours en- thousiaste des gouvernements nou- veaux, Vidocq mit ses services à la disjiosition de M. de Lamartine après la révolution de 18^8, et se montia l'un des fervents adora- teurs du pouvoir qui s'éleva sur ses ruines. On le vit saluer du litre de Messie et de réycnéraleur de la France le promoteur du 2 décembre dans un magnifique transparent ex- posé aux fei)êtr(!S de rap|)artement qu'il occupait jur le boulevard Beau- marchais. Ce dévouement banal avait peu profité à sa fortune. Vidocq

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mourut dans un état de détresse ab- solue, le 28 avril 1857, après avoir demandé et reçu avec une ferveur édifiante les secours de l'Eglise. Le langage qu'il tint à ses derniers moments fut en harmonie avec ce retourtardif mais sincère aux idées religieuses. « J'étais sur le bord de l'abime... Depuis soixante-quinze ans je n'étais pas entré dans une église... Dieu, qui est la miséri- corde infinie, n'a plus de motif pour ne pas me pardonner... Trente fois je me suis battu pour des prêtres qu'on voulait insuiier dans la ter- reur de 93... On ne meut pas quand on a un pied dans la tombe et qu'on vient de recevoir le saint viatique... f> M. B. Maurin a publié, en <838, une très-intéressante no- lice sur celle naluie énergique, for- tementdouée, originairement hon- nête, mais dégradée, comme tant d'autres, par l'absence de toute éducation religieuse et dévoyée par cette dépendance jette une pre- mière faute que l'historien latin a si bien caractérisée facililas prio- rum {lafjiliorum. A. B et.

VIEU VILLE (Marquist'. de la). Elisabeth Montt^ommi'ry, de la branche française des Monigom- mery, qui montra tant d'enthou- siasme pour la religion prétendue réformée, naquit probablement au milieu du xvn"" siècle. Elle épousa le marquis de La Vieuville, qui lui môme prof-ssait protestantisme, et dont la famille était le soutien de la réforme d.ms le pays de Fou- gères, en Bn.tagne, pays les apostasies avaient clé rares, tandis qu'à Vitré l'hérésie avait fait des progrès sensibles. Le calvinisme « fil peu de progrès à Fougères, a dit Pomiiuriul, à l'article de « celle ville dans le biclionnaivc c( de Uretagne; les seigneurs de la

« Vieuville avaient un temple dans a leur château (l), et il devint le a rendez-vous des protestants de a ce canton. » Restée veuve, Eli- sabeth Montgommery demeura en- core quelque temps dans ses er- reurs, mais enlin, ouvrant les yeux à la vérité, elle abjura et fit pro- fession de la religion catholique, en 1699. Elle eut l'avantage d'é- teindre probablement le reste du brandon de schisme qui pouvait en- core exister en ces contrées, et mérita ainsi une place honorable dans l'histoire de son pays. L'an- née suivante , elle voulut rendre compte elle-même au public des motifs de sa conversion , dans un volume intitulé : Motifs de la con- version de madame la marquise de La Vieuville, en Bretagne, diocèse de Rennes. \o]. in-li2, Paris, Jean et Michel Guignard, 1700. B— d— e. VÏGÉE. Voijez LEBRUN, Bio- graphie universelle, l. lxxi, p. 3.

VILLA-ALBA (Marc de), célè- bre religieux cistercien, édifia l'Es- pagne au xvi*" siècle, par sa science et sa grande vertu. Il embrassa la vie monastique dans le monastère de Mont-Sion, près de Tolède, sa piété et sa doctrine lui conciliè- rent la vénération de tout le monde. Il fut choisi |)Our général de la coniirégalion d'Espa^^^ne, à laquelle appartenait son monastère, et dans l'exercice de celte liante fonction, il se montra si soigneux des inté- rêts divers de ses religieux, qu'ils avaient tous pour lui autant d'af- fection que de respect. Le roi d'Es- pagne, qui l'estimait à cause de sa sainteté et de la sa^resse de son

(I) Le cliàteaii (h Vieuville est situé sur la coinmuiic de Chàttlier, anoii- dibsouient de Fougères (llle-ct-Vilaiiie}.

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gouvernement, le nomma abbé de Fitero. Ce monastère est une abbaye (le l'ordre de Citeaux, appartenant aussi à la congrégation dite de l'Observance en Espagne, fondée par Martin de Vargas (voyez Var- GAs, ci-dessus). Villa-Alba sut y af- fermir et y maintenir la plus ré- gulière observance , et rarement il s'abstenait d'assister à l'office du chœur , comme le religieux le moins empêché. En un mot, il était, dans sa nourriture, dans sa cellule, etc., comme tous les pères de la maison. Chaque an- née, il donnait un exemple de mo- destie qui louchait jusqu'aux lar- mes tous les frères qui en étaient témoins. Le vendredi saint, après une courte exhortation, il deman- dait humblement pardon ù tous ses moines des fautes dans lesquel- les il était tombé. Tous les ab- bés de la réforme en faisaient au- tant, il est vrai , ainsi le portaient les constitutions; mais ce qu'elles ne prescrivaient pas et ce qu'il ajoutait, c'estqu'ilcommandaitàson prieur de lui infliger une punition pour ce qu'il avait vu de repré- hensible en lui , et de lui remon- trer ses fautes sans dissimulation. Pour obéir, le prieur, qui sa- vait que par il lui serait agréa- ble, le reprenait ^évèrement pour des défauts qui à peine auraient été sensibles en d'autres, et lui fai- sait infliger une cruelle discipline par deux religieux. Villa - Alba mourut dans son abbaye, en 1590. Celle abbaye, située au diocèse de Pampfîlune , dans la Navarre, était dans un village, dont on fille tour avec le corps du défunt, aumilieu d'une foule d'habitants, et surtout de pauvres, qui pleuraient un bien- faiteur. On vénérait son tombeau, et au bout de sept ans , les reli-

gieux ayant eu la curiosité de l'ou- vrir, on trouva son corps aussi en- tier et aussi intègre que le jour de l'inhumation. On le confia de nou- veau Il la terre, et dans le même endroit, prenant la précaution de remplir de chaux le sépulcre, pour que du moins, par ce m.oyen, les chairs fussent consumées. Précau- tion inutile! Quand, dans la suite, ce sépulcre fut ouvert de nouveau, le corps du vénérable religieux était resté dans le même état de conservation. Cette circonstance, dans laquelle on ne pouvait dissi- muler qu'il y avait du prodige, fit que les moines de Fitero honorè- rent encore davantage Villa-Alba, persuadés qu'il était au nombre des saints. L'illustre abbé ne se bornait pas à la direction de sa maison et il trouvait encore le temps de se rendre utile par ses écrits. Ainsi I, en lo84, il publia à Salamanque un recueil des défini- tions des chapitres généraux de la congrégation de Mont de Sion. II, en 1588, il écrivit une lettre de consolation à Philippe II, après le naufrage de la flotte formidable que ce roi avait envoyée en Angle- terre. III. Il a laissé dix livres de commentaires sur les prophéties d'Isaie. Divers auteurs ont fait l'é- loge de Villa-Alba, entre autres Bucelin, dans son Ménologc de l'ordre de Saint-Benoît. Henri- quez, dans son Fasciculus satide- rum ordinh cislerciensis , etc.

B— D— E.

VILLAGUT ou yiLLMlUm

(Alphonse), savant canonislp. du wr siècle, était natif dij Naples. avec d'heureuses dispositions pour l'étude, il les cultiva, apprit le grec et 1 hébreu, pénétra avec avantage dans toutes les sciences, et surtout dans celle du droit ca-

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1)011, et il obtint le grade de doc- teur en celte faculté. Il s'était fait bénédictin, le 9 juillet 4366, à l'ab- baye de Sainl-Séverin , dans sa ville natale, et la considération dont il jouit dans celte maison re- leva à la première dignité. Devenu abbé de Saint-Séverin, il y bâtit avec goût et enrichit la bibliothè- que d'un grand nombre d'ouvra- ges, tant imprimés que manuscrits. Son attrait pour la vie de cabinet était contrarié par la nécessité de remplir les charges principales de sa congrégation ; mais il déposa ce fardeau, pour ne s'occuper qu'à la lecture et à la composition. Il était encore dans la force de l'âge, puis- qu'il n'avait que 37 ans, quand la mort l'enleva, en" 1623. Quoique livré à tant d'obédiences, il avait beaucoup écrit et a laissé I. Prac- tica canonica criminalis. etc. Vol. in-4, Bergame, 1583; 2'' édition, Francfort, 1388. U. De usuri.s, etc. Traclatus divisas in quesiiones XXXV. In-fol. Venise, 1389. III. Consulta- iiones decisivœ ad varios casus tam in PoNTiFicio quant in CiESAREo jure in praxi tract atos, etc. In-fol. ïré- vise, 1601. IV. spéculum visitaio- ruffi, seu commissariorum , seu Me- thodus procedendi , processusque formandi in causis criminalïbus con- tra clericos per sœculares. ln-4, Ve- nise, KiOl. V. De cxtensionelegum^ tam in génère , quam in specie Tractatcs amplissimus, etc. ln-4, 1602. VI. Altegutioiies in jure, Trac- TATLs de rébus Ecclesiœ mate aiie- natis restituendis, etc. In-i, Naples, 1C03. 2' éd. liolo-ne, 1600. 3' éd. Cologne, 1609. Vil. En langue ita- lienne, un traité ascétique, divisé en 3 volumes, dont le premier pa- rut, formai in- 12, 'd Venise, en l'année 1387, et les deux autres en 1389. Vlll. Propuijnaculum inejrpu-

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rjuabile ecctesiarum pro sibi reinte- grandis bonis stabitibus, etc. IX. Propugnaculum impenetrabile totius libertatis et immunitatis Ecclesiœ sanctœ. X. Propugnaculum exemp- tionis Monachorum cassinensium.

XI. Thésaurus actuum criminalium.

XII. Défense des dogmes de la re- ligion chrétienne contre les juifs.

XIII. Discours sur les mystèi'es du Sauveur. Ces six derniers ouvrages n'avaient point été imprimés , et étaient gardés en manuscrit dans l'abbaye Saint-Séverin. Mais après tant de bouleversements dont Na- ples a été victime, on peut douter que la bibliothèque des bénédic- tins, si elle existe encore, soit dans le même état. Dom François a parlé de Villagutli dans la Bibliothèque générale des écrivains de l'ordre de Saint-Benoit, mais les dictionnai- res historiques de Richard et de Ladvocat etc., n'en disent rien, et Longiponl, dans sa grande histoire littéraire n'a mentionné ce ju-. riste érudit ni dans le corps de l'ouvrage, ni dans Ylndeéc omisso- rum, etc. B d e.

VILLAROEL (Emmanuel de), célèbre bénédictin espagnol, acquit, au commencement du dernier siè- cle, une grande réputation comme prédicateur. Il était membre de la congrégation de Valladolid. Ce re- ligieux possédait, dit-on, une grande variété de connaissances, et il avait non-seulement le talent de la parole, mais aussi celui d'é- crire. En 1702, il donna, dans le format in-^" , des panégyriques, au nombre desquels se trouve l'o- raison funcbre du cardinal Saenz d'Aguerre, (jui avait été aussi bé- nédictin. 11 a fait imprimer sept volumes in-fol. de comm< iitaires sur l'Ecriliire sainie, dont i(; pre- mier parut à Madrid eu 1703, et

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les autres, les années suivantes. Cet ouvrage, dit dom François, a été ;iccueilli du public; il est érudit, et peut être fort utile aux prédica- teurs. Ce jugement est aussi celui des journalistes de Trévoux, expri- mé dans leur volume du mois d'août 1707. Ils avaient parlé du premier ouvrage de Villaroél, dans le volume d'octobre 1702. On peut également consulter, sur le même auteur, la page 1004 du II' tome de la Bibliothèque sacrée du P. Le- long. B— D— E.

VI LLEBOIS ( Etienne - Marie- Louis-MicHEL baron de), inspecteur général des tinances, à Brest le \6 janvier 1777, suivit, dès Tàge le plus, tendre, son père M. Michel de Villebois, commissaire général de marine, à Bordeaux, il fit ses études et traversa péniblement les cruelles épreuves que la tourmente révolutionnaire fit subir à sa fa- mille. Resté jusqu'à Tâge de 32 ans étranger aux affaires publiques, ce ne fut qu'en 1809 qu'il entra dans la carrière administrative, il n'a cessé de rendre les services les plus utiles et il s'est acquis, dans ses différents emplois, la ré- putation d'un fonctionnaire aussi capable qu'intègre. Nommé d'a- bord sous-inspecteur du trésor et, comme tel, chargé de la sur- veillance du mouvement des fonds des caisses de l'armée d'Espagne, il fut, (jualre ans après, promu au grade d'inspecteur. En 1819, il lut nommé inspecteur général des finances ; en 4822. maiire des requêtes au con- seil d'Eiai, et, en 1824, directeurde l'Imprimerie royale. C'est princi- palement dans cef.e haute position que M. de Villebois montra la supé- riorité de son intelligence et de ses conuaissanceb aUminisiratives, en introduisant dans le régime de l'Im-

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primerie royale de sages et utiles ré- formes. La comptabilité établie par cet habile administrateur n'a pas moins contribué à la prospérité de cet important établissement. Cette comptabilité a été plusieurs fois citée avec éloges et offerte comme modèle à suivre dans les autres ad- ministrations qui, comme l'inipri- merie royale, ont leur budget par- ticulier. Rentré dans la vie privée après les événements de 1830, M. de Villebois se retira à Ver- sailles où il mourut le 26 février 1837, profondément regretté de sa famille et des nombreux amis que lui avaient acquis l'améniié de son caractère et la supériorité de son esprit. Z.

VILLEGONTIER (Louis-Spiri^ dionFrain, comte de la). Si la vie ducomtede La Villegontiernenous faisait connaître qu'un administra- teur instruit, zélé ; un homme dis- tingué par un rare ensemble de belles qualités et de vertus privées, peut-être mériterait-elle une mono- graphie étendue, mais assurément elle ne pourrait prétendre à grossir la nomenclature des hommes cé- lèbres que renferme la Biographie universelle. Mais le comte de La Villegontier a touché à tant de points divers des choses de son temps, que sa vie est un des traits épisûdiquesde l'histoire contempo- raine ; le lecteur verra qu'elle ré- clamait les quelques pages que nous lui consacrons ici. 11 naquit U Fougères (llle-et-Vilaiue), le 26 jan- vier 1776. Son père(l)Heaé-Joseph

(1) « Issu (l'une fauiillc parleincu- taire, dit le Dictiunnuirc UiSloiique de Brclagiie, anoblie par Louis Mil, en iCdi, dans la pciv)nn(; de Sébastien Frain. > (Voyez Frain, tome xv, page 423.)

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Frain, membre du parlement de Bretagne, avait épousé Mélanie- Louise-Renée, fille du comte Four- nier de Pellan. Ce mariage fut in- fluencé par le duc de Penihièvre, qui présidait alors les Etats de Bre- tagne, et qui promit d'être le par- rain du premier enfant que le ciel donnerait aux nouveaux époux. Cet enfant, celui dont nous parlons ici, fut tenu sur les fonts de baptême par le vertueux prince et son in- fortunée belle-fille, la princesse de Lamballe. Quoique dans une po- sition sociale qui devait lui faire goûter de bonne heure les dons de la fortune avec les joies de la fa- mille, le jeune Spiridion ne jouit pas longtemps de ces avantages ; la Providence le destinait îi passer une partie de son enfance et de sa jeunesse dans lesépreuves et même les privations. Son père mourut en 1782, sa mère, l'année suivante. Il restait l'aîné de trois autres orphe- lins, unesœuretdeux frères. Tandis que leurtuteur,M.de la Bigne Ville- neuve, confiait au pensionnat des religieuses de la Miséricorde de Jésus, à Saint-Nicolas de Fougères, l'éducation de la jeune personne, il plaça les trois garçons au collège de Vendôme, ils suivirent toutes les classes; et chaque année le frère aîné remporta les premiers prix de la sienne. Lk il connut le duc De- cazes et son frère, et forma arec eux des relations d'amiiié qu'au- cune circonstance n'a jamais al- térée. Au sortir du collège il entra, en 1794, à l'école polytechnique, qui venait d'être créée, et il y ob- tint les mêmes succès ([u'ù Ven- dôme. Admis au premier ou au deuxième rang , il sortit aussi , en 1797, le premier ou le second de l'école. On lui proposa de prendre pari à l'expédition d'Egypte ; sa

santé, faible alors , et surtout ses principes, le portèrent à refuser. Libre de lui-même et la tête de sa famille, il revint habiter Fougères, d'où il faisait de temps en temps des voyages à la capitale. Après avoir établi sa sœur, qui demeurait avec lui, il se maria lui-même en 1806. Il épousa M"^ Adélaïde-Marie-Claire deLaviefvilledeBoisgelinKerdu{l). N'ayant rien voulu sous le premier empire, il ne commença sa vie pu- blique qu'à la restauration des Bourbons. Libre d'accepter la sous- préfecture de St-Denis-en-France ou celle de Versailles, il préféra cette dernière, et y fut nommé le 2 août 181 5. Le séjour des troupes alliées (Prussiens et Anglais) av;;it amené la nécessité de dépenses, dont la li(juidation demandait des fonds et une aptitude spéciale. Le comte de La Villegontier, quoique débu- tant, montra qu'il était capable de faire tout ce que demandaient des circonstances difficiles; de celle-ci il eut tout le fardeau et tout le mé- rite. Le préfet était mal avec le ministre. Le comte de La Villegon- tier obtenait plus facilement que lui de l'administration l'argent né- cessaire (2). On sentait si bien l'u- tilité de sa coopération , que , le l""janvierl816, les sous-préfectures de chef-lieu de déparlement ayant été supprimées, le préfet demanda

(!) Fille lie Toussaint-Marie de Boit»- ijelin, aspirant de marine sons Sutlren (voyez ce nom, xliv, p, 150), et qui, a l'ûge de dix-huit ans, avait reçu la croix de Saint-Louis, pour une action d'éclat dans la mer des Indes. La noble Tamille de Hoisgclin, distinguées dans réiilisc, dans l'armée, etc., l'est aussi dans la république des lettres. (Voyez lioisge- lin, tome v, page 18, et tome Lviri, pagca MîO, 461.)

(2) La liquidation s'éleva a quinze mil- lions et plus pour le départonicnl !

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qu'on maintînt dans ses fonctions jusqu'au 1°' mars le conite de La Villegonlier, parce que tel était le vœu de la commission des subsis- tances, commission dont le comte de La Villegonlier était membre zélé; elle retirait un grand secours de sa présence. Il était impossible au minisire de faire dans la sup- pression une exception en faveur du sous-préfet de Versailles, il l'au- torisa du moins à continuer de siéger dans celte commission pour la seconder par ses travaux et l'é- clairer par ses lumièr es. JeWes étaient les expressions du ministre , qui ajoutait ces mots tlalteurs : « Le zèle « et le dévouement dont vous avez « fait preuve dans la place de sous- « préfet, me font espérer que vous « continuerez avec plaisir d'être « utile à un arrondissement que « vous avez si bien administré. » Le comte de La Villegonlier refusa la place de secréiaire général du dé- parlement de la Seine, et son refus mécontenta le ministre Taublanc ; mais ( e ministre ayant eu alors un successeur, le comte de La Ville- gonlier fut, dès le 15 mai de la même année , nommé préfet de l'Allier, dont le chef-lieu est Mou- lins. Admis à remercier le roi dan» une audience particulière, il reçut encore de Sa Majesté le témoignage le plus flatteur sur sa gestion à Versailles. Il n'arriva à sa nouvelle destination que le 13 juin, parce que son prédécesseur (le comte de La Vieuville), nommé à la préfec- ture de la Somme, désirait recevoir à Moulins, avant de partir, la prin- cesse Caroline de Naples , qui ve- nait épouser le duc de Berry. Dès le lendemain de son arrivée , le comte de La Villegonlier écrivit aux maires et aux sous-préft'ts une cir- culaire qui découvrait l'esprit de

conciliation dont il voulait s'ins- pirer dans l'administration du dé- partement. Celte lettre plut beau- coup à Louis XVIII et à ses minis- tres; mais je dois dire qu'elle trouva beaucoup moins de fa- veur i^ la cour et dans le départe- ment. On semblait y voir que le nouveau préfet voulait pactiser avec la révolution et les révolutionnaires. Aujourd'hui on est déjk loin de ce temps, et la plupart ignorent quelles étaient les susceptibilités de l'é- poque. Quelques-uns trouvaient ces circulaires fort sages et fort prudentes ; d'autres les regardèrent comme rétrogrades et intempes- tives, Parmi ces derniers comp- taient les sous-préfets des trois ar- rondissements, de Sulau,àGannes; Martin des Islets, à Montluçon ; de Conny, àlaPalisse. Celui-ci, roya- liste plein d'ardeur, regardait le comte de La Villegonlier comme un honnête homme trompé , et tous trois cependant lui restèrent atta- chés d'estime et d'afleclion. Si tous n'approuvaient pas entièrement le préfet, tous étaient charmés de la préfecture; et la réception cordiale qu'on y trouvait , le ion à la fois grand , poli et aisé , que madame de La Villegonlier savait faire I égner habituellement dans les salons de son hôtel, y attirait beaucoup de monde presque tous les jours. On en vint bientôt à connaître l'esprit de fermeté et de sagesse du préfet; on passa pour lui à des sentiments encore plus élevés durant la disette qui affligea l'Allier à la lin de Tan- née 1816 et pendant une moitié de l'année suivante. Avant d'en parler, je veux du moins indi(iuer un trait curieux qui montrera quelles élaient les maximes du coinle de La Ville- gonlier. Un bonapartiste exalté cl fougueux, Gautier Labertière, qui

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élait sous le coup d'une condamna- tion, et, par décret, exilé à Bourges, n'avait pu être saisi. Tombé entre les mains du sous-préfet de La Palisse, il fut conduit au comte de La Villegontier . qui , loin d'agir avec rigueur, le traita avec une sorte de générosité, s'en rapporta à sa bonne foi, et n'eut pas lieu de s'en repentir. Labertière tint sa parole et Sv3 rendit volontairement au lieu de son exil ; il est yrai qu'il n'avait guère d'autre parti àprendre, et il est douteux qu'il ait, pour cela, changé de sentiments. Lell juillet, le préfet reçut la duchesse d'An- goulême, qui se rendait aux eaux de Vichy, et cette princesse, qui revint pourle même sujet, l'année suivante, lui témoigna toujours beaucoup de bonté, et lui donna , ainsi que le prince son époux, des preuves de son estime et d'une amitié presque familière. A la fin de cette année et la moitié de l'année suivante, le département de l'Allier fut, comme je l'ai déjà dit, éprouvé par une famine cruelle, qui donna au préfet bien de la tablature, mais lui four- nit aussi l'occasion de montrer son activité et la sagesse de ses vues. Il regarda avec raison comme son devoir de venir au secours de ses administrés. A{)rès réflexion, il prit une ri'solution qui lui parut la plus prudente, et ne s'en départit pas, résistant même aux injonctions que les difficultt's de la position avaient arrachées à Laine, ministre de l'in- térieur, car h'S concessions lui pa- raissaient injustes et inopportunes. Le ministre lui en sut gré plus tard, et l'en remercia de vive voix et par écrit. Voici en abrégé ces résolu- lions et ces mesures : libre circula- tion des grains au dehors et au dedans du département..; point de réquisition..; point de taxe..; pro-

tection aux commerçants..; recher- che et saisie des spéculateurs non commissionnés et non patentés...; activité continuelle de lagendarme- rie pourempêcher les désordres...; punition immédiate quand néan- moins les désordres sont arrivés...; partout du secours, surtout en tra- vaux, et aussi appel au concours et à la générosité des propriétaires..; espérance dans les dons et la pro- tection du gouvtrnemeut. Or, le gouvernement ne manqua pas à se montrer, pendant neuf mois, com- patissant , secourable , mais éner- gique dans la répression. Le comte de La Villegontier recourut aussi au zèle et à l'influence des personnes haut placées, des maires, des curés surtout, dont la parole comme les bienfaits ne tirent jamais défaut en pareilles circonstances. Ils se mon- trèrent admirables. Le préfet se rendait sur plusieurs points du département, son apparition était une fête , et il y portait cette habitude de générosité dont il s'était fait un devoir , et qui lui servit beaucoup, sans cependant être onéreuse ; il gagnait tous les cœurs par ses bonnes manières (1). Au nombre des réformes et des

(1) Les hauts fonctionnaires, les ma- gistrats, les administrateurs sont expo- sés «) recevoir des deniaiules étranges, et il donner des refus pénibles, mais nécessaires. Peu, grâces a Dieu ! sont du genre d'une faveur sollicitée un jour du comte de La Villegontier, et qu'il ne put accorder. Cette aventure, si je puis la qnalitier ainsi, lui arriva lors de sa visite à Montluçon. Il allait monter en voilure pour partir, quand un ecclésias- tique, venu de l'Auvergne, lui fit de- mander une audience. Le préfet le pré- vint et alla le trouver dans la chambre d'auberge il raltcndait. g -.elle fut sa surprise quand il vit un prêtre lui demander la permission (il s'exprimait ainsi) de prêcher a Moulins, avouant

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améliorations qu'il procura au dé- parlemeiude T Allier, on doitcomp- ter ce qu'il fit pour les fameux bains de Néris. Il y trouva une mauvaise administration; il y por- ta remède par ses remontrances, car on en vint h un mode plus dé- cent... Mais, là, il dut céder, après avoir satisfait à sa conscience, à des intluences très-hautes, qui maintinrent le médecin des bains, dout il avait demandé la destitu- tion. Il n'y avait guère qu'un an que le comte de La Villegontier se dévouait avec tant de conscience, j'ajoute, et de bonheur aux inté- rêts de ses administrés, lorsqu'il se vit dans la nécessité de les quitter.

que prêcher était sa passion. Ce prêtre était M. Lcgroing de la Romagcrc, âgé alors d'enviros oo ans, frère d'un ad- joint au maire de Montluçon. I.e préfet eut beau lui répondre poliment, mais nettement, qu'il n'aviut aucun droit k s'immiscer dans cette alfaire ; qu'il de- vait s'adresser au grand vicaire (Mou- lins n'étant pas évêché alors) ou au curé de Notre-Dame, puisque c'était à .Notre-Dame qu'il voulait prêcher; le piètre lui demanda du moins d'écrire â ces messieurs qu'il désirait l'entendre, et reçut encore un refus. Le pré (et con- sentit pourtant a aller l'entendre s'il prê- chait. De retour à Moulins, le comte de La Villegontier reçut la visite du grand vicaire de Clermont et du curé, qui lui représentèrent qu'il les mettait dans l'embarras, la prédication étant interdite à M. de laRomagère dans le diocèse, il aurait mis le feu ; qu'il avait fallu écrire à l'évêché, et qu'un l'aurait refusé si on n'avait pas craint de déplaire k lui, pré- fet. — Vous ne m'auriez pas déplu du tout, répondit celui-ci, et il expliqua les choses. Enfin il entendit, le lendemain, * le discours le plos décousu, le plus im- prudent. Le pndicateur vint le remer- cier, et vamcniroi jo pp-fet chercha à lui faire poliment comprendre ses im- prudencc'' politiques. Le mcnie abbé devint évêque de Sainl-FJricuc, où, avec d<' bonnes qualités, il resta singulier et garda sa manie de prêcher.

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Le 8 octobre 1817, il fut appelé à la préfecture d'Ille-el-Vilaine. On put croire qu'il n'était pas sans avoir coopéré, d'une manière plus ou moins dirtxte, à celte mutation, qui le conduisait dans son pays natal. Il n'en était rien néanmoins, et il fit des efforts jiour en chan- ger les dispositions. Le 17 octo- bre, M. Decazes lui écrivit qu'il n'avait pu obtenir ni du ministre de l'intérieur. Laine, ni de Louis XVIII, qu'il n'allât point à Rennes, il devait se rendre im- médiatement. Il vit du moins avec consolation, les preuves de sympa- thie que lui attira sa circulaire d'a- dieux, et les regrets qu'excitait son départ, qui eut lieu le 16 du même mois. En passant par Paris, il eut, le 18, une audience bienveillante du roi, qui lui recommanda de suivre à son nouveau poste la même ligne politique qu'à Moulins. Il lui parla des Bretons et de leurs idées qu'il n'approuvait point, et, chose étrange! il signalait parmi les noms qu'il frappait d'une sorte d'index, celui de Corbière, dont il lit plus tard son ministre! Le duc d'Angouléme faisait alors une tour- née en Normandie et devait se rendre dans plusieursdéparlements de l'Ouest. Il était muni d'instruc- tions qu'il devait suivre également à Rennes. Louis XVIII voulut que M. Decazes les communiquât au comte de La Villegontier, qui osa dire au roi qu'il les Irouvaitun peu sévères. Pour faire comprendre ce dont il est ici question, il est né- cessaire d'entrer dans quelques détails qui révéleront des circons- tances d'une haute importance, lesquelles sont généralement in- connues et se lient intimement à l'histoire d". la Restauration. Le nouveau préfet devait se rendre

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promptement à Rennes, pour y recevoir le duc d'Angoulême qui allait y arriver en quittant la Nor- mandie. Comme je l'ai déjà fait remarquer ci-dessus, le duc d'An- goulême, en parcourant les provin- ces de l'Ouest était muni d'une instruclionsur l'esprit des départe- ments, et avait une consigne sur la manière dont il devait être reçu ! 1 Les maires et les munici- palités ne devaient aller au-devant de lui que jusqu'à l'entrée des villes; les préfets et les sous-pré- fets ne devaient pas s'avancer au- delà de l'entrée de leur hôtel ! ! ! Il n'était pas permis d'annoncer par le canon l'arrivée du prince I Enfin, les garnisons ne devaient pas montrer plus d'empressement ni suivre un autre cérémonial!.. C'était donc pour recevoir le prince dans ces conditions que le comte de La Villegontier devait se hâter de se rendre à Hennés, il arriva le 25 octobre 1817. Le même jour on lui fit les visites officielles, qu'il rendit le lendemain. Ayant déjà une connaissance de l'actualité ad- ministrative, il partit le 29 pour la ville de Saint-M;ilo, le duc d'Ang'iulême devait arriver le 30; il laissait, en partant, à M. de La Villebrunne, secrétaire général, le soin de meubler l'hôtel de la pré- fecture, qui était à peu près nu. Dès qu'il fut arrivé, il se concerta avec Dupeiit-Thouars, sous-préfet de cet arrondissement, sur la me- sure qu'ils auraient à prendre pour suivre l'étrange prescription du ministère. Le lendemain il alla au- devant (lu prince, qu'il rencontra a Paramé, bourg situé à deux ou trois kilomètres de Saint-Malo. 11 eut un quart-d'heure d'entretien avec lui à la portière de sa vor- lure, lui remit une lettre autogra-

phe (0 dont l'avait chargé le roi, lui accordant une audience, lors de son passage à Paris. 11 essaya au- tant que possible de modifier les instructions que Son Altesse avait reçuessurles répréhensions ou ré- primandes qu'elle avait à adresser aux individus, et sur la réception

(1) Le due d'Angoulême laissa voir dès lors les inconcevables préventions qui l'égaraient sur les Bretons, et dit au comte de La Villegontier qu'ils avaient une mauvaise tête! Q'ii eût pu soupçon- ner dans la foule enthousiaste, accou- rue de fort loin pour voir le prince, qu'il venait remplir une semblable mis- sion î Qui aurait pu s'imaginer que les instructions dont il était chargé citaient avec blâme des noms tels que ceux de Vioménil, O'Mahony, Laboissière, La- bourdonnaye, Dupîessis de Grene- dan, etc.; qu'elles flétrissaient les entreprises militaires, pour former une troupe dévouée, du wolonel de Busnel! On blâmait celui-ci de connaître un honnt'te oivrier de Vitré, Hubert, ma- réchal ferrant, qui a sacrifié toute son existence à la cause royale. Monsei- gneur Vévéque (Enoch) est bon et nage, ce qui est encore fort heureux, ctait-il dit en toutes lettres! Mais on ne se trouvait pas si heureux dans les dispo- sitions du clergé. Les missionnaires ont propa()é les confréries. H est pru de communes dans le département d'Ille- ct-Vilaine qui n'en ait nu moms une. On en comptait troia à lîennos vers la fin de 1816. Je suis persuadé qu'on vou- lait dire congrégation. Sera-t-il iton- nant alors que l'opposition libérale ait tant déclamé contre la congrégation ? Sur quelques points de la liretaqne, les missionnairefi ont porté l^exalia- tion jusqu'à frapper d'analhèmes les prêtres conslttuttcnneh, les époux qu'ils ont mariés... les pécheurs qui ne viennent pointa leur tribun d faire ,unc confession iiénérale. A Hennés, M. Vabbé Deudnst a prêché dans ce sens, et monseigneur révéque Ca for- tement improuréH! Je demanderai, qui a connu îi Hennés M. raldtc Diu- dast, et si des ministres du roi pduv.iipnt signaler de telles choses, et si on ric'vait les contier au portefeuille du dur d'An- goulême!!!!

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qu'on voulait lui faire à elle-même. Le pauvre prince laissait quelques fois deviner lacontrainte qu'il éprou- vait. Dans la circonstance pré- sente, il ne voulait rien prendre sur lui-même, et il laissa au comte de La Villegontier la responsabilité de rinfraction aux instructions bizar- res et perfides des ministres. Celui- ci l'assuma volontiers, et, selon qu'il était convenu, il fit partir au galop un gendarme pour prévenir le sous-préfet. Quelques instants après le duc d'Angoulême fut reçu magnifiquement, à la joie et à la sa- tisfaction des habitants de Saint- Malo. Il n'en fut pas de même à Rennes, le préfet se hâta de re- tourner. Néanmoins il y reçut le prince à l'entrée de la ville, et non à la porte de la préfecture seule- ment. L'entrée se fit à cheval, par la rue de Brest; les fenêtres étaient pavoisées, mais pas d'en- thousiasme ni d'air de fête. Le prince en parut bit ssé, mais fit bonne contenance. Le général Du Breton, commandant de la division militaire (alors la treizième), avait ététellemeni contrarié de l'inconce- vable consigne, qu'il voulait don- ner sa démission et briser son épée. Les troupes brûlaient d'ardeur et souffraient de contradiction. Quand le prince passa sur la place de la Motte (1), les officiers de la garni- son le saluèrent avec respect, mais leur tenue témoignait d'un vif mé- contentement. Dans la préfecture, la réception fut d'abord brillante, mais bientôt se passa une scène pénib'e. Le géuéral Du Breton, en* saluant le prince, vonlul exprimer le regret d'avoir vu son élan com-

(1) La plîice de l;i Motte est devant riiritel (le la Pn^erlure.

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primé par une mesure sévère... Le prince impatienté lui dit : Général, vous feriez bien d'aller soigner votre santé. Le général fut blessé, sans doute, mais non abattu; il voulut continuer; mais le prince lui dit brusquement : Non, non, vous êtes malade, vous feriez bien d'aller soigner votre santé... Le général, avec un air d'affliction fort digne, salua et se retira à son hôtel, il se constitua aux arrêts... Le lec- teur aura peine à croire îa la véra- cité d'uue pareille relation, et l'au- teur de cet article, fort jeune alors, spectateur enthousiaste comme presque tout le monde, était, comme presque tous, bien loin de soupçonner de tels faits, qu'il ne s'attendait guère à raconter un jour! Je veux dire néanmoins tout de suite que le duc d'Angoulême, souffrant sans doute des folies aux- quelles on l'obligeait, et dont les apparences retombaient sur lui, réfléchit bientôt sur cet acte im- prudent, et en ouvrit son cœur au comte de La Villegontier. Celui-ci, qui avait souffert de ce cruel inci- dent, mit avec empressement un baume salutaire sur les plaies res- senties par ces deux hommes, qui avaient, l'un sa vénération, l'au- tre son estime. 11 ne dissimula pas au prince sa pensée. Le lendemain le général fut rappelé, pressé dans les bras du duc d'Angoulême, et mangea k sa table. Il y eut, pendant trois jours, déjeuner et dîner d'éti- quette, ce qui donna facilité d'in- viter beaucoup de monde. Mais certaines invitations étonnèrent, scandalisèrent même les hommes bien pensants. Je citerai, par exemple, Malherbe, jurisconsulte distingué, mais ancien membre des premières assemblées législati- ves et de la Chambre des représen-

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lants dans les cent-jours. Cette invitation avait été commandée! 11 n'est pas sans importance, peut- être, de faire remarquer ici que le prince vculul payer partout ses dépenses, et que ses dépenses ne montèrent qu'a quatre mille francs pour son séjour de trois journées. Le comte de La Villegoiitier suc- cédait au comte d'AllonviJle, dont l'administration était dans le sens du ministère, mais qui avait mal pris à Rennes avec l'autorité mili- taire. Le comte de La Villegontier paraissait devoir être dans de meil- leures conditions. Il venait dans son pays, iljouissailde l'estimegéné- rale. Il tenait parle sang à des noms vénérés dans le département, tels que le comte de La Belinaye, le marquis de La Rouerie, De Farcy de Montavallon,etc.;safamilleélait alliée à celle de Chateaubriand. Tout lui donnait donc l'espérance de trouver partout des sympathies et une coopération facile. Il n'en fut pas néanmoins absolument ainsi à son début. On peut juger, d'après ce que j'ai déjà dit et d'après ce (|u'ou a vu de sa gestion à Moulins, de la marche qu'il avait à suivre, et du plus ou moins de sympathie qu'y donnaient ses sentiments per- sonnels. Louis XVJII avait voulu, comme je l'ai rappelé aussi, que le ministre Decazes communiquât au comte de La Villegontier les instructions données au duc d'An- gouléme. Le fond de ces notes se réduisait à distinguer deux sortes d'oppositions au gouvernement du roi : l'une, dans les buonapartisles el les républicains; l'autre, dans ceux que rirjslruciion appelait roya- listes exagérés. On signalait aussi le clergé et les missionnaires; on signalait enfin une associalion Ven- dée. Les menées démocratiques

étaient aussi signalées, mais dans un cadre beaucoup plus restreint. Voilà le thème des indications données par M. Decazes à son an- cien ami, pour lui servir de gou- verne, comme on dit dans le lan- gage familier. On lui classait, dans la première division des opposants, les légistes, à Rennes; et pour les buonapartistes, moins nombreux et moins dangereux, les anciens officiers en retraite, etc. Dans celte division figuraient les hommes qui avaient fait partie de la fédération bretonne, dont Rennes fut le ber- ceau et le centre. (En cela les ins- tructions me paraissent avoir été dans le vrai.) Les royalistes exa- gérés se subdivisaient aussi en deux classes, celle des anciens nobles et d'ecclésiastiques, désormais peu à craindre. Le seul mal qu'elle fil encore était de prolonger les in- quiétudes des acquéreurs de biens nationaux, par la chimère de la restitution. L'autre fraction roya- liste était vraiment redoutable; si elle avait eu l'avantage, disaient les instructions, elle nous entraî- nerait infailliblement dans la route l'Assemblée constituante nous avait perdus. » Il est certain, du moins, peut-on lui répondre, qu'elle ne nous eût pas laissés dans la voie la monarchie s'est à la lin perdue elle-même. On rappelait la résistance du peit séminaire pen- dant dix mo'is, et son succès contre l'Université ; on signalait comme anlimonar chique l't'sprit qui avait, le iO avril 181", dicté à la cour de Rennes un arrêt en faveur de cette maison!!! Ou en disait autant du conseil général du départemen!, les ordonnances universitaires avaient été attaquées, en particu- lier par MM. Corbière et Duporzou, qu'on nommait!... Le duc d'An-

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goulême portait aussi dans sa poche l'indication d'un foyer d'op- position royaliste : L'hôtel de Cuillc, logent, disait la note, tous les amis de M. Corbière, et d'oii partent habituellement les plus violentes dé- clamations... contre tout ce qui cons- titue le gouvernement du roi (le gouvernement nu roi ! ! ) Tout ce qui est exagéré trouve appui dans cette maison... C'était dans cette maison, était-il dit encore, qu'en mai 1817 se rassemblait un conci- liabule oii étaient MM. Corbière et Sesmaisons, pour désigner d'avance ks députés de celte année. Quel danger pour la monarchie (1)! Ces élections , quoi(|ue faites avant l'arrivée du comte de La Villegon- tier, furent une cause de contra- diction pour lui, au commencement de son administration. Longtemps avant qu'elles eussent lieu, le gou- vernement de Louis XVIII (des ministres) fixa une attention par- ticulière sur le département dille- et-Vilaine, il voulait des députés dans son sens et non dans celui des Bretons. Cette année, pour présider le collège électoral, le roi nomma le comte de Boisgelin. Ce nom respectable devait plaire à tous les partis, mais celui qui le portait avait le malheur d'être ho- noré d'une mission et de passer pour être dans le sen*? du gouver- nement. Il eut mille désagréments. Les libéraux vinrent à lui, les roya- listes lui tournèrent le dos. De

(1) Cette maison était soupçonnée de servir d'asiU! ou d'atelier k d'autres forfaits. A l;i môme époque, des t>on- nets rouges furent mystérieusement en- voyés au préfet, au maire, au premier président de la Cour royale. On pensa qu'ils éUiient expédiés de l'hôtel de CuiMé.

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quarante personnes invitées à un dîner officiel, une seule s'y rendit; les autres n'envoyèrent même pas leur carte. Le préfet avait placé a la porte du comte de Boisgelin une sentinelle d'honneur, prise dans la compagnie départementale sous ses ordres. Le général O'Mahony, commandant, contes- tant ce droit, la fit ôter. Néanmoins le nom de Boisgelin sortit le pre- mier de l'urne électorale, celui de Corbière ne sortit que le troisième. Je n'ai pas pu omettre le récit de ces agitations, qui, du reste, se re- produisaient ailleurs , mais peut- être avec moins d'entraînement de cœur. On voyait la voie s'éga- rait la monarchie. Quelques mani- festations exprimaient les senti- ments, les regrets des hommes qui depuis longtemps la servaient avec dévouement , et jusque dans les chants populaires on s'animait à défendre la bonne cause ; sur l'air du Serment français on répétait ce refrain

Jurons d'être à Louis fidèles,

El, malgré lui^ de défendre ses droits.

Ou peut donc se faire une juste idée des difficultés que trouvait le comte de La Villegontier en arri- vant. Il sut néanmoins dans cette position difficile mériter l'estime des honnêtes gens, et les libéraux virent bientôt ses tendances. Tou- tefois il conserva la faveur du gou- vernement, et, dès le 5 mars 1819, il fut élevé ii la dignité de pair de France, tout en restant préfet d'Ille-et-Vilaine. Sa nomination avait été vue avec plaisir. A Fou- gères, surtout, sa première visite ofticielle fut une véritable ovation. La garde nationale alla au-devant de lui jusqu'il Romagné (5 kil. de la ville). Une garde d'honneur fut

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placée à sa porte, des illuminations signalèrent sa présence. Dans les cérémonies auxquelles les circons- tances.ou ses fonctions l'appelaient, ii plaisait à tous par sa grâce, ses discours, son affabilité. Cette affa- bilité, il la montrait même aux plui simples, et en général à tous ceux qui avaient avec lui quelques rap- ports, ou demandaient son appui ; et ce qui n'eît point à omettre en énumérant les accessoires d'un homme tel que lui, son salon offrait à ceux qui s'y présentaient une réception gracieuse, digne des deux nobles personnes qui en faisaient les honneurs. Un mérite qui n'est pas moindre, et qu'il garda dans toutes les positions de sa vie, est celui d'une bienfaisance de cœur, bien différente de l'assistance offi- cielle, qui le portait à, se montrar généreux et véritablement chari- table envers ceux qui recouraient à lui ,1). Les sympathies générales, on peut le dire, lui étaient de plus en plus acquises. Mais... il avait une faute originelle et ineffaçable devaiit quelques personnes. La fa- veur de M. Decazes'... En arrivant à Reunes, je l'ai déjà fait remar- quer, il avait trouvé Corbière à la tête des royaliste > purs, et ils for-

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fl) Je. pourrais rapporter plusieurs traits de sa bienfaisance, je nie borne à un seul. Se trouvant dans un ctat de gêne extrême, un boulanger de Hennés était aux expédients et ne savait a qui recourir. Il fmit par pi-nser qu'il pour- rait s'adresser an préfet, et le besoin lui donnant du couiai^c, \1 va, sans être connu ni reconiinanité, dire sa position au comte de La Villcgonticr, qui lui avan(^a deux niilb; francs î Cet hitrinrte conimert^ant a rendu la somme prêtée, et ce n'est que par l'indiscrétion de sa reconnaissance que la famille du comte de La Villei;ontier a connu, plus tard, cet acte généreux.

maient, grâces à Dieu! la grande majorité. Corbière était aussi l'àme et le gouvernail du conseil général; partout ses sentiments et son esprit supérieur lui donnaient une grande influence. Le préfet, qui sut l'ap- précier, fit tout ce qu'il put pour garder avec lui l'harmonie, et même pour gagner son affection. Aux hommes réfléchis, il eût élé facile de voir que ces deux personnages, quoique placés si diversement, étaient faits pour s'entendre, et avaient, non-seulement les mêmes opinions, mais, au fond, les mêmes sympathies ; les nuances étaient légères. Il fallait faire la part de la position du préfet. Les libéraux ne s'y trompaient pas, et bientôt ils devinèrent et signalèrent, dans dans leurs petits journaux de la localité, \ps tendances et les actes du comte de La Villegonlier. Celui- ci cherchait à se montrer sympa- thiqueà Corbière ; il avait demandé pour lui la décoration de la Légion d'honneur ; il avait secondé sa no- mination aux élections d- -ÎSSO et de 1822, qui l'envoyèrent h la Chambre des députés, il eut bientôt gagné la faveur du gouver- nement et se lia avec Villèle (voyez ce nom dans ce volume), et dès 1822 il était ministre de l'inté- rieur. Dans leurs rapports ils avaient gardé les convenances et de grandes réserves politiques. Mais le préfet l'avait toujours re- îrardé comme son antaîioniste, et avec lui G. du F., qui fut député aux mCmes élections, et qui con- tribua autant qu'il put à obtenir sa destitution. Corbière ministre s'é- loi:,'na-t-il de la voie qu'il avait tant blûmée dans Decazesel Laine? Vit- on plus de liberté pour l'Église, plus d'éloignement des pr-ncipes révo- lutionnaires dans la marche du

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goiivernenieiit, plus de solidité de la monarchie? Hélas! on put dire alors, comme l'écrivait judicieuse- ment l'abbé Robert de Lamennais avant d'avoir perdu le sens commun : *. Des ministres ont succédé à d'au- « très ministres, ceux-là on dit : t Tout est bien, voilà la révolution « finie! » Il était probablementplus facile, et peut-être plus agréable, d'atteindre les hommes que de chercher à améliorer les choses. Etre ami de Decazes, cette flétris- sure ou cet avantage du comte de La Villegonlier ne pouvait sortir de l'esprit de Corbière. Une ordon- nance du 7 avril 1824 donnait au préfet d'Ille-et-Vilaine un succes- seur dans la personne du comte de Yandœuvre. On donna pour pré- texte l'incompatibilité des fonctions simultanées de préfet et de pair de France. L'ordonnance le rappelait donc à la Chambre. Sa destitution fut vue avec un chagrin véritable dans le département. De tous les points et de toutes les administra- tions, il reçut des lettres de regrets le plus touchantes, les plus hono- rables, les plus sympathiques. Ce futpour lui assurément une grande consolation; il en eut une autre bien sensible dans l'audience que lui accorda le roi et dans l'accueil qu'il lui lit. Il y entendit cependant de la bouche du Souverain cette phrase textuelle : « Je suis content « de mes ministres, ils me mènent « bien.v Louis XVIII n'avait plus que quelques mois k vivre. Eùt-il, dans l'audience qu'il avait accordée au même, en 1817, t^nu le même lanj,'age, et justifié d'avance cet adage ou proposition de M. Thiers : Le roi règne el ne gonverne pas y Je n'en crois rien.ei cependant il au- rait dit la vérité! Il éiait des con- venances et même de la justice que

le comte de La Villegontier trouvât une compensation au procédé dont il était victime dans une nomina- tion au conseil d'État, ou au moins dans un grade plus élevé de la Légion d'honneur. Il n'en fut rien. Le comte de La Villegontier se retira à Paris; le changement de règne n'en amena point à sa posi- tion, il fut néanmoins un des douze pairs qui assistèrent au sacre de Charles X. Bientô intra dans une phase nouvelle de sa vi« pri- vée et même de sa vie publique. En 1826, madame de Ghabanne vint lui faire les premières ouver- tures de son entrée chez son Al- tesse Royale, le duc de Bourbon, en qualité de premier gentilhomme. Le comte de La Villegontier avait plus d'un motif de réfléchir avant d'accepter cette position honorable. Il demanda trois mois avant de donner sa réponse . Il consulta ; de son côté, madame de La Villegon- tier consulta sa famille ; tous con- clurent à l'acceptation, d'autant plus qu'ils espéraient que leur in- fluence et leur zèle trouveraient le moyen d'expulser madame De Feu- chères de la maison du prince. (Voyez GoNDÉ, LXI, p. 25i etsuiv.) Le comte de La Villegonlier passa donc près du duc de Bourbim les quatre années qui précédèrent la mort de ce malheureux prince, avec le titre de premier gentil- homme; fonction honorable, mais nullement lucrative, et qui faisait îibsorber en dépenses de convenan- ces dans la maison, les cinq mille francs qui y étaient attachés. « Lorsque le duc de Bourbon me * fit l'honneur de m'attacher à lui « en qualité de premier gentll'- u homme, a écrit M. de La Ville- « gonlier, et que j'eus été initié à « un intérieur qui auparavant

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«r m'était inconnu, je m'attendais à (( quelque froideur de la part de « Madame (la dauphine), à cette « altitude de réserve digne d'elle « et qu'elle rendait si significative... u Eh bien ! non , Madame fut « bonne... » Jamais il n'a eu un quart-d'heure d'entretien avec ma- dame de Feuchères. Madame de Villegoniier fut priée par le prince de faire les honneurs de son salon pour les dames qui y étaient reçues. A table, le comte de La Villegon- iier était toujours en face du prince ; il le représentait partout, car le prince n'allait à aucune cérémonie. Il y avait néanmoins une cir- constance où il ne pouvait faire au nom du duc de Bourbon que des excuses. Ce prince était premier gentilhomme du roi. Dans i'ariicle excellent qu'il lui a consacré, no- tre judicieux collaborateur Duro- soir dit {ibidem, p. 2t>7). // ( le due de Bourbon) ne paraissait jamais aux Tuileries qu'au jour de l'an et dans de grandes solennités. Il se trompe peut-être, ou du moins le prince avait cessé celte habitude. Il s'ima- ginait qu'il était peu convenable à un Condé d'aller se tenir derrière le roi, et de lui présenter sa ser- viette. Peut-être avait-il aussi un autre motif qui Tintimidail devant ses augustes parents. La veille des joursoù ildevait se rendre à la cour, il venait, appuyé sur sa canne et alors marchant assez difficilement, trou- ver son premier gentilhomme, et le charger d'aller l'excuser auprès du roi. Charles X n'était pas plus dupe du message que le messager lui- même, et disait en souriant : « Mon- sieur de La Villegoniier, je devine la commission que vous venez me faire. »Ce fut dans une de ces circon.^iances que la duchesse de Berry, qui n'avait pas pour le comte

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de La Villegontier la même ouTer- ture que la dauphine, quoiqu'il allât régulièrement aux Tuileries, ce fut, dis-je, dans une de ces circonstan- ces qu'elle reçut, avec une petite moue toute rieuse, le compliment du messager, qui ne pouvait non plus garder son sérieux; lui de- mandant des nouvelles du prince, le chargeant de l'assurer de leur sympathie, de lui recommander le soin de sa santé... et surtout de ne pas chasser, elle appuya sur ce mot : chasser. Ici se place naturel- lement un fait qui modifie un peu ce qu'on a imprimé si souvent sur les instances delà famille d'Orléans près de madame de Feuchères, et de celle-ci près du prince, pour obtenir le fameux testament en fa- veur du duc d'Aumale (1). Tout le monde sait que le duc de Bourbon s'y refusait et destinait sa succession au duc de Bordeaux. Le comte de La Villegontier ne voulut prendre aucune part h celte affaire ; et ma- dame de Feuchères, qui, repoussée des Tuileries, entrevoyait pour elle la porte ouverte chez les d'Orléans (ce qui ne surprendra personne), refusait d'en parler directement au duc de Bourbon si madame de La Villegontier ne se joignait à elle. Celle-ci n'y vouliitconsentirqu'après avoir pris les ordres du roi et de madame la Dauphine. Non-seule- ment toutes deux le trouvèrent bon, mais la Dauphine dit quelle le dé- sirait l!! Ce trop malheureux testa- ment fut donc décidé dans un

(1) Voir surtout: Plaidoyer de M. Ilen- iiequin^ avocat, pour MM. les princes iti- Rohan contre S. A. I{. monseigneur le duc d'Aumale, représenté par M. liorel de Bretizel, et contre ma- dame la baronne de Feuchères. Paris, VVarée, 1832, in-8.

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déjeuner que partagèrent avr c le prince madame de La Villegontier et madame de Feuchères. Celle-ci, pour amener le prince à avantager le duc d'Aumale, faisait valoir la considération de conserver et de perpétuer le titre vénérable de prince de Cond^. A cette pro- position, le duc de Bourbon se (eva avec vivacité, et dit en ges- gesticulanl : Oh! cela, jamais... ja- mais le nom ou le titre de prince de Condé ne sera porté par un d'Or- léans!... Vint la révolution de juillet 1830. On croira sans peine qu' elle n'eut pas les sympathies du comte de La Villegontier, et quel- ques-uns de ses amis auront été surpris de ne pas le voir rompre avec le pouvoir usurpé. Lui-même l'a compris et a écrit qu'on pourra le soupçonner d'ingratitude, après surtout les bontés que lui témoi- gnait la Dauphine. Je dois ici don- ner deux lignes d'explications. Il était en Bretagne lors des malheu- reux événements; il accourut vite près du duc de Bourbon, et dé- clara sa résolution de ne pas re- connaître le gouvernement impro- visé. « Vous voulez donc me faire égorger! » lui dit le prince, qui l'o- bligea à changer de résolution, et qui subis.s-ait sans doute d'autres influences. Du moins le comte ajourna l'adhésion personnelle du prince à ce gouvernement nouveau, et finit par l'empêcher, en sorte qu'elle n'eut pas lieu. Il empêcha aussi d'arborer au palais le drapeau tricolore que voulait faire placer le prince, ou plutôt madame de Feu- chères. Voilà donc une des causes qu déterminèrent le comte de La Villegontier k garder sa place à la Chambre des Pairs. Le duc de Bour- non ne pouvait plus soullrir la do- mination ni même la présence de

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madame de Feuchères ; son absence le laissait respirer; son retour, malgré les apparences, était pour lui un supplice. La révolution, d'ailleurs, lui déplaisait, et il avait résolu de se soustraire à cet escla- vage; les mesures étaient prise» pour son départ dans la nuit... Le 27 août 1830, ses gens le trouvè- rent pendu par sa cravate à l'espa- gnolette d'une fenêtre de sa cham- bre , lui impotent, et dans la position que le public a sue! ! (Voir Ibid.,,\i. 260 etsuiv.) Le comte de La Villegontier n'était pas au châ- teau de Saint-Leu quand , vers huit heures du matin, l'événement tragique fut découvert ; il était au village de Saint-Leu, un col- porteur avait insulté le curé, et il voulait prendre information de cet outrage... Mais, averti aussitôt, il accourt, et sur les apparences des choses, sous l'influence des rap- ports, sa première impression fut de croire au suicide. Mais il ne fut pas longtemps dans cette erreur, et quand on lui eut montré l.\ manière facile dont une personne placée en dehors pouvaittirer en dedans lever- roudela porte, il changea bien vite de sentiment ! La réflexion lui mon- trait, d'ailleurs, le suicide impossi- ble; l'assassinat devint pour lui une conviction qu'il a longuement expli- quée et moUvée dans un de ses écrits. On peut se faire une idée de la commotion qti'il éprouva, et des embarras de plus d'une sorte auxquels il fut livré. Il fallait diri- ger les cérémonies de l'expusilion i du corps du prince dans la cha- pelle ardente, préparer celles des funérailles. Il y avait une éti- quetleà garder plus que des usages à suivre ; il les chercha néanmoins autant qu'il put; ces circonstances étaient toutes particulières et nou-

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velles pour lui, mais les détails ne sont plus du ressort de celte notice. Comme je l'ai déjà dit, le comte de La Villegontier n'ignorait pas que la noblesse de ses sentiments et de sa position étant connue, son adhé- sion au gouvernement nouveau pourrait surprendre... Il a laissé par écrit les motifs qu'il crut avoir de prendre le parti qu'il a suivi. Il conlinuadoncdesiégeràlaChambre des Pairs et prêta son serment. L'article 4 du testament du duc de Bourbon portait qu'il laissait...» A ceux qui auraient plus de cinq ans des ervice, le quart desdits appoin- tements ou î;ages attachés à leur place. » Le comte de la Villegon- tier, n'ayant pas cinq ans de ser- vice,ne fut donc point coii.pris dans le bénéfice de celle disposition. Qu'eût-il été d'ailleurs sur des appointements de cinq mille francs! Mais il continua, ainsi que toutes les personnes attachées au service du malheureux prince, d'habiter le Palais-Bourbon pendant dix ans. Il continua aus^i de prendre part aux séances et aux travaux de la chambre des pairîj. Plusieurs fois il aborda la tribune , soit pour des opinions particulières, soit comme rapporteur des commissions. En général, par goût et par caractère, il s'est toujours moins occupé des choses politiques, que des allaires proprement dites, lesquelles lui ont souvent valu des marques de bien- veillance et d'estime. Ses votes étaient pour lui une affaire d'hon- neur et de conscience ; je veux donc rappeler ici qu'il vola pour lacquil- tement complet des ministres de Charles X , traduits deviinl la cour des pairs, et menacés de mort par la plèbe, composée alor» de plus de gens qu'on ne le croirait aujour- a'hui. Plus tard , il vola coulre les

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fortifications de Paris; mais ce qu fut à la tribune son pricipal mérite, se trouve consigné au Moniteur ren- dant compte de la séance dul4 jan- vier 1832. Ce jour là, lorsque tant d'hommes politiques restaient en- core retranchés dans les plusétroites limites de la prudence ou de la pusillanimité, il osait monter à la tribune et élever la voix de- vant ses collègues et devant la France , pour blâmer le pro- jet de loi relatif au bannissement de Charles X et de sa famille. La révolution de février 1848 vint enfin briser sa carrière politique. Tout en gardant son domicile à Paris, il se retira au château de La Villegontier, près de Fougères. Lk, les dernières années de sa vie se sont passées au sein d'une famille chérie. Fidèle aux pratiques de la religion et livré aux exercices de la charité, il allait visiter les pauvres dans leur demeure, et les soignait de ses mains en les aidant de ses aumônes! Il s'attirait de plus en plus la vénération et l'attachement de tout le monde. Atteint depuis deuxansd'une maladie douloureuse, dont il ne pouvait se dissimuler la gravité, il voyait approcher sa fin avec le courage du gentilhomme et la résii^nation du chrétien. 11 régla tout les intérêts de sa famille et ceux de ses serviteurs; après avoir rempli tous ses devoirs reli- gieux, et résumé ses nobles senti- ments dans ces lignes de son testa- ment: « Dieu a prolongé ma vie: « je meurs en adoianl sa patience « et sa honte, et en espérant dans « sa miséricorde, » il termina une viesi bien remplie le 1*' juin 18ia, à l'âge de 73 ans. Le U mars IHIfi il avait été décoré de la croix tl«' la Légion d honneur; le 17 aoùi 1823, il fut créé officier du même ordre;

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et le 30 avril 1838, élevé au grade de commandeur , avec la faveur spéciale d'en porter la décoration avant d'avoir reçu son brevet. Le comte de La Villegontiern'était,que je sache, membre d'aucune société littéraire ouscientiûque. Cependant, non-seulement il avait des connais- sances variées et étendues, mais il aimait l'étude et s'y livrait au milieu des soins qu'exigeaient ses hautes fonctions. Dans ses visites officielles il recueillait en passant des notions sur l'histoire naturelle des localités, etc., etc. Un jour il visilaitle célèbre industriel Oberkampf; un autre jour le poëte Ducis ; et dans les pages qu'il écrit pour en garder le sou- venir, il révèle sur l'un et sur l'autre des faits que n'ont point mention- nés leurs biographes , et montre qu'il savait se mettre au niveau de deux hommes d'une position si différente. Dans son cabinet il variait ses jouissances , tantôt en analysant la tragédie de Polyeude, tantôt en écrivant les réflexions les plus sensées sur la bataille de Na- varin, ou sur le groupe dont est déshonoré le fronton de Sainie-Ge- neviève de Paris, etc. Il n'a rien publié, si ce n'est quelques articles de journaux et quelques discours de circonstance, par exemple ce- lui qu'il prononça à l'installation du comte de Lorgeril, maire de Rennes; ceux qu'il lit entendre aux distributions de prix de l'école de sculpture et de peinture. Mais il laisse plusieurs manuscrits, sur di- verses matières. Son célèbre aïeul, Frain,rarrêlisle, n'avait pas publié lui-même ses nombreux travaux écrits; ils furent mis au jour et commentés par Pierre Hévin (voy. lltviN, l. XX, p. 343). Les mé- moires du comte de La Villegon- lier, quoiqu écrits principalement

pour sa famille, seraient d'un grand intérêt pour tous, si elle les livrait à l'impression; et ce d'autant plus, que tous, môme les détails auto- biographiques, sont des révélations ou des traits relatifs à l'histoire de la Restauration et de sa politique. Dans un autre écrit, il donne des détails qui sont presque des révé- lations sur la mort du duc de Bour- bon, et ces détails sont pour ainsi dire nécessaires à ceux qui voudront éclairer ce drame trop fameux, et dire comment s'est éieinte la mai- son de Gondé. J'ignore si le burin nous a conservé les traits du comte de La Villegontier. Cet homme si recommandable avait une taille as- sez élevée, un port gracieux et un abord prévenant, qui gagnaitla con- fiance et disposait à lui donner la vénération que ses autres qualités gagnaient tout à fait. Fernand Frain de La Villegontier, son fils aîné, à Paris en 1807, fut, à l'âge de huit ans, placé au petit collège de Saint-Cyr, d'où il devail aller à l'école de La Flèche. Mais, après quelque temps de séjour à La Villegontier, il entra dans les pages de Louis XVIII, puis dans ceux de Charles X, et fut un des doiize qui assistèrent au sacre de ce souverain. A l'âge de dix-huit ans, il sortit des pages et entra sous-lieutenant dans le 8" régiment de chasseurs , que commandait M. de Boisgelin, son oncle. A la révolution de Juillet, ce noble jeune homme donna sa démission ; mais son colonel ne voulut pas la rece- voir, puisque son père n'avait pas donné la sienne. Il la donna pour- tant de nouveau étant lieutenant, et épousa M"' Louise- Noémi de Malboz, dont il a eu deux fils. Fer- nand mourut à La Villegontier, le 15 octobre 18i9. Edouard, se-

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cond fils du comte de La Villegon- tier, à Paris en 1821, fit ses étu- des à la célèbre pension Poiloup, à Vaugirard, et mourut célibataire à La Villegonlier, le 3 janvier 1853. Les deux fils sont inhumés près de leur père à Parigné, arrondisse- ment de Fougères. Une sœur leur a survécu. B d— e.

VILLEGO>TIER (Charles-Ma- rie Frain de La), frère de Louis- Spiridion, naquit à Fougères (Ille- et-Vilaine), le 27 avril 1777 (1), et fut, dès ses premières années, pla- cé au collège de Vendôme , avec ses frères, et y fit d'excellentes études. Il avait su s'attacher tout le monde par les belles quaiilés qu'on avait remarquées en lui , et surtout par sa candeur et sa grande piété. Cette piété le porta dès lors Ji consacrer presque exclusivement à des sujets religieux l'aUrfiitet les disposilions heureuses qu'il avait pour la poésie française. Savant dans l'histoire et liliérateur ins- truit, possédant bien les meilleurs auteurs classiques, cet intéressant jeune homme avait principalement étudié sa religion. Il avait lu avec fruit les ouvrages des plus célèbres apologistes , s'adonnant à l'étude des livres sacrés; et pour les lire dans leur texte original, il avait ap- pris le grec et l'hébreu. Au sortir du collège, il habita d'abord la ville de Fougères, puis celle de Rennes, il se livra à l'étude de la méde- cine. Il est probable que les cir- constances le déterminèrent à prendre celte profession qu'il n'au- rait peut-être pas choisie en d'au- tres temps. Celte |)roression devint toute son occupation et son prin-

(1) Sa vie imprimée porte le 28 mars 4777 ; la date que je donne ici est celle de son acte de baptême.

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cipal mérite. Il fréquentait les hô- pitaux ; chargé d'y faire des panse- ments, il s'acquittait de cette fonc- tion pénible avec tant de douceur et de précautions délicates, que les malades enviaient le bonheur de lui être confiés. Naturellement il n'avait point d'attrait pour ces opé- rations, mais il était animé par des pensées élevées. A ces soins matériels il joignait l'aumône, et sa fortune lui procurait la jouis- sance de fournir à ses malades tous les secours par lesquels il croyait pouvoir adoucir leur situation, Sps bienfaits continuaient en dehors de l'hôpital, et il s'employait de toutes les fiiçons pour être Uiilc à ses nombreux protégés. Il les visitait chez eux, les recevait et les pan- s lit chez lui. Il est facile de conce- voir que , dans ces temps malheu- reux, les ecclésiastiques ne jouis- sant d'aucune liberté, le jeune de La Villegonlier faisait tout pour procurer les secours religieux à ses malades. C'était aussi à ses yeux un acte méritoire que de visiter dans leur retraite les prêtres ca- chée, et d'alléger leurs peines par tous les moyens qui dépendaient de lui ; il trouvait d'ailleurs dans ces courses secrètes l'avantage de remplir lui-même ses devoirs reli- gieux, il faut ;ijouter qu'à tant de mérites il joignait celui de soigner les prisonniers, auxquels son pro- fesseur, qui savait l'apprécier, l'en- voyait de préférence. Tous ceux qui l'entouraient avaient pour sa vertu une coubidéralion unanime, et ils en donnaient un témoignage bien significatif en l'appelant tout naïvement le bon Charles, et tirant de sa modestie en tous lieux, de sa réserve en ses discours, une con- clusion bien significative, en disant qu'il était sage et timide comme

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une jeune vierge. Celte modestie ne l'empèchiit pas néanmoins de profiler de ses connaissances éten- dues pour réprimer de vains so- phismes ou de sottes railleries sur la religion. Il savait encore une manière noble de faire le bien, en soutenant, à ses frais, les études de plusieurs amis, et en confiant à d'autres l'exéculion des œuvres charitables dont ils lui parlaient, préférant, ce qui n'est pas commun, que Taumùne fût en apparence sortie de leur main plutôt que de la sienne. Il retourna à Paris, sans discontinuer pour cela ses bonnes œuvres à Fougères et à Rennes, et il en embrassa d'autres dans la ca- pitale. Il est étonnant que, même avec les ressources de sa fortune, il pût suffire à tant d'actes géné- reux, car il souscrivait k de nom- breuses entreprises philanihropi- ques ; mais il vivait avec une stricte écononaie, s'imposait dans le ca- rême un jeûne rigoureux, et croyait devoir aux pauvres ce qu'il se re- fusait à lui-même. Reçu docteur en 1804, il vint à Fougères pour y passer l'été. Cette ville fut alors af- fligée d'une épidémie. La fièvre pernicieuse qui y régnait attaqua les deux seuls médecins qu'il y eût alors dans la localité; il se multiplia pour tous les malades, qui le réclamaient de tous les cô- tes, obtint de nombreux succès, mais éprouva beaucoup de fatigues et même des affections très-péni- bles. Ce fut peut-être qu'il con- tracta le germe de la maladie qui l'enleva bieniôt après. Il allailquil- ter Fou^îcres pour n'y plus revenir. Non content d'y avoir si utilement paye de sa personne, il \ouiuL en- core prouver pars( s 1 a rge-.scs ratta- chement qu'il portait à celte chère contrée. Il remit au recteur (curé)

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de la ville, et à celui de Louvigné- du-Désert, se trouvait située sa terre la plus considérable (la Ge- lousière), une somme de 800 francs pour être distribuée aux pauvres. A Paris, il vint se réunir de nou- veau à tant de dignes confrères et de pieux amis, qui la plupart fai- saient, comme lui, partie de cette congrégation de la Sainte-Vierge, qui s'est toujours bornée à faire le bien en silence, et contre laquelle l'impiété et l'opposition politique ont jeté tant de clameurs. Arrivé dans la capitale avec une santé mal assurée, il fut, huit jours après, attaqué d'une maladie aussi cruelle que rapide. Son esprit fut frappé du pressentiment de sa fin pro- chaine, et il disposa son âme au terrible passage. La mort l'enleva en effet à ses amis , à sa famille, à un avenir si beau en apparence, le samedi 20 octobre 1804. Ses obsè- ques se firent à Saint- Jacques-du- Haut-Pas, sa paroisse. Le jeune de La Villegoutier n'avait que 27 ansi Il n'avait embrassé la médecine que par dévouement, et n'avait pour elle aucun attrait, tant s'en fallait 1 II est rare qu'on fasse beau- coup de progrès dans une science qu'on ne cultive ni par nécessité ni par goût. Guidé par la religion, La Villegontier travailla avec une application soutenue, comme si cette élude avait eu pour lui des charmes. Il recueillit les fruits de cette victoire vraiment sublime; ses condisciples avaient recours îx ses lumières, et tous les médecins, qui avaient de fréquentes occa- sions de l'entretenir, reconnais- saient en lui des talents distingués. Il a laissé quelques manuscrits ; je ne suis point en étal d'en contrô- ler le mérite ; ils ne seront pro- bablement jamais publiés. Ils sont

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d'ailleurs sténographiés en partie, et peut-être lui seul en avail-il la clef. Le vénérable abbé Carron a publié sa vie dans le livre intitulé : Modèles d'une tendre et solide dévo- tion à la Mère de Dieu dans le pre- mier âge de la vie, ouvrage qui a eu plusieurs éditions.

B— I) E. VILLÉLE ( Jean-Baptiste -

GuiLLAUME-SÉRAPHIN-JoSEPH, com- te de), ministre des finances et pré- sident du conseil des ministres sous la Restauration, chevalier de l'or- dre du Saint-Esprit, officier de la Légion d'honneur, chevalier de Saint-Louis, etc. etc., naquit à Tou- louse le U août 1773, d'une famille noble et ancienne. U lit ses études au collège royal de cette ville, puis à celui d'Alais, et fut, à la suite d'un brillant examen, admis dans le corps royal de la marine et em- barqué à Brest, le 16 juillet 1788, sur une corvette d'instruction. Ln an plus tard, il fut reçu élève de seconde classe, et dirige sur Saint- Domingue. Il revint en France l'année suivante, mais il se rem- barqua bientôt avec le contre-ami- ral de Saint-Félix, ami de sa fa- mille, qui venait d'être appelé au commandement des forces fran- çaises dans les mers des Indes. M. de Saint-Félix ayant été promu, deux après, au grade de vice-amiral , le jeun»; de Villèle devint aide- major de la division. 11 se trouvait à rile-de-France lorsque les évé- nements de 1793 amenèrent dans cette colonie des désordres par suite desquels M. de Saint-Félix dut abandonner son commandement. Villèle donna aussitôt sa démission et suivit son chef à l'île Bourbon , il s'était vu réduit à chercher un asile contre les violences des révolution- naires. Sa sécurité ne tarda pas a

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être troublée par les recherches et les menaces de ses persécuteurs; sa tête fut mise à prix, et ce ne fut qu'à l'aide d'efforts multipliés et à travers mille dangers qu'il parvint à se soustraire pendant quelque temps aux proscriptions du parti jacobin. Villèle, dont la sollicitude active n'avait cessé de protéger ses jours, fut mis en arrestation; mais ni les promesses, ni les menaces, ni les mauvais traitements ne pu- rent lui arracher un renseignement sur le lieu de retraite du vice- amiral, lorsque enfin ce dernier, livré au dénûment le plus absolu, se remit lui-même entre les mains de ses ennemis; il y resta jusqu'à la fia de la Terreur. Devenu libre au bout de trois moisde captivité, Villèle jugea prudent d'ajourner son retour en France et de se fixer provisoi- ment dans la colonie. Deux de ses compatriotes lui procurèrent les moyens d'ac<juérir une propriété dont il entreprit l'exploitation. Cet établissement prospéra rapidement sous l'inflaence d'une direction équitable et éclairée, et Villèle acheva d'améliorer sa position personnelle par son mariage avec mademoiselle Fanon Desbassyns, dont la famille jouissait à Bourbon d'une considération justement ac- quise. De périlleuses circonstances le mirent bientôt en mesure de rendre d'importants services à celte terre d'adoption. Menacée à la fois du sort de Saint-Domingue par les lois de la métropole, et d'une invasion anglaise, l'île Bourbon recouNra l'indépendance de ses mouvements par la destruction du parti révoluiioimaire; l'assemblée coloniale reconquit la plénitude de son autorité, et Villèle qui, dans celte crise décisive, avait fait preuve de fermeté, de droiture et d'iulel-

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ligence, fut choisi par uue partie notable de la population pour la représenter à celte assemblée. Il y obtint bientôt un ascendant mar- qué et en usa pour faire repousser la proposition mise en avant par quelques membres de déclarer l'ile indépendaule, proposition in- sidieuse et dont le but seci\ t était de la livrer aux Anglais, qui n'a- vaient cessé de convoiter cette riche proie. La faciion vaincue essaya de recourir à l'insurrection. Vilièle se mit à la tête de la garde nationale, et, aidé du concours des principaux habitants, il parvint à rétablir l'ordre et à conserver la colonie à la France, qui ne la per- dit quelques années plus tard que pour la recouvrer délinitivement par le traité de paix de 1814. Vil- ièle revint en France au mois de juin 1807, et se confina dans sa propriété de Morville près de Toulouse. Exclusivement partagé entre la vie de famille et les occu- pations agricoles, il n'entretenait avec l'adminislraiiou impériale d'autres rapports que ceux aux- quels l'appelait sa qualité démem- bre du conseil général de la Haute- Garonne, qui lui avait été conférée peu après son retour. Ces rapports se signalèrent, au commencement de 48j3, par un acte d'opposition qui fera apprécier le caractère de Vilièle. Ayant été mandé à la pré- fecture avec les principaux pro- priétaires du département pour recevoir la notilication des chilTres de l'emprunt forcé auxquels ils devaient être soumis: « Je ne sais, leur du- il, ce que vous comptez faire ; (juaiit à moi, je suis très- résolu a ne pas acquitter un denier d'une conlribuiiou complétcraenl illégale, et je vaib signifier ma ré- solution à M. le préfet. » Celte ré-

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sistance inattendue, dans laquelle Vilièle fut imité par les autres contribuables, déconcerta telle- ment le préfet qu'il n'osa employer la force pour la surmonter (I). C'est dans cette disposition d'esprit que les événements de 18U sur- prirent l'intrépide conseiller. Per- sonne n'ignore les longs débats qui précédèrent l'octroi de la Charte constitutionnelle et les opinions diverses qui se produisirent soit sur le principe môme de cet acte fondamental, soit sur la forme dont il convenait de le revêtir. Vilièle, qui avait salué avec en- thousiasme la restauration du gou- vernement royal , crut devoir émettre un avis sur ces importantes questions. Dans une série d'obser- vations adressées aux députés de son département peu de jours après la déclaration de Saint-Ouen, il se prononça contre les proposi- tions que cette déclaration royale empruntait au projet du Sénat, et manifesta ouvertementson vœu pour un reiourcomplet à « la constitution de nos pères, à celle qui avait rendu si longtemps la France heureuse et florissante, à celle qui était con- forme k notre caractère national, qui était dans le sens de nos opi- nions, et qui était gravée en traits ineffaçables dans le cœur de tous les Français. » La censure de son écrit s'exerçait principalement sur la difficulté de constituer d'une manière satisfaisante une Chambre haute assortie aux fonctions et aux privilèges que lui attribuait le pro- jet royal, sur l'iusuflisance des ga- ranties assurées au vote de l'impôt et à la liberté de la presse, et sur

(1) Souvenirs de la Restauration, par M. Nettement, page 2i)3.

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l'iniquité de la consécration ac- cordée aux propriétés nationales. Ces opinions, que Vilièle modifia plus tard à la lueur d'une sage expérience, étaient énoncées d'une manière spécieuse; elles apparte- naient, il faut le reconnaître, à un grand nombre d'esprits défavora- blement frappés de l'origine séna- toriale de ces formules constitu- tionnelles et de la précipitation avec laquelle elles avaient été con- çues. Mais son écrit, peu distingué parmi les nombreuses productions que fitéclore la récente émancipa- tion de la presse, avait le double tort d'invoquer une constitution à peu près imaginaire et de provo- quer la résurrection d'un passé impossible, depuis la destruction violente des trois ordres sur les- quels reposait l'antique monarchie française. Toutefois, ce début de Vilièle dans la vie politique mé- rite d'être remarqué, et c'est un fait digne d'observation qu'une thèse aussi chimérique ait servi de point de départ à l'un des esprits tes plus sensés et les plus prati- ques de l'époque contemporaine. Il n'est pas sans intérêt non plus d'entrevoir, dans la chaleur de ses objections contre le maintien des conflscations révolutionnaires, le germe de la grande mesure répa- ratrice dont il deviendra dix ans plus tard le promoteur équitable et l'habile régulateur. Vilièle ne joua aucun rôle public pendant la première Restauration. A la nou- velle du débarquement de Napo- léon en 1815, il courut à Toulouse pour le joindre aux volontaires royalistes qui se groupèri;nt sous les drapeaux du duc d'Angoulême, et contribua pour une somme de vingt mille francs aux nécessités d'une situation dont sa sagacité lui

dévoilait tous les périls. Le conseil général auquel il appartenait cher- cha à organiser des éléments de résistance; elle baron de Vitrolles, parti de Paris le 25 mars avec le titre de commissaire du roi, s'efforça d'établir à Toulouse le centre de l'ad- ministration des provinces demeu- rées fidèles. Mais ces tentatives, dont le succès eût préservé la France de tant de calamités, échouèrent de- vant la révolte de la garnison et devant les démonstrations mena- çantes des fédérés, qui mirent obs- tacle à la marche des volontaires et en massacrèrent plusieurs. Ces excès amenèrent un vif mouvement de réaction lorsque la nouvelle des revers de Napoléon se répandit dans le Languedoc, et le meurtre d'un jeune homme qui avait pris la cocarde blanche acheva d'exas- pérer la population. Des com- pagnies royalistes s'organisèrent spontanément sous le nom de Ver- dels, avec l'intolérable prétention de ne relever d'aucune autorité légale et de faire justice par elles- mêmes des atteintes portées au ré- gime royal. Ce fut dans ces cir- constances critiques que le duc d'Angouièrae désigna Vilièle (24 juillet) pour remplir provisoirement les fonctions de maire de Toulouse. Son premier soin fut de mettre en sûreté leï» auteurs des violences exercées pendant les Cent-Jours, et il n'y réussit qu'en les faisant con- duire dans les prisons de la ville, d'oii on les laissait sortir secrète- ment pendant la nuit. Mais ces mesures de conciliation furent con- trariées par les mauvais effets que produisirent certains choix parmi les pouvoirs supérieurs, et de ces germes de mécontentement na- (}uil la déplorable catastrophe qui coûta la vie au général Hamel, que

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le gouvernement royal avait main- tenu dans le commandemenl de la Haule-Gironne. Cet officiel général était le même qui, aprèsavoir rempli un rôle assez équivoque dansle com- plot royaliste de La Vilieheurnois. sous le Directoire (1), avait échoué dans la défense des conseils contre le coup d'Etat du 18 fructidor, dont il était devenu l'une des vic- times, flarael était depuis long- temps suspect aux Verdets, auxquels il avait toujours refusé de délivrer le mot d'ordre, conformément aux règles de la discipline militaire. Ce général ayant été insulté par quelques inconnus dans la soirée du 15 août, en rentrant chez lui, mit l'épée à la main pour se frayer un passage à travers la foule; il atteignait ù peine le seuil de son hôtel, quand un coup de feu fut dirigé contre lui ; le bruit se ré- pandit aussitôt qu'il avait tiré sur le peuple. Sur celte fausse rumeur, qu'il devint impossible de déti uire, le peuple s'attroupa , assiégea l'hôtel, pénétra jusqu'à Rarael qui, blessé au bas-ventre d'un second coup de feu, eut assez de force pour SL' traîner j usque daus un grenier, ses meurtriers raohevèrent à coups de sabre etde baïonnette. Il expira sans avoir voulu signaler aucun de r.es misérables. La foule, qui obs- truait les abords de l'hôtel, était tel- lement compacte et animée, que les autorités civiles et militaires ne pu- r- ni pénétrer jusqu'Ji lui. Villèle dut se borner kfaire rendre à l'infortuné général les honneurs réclamés par son rang, et, dans une proclama- lion respirait plus d'affliction que d'énergie, il déplora un attentat

(1 ) Voyez l'art, [lanicl, tome xxxvii, page 35 de la Biographie unive*'selLe»

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qui traversait si cruellement les dispositions conciliantes qu'il avait manifestées (1). Les élections gé- nérales eurent lieu dans ces cir- constances orageuses. Villèle fut élu député à la modeste majorité de deux ou trois voix, après quatre jours d'épreuves fort passionnées. L'esprit ultra-monarchique de son premier écrit, habilement exploité par le parti libéral , avait dé- tourné de lui un grand nombre de suffrages qui semblaient acquis à ses services et à son incontestable capacité. Cependant il recueillit, lors de son départ pour Paris, un témoignage remarquable d'estime et de considération. Villèle avait déclaré l'intention de se démettre des fonctions municipales, qui lui paraissaient incompatibles avec sa nouvelle qualité. Le vœu presque unanime de ses concitoyens lutta contre sa détermination, et ce fut revêtu du double mandat de maire et de député, qu'il entra dans cette car- rière législative qu'il devait bientôt parcourir avec tant de supério- rité. Les élections de 1815, accom- plies sous l'influence de l'irritation qu'avaient développée sur tous les points de la France le coup de main du 20 mars et les maux in- calculables qui en étaient résultés, avaient produit une Chambre en- tièrement dévouée à la monarchie de 1814; c'était la contre-partie exacte de la Chambre des repré-

(1) Ce crime odieux demeura mal- heureusement presqu'impuni, par suite, dit uu écrivain bien informé, de la pro- tection accordée aux assassins par des hommes trôs-haut placés, et qui trou- vèrent le moyen de faire disparaître les pièces les plus importantes de la pro- cédure. {Ilisloire du (jouverncmcnt parlementaire y par M. Duvergier de llauranne, tome iv, page 166.)

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sentants. Mais elle empruntait aux circonstances de sa composition une autorité qui manquait à celle-ci. « Soit par calcul, dit un écrivain qui n'est pas suspect de partia- lité royaliste, soit par timidité, soit par Indifférence, beaucoup d'électeurs s'étaient abstenus, et rarement le chiffre des votants avait atteint la moitié du nom- bre total des électeurs ; dans quel- ques départements du Midi, l'abs- tention avait même été presque complète, et l'on citait un dépar- tement, celui des Bouches-du- Rhône, six députés avaient été nommés par treize électeurs » (1). Formée dans des conditions bien différentes , la Chambre de 1815 représentait fidèlement les besoins et les intérêts de la France d'alors; mais elle en représentait aussi les passions Vt les rancunes. La plu- part des députés arrivaient à Paris pleins des ressentiments qui fer- mentaient dans leurs provinces. Cette exaspération était d'autant plus vive, que le retour de Tile d'Elbe passait généralement à cette époque pour le résultat d'une cons- piration tramée de longue main par de nombreux complices. Il fallait n'y voir en réalité qu'une tentative désespérée, dont l'impé- ritie du gouvernement royal et les imprudences du parti royaliste n'avaient, on doit le reconnaître, que trop encouragé la témérité : l'indifférence des populations (2) et l'entraînement de l'armée, hu- miliée et mécontente , tels avaient

(1) Hist. du goiivcrn. parlement. par M.DuvergicrdeHauraunc, tome m, pa^'i- 2.

(2) « Ils iii'ont laisse arriver comme ils les ont laissés partir. )i>(Mullien,i/c- rnoires d'un ministre du Trésor.)

été les véritables, les seuls com- plices de Napoléon. Mais ce point de vue échappait, par sa simpli- cité même, à l'appréciation d'une majorité éblouie de sa proportion et de son triomphe, et qui, dans son zèle honnête, mais outré pour la destruction de l'esprit révolution- naire, menaçait d'un égal anathème les susceptibilités les plus légitimes et les conquêtes les plus irréprocha- bles de la France nouvelle. Cette dis- position étaitd'autant plus fâcheuse, qu'un des effets les plus déplora- bles de l'interrègne des cent-jours avait été d'établir entre le p^rti li- béral et le parti bonapartiste une alliance qui, bien que coatre na- ture, ne laissait pas d'être dange- reuse pour h monarchie restaurée, et qu'on ne pouvait se flatter de dissoudre qu'à force de prn- denceet d'habileté. C'est dans ces conjonctures difficiles que se réu- nit la Chambre de 1815. Villèle ne prit aucune part ostensible aux premiers débats de celte assemblée. Quoiqu'il s'associât généralement aux impressions qui y dominaient, la patience et la circonspection h^ibiiueiles àson caractère h:i com- mandaient d'étudier avant tout le terrain sur lequel il aurait bientôt à figurer. Mais il se faisait dès lors remarquer dans les bureaux par un talent de discussion calme, plein de précision et de lucidité et qu'il ne passionnait d'aucune question irritante ou personnelle. Ce fut dans la séance du 8 novembre que Villèle (il sa première apparition a la tribune, pour combattre le projet de loi qui rL-creait les com- pagnies dépailementales destinées ^ la garJe des hôtels de pré- fecture et lies auln-s élahlissc- meuls d'utilité publique el à la transmission des actes de l'auto-

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rite. Villèle démontra facilement que des corps de cent à cent cin- quante hommes, disséminés dans des villes populeuses par les be- soins de leur service, étaient in- suffisants pour maintenir l'ordre public ; que rinslitution des com- pagnies départementales, excel- lente sous l'Empire, qui portait toutes ses armées au d(!hors, était sans motif à une époque la paix venait (\t\ rendre au gouvernement la libre disposition de ses forces militaires; qu'elle était d'ailleurs incompatible avec Texistence de la garde nationale. Ce premier discours de Villèle, sur une ma- tière de peu d'intérêt, n'offre de re- marquable que le morceau suivant, extrait d'un programme politique que nous le verrons développer plus tard avec plus d'étendue. « La nation découragée, flétrie par une longue oppression , ne peut être rappelée à la vie que par des institutions qui la fassent parti- ciper à ses propres intérêts, qui rendent à son administration dé- partementale et communale l'ac- tion libre dont elles ont besoin, qui leur rendent la disposition des débris de leur fortune et le droit de veiller sur les intérêts locaux. » L'opposition presque isolée de Vil- lèle n'empêcha pas l'adoption du projet de loi; mais l'expérience vériûa bientôt la valeur de ses ob- jections, et l'insliiution des gardes départementales s'éteignit au bout d'un an d'existence. H critiqua également le projet qui portait que les quatre premiers douzièmes des conlribulions seraient recou- vrés sur les rôles de 1815, et si- {ii^ala vivement î» ce propos les fA- cbeux elTci^. d.; la c.;niralis;iiion, qui absorbait tellement tout le temps des ministres qu'ils n'avaient

plus celui de concevoir et de com- biner aucune amélioration. Il rap- pelait que le gouvernement royal , sentant le besoin d'un pouvoir mo- teur dans les départements, s'était adressé, au moment du péril, au mois de mars, aux administrations locales; mais le ressort était brisé, et pour sauver la France , il eût fallu à la représentation locale une influence que la Restauration avait négligé de lui attribuer. Le mo- ment approchait cette session, jusqu'alors paisible en apparence, allait se passionner au contact des questions de personnes et de partis. Personne n'ignore que par une or- donnance rendue sous le précédent ministère, les principaux fauteurs du 20 mars avaient été classés en deux catégories dont la première se composait des individus que le gouvernement se proposait de dé- férer aux tribunaux; dans la se- conde flguraient les personnes frappées d'exil. Alarmé par diver- ses propositions qui tendaient à aggraver inconsidérément les ri- gueurs de cette ordonnance, le 8 décembre , le lendemain même de l'exécution du maréchal Ney , le nouveau cabinet présenta une loi qui limitait ses rigueurs en met- tant hors de cause tous les autres acteurs de la dernière révolution, et Villèle lit partie de la commis- sion dont elle provoqua l'examen. Les commissaires insistèrent pour que ses dispositions s'étendissent à un plus grand nombre de cou- pables; ils réclamèrent vivement surtout l'expulsion des régicides qui avaient acce|)té des fonctions publiques pendant les cent-jours; mais le ministère repoussa tous ces amendements. Ce fut dans cet état que la Chambre eut à se prononcer. Le rapport avait été confié k

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M. Corbière, député dllle-et-Vil- laine, qu'une amitié étroite, née de la conformité de leurs senti- ments politiques, commençait à unir au personnage qui fait le sujet de cette notice. La discussion, à laquelle Villèle ne prit d'abord qu'une part inostensible, fut tu- multueuse et animée, et MM. de La Bourdonnaye, de Bouville, Ghiffiet, de Salaberry, firent entendre, dans Tardeur de leur zèle réactionnaire, des paroles qui ont été amèrement et injustement reprochées à la masse du parti royaliste. Villèle crut devoir enfin s'élever contre la disposition qui exceptait de l'am- nistie les personnes poursuivies ou condamnées avant la promulgation de la loi; il en signala avec une louable préToyance le vague et le danger. Son opposition demeura impuissante. La Chambre écarta à une faible majorité la plupart des additions aggravantes, mais {'amen- dement relatif à l'expulsion des régicides fut admis par le minis- tère et passa presque sans contra- diction. Cependant , des débats moins irritants allaient bientôt fixer la véritable importance de Villèle dans cette Chambre, formée d'éléments à la fois si purs et si inflammables. Le 48 décembre, le ministre de l'intérieur avait présenté un projet de loi sur l'or- ganisation électorale dont l'écono- mie réalisait le dessein assez hau- tement avoué d'ailleurs, de mettre les élections entre les mains de l'administration. Ce projet établis- sait deux degrés d'élection, dont le canton et le département de- vaient être successivement le siège. Indépendamment des électeurs créés par le chilïre d('s imposi- tions, un assez grand nombre de fonctionnaires publics étaient ap-

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pelés à prendre part au vote, mais cette opération ne constituait qu'une simple aptitude électorale; le choix des électeurs définitifs était réglé par le roi et ne pouvait comprendre, en moyenne, au delà de 200 volants. Enfin, la Chambre se renouvelait par cinquième d'an- née en année. Villèle fut nommé rapporteur de la commission char- gée d'examiner cet étrange projet, et dans la séance du 6 février 4816, il lut un travail qui battait en brèche sur tous les points l'œuvre ministérielle. Son plan écartait formellement les électeurs de droit pour ne maintenir que ceux qui seraient élus par des as- semblées cantonales, composées de tous les Franç^iis âgés de vingt-cinq ans et payant 50 francs de contri- butions. Les électeurs âgés égale- ment de vingt-cinq ans et payant un cens de 300 francs au moins, nommaient les députés d'arrondis- sement et formaient une liste sur laquelle le roi choisissait les dé- putés de département. Le rappor- teur repoussait d'une manière absolue le renouvellement par cin- quième, et maintenait l'élection quinquennale établie par l'art. 37 de la Charte, et le nombre actuel des députés, qui était de 2G2. Un avait objecté contre le renouvel- lement intégral l'inconvénient de réunir à la fois tous les collèges 'électoraux; Villèle répondait à celle objection par l'exemple des der- nières élections, accomplies dans les circonstances les plus agitées, à la suite de la crise révolution- naire la plus grave, de l'aniniùbité la plus violente des partis, sans avoir donné lieu k aucune rixe, à aucun tumulte, sans avoir même, chose bien plus remarquable en- core, occasionné une seule récla-

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inatioD cionlre la validité des opé- rations électorales. Le système proposé par le rapporteur subs- tituait, comme on le voit, une combinaison toute nouvelle îi la conception gouvernementale, con- ception qui n'avait obienu aucune faveur à la Chambre, malgré l'es- prit ultra-monarchique qui en avait inspiré toutes les dispositions, en écartant les électeurs de droit pour ne laisser subsister que les électeurs élus. Le projet de la commission, de l'avis d'un des plus fermes amis de nos libertés consti- tutionnelles (1), offrait le mérite a de poser les véritables principes du gouvernement parlementaire ; » et ce mérite était d'autant plus appréciable, que M. Royer-CoÛard lui-même contestait à la Chambre son caractère représentatif, pour la réduire à un simple pouvoir de l'Etat. Les débats qui s'ouvrirent peu de jours après sur la première partie du rapport ne furent pas sans confusion; les amendements et les propositions se croisèrent en tous sens. Un second rapport fut lu dans la séance du <6 février par Villèle, qui fit valoir,. îi l'appui de son système, plusieurs considé- rations importantes. Il présenta les droits consacrés par la Charte au profit des citoyens , « comme un dédommagement des garanties que trouvaient leurs intérêts et leurs franchises dans les institutions qu'avait renversées la révolu- tion. » Il repoussa le privilège ex- clusif accordé par la Charte aux censitaires d.; ;{00 francs de nom- mer seuls les députés, comme en dehors de i.Ob mœurs actuelles et

(I) M. DuviM-gier (le Hîjurinnc, Hist. (lu (jouvern. parleynail'iire^ tome m.

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en désaccord avec le système re- présentatif que la Chambre était appelée à fonder, et comme tendant à perpétuer sous le roi le système d'avilissement le Corps législatif était retenu sous le régime impé- rial. Il concluait « qu'un système d'élection libre et étendu aurait pour effet de ranimer l'opinion publique, de calmer l'irritation des partis, de donner des garanties à tous, et de faire jouir la France du repos et de la confiance qui étaient ses plus pressants besoins. » Il s'éleva surtout avec force contre le renouvellement par cinquième, qui lui paraissait en opposition di- recte avec le droit constitutionnel de dissolution intégrale réservé à la couronne, et dont l'effet serait d'en- tretenir une mobilité perpétuelle dans l'administration du pays. La commission réussit générale- ment à faire prévaloir son système sur celui du gouvernement; cepen- dant elle succomba sur les chefs relatifs au nombre des députés, à l'établissement des collèges canto- naux, et se crut obligée de céder sur un point plus essentiel encore: elle admit que le roi aurait la fa- culté d'adjoindre aux électeurs de département des électeurs du son choix, dans une proportion faible à la vérité (un dixième sur le nombre total), mais qui altérait sensiblement l'économie et surtout la théorie du nouveau projet. Les doux projets furent, par un calcul évident d'opposition du cabinnl, pré- sentés simultanément à la Chambre des pairs. Ce corps vil dans r(cuvre ministérielle une violation formelle des droits consacrés par la Charte, et, dans 1'.' système de la commis- sion, le dessein de constituer une espiîce d'aristocratie :i;i' piofiL ex- clusif de la propriété, et rejeta l'un

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et l'autre. Ce résultat inattendu produisit, au sein de h Chambre élective, une perturbation pro- fonde. Dans un comité secret, le 4 avril, Villèle monta à la tribune, et proposa à l'Assemblée de for- muler une Adresse au roi pour lui signaler les dangers graves que faisait courir à la paix publique la résolution des pairs. Cette propo- sition fut accueillie avec faveur, et le développement en fut ftxé au lendemain. Mais, dans l'intervalle, le roi exprima son improbation d'une démarche aussi extrême, et M. Decazes, comprenant le besoin de composer avec les chefs de la majorité, manda chez lui l'hono- rable rapporteur, qui se rendit à cet appel. Le ministre lui commu- niqua un projet tendant à donner force de loi aux ordonnances des 13 et 21 juillet, c'est-à-dire à main- tenir les collèges électoraux ac- tuels, avec engagement de ne pro- céder à aucune élection partielle; il lui demanda de se désister de sa proposition, sous la promesse de soumettre le lendemain même ce projet au vole de la Chambre. Vil- lèle y consentit, moyennant quel- ques modifications de détail. Le lendemain 5, le comte de Vaublaric, ministre de l'intérieur, apporta à la séance le projet convenu, mais avec cette lacune essentielle, que rien n'y était spécifié quant au renouvellement intégral de la Chambre jusqu'à la prochaine ses- sion. Ce qui constituait l'impor- tance de celle omission, c'est que le côté droit, jup^eani la Chambre pleinement à l'abri d'une dis- solution, cooceulraii toutes ses appréhensions sur l'usage des re- nouvellements partiels qui pou- vaient a;iérer l'opinion de la ma- jorité. Ce manque de foi, ou,

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plus probablement, ce malenten- du fâcheux, émut vivement la fraction ultra-royaliste de l'Assem- blée. Une commission fut sur-le- champ nommée dans un sens hos- tile au ministère, et Villèle accepta cette fois encore les fonctions de rapporteur. Il monta le 8 avril à la tribune; mais M. Laine, prési- dent de la Chambre, lui refusa la parole, sur le motif qu'au mépris des prescriptions du règlement, l'orateur avait négligé de le pré- venir vingt-quatre heures à l'a- vance. D'irritantes explications s'engagèrent. A la suite d'un débat personnel entre le président et M. Forbin des Issarts, un des mem- bres les plus fougueux de l'extrê- me droite, la majorité s' étant pro- noncée pour l'audition immédiate du rapporteur, M. Laine quitta aussitôt le fauteuil et la Chambre, et ue reprit ses fonctions que quel- ques jours après, sur un ordre formel du roi. Villèle prit la parole au milieu de celte agitation, et lut un rapport très-habilement conçu, dans lequel il établit que la loi soumise à la Chambre devait dé- cider « si le gouvernement institué par la Charte serait une apparence ou une réalité, et prouva très- bien « qu'en essayant de créer un corps électoral dépendant et subor- donné, le projet tendait à annuler la Chambre et a anéantir la Charte. » La commission admettait le nouveau projet, mais en main- tenant provisoirement toutes les di^posiiious de l'ordonnance du i3 juillet, et en interdisant aux collèges provisoirement conservés toute autre élection qu'une élec- tion générale nécessitée par la dissolution de la Chambre. Le tra- vail de ViUclesc faisait remarquer par un grand nombre de considé-

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rations Judicieuses et élevées; nous n*eu extrairons que le pas- sage suivant qui résumait fidèle- ment la situation que le gouver- nement royal faisait k la France actuelle : « La France, disait-il, vient de naître pour ses institu- tions ; toutes sont à créer. Seul au centre de tant de ruines, l'hé- ritier de nos rois avait deux routes ouvertes devant lui : gouverner par sa pleine puissance ; dix ans d'asservissement avaient façonné laFranceàcejougJa continuation du même système n'eût éprouvé peut-être aucune résistance; créer autour de lui de nouvelles institu- tions, donner des garanties et des droits ik tous les intérêts, telle fut la roule contraire et plus sûre que la sagesse et la bonté du roi le por- tèrent à suivre. » La discussion qui s'ouvrit le lendemain n'offrit qu'une particularité digne de re- marque. M. de Vaublanc, porteur du projet de loi sur le renouvelle- ment partiel, se prononça, à la grande surprise de ses collègues, dans le sens des conclusions du rapport, conclusions qui, malgré l'opposition de M. Decazes et de M. Becquey, commissaire du roi, réunirent une forte majorité. Cette volte-face imprévue faisait pres- sentir dans le sein du conseil une scission qui ne tarda pas, en effet, à éclater. La résolution de la Chambre déplut vivement au roi, dont elle blessait la préroga- tive, et lui arracha, dit-on, la pre- mière désiipprobalion énergique qu'il eût fait entendre contre l'es- prit de la majorité. Un résultat non moins regrettable de la pré- cipitation du parti ultra-royaliste fut de créer un ardent antagonisme entre la Chambre et M. Laine, ce serviteur courageux et tidele de

la monarchie de 1814, le seul homme peut-être qui, par l'auto- rité de sa parole et de son dévoue- ment, eût pu conjurer la dissolu- tion dont elle était déjà menacée dans un certain nombre d'esprits. C'était une faute que ne rachetait point le motif de cette précipi- tation inconsidérée. Ce motif, fondé surla défiance qu'inspiraient à la droite plusieurs membres du ministère, était de subordonner le vote du budget à l'adoption d'une loi qui garantît cette fraction de la Chambre contre le péril d'un renou- vellement partiel. Mais celte tacti- que condamnable échoua devant l'intervention personnelle de Mon- sieur (1), qui craignit le méconten- tement du roi, et le budget fut voté, comme on le verra plus tard, sans que la dernière résolution de la Chambre élective eût reçu la con- sécration légale. La discussion de cette importante loi fut^précédée d'un rapport dans lequel M. Cor- bière proposait de rembourser en rentes 5 p. 100 au pair, c'est-à-dire avec une banqueroute de 40 p. 400, les créanciers de la Révolution et de l'Empire, au lieu d'aliéner, comme l'avait demandé le ministre des finances, en vertu d'une loi du 23 septembre 1814, les biens restants du clergé et des communes. Cette combinaison infidèle souleva la mi- norité de la Chambre ; mais la ma- jorité, dans son aveugle esprit de rancune contre les fauteurs du ÎO mars, se prononça en faveur du rapport, et le cabinet, après d'in-

(1) Hist. du gouvern. parlement. ^ etc., par M. Duvcrgier de Hauranne, tomo III, page 410. Histoire de la lieiitauration^ par M. de Viel-Cablcl, tome IV, page 184.

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fructueux efforts, n'eut d'autre res- source pour masquer son échec que le retrait de la loi du 23 septembre, en reculant l'échéance des paye- ments, et en offrant aux créanciers de l'Etat un intérêt de 5 p. <00. Ce succès, dont le côté droit ne com- prit pas d'abord la portée (1), et auquel Villèle prit une part regret- table, fut le dernier triomphe de la majorité de 1815. La session lé- gislative fut close le 2o avril, et Villèle revint le 14 mai à Toulouse, l'attendait une brillante récep- tion; la garde nationale en uni- forme et une partie considérable de la population se portèrent au de- vant de lui ; le soir, des feux de joie furent allumés sur plusieurs piaces, et les théâtres retentirent de cou- plets improvisés. Quinze jours plus tard, il lut conflrmé définitivement dans ses fonctions de maire. On re- marqua avec quelque surprise qu'il refusa de prendre part aux travaux de la commission chargée de pré- parer le budget pendant l'intervalle des deux sessions. Ce refus, inspiré, dit-on, par les conseils du pavillon Marsan, fit sensation sur l'esprit de Louis XVIII; mais l'effet en dispa- rut bientôt devant la grande me- sure qui allait influer si puissam- ment sur les destinées de la France et de l'Europe. L'ordonnance du 6 septembre prononça la dissolu- tion de la Chambre, et déclara quaucun article de la Charte ne serait révise. Cette ordonnance, prétextée surle danger d'un système d'innovation contraire « aux vœux et aux besoins » des populations, et sur la nécessité de réduire la Chambre des députés au nombre

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déterminé par le pacte constitu- tionnel, était le résultat de plu- sieurs mois de négociations con- duites dans un profond mystère par M. Decazes, qui en avait été le princi- pal promoteur, avec ses collègues, avec le roi, qui ne s'y était prêté qu'après une longue résistance (1), et les ministres étrangers, dont les représentations et les instances avaient fortement contribué à fixer ses irrésolutions. Quarante-cinq ans écoulés depuis l'ordonnance du 5 septembre permettent d'apprécier cette grave détermination avec le double avantage d'une expérience chèrement acquise, et de l'impar- tialité que comporte l'apaisement des passions qu'elle avait soulevées. Nous n'avons point atténué les torts de la Chambre de 1815. Nous n'a- vons dissimulé ni la tendance sub- versive de ses procédés envers la couronne, ni les obstacles suscités, par le langage irritant de ses prin- cipaux orateurs, à l'esprit de con- ciliation que le gouvernement royal s'efforçait d'établir entre les par- tis. Mais, à côté de ces empor- tements qui furent généralement plus individuels que collectifs, cette Chambre s'était signalée, de l'aveu même de ses plus ardents adver- saires, par quelques inspirations estimables dont il paraissait juste de lui tenir compte. « Formée en grande majorité, dit l'un d'eux, de propriétaires, simples contribua- bles, gens passiounés mais probes, el qui apportaient une sorte de re- ligion dans l'accomplissement de leur mandai de censeurs des dé- penses publiques, sa composition

(1) Hist. du gouvern. parleTnent., tome ni.

(1) Mémoires de M. Guizot^ tome i,

Èagc 131. Hist. de la liestaur., par [. de Viel-Castd, t. v, ch. 29.

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exceptionnelle imprima à ses tra- vaux financiers une reclitude et une rigidité qui les ont fait survivre même à la chute de la Restaura- tion (1). » M. Duvergier de Hau- ranne la loue hautement « d'avoir rompu avec les traditions de la ser- vilité impériale, et d'avoir notable- ment contribué à raffermissement et au développement du système parlementaire. (2) » « Il y avait dans cetteassemblée,adit récemment un homme d'État, grand jurisconsulte, il y avait de l'inexpérience, mais des sentimenîs d'un ordre élevé. Ces cœurs religieux, monarchiques et désintéressés étaient pleins de no- bles libres, qu'il fallait savoir metirn ,en mouvement. Elles auraient ré- pondu au tact d'une main qui leur eût été sympathique. On trouva plus simple de dissoudre cette Chambre et de frapper de suspicion les mem- bres qui en composaienliamajorité. Ce fut un malheur(3). » M.Guizot, après s'être associé à quelques-uns de ces éloges, justifie catégorique- ment la Chambre du reproche puéril d'avoir travaillé à abolir la Charte et à rétablir l'ancien régime. «C'é- tait surtout, ajoute-t-il, la victoire qu'elle voulait, pour l'orgueilleux plaisir de la victoire même, pour l'affermissement définitif de la Res- tauration, pour sa propre domina- lion au centre de l'État p:ir h', gou- vernement, dans chaque localité par l administration (4). Eu re-

(1) Histoire des deux liestauralions, par Acii. (le Vaulabeile,tûme iv, p. 09.

(2) Jlist. du gouvern. parlement., tome iri, page 420.

(3) A/. Hyde de Neuville, par M. de Vatimesnil, Correspondant du 25 juin 1857.

(4) Mémoires pour servir à ihis- loiredemon temps, iomc i, page 114.

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gard de cette opinion autorisée, il convient de placer le témoignage auguste de Louis XVIII lui-même qui, dans une occasion solennelle, avait qualifié à.' introuvable celte Chambre «que la Providence, ajou- tait -il, s'était plu à former des éléments les plus purs. » Enfin, voici en quels termes l'organe alors le plus accrédité du pavillon Mar- san formulait le programme politi- que de la Chambre de 1815, dans un mémoire secrètement adressé aux ministres des principales cours étiangères : * La Chambre, disait M. de Viiîoiles , ne veut point dé- truire la Charte (1), mais elle veut

(1) Cette thèse capitale était accom- pagnée de dévcloppci.Mcnts énoncés (l'une manière si précise et si catégo- rique que nous croyons devoir en reproduire un fragmeni étendu : « Quelle violence ne faudrait-il pas pour arra- cher aujourd'hui à la France les con- cessions qu'elle a reçues du roi! Elles ont été consacrées par les puissances qui le replaçaient .sur le trône, par l'usage qu un en a l'ait, par les garan- ties qu'on y a trouvées, en(in,pa;* leur adoption jranclie et entière de la part de ceux inôines qui y étaient le moins préparés. On ne pourrait pas réta- blir ce qu'on appelle l'ancien régime; tous les éléments en sont brisés, et la poussière même en est dispersée. Nous ne retrouverions pas môme le fantôme de ces grands corps de l'Etat qui, à la fois défenseurs des droits de la cou- ronne et des privilèges des j)euples, se balançaient noblement dans le cercle qui leur était tracé, et gardiitissaient à la fois les libertés de la nation et l'in- violabilité du trône. Ce serait donc un despotisme nu et hideux qu'il faudrait metire a U place de ces belles cl incom- parables institutions des temps anciens : un despotisme >ans force, sans institu- tions, sans garanties; un despotisme tel que la France ne l'a jamais connu et ne pourrait jamais le supporter; un despotisme, enlin, qu'il fauurail main- tenir par la force des armes, et qui attacherait a la léi^itimité tous les inconvénienls et tous les malheurs de

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que la Chambre des pairs devienne la source d'une noblesse indépen- dante, que le clergé soit proprié- taire et non salarié, que des as- semblées provinciales règlent les intérêts locaux, et que les arts et métiers soient soumis à une incor- poration régulière (1).» De telles conclusions, il faut le reconnaître, n'avaient rien de bien excessif, et l'on a vu que les torts de la Chambre consistaient surtout en un senti- ment outré de sa prérogative, et en certaines tendances plus ou moins arrêtées vers quelques-unes des ins- titutions secondaires qui apparte- naient au régime antérieur à 1789. Ces entreprises n'étaient pas sérieu- sement à craindre dans l'état de la société moderne ; l'avènement au pouvoir des chefs de la majorité eût suffi pour contenir ses préten- tions ultra-parlementaires, et il est naturel de supposer que les pas- sions qui fermentaient dans son sein, se seraient calmées à mesure

l'usurpation... Et en faveur de qui pré- tendrait-on exécuter une pareille sub- version ? Ce ne serait pas dans les inté- rêts du pays, qui ne trouverait plus dans le gouvernement légitime aucun gage de stabilité; ce ue serait pas dans les intérêts de l'Europe, qui s'engage- rait à soutenir par la force le gouver- nement qu'elle aurait imposé par la force; ce ne serait donc que dans l'in- térêt de quelques noms propres, qui croiraient ainsi se maintenir plus forte- ment au pouvoir Il restera donc

démontré a tout esprit judicieux que le» formes constitutionnelles sont les mieux adaptées aux circonstances oii la France se trouve placée; qu'elles conviennent à l'esprit des hommes et des temps, quelles sont un parti rai- sonnable entre les institutions ancien- nes, qu'on ne pourrait rétablir, et les théories de la révolution, qu'il est si essentiel de détruire. »

(1j Hist. du gouvern. parleinent.^ tome m.

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qu'on s'éloignait davantage des évé- nements qui les avaient fait naître. « Le flot de la réaction grondait toujours, dit M. Guizot, mais il ne montait plus (1).» Mais, en politi- que surtout, les arguments qui re- posent sur une base purement hypo- thétique ne peuvent conduire à aucune démonstration solide, et c'est surtout par son caractère et ses conséquences que l'ordonnance du 5 septembre veut être jugée. Or, le caractère d'une réprobation infligée à la seule Chambre sincè- rement dévouée aux intérêts re- ligieux et monarchiques que la France ait librement élue, ne pou- vait être que celui d'un appel aux idées révolutionnaires, et l'on com- prend quels effets devait produire ce haut encouragement dans un pays aussi docile que le nôtre aux im- pulsions du pouvoir, et si bien pré- paie d'ailleurs à accueillir de telles excitations (2). Dans une note re- mise au roi peu de temps avant la dissolution, M. Laine, tourmenté de justes scrupules sur les suites de cette mesure extrême, avait proposé d'essayer un renouvellement par- tiel de la Chambre, en n'y appe- lant que des députés de quarante ans (3). Ce plan était sage et n'en-

(1) Mémoires, etc., t. i, p. 138.

{'2) Dans la notice de M. de Vati- mesnil sur M. Hyde de Neuville, que nous avons citée plus haut, on lit la re- marquable observation qui suit : c S'il se trouve jamais un homme laborieux qui ait la patience de tirer de la pous- sière des grotles et de dépouiller les pro- cès politiques de cette époque, il acquerra la conviction que ce fut à dater du 5 septembre 1810 que les projeti des ennemis de la mouarchie et l'organisa- Lioii des sociétés secrètes prirent de la consistance.

^3) Mémoires, etc., par M. Guizot, tome I. M. Guizot reproduit cedocimierit m extenso.

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gageait que dans des limites dis- crètes l'avenir politique du pays. Mais il ne put prévaloir sur les ob- sessions persévérantes du conseiller intime de Lous XVIII. Nous ne fe- rons point à la tombe récemment fermée de ce bienveillant ministre l'injure de le défendre d'une in- digne trahison envers le monarque qui l'honorait de sa confiance. Mais, nous croyons que son ambition per- sonnelle et son patriotisme (1) l'ins- pirèrent mal dans cette circonstance, et qu'il négligea, par une précipita- tion inconsidérée, l'occasion su- prême, unique peut-être d'asseoir le régime de la Restauration sur une base solide par l'alliance à jamais souhaitable de la monarchie, de la religion et de la liberté. L'ordon- nance du 5 septembre encouragea le développement de cet esprit démo- cratique qui, dans son fatal essor, à peine ralenti par six ans d'un pou- voir afîaibli et contesté, parcourant rapidement tous les degrés de la licence, après avoir expulsé deux dynasties royales , a ébranlé , en 4848, tous les fondements de l'ordre public, pour aboutir à l'installation d'un régime sans contrepoids dans une société sans croyances, en laissant TEurope profondément troublée, et la France livrée à des divisions plus tranchées , plus ar- dentes, plus irréconciliables que ja- mais. — L'esprit de l'ordonnance du 5 septembre ne tarda pas 'd se manifester par les efforts que dé- ploya le ministère pour écarter les principaux membres de la majo- rité; mais il n'obtint à cet égard, surtout d;iiis les départements, qu'un succès partiel. La plupart

(1) Ibid., t. I, p. \4S,

des chefs de la Chambre dissoute furent réélus; Villèle et les trois autres députés de la Haute-Garonne étaient du nombre, et la session s'ouvrit le 4 novembre en présence d'un groupe fort diminué sans doute (Villèle n'avait obtenu que 80 voix pour la vice-présidence), mais beaucoup plus compacte et plus homogène que le parti mi- nistériel. Celte minorité mécon- tente agita un moment l'idée d'an- nuler la session par une retraite collective ; elle en fut détournée par de sages conseils auxquels Villèle, devenu le chef de l'oppo- sition royaliste, ne demeura pro- bablement pas étranger. On voit par la correspondance intime qu'il eutrelenaii alors avec sa famille, combien rexpéricncc des hommes et des choses avait modifié ses premières impressions: «Je ne puis dire, écrivait-il, que mon parti aime beaucoup la Charte, dont il connaît les imperfections et les laïuines; mais nous nous y attachons de plus en plus, comme au seul titre qui nous autorise à nous occuper des inté- rêts de notre pays. » Ces débris de la turbulente assemblée de 1815 comprirent bientôt le besoin de se réunir pour donner plus d'ensemble et d'autorité à leurs résolutions. M. Piet, l'un d'eux, leur ouvrit ses salons, et ce fut surtout dans ces réunions préparatoires que l'illustre député de la Haute-Garonne et son fidèle ami M. Corbière, réélu comme lui, acquirent sur leurs col- lègues cet ascendant qu'ils no de- vaient perdre que dans les épreuves périlleuses du pouvoir. Villèle commença son rôle d'opposition en attaquant les élections du Pas- de-Calais comme entachées de pres- sion ministérielle, et déposa une lettre du préfet de ce département

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tjui avait engagé les électeurs à repousser tous les députés « de l'ancienne majorité opposée au gouvernement. »> Ces objections, qui impliquaient la plupart des dernières opérations électorales, tirent naître un violent tumulte au sein duquel elles expirèrent sans succès. Il appuya sans plus d'avan- tage la pétition de la dame Robert, qui se plaignait de l'arrestation de son père et de son frère, et de la suppression d'un journal qu'ils avaient fondé pour la défense des doctrines monarchiques. Mais ces escarmouches n'étaient que le pré- lude de l'agression plus sérieuse que Villèle, dans la séance du 26 décembre, dirigea contre le projet de loi électorale présenté par M. Laine, ministre de linlérieur, projet qu'on dut considérer comme le premier corollaire de la nou- velle politique du cabinet. Dans ce projet, qui attribuait le droit d'élec- tion , indistinctement, à tous les censitaires de 300 fr. , avec le renouvellement par cinquième , M. Roycr-Collard, par une illusion étrange, avait vu le moyen d'ex- tirper (f ce qui restait des doctrines révolutionnaires. » Villèle, qui lui succéda à la tribune, avait le grand avantage de défendre le même sys- tème électoral qu'en 1816; mais il devait craindre, en soutenant les assemblées primaires, de réveiller les souvenirs de 1792 et de 1793, et, en se déclarant favorable à la grande propriété , de repousser l'appui du parti libéral, qui en re- doutait Tinfluence. L'orateur fran- chit assez heureusement ce double écueil. « Pour avoir, dit-il en dé- butant, les avantages du gouverne- ment représentatif, il faut néces- sairement supporter les épines de l'indépendance des élections et les

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embarras d'un système électoral plus éiendu que celui qu'on vous propose. )) Après avoir reproché au gouvernement de placer trop haut ou trop bas la limite électo- rale, Villèle insista pour l'élection à deux degrés, avec des censitaires au-dessous de 300 fr. ; le choix des électeurs était confié à tous les hommes qui cherchaient dans le travail ou l'industrie une augmen- tation à leur modeste aisance, et qui, par conséquent, devenaient des auxiliaires naturels de la grande propriété. Il voulait que les col- lèges fussent réunis par sections dans les chefs-lieux d'arrondisse- ment, au lieu d'être convoqués intégralement au chef-lieu du dé- partement; enfin, il demanda que les préfets et les commandants mi- litaires ne pussent être élus dans les départements ils exerçaient leurs fonctions. Cette dernière proposi- tion, qu'il défendit avec beaucoup de sens et d'énergie contre MM. de Serre et Royer-Collard, fut plutôt ajournée que rejetée; mais tous les autres amendements furent écartés par la question préalable. Cepen- dant le principe de l'élection direct n'obtint que 12 voix de majorité, et la loi entière ne passa à la Chambre des pairs qu'à 18 voix. Villèle combattit également le projet de loi sur la sûreté générale et celui qui étendait les attributions du ministre de la police en re- nouvellement des dispositions de la loi de 1815. Il établit que les motifs de la loi d'exception du 29 octobre avaient cessé d'exister, et invoqua, à l'appui de son affirma- tion, les paroles mômes du ministre qui proclamait le retour do l'ordre et de la tranquillité sur tous les points du royaume. 11 combattit aussi le projet qui assujettissait,

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jusqu'au 1" janvier 18i8, les jour- naux à ne paraître qu'avec l'auto- risation du roi, et dans lequel il ne voyait qu'un accroissement de l'ar- bitraire ministériel au préjudice de Tautorité royale. « Si, disait-il, le gouvernement représentatif est notre seul refuge contre de nou- Telles révolutions et la seule garan- tie que nous puissions avoir contre les abus destructeurs des empires, maintenons le gouvernement re- présentatif que nous a donné la Charte en lui conservant les appuis qu'elle a reconnu lui être né- cessaires, et j'ai pensé que la liberté des journaux était le plus

indispensable Garantissons la

société des dangers de la licence des journaux, mais ne livrons pas à l'arbitraire l'arme utile et puis- sante dont ils sont dépositaires, car, pour éviter un danger, nous nous précipiterions dans un abime. » Mais le discouis le plus remar- quable que Villéle prononça dans la session de 1817 eut lieu à pro- pos du budget. Dcins ce travail, qu'un écrivain a appelé ï Évangile financier du parti royaliste (i), il offrit un tableau malheureusement trop fidèle de la situation obérée de la France; et, rappelant l'exem- ple de Sully, qui dans de > conjonc- tures également difliciles, avait triomphé par l'économie de tous les embarras dont on était assiégé : « C'est k la Chambre, ajoula-t-il, de jouer le rôle de Sully, en défen- dant le monar(iu<' contre l'impor- tunité des demandes et la facilité de les accorder. » Puis, examinant successivement toutes les branches de l'adminisiration publique , il ,

(1) Hisl. du qouijern, parletn.^ par iM. DuTergier de Uauranne, tome iv.

censura les Irailenients sans fonc- tions tels que ceux des ministres d'État, signala comme inconstitu- tionnelle l'existence du conseil d'État, blâma comme insullisante la dotation du clergé, sans épar- gner la subvention universitaire, attribuée, disait-il, à un corps « qui n'inspirait aucune confiance aux pères de familles; » mais il s'éleva surtout contre l'excès de la centra- lisation administrative et contre l'abus dispensions, «devenues de- puis la Restauration une véritable plaie de l'État, » et proposa divers moyens propres à réaliser rexercice d'un contrôle sérieux sur les dé- penses publiques. Remontant des effets aux causes, Villèle n'hésita point à rapporter aux développe- ments excessifs du système impé- rial l'élévation des charges dont il provoquait la réduction : « Notre domination sur l'Europe, disait-il, a fait naître au milieu de nous, non une nation nouvelle, mais une réunion de quelques milliers d'in- dividus pour lesquels les spécula- tions financières et politiques, l'habiiude des places lucratives, la nécessité de pourvoir à de grandes dépenses par de grands profits et de forts émoluments, ont fait long- temps regarder l'Europe comme un vaste champ d'exploitation, et de- puis, les revenus de la France comme son patrimorne. » Ce dis- cours fort éiendu produisit une vive sensation dans la Chambre qui en vola unanimement l'impres- sion. M. de Barante, commissaire du roi, accepta la tâche difficile d'y répondre le lendemain même, et s'en tira avec habileté. 11 opposa spirituellement au tableau des abus de l'administration moderne l'es- quisse des désordres et des dilapi- dations de l'ancien régime, et dé-

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montra que le chiflre des économies réclamées par Torateur était au- dessous même de celui auquel s'é- levaient les réductions proposées par la commission du budget. Villèle ne cessa pendant la session de prendre une part active à la discussion de la loi de finances; il concourut fortement à l'établis- sement de la commission annuelle chargée de vérifier la conformité des dépenses publiques avec le texte des prescriptions légales; mais il échoua dans tous les amen- dements qu'il présenta. Cette insis- tance lui attira quelques personna- lités, parmi lesquelles figurait lira- putation de recevoir un traitement de six mille francs comme maire d'une ville de second ordre. L'op- position avait mal choisi son ter- rain. Villèle convint du fait, mais il ajouta qu'il avait constamment abandonné cette somme à son pre- mier adjoint pour être distribuée aux pauvres. La dette extérieure, occasionnée par les événements de 1815, avait été fort grossie par les créances particulières des an- ciens pays conquis, créances dont le chiffre s'était trouvé fort supé- rieur à ce qu'on attendait. Pour fairo face Ji ces charges exorbi- tantes, le ministère se détermina à conclure avec des banquiers étran- gers un emprunt de 30 millions de rentes. Informé l'un des premiers de cet engagement, jusqu'alors secret, Villèle le dénonça à la tri- bune comme onéreux au trésor royal; il établit que les clauses auxquelles il était consenti e;re- vaient l'État d'un intérêt annuel de 10 pour cent avec rembourse- ment d'un capital double, et de- manda que la Chambre n'accordAt que 20 millions, saus augmenla- tiOQ de capital. Mais cet amende-

ment, combattu par M. Laffitte, échoua devant une inéluctable né- cessité. La Chambre se sépara le 26 mars, après l'adoption du bud- get, contre laquelle protestèrent 88 voles de la droite, procédé consti- tutionnel, mais extrême, et qui au* torisait de dangereuses représailles envers le parti qui en donnait l'exemple. Villèle retrouva Tou- louse en proie -a toutes les angoisses de la disette que l'insuffisance des récoltes de 1816 faisait peser sur la population. La confiance géné- rale, qu'il commandait par son zèle et son désintéressement, vint en aide à ses efforts. Son exemple détermina tous les grands proprié- taires du département h mettre à la disposition de l'autorité munici- pale, jusqu'il la prochaine récolte, une bonne partie de la précédente, et d'en faire le transport aux mar- chés de la ville, à mesure qu'ils en seraient requis, (i) Cet acte de prévoyance assura l'approvision- nement public sans occasionner aucun sacriflcfi au département, ni même aucune perte notable aux propriétaires qui y prirent part. Cependant, l'ordonnance du 3 septembre avait divisé le parti royaliste, jusqu'alors si puissant et si homogène, saus faire cesser les embarras du ministère. Loin de calmer les passions politiques, cet acte n'avait fait que les exaspé- rer sur plusieurs points du royau- me, et notamment ii Lyon, le sang avait coulé pour réprimer une sédition moitié réelle, moitié fomentée par l'un des dépositaires les plus considérables du pouvoir. Le" renouvellement partiel de la

(l, i\oticc sur M. le vomie de Vil- lèUt par M. de Neuville, p. 40.

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Chambre avait renforcé la majorité ministérielle ; mais la réapparition sur la scène politique des ennemis les plus déclarés du gouvernement royal, tels que Lafayette, Manuel, Benjamin Constant, révélait sura- bondamment les périls attachés à cette loi électorale qui avait inau- guré avec un éclat si aventureux la voie ouverte par le manifeste du 5 septembre. « Le mouvement d'opinion qui s'était produit dans presque tous les départements, dit un parlisau très -prononcé de cette mesure, montrait quelle in- fluence exerçaient les ennemis de la Restauration , quelle action leurs comités, leur correspon- dance et leurs pamphlets pouvaient avoir sur cette classe moyenne à laquelle on avait accordé tant de conflance (1). » L'ordonnance du 13 novembre 1816, qui n'avait pas craint d'amnistier la lidélité des compagnons du dernier exil de Louis XVlII, avait blessé le parti monarchique sans exciter la reconnaissance du parti libéral. Une disgrâce éclatante venait de frapper dans M. de Chateaubriand, l'organe le plus éloquent et le plus vindi- catif de l'opposition royaliste. En échange des adversaires implaca- bles qu'il s'était créés, le ministère n'avait acquis que des alliés dou- teux, exigeants, et dénués en géné- ral de ces fermes convictions qui fortifient puissamment les causes qui savent les employer. Sa poli- tique, dépourvue de franchise et d'unité, commençait Ji se résumer à ce vulgaire système de basciUe qui repousse le dévouement sans con- tenir l'esprit de faction. Ce fuldans

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ces tristes conjonctures que se rou- vrit la session législative. M. De- cazes avait essayé sans succès d'in- troduire dans le discours du trône un paragraphe favorable aux liber- tés publques; la condescendance de Louis XVIII ne put aller jusque- (1). Lors de la discussion de l'Adresse, M. Royer-Collard pro- posa un amendement qui renfer- mait un éloge indirect, mais vif de la loi électorale; Villèle en de- manda la suppression, en promet- tant à ce prix l'unanimité des votes de son parti. M. de Serre, qui pré- sidait la Chambre, fit adopter l'a- mendement (2); l'Adresse ne passa qu'à une faible majorité. Le minis- tère présenta bientôt un projet de loi restrictif des entraves auxquelles la presse était demeurée soumise dans l'état actuel de la législation. Moins touché de ces concessions secondaires que de la prolongation de ces mesures exceptionnelles, Villèle, dans un discours fort déve- loppé, combattit (12 déc.) la pro- position ministérielle. « Dans les circonstances graves se trouve notre pays, il n'est pas indifférent, dit-il, que des hommes, dont les in- tentions sont pures et le dévoue- ment à la cause royale connu, vo- tent ici pour ou contre le système politique du gouvernement... Si le système est conforme aux intérêts de la France et du roi, notre aveu- glement est déplorable, et notre opposition un acte de folie. Mais si par l'effet de ses conséquences nécessaires l'autorité royale s'af- faiblit, si Ton voit chaque jour augmenter les moyens d'attaque

(i) La Vie politique de Royer-Col- lardf par M. de Barantc, t. i, p. 333.

(Ij Hist. du (jouv. parlem., par M. Diiv. de Hauraùne^ tome iv, p. 238. (2) Ibid.

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dirigés contre elle et disperser ceux qui doivent la défendre, nous ne sommes ni aveugles ni insensés en combattant la cause de ces fu- nestes résultats. Fidèles à la France et au roi, nous devons avertir des dangers de la route dans laquelle on s'égare; chaque pas en avant doit rencontrer notre opposition ; elle doit exister jusqu'à l'abandon du système ou jusqu'au dénoue- ment fatal que nous aurons re- tardé de tout notre pouvoir, mais ffu'il n'aura pas dépendu de nous

d'épargner au pays Tenter de

substituer l'arbitraire au règne de la Charte, essayer sous les Bourbons des moyens usés sous Bonaparte, c'est méconnaître à la fois les Français et les Bourbons. La France ne peut éviter de nouvelles con- vulsions, le trône de nouvelles ca- tasirophes, que par la réunion de tous les Français autour du roi lé- gitime. La liberté de la j)resse avec une forte et juste répression de ses abus, est la compagne insé- parable de la liberté nécessaire à cette tribune dans un gouverne- ment représentatif. L'immense ma- jorité des Français veut la légiti- mité et la Charte, dont l'exécution formelle et complète peut seule calmer toutes les méfiances, réunir toutes les opinions et sauver notre pays. » Celte argumentation con- quit à l'opposition une imposante minorité de 111 voix, qui rédui- sit à onze le triomphe ministé- riel. Ce résultat, joint à quelques apparences de rapprochement en- tre les royalistes et les libéraux de la gauche, donna à penser au mi- nistère, il ouvrit avec les chefs du côté droit des négociations qui tendaient à aboutir, quand la pré- sentation du projet de loi de re- crutement fit évanouir tout espoir

de conciliation (1). Villèle attaqua ouvertement Qanv. i8<8),le prin- cipe du projet, qui lui paraissaitbles- ser l'égalité légale, et dans lequel il trouvait la conscription impériale déguisée sous d'autres formes. « A- t-on, dii-il, assez essayé du sys- tème des enrôlements pour pro- noncer définitivement sur leur in- suffisance ? Si la défense du pays est un impôt, on n'est en droit de le faire supporter à personne en dé- charge des autres. En levant cet impôt en nature, un homme paie la dette de cinquante, ou même de cent, qui ne paient rien du tout, et plus la durée du service est obligée, plus longtemps on est injuste... Il y a quelque chose de répugnant dans ce matérialisme politique qui considère les hommes comme une matière imposable, et une généra- tion brillante de jeunesse et de force comme une coupe de boii livrée à la cognée du bUicheron . Jadis, Tenrôlement forcé ne tom- bait guère que sur la classe des artisans qui, ne trouvant plus d'ou- vrage, trouvait au moins, dans la carrière des armes, une noble res- source. La conscription tombera principalement sur la population des campagnes, la plus nombreuse, mais aussi la plus utile, sur celle les bras manquent toujours, et la guerre a fait le plus de ra- vages. » Villèle attaqua avec la même énergie la disposition du projet qui mutilait la prérogative royale louchant le droit d'avance- ment, et, faisant allusion aux né- gociationsébauchées entre lesroya- lisles et le ministère, il déclara que « tout rapprochement fondé sur la violation du pacte constitutionnel,

(1) Hist. du gouv. parlcm.y t. iv.

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perdrait le roi, la France et ceux qui l'auraient consenti. » Cette dé- claration attira à l'orateur et ù ses amis une réplique violente de M. Courvoisier, maiiislrat alors inféodé à la politique ministé- rielle, et qui ne craignit pas de siéger quelques années plus tard dans un conseil composé en majo- rité de ceux mêmes dont il blâ- mait si amèrement la conduite. La discussion du budget de 1819, ramena bientôt (3 avril) Villèle à la tribune. Il saisit cette nouvelle occasion de s'élever contre le sys- tème de la centralisation adminis- trative, cet instrument de l'arbi- traire impérial conservé par une étrange contradiction au sein d'un régime constitutionnel; il insista avec force sur le rétablissement des institutions provinciales et munici- pales, dont la France élaitseule pri- vée entre toutes les nations de l'Eu- rope.«Tant qu'on voudra maintenir le système actuel, ajouta le prophé- tique orateur, il faut s'attendre à rester exposé a toutes les révo- lutions que des audacieux pourront tenter h Paris; car, lorsque rien ne peut se faire d'un bout de la France k l'autre que d'après la direction et les ordres de Paris, la faction ou l'usurpateur qui se rendent maîtres de Paris devien- nent, par ce seul fait, maîtres de toute la France. » Il vola, quel- ques jours après, pour la suppres- sion des fonds secrets de la police, « comme profondément affecté, dit-il, des funestes effets sur toutes les |)arties du service public de l'influence exjigérée de la police gé- nérale, 9 et signala son action dans la plupart des procès politiques portés devant les tribunaux de- puis l'afiaire d<'s patriotes de ISKJ; mais il signala en mAme temps le

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danger de supprimer un ministère quelconque en refusant les fonds nécessaires h son existence, et dé- clara que le retranchement pro- posé ne pouvait être « qu'une transition à un meilleur ordre de choses, un acte plus conforme aux droits de la Chambre el plus res- pectueux pour la couronne. » Vil- lèle contribua beaucoup h faire adopter l'amendement de la com- mission du budget qui consacrait le principe capital de la spécialité dans les dépenses, « moyen de plus, dit un historien compétent, de faire respecter ses volontés (1), » et ce fut sur sa propositon formelle que la Chambre imposa aux minis- tres l'obligation de soumettre aux Chambres, chaque année, le compte des exercices antérieurs pour y être approuvés et clos par une loi. Cependant la scission du côté droit avec le ministère se prononçait de plus en plus. Villèle s'était démis, au mois de février 1818, des fonc- tions de maire de Toulouse. Quel- ques semaines avant, ^lonsieuravait fait remettre à Louis XVlll une note il exprimait ses vives alarmes sur les conséquences du système politique suivi par le cabi- net et sur les progrès mennçants des doctrines révolutionnaires ; Louis XVIII avait répondu (29 jan- vier) par une lettre habilement conçue, mais dans laquelle domi- nait la conviction d'avoir agi dans le sens le plus conforme aux inté- rêts de la France et de la royauté, et le ferme dessein de persister dans la ligne tracée par l'ordonnance du 5 septembre. Ces démarches ne furent que le prétexte d'une ten- tative moins irréprochable à quel-

(1) Hist. (ht goHV. parlcm,, t. iv.

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ques égards, et qui a défrayé long- temps les accusations de la France libérale contre le parii ultra-roya- liste. Nous voulons parler de la Note secrète par laquelle Monsieur conjurait (voyez Vitrollis) l'empe- reur Alexandre de profiter de la libération du territoire français, dont on s'occupait activement alors juillet 1818 pour persuader le roi de modifier, par le renvoi de son cabinet, une politique si ouverte- ment favorable aux intérêts révo- lutionnaires. Le parti qui n'avait obtenu l'ordonnance du 5 septem- bre que par l'intervention vivement sollicitée du cabinet russe ne pou- vait faire un grief bien sérieux au pavillon Marsan d'avoir provoqué une semblable médiation ; mais il y avait dans la Note aeci'cie une por- tée d'insinuation évidemment ré- préhensible et très-propre à irriter le monarque qui attachait un si juste intérêt à la prompte déli- vrance du pays. Hâtons-nous tou- tefois d'ajouter que dans ce mé- moire, comme dans la communica- tion qui l'avait précédé, on ne découvrait aucune arrière-pensée de renversement des institutions con- stitutionnelles : circonstance qui tirait à notre avis un haut degré d'importance du caractère essen- tiellement confidentiel de ces deux documents, mais qui ne sauva pas Monsieur de sévères représailles. Le 30 septembre, une ordonnance du roi enleva à ce prince le com- mandement de la garde nationale pour le déférer à l'autorité civile, et cette mesure extrême acheva de détruire le peu de concorde qui ré- gnait entre les doux frères. Cepen- dant, bien qu'affaiblie par li's alar- mes exagérées dont on s'était ap- pliqué à l'eniourer, la Note secrète n'avait pas laissé de faire impres-

sion sur l'esprit du czar. Quoi- qu'il eût pris une part généreuse et active à l'affranchissement du territoire, ce souverain et ses alliés ne dissimulèrent pas au duc de Ri- chelieu qu'en cas de nouvelles ré- volutions, les puissances signataires du traité du 20 novembre se re- garderaient comme liées par ses stipulations. M. de Richelieu rap- porta d'Aix-la-Chapelle la résolu- tion de modifier profondément la loi électorale, dont les derniers produits n'avaient fait que confir- raerses appréhensions, que M. Laine partageait entièrement. De nou- veaux pourparlers furent entamés avec les honimes influents du parti royaliste; mais leurs prétentions, que Villèle s'était en vain efforcé de modérer, parurent excessives. Ils demandaient le renvoi immédiat de M. Decazes, le double degré d'é- lection et le rapport des disposi- tions relatives à l'avancement mi- litaire. Il fut impossible de s'en- tendre, et Louis XVIII ayant déclaré en plein conseil rintenlion de « planter fermement son drapeau sur l'ordonnance du 5 septembre, » on ne songea plus qu'à de nouvelles luttes. Le noble duc de Rii helieu, regardant sa mission comme ter- minée par la rentrée de la France dans le concert européen, déposa sou portefeuille malgré les vives instances du roi, et fut remplacé par le général DessoUes qui ac- cepta de plus la présidence nomi- nale du conseil, dont M. Decazes, ministre de l'intérieur par la re- traite de .M. Laine et la suppres- sion du ministère de la police, d*^venait le véritable chef. Le dé- parlement de la marine, vacant par l'éloignement de M. Dubouchage, avait éli' proposé h Villole ; mais diverses circonstances fin-nt t-va-

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nouir cette combinaison , que n'a- vaient pas vue sansombrage certains chefs avancés de l'opinion roya- liste, et notamment le fougueux comte de LaBourdonnaye. « Il fal- lait, suivant lui, faire du ministère la conquête commune des roya- listes, ou rester ensemble dans une opposition qui conserveraitla pureté des doctrines (1). » La session s'é- tait ouverte, le 19 décembre, par un discours qui se ressentait des oscillations de la crise ministé- rielle. Après avoir annoncé avec un légitime orgueil la fin de l'oc- cupation étrangère, le roi, dans une phrase fort remarquée , y signalait, avec énergie « les prin- cipes pernicieux qui , sous le masque de la liberté, attaquaient l'ordre social, conduisaient par l'anarchie au pouvoir absolu, et dont le funeste succès avait coûté au monde tant de sang et de larmes. » Cependant l'esprit gé- néral de ce manifeste n'avait pas paru déplaire au parti constitu- tionnel. La session ne commença réellement qu'à la tin de décembre, par la discussion du projet de loi qui autorisait la perception provi- soire des six premiers douzièmes des contributions directes sur les rôles de 1818, et l'ouverture d'un crédit de 200 millions pour les be- soins du service. Un des orateurs les plus accrédités de la gauche, Dupont (de l'Eure), avait proposé de limiter cette autorisation à trois douzièmes. Villèle combattit cet amendement et fil remarquer que, par le refus de la loi, on porterait une évidente atteinte à la plus im- portante prérogative de !a cou-

(1) Ilial. de France depuis la Res- taur, par M. Lacretelle, t. ii, chap. 13.

ronne, celle de la dissolution de la Chambre, puisque dans trois jours expirait le terme de tout impôt. Quelques jours plus tard (H jan- vier), le ministère, comprenant la nécessité de régulariser une posi- tion anormale, soumit à la Chambre un nouveau projet, tendant à faire voter dix-huit mois d'impôt, seul moyen d'épargner aux Chambres l'examen précipité de la loi de finances, ou de prévenir, par le refus de cette loi , la désorganisa- tion des services publics. L'oppo- sition libérale n'apporta pas d'obs- tacles à cette combinaison; mais le côté droit la combattit avec force, et Villèle prononça, à cette occa- sion, un de ses plus remarquables discours. Il fit observer que la nécessité du provisoire demandé ré- sultait uniquement de ce que les Chambres étaient convoquées trop tard et arriérées d'une session, et réfuta les considérations secon- daires invoquées à l'appui de cette manière de procéder, pour insister exclusivement sur les inconvé- nients attachés à la violation fla- grante de la Charte, dont on solli- citait la consécration. « De cette violation de la règle qu'on demande aujourd'hui, ajouta-t-il, à celle qui assure votre liberté individuelle, à celle qui interdit les tribunaux d'exception, q-ii garantit la pro- priété, qui abolit la confiscation, il y a moins de distance que ne paraissent le prévoir ceux qui la proposent... Lorsque Bonaparte, à la tête de quelques soldats, dit-il en terminant, vint disperser les t membres des Conseils d'alors, ils " invoquèrent les droits qu'ils te- naient de la constitution. Il leur répondit : « Vous l'avez violée! » Redoutez pour vous-mêmes cette effrayante réponse. Kedoulez-la,

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soit que notre position et rotre aveuglement vous conduisent à voir encore la démagogie triomphante vous demander le renversement du trône et la dissolution de la Chambre des pairs, soit que quelque nou- veau soldat tente encore de faire consacrer dans cette enceinte la violation du principe, saFutaire et vital pour la France, de la légiti- mité ! » La Chambre des députés vota la loi à 32 voix de majorité, mais elle fut repoussée par la Chambre des pairs, dont l'opposi- tion se signida bientôt avec plus d'éclat encore par la prise en considération de la proposition faite par M. Barthélémy pour mo- difier la dernière loi électorale. La résolution de la Chambre haute fut portée à la Chambre élective au commencement de mats, peu de Jours après que le ministère, par une promotion nombreuse, eut en- trepris de neutraliser cette majorité hostile. La discussion, à laquelle Vil- lèle ne prit qu'une part incidente, fut aigrr! et passionnée. La loi exis- tante fut défendue avec chaleur par les dangereux auxiliaires que les dernières élections avaient pro- curés au ministère, avec talent par M. de Serre, garde des sceaux, au- quel il ne manipjait qu'un an d'ex- périence pour se ranger parmi ses plus éloquents antagonistes, et la proposition fut repoussée à une forte majorité. Villèle ne participa point aux déb;Us sur les lois de la presse qui furent portées à la même session, mais il développa, sur la dette flottante de l'Etat et sur le dégrèvement, les doctrines qu'il devait pratiquer plus lard; il établit que la Chambre pouvait employer 37 millions d'excédant à réduire de 2,800,000 fr. les re- tenues sur les traitements ; de

4,740,000 fr., ou 37 cent, la con- tribution des portes et fenêtres; qu'elle pouvait appliquer 0,900,000 francs de dégrèvement au principal de la contribution foncière des départements surchargés, et dimi- nuer de il millions ou 10 centimes additionnels la charge de tous les départements. Mais la Chambre n'accorda que 20 millions de dé- grèvement sur les contributions directes. Cependant la position politique se tendait de plus en plus. Le dernier renouvellement partiel de la Chambre avait fortifié le parti hostile à la royauté de quelques noms tristement expressifs, parmi lesquels la France monarchique avait eu la douleur de lire celui de Grégoire (1). L'industrie révo- lutionnaire couvrait le royaume de vastes associations qui , sous des litres plus ou moins inoffensifs, préparaient à l'esprit de sédition de formidables instigateurs : le clergé, de son côté, s'elïorçait de propager les démonstrations reli- gieuses par des missionnaires dont les prédications iiassionnées, ac- cueillies avec ff rveur par une partie de la population, développaient, dans l'autre, un sentiment très-vif d'hostilité et d'irritation. D'affli- geants désordres avaient éclaté sur plusieurs points du royaume, et répandu partout le trouble et l'a- gitation. Le roi se fil lui-même l'in- terprète de cette situation alarmante, lorsquen ouvrant la session légis-

(Ij L'élection de Grégoire fut détor- miiiéepar lui appoint systématique deii- viron cent voix royalistes; mais rlle ivvait été très-prétiieditee, très-calculée par If parti révoliitioiiiiaire, selon les expressions de M. Giii/.ot [Mcm., t. n\ dans le départ-ment le réj^im'' r'»yal comptait Incontcstablenient lopins d'en- nemis.

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lative, le 29 novembre 4819, il constata «qu'une inquiétude vague, mais réelle, préoccupait tous les esprits, et que chacun demandait au présent des gages de sa durée. » Neuf jours avant, les ministres, frappés de la gravité des circons- tances, et mus par les représenta- tions pressantes du corps diploma- tique (1), s'étaient décidés enfin à proposer des modifications à la loi électorale ; par suite de cette dé- termination, MM, Pasquier, Roy et de Latour-Maubourg avaient pris place dans le cabinet reformé sous la présidence de M. Decazes. Ce remaniement établit bientôt entre les membres modérés de la droite et le centre un rapprochement, par suite duquel Villcle fut élu l'un des vice-présidenls de la Chambre. Le projet de loi pour la per- ception des six douzièmes provi- soires fut présenté le 20 décembre, et vivement combattu par M. de La Bourdonnaye et par les royalistes exaltés, qui voulaient à tout prix renvt^rser M. Decazes; mais Villèle, appréhendant par dessus tout de jeter le ministère dans les bras des libéraux (2} au moment il semblait incliner vers les idées moniirchiques, se sépara d'eux et vota pour le projet de loi, qui réunit une forte majorité. Ce- pendant M. Decazes, tour à tour en butte aux attaques des partis extrê- mes de la Chambre, mollement appuyé par les centres , ne se maintenait au pouvoir que par la faveur personnelle du roi. Une catastrophe k jamais fatale préci- pita brusquement la ruine du sys-

(1) Vaiilabellc, llisl. des deux Res- tour.^ t. IV, p. iî)".

(2) Nolicc historique, etc., i»ar M. lo comte fie Npuvillo, p. 5.3.

lème politique qu'il suivait depuis quatre ans avec une si pernicieuse ténacité. M. le duc de Berri suc- comba, le 13 février, sous le poi- gnard d'un fanatique égaré dans l'irrésistible débordement des pas- sions révolutionnaires. Louvel n'eut pas, si l'on veut, de complices directs; mais il eut pour instiga- teurs tous ceux qui, à des degrés divers, prêchaient l'incompatibilité absolue des Bourbons avec l'exis- tence de cette société nouvelle qu'ils avaient si généreusement émancipée. « J'ai vu le manche du couteau, écrivait Charles Nodier; c'est une idée libérale! » Ce ne fut pas sans une vive résistance que Louis XVllI sacrifia son favori aux supplications de sa famille éplorée, k l'inflexible répulsion des roya- listes, etsurtoutau refus deconcours du centre gauche de la Chambre (1); mais enfin il céda, et, le 20 février, un nouveau cabinet se constitua sous la présidence, sans portefeuille, duducde Richelieu, à qui Monsieur, avec plus de sincérité que de ré- flexion, promit le concours des royalistes. Devenu depuis long- temps, par sa prudence et son dévouement, un des conseillers les plus rapprochés du prince, Villèle s*«mpressa de faire honneur h sa parole. Il entra en rapport avec le nouveau chef du conseil, dans l'intention commune d'amener un rapprochement complet entre le gouvernement , la droite et les centres, afin de former, pendant qu'il était temps encore, une ma- jorité qui arrêtât l'envahissement de la Chambre par le parti libéral, en modiliant la loi électorale, et qui

(1) La y'ie politique de Royer-Col- lard, par M. de Barante, tome ii, p. 4.

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accordai au cabinet les moyens nécessaires pour franchir la crise dans laquelle la monarchie se trou- vait engagée (i). Il fut puissam- ment secondé par le concours fidèle de M. Corbière, cet inséparable compagnon des prospérités et des traverses de sa vie entière. Villèle défendit la loi suspensive de la liberté individuelle par des argu- Uients tirés de la Charte môme qu'on invoquait contre le projet ministériel, a Le despotisme se prend et ne se demande pas, » dit-il judicieusement à ceux qui découvraient dans la loi proposée le germe sérieux d'un régime de ty- rannie (2\ Mais, ce qu'il faut remarquer surtout dans son long et substantiel discours , c'est la péroraison, où, lépondant aux dé- clamations hypocrites des uns, aux aveugles appréhensions des autres, il s'écriait avec une clairvoyance prophétique : « Malheureux pays, qui voit reproduire depuis trente ans les mômes sophismes , les mêmes déclamations, les mêmes principes, les mêmes doctrines subversives de tout ordre social, aniipaihiques de toute liberté pu- blique, avec lesquels on l'a trainé de l'anarchie au despotisme, avec lesquels on tente encore de l'arra- cher à la véritable liberté! A quelle époque en avez-vous joui comme aujourd'hui, provocateurs insensés, de cette liberté r/ue voua appelé::, mm cesse quand vous iavei, et qui ne vous

(i) Notice, etc., page îw.

{-2) Un fait utile k constater, c'est que 1(1 loi sur la liberlc individuelle ne donna pas li-u à une seule arreita- lioii exira-judtciairc, niêiiie îiprès les troub'es de juin. Les m tins ai itHés ne lurent qur laibleiuent ponisuivis et lé- gfîreinonl condamnes. (//i.sL de la /<e«(<iur.,parM. LacretelU',t.ii, p. 433.

trouve plus quand vos folies nous l'ont fait perdre! « Ce discours pro- duisit une vive sensation. Cepen- dant le projet ne passa qu'à \9 voix de majorité. Villèle prêta bientôt son appui au ministère dans une circonstance plus décisive encore. Cinq jours avant sa chute, le io fé- vrier, M. Decazes avait présenté à la Chambre un projet de loi d'élec- tion qui affaiblissait, sansle détruire, le principe de la loi de 1817. Ce projet fut retiré, et deux mois plus tard, le 17 avril, M. Siméon lui sou- mit une nouvelle proposition qui consacrait l'élection à deux degrés et limitait la faculté d'élire aux dix ou douze mille propriétaires les plus imposés du pays. Cette combinaison monarchique, si hardiment substi- tuée à l'économie libérale de la législation existante, souleva d'im- menses orages au sein et au dehors de la Chambre. Plusieurs députés de la gauche furent insultés et menacés par des officiers roya- listes déguisés; le parti démocra- tique, de son côté, visé au cœur dans l'instrument électoral qui avait rétabli sa prépondérance, s'eflorça d'intimider les volontés de la Cham- bre par des démonstrations j)opu- laires emprunlées aux plus mauvai* jours de nos fastes révolutionnaires. Le sang coula dans quelques enga- gements, et l'on put craindre un instant qu'une révolution immi- nente ne sortit d'un choc inévitable. Mais ces tumultueuses démonstra- tions exercèrent sur l'issue de la discussion une inlluence contraire il celle qu'en attendaient les insti- gateurs. Le ministère admit une ti ausaction qui laissait intact le prin- cipe de l'élection directe dans les collèges d'arrondissement et de département, moyennant l'exorbi- taute conc*^ssion d'un double vote

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aux électeurs de la seconde caté- gorie. Cette transaction sauva le projet d'une ruine imminente; l'ar- ticle qui la consacrait ne fut adopté qu'îi la majorité de cinq voix. Villèle avait défendu avec chaleur, dans un de ses discours les plus étendus, la combinaison primitive, empruntée, comme on l'a vu, au projet présenté par lui en 1815, et rejeté par la Chambre des pairs. Il s'était attaché surtout à détruire l'argumentation qui consistait à considérer la loi du 5 février comme tellement inhérente à la Charte, qu'il fût hors des pouvoirs législa- tifs d'en examiner et d'en modifier les dispositions; puis, examinant le fond du système des adversaires du projet, il en avait montré le péril dans l'invocation même d'un ministère composé d'hommes spé- ciaux pour lutter contre les obsta- cles qui en découlaient. « Je suis trop pénétré, avait-il dit, de la fécondité de la loi du 5 février en fait d'obstacles à la marche du gouvernement , pour contester la nécessité d'hommes supérieurs à la tête d'une administration à la- quelle serait imposa' son maintien. Mais, sont donc ces homme» supérieurs auxquels nous pourrions sans danger imposer une telle tâche? J'avoue que je ne les vois nulle part, et, jusqu'à ce qu'ils se montrent à nous, précédés de ces signes imposanls auxquels on est heureux de les reconnaître, je suis d'avis que nous cherchions à mettre dans nos institutions celle pré- voyance, cette sagesse, celte mo- dération qui permet aux hommes de tous les iem|>s de les faire marcher sans ruine as développe- ment plus énergique qu'elle reçoi- vent des génies dont la Providence est sagement avare Qu'on ne

croie pas , dit-il encore , pouvoir avec succès nous détourner de U grande question que nous devons approfondir en lui substituant des considérations passionnées, en rap- pelant des institutions abolies! C'est une institution que nous cher- chons Ji fonder, et non un privilège ou une arme que nous ayons l'in- tention d'accorder à une classe ou à un parti. Nous ne voulons })as, plus que vous, ressusciter une aris- tocratie morte depuis plus long- temps que vous ne croyez peut-êlre; mais vous ne devez pas, plus que nous, vous refuser à l'application, dans notre mode d'élection, des principes sur lesquels la distribu- tion des droits politiques a été opérée dans tous les temps et dans tous les lieux. L'arislocratie, con- cluait l'orateur, est tout à fait étrangère à la question que je traite; c'est un épouvantait avec lequel on peut exciter quelques passions; mais nous ne pouvons nous sup- poser, ni les uns ni les autres, assez simples pour y croire. Il ne s'agit ici que de la propriété sans privilège, telle que nous la possédons tous, telle que tout le monde peut l'ac- quérir et la posséder. » Ces judi- cieuses considérations n'empêchè- rent point Villèle de se prêter aux rapprochements dont l'amendement de M. Boin fut l'expression. La loi passa îi 59 voix de majorité, après vingt-sept jours d'un débat qui ava't offert celle particularité re- marquable, que la loi du 5 février fut attaquée par deux de ses prin- cipaux promoteurs, MM. Laine et de Serre, et défendue par deux des hommes les plus signalés pour leur long attachement à la cause royile, MM. Royer-Collard et Ca- mille Jordan : trop fidèle expres- sion de l'incertitude et de la con-

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fusion qui régnaient alors dans les meilleurs esprits! Celte ora- geuse session fut pour Villèle le texte (l'un succès personnel que son biographe ne saurait passer sous silence. Une circonstance for- tuite l'avait appelé pendant quatre jours au fauteuil de la présidence, en remplacement de M. Ravez. Les membres de la Chambre, et parti- culièrement ceux de l'opposition, furent frappés des qualités qu'il déploya dans ce court exercice, et surtout de Timpartialité dont il y fit preuve. « Vous ne sauriez croire, écrivit-il à une personne de sa fa- mille, comme mes quatre jours de présidence ont réussi. J'en reçois des compliments de tous cùtés; mais particulièrement, je l'avoue à ma honte, du côté gauche, que je n'ai pas cependant ménagé. //* s'attendaient sans doute à être man- gés tout vifs par un ultra... Si on nommait un président maintenant, j'aurais la presque totalité des voix de la Chambre... Quant à moi, il ne me coùie rien d'être impartial; je ne vois que la réussite des affaires dont je suis chargé, et n'y mets pas la moindre passion contre les indi- vidus ; je suis pour la fin des ré- volutions (1). » Villèle ne prit qu'une part secondaire à la discussion du budget de 1821. Il déclara à cette occasion que son opinion avait d'a- bord été favorable à la spécialité des crédits financiers, mais, qu'a- près avoir mùremeot réfléchi sur cette grande question, il avait abandonné son premier sentiment, et qu'il n'admeltiit pas qu'une Chambre pût s'arroger le droit de supprimer telle ou telle partie du service sans usurper une attribution

(1) Notice historique, etc., f. 59.

administrative que la Charte réser- vait au roi seul. Ces observations, appuyées parle ministre des finan- ces, ne furent pas contredites. Vil- lèle partit avant la fin de la session pour séjourner une ou deux se- maines à Bagnères de Luchon, dont les eaux avaient paru nécessaires à l'amélioration de sa santé. A son passage à Toulouse, il reçut un ac- cueil dont la faveur contrastait avec les démonstrations injurieuses qui saluèrent le retour de plusieurs de ses collègues. Il revint, quelques jours avant l'ouverture des Cham- bres, dans cette capitale agitée où, pendant son absence, le sinistre complot militaire du 19 août s'était croisé avec l'heureux accouche- ment de madame la duchesse de Berri. Les élections accomplies sous l'impulsion de ce grand événement et d'après la législation nouvelle, avaient considérablement fortifié le côté droit de la Chambre. Des rapports plus multipliés s'établirent entre le cabinet et les chefs de ce parti. Il fut d'abord question de démembrer l'administration du tré- sor du département des finances pour la confier à Villèle, avec le rang et le titre de ministre ; mais cette idée, à laquelle il se montra peu favorable, n'eut aucune suite. Une combinaison postérieure ouvrit à lui et à M. Corbière l'entrée du conseil avec la qualité de ministres d'Etat; mais eux et leurs amis furent d'avis d'attendre les garanties politiques promises par le ministère, et ce ne fut que le surlendemain du discours du lrône(2i décembre) que cesdeux persdimages firent, avec M. Laine, définitivement partie du cabinet sous le titre de ministres secrétaires d'Ltat sans portefeuille. M. Cor- bière, par une ordonnance précé- dente, avait été placé à la léie du

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conseil de riiistrurlion publlqui'. Villèle, qui n'avait pas de fonctions à remplir, refusa le traitement at- taché à son titre (1 ). Désireux de faire cesser cette anomalie , le duc de Riclielieu proposa, quelques jours plus tard, îi Villèle, de former îi son intention un déparlement spécial de l'administration de la guerre; mais cette offre ne |)Ul être ac- ceptée. La position incomplète des deux chefs du parti royaliste n'em- j)êchait point toutefois Louis XVIH de leur témoigner de grands égards. Ce prince commençait à com- prendre qu'il puiserait dans leurs conseils et leur direction la véri- table force de son gouvernement. Villèle avait eu une communication préalable du discours royal , et M. Decazes, alors ambassadeur à Londres, ayant du faire à cette épo- ([ue un voyage à Paris, Louis XVIII avait eu soin de rassurer les deux ministres sur les conséquences politiques de ce retour momentané. Quoique les royalistes eussent, en général, accueilli l'avènement de leurs chefs comme un gage des bonnes dispositions du cabinet, la plupart étaient loin de lui accorder une confiance absolue. Sa compo- sition leur paraissait peu homo- gène, et les anciens membres de la Chambre de 1815, ramenés par la loi du double vote, ne voyaient point sans ombrage dans son sein quelques-uns des promoteurs de l'ordonnance qui les avait éliminés. Ces sentiments hostiles éclatèrent lors de la présentation du projet de loi des six douzièmes provi- soires, et le général Donnadicu s'en rendit l'organe dans un discours auquel Villèle opposa tme réponse

(I) Notice, etc., p. 9i.

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qui sembla timide et circonspecte. Le fougueux général renouvela ses attaques dans la discussion de ia loi sur les comptes de 1819; faisant allusion aux mouvements révolutionnaires dont le Piémont venait d'être le théâtre, il accusa hautement les ministres d'être les premiers provocateurs de ces explosions , et s'étonna qu'ils pussent rester au timon des affaires au milieu des orages qu'ils avaient suscités par une politique aussi malhabile que déloyale. La Cham- bre, toulefois, refusa l'impression de cette philippique, à laquelle Villèle lit une réponse pleine de sens et de modération. Il adjura la Chambre d'écarter du débat tout ce qui se rapportait aux divisions passées, et les royalistes de ne pas oublier que c'était par les minis- tres actuels qu'avait été présentée cette loi d'élection qui leur don- nait la majorité. « La Révolution, continua Villèle, n'est pas encore vaincue, elle s'agite toujours; le parti royaliste doit donc rester uni; ce serait une honte pour lui que de se débander en présence du danger commun. » Ce discours fut d'autant plus approuvé qu'il tran- chait avec le ton hargneux et pas- sionné des débats qui marquèrent cette session , moins féconde que tumultueuse. Le parti démocrati- que, fort réduit par les dernières élections, sui)pléait à son inTériorité numérique par l'audace et la véhémence de ses invectives. Leurs adversaires ne gardaient guère plus de mesure, et l'enceinte parle- mentaire devenait une arène se croisaient les provocations les plus injurieuses, les plus propres à augmenter l'irritation générale des esprits. Quelques jours plus tard, Villèle ût entendre un discours

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remarquable à d'autres litres dans la discussion du projet de loi pré- senté pyr le ministère pour modi- fier, dans l'iulérèt de l'iigricullure méridionaledela France, le tableau du j)nx des gra-ns annexé à la loi du 10 juillet 1810. Enfin il appuya la demande en prorogation de la censure des feuilles publiques et déclara à cette occasion que lui et ses amis avaient toujours voulu la liberté des journaux, mais avec des garanties suffisantes pour qu'elle ne dégénérât pas en licence, comme sous la loi de 1819. Il ajouta que « la cen>ure était un fardeau pour les ministres » et que ce qui leur convenait le mieux, c'était « une loi répressive dont l'exé- cution , confiée aux tribunaux, n'imposât au ministère aucune res- ponsabilité. » Vivement combattue par les trois principaux athlètes de l'opposition de gauche, MM. Girar- din, Manuel et de Corcelles, et par plusieurs orateurs de la droite, la loi ne passa qu'au prix d'un amen- dement qui en circonscrivait la durée et imposait aux ministres la présentation prochaine d'une loi répressive. Cet amendement avait été vote par le concours des deux partis extrêmes de la Chambre, prélude d'un accord qui devait être funeste au cabinet. 1/altitude des conseillers delà couronne s'effaçait de plus en plus sous les coups de la majorité et des incriminations croisées auxquelles ils se Irou- yaient en butte. Le puni royaliste pur, faiblement représenté parmi eux par deux ministres inpartibus, cessait de faire honneur à la parole de Monsieur et leur rtliraii insen- siblement son appui. Celle impuis- sance gouvernementale ranimait le courage des révolutionnains, dé- routés par le résultat des dernières

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élections. Partout se formaient des luttes ou s'organisaient des com- plots contre les gouvernements établis, et ces entreprises conqué- raient des adhérents jusque parmi les députés, les officiers généraux, les magistrats, que poursuivait le fantôme d'une contre-révolution impossible dans l'état de la société. Le duc de Richelieu voulut remé- dier à cette situation grave en for- tifiant le parti monarchique, et il offrit le portefeuille de la marine à Villèle, qui refusa. De nouvelles négociations eurent lieu pour faire entrer au conseil le duc de Bel- lune comme ministre de la guerre; mais ces négociations n'ayant point abouti, les trois minisires sans portefeuille se démirent de leur litre, malgré les instances de Louis XVIIl, et Villèle revint à Toulouse. Il y présida, comme l'année précédenle, le collège dé- partemental, après avoir été réélu par celui de Viilefranche, et défera aux instances du duc de Richelieu en se rendant ii Paris, il trouva ses amis de plus en plus indisposés contre le ministère. Quelques députés do l'extrême droite prê- chaient la nécessité d'une opposi- tion générale et systématique; Vil- lèle inclinait au contraire pour qu'on évitât les questions person- nelles et qu'on s'abstint de repous- ser l«is propositions sages et utiles, en gardant une attitude de surveil- lance et d'expectative. Mais, soit que ces ménagements parussent en arrièrii du courant des esprits, soit qu'au fond Villèle eût peu d'intérêt à les faire prévaloir, ils ne furent point écoutes, et la question minis- térielle s'engagea vivement aussi- tôt après la constitution du bureau de la Ch<4mbre, Villèle réunit 133 voix pour la présidence. Le j)rojel

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d'Adresse en réponse au discours du trône, rédigé par M. Delalot, renfermait, k l'occasion des rapports extérieurs de la France, une insi- nuation pertide et désobligeante; on crut y découvrir de plus une allusion injurieuse à la condescen- dance reprochée au duc de Riche- lieu par rapport à l'importation des blés d'Odessa dans le midi de la France. La première de ces in- culpations fut soutenue avec vigueur par MM. Delalot, de Gastelbajac et de La Bourdonnaye, et par plu- sieurs orateurs du côté gauche. Villèle , qui avait refusé d'entrer dans la commission de l'Adresse, blâma ouvertementlestermes de ce document; mais il ne prit aucune part au débat, qui se termina par le maintien du paragraphe à une très-faible majorité. Consterné de ce revers, le ministère reprit quel- que courage par la réponse ferme et digne de Louis XVIII, et il ne laissa pas de venir solliciter de la Chambre un >ote de confiance en demandant pour cinq ans la pro- longation de la censure des jour- naux. Cette proposition intempes- tive, à laquelle il joignit un projet de loi sévèrement répressif des délits de la presse, fut le signal du déchaînement des deux partis coa- lisés. MM. Donnadieu, Delalot, de La Bourdonnaye, de Gastelbajac, de Chauselin, B. Constant renouvelè- rent leurs attaques contre le cabinet, dont la situation devint bientôt in- tolérable. Le 43 décembre, Villèle et Corbière furent mandés chez Monsieur, et ce fut de la bouche même de ce prince qu'ils apprirent que le ministère, après avoir vaine- ment sollicité la dissolution de la Chambre, venait de se retirer en masse, et que le roi les attendait pour les charger de la formation

d'un nouveau cabinet. Les d.^ux chefs royalistes se rendirent immé- diatement aux Tuileries ; ils com- battirent l'idée émise par le roi de confier la présidence du conseil au duc de Blacas, et parlèrent d'y maintenir le duc de Richelieu ; il fut question de conserver le comte Roy à la tête des finances, en ap|)e- lant Corbière à la justice et Villèle à l'intérieur. Mais Louis XVIII lui- môme ayant déclaré que ni M. Roy, ni M. de Richelieu, ni M. de Serre ne consentaient à faire partie de la nouvelle administration, Villèle accepta le portefeuille des finances et son ami celui de l'intérieur; M. de Peyronnet, qui avait récem- ment signalé son zèle dans les fonctions de procureur général près la Cour des pairs, fut appelé à la justice; M. Mathieu de Mont- morency aux affaires étrangères, le duc de Bellune à la guerre, et M. de Clermont- Tonnerre à la marine. A part l'immoralité de la coalition parlementaire qui avait renversé le cabinet, coalition à laquelle Villèle, comme on l'a vu, n'avait pris aucune part, l'avéne- ment du chef de la droite n'était pas seulement une conséquence du mécanisme constitutionnel : il était de plus dans la logique de la situation. Il appartenait à l'homme qui depuis sept ans dirii^eait son parti avec tant de modération et de sûreté, de le représenter dans la combinaison qui, pour la première fois depuis 1815, le portail au pou- voir. Etranger aux passions et aux intrigues qui avaient préparé la chute du ministère de Richelieu, Villèle entrait aux affaires par le seul ascendant de sa bonne re- nommée et sans blesser le roi qu'avait offensé le manifeste parle- mentaire. Mais il y entrait dans

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des circonstances dont les diffi- cullés ne pouvaient échapper à la pénétration deson esprit. Enhardie par une longue tolérance, l'oppo- sition avait pu organiser avec soin ses moyens de résistance et au besoin d'agression, et ses princi- paux chefs ne faisaient plus mys- tère du dessein de détruire, soit par les voies parlementaires, soit par la voie des complots, l'ordre monarchique restauré en 18<4. Le parti libéral avait repris son vé- ritable caractère, et substituait à l'hypocrisie du langage cette rude franchise des factions qui marchent ouvertement au but qu'elles se croient sûres d'atteindre. L'esprit public, perverti graduellement par le travail incessant de cette presse que les Bourbons avaient éman- cipée, prêtait à ces tendances sub- versives, par son indifférence ou ses sympathies, des encouragements qu'il lui a continués depuis sous d'autres noms et sous d'autres régimes. A ce formidable système d'hostilité, la Restauration oppo- sait l'action d'un parti affaibli par ses luttes contre l'esprit révolu- tionnaire et par ses propres divi- sions, mis au ban de 1 opinion do- minante par le gouvernement même dont il s'était constitué le défenseur, et que l'industrie de ses ennemis, l'exagération de ses auxi- liaires et jusque la sincérité dt; son principe avaient marqué d'une défaveur que le temps et l'expé- rience ont atténuée sans l'affacer. C'est dans de telles conditions que le parti royaliste pur reprenait les rênes du pouvoir avec l'appui pré- caire d'un roi i)his faii^'ué que convaincu, trop éploré encore du sacrifice de son favori pour ne pas regretter un peu le rt'jjime aucjuel ils'étîiildôvoué, et^ous lesau^pices

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d'un prince frappé d'une longue et incurable impopularité. Qu'on joi- gne à ces obstacles ceux qui déri- Taientde la situation profondément troublée de l'Europe méridionale, et l'on appréciera la somme de^ désavantages que la nouvelle ad- ministration avait à surmonter pour s'établir régulièrement dans le pays. Le premier soin du ministère fut de s'entourer d'hommes choisis dans la nuance modérée du parti royaliste. Deux nominations seu- lement présentèrent une significa- tion plus marquée : ce furent, aux plus hautes fondions de la police, MM.Franchet et Delareau, signalés à la prévention publique comme affiliés à ce qu'on nommait alors le parti de la congrégation. La plu- part des auxiliaires du cabinet précédent, tels que MM. Portails, Mounier etRayneval, conservèrent des positions analogues à celles qu'ils occupaient; M. de Serre fut nommé ambassadeur à Naples, sur les instances personnelles de Vil- lèle, et le vicomte de Chateau- briand remplaça le duo Decaies dans l'ambassade de Londres. Un des premiers projets de loi présen- tés par le cabinet eut pour objet la police de la presse périodique ; la censure, tant décriée par le parti libéral, y était supprimée et ne pouvait être rétablie dans l'inter- valle des sessions, en cas de cir- constances graves, que par une ordonnance royale contre-signée de trois minislrts ; mais aucun journal ne pouvait paraître sans l'autorisation du roi, et, dans le cas la tendance d'esprit d'une fe'.iille périodique paraîtrait dange- reuse à l'ordre public, la cour royale , en audience solennelle, avait le droit d'en prononcer la suipension cl môme ullerieure-

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ment iai suppression. Un second projet, relatif à la répression des délits de la presse, augmentait la mesure des peines édictées par la loi de 1819, en étendant la défini- tion des faits incriminés, retran- chait i'épithète de constitutionnelle attachée par cette loi à l'autorité du roi, attribuait aux Chambres le pouvoir exorbitant de réprimer les offenses qui leur seraient adres- sées, et saisissait la magistrature exclusivement au jury de toutes les infractions qui y étaient pré- vues. Dans le débat du premier de ces projets, Villèle repoussa l'ac- cusation banale de sacrifier cette liberté de la presse, qu'il avait si chaudement défendue contre la loi de 1817, en signalant Téconomie différente des deux combinaisons. Ses efforts tendirent surtout à mo- tiver la disposition nouvelle qui attribuait à la magistrature le pou- voir de sévir contre les journaux signalés par la tendance dange- reuse de leur esprit ; cette iiiflic- tion exorbitante ne s'adressait point à un ou plusieurs articles isolés ou particuliers, mais à un ensemble de faits appréciables; elle n'était point dévolue au jury qui, composé temporairement par l'autorité, n'of- frait que des garanties illusoires, mais à un corps grave, permanent, inamovible, constitué dans toutes les conditions d'impartialité dési- rables. Cependant le ministre con- cluait que, par une conséquence logique de nos institutions repré- sentatives, la juridiction du jury deviendrait un jour la compétence naturelle des procès de la presse; mais ce progrès ne pouvait se réa- liser du premier coup; l'Angleterre n'en availconquislapléniiu(l<î ([u'en 1796, bien qu'elle fût déjà, depuis de longues années, en possession

du régime parlementaire. La Cham- bre discuta ensuite le projet répres- sif, que le parti libéral, dans l'excès d'une sollicitude à laquelle il ne fut pas toujours fidèle, signalait comme la confiscation de la presse. Villèle déclara qu'il avait regretté la ra- diation du mot consiilulionneUe ap- pliqué à l'autorité du roi, mais qu'il avait céder devant la crainte d'exposer à l'impunité, par un sub- terfuge, les offenses adressées au pouvoir royal préexistant à l'octroi de la Charte constitutionnelle. At- taqué personnellement dans le cours du débat pour s'être prononcé, en 181 4., en faveur d'une restauration pure et simple et sans condition, il se justifia de ce reprochiî par la date de la délibération du conseil général qui avait accueilli son opi- nion, et qui portait un jour de moins que la célèbre déclaration de Saint-Ouen, ce berceau du pacte constitutionnel. Les deux projets passèrent à une faible majorité, mais I'épithète litigieuse fut réta- blie dans le second par la voie d'un amendement auquel le minis- tère donna son adhésion. La dis- cussion du budget de 1822, présenté par le dernier cabinet avec une augmentation de 12 millions sur le département de la guerre, n'offrit aucun incident remarquable. Vil- lèle se prononça ouvertement con- tre le système de spécialité que le côté gauche aspirait à faire préva- loir dans le règlement des dépenses publiques. M. Laffitte ayant articulé que le crédit actuel datait de l'or- donnanco du 5 septembre, le mi- nistre lui répondit qu'à cette époque les rentes sur l'Klat n'étaient qu'à 56 francs, taudis qu'elles s'élevaient :iujo;n(rhiii à 90 francs. Mais l'in- térêt de ces débats fut prompte- ment absorbé par une succession

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d'événements plus propres à émou- voir. Nous voulons parler des mouvements insurrectionnels qui se déclarèrent dans le cours de cette année, sous la double impul- sion d'encouragements puissants, et de la perturbation profonde qui régnait dans les esprits. Le premier de ces mouvements, organisé dans la garnison de Béfort, sous les aus- pices de la charbonnerie, par les soins de MM. Kœclilin frères et Voyer d'Argenson, avec le concours postérieur du général Lafayette et de son fils, de Dupont (de l'Eure), de Manuel et de quelques fanatiques subalternes, devait éclater dans les premiers jours de janvier. Un inci- dent purement fortuit donna l'éveil à l'aulorilé militaire, qui lit saisir quelques affiliés secondaires, mais sans pouvoir établir la participation des principaux conjurés, que de pressants messages avaient avertis à temps utile de l'avortement du complot. Le succès de l'information judiciaire à laquelle donna lieu celte tentative, fut loin de répondre à son importance. Dénuée de preuve» suffisantes, elle se résuma en une répression purement cor- rectionnelle. Peu de jours avant, deux officiers supérieurs du 46" de ligne, frappés des développements de l'esprit révolutionnaire parmi les corps militaires, avaient entre- pris de l'extirper par une provoca- tion collective, dont l'arlitice, digne de blâme à tous égards, a clé re- proché sans preuves au ministère par un historien Icgèrem.eni in- formé (1). On imagina de faire sor-

(1) Hist. (le France depuis la Rcs- taur., par M. Lacrelelle, t. m, p. '2il.

Le vcnlauli; pntiiiulcur de ccllf dc- monslralion, d'après des iul"t)rmaliuns que j'ai lieu de croire exactes, fut un

tir, le 30 juillet, des villes de Col- mar et de Neuf-Brisach,deux esca- drons de chasseurs en uniforme, sous la conduite des maréchaux- des-logis Thiers et Gérard, dans la direction de Mulhouse, aux cris con- venus de : Vive l'empereur! avec l'espoir de dévoiler et de ramas- ser tous les mécontents dont ce cri flatterait les instincts séditieux. Celte inqualifiable démonstration ne réussit qu'en partie. Deux mili- taires seulement, qu'elle avait sur- tout en vue, le lieutenant-colonel Caron et le lieutenant Roger, se joignirent aux prétendus rebelles; la population entière demeura calme. Caron, saisi et garrotté, fut traduit devant le conseil de guerre de Strasbourg, et paya de sa vie l'imprudence qui l'avait conduit dans cet odieux guet-apens; Roger, acquitté pour le même fait, subit une autre condamnation poli;ique. La tentative révolutionnaire de Béfort était à peine comprimée, lorsqu'un département de l'ouest du royaume devint le théâtre d'une nouvelle entreprise, dont le carac- tère et les circonstances préoccu- pèrent plus vivement encore l'at- tention publique. Le général Ber- ton, signalé depuis longtemps pour l'activité de ses trames contre le gouvernement royal, leva, le 2i fé- vrier, l'étendard de la révolte dans la petite ville de Tiiouars, que II garde nationale lui livra sans résis- tance. Il se dirigea ensuite sur Saumur, à la tête d'environ IdO hommes, espérant s'emparer du

lieiileii.iut-rolonel dont je ne livrerai que 1 iuili;ile K..., par égard pour les descendants qui lui survivent. 1. 'auto- rite militaire supérieure denieur.i étran- gère non-seulement a l'organisatinn, mais même a la connaissance de ce guel^ a-pens.

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chileau, el recevoir pour renfort recelé de cavalerie où, peu de mois avant, avait éclaté un soulèvemoût très-sérieux. Mai§ celte espérance fut déconcertée par la bonne con- tenance des élèves, ctBerlon, ayant usé dans de stériles pourparlers avec le maire le prestige de son audacieuse agression, se vit aban- donné de la plupart de ses adhé- rents; il fut livré misérablement à la police quelques mois plus tard par la trahison du maréchal-des- logis Woëlfel, au moment il cherchait à organiser de nouveaux complots au sein d'un régiment en garnison à La Rochelle. Le public apprit en mémo temps la tentative deBerlon et l'avorte. iient dont elle avait été suivie. Mais cette échauf- fourée, sans consistance appa- rente, était destinée à produire un grand retentissement au sein de la Chambre des députés, par suite du zèle qu'un magistrat courageux, le procureur généralMangiu, avait mis à signaler dans l'acte d'accu- sation ceux de ses membres qui paraissaient avoir eu des rapports avec les conjurés. Cette inculpation souleva, le l""août, quelques jours avant l'ouverture des débats, une véritable tempête dans laquelle le général Lafayelte, le plus compro- mis de tous, voila sous une aisance aristocratique et presque agressive !e trouble réel de sa situation. (Voy. Lafayette, tome Lxix, page 385 et 386.) Le général Foy, étranger au complot, quoique désigné dans le manifeste de M. Mangin, sollicita une enqu('le qui fut repoussée avec beaucoup d'esprit j)arM. de Marti- gnac, avec beaucoup de mesure et de fermeté parle ministère. « Vous navez pas été mis en accusation, dit Yillele aux inculpés, parce qu'il ne résultait pas de la procé-

dure la possibilité, la nécessité, le devoir pour le gouvernement de vous rèilamer auprès de la Chambre; maisdedeuxchosesl'une : ou les faits allégués par les témoins et par les accusés seront prouvés, lorsque viendra le procès, et alors on verra si nous n'oserons pas vous poursuivre! ou bien il en résultera que ces faits sont dénués de tout fondement; alors les députés qu'on a nommés recevront un témoi- gnage éclatant de leur innocence.» Les débats devant la cour d'assises de Poitiers n'ajoutèrent rien aux présomptions recueillies contre MM. Laffitte, B. Constant, La- fayette, Demarçay, Voyer d'Argen- son, etc., et la Chambre ne fut saisie d'aucune demande en auto- risation de poursuites. Des révéla- lions postérieures ont établi sura- bondamment la réalité de la co- opération factieuse reprochée aux membres du côté gauche; mais, dans l'opinion de plusieurs hom- mes graves, les charges de l'infor- mation étaient suflisantes pour motiver une action judiciaire k leur égard, elle procureur général Mangin répondit à celte idée lors- que dans son réquisitoire il déplora aiisez ouvertement l'incompétence qui enchaînait l'exercice de son ministère. L'inaction du gouver- nement dériva-t-3lle d'un défaut de conviction ? Faut-il y voir une triste manifestation de son impuissance contre de tels rebelles, ou, suivant une supposition accréditée, sa po- litique voulut-elle ménager secrè- tement, dans des inculpés aussi considérables, un principe de résis- tance et de contrepoids aux entraî- nements toujours redoutés du parti ultra royaliste? L'historien hésite entre ces conjectures. Quoi qu'il en soit, l'impunité des principaux

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complices de Berton n'eut point les conséquences fâcheuses qu'où pouvait en appréhender. La cons- piration de ce général fut la der- nière affaire dans laquelle des par- lementaires se trouvèrent engagés, et nulle trace sérieuse de leur par- ticipation n'apparut dans le procès de La Rochelle, dont nous parlerons sommairement. Parmi les régi- ments infectés de la lèpre du car- bonarisme, le 45' de ligne, récem- ment envoyé deParisàLa Rochelle, était un de ceux la contagion avait fait le plus de progrès. L'au- torité militaire, voulant mettre un terme à ce désordre, prescrivit de nombreuses arrestations, et vingt- cinq prévenus furent traduits de- vant la cour d'assises de la Seine, qui procéda à leur jugement vers le même temps les complots de Béfort et de Saumur étaient défé- rés aux cours de Colmar et de Poi- tiers. L'intérêt public se concentra sur quatre sergents, qui, par leur jeunesse, leur simplicité, la fran- chise de leurs manières, plus que par leurs dénégations mêmes, sem- blaient protester contre l'accusa- tion capitale dont ils étaient l'objet. Ils convinrent de leur affiliation à la secte des carbonari, mais ils repoussèrent toute coopération à des faits légalement punissables. Ce système de défense, combattu par l'avocat général Marchangy dans un éloquent et courageux quisitoire, ne fut point accueilli par le jury, et les quatre accusés furent frappés d'une condamnation capitale dont le président de la cour, M. Monmerqué, s'efforça vai- nement de faire adoucir la rigueur. Les condamnés eux-mêmes décon- certèrent ses démarches en lui dé- clarant que la vie leur serait ôtéc par leurs propre» complices, s'ils

consentaient ii la racheter au prix des révélations qui leur étaient de- mandées. Mais l'expiation fut géné- ralement jugée hors de proportion avec le crime, et le supplice des quatre sergents de La Rochelle est un des actes qui ont été le plus amèrement reprochés au ministère du 14 décembre. Cette sanglante exécution fut la dernière qu'or- donna le gouvernement de la Res- tauration, et les ventes du carbo- narisme prirent fin elles-mêmes peu iprès l'expiration de cette tumul- tueuse année. Mais cette abdication ne fut, comme on le verra bientôt, qu'une transformation du système d'opposition dirigé contre la mo- narchie légitime avec une si im- placable persévérance. En présence d'un tel spectacle, au bout de qua- rante ans de distance, on se de- mande avec un illustre publiciste, « quels motifs suscitèrent des colè- res si ardentes et des entreprises si téméraires... L'ordre légal n'avait reçu aucune grave atteinte, les in- térêts qui se croyaient menacés ne couraient aucun vrai péril, le pays prospérait et grandissait régulière- ment... Mais, de 1820 à LS23, les conspirateurs ne songeaient pas seulement à se demander si leurs

entreprises étaient légitimes

C'étaient de vieilles haines et de vieilles alarmes que celles qui s'at- tachaient aux mots d'émigration, régime féodal, ancien régime, aris- tocratie, conire-rcvolution; mais ces alarmes étaient aussi sincères et aussi chaudes, dans bien des cœurs, que si elles se fussent adres- sées ù de vivants et puissants enne- mis (1). » A. la voie désormais im-

(n }fém. de M. Guizot, t. i, p. 234 et 8uiv.

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puissante des complots armés suc- céda la tactique plus redoutable des hostilités parlementaires, tac- tique dont le succès devait plus qu'aucune autre cause contribuer, quelques années plus tard, ii la ruine de nos institutions constitu- tionnelles. D'après la résolution dès longtemps annoncée de régu- lariser par une session supplémen- taire le vote annuel de l'impôt, et de soustraire ainsi le gouvernement à la dépendance des Chambres, les dix-sept collèges électoraux de la première série avaient été con- Yoqués dans le courant de mai; leurs opérations furent générale- ment favorables au ministère, excepté à Paris, l'opposition triompha dans six arrondissements. La session s'ouvrit le 4 juin par un discours le roi félicita les magis- trats de leurzèle etlessoldatsde leur fidélité dans la répression des com- plots qui avaient signalé le cours de cette année, et déclara « qu'il ne souffrirait pas que la violence arra- chât au pays les biens dont il jouis- sait. I. Lors de la vérification des pouvoirs, le parti libéral essaya de venger sa défaite en dénonçant une circulaire par laquelle le ministre des finances avait, disait-on, con- trairement à ses antécédents, exer- cé une pression inconstitutionnelle sur les élections. Villèle répondit que sa circulaire s'était bornée à tracer aux fonctionnaires publics électeurs, sans contrainte et sans menaces, leurs devoirs envers le trône et la patrie; mais il ajouta Irès-judicieusemenl qu'un gouver- nement (jui resterait sous le poids des oppositions qu'appelaient les institutions actuelles, sans u^er des moyens que ces institutions i)la- çaient dans ses mains, serait un gouvernement qui marcherait ii sa

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destruction. Le côté gauche cen^ sura vivement aussi la destitution du baron Louis, ministre d'État, pour avoir pris part aux désordres qui avaient accompagné les élec- tions de la Seine; mais cette mesure, sur laquelle le garde dessceaux refu- sa toute explication, ne parut pas de nature à infirmer la validité de l'o- pératiou. Quoique la session dût être spécialement consacrée à des débats financiers, elle ne laissa pas d'ôtre orageuse. Un projet de loi sur nos tarits des douanes avait été présenté dans la session précédente par le ministre des finances, qui monta plusieurs fois à la tribune pour en soutenir les dispositions, notam- ment celles qui avaient trait ù la question des sucres et à la taxe concernant l'introduction des bes- tiaux étrangers. A cette loi, discu- tée avec calme et matuiiié dans l'une et l'autre Chambre, succéda la présentation du budget de 1823. Ce budget se soldait par un excé- dant de receltes de plus de 8 rail- lions : résultat fort satisfaisant sans doute après l'acquittement de toutes les charges que l'occupation étran- gère avait imposées au pays. Néan- moins ses divers articles fournirent aux orateurs de l'opposition pres- que autant de textes de violentes attaques contre le ministère. Villèle répondit particulièrement aux re- proches d'arbitraire adressés Ix l'ad- ministration. Il fit remarquer que la répression des nombreux com- plots qui avaient éclaté dans le cours de l'année, n'avait coûté au- cune excursion hors des limites légales. Sans excuser ni désavouer les manœuvres pratiquées en Al- sace par l'autorité militaire pour éprouver les dispositions des habi- tants, il déclara que les soldats n'avaient eu d'autre tort que de

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repousser les insinuations sédi- tieuses qui leur étaient faites; il constata que, depuis la formation du cabinet actuel, à la différence de tous ceux qui l'avaient précédé, le gouvernement n'avait eu recours à aucune loi exceptionnelle, et qu'il avait laissé à la France la jouis- sance de toutes les institutions qui lui avaient été promises. La session fut close le 17 août, et le même jour, le roi donna aux trois prin- cipaux membres du cabinet un té- moignage marqué de sa satisfaction, en leur conférant le titre hérédi- taire de comte. Celte faveur n'était pour Villèle que le prélude d'une distinction plus éclatante; mais c'est aux événements extérieurs qu'il est nécessaire d'emprunter le récit des circonstances importantes qui la préparèrent. Lors de i'a- vénement du ministère du 14 dé- cembre, la révolution d'Espagne, née d'une conjuration militaire dans rile de Léon, dès les premiers jours de 1820, avait parcouru la plu- part des phases ordinaires à ces grandes perturbiitions. Roi consti- tutionnel malgré lui, Ferdinand avait paru subir de bonne grâce la violence qui lui était faite ; mais les partis exaltés s'étaient enflammés à l'ombre même de cette modéra- tion, le sang avait coulé, et le roi avait espéré maîtriser l'efferves- cence du parti républicain par l'exil de Riégo, le principal pro- moteur du mouvement révolution- naire. Mais les Cortès réunies pour la seconde fois, s'écartèrent insen- siblement de la modération qu'elles avaient d'abord témoignée, et la malheureuse Espagne ne taida pai hêtre livrée à lOiJtes les convulsions de la guerre civile. Ferdinand qui, au double aspect des dangers qui 'environnaient, et des chances de

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salut que lui offrait sa garde de- meurée fidèle, avait repris tous ses instincts de pouvoir absolu, Ferdi- nand venait de succomber dans cette lutte inégale ; le 7 juillet avait été pour lui un 10 août mitigé; mais il avait perdu, dès ce jour, la liberté de ses résolutions, et n'était plusqueie timide et docile instru- ment du parti révolutionnaire. En présence de ces complications si menaçantes pour l'Europe entière, un nouveau congrès fut convoqué il Vérone, et le roi Louis XVIII, in- vité à s'y faire représenter, proposa au comte de Villèle de remplir celte mission. Mais le ministre, par un sentiment louable de délicatesse, conseilla au roi d'en charger le Ticomte Mathieu de Montmorency, à qui elle paraissait naîurellement dévolue. On lui adjoignitcomme plé- nipotentiaires trois ambassadeurs, MM. de Caraman , de Chateau- briand et de La Ferronnays. M. de Montmorency partit pour Vienne le Î6 août, près d'un mois avant l'ou- verture des conférences. Huit jours plus tard, le A septembre, le comte de Villèle, qui avait été chargé par intérim du portefeuille des affaires étrangères, fut nommé président du Conseil des ministres. Ainsi se trouva sanctionnée par un litre offi- ciel la haute direction que, depuis ion avènement aux affaires, il n'a- vait cessé dimprimer à la marche du gouvernement. « Ce n'était pas précisément par vanité ni par am- bition, dit M. de Baranle, que le comte de Villèle avait désiré celle présidence ; mais, dans ses rapports habituels et dans la discussion des affaires, il se sentait gêné, et n'a- vait pas toute sa valeur, lorsqu'il avait l\ traiter avec des personnes qu'il fallait ménager... Sans avoir beaucoup d'orgueil, il était porté à

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dédaigner non-seulement ses ad- Tersaires, mais ses amis et ses par- tisans. Il aimait à parler sans être contredit, et à mener les affaires k sa manière (1). * Un de ses pre- miers actes fut de convertir en corps d'obseryation le cordon sa- nitaire établi, sous prétexte de la fièvre jaune, le long de la frontière des Pyrénées, et d'augmenter de 50 mille hommes Teffectif de l'ar- mée. Ainsi mis en garde contre le» premières éventualités qui pour- raient survenir, il attendit avec plus de sécurité les résolutions du congrès de Vérone, dont l'ouver- ture officielle eut lieu le 20 octobre. L'idée d'une intervention armée de la France en Espagne n'était point jusqu'alors entrée dans son esprit; il n'y voyait aucune nécessité im- médiate, et craignait qu'elle n'ab- sorbât des forces qui pourraient être utiles à la France dans le cas les affaires d'Orient amèneraient de nouvelles complications euro- péennes (2). Les instructions con- fidentielles remises au noble vi- comte, instructions tracées de la main même de Villèle, lui prescri- vaient en substance d'obtenir l'é- yacuation du Piémont et de Naples par les Autrichiens, de surveil- ler avec soin les vues ambilieuseï de l'Autriche sur la couronne de Sardaigneet d'empêcher k tout prix une rupture intempestive entre la Porte et la Russie. Quant k la ques- tion d'Espagne, le ministre devait, autant qu'il serait en lui, la sous- traire k la discussion du congrès, en annonçant que la France se chargeait exclusivement d'éteindre

(I) La Vie politique de M. lioyer- Çollard^ etc., t. ii, p. 177.

(-2; Lt'ttn- au vicomte de Chateau- briand, du b mai 1822.

ce foyer de révolution; en cas de velléité déclarée d'intervention de la part des puissances continenta- les, le représentant du cabinet de- vait refuser péremptoirement tout passage de leurs troupes sur le ter- ritoire français, et tirer seulement de ces intentions belliqueuses une garantie efficace contre toute assis- tance que le cabinet anglais pour- rait prêter k l'Espagne révolution- naire. Enfin, un dernier article lui recommandait d'appeler l'altentîon des souverains sur l'état de désordre et d'anarchie dans lequel languis- saient les colonies espagnoles (1). M. de Montmorency avait rencon- tré k Vienne, se trouvaient l'em- pereur Alexandre, le roi de Prusse et leurs principaux ministres, des dispositions fort animées contre les oppresseurs du roi Ferdinand, et ces dispositions, favorisées par le» prévenances personnelles du czar, avaient facilement entraîné le plé- nipotentiaire français à excéder ia mesure de ses instructions. Prenant le rôle de rapporteur des affaires d'Espagne, qui lui avait été for- mellement interdit, il soumit au congrès plusieurséventualités, dont chacune impliquait la conséquence d'une guerre k laquelle les puis- sances alliées étaient invitées à fournir sinon un concours maté- riel et militaire, au moins une as- sistance diplomatique commune et solidaire. La réponse des plénipo- tentiaires étrangers se fit attendre pendant près d'un mois. L'Autriche et la Prusse, en cas de guerre en- tre la France et l'Espagne, promi- rent k la première leur appui mo-

(I) Notice sur M. de Villèle^ etc., p. 83. Conqrès de Vérone, par M. de Chateaubrianii, eh. 20.

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rai, et même, au besoin, un secours matériel gradué suivant les néces- sités intérieures de leur» États respectifs; l'Autriche seule ajouta que l'étendue, la quotité et la di- rection de ce secours devaient être réglées par une nouvelle délibéra- tion commune des cours alliées. Plus explicite et plus loyale, la Russie répondit par une affirmative sans réserve à toutes les questions posées. Le duc de Wellington, re- présentant du gouvernement bri- tannique, tint un autre langage, et se prononça nettement contre l'ex- pédition projetée. Dans une note respirait, dit Chateaubriand, « toute l'animosité du cabinet de Saint-James contre la France (1), » le vainqueur de W^aterloo accumula les sophismes pour détourner le coup qui menaçait la révolution ibérique; et celte doctrine mons- trueuse de la non - intervention qui était destinée à rencontrer, trente-huit ans plus tard, d'autres organes dans le même pays, il la proclama avec autant d'aplomb que si l'Angleterre ne s'en fût pas cons- tamment écartée dans toutes les phases de son histoire moderne. Le noble duc ne posait à son prin- cipe qu'une limite : c'était le cas les intérêts essentiels des sujets britanniques se trouveraient lésés par l'ordre de choses actuel en Espagne: distinction fort arbitraire sans doute, mais qui justifiait du moins l'attitude prise par le gou- vernement français, car c'était un intérêt asser essentiel pour nous d'empêcher une nouvelle révolu- tion et de « nous replacer au rang des nations qui tirent d'elles-mêmes leur force, leur puissance et leur

(1) Congrès de Vérone, ch.24.

dignité (<}. Le duc de Wellington refusa donc de signer les procès- verbaux des conférences, lesquelles se réduisirent en définitive au projet d'envoyer aux représentants des alliés, à Madrid, des dépêches comminatoires, avec ordre de rappel si le gouvernement révolutionnaire n'en tenait pas de compte. La po- litique anglaise acheva de se carac- tériser par un fait grave : celui de la négociation d'un traité de com- merce avec l'Espagne, traité qui, dans l'état d'abandon et d'anarchie de la péninsule, offrait k son gou- vernement un appui moral et ma- tériel (2) dont l'importance n'avait pu être achetée qu'au prix d'énor- mes sacrifices. Vers le même temps, le duc de Wellington remit au congrès un Mémorandum sur les colonies espagnoles en Amérique,

(1) Congrès de Vérone, etc, eh. 24. A l'exeiiiple d'un grand nombre de diplomates anglais, le duc de Welling- ton, personnellement, n'abondait pas toujour-s dans le sens de ses communi- cations ofliciellrs. On en jugera par l'anecdote suivante, que je tiens de source sûre. Lorsqu'à son retour d3 Vérone il passa par l'aris, il vit plusieurs fois le comte de Yillèle qui, dans une de ces entrevues, lui objecta qu'ils ne s'entendraient jamais sur la (luestion d'Espacme, parce (lue l'intérêt du gou- vernenrent trançais était de consolider l'ctablissement de Louis XIV, tandis qjc tous les efforts de l'Angleterre devaient s'appliquer a le détruire. Cela est vrai, repondit le duc; eh bien, dépo- sons tout caractère public, et causons en liomines privés. Vous irez en Espa- gne ; j'ai fait assez longtemps la guerre dans ce pays, pour le bien connaître. N'ayez qu'une armée de 100,000 hom- mes, mais portez-y l'argent, beau- coup d'argent, et vous réussirez.

;2) Ces secours, d'après les informa- tions recueillies par Ouvrard, ne s'éle- vaient il rien moins qu'à 200 millions comptant, avec la promesse de -400 mil- lions a diverses échéances. [Lettre de M. de Chateaubriand, du 28 nov.)

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dans lequel il iniinuait qne l'Àn- gleterre pourrait être conduite, par la marche des événements, ii la reconnaissance de ces Etats « de propre création. » Cette insinua- tion n'était qu'une menace déguisée contre l'intervention de la France en Espagne; «lie était de plus un acte d'intimidation à l'adresse des cours alliées, par la perspective d'une rupture entre les cabinets de Saint-James et des Tuileries. Les quatre plénipotentiaires s'en- tendirent pour répondre que leurs jourernements ne reconnaîtraient jamais l'indépendance des colonies espag^DOles, tant que Sa Hajesté Catholique n'aurait pas librement abdiqué ses droits de souveraineté à leur égard. Quant au pacte com- mercial projeté entre l'Angleterre et l'Espagne, il émut la juste sus- ceptibilité du ministère. Le comte de Villèle fît remettre au cabinet anglais une note par laquelle il demandait des explications caté- goriques sur ce point. « Les rai- nistrec de Sa Majesté Britannique, y était-il dit, reconnaîtront que dans la situation se trouve la France yis-k-vis de l'Espagne, une décision immédiate de la France doit résulter de ces explications, » Un langage aussi ferme fit reculer le cabinet britannique, et le traité ne fut point conclu (i)! Il n'est pas hors de propos, pour l'intelligence des événements postérieurs, d'ob- server rapidement quelle était, aux •temps nous sommes, la situation respective des deux représentants les plus considérables du gouver- nement français. La liaison de Vil- lèle et de Chateaubriand datait de 1816, époque ils s'étaient ren-

contrés dans les salons royalistes de M. Piet, et ils avaient fondé ensemble, contre le système du 5 septembre , le Conservateur ^ journal royaliste, destiné à balancer l'influence de la Minerve, et dont Chateaubriand devint bientôt l'écri- vain le plus brillant et le plus au- torisé. Membres de deux assem- blées différentes, doués d'aptitudes fort diverses employées au service de la même cause, une intimité sans trouble avait pu s'établir entre eux, et cette intimité subsistait tout entière au moment des confé- rences de Vérone. Le président du conseil avait cédé aux vives ins- tances de M. de Chateaubriand en l'adjoignant au vicomte de Mont- morency; peut-être comptait-il sur lui pour modérer ses entraînements, hypothèse qui n'est pas sans vrai- semblance, à raison du peu d'intel- ligence qui régnait entre ces deux hommes d'Etat. Mais la conduite du mobile et ardent écrivain ne répoLidil qu'imparfaitement à la confiance de son puissant ami. Il abandonna M. de Montmorency à son initiative belliqueuse, en affec- tant la réserve officielle d'un rôle secondaire; mais il ne cessa de se prononcer pour une intervention exclusivement française dans ses conversations privées avec les sou- verains et leurs ministres, et tra- vailla à conquérir le comte de Vil- lèle à cette idée, en prêtant au czar et ses alliés toute l'exaltation dont il était animé. « Quant à nous, dit-il lui-même (1), nous lais- sions du doute sur notre détermi- nation ; nous ne voulions pas nous rendre impossible; nous redoutions qu'en nous découvrant trop, le pré-

(1) Congrèt do Vérone^ etc., ch. 29. (1) Conqrès de Vérone, etc., cb. 29.

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sident du conseil ne voulût plus nous écouler. » Ces manœuvres, auxquelles M. de Chateaubriand attribue la résolution qui prévalut plus tard, exercèrent, à ce qu'il semble, peu d'influence sur l'es- prit (lu ministre. Il démêla facile- ment la politique tortueuse et ma- «hiâfélique du cabinet anglais sous son masque de libéralisme , et manda à son illustre correspondant que ce ne serait qu'en <*. traitant les questions ayec force et netteté qu'on cesserait de rester enlacé dans les filets de ces insulaires marchands. » La guerre, ajoutait-il, est repoussée « par l'opinion la plus saine et la plus générale, » et aurait un efifet désastreux sur nos fonds, notre commerce maritime et notre industrie. Le ministre expri- mait tout le regret qu'il aurait à se séparer de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse pour imiter la seule puissance dont on avait tant de raison de se méfier, mais il regar- dait l'envoi des notes dressées par c«s puissances comme le moyen le plus infaillible de préparer à l'An- gleterre, dans une expédition pé- ninsulaire , un rôle profitable à leurs intérêts, et exhortait vive- ment Chateaubriand à conjurer ce péril. Yillèle proposait que les alliés consentissent i ne retirer leurs ambassadeurs que lor;}qu'une nouvelle réunion des plénipoten- tiaires, tenue à Paris, aurait adhéré à ce parti, en laissant à la France le moment et le soin de son exécution. « Qu'on se pénètre bien, observait le mi- nistre, que nous sommes plus intéressés que i)ersonne à la des- truction de la révolution d'Espa- gne, et qu'on ne nous impose pas des mesures qui vont directe- ment contre le but qu'on u pro-

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pose (1). » M. de Montmoreney rê« partit pour Paris le 21 nov. Quel- ques jours après, le duc de Welling- ton y arriva, et, désireux par-dessus tout d'éviter un conflit, il offrit au cabinet français sa médiation, qui fut repoussée à la suite de quelques conférences. Ses instances déter- minèrent toutefois le président du conseil ^ un dernier effort en fa- veur d'une solution pacifique. Mais au moment même parlait pour "Vérone le courrier porteur de sa dépèche, M. de Chateaubriand ar- rivait à Paris, apportant la nourelle de l'expédition des trois notes au cabinet de Madrid. D'un autre cùlé, la régence d'Urgel venait d'être contrainte, après un grave échec, de se réfugier sur le territoire français. Ces circonstances décidè- rent le comte de Yillèle à soumettre au Conseil la question importante de savoir si la France s'unirait à ses alliés dans leurs démonstrations contre la révolution espagnole, et dans la rupture de leurs rapports avec le gouvernement des Cortès. La discussion fut vive et animée. Le président du Conseil défendit avec force sa politique d'expecia- tion, et proposa des modifications à la note concertée à "Vérone entre M. de Montmorency et les ministres des puissances continentales. Pen- dant ce débat, il plaça ostensible- ment sa démission sur son porte- feuille (2). M. de Montmorency, de son côté, soutint que son honneur était engagé ^ repousser toute mo- dification au manifeste qu'il avait dressé et signé, bien qu'il y eût réservé expressément l'approbation

(i) Lettre du 5 décembre 18-2-2. (2) Notice sur IccovUede Villèl4,Qtc.t par M. Neuville, p. 89.

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de son fouvernemenl. Louis XVIII, qui présidait, trancha le différend, en disant qu'il « ne laisserait pas relcTer les Pyrénées abattues par Louis XIV, et que son ambassadeur ne devait quitter Madrid que le jour cent mille Français s'avan- ceraient pour le remplacer. » Le Ticomie de Montmorency donna immédiatement sa démission, et Villèle écrivit au vicomte de Cha- teaubriand, prêt ^ retourner k Londres, pour lui proposer, de la part du roi, le portefeuille des affaires étrangères. M. de Chateau- briand manifesta quelques scru- pules, et parut n'accepter que sur l'ordre formel de Louis XVIII. Il fut nommé le 28 décembre. M. de Montmorency se retira avec le titre de duc que le roi, en récom- pense de ses services, lui avait conféré le jour même de son re- tour à Paris. Trois jours avant son remplacement, le comte de Villèle avait adressé à l'ambassadeur fran- çais à Madrid une dépèche il déclarait l'intention formelle du gouvernement du roi de «repousser par tous les moyens les principes «t les mouvements révolution- naires, » mais en ajoutant qu'il se joignait à ses alliés dans les vœux que ceux-ci formaient pour que la noble nalion espagnole trouvât elle-même un remède à ses maux. » Le ministre subordonnait le rappel de la légation au cas l'Espagne continuerait i être déchirée par les factions et à répudier les avan- tages d'une sage liberté en s'abste- nant d'améliorer la constitution qui la régissait. Le zèle monar- chique du ministère avait été puis- samment stimulé par le résultat des électioni p;jriielles qui s'étaient accomplies dans le courant de no- vembre, et qui avaient pleinement

consacré la marche nette et décidée de la nouvelle administration. Sur Si députés ^ nommer, l'opposition libérale n'en obtint que 6 ou 7 dans les collèges d'arrondissement, et pas un seul dans les collèges de département. Cependant la ques- tion de paix ou de guerre conti- nuait à tenir tous les esprits en suspens. Le discours d'ouverture des Chambres (28 janvier) fixa l'indécision publique, en annon- çant que le roi avait rappelé son ministre et que « cent mille Français se tenaient prêts à marcher pour conserver le trône d'Espagne à un petit- fils de Henri IV, à préser- ver ce beau royaume de sa ruine et à le réconcilier avec l'Europe. * Après quelques efforts suprêmes pour le maintien de la paix, le président du Conseil crut avoir suflisamment établi l'indépendance de kon opinion personnelle, soit par rapport à la pression exté- rieure, soit en vue des excitations et des impatiences de la majorité parlementaire. Tout sembla dès lors se disposer pour une entrée en campagne immédiate. Le Moni- teur publia dès le lendemain la liste des officiers généraux appelés à diriger les corps d'armée sous le commandement suprême de Mgr le duc d'Angoulème, et, quelques jours plus tard, les Adresses des deux Chambres s'associèrent énergique- ment, et k d'énormes majorités, aux sentiments exprimés dans le dis- cours du trône. Ces résultats toute- fois furent vivement disputés, sur- tout à la Chambre élective, les principaux orateurs du parti libéral accusèrent le ministère de n'inter- venir en Espagne que dans un intérêt de fanatisme et sur l'impul- iion « des Prussiens et des Cosa- ques, y> tandis que les orateurs de

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l'exlrêmc droite blâmèrent avec amertume sa longanimité envers la révolution espagnole. A ces exa- gérations contradictoires, le prési- dent du conseil opposa des ré- ponses dont la modération fut généralement remarquée. Mais il termina son discours à la Chambre des députés par une phrase qui, inexactement interprétée, produisit au dedans et au dehors de celte enceinte une assez vive sensation. « Le système qui nous est conseillé par quelques orateurs, dit-il, ne saurait nous épargner la guerre, puisque nous serions dans l'alter- native de combattre pour la révo- lution espagnole sur les frontières du Nord, ou de faire la guerre à cette révolution en Espagne.» Celle phrase avait le tort d'exprimer obscurément une contre-vérité ma- aifesle, à savoir, que la guerre était imposée à la France par le congrès de Vérone : or, on a vu par ce qui précède, qu'à l'exception de la Russie seule, les puissances conti- nentales ne s'étaient prêtées à ce conflit armé qu'avec répugnance, et que la France, en l'entreprenant, agissait dans la plénitude de son libre arbitre. Bien plus, k l'heure même ces débals avaient lieu, le chef du Conseil négociait encore avec l'Espagne par l'entremise de la légation anglaise demeurée ^ Ma- drid, et CCS négociations n'échou- aient que par l'impérilie du gou- vernement des Cortès et par les exigences menaçantes de la ma- jorité parlemeniaire (1). Le comte de Villèle eut bientôt occasion de rectifier l'impression qu'il avait produite, dans le débat du projet de

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loi qui demandait un crédit extraor- dinaire de 100 millions, destinés k défrayer l'entrée de nos troupes en Espagne. Celte discussion se fit remarquer par un caractère de vio- lence qu'aucun débat parlemen- taire n'avait encore présenté. Les libéraux sincères envisageaient avec effroi une expédition dont le succès devait rendre au moins in- téressant des monarques, dans la personne de Ferdinand, la pléni- tude de sa puissance absolue ; les révolutionnaires purscomprenaient toute la portée d'une campagne qui aurait pour effet de retremper tous les ressorts de l'ordre monarchi- que et de ravir à l'esprit de désor- dre et de démocratie sa suprême espérance. M. Royer-CoUard con- testa dans un savant discours l'ap- plication du droit d'intervention, et le général Foy , oubliant que, selon la parole d'un ancien, les bons citoyens ne doivent mani- fester que de bonnes espérances , prédit à l'armée française tous les revers dont il avait menacé naguère l'expédition qui avait réprimé la révolution napolitaine. Le prési- dent du Conseil ne dissimula pas que c'était à regret que le cabinet s'était décidé à la guerre, mais que, dans la situation actuelle de l'Es- pagne, le maintien de la paix avait paru impossible ; il désavoua d'ail- leurs toute idée de pression exer- cée sur la Péninsule quant au choix de ses institutions k venir, et n'eut pas de peine à réfuter l'assimilaiion (|ue quelquesorateur» avaient prétendu établir entre l'in- Yasion de 1808, ^dont l'objet était de détrôner Ferdinand pour une ambition purement individuelle (1),

(1 ) Ilisloirc des deux Restaurations, par Ach. de Vaulabelle, t. vi, p. :24.

(1) La guerre impie de 1808, une des

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el l'inlervenlion qui avait pour but de l'afTrancliir de Toppression ré- volutionnaire. Enfin il repoussa avec une énergie toute patriotique l'insinuation d'avoir cédé îi une puissance occulte dans l'unique intérêt de la conservation de son portefeuille, et déclara que « si un lâche sentiment de persoiinalilé avait pu s'insinuer dans son cœur, sa Téritable ambition eût été de se réfugier dans la vie privée, en

plus condamnables assurément des en- treprises modernes, avait obtenu, qui le croirait! l'approbation et les encou- ragements de l'ununimité ù\i Sénat im- périal. Ne craignons pas de rappeler, pour rédiflcation de la postérité, quel- ques fragments de l'Adresse délibérée par ce corps, le 10 septembie 1808, à cette occasion. « Vous croyez à la paix du continent, sire ; mais vous ne voulez pas dépendre des erreurs et des faux calculs des cours étrangères ; wws voul- iez défendre des traités solennels, iibrement consentis , briser la hache d'une anarchie féroce qui menace nos frontières, assurer aux vérilables Es- pagnols le bonheur délre gouvernés par un frère de Votre Majesté... ga- rantir la sécurité de la France et la tranquillité de nos neveux..., déployer votre immense puiss;uice pour diminuer les calamités de la guerre.», La volonté du peuple français est la même que celle de Votre Majesté. La ijuerre d'Espagne est politique; elle est juste, elle est né- cessaire, etc. » Six ans plus tard, ce même Sénat ne rougissait pas de repro- cher a Napoléon celte mcme guerre à laquelle il l'avait encouragé par ses basses adulations. Le héros vaincu n'é- tait donc que trop fondé a lui ré|)ondre, comme il le fit alors (Ordre du jour du 5 avril 18ti) « (ju'un sijine était un or- dre pour le Sénat, qui toujours faisait Î)lus qu'on ne désirait de lui. » Napo- éon lui niénie sendilail avoir prévu cet excès de condes( enflunce, lorsqu'à l'é- poque de fion avènement k l'empire, il disait a son frère Joseph : « qu'il était assuré d'oliteiiir di: la servilité des Fian- çais tout ce qu'il voudrait en exiger. » {Mémoires du romlc Miol de MélUOy t. Il, p. 230.)

laissant à d'autres toutes les diffi- cultés du présent et de l'avenir, et en emportant dans sa retraite toute la faveur et presque toute la popu- larité d'un ministre pacifique. » Ce débat, Chateaubriand porta toute l'autorité d'une conviction rehaus- sée par l'éclat du talent, donna lieu à un acte d'oppression que l'his- toire, cette inflexible vengeresse des abus de pouvoir, celle protes- tation suprême du droit contre le fait, ne saurait rappeler sans le condamner. Le député Manuel, de- puis longtemps en butte i\ l'inimitié du parti royaliste par l'ardeur de sa répulsion contre les Bourbons, fut arbitrairement exclu de la Chambre pour avoir fait une apo- logie indirecte du meurtre juri- dique de Louis XVL Le ministère refusa de se prononc r sur ce coup d'Etat parlementaire, qu'il aurait pu conjurer, et qui entraîna la retraite de rextrême gauche pen- dant le reste de la session. La dis- cussion fut plus calme et plus élevée à la Cham! re des pairs, le ministre des affaires étrangères servit seul d'organe au cabinet, et la plupart des questions que sou- levait l'intervention française y furent agitées de nouveau i\ propos de l'appel de la classe de <823. M. de Montmorency confirma, dans un discours noble cl développé, les faits que nous avons exposés plus haut, et exprima le vœu que le gouvernement anglais ne se vit jamais appliquer par les radicaux vainqueurs les principes dont ses organes avaient fait profession au congrès de Vérone. Mais la for- tune s'était déjà prononcée ; le premier coup de canon de l'cxpé- dition avait dispersé ces bandes de révolutionnaires français qui 8'étaieat flattés d'entraîner dans

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les rangs de la rébellion l'avant- garde d'une armée désormais fidèle; la Bidassoa avait été franchie aux cris de Vive le Roi; nos soldats étaient reçus en libérateurs plutôt qu'en ennemis, et Chateaubriand ayail pu résumer avec justesse ce long et tumultueux débat par ces paroles qui caractérisaient si bien une époque de foi et d'espérance : « Un roi qui, après nous avoir rendu la liberté, nous rend la gloire; un prince qui est devenu, au milieu des camps, l'idole de cent mille Français, n'ont rien à craindre de l'avenir. L'Espagne délivrée de la révolution, la France reprenant son rang en Europe et retrouvant une armée; la légitimité acquérant la seule force qui lui manquât encore ; voilà ce qu'aura produit une guerre passagère que nous n'avons pas voulue, mais que nous avons acceptée. » Le mi- nistre des finances avait obtenu l'autorisation d'émettre en bons du Trésor partie des iOO millions Totés par les Chambres pour les frais de la guerre; mais, pour ne pas augmenter la dette flottante, il préféra recourir îi un emprunt qui fut adjugé ^iO juillet) à la maison Rothschild au taux de 89 fr. 55 c. Celle opération eut pour effet d'eionénir la France, à un taux raisonnable, des exigences d'une dette considérable pi ovenant sur- tout des reconnaissances de liqui- dation de l'arriéré du régime im- périal. Elle releva puissamment le crédit, et contribua ainsi à préparer la réduction à -i p. 100 de l'intérêl d'i la dette publique. Au milieu de ces circonstances prospères, le ministère, et particulièrement le président du Conseil, était loin de joair d'une sécurité sans mélange. La ratraite du côté gauche n'avait

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fait que déplacer les difficultés de la situation. « On a plus de peine, dans les partis , dit le cardinal de Retz, à vivre avec ceux qui y sont qu'à agir contre ceux qui y sont opposés. » Cette vieille vérité allait bientôt recevoir une nouvelle et triste démonstration. Une des fa- talités de ces temps difficiles, le comte de La Bourdonnaye, s'était emparé de la place abandonnée par l'opposition libérale pour con- tinuer contre le chef du cabinet une lutte qui, née dans leurs pre- miers rapports parlementaires, datait surtout de la première en- trée de Villèle au conseil des mi- nistres en 1820, et qui avait pris progressivement tous les caractères d'une hostilité déclarée. La vie politique de M. de La Bourdon- naye n'offrait point l'esprit d'unité que pouvait faire supposer la ri- gueur de ses théories (1). Ce chef exalté du parti ultra- royaliste avait commencé par être un impé- rialiste décidé. Président en 1813

(I) Indépendamment des motifs de rivalité qui éloignaient M. de la Bour- donnaye du comte de Villèle, des rai* sons personnelles que l'nistoiro dévoile avec regret, déterminaient la constance de son hostilité. Peu de jours après Ta- vénement définitif du nilnistre, M. Chateaubria.'id lui lit part, dans une let- tre pressante cl précise, dos conditions auxquelles son fougueux adv.-rsaire consentait a signer la paix. Ces condi- tions, dont M. Cliaieaubriund vantait la modération , était nt l'ambassade des Pays-Bas pour lui-mC'nie, et la pairie pour son tils. Le comte de Villèle eut la générosié de ne faire aucun usage de cette pièce, dont sa famille n'a eu connaissance qu'après sa niurt. Les let'rcs de l'illustre ècnvain, au prisi- dent du Conseil, consignées par M. de Cbaloaubiiand lui-même, dans le f'on- grcs de Vérone^ rcpetent à satiolc la recommandation de s'occuper de M. de La iiourdoDDaye.

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du conseil général de Maine-et- Loire, il s'était distingué par sou lèle à provoquer les sacrific'is d'hommes et d'argent destinés à prévenir ou à relarder la chute du trône de Napoléon. Orateur élo- quent, élevé, mais absolu, intrai- table et dépourvu de toute capacité pratique, M. de La Bourdonnaye ne néglig«'ait aucune occasion de hai celer l'administration du comte de Villèle, et, soit passion person- nelle, soit impatience de caractère, il ne tenait nul compte des len- teurs et des ménagements qui lui étaient imposés par la complica- tion des circonstances. La discus- sion du budget de 1824 servit cette fois de texte à ses attaques. Après avoir entrepris d'opposer sur di- vers points le ministre de 1823 au député de 1818 et de 1819, il ca- ractérisa sa politique avec une véhémence presque injurieuse , l'accusa de préparer de redou- tables catastrophes par une cir- conspection intempestive, de bles- ser tous les intérêts, toutes les convenances du gouvernement re- présentatif, et de forfaire à ses engagements antérieurs, en s'abste- nant de proposer les institutions royalistes sans lesquelles la Charte ne pouvait exister. Cette philip- pique, dont M. de Vaublanc et M. Delalot appuyèrent plusieurs conclusions, provoqua une réponse immédiate du ministre, réponse satisfaisante en ce qui arait trait aux allégations matérielles, mais qui révi'la l'affligeante étendue des divisions auxquelles était livré lo parti royaliste, et qui put faire pressentir dès lors que la contre- opposition de droite serait plus funeste à la monarchie que la véri- table opposition à laquelle elle s'était substituée. A l'égard des

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institutions municipales dont on invoquait la promesse, Villèle répondit avec raison que , dans l'état actuel de la société, ces questions soulevaient d'immenses obstacles, et que ses adversaires, en s'abstenant d'user à cet égard de leur droit d'initiative, véri- fiaient eux-mêmes la justesse de celle objection. La présentation du budget ne rencontra à la Cham- bre des pairs qu'un opposant sé- rieux, dans M. Barbé-Marbois, premier président de la cour des comptes. Il contesta surtout l'opi- nion émise par le ministre des finances, qu'en acquittant les dé- penses ordinaires sur le produit de l'impôt, il fallait pourvoir aux dé- penses extraordinaires par la créa- tion des rentes, et blàraa vivement « le danger de cette malheureuse facilité d'augmenter la dette, et de donner à des banquiers, surtout à des banquiers étrangers, l'exploi- tation de la fortune publique. » Le comte de Villèle répliqua que le ministère actuel n'avait pas créé mais seulement employé le système des emprunts, et que la France n'avait pas eu d'autre moyen d'ef- fectuer sa libération, lorsqu'il avait paru impossible de demander de nouveaux sacrifices aux ressources ordinaires du pays. Ces observa- tions, appuyées par M. Roy, der- nier ministre des finances, n'ame- nèrent aucune contradiction. Le comte de Villèle, qui mesurait l'im- mense difficulté de doter la France actuelle d'un bon régime munici- pal, avait cherché à suppléer du moins à rim|)erfection de nos ins- titutions financières. Uien ne gênait sur ce terrain la liberté de ses mouvements. Pénétré, dès son ac- cès au pouvoir, du besoin de con- tenir l'entraînement habituel des

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ordonnateurs des dépenses publi- ques, il avait entrepris de soumet- tre leur gestion au joug de l'ordre et à la garantie du contrôle (1). Ce fut l'objet de l'ordonnance du 14 septembre 1822, mûrement éla- borée dans plusieurs commissions réunies sous sa présidence, et par laquelle le caractère et la durée de l'exercice furent rigoureusement définis , et les dispositions des ministres strictement renfermées dans la limite des crédits votés par les Chambres; les ordonnateurs de tous les degrés y furent astreints à des règles de comptabilité sévères, dont l'observation trouvait son con- trôle dans un mécanisme tracé avec une grande précision. « Ces dispo- sitions salutaires, dit l'habile finan- cier auquel j'emprunte ces détails, ont tari pour toujours la source de l'arriéré, en réduisant chaque année la comptabilité desbudgets à l'exer- cice qui commence et à celui qui s'achève, ont fait pénétrer la lu- mière et la méthode dans l'admi- nistration publique, et ont intro- duit dans ses opérations variées cette féconde économie qui fait que rien ne se perd, et que les fonds du trésor reçoivent leur destina- tion légale, sans déviation ni retard. On tenterait vainement d'apprécier en chiffres les heureuses consé- quences de l'ordonnance de 1822 pour la répression des désordres, pour la disparition des abus, ainsi que le meilleur emploi des ressour- ces du budget. » Vd ne se bornè- rent pas les efforts du vigilant mi- nistre. Pour préparer un contrôle

(1) Tous ces détails sont tirés de l'excellent travail publié en IBoo sur riidniinislralion lin.inciLTi' de M. le ronite de Villèle, par M. le marquis d'AudifTrct.

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public et complet de la cour des comptes sur la fortune nationale, il fit rendre, le 10 décembre 1823, une ordonnance qui instituait une commission de membres des deux Chambres, du conseil d'État et de la cour des comptes, chargée de vérifier et d'arrêter annuellement les écritures et les comptes des ministres, avec obligation de pu- blier des rapports détaillés de leurs opérations, afin de constater aux yeux de tous l'enchainemenl, la concordance et la régularité de ces comptabilités cent raies. L'expédi- tion en Espagne touchait à un dé- noùment prochain. L'armée fran- çaise, en moins de six mois, s'était rapidement avancée des bords de laBidassoa à la baie de Cadix, après avoir livré des combats, entrepris des sièges que le succès avait cons- tamment couroiinés, et faisant ad- mirer sa discipline autant que sa valeur. Au seul bruit de son ap- proche, les Certes s'étaient hâtées d'abandonner Madrid et de con- duire à Séville le monarque captif. Mais ni les intentions ouvertement pacifiques du cabinet français, ni l'esprit de sagesse et de générosité déployé en toute rencontre par le prince généralissime, ne purent les disposer à la moindre condescen- dance envers le gouvernement de Louis XVIIL Cependant M. le duc d'Angoulème, qui approchait pré- cipitamment, avait contraint les op- presseurs de Ferdinand à chercher leur dernier abri sous les remparts de Cadix et de l'ile de Léon. 11 fal- lut faire violence au roi pour le décidera ce nouveau départ. Knfin, la prise du Trocadéro, la reddition du forldeSanli-Pietri, la défaite et l'arreslaliou de Riego , tous ces événements auxiiuels était \cmw. s'ajouter la conire-révoiutiou opé- 29

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réc en Portugal, consommèrent le découragement des constitution- nels; la révolution espagnole expi- rait aux lieux mêmes elle avait pris naissance, et, le 1" octobre, le roi et la famille royale débar- quèrent libres au port Sainte-Marie, le généralissime eut à la fois la joie de les recevoir et la douleur de n'en obtenir aucune concession profitable à l'avenir de la Pénin- sule. (V. Valdès, tome LXXXIV, p. 390). Le prince avait rendu à Andujar,le 8 août, une ordonnance qui interdisait aux autorités espa- gnoles toute arrestation non auto- risée par les commandants des troupes françaises, qui prescrivait l'élargissement des personnes dé- tenues arbitrairement, et plaçait sous la surveillance des autorités militaires les journaux et les jour- nalistes. Cette ordonnance avait soulevé contre le généralissime toutes les colères de la faction apostolique à laquelle l'invasion française venait de livrer l'Espagne, et le ministère, la jugeant contraire aux engagements pris par le chef su- prême de l'armée à sou entrée en campagne, n'avait pas cru devoir la soumettre à l'approbation du roi. Ces divisions n'étaient que le pré- lude des déchirements auxquels la malheureuse Espagne allait se trou* ver bientôt en proie. Mais on ne dut songer alors qu'au succès mi- litaire de l'expédition, et le duc d'Angoulême, qui l'avait conduite avec autant de bravoure que de prudence, recueillit a son retour à Paris de sincères et d'unanimes hommages. Toute la France roya- liste applaudit à cette réconcilia- tion de la légitimité et de l'armée, consommée, en d'pii do3 manœu- vres et des bravades de l'Angle- terre, sous les auspices de la vic-

toire et sur les ruines d'une révo- lution qui avait menacé d'embraser l'Europe entière. Le ministère s'était amoindri le <9 octobre par la retraite du fidèle duc de Bellune, auquel avait succédé le baron de Damas, sacrifice fait aux exigences du généralissime, et que n'avait pas compensé la nomination du prince de Polignac à l'ambassade de Londres. Le cabinet crut de- voir renforcer sa majorité à la Chambre des pairs par la pro- motion (22 décembre) de ringt- sept nouveaux titulaires, dont il emprunta la plupart aux députés de la droite les plus considérables par leur position sociale et leur influence personnelle. Ce fut une faute, ou plutôt un malheur. Il se priva ainsi, sans utilité suffisante, de zélés auxiliaires dont la fidélité éprouvée lui eût été précieuse plus tard, au milieu des affligeantes dé- fections qui se déclarèrent dans le» rangs de ses auciens amis. Cepen- dant, les conditions générales de son existence s'étaient évidemment raffermies par la répression des complots intérieurs et surtout par l'issue favorable de la guerre d'Es- pagne. Le ministère songea à i)ro- fiter de celte situation pour garan- tir sa stabilité contre les oscillations auxquelleselle était périodiquement exposée par le renouvellement par- tiel de la Chambre élective. A ce système, que consacraiU'arlicle 37 de la Charte constitutionnelle, on substituait l'établissement d'une Chambre septennale intégralement rééligible. M. de Chateaubriand servit cette idée conservatrice du secours puissant de sa plume et de son influence. L'exécution du plan miiiislérici fut préparée par la dis- solution de la Ciiambre aclueilc, dont le résultat fut de réduire,

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dans la nouvelle assemblée, l'op- position de gauche k un faible noyau de seize ou dix-sept mem- bres. Entraînés dans ce naufrage universel, Lafayeite se vit réduit à exiler sur un autre hémisphère plus sympathique son impuissance momentanée, et Manuel alla ex- pier les stériles agitations de sa vie dans un délaissement (1) qui n'eut d'autre terme que la mort. Ce ré- sultat s'expliquait suftisamment par la déroute des révolutions de Na- pies , de l'Espagne et du Portu- gal. Il s'y mêla , toutefois , des actes d'intimidation, des pratiques de séduction et des manœuvres artilicieuses , qui soulevèrent de justes et énergiques protestations. Le ministère aigrit encore l'a- mertume de ces réclamations par les encouragements qu'il décer- na aux fonctionnaires publics qui avaient chaleureusement secondé son impulsion. Les services les plus zélés furent récompensés par des promotions plus ou moins im- portantes et par des décorations dont la valeur, déjà dépréciée par une prodigalité sans mesure, reçut de celte distribution abusive un nouvel et fâcheux discrédit. La monarchie légitime était devenue assez puissante pour dédaigner de tels moyens qui usaient, au préju- dice de l'avenir, tous les ressorts de l'autorité. A ces motifs de mé- contentement se joignaient ceux qui dérivaient des imprudences d'une partie du clergé, trop portée à voir dans le triomphe des idées monarchiques celui de ses propres prétentions, qu'elle ne prenait plus

{\) La Vie polilique de M. Roijer- CoUard^ etc., par M. de Barante, l. n, p. 33-i.

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soin de dissimuler. Le ministère composé en majorité d'esprits li- bres et sans ferveur, n'avait aucun penchant pour ce genre de domi- nation; mais il la tolérait par égard pour les sentiments religieux du futur héritier de la couronne, et cette tolérance se traduisait en con- cessions de choses et surtout de personnes qui excitaient une vive ir- ritation dans les rangs du parti li- béral. Dénoncé avec exagération par les uns, indignement exploité par d'autres, le pouvoir congréga- niste, cette forme la plus palpable et la plus impopulaire de la prépo- tence sacerdotale, était devenu dans ce siècle sceptique le grief capital de l'opposition et le levier le plus puissant de l'esprit de désordre et de faction. La volonté maladive du monarque impotent, subjuguée par d'astucieuses obsessions, était sans résistance contre ce courant, dont la pernicieuse influence semblait compromettre tous les avantages de la situation. Telle était la disposi- tion des esprits quand Louis XVIII ouvrit, pour la dernière fois, le 23 mars 1824, la session législative, dans un discours il faisait pres- sentir, avec le projet de loi sur la septennalilé , deux autres mesures capitales depuis longtemps conçues dans l'esprit du chef du Conseil : la conversion en rentes 3 p. 0/Udes ren- tes créées par l'Etat à ri p. 0/0, elle dessein d'a|)pliquer le bénelice de cette opération, soit à réduire les charges publique.s,soit à indemniser les victimes des conliscations révo- lutionnaires. Les deux premiers projets furent simultanément pré- ciuLes, l'un à la Chambre des pair^ par le comte Corbière, l'autre à la Chambre des députés par le minis- tre des linances. Ce dernier aban- donna à son collègue et a son ami

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tout le faix du débat sur la loi sep- tennale à la Chambre haute, et ne prit qu'une fois seulement la parole pour défendre celte loi à la Cham- bre élective. Il attribua au mouve- ment électoral annuel la versatilité des résolutions du gouvernement et des Chambres, et n'eut pas de peine à démontrer que si, sous le régime impérial, le renouvellement partiel n'avait pas été un obstacle aux grands travaux législatifs, ce résultat tenait à ce que la France n'avait alors que les apparences et non la réalité du système représen- tatif. Le ministre, s'expliquant sur les reproches qu'avaient motivés les dernières élections, blâma assez timidement le zèle excessif des agents de l'administration, et dé- clara que c'était rendre un vrai ser- vice à un candidat que de ne pas garder une juste mesure dans les attaques dirigées contre lui. Tous les efforts du comte de Villèle se concentrèrent sur la discussion de la loi de réduction des rentes, au succès de laquelle il attachait un yérilable amour - propre de pa- ternité, et qui devait remplir un rôle si considérable dans sa vie publique. En présentant, le 5 avril, cette loi à la Chambre élective, il constata d'abord que la rente avait dépassé le pair, et qu'elle s'élève- rait plus haut encore, si le minis- tère n'avait loyalement laissé péné- trer ses intentions de rembourse- ment. La fortune publique éprouvait un double dommage de cet état de choses, par le rachat des rentes à un taux supérieur au pair imposé i la caisse d'amortissement, et par le surcroît d'un intérêt de 5 p. dOO imposé l'h^iat, tandis que le cours de ses rentes en abaisserait le taux pour ceux qui les achèteraient. Le devoir de l'administration, dans ces

circonstances, était d'offrir aux porteurs de rentes le rembourse- ment de leur capital ou la conver- sion de leurs titres à un intérêt plus modéré. Le ministre annonçait qu'il s'était mis en mesure d'opé- rer le remboursement s'il était ré- clamé; à l'égard de la réduction, il proposait de la limiter Ji 3 p. iOO au capital de 75 francs. Le bénétice de cette opération était une dimi- nution de 28 à 30 millions sur les dépenses actuelles de l'Etat, sans affaiblir la puissance de l'amortis- sement, sans aggraver la condition des emprunts à venir, en opérant dès ce moment la réduction des intérêts de la dette publique à 4 p. 100, et en émettant des titres qui pouvaient s'améliorer en capi- tal jusqu'à ne plus porter qu'un intérêt de 3 p. <00, sans qu'ils fus- sent contenus dans cette voie d'a- mélioration par la crainte d'un nouveau remboursement. Le mi- nistre consacra ses derniers déve- loppements à démontrer que l'Etat était en droit de se libérer, et k faire ressortir les avantages de l'a- mortissement, que ménageait avec soin le projet en discussion. La vive sensation que ce projet fit naitre dans toutes les classes de la société contrasta avec l'indifférence presque générale qui avait accueilli la proposition de la septennalité. Ja- mais, sans doute, depuis le fameux système de Law, mesure financière n'avait, surtout à Paris, passionné à ce point les esprits. La loi pré- sentée, bonne et avantageuse en soi, rencontrait, dès l'abord, trois sortes d'adversaires : les rentiers, auxquels elle enlevait un cinquième de leur revenu,les antagonistes déjà nombreux du ministère de Villèle, qui entrevoyaient la chute du mi- nistre à travers le rejet de ses plans,

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enfin le parti libéral, que f-oissait vivement l'attribution faite aux émigrés dans le produit éventuel de la conversion. De ces intérêts coalisés sortirent des objections plus ou moins puissantes contre le projet, auquel on reprocha tour à tour la brusquerie, l'obscurité de ses dispositions; les mots de ruine et de banqueroute furent pronon- cés par allusion aux souvenirs ré- volutionnaires, sans tenir compte de l'alternative avantageuse offerte aux porteurs de rentes. On contesta l'assertion qui présentait comme inférieur à 5 p. dOO le chiffre cou- rant de l'intérêt en France; on qualifia la loi d'infraction ouverte au pacte constitutionnel. Enfin, on se demanda comment le Trésor réunirait les fonds nécessaires au remboursement intégral du capital des rentes remboursables; mais le ministre, dans la prévision de cette éventualité, avait fait signer aux principales maisons financières un traité par lequel elles mettaient à sa disposition les sommes suffi- santes pour l'exécution de la loi. Les partisans de l'opération oppo- saient de leur côté les charges ex- cessives qui frappaient la propriété territoriale, en présence de l'im- munité absolue dont jouissait la propriété mobilière; ce surcroît d'avantages avait pour effet de dé- tourner une partie de la rente des capitaux qui pouvaient êtrt; utile- ment appliqués à l'agricullure ou à l'industrie; le résultat naturel de la conversion devait être, au con- traire, de provoquer le retour de ces r-apiiaux dans les départements, et de mettre un frein a l'usure en amenant une diminution salu- taire dans l'intérêt de l'argent. L'infatigable ministn* ajouta i\ la puissance de ces considérations par

une argumentation approfondie adressée tour à tour à l'une et à l'autre Chambre, et qui attesta éga- lement l'étendue de ses connais- sances financières et l'inépuisable fécondité de ses ressources. Devant la Chambre élective, il réfuta parli- culièrementla proposition de M. Hu- mann, qui préférait au plan minis- tériel la création d'une rente 4 p. 0/0, et celle qui consistait à réduire le fonds d'amortissement; il démontra que sa destination était moins d'anéantir la dette publique que de ménager aux contribuables les moyens de l'accroître sans trop de dommage dans les temps de né- cessité. Divers amendements en faveur des petits rentiers furent combattus par le ministère et écar- tés par la Chambre, qui adopta la loi à 93 voix de majorité. La dis- cussion à la Chambre des pairs n'eut lieu que trois semaines plus tard. Ici se rencontrèrent, dans MM. Roy, Pasquier, Mollien , et surtout dans Mgr de Quélen, arche- vêque de Paris, des adversaires d'autant plus dangereux qu'aucun soupçon de passion personnelle n'infirmait l'autorité de leur oppo- sition. Le vénérable prélat plaida la cause des petits rentiers pari- siens avec une onction persuasive qui ne fut pas sans influence sur le sort du projet. Quelques conces- sions tardives ne purent conjurer une défaite, et la loi fut rejetée le 3 juin, à la majorité de 'Si voix, résultat grave sous une apparence purement financière, et dont la première et la plus fatale consé- quence fut la rupture des deux hommes qui avaient le plus acli- vement concouru à la prospérité de la Restauration. Les premiers symptômes de refroi iissemeiit en- tre Villèle et Chateaubriand dataient

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de l'issue de la guerre d'Espagne. L'empereur Alexandre avait en- voyé au dernier la grand'croix de Saint-André , à Texclusion du président du Conseil, auquel il gar- dait quelque rancune de sa tié- deur sur la question espagnole. Le comte de Villèle n'était pas demeuré insensible à cette affectation d'oubli, et Louis XVIIÏ, vivement blessé, lui •vail dit : « Pozzo et La Ferron- nays viennent de me faire donner un soufflet sur votre joue par l'em- pereur Alexandre ; mais je vais lui donner chasse et le payer e-n mon- naie de meilleur aloi : je vous nomme, mon cher Villèle, chevalier de mes ordres (30 déc.) ; ils valent mieux que les siens (1). » Cette distinction avait causé une incura- ble piqûre à l'ombrageux amour- propre de M. de Chateaubriand (2), et la blessure n'avait fait que s'enve- nimer sous l'action d'une rivalité que tout concourait à développer. Tous deux aspiraient à la prédo- minance gouvernementale ; mais sur ce terrain la lutte était ouver- tement inégale entre le génie élevé, lumineux, mais fantasque et vani- teux de l'auteur des Martyrs, et l'esprit pratique, avisé, le bon sens exquis de son collègue, auquel le roi et les princes accordaient d'ailleurs une confiance que M. de Chateaubriand ne leur avait jamais inspirée(3). L'illustre écrivain s'était

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montré peu favorable à la conver- sion des rentes, et le chef du Con- seil avait accru sa mauvaise humeur en lui dérobant la communication du traité qu'il avait éventuellement conclu avec les banquiers de la capi- tale (1).M. de Chateaubriand s'était renfermé en public dans un si- lence affecté à l'égard du projet de loi ; il avait eu le tort plus grave de manifester son opposition à ses amis , et cette tactique déloyale avait achevé d'ébranler la majorité de la Chambre haute, il exerçait une grande influence. Informé au sortir même de la séance, par le président du Conseil, du rejet de la loi, Louis XVIII en manifesta une vive émotion. «Villèle, lui dit-il, ne m'abandonnez pas à ces... je vous soutiendrai. » Le dimanche suivant 6 juin, jour de Pentecôte, le comte de Villèle étant entré le matin dans le cabinet du roi, « Chateaubriand, lui dit Louis XVIII, nous a trahis comme un... Je ne veux pas le voir ici après la messe ; rédigez l'ordon- nance de renvoi , et qu'on la lui remette à temps ; je ne veux pas le voir. » Le ministre essaya quelques observalionsauxquelles Louis XVIII n'eut pas égard ; il fallut écrire sur le bureau même du roi l'ordon- nance de destitution, qui fut aussi- tôt expédiée. M. de Chateaubriand ouvrit, aux Tuileries même, à l'issue de la messe, la lettre qui accompa-

(1) Notice sur M. le comte de Vil- lèle, etc. p. 103.

(2) M. de Cliateaubriand fut également décoré du crdon bleu, quelques jours après.

(3) Cette opinion est aussi celle de M. Sairitc-Bf'uvc, dans son curieux ou- vrage intitulé : Chaleaubriaud et son groupe litléi aire, t. ii, p. 42i. « Cha- teaubriand, dit-il, n'avait ni la patience, ni la dextérité, ni le ménagrnienl, et la

souplesse, cette suite de petites cho- ses, qui sont souvent la condition des grandes, et les rendent possibles. Pre- mier ministre avec l'un ou l'autre des deux rois avec qui il eût fallu s'enten- dre et coinj)ter, on ne se ligure pas qu'il 'Ji\tpn y tenir longtemps; il serait arrivé un matin quelque aventure. M. de (hateaubriand aime les croix, dirait M. Canning. » (1) Congrès de Vérone, t. n, eh. 20.

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gnait cet acte, lettre dont la sé- cheresse n'était autorisée, ni par le procédé, ni par la situation. Il ré- pondit au chef du Conseil « que le déparlement était à ses ordres, » et fit bruit de son renvoi comme d'un triomphe. Le soir même M. Berlin deVaux, son ami, proprié- taire du Journal des Débats, vint déclarer au président du Conseil qu'il commencerait dès le lende- main une guerre incessante au ca- binet, si M. de Chaleaubriaud n'obtenait l'ambassade de Rome pour compensation de sa disgrâce. Villèle ayant décliné l'initiative de cette ouverture : « Souvenez-vous, lui dit le journaliste, que les Débats ont déjà renversé les ministères Decazes et Richelieu, ils sauront bien aussi renverser le nainislère Villèle. Vous avez renversé les premiers, répondit le ministre, en faisant du royalisme ; pour renverser le mien , il vous faudra faire de la révolution (1). » Trop judicieux pronostic, dont l'accom- plissement devait, par une pente inévitable , faire descendre en quelques années l'interprète des rancunes de MM. de Chateau- briand et Berlin jusqu'aux théories les plus outrées de la politique ré- volutionnaire! — En somme, la sé- paration de M. de Chateaubriand était un événement considérable. Elle appauvrissait d'un membre élo(iuent et renommé le cabinet déjà atteint dans son élément aris- tocratique par la retraite du loyal duc de Montmorency, dans sou expression militaire, par le sricri- fice du modeste duc de Bellime. Elle impliquait l'ambition toujour's haïs-

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sable d'une suprématie sans par- tage chez l'homme d'État réputé jusqu'ici le moins accessible aux enivrements du pouvoir, celui dont, la contradiction même la plus ar- dente n'avait jamais désarmé l'im- passibilité. Elle affaiblissait ce p.res- tige de modération et de simplicité dans la direction des afifair^-s, qui ajoutait tant de poids à sa valeur personnelle. La brusquerie du pro- cédé surtout rencontra une im- probation générale. En accordant quelques jours à la juste irritation de Louis XVIII, le président du Conseil eût négocié sans peine l'éloigneraenl de son rival k des conditions honorables qui auraient pacifié ce redoutable conflit. Mais, « contre sa couVume, dit très-bien M. Guizoï, il eut plus d'humeur que de sang-froid et de prévoyance; il y a des alliés nécessaire quoi- que très-incommodes, et M. de Chateaubriand était moins dange- reux comme rival que comme en- nemi. Il devint, continue M. Guizot, un chef d'opposition brillant et puissant, ralliant à lui d'anciens adversaires destinés à le redevenir un jour, mais momentanément at- tirés par le plaisir et le profit des coups qu'il portait à leur ennemi commun (V. » L'éclatante rupture des deux principaux membres du cabinet avait captivé sans f absor- l)er l'attention publique. Cette ses- sion la plus féconde depuis la Restauralion, fut marquùe par la présentation (Vm\ projet de loi ré- pressif des vols commis dans les églises, projet qu'adopta la dura- bre des pairs, mais dont les dis- positions parurent incomplètes h la Chambre élective , et que le

(1) Notice hist. sur V^ comte de Vtitèie, etc., p, 113.

(1) Mémoiresy etc., t. im.

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ministère relira pour le repro- duire plus tard sous une autre /orme. Plusieurs lois de linances /urent proposées par le comte de V'.Ulèle, qui les défendit avec son expérience et sa lucidité acroutu- mée.s; telles furent celle sur le monopole des tabacs, celle qui, en vue à*.*, remédier au morcellement de la propriété territoriale, rédui- sait au droit fixe de 5 francs Té- change di^s terres contiguës , la loi sur les boissons, celle enfin du budget de 1825. La discussion de cette dernière loi se fit remarquer par un caractère d'indépendance et de généralité dont aucun autre dé- bat analogue n'avait peut-être of- fert l'exemple. M. Ferdinand de Berthier, organe de la contre-oppo- sition de droite, traça un pro- gramme détaillé de réformes ira- praticables, pour la plupart, dans une société issue du mouvement de 4789. M. de La Bourdonnaye, rappelant le mot de saturnales po- litiques, que le président du Con- seil avait appliqué aux élections, prétendit que « c'était sans doute parce qu'il eût voulu n'y voir figu- rer que des esclaves, » et accusa le ministère d'attaquer à la fois toutes les libertés publiques; le marquis de Noaiiles s'indigna de la préten- due dépendance de la France vis- à-vis des Ëiats étrangers; M. de Lézardières se plaignit de la situa- tion malheureuse de la propriété sur tous les points du royaume, et M. de Vaublanc présenta des cal- culs peu rassurants sur l'état de la balance commerciale du pays. Le comte (le Villèle se mit peu en souci de ces doléances, qui n'ébranlèrent point sa majorité habituelle, et, en présenlaiit le budg«tt à la Chambre des pairs, il se contenta de faire remarquer la limitation salutaire

qu'il apportait dans l'émission des bons royaux, dont l'abus avait sou- levé jusqu'alors tant de réclama- lions. Après un débat sans intérêt et partant sans véhémence, le bud- get ne rencontra que trois oppo- sants. Mais le ministère se trouva bientôt appelé sur un terrain plus difficile par l'obligation de sou- mettre à la Chambre les crédits supplémentaires dont la guerre d'Espagne avait nécessité l'emploi. Rappelons en peu de mots ce qui s'était passé à cette occasion. Le corps d'armée destiné à l'invasion de la Péninsule avait été longtemps retenu sur la frontière des Pyré- nées par les incertitudes qui ré- gnaient au sein du Conseil. La même cause n'avait pas permis à l'administration militaire de s'oc- cuper sérieusement des préparatifs d'une entrée en campagne. C'est dans cet état d'imprévision et d'insuffisance qu'était survenu au quartier général l'ordre de mettre sans retard les troupes en mouve- ment. La situation était critique. Quels périls n'avait-on pas k re- douter du défaut de subsistances sur une terre ennemie, pauvre, mal peuplée, épuisée par trois ans de guerre civile, et dans la con- duite d'une armée dont les dispo- sitions n'étaient pas à l'épreuve d'un sujet moins grave de mécon- tentement! Un spéculateur plus habile que considéré, Gabriel Ou- vrard, entreprit de surmonter ces obstacles. Il vint à Bayonne se pré- senter au prince généralissime, interrogea quelques réfugiés espa- gnols sur les ressources des pro- vinces que l'armée aurait à traver- ser, et, le 5 avril, il déclara au duc d'Angoulême qu'il était prêt k mettre l'armée en mesure de fran- chir immédiatement la Bidassoa;

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mais il fit dépendre ce concours de conditions onéreuses, comme on devait SA' attendre; il exigea que les onze douzièmes du montant de ses fournitures lui fussent payés par avance, et qu'on tint à sa dis- position tous les approvisionne- ments existant dans les divisions militaires de Toulouse et de Bor- deaux, etc. Ces stipulations, si connues sous le nom de Marchés de Bayonne, furent signées dans la nuit même, et soumises quelques jours plus tard à l'approbation du gouvernement, qui la donna sans hésiter. Ce premier traité fut mo- ditié par des conventions postérieu- res du 2 mai et du 26 juillet qui accrurent encore l'exagération des clauses primitives, et ce fut sur l'ensemble de ces stipulations que M. de Martignac, qui avait rempli avec tant de distinction les fonc- tions de commissaire civil près de l'auguste généralissime, eut à s'ex- pliquer deva[it la Chambre en qua- lité de rapporteur. Sans dissimuler tout ce qu'avait d'exorbitant la pression exercée par M. Ouvrard sur l'intendance militaire, il estima que la sanction législative ne pou- vait être refusée aux crédits em- ployés à solder l'expédition. Cette opinion fut vivement combattue par le général Foy, qui n'eut pas de peine à démontrer combien le Tré- sor public avait été lésé par un dé- sordre administratif «sans exemple, dit-il, pendant les vingt-cinq ans des guerres de la Kévolution; » mais Villèle monta à la tribune pour la soutenir , ei revendiqua hautement la responsabilité de la partie onéreuse de l'expédition, dont il ((. laissait tout l'honneur au prince généralissime et à la brave armée qu'il commandait. » Il fit remarquer qu'une semblable cam-

pagne ne pouvait réussir que par des moyens extraordinaires, et qu'on avait sacrifier de l'argent pour épargner des hommes, et pour se libérer plus tôt des charges que la continuation de la guerre au- rait imposées au pays. Ces considé- rations n'empêchèrent pas le comte Alexis de Noailles d'infliger à l'ad- ministration un blâme sévère, que M. de La Bourdonnaye aggrava de quelques hostilités personnelles contre le président du Conseil. Mais l'inflexible nécessité domina de trop justes objections, et les crédits extraordinaires furent votés à une forte majorité. Cependant le minis- tère ne crut pas devoir refuser à l'opinion publique la satisfaction d'une enquête, et une commission, composée du maréchal Macdonald, de MM. de Villemanzy, Daru, de Vaublanc, Halgan et La Bouille- rie, fut chargée d'apprécier les causes et l'urgence des crédits supplémentaires que la Chambre venait de sanctionner. Cette cir- constance fit perdre au débat de- vant la Chambre des pairs une par- tie de son intérêt; mais ce débat révéla une particularité honorable pour le prince généralissime, qui non-seulement avait refusé toute espèce de traitement, mais avait en outre réalisé sur les dépenses se- crètes de l'armée une somme de plus de 500 mille francs, qu'il s'é- tait empressé de mettre à la dispo- sition du ministre de la guerre : résultat remar(|uable surtout eu égard aux bruits de corruption qu'avait accrédités la prompte reddition de quelques - unes des places assiégées. Pour terminer sur ce désagréable incident du ministère Villèle, nous dirons que la commission d'en(iuête déposa, au commencement de l'année

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182;), un rapport qui signalait des divisions tellement tranchées parmi les membres dont elle se composait, que l'organe d'une com- mission spéciale, M. Fadatle de Saint-Georges, crut devoir mettre la Chambre dans la confidence do ces débats intérieurs. En substance, ce document déversait le blAme le plus absolu sur la conduite du mu- niiionnaire général, en dégageant de toute responsabilité le ministre de la guerre, antagoniste constant du système qui a'^ait causé ces di- lapidations, et concluait à ce que l'examen des manœuvres employées à cette occasion fût déféré aux tribunaux; ce qui fut prescrit par une ordonnance du 9 février 4825. Le rapporteur se prononça, toute- fois, pour l'adoption définitive des suppléments de crédit. Mais cette opinion fut vivement attaquée par M. de La Bourdonnaye, qui se pré- valut avec avantage de l'opposition qui avait existé, au sujet des mar- chés de Bayonne, entre le ministre de la guerre et l'intendant militaire Joinville, porteur des instructions secrètes du président du Conseil, et demanda que la conduite de cet agent supérieur fût sévèrement scrutée. Le général Foy, de son cMé, rappela les éloges que le mi- nistre des finances avait donnés l'année dernière à ces marchés de Bayonne, objet aujourd'hui d'un décri si universel, et censura l'u- surpation manifeste qu'il s'était at- tribuée sur les fonctions du minis- tre de la guerre. Villcle n'opposa à ces reproches et ii ces irrégulari- tés que le défi de formuler contre lui aucune iniputalion précise (1),

(1) Le ministre qui répondait en ces termes aux agressions envenimées de

et, après six jours de débats ani- més et approfondis, des hosti- lités de personnes et de partis se mêlèrent trop souvent aux ques- tions financières, les comptes de 1823 furent décidément réglés d'a- près les propositions ministérielles, à une très-grande majorité. Ce ré- sultat numérique fut plus éclatant encore à la Chambre des pairs, vingt voix seulement protestèrent contre ces propositions. Quant aux poursuites judiciaires, elles n'abou- tirent, après de nombreux inci- dents, qu'à la condamnation cor- rectionnelle de deux agents du munllionnaire général, convaincus de tentatives de corruption envers des employés de l'intendance mili- taire : misérable dénoùment d'un système d'inculpation qu'avait dé- moli la puissance irrésistible des faits accomplis, bien plus que l'as- sentiment libre et consciencieux des pouvoirs de l'Etat. La laborieuse session de 1824 fut close le 4 août.

M. de La Bourdonnaye et du général Foy, possédait un moyen bien plus victo- rieux de confondre leurs insinuations. Il avait écrit peu de jours avant l'ou- verture de la campagne, le 7 avril 1823, il M. le duc d'Angoulôme pour le pré- munir contre les démarches et les spé- culations de M. Ouvrard, etconservait la lettre que le prince généralissime lui* avait faite le 13 avril, en réponse k cet avertissement méconnu. Lors des atta- ques diiipées contre le chef du Conseil, le prince l'autorisa à faire usage de cette lettre : « Non, Monseigneur, ré- pondit noblement Villèle, il en arrivera ce qui plaira a la Providence, mais je croirais commettre un crime envers la France si, pour me dégager d'une ac- cusation, quelque grave qu'elle pût être, je compromettais le nom de Monsei- gneur. » Le prince insista, mais sans vaincre la résistance du ministre, lequel ne laissa jamais échapper une seule parole qui put divulguer ce fait. {Notice sur M. de Villèle, etc., p, 130.)

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Le même jour, le baron de Damas passa du ministère de la guerre à celui des affaires étrangères, et fut remplacé par M. de Clermont- Tonnerre, qui eut pour successeur à la marine M. de Chabrol-Crouzol, administrateur éprouvé. M. le duc de Doudeauville succéda au maré- chal Lauriston comme ministre de la maison du roi. Ces changements maintenaient l'unité du ministère, mais ils ne lui prêtaient pas la force dont il avait surabondamment besoin pour résister aux attaques combinéesde l'opposition degauche et de la contre-opposition de droite. L'hostilité des journaux qui leur servaient d'organes avait redou- blé de violence depuis la retraite de M. de Chateaubriand, et la ma- gistrature, trompant l'espérance que le pouvoir avait mise en elle, répon- dait le plus souvent par une encou- rageante absolution aux poursuites du ministère public. Le cabinet songea à amortir cette action per- turbatrice par des manœuvres moins directes, et un fonds, que quelques évaluations portèrent à deux millions, fut consacré à cor- rompre ou à supprimer quelques- unes de ces feuilles. Mais ces ten- tatives, qui suscitèrent de nouvelles clameurs, vinrent se briser contre d'insurmontables résistances, et les ministres, se fondant « sur l'insuf- fisance des moyens de répression établis contre la presse » provo- quèrent, le lijaoùt, une ordonnance suspensive de la liberté des jour- naux (l). Cette mesure, à laquelle l'affaiblissement marqué de la santé du roi avait une part non avouée.

(I) Louis XVIII entrevit trop bien le présage de sa tin prochaine dans cette précaution niinistéi iolle, car il chargea expressément le comte de Villèle d'aller

excita une exaspération telle qu'au- cun homme de lettres ne voulut se charger personnellement des fonc- tions de censeur , lesquelles fu- rent confiées à une commission secrète, placée sousia présidence du directeur général de la police. Le vindicatif auteur du Génie da Chris- tianisme figura au premier rang des antagonistes du cabinet. La susceptibilité de l'opposition s'a- larma, quelques jours plus tard (20 août), de la création d'un mi- nistère des affaires ecclésiastiques, auquel fut appelé le sage et tolérant évêque d'Hermopolis. Cette excel- lente institution, que tous les ré- gimes postérieurs ont maintenue, fut représentée comme une conces- sion servile à l'esprit congréganiste. On ne manqua pas de rappeler îi cette occasion la ténacité récente et hautaine avec laquelle une par- tie de l'épiscopat avait repoussé la déclaration du clergé de 1682, comme base d'enseignement dans les écoles ecclésiastiques, et le gou- vernement ne réussit pas à tempé- rer cet impression par le choix qu'il fit du baron Cuvier pour la direc- tion des cultes dissidents. La mort du roi Louis XVIÏI (16 septembre) vint donner, pendant qut;lque temps du moins, un autre cours aux préoccupations des esprits. Re- marquable par la finesse et la lu- cidité de son intelligence, et par ce sentiment du caractère royal qui l'avait soutenu et grandi dans ses longues épreuves, Louis XVIII

l'annoncer à son frère. « Ah ! Villèle, quelle faute! » s'écria le futur héritier du trône. Mot remarquable par le dé- menti qu'il donne à l'opinion générale- ment accréditée que rien dcja ne se faisait plus que d'accord avec ce prince. {Notice sur M. de Villcley etc., p. 118.)

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conciliait, îi un haut degré, deux dispositions assez diverses: àsavoir l'orgueil inné de son titre et de ses prérogatives avec un besoin domi- nant de quiétude et de bien- être, qui le prédisposait natu- rellement à subir le joug du favo- ritisme. Livré longtemps à de vifs regrets par l'éloignement de M. Decazes, ce n'est que graduel- lement qu'il s'était abandonné à Viilèle, dont la haute raison, l'es- prit dépourvu de culture , mais plein de ressources et de dextérité, l'invariable modération, avaient fini par dissiper ses préventions contre le parti de l'extrême droite. En retour de ses témoignages de confiance, l'habile ministre avait répandu sur les derniers jours du vieux monarque une impression de paix et de sérénité qui préparait d'heureux auspices au nouveau règn3. Contre tant de prédictions sinistres, Charles X succéda sans opposition et sans secousse à ce frère dont ses imprudences avaient plus d'une fois contrarié le systè- me gouvernemental, et ce ne fut pas le moindre bienfait de l'admi- nistration du 14 décembre que ce rapprochement entre tous les mem- bres de la famille royale, opéré en vue de la Révolution menaçante, sur le terrain de la Charte consti- tutionnelle. « Le nouveau roi, dit un judicieux historien, n'étaitpoint un prince doué de génie, mais de sagesse et de bon sens; il avait la dignité de sa vieille race, avec l'a- menité qui lient à la grandeur. Apres avoir laissé aller sa jeunesse dans b;s plaisirs d'une société habituée aux vices comme à une partie de l'élégance, il avait été ramené au sérieux de la vie etkia la gravité des vertus. Mais son austérité était clémente ; sévère

envers lui-même , il n'avait retenu d'indulgence que pourlesautres(i)» Charles X estimait personnelle- ment le comte de Viilèle et s'était toujours montré plein de déférence pour ses avis. Mais le ministre, qui connaissait mieux que personne la droiture des intentions du prince, la loyauté chevaleresque de son caractère personnel, n'avait pas la même foi dans sa portée politi- que. Il n'ignorait pas que Charles X, sans conserver contre le système représentatif cet esprit de préven- tion et de défiance qu'il avait fait paraître dans les premiers temps de la Restauration, tenait au parti de l'émigration, dont il avait été le chef et le promoteur, par ces enga- gements qui entravent l'action du pouvoir et déconcertent les meil- leures combinaisons de ses con- seillers. Viilèle savait k quel point les affinités, les prétentions, les tendancesde l'ancien régime étaient antipathiques à la société nouvelle ; il redoutait les conflits que les exigences de certains courtisans de Charles X soulèveraient infail- liblement sous un règne que leurs illusions caressaient depuis long- temps comme l'idéal du régime contre-révolutionnaire. Il les re- doutait jusqu'à dire que les ses- sions les plus occupées et les plus difficiles étaient pour lui des ses- sions de repos, parce qu'au moms il voyait ses ennemis en face, tandis que dans les entr'actes de sessions il était attaqué par derrière (2). L'intention des deux chefs de l'an- cienne droite était donc de quitter le ministère à l'avénemeut du

(Ij Jlist. de France, par M. Lau- rentie, t. vuf, ch. 7.

(â) Souv. de la Reslaur., par M. Nettement.

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nouveau règne, et ils n'attendaient pour la réaliser sans dommage pour la royauté, que l'appel aux affaires de quelqu'un des conseil- lers intimes du successeur de Louis XVIII. Mais Charles X ayant déclaré qu'il voulait maintenir le cabinet que lui avait légué son frère (i;, Villèle et Corbière ne crurent pas devoir donner suite à leur résolution. Les premiers mois de rétablissement du nou- veau règne furent marqués par une impression d'espérance et de satisfaction dont nos annales modernes offrent peu d'exemples. L'ivresse populaire qui accueillit Charles X à sa rentrée à Paris, quatre jours après les obsèques de son frère, rappela les premiers transports d'allégresse qui avaient signalé le retour des Bourbons. « Le comte de Villèle, dit M. Guizot, profita avec un art infini de sa position près de Charles X pour mettre dans sa bouche une infinité de mots modérés, généreux, pro- pres à tempérer la réputation de fougue de son parti (2). » Toutes les opinions semblaient réconciliées, toutes les hostilités semblaient dé- sarmées; l'un des coryphées les plus ardents du parti libéral , cé- dant à l'entraînement général , se surprenait à crier Vive le Roi! et la presse révolutionnaire elle- même était réduite au silence de- vant celte chaleureuse récipro- cité de sentiments. Le frère de Louis XVIII répondit par des actes de clémence et de bonne politique à la cordialité de cet accueil. Des commutations de peines furent ac- cordées aux transfuges français

11) Notice sur M. de Villèle, p. 12:2. {"2) Mémoires j cfc, t. iv.

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condamnés pour avoir porté les armes contre la France lors de la guerre d'Espagne ; les déserteurs des armées de terre et de mer obtinrent une entière amnistie. Charles X voulut introduire un grand principe d'apaisement et de conciliation entre les deux bran- ches longtempsdivisées de sa propre famille, en accordant au duc d'Or- léans, à sa sœur et à ses enfants le titre d'Altesse royale que ce prince avait fait demander vaine- ment à la méfiance ombrageuse de Louis XVIII. La Faculté de droit de Grenoble, supprimée par suite de quelques troubles auxquels les élèves avaient pris part, fut rétablie, et de nombreuses promotions eu- rent lieu dans l'ordre civil et mili- taire. Mais de tous les actes de la bienvenue royale, aucun ne pro- duisit une sensation plus favorable que le rapport (29 septembre) de l'ordonnance qui avait rétabli la censure dans les derniers jours de la vie du feu roi. On vit avec sa- tisfaction le nouveau monarque s'abandonner généreusement à cette puissance formidable et capricieuse que le maitre de l'Europe n'avait osé affronter, et à laquelle les con- seillers de Charles X espéraient opposer avec fruit le contrepoids salutaire de la légitimité. L'excel- lent effet de ces mesures fut mal- heureusement affaibli par une ordonnance qui limitait à 150 lieu- tenants-généraux et à 300 maré- chaux de camp le cadre de iétat- major. Celte ordonnance, calquée sur les réformes économiques qu'a- vaient votées les Chambres, appelait il !a retraite un grand nombre d'officiers généraux, et Topposilioa fit remarquer avec amertume, mais avec raison, que la réforme attei- gnait surtout K-s mililairos des

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anciennes armées royalistes qui avaient leurs grades à la ren- trée des Bourbons. De nombreuses réclamations s'élevèrent; le mi- nistre de la guerre en accueillit plusieurs, et parmi les officiers- généraux favorisés, on remarqua le général Exelmans, Tun des enne- mis les plus actifs et les plus cons- tants de la Restauration. Depuis que le comte de Villèle avait abdi- qué toute idée de retraite du mi- nistère , une grande pensée le préoccupait tout entier ; celle de préparer le projet de loi destiné à indemniser les émigrés dont les biens avaient été confisqués en vertu des lois révolutionnaires. 11 voyait dans ce projet le triple avan- tage de fermer, par un grand acte d'équité, une des dernières plaies de la révolution, de faire disparaî- tre une inégalité fâcheuse entre les propriétés territoriales du même pays, et de tarir une source per- manente d'inquiétudes et d'irrita- tion f.iïire les partis. Villèle ne négligea rien pour concilier d'a- vance à celte mesure réparatrice, par d'imposants suffrages, l'assen- timent de l'opinion publique. Ce projet de loi, discuté dans le Con- seil des ministres, et dans des réunions d'hommes spéciaux, fut en outre communiquéaux membres les plus influents des deux Cham- bres, et le roi en annonça la pré- sentation dans son discours d'ou- verture de la session, le 22 décem- bre, en ajoutant que a ce grand acte de justice et de politique s'accomplirait sans entraîner au- cune augmentation d'impôts, sans nuire au crédit et sans retran- cher aucune partie des fonds des- tinés aux divers vservices publics.» Quehiue? jours après, le président du Conseil présenta à la Chambre

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des députés un projet de loi qui fixait à 25 millions le montant de la liste civile comme sous le règne précédent, et réduisait de deux mil- lions, par la suppression de la mai- son de Monsieur, le chiffre de la dotation affectée aux princes de la famille royale. L'article  de ce projet consacrait d'une manière ir- révocable la restitution faite en 1814 aux princes d'Orléans de l'apanage constitué à leur profit par les édits de 1661, 1672, et 1692. Cette in- tercalation avait pour but de sous- traire la clause additionnelle aux critiques du cOié droit de la Cham- bre qui, peu favorable en général à la maison d'Orléans , n'eût pro- bablement pas manqué de repous- ser, isolée, une disposition qui ten- dait à consolider son indépendance politique. Cette bienveillante pré- caution n'empêcha pas qu'elle ne fût en butt,e à de vives attaques. MM. Bazire, Bourdeau, Dudon et de La Bourdonnaye s'élevèrent avec force contre celte abrogation brusque et intempestive de la loi de 1791. Cependant, malgré l'adhé- sion formellement exprimée du côté gauche , dont le général Foy se rendit l'organe, l'article proposé, défendu avec force par les ministres des finances et de l'intérieur, réunit une assez grande majorité, que les instances personnelles de Charles X contribuèrent puissamment à déter- miner. On dit avec esprit, à celle occasion, que le ministère avait fail la contrebande dans les carros,ses de la cour. Les Chambres discutèrent successivement les projets de loi relatifs aux salines de lEst, aux communautés religieuse., et à la lépression du sacrilège. Ces deux derniers projets avaient subi l'é- preuve d'un débat à la Chambre des pairs, à la suite duquel le second

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avait été retiré comme incomplet, et l'autre rejeté à la majorité de deux voix seulement. Le ministère reproduisit le projet de loi sur les communautés de femmes avec des modilications graduées sur les ob- jections qu'il avait précédemment essuyées. IS'ulle congrégation de ce genre ne pouvait être admise qu'après la vérification et l'appro- bation de ses statuts par l'évèque diocésain et le conseil d'État; l'au- torisation était accordée par ordon- nance royale; les acceptations de donations, les acquisitions à titre onéreux et les aliénations de rentes ou d'immeubles étaient soumises à l'autorisation royale ; nul membre d'une congrégation autorisée ne pouvait disposer en sa faveur que d'un quart de ses biens; en cas d'extinction ou de suppression d'une communauté religieuse, les biens acquis à titre gratuit faisaient retour aux donateurs; ceux acquis à titre onéreux étaient attribués aux établissements hospitaliers ou ecclésiastiques du département. Le principal amendement proposé à la Chambre haute consista à récla- mer l'inteivention du pouvoir lé- gislatif pour l'établissement des communautés. Il fut combattu par le président du Conseil, qui objecta que la disposition ministérielle ne projugeait rien i)Our le mode d'au- torisation éventuelle des commu- nautés d'hommes ; mais cette expli- cation ne put prévenir l'adoption de l'amendement. Villèle défendit avec plus d'efficacité l'aUribulion faite au conseil d'Kiat du droit de véri- fication des statuts, et lit remarquer qiie ce conseil, quoique la Charte ne le compiil pas nommément au nombre de nos institutions, exer- çait déjà des prérogatives |)lus im- portantes encore que celle dont on

proposait de l'investir. En repré- sentant, le 4 janvier, ^ la Chambre des pairs le projet de loi sur le sa- crilège qui avait été retiré l'année précédente, M. de Peyronnet ex- pliqua que l'intention première du cabinet n'avait été que d'atteindre le sacrilège par cupidité, et qu'en étendant aujourd'hui les disposi- tions du projet, il ne faisait que céderaux réclamations nombreuses émanées de tous les points des deux Chambres pour combler, par la ré- pression du crime de profanation religieuse, un vide immense de notre législation actuelle. D'après le nouveau projet, ce qui était l'année dernière le principal deve- nait aujourd'hui l'accessoire , le sacrilège proprement dit était puni de mort; la môme peine atteignait en certains cas le vol sacrilège, au- quel, dans le plus grand nombre de circonstances, la loi décernait des peines temporaires et même simplementcorrectionnelles.Levice de ce projet était de menacer de rigueurs exorbitantes un attentat dont le ministre lui-même recon- naissait l'extrême rareté, et l'oppo- sition s'emparant habilement de cet aveu, signala la conception minis- térielle comme un sanglant hom- mage rendu à l'influence sacerdo- tale (.l),objetii'alarmessi exagérées, mais si générales. Ces considéra- lions réduisirent à quatre voix la majorité qui repoussa la subs- titution de la peine des travaux

{\) M. de Barantc, [La Vie polilique de Hoyer-Collard^l. ii, p. 212) racoutc que le jour oii le garde des sceaux piv- sci.ta ce projet de loi, un magistrat lui ayant témoigné quelque étoniiement de cette démarche : •< Nous soiiniies iieu- reux, lui répondit M. de Pcynuinel, d'avoir échappé à une loi contre le blasphème. »

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perpétuels à celle de mort pour le crime de sacrilège; mais le projet rencontra plus de faveur à la Chambre élective, dont la plupart professaient une répulsion outrée pourloutesleslracesque l'esprit phi- losophique et révolutionnaire avait laissées dans la société française, et la loi y fut accueillie à une forte majorité. Le président du Conseil fit j)reuve d'habileté en s'abslenant de prendre part à ce débat, dont le caractère, les tendances et le résultat fournirent, dans un siècle sceptique, de nouvelles armes aux ennemis de la Restauration (1). Toutes les préoccupations du comte deVillèle étaient alors concentrées dans le débat d'un projet de loi qui, après avoir quelque temps par- tagé fort injustement l'impopularité du précédent, a mérité depuis de prendre une place glorieuse dans la législation moderne de la France. Nous voulons parler de l'indemnité des émigrés. L'équitable idée de désintéresser ces victimes de la tyrannie révolutionnaire n'avait point échappé à Napoléon, consul et empereur. « Il y a en France, disait-il au conseil d'État en 1806, quarante mille émigrés sans moyens d'existence...; ils demandent la restitution de leurs biens ou une indemnité; il faudra bien un jour faire (juelque chose pour ceux à qui il ne reste que \0 mille francs de rente de cent qu'ils avaient au-

(1) La loi sur le fait de sacrilège proprement dit ne reçut aucune appli- cation et fut une des premières dispo- sitions qu'abrogea presque sans discus- sion la législature de 4830. Par une regrettable réaction, un amendement qui proposait d'assimiler les vols com- mis dans les églises a ceux (■(tmmisdans les maisons habitées, ne pût môme pas £tre accueilli.

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trefois... Les émigrés du dehors, ajoutait Napoléon, sont plus inté- ressants que les hommes de la même classe qui ne sont pas sor- tis; car ils ont eu le courage de faire alors la guerre, et de faire aujourd'hui la paix (1). » Mais l'Empire, absorbé par des guerres continuelles, avait passé sans ac- complir cette grande réparation, dont l'initiative appartenait natu- rellement au régime qui lui succé- dait. Dès les premiers moisde 1814, une loi fut proposée et votée pour remettre les anciens propriétaires en possession des biens non ven- dus, et, dans la séance du 3 décem- bre, un des chefs les plus illustres des armées impériales, le maréchal Macdonald demanda qu'une rente annuelle de 12 millions fiit inscrite au budget de 1816, pour être ap- pliquée aux émigrés dont les pro- priétés avaient été aliénées révo- lutionnairement. Cette proposition obtint une adhésion unanime à la Chambre des pairs, et tout faisait espérer qu'elle allait être convertie en projet de loi, lorsque l'événe- ment du 20 mars vint entrave rcette mesure de conciliation. La pensée d'une indemnité fut plusieurs fois reprise depuis lors et suspendue, soit par les embarras incessants que causaient au gouvernement les attaques des factions, soit par les sacrifices qui lui furent imposés par la guerre d'Espagne. L'heu- reuse issue de cette guerre, l'état prospère des finances et la tran- quillité relative du pays permet- taient enfin de songer sérieusement à réaliser ce grand acte de politique et d'équité, et M. de Martignac vint,

(t) Opinion de Napoléon, recueillie par un membre du conseil d'Mtatf p. 272.

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le 3 janTier i82o, exposer à la tri- bune de la Chambre des députés les motifs du projet de loi destiné à le consacrer. iM. de Martignac justifia ayer une noble simplicité le principe de réparation qui en faisait la base, et écarta le reproche de restreindre à une seule classe des victimes de la Révolution, l'in- demnité pécuniaire dont le minis- tère provoquait l'application. Parmi tous les maux qu'elle avait faits, la préférence du gouvernement envisageait les plus graves, les plus odieux, ceux dont l'origine consîiluait une atteinte aux droits les plus saints, et la trace une causepermanentede divisions etde haines; seuls, de tous les Français atteints par la spoliation révolu- tionnaire, les émigrés avaient tout perdu à la fois ; la confiscation lancée contre eux ne fut pas une peine établie, mais une vengeance exercée; il importait ({uun exem- ple mémorable apprit que les gran- desinjusticesdoivent avec le temps obtenir de grandes réparations. M. de Martignac entraitensuite dans quelques détails sur la partie ma- térielle du projet. Pour arriver à une évaluation fidèle du préjudice causé, le gouvernement avait cru devoir en général prendre pour base le revenu de 171)0, réguliè- rement constaté. Celte base d'esti- mation avait être modifiée pour les immeubles vendus antérieure- ment à la loi du 12 prairial an 111, et l'administration s'en était tenue, pour apprécier la valeurde ces im- meubles, au prix même d'adjudi- cation. Quoi qu'il en soit, le chiffra total de l'indemnité présumée s'é- levait Ik 987 millions et tant de francs, dont le gouverueinenl allouait l'équivaleui en rentes à 3 p. 1 00, en sollicitant l'aulorisation

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d'émettre, en conséquence, trente millions de rentes à ce taux, par cinquième, en cinq ans. Tels étaient l'esprit et l'économie du nouveau projetde loi, auquel la commission, par l'organe de M. Pardessus, ne fit subir que des modifications sans importance. Elle proposait d'appliquer l'excédant des 30 mil- lions de rentes à réparer les iné- galités inévitablement attachées au mode d'évaluation des immeu- bles, de restreindre au capital des créances les oppositions formées par les créanciers des indemni- taires, en réservant à ces derniers la faculté de se libérer par le trans- fert d'un capital égal au montant de la dette ; la commission pro- posait enfin de restituer les biens d'émigrés provisoirem:*nt aflfectés aux hospices, et, quant à ceux dé- finiiivement concédés, elle assu- jettissait l'ancien propriétaire ou ses ayants cause à conférer aux établissements détenteurs de ces biens une rente égale au revenu net de la propriété réclanire par eux. La discussion du projet de loi s'ouvrit, peu de jours après ce rapport, par un discours de M. Labbey de Pompières, qui l'attaqua sous le triple point de vue (le son piincipe,de son opportunité dans l'état obéré des finances et des esprits à l'intérieur du royau- me, et de son opposition aux pro- messes et à l'esprit de la Charte. Ce manifeste, danslequeU'orateur, soulevant les questions les plus irritantes, fit en termes amers le procès à l'cmigralion et ne crai- gnit point de défendre jusqu'au principe même de la confiscation politique, put faire pressentir com- bien le débat serait passionné, et k quel prix le ministère obtii-n. Irait le triomphe de sa proposition.

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M. de Lézardière, abordant ouver- lemenl, de son côté, i'apologie de rémigialion, qualifia de « décla- nijtioii appuyée sur le dogme usé de la souveraineté du peuple, » l'inculpation absolue de s'allier à l'étranger pour repousser de son pays l'oppression et l'anarchie, et rappela le récent exemple du ba- ron d'Eroles s'unissant à Tarmée de Louis XVlll pour rendre au roi d'Espagne son sceptre et sa liberté. Un des membres de la gau- che, M. Bastenèche, se fit remar- quer parla fermeté avec laquelle, heurtant de front les exagérations modernes de l'esprit militaire , il entreprit l'éloge du courage civil, celte qualité si estimable et si dé- daignée de nos jours. «Ces hom- mes, dit-il, qui portaient sur Té- chafaud la dignité de leur carac- tère d'honneur et de probité, qui, avant de sortir delà vie, lançaient sur leur passage ce noble dédain, celte explosion de mépris qui finit par exciter une salutaire compas- sion, le remords et jusqu'à la ter- reur dans l'ûme des terroristes eux-mêmes; c'est à cette classe de victimes et à l'indignation que provoqua leur belle contenance parmi la multitude jusque-là trop indiiférente, que l'on doit le châ- timent des assassins, la fin des massacres et le retour de l'ordre public. Ce n'est pas le courage militaire qui a seul contribué à nous sauver; c'est bien plus le courage civil qui, au dedans de la France, arrêta le torrent dévasta- teur, et qui le premier renversa \t monstre. Honorons avant tou- tes choses cette indomptable fer- meléde caractère, qui a ses racines dans l'âme, el qiii n'a p.is be; oin d'être excitée par la fermentation du sang et par la chaleur monien-

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lanée de quelque passion; le cou- rage civil est si rare parmi leâ hommes de notre époque, même dans cettp France féconde en toute autre espèce de courage et de dévouement ! » Exa^jéranl au niveau de ses passions personnelles le principe de réparation, M. de La Bourdonnaye accusa le projetd'ètre conçu « dans un système de dé- ception,» et lui reprocha de n'avoir pour objet que d'investir un seul homme du pouvoir immense et arbitraire de disposer sans respon- sabilité, sans surveillance et sans appel, de fortune publique com- me des fortunes privées. Deux au- tres orateurs de l'extrêmo droite, MM. de Beaumont et Bacot de Itomans compromirent le sort de la loi en lui reprochant l'insufll- sance de sa libéralité et la consé- cration implicite du préjudice de l'expropriation. Enfin, un troisième opinant, M. de Laurencin voulait qu'on obligeât les propriétaires ac- tuels de biens nationaux, à tenir compte de la plus-value que l'a- doption de l'indemnité procurerait néc'îssairement à leurs immeubles. Lej)résidentduConseilcompritrur- gente nécessité de retirer le débat de cette direction périlleuse, et dé- clara en termes formels que toute adhésion donnée par la Chambre à des amendements contraires h la Charte,entraîneraitle retrait immé- diatduprojetde loi. L'opposition se récria vivement contre cette me- nace; M. de La Bourdonnaye affecta d'y voir une atteinte grave aux convenances et aux droits de la Chambre; le minisire persista et la discussion continua. Le général Foy attaqua le projet de loi dans .son pi'ii;cipe ei dans ses consé- quences, mais avec plus de mesure et de dignité que les orateurs qui

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l'araient précédé. 11 contesta au projet ministériel le caractère de conciliation qu'on s'accordait gé- néralement à lui reconnaître, et signala rindemnilé proposée com- me ouvrant une ère de vexations incessantes contre les détenteurs actuels des propriétés nationales; pronostic dont l'avenir tint peu de compte, mais qui répandit dans l'assemblée une afçitation assez vive pour amener à la tribune le ministre promote;ir de la grande mesure qui soulevait tant d'oppo- sition. Villèle posa d'abord le principe immuable de l'irrévoca- bilité des ventes nationales, et dé- clara que tous les efforts qui ten- draient à les iîivalider échoueraient égalementdevanllesdeux Chambres et devant la puissance et la volonté royale. Il s'attacha ensuite à réfuter l'objection que l'indemnité était consentie au profit exclusif d'une seule classe et à démontrer que cetteconcession, quelquesoin qu'on prît pour lui donner une assiette équitable, serait évidemment infé- rieure à la valeur réelle du capital dont les émigrés avaient été dépos- sédés; puis, transiortant la question sur son véritable terrain/il présenta l'indemnité comme lecomplément naturel de la Restauration, comme une garantie donnée à tous contre le retour de la confiscation et des discordes civiles < dont elle était souvent le but et toujours raliment le plus actif. L'orateur affaiblit sans peine la valeur de l'assimila- tion qu'on sefforç.'iit d'établir avec les exemples nombreux de confis- cations exercées sous l'ancien ré- gime, €n rappelant (pie ces iniqui- tés n'avaient fait que des victimes particulières, tandis que la confis- cation révolutionnaire avait, par sa généralité, affecté ITvtat tout

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entier. Aux détracteurs acharnés de l'émigration de 1789, il répondit par un argument personnel qui produisit une assez vive sensation : « Les émigrés ont eu tort, dites- vous, de s'éloignerdusol brûlant de la Révolution; et que sont devenues des victimes désignées et néces- saires au mouvement révolution- naire qui n'ont pas émigré? Et si l'auguste monarque fondateur de la Charte, si le roi qui règne sur nous n'avaient pas émigré?... Sans l'émigration do nos princes, qu'aurions-nous eu en 48U et après lesCent-Jours à opposer aux armées de l'Europe établies dans la capitale? On n'asservit pas, on ne divise pas un État comme la France, je le sais et je le pense; nous aurions fini par rejeter l'étranger au dehors, je n'en fais aucun doute. Mais au prix de combien de sang, de com- bien de dévastations?... Notre af- franchissement de l'étranger sans convulsion et sans honte, nos libertés publiques, le retour de la paix générale, la prospérité et le bonheur dont nous jouissons, nous le devons à l'émiiiration (jui nouf a conservé nos princes. > Une dé- claration auâsi monarchique ne désarma point l'insistance passion- née de l'extrême droite. M. Du- plesBis-Grénédan s'éleva avec une ardeur excessive contre la nou- velle loi, qu'il accusa de commettre une iniquité nouvelle; l'avènement «eul du pouvoir légitime, dans son opinion, frappait de nullité les ventes nationales, cl l'article 0 de la Charte, en déclarant les prn- nrielés inviolables, devait être en- tendu des propriétés légilimenicnt acquises, etnon de celles qui avaient ("{é rolée.'i ; «la justice eU'intiTéide l'État, concluait le fougueux ora-

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leur.se dressaient contre cette spo- liation;les héritages vendusdevaient être appelés, comme le champ du potier //flfWdrtmrt, le prix du sang. Cette opinion, dont la Chambre refusa d'entendre les développe- ments, se résumait à demander pour les propriétaires dépossédés, non une indemnité, mais une resti- tution. Elle attira le lendemain à M . Duplessis-Grénédan une violente réplique du général Foy, qui se prononça énergiquement en faveur de la validité des ventes nationales et des droits des acquéreurs. « Lei l)0ssesseurs des biens nationaux, dit-il, sont presque tous les fils de ceux qui les ont achetés. Qu'ils se souviennent que, dans cette dis- cussion, leurs pères ont été appelés voleurs ei scélérats! Qu'ils sachent que transiger avec les anciens pro- priétaires, ce serait outrager la mémoire de leurs pères et com- mettre une véritable lâcheté. Et si l'on essayait de leur arracher par la violence les biens qu'ils possè- dent légalement, qu'ils se sou- viennent qu'ils ont pour eux le roi et la Charte, et qu'ils sont vingt contre un. » Trois autres opinants, -MM. Raudel-Mariinet, Martin de Villiers et Ferdinand de Berthier, en approuvant le principe de la loi, critiquèrent le mode d'exécution et de répartition, dont l'effet serait déconcentrer à Paris, dans le seul ministère des finances, quarante mille affaires, et de dévorer, pour beaucoup d'émigrés de province, le bienfait de l'indemnité. Dans un di.scours remarquable par l'espiit de conciliation, M. Alexis de Noailles exprima seulement le re- gret que radministralion n'eût pas adopté l'impôt actuel pour base (i'éraluation, cl que la répartition, n'eût |)as été confiée pour tous les

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déparlemenis à une commission tirée du sein des deux Chambres. M. Benjamin Constant, au contraire, attaqua avec vivacité le principe politique de l'émigration, et celte agression détermina une nouvelle réplique du ministre, qui déclara que le cabinet n'avait été entraîné ii sa proposition que par le senti- ment du devoir et r»Hat prospère du pays. Il assura que le sacrilice demandé n'exercerait aucune in- fluence défavorable sur la force du crédit ni, par conséquent, sur la sûreté extérieure et la dignité de la France, répondit à quelques objec- tions de détail sur le mode de li- quidation et les procédés d'exécu- tion de la loi, et la Chambre, après le résumé du rapporteur, passa à la discussion des articles. Elle ajouta 'A l'article 1" un paragraphe qui déclarait l'indemnité définitive, et modifia la disposition suivante en adoptant comme base d'esti- mation, pour les biens compris dans la premièrecalégorie, dix-huit fois au lieu de vingt fois le revenu de 4790. Parmi les autres amende- ments adoptés par la Chambre, on remarqua celui qui prescrivait la distribution annuelle aux Cham- bres des états détaillés de liquida- tion, un autre qui abaissait pen- dant cinq ans, au taux fixe de trois francs, le droit d'enregistrement des actes de rétrocession des biens confisqués entre les possesseurs actuels et les anciens propriétaires ou leurs héritiers. Ce dernieramen- demeiit, combattu avec chaleur par MM. Foy ft Benjamin Constant, comme offrant un encouragement indirect à réintégrer les émigrés dépossédés, comme une proposi- tion qui « démasquait le véritable caractère de la loi d'indemnité, » fut admis à une forte majorité. Les

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ministres s'abstinrent de prendre pari au vole. LVnsemble du projet réunit 239 voix contre 424. Le chiffre élevé de celte minorité s'expliquait par l'excès déraison- nable des prétentions et des doc- trines de l'extrême droite, dont l'impolilique eût gravement com- promis le but de la loi, sans la prudence et la fermeté du minis- tère. Le lendemain même, la réso- lution de la Chambre élective fut porlée à la Chambre des pairs par le président du Conseil, et M. le comte deVaublanc, l'un des com- missaires du gouvernement, en exposa de nouveau les motifs. Il insista d'une manière particulière sur l'amendement qui avait pour but de faciliter, par la réduction du droit d'enregistrement, les tran- sactions entre les anciens et les nouveaux propriétaires : « Aucune contrainte matérielle ni morale, dit-il à celte occasion, ne peut ni ne doit résulter de l'exception proposée. » Le ton général de son discours fut également conciliant. « La France entière , conclut M. de Vaublanc, connaît le senti- ment pieux et paternel qui inspira au roi qu'elle pleure la résolution qui s'txécule aujourd'hui. Le be- soin de réparer une grande injus- tice et le désir peut-être plus pres- sant encore de dissiper toutes les inquiétudes, d'éteindre tous les souvt^nirs amers, de ramener, de reunir, de réconcilier, ti*' fut son but; tel est aujourd'hui l'esprit qui anime l'héritier de son pouvoir et de ses atlections. i Le 6 avril, M. le comte Porialis, oij^ane de la commission de la haute Cham- bre, lut un remiircjuable rapport, il s'attacha surtout a dissiper les alarmes de^ possesseurs actuels des biens vendus révolutionnairemenl.

Tel était aussi l'esprit du principal amendement proposé par la com- mission, lequel tendait à valider toutes les décisions aniérieures de la justice ou de l'administration touchant les biens ou les droits spécifiés dans la loi proposée. M. Portails termina son rapport eu adressant « à la mémoire du dernier roi et à son auguste successeur le témoignage de la reconnaissance publique pour une loi qui portait le double caractère d'un acte de conciliation et d'un actede justice.» M. le duc de Broglie, qui repous- saitlaloi,seprévalut habilement des amendemenlsqui en avaient changé le principe, et prélendit que, dès que l'indemnité était considérée comme une dette, elle devait re- monter au temps de la déposses- sion, et que riniérèt était comme le capital; l'indemnité offerte coub- lituait une espèce de fonds d'amor- tissement concédé aux émigrés pour racheter des biens dont la loi même dépréciait la valeur; elle impliquait la reconnaissance des doctrines de l'émigration et soulè- verait les esprits au lieu de les cal- mer. M. de Chateaubriand défen- dit avec chaleur, au contiaire , la cause des émigrés, et se prononça même assez ouvertement en faveur de la loi. Mais il criticiua amère- ment les détails du projet et l'ac- cusa de reposer sur des fictions propres à en atténuer le bienfait, telles que l'infériorilé des évalua- tions, l'absence d'hypothèque du milliard alloue, lequel, dans son opinion, ne devait pas excéder un cliitlre de 531 raillions à partager eulre les coinléressés ; il reprocha à l'ancienne propriété de la France de ressusciter en papier, et it la conception ministérielle d'échanger des biens nalionaux contre des

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bons nationaux qui seraient bientôt ntteints de la défaveur dont celte épithète a frappé les propriétés qu'ils représentent. « Il serait dur, conclut-il, que la Providence eût ébranlé le monde, précipité soui le glaive l'héritier de tant de rois, conduit nos armées de Cadix à Moscou, amené à Paris les peuples du Caucase, rétabli deux fois le roi légitime, enchaîné Bonaparte sur un rocher, et tout cela afin de prendre par la main quelques obs- curs étrangers qui viendraient ex- ploiter à leur profit une loi de jus- tice et faire de l'or avec les débris de notre gloire et de nos libertés.» MM. Cornudet, Mole, le duc de Choiseulel de Barante combattirent à divers points de vue l'esprii de la proposition ministérielle, dont MM. de Marcellus,de Malleville, Villefranche et de Bouald se cons- tituèrent hautement les défenseurs, et ce dernier, exagérant par l'ex- pression les doctrines développées dans l'autre Chambre, voulut con- sidérerl'indemnité comme « une me- sure de grâce » pour les acquéreurs. Le président du Conseil entreprit de répondre à la fois à toutes ces objections; mais il s'attacha sur- tout à écarter les reproches for- mulés par M. de Chateaubriand contre les fondements du pro- jet de loi et à démontrer que les données d'évaluatioFi proposées étaient les plus rapprochées de la valeur réelle des propriétés, les seules admissibles, puisque la discussion n'avait fourni aucun autre système sérieux d'estimation ni dans les Chambres, ni en dehors des Chambres. Quant aux rentes ^ 3 p. iOO, qu'on affectait de consi- dérer comme une valeur fictive, il n'était pas douteux qu'elles ne prissent une existence réelle aus-

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siiut que la loi aurait été promul- guée. Le ministre fit observer que l'émission d'une quantité' de rentes aussi considérable que celle qui était réprésentée par un capital d'un milliard, entraînait dans notre système financier des combinai- sons telles que le meilleur moyen d'éviter toute confusion était d'af- fecter à ce service un effet d'une espèce différente, en lui appliquant toute la puissance de l'amortisse- ment, afin d'en accélérer le rem" boursemeut sans trop augmenter les charges des contribuables; par ce moyen, ajoulait-il, on parvien- drait, sans nuire à la force du cré- dit, i racheter, dans le cours de cinq ans, la moitié des rentes émi- ses; que si, durant ce laps de temps, des circonstances extraordinaires amenaient d'autres besoins, on trouverait dans le crédit combiné avec l'extension de l'amortissement toutes les ressources nécessaires pour que l'opération ne fût ni en- travée ni suspendue. Le comte de Villèle combattit énergiquement d'ailleurs toute idée de substituer le 5 p. 100 au 3 p. iOO comme fonds d'indemnité, ou de prélever dans cet objet 30 millions sur la dotation actuelle de l'amortisse- ment; la conséquence infaillible d'une telle mesure serait d'abais- ser ces valeurs à un taux qui ré- duirait de beaucoup le capital ac- cordé aux indemnisés; elle con- damnerait les contribuables à sup- porter directement toutes les char- ges que pourraient entraîner des circonstances extraordinaires, et, en forçant la France k renoncer pour l'avenir ^ toute réduction d'intérêt, elle la placerait dans une infériorité fâcheuse à l'égard des autres puissances. Malgré une ré- pulsion aussi catégorique, M. Roy

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reprit et soutint l'amendement qui tendait à la substitution [iressenlie, et prétendit qu'elle aitribuerait aux indemnisés un avantage supérieur à celui qui résultait de l'économie de la loi. Le ministre s'éleva avec une nouvelle énergie contre cet amendement, et rappela à cette oc- casion que le premier exemple d'un emprunt souscrit avec concurrence et publicité appartenait à l'admi- nistration actuelle, qui avait par Ik porté une atteinte salutaire au fléau de l'agiotage; la proposition dé- battue ébranlait le crédit en dimi- nuant l'amortissement, tandis que le projet de loi laissait au crédit toute sa puissance. « Vainement, ob- jectait en finissant le ministre, op- pose-t-on l'exemple de rAngl«î- terre : elle n'a diminué l'amortis- sement qu'après t-u. avoir tiré tous les fruits qu'elle pouvait en atten- dre ; la France n'en est pas encore à ce point; en mutilant la dotation de son amortissement, elle fixe in- variablement* l'intérêt de sa dette publique et s'interdit toute faculté d'emprunter à un taux plus mo- déré.» Ces considérations, dévelop- pées par le président du Conseil avec autant de compétence que de lucidité, entraînèrent, mais k une faible majorité, le rejet de l'amen- dement de M. Roy, et la loi, sauvée de cet écut'il, le plus grave peut- être qui eût menacé son existence, réunit, le 20 avril, 139 voix contre 63. Il s'agissait maintenant de réa- liser aux meilleures conditions pos- sibles pour le Trésor public et les contribuables, la grande réparation qu'elle venait de consacrer. Le président du Conseily avait pourvu par la présentation d'un projet de loi qui introduisait dans la dette publique la création des rentes à 3 p. 100, avec l'intention déclar^

d'affecter ce nouveau fonds au ser- vice de l'indemnité proposée. Ce projet de loi fut porté à la Cham- iDre des députés, le 3 janvier, parle comte de Villèle lui-même, qui en développa longuement les motifs. Après avoir énoncé les considéra- tions déjà connues, qui ne permet- taient pas de toucht^r à la dotation de l'amortissement, le ministre ex- posa que le gouvernement s'était arrêté à une combinaison mixte qui appellerait les fonds généraux à servir les intérêts des nouvelles rentes, et qui laisserait à la caisse d'amortissement la charge de pour- voir au service de l'autre partie des intérêts, et le moyen de ra- cheter annuellement la moitié des rentes affectées à l'indemnité. On espérait amortir ou racheter ainsi, chaque année, 3 millions de rentes à 3 p. 100, et l'on se flattait que l'augmentation progressive des pro- duits suffirait pour acquitter les 3 autres millions affectés au paie- ment de l'indemnité. L'article 4 du projet constituait la différence essentielle de cette combinaison avec celle qui avait échoué l'année précédente: les porteurs d'inscrip- tions de rentes à 5 p. 100 avaient la faculté de faire convertir leurs litres en inscriptions de rentes 3 p. 100 au taux de 75; et, jus- qu'au 22 septembre, celle de re- quérir cette conversion en 4 J/2 p. 100 au pair, avec garantie de toutreniboursementjusiju'au 22 sep- tembre 1833. Il y avait lieu de supposer que les créanciers de l'État se prêteraient à ce sacrifice d'intérêts par la perspective de l'ajgmentation de leur capital, et l'intention du gouvernement était d'appliquer, dès l'année 1826, le bénéfice de cette réduction d'inté- rêts, évalué à 30 millions, 2i la di-

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niinulion des contributions direc- tes, en proportion du soulagement (jue le Trésor éprouver*»it par l'a- doucissement graduel du service des intérêts de la dette publique. La commission nommée par la Chambre donna un plein assenti- ment au projet ministériel; elle en outra même les conséquences à quelques égards, et lit remarquer surtout la différence tranchée qui existait entre la proposition primi- tive d'une conversion obligée de la part des rentiers, et d'une con- version facultative qui leur était demandée, et dont le désavantage était atténué par la sollicitude que respiraient toutes les dispositions de la nouvelle loi. La commission se prononça catégoriquement , d'ailleurs, pour le maintien inté- gral de la dotation du fonds d'a- mortissement, et produisit à l'ap- pui des affirmations du ministre des calculs qui établissaient qu'en dépouillant l'amortissement de 30 millions, son action s'atl'aiblirait dans une proportion double de celle qu'amènerait l'augmentation de la dette. La discussion s'ouvrit le il mars. La proposition minis- térielle fut très - sérieusement attaquée par M . Bourdeau, qui . dans un discours fort étendu, eu repassa successivement toutes les disposi- tions, et porta sur leur ensemble un jugement sévère. 11 accusa la loi d'être moins claire et moins franche que le projet de 1824, d'exercer une violence morale sur la conversion de la renie, de favoriser raj.4olage dans d'elfrayan- tes proporiions, et de porter un préjudice considérable aux intérêts du Trésor. Le résultat de la pro- position sera indubitablement de déobaigcr la dette [jublique , dit l'orateur, de 28 millions d'intérêts;

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mais le capital s'élèvera de deux cents millions, et, au lieu d'étein- dre la dette actuelle en 22 ans, il faudra plus de 43 ans pour amortir la dette convertie. Les mêmes ob- jections furent développées avec chaleur dans la séance du lende- main par M. Ferdinand deBerthier, qui contesta sans exception tous les avantages dont le gouverne- ment et la commission avaient présenté la perspective. Le minis- tère ne pouvait garder le silence en face d'une contradiction aussi puissante, quelque inégale que fût d'ailleurs la valeur des arguments employés par ses adversaires. Le président du Conseil combattit l'objection déjà réfutée sur le taux actuel de l'argent, et fit remarquer que puisque l'option était désor- mais facultative de la part des rentiers, il n'y aurait pas de con- version, si l'intérêt n'était pas in- férieur au cours de 5 pour 100. Mais ce qui démontrait l'infériorité de cet intérêt, c'était le maintien de la rente au-dessus du pair, mal- gré la crainte du remboursement. Le ministre reconnut le fondement des reproches adressés au déve- loppement de l'agiotage, mais il contesta que la rente favorisât plus que toute autre valeur ce dévelop- pement, qu'il fallait tout simple- ment attribuer à « la rage de cu- pidité » dont la société entière était tourmentée. «Cet agiotage, continuait-il, est un mal auquel vous ne porterez pas remède par des o ou des 3 pour cent. « Vous ne te déracinerez quen travaillant à épurer les viœurs, en faisant en sorte que l'argent ne soit pas tout dans te pays, cnptaçani au-dessus de ta for- tune quelque chose qui attire plus quelle la considération ci, tes désirs.» Lii des griefs les plus vifs articulés

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par ropposition contre le .projet ministériel, fut de prétendre qu'il n'avait été conçu que pour sauver de la ruine à laquelle elles se trouvaient exposées les compagnies financières, qui l'année précédente avaient prèle leur concours au plan de remboursement, et qui, en vue de celte entreprise colossale, s'é- taient chargées d'une masse de rentes 5 pour cent, dont elles sol- licitaient l'écoulemenl. Cette ob- jection personnelle fut développée avec beaucoup de chaleur et d'in- sistance par MM. Casimir Périer et Dudon, et surtoui par M. Berlin de Vaux, qui résuma son discours parcelle conclusion piquante: «Si la loi passe, on sortira de cet em- barras non-seulement sans perle, mais avec bénéfice ; si elle est re- jelée, que voulez-vous que je vous dise? Le deuil sera dans Jérusa- lem. » Ces révélations, dont la gra- vité ne pouvait èire méconnue, n'exercèrent, comme on le verra plus lard, aucune influence sur le sort de la loi, et. après ces dé- bats généraux sur l'ensemble du projet , on passa à ia discussion des articles. Le ministre repoussa avec force un amendement de M. Boucher qui proposait de ré- duire ii la dotation primitive de 40 millions le fonds d'amortisse- ment destine au rachat des renies 5 pour cent, et d'appliquer le sur- plus partie au rachat de 3U mil- lions de renies pour l'indemnité des émigrés, partie à la réduction du montant des contributions publi- ques. Un seul amendement pré- valut, avec l'appui du ministre: ce fut celui de M. Pavy, qui établissait des conditions de publicité tt de concurrence pour les achats de la caisse d'amortissement. L'ensemble de la loi passa à une majorité

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118 voix, et le président du Conseil porta aussiiot cette résolution à la Chambre des pairs, en faisant res- sortir le caractère des ditférences qu'elle présentait avec le projet que la noble Chambre avait écarté l'année précédente. «Nous avons, dit -il, substitué une conversion libre et facultative à une combi- naison unique qui entraînait la diminution d'un cinquième des intérêts... Cette réduction est limi- tée aujourd'hui à un dixième, et donne une garantie de dix ans contre une nouvelle réduction. Nous avons remis à l'avenir et à des mesures nécessairement gra- duelles et divisées en plusieurs années l'exercice du droit de rem- boursement, si la faculté de con- version n'offrait pas des résultats tels qu'il nous soit permis d'y re- noncer complètement.... Enfin, la réduction aura lieu sans l'inter- médiaire d'aucune compagnie fi- nancière, j)ar conséquent sans la crainte d'agioiage qu'inspirait l'ap- parition de nouvelles valeurs entre les mainsde capitalistes réunis dans un iniérét commun... Vous appré- cierez à leur juste valeur, disaiten terminant le minisire, les contra- dictions des adversaires du projet de loi et les vues du gouverne- ment... Vous consullerez la loi du crédit public dans les autres pays, et vous jugerez si celui de la France, après tous les sacrifices qu'elle a laits pour le fonder, et qu'elle continue pour le soutenir, ne vous autorise pas , ne vous commande pas même de chercher à en rendre les conditions moins pesantes aux contribuables, moins contraires aux iulcrèts agricoles, commerciaux et industriels du pays. » La commission nommée pour l'examen du projet en pro-

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posa l'adoption sans amendement, par rorg;ane du duc de Lévis. Le noble pair rappela que la répulsion de la Chambre, Tannée précédente, s'était moins adressée au principe incontestable du droit de rembour- sement, qu'aux moyens d'exécu- tion, qui avaient paru peu d'accord avec les formes du gouvernement représentatif. Pour répondre au reproche fait au nouveau projet d'entraîner l'augmentation du ca- pital de la dette publique, le duc de Lévis invoqua raulorité du cé- lèbre géomètre Laplace, qui, par un calcul irréfutable, établissait que chaque rente acquise par la caisse d'amortissement rendrait à l'État, par sa réduction de 5 à 4 pour cent, plus que l'excédant de capital qui était soldé par la caisse, et qu'en dirigeant convenablement l'artiou de l'amortissement, le gou- vernement pouvait, dans tous les cas, conserver une partie considé- rable du bénéfice de la réduc- tion de la rente. Ces recomman- dations ne mirent point le pro- jet à l'abri de nouvelles attaques. M. Roy combattit par une suite de calculs et de raisonnements plus ou moins spécieux l'emploi médité de l'amortissement, et posa en fait que l'augmentation du ca- pital de la dette rendrait le rem- boursement impossible. M. de Ker- gorlay considéra le refus du mi- nistère de s'expliquer sur l'action de l'amortissement par rapport au Ij p. 4 00. comme une menace desti- née a forcer les délenteurs à cette conversion qu'il leur présentait comme f;icullative. Mais l'adver- saire le ])liis ardent du nouveau projet fut M. de Chateaubriand, qui blâma amèrement le cabinet de venir demander la convprsion des rentes à la première session d'un

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nouveau règne, et dans l'état d'in- certitude où flottaient les limites, les inslituUons, les principes de la société europ'^enne. L'éloquent écri- vain fit apparaître aux yeux des ren- tiers et des contribuables la pers- pective alarmante du système de Law et des réductions de l'abbé Terray, et conjura les dépositaires du pouvoir « de ne pas dédaigner des prévoyances salutaires parce qu'elles leur sembleraient sortir d'une bouche suspecte, » Le comte de Villèle répondit à ces appréhen- sions par un discours dans lequel il s'efforça de restituer au projet son véritable caractère, et déclara qi>e la Chambre, en l'adoptant, «ne compromettrait ni la paix intérieure ni la sûreté extérieure de la France. » Les derniers débats s'é- tablirent sur un amendement du comte Mollien, qui demandait que le fonds d'amortissement fût appli- qué, par une disposition spéciale,, aux fonds publics constitués en 5, en 4 1/2 et en 3 p. 100, proportion- nellement à la portion qu'il repré- senterait dans le capital total de la dette publique. Le ministre des finances admit en principe le par- tage réclamé, mais il soutint que le but de l'amendement était at- teint plus complètement dans la disposition du projet. Elle ne con- tenait aucune exclusion, et l'indé- pendance de la direction de la caisse d'amortissement ne permet- tait pas de supposer qu'elle |)ût favoriser l'agiotage ou les spécula- tions de quelques maisons de ban- que, de préférence aux intérêts généraux de l'Ktat. L'amendement de M. Koy fut rejeté à une faible majorité, et la loi, affranchie de ce dernier obstacle, passa k L'U voix contre 02. Ainsi se termina cette longue et épi neu.se discussion qui

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conslilue, avec celle de l'année précédente et le débat de la loi d'indemnité, une trilogie parlemen- taire à laquelle nous avons con- sacrer quelques dt-tails, soità cause de l'importance des questions qui y furent débattues, soit à raison du talent incontestable que Villèle y déploya. Quand on parcourt au- jourd'hui les phases diverses de ces mémorables délibérations, il est difficile de n'être point frappé de celte droiture et de cette sûreté de dialectique que ne déconcertent ni les chicanes les plus spécieuses ni les attaques les plus vives, de cette lucidité de perception qui éclaire les points les plus obscurs des questions les plus arides, enfin de cette fécondité de ressources qui ne laisse jamais l'orateur au dé- pourvu, et qui témoigne combien le mouvement de son intelligence avait été activement stimulé par le contact des affaires publiques. Mais l'événement ne justifia que très- imparfaitement les prévisions finan- cières de Villèle. Le 5 p. 100, alors au-dessus du pair, au lieu de s'é- lever comme il l'avait espéré, tomba par une décroissance continue à 99 fr. 50 c, et ce discrédit boule- versa tout le succès d'une concep- tion essentiellement fondée sur la faculté d'appliquer au nouveau fonds, à l'exclusion de tout autre, la puissance de l'amortissement. Le 3 p. 100, de son côté, subit une baisse de 4 francs (i). Vainement le ministre déploya toute son in- dustrie, toutes les ressources même de son autorité pour lutter contre

(1) Cette dcpréciation ne fut que pas- sagère. Cinq ans plus tard, W 3 p. 100, confornit^mcnt aux espérances du mi- nistre, atteignait le taux élevé de 86 fr.

celte dépréciation; vainementcons- titua-t-il une association des rece- veurs généraux de soixante-dii- huit départements dans l'objet spé- cial de soutenir, par dos opérations appropriées « de banque et de finance, » le crédit des deux va- leurs. Ces efforts ne purent arrêter la baisse des nouveaux titre». L'opposition mit en œuvre tous les moyens dont elle put disposer pour entraver l'effet des combinaisons ministérielles. Elle fut puissamment secondée, d'ailleurs, par l'état de gène qu'avaient amené sur la place de Londres les entreprises exagé- rées auxquelles ces opulents insu- laires t'étaient livrés dans les co- lonies espagnoles insurgées, et qui détournèrent leurs capitaux de l'emploi qu'aurait pu leur fournir la réduction de ia dette française. La conversion facultative, contra- riée par ces obstacles, produisit néanmoins un dégrèvement annuel de plus de 6 millions dans les charges du pays. Mais les rentier? perdirent un cinquième de leur revenu sans aucun accroissement de leur capital : résultat regretta- ble, sans doute, et qu'on ne sau- rait, toutefois, mettre en balance avec les bienfaits politiques de la grande et belle loi dont l'adminis- tration de Villèle avait doté U France. La discussion du bud- get de <826 présenta à la Chambre des députés un intérêt assez mar- qué. Le crédit demandé excédait de 16,571,319 fr. celui qui avait été alloué en 1825. Le ministre des finances expliqua que cette aug- mentation portait principalement sur le budgetde la dette consolidée régie en prévision du payement de l'indemnité qui serait votée en fa- veur des émigrés, de celui du mi- nistère de la justice, les frais de

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justice criminelle n'avaient été soldés jusqu'ici qu'au moyen de crédits supplémentaires, et qui re- cevait maintenant une allocation fixe et déterminée, enfin du budget des affaires ecclésiastiques, figu- rait la création de quatre cents nouvelles succursales et de six cent soixante-quinze bourses dans les séminaires , etc. Villèle constata que, même avec ces augmentations, et bien que la plupart des services eussent reçu une dotation supé- rieure à celle de ^82^ (i), le budget, amélioré par un grand nombre de réformes sagement en- tendues, présentait un excédant de recettes de 8 millions, même sans tenir compte « de l'accroissement probable de prospérité nationale, d'activité et de richesse indi- Tiduelle dont les accroissements progressifs des reyenus publics étaient la conséquence et la dé- monstration. » La faveur de celte situation, c-onûrmée par les rappor- teurs de la Cliambre, ne préserva point l'ensemble du système gou- vernemental des vives critiques de la double opposition. M. Bacol de Komans s'éleva contre la cen- tralisation, et censura amèrement cette partialité dans la distribution des emplois publics qui fut et sera dans tous les temps la plaie de l'administration française. M. Lâb- bey de Pompières affirma que la prétendue prospérité de l'Etat n'é- tait u que dans la bouffissure d'un

(1) Parmi ces améliorations, on re- marquait l'abaiidoii de 3 millions de retenues établies sur les traitements, un dcgrévemciit de 13,500,000 fr. sur la conlribulioii foncière, une augmen- tation de (>31,7io Ir. sur les traite- ments des magistrats de première iis- taiice, etc.

crédit que la secousse la plus lé- gère faisait chanceler. » Le géné- ral Foy, prenant ombrage d'un voyage accidentel que M. le prince de Mellernich venait de faire à Paris, insinua qu'il se rattachait au bruit de certaines tentatives dirigées contre nos libertés pu- bliques. Le président du Conseil lui répondit que nos formes gou- vernementales était respectées de <out le monde, que jamaisla liberté de la presse n'avait joui d'une pareille latitude, et que ceux qui réclamaient le plus vivement l'u- sage de cette liberté étaient ceux qui semblaient travailler avec le plus d'ardeur à la faire craindre de la société entière. Villèle réfuta avec la même autorité un autre grief du même orateur, qui repro- chait au ministère de n'avoir pas retire de l'expédition d'Espagne l'avantage de remplacer l'inlluence anglaise dans les colonies espa- gnoles; il fit remarquer que l'ins- tallation de cette influence était un des fruits de la déplorable guerre de 4808, et que tous les etîorls du gouvernement royal tendaient à participer avec la Grande-Bretagne au commerce de ces colonies ; que pour obtenir davantage il eût fallu, à son exemple,reconnaitre leur in- dépendance, mais que l'honneur in- terdisait celte démarche au chef de la maison dont un membre était assis sur le Irone d'Espagne. La loi de finances réunit, sur 339 votants, 286 sutfragcs, et fut adop- tée à lu presque unanimité par la Chambre des pairs. Le sacre de Charles X suivit de près la clô- ture de la session législative. Cette imposante consécration avait man- qué à Louis XVIII, confiné dans son palais par de douloureuses infirmités. Son successeur voulut

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lui rendre le caractère de pompe et de dignité qu'elle avait depuis longtemps cessé d'offrir. Une com- inission présidée par le comte de Villèle fut chargée de régler les détnils de la cérémonie; d'habiles architectes furent envoyés à Reims pour restaurer Tanlique basilique qui, depuis Clovis, avait conservé le privilège de recevoir le sermeni des rois de France. Les chroniques contemporaines ont recueilli les détails de cette majestueuse so- lennité, où toutes les pompes de la religion chrétienne s'unirent aux prestiges de l'art pour régé- nérer aux yeux des peuples cette royauté qu'un quart de siècle à peine, séparait de tant d'humilia- tions et d'outrages. Charles X reçut, dans la journée du 30 mai, les chevaliers nouvellement pro- mus dans l'ordre du Saint-Esprit. Le hasard appela simultanément au pied du trône le comte de Villèle et le vicomte de Chateau- briand. Ce dernier avait essayé de ménager son retour aux affaires par un écrit vivement monar- chique, sur la solennité du sacre; mais il n'obtint de Charles X que quelquesparoles courtoises, et cette circonstance ne changea rien à ses rapports envers son ancien collè- gue, nienvers la cour. Larentréedu roi à Paris excita moins d'enthou- siasme que sa première apparition dans la (•a[)itale après la mort de Louis XVIIL Cette circonstance fut expliquée soit par la mobilité trop connue des impressions du peuple parisien, soit par l'espèce d'ombrage que lui avait inspiré la préférence traditionnelle donnée U la ville de Reims pour une cérémonie qui af- fectait également sa curiosité et ses intérêts. Toujours prêt à déverser rinsulte et le sarcasme sur !< s cho-

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ses les plus augustes, le poète Bé- ranger, dans sa verve impie, n'é- pargna ni le cérémonial de Reims, ni les vertus du monarque qui l'a- vait inauguré. Mais cette période d'éclat et de clémence inspira à MM. de Lamartine et Victor Hugo, des cantates pleines de senti- ment et d'élévation. Un incident fâcheux vint témoigner toutefois de l'affaiblissement progressif de l'esprit conservateurdans les hautes sphères de la société. Deux jour- naux bien connus pour la tendance irréligieuse de leur doctrines, le Constitutionneleik Courrier Français furent traduits sous cette préven- tion devant la cour royale de Paris. MM.Dupinei Mérilhou, chargés de la défense, soutinrent que ces feuilles n'avaient attaqué que les abus qui déshonoraient la religion, et que leurs agressions n'étaient dirigées que contre l'introduction illicite d'ordres religieux dont l'existence menaçait l'indépen- dance du trône et des liliertés publiques. Docile en cette circons- tance, comme en tant d'autres, au courant des idées, sensible peut- êlre à l'ambition de ressaisir ce rôle d'athlèie deslibertés gallicanes qui avait appartenu aux parle- ments, la cour acquitta les deux journaux (3 et 5 déc.} et se borna ingénument à recommander plus de circonspection à leurs rédac- teurs. Ce résultat, dont les consé- quences se développèrent succes- sivement, excita une grande sensation. La mort du général Foy fournit au pouvoir un autre ensei- gnement. L'éloquent orateur ne laissait d'autre patrimoine qu'un nom honorable et le souvenir d'un talent plein d'éclat, parfaitement assorti surtout à ce mélange d'i- dées impérialistes et libérales qui

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constituait pour lors le thème d'une partie notable de l'opposition. Une souscription ouverte pour élever un mouumentàsa mémoire et pour assurer à sa famille une existeiice convenable, s'éleva rapidement à un million. Ses funérailles, qu'es- corta une foule innombrable, eurent également lieu aux frais de la mu- nificence publique. On remarqua que M. le duc d'Orléans qui, par la médiation de Charles X lui- même (1), avait été compris pour un chiffre très-élevé dans l'indem- nité accordée aux émigrés, sous- crivit personnellemcni pour une somme de dix mille francs. La mort du czar Alexandre, qui survint à cette époque (1" déc), n'exerça aucune influence sur notre politi- que extérieure. Ce prince s'était montré en 1814 peu favorable au rappel des Bourbons; mais il n'a- vait pu contrarier le seul vœu qui eût été formé en cette circonstance par les classes indépendantes du pays, le seul aussi que l'exclusion de la dynastie napoléonienne per- mît raisonnablement de conce- voir (2). La France n'avait pa«

(1) Il régnait encore à cette époque une certaine confusion dans la liquida- tion non achevée de l-i fortune de M. le duc d'Orléans, ce qui entraînait quel- que incertitude dans la lixation de sa part d'indemnité. Ce prince s'adressa à Charles X lui-même, qui lit rendre au conseil d'Etat un avis favorable aux intérêts de son cousin, par suite du- quel, contre l'opinion du comte de Viilèlc , son indemnité fut réglée dans un sens conforme aux prétentions qu'il avait élevées. Sa pari fut de dix-sept millions.

(2) Personne n'ignore que lorsqu'à la seconde invHj^ion dis étrangfirs en 1815, Lafayetlc, Voyer-d'Argcuson, Poni.»;- coulant, LaforCt et Sébasliani sollicitè- rent de l'empereur Alexandre, k I!a- gucneau, une audience pour en obtenir

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oublié la modération de sa con- duite à sa première entrée h Paris, ni sa bienveillante entremise en isn, auprèsdu duc de Wellington, pour aplanir l'exécution de l'o- néreux traité du 20 novembre. Deux mois après, le 31 janvier, le roi ouvrit la session législative par un discours il annonçait que le développement de la prospérité publique permettait d'améliorer la dotation de plusieurs services, et d'ajouter un nouveau dégrève- ment de 19 millions à celui qui avait été obtenu l'année dernière sur les contributions directes. Deux points de ce discours fixèrent plus particulièrement l'attention publi- que. Charles X annonçait la pré- sentation d'un projet de loi sur la répartition de l'indemnité stipulée antérieurement par suite de la reconnaissance de Saint-Domingue comme État indépendant, et celle d'un autre projet destiné à arrêter

qu'il exclût formellement du trône de France, de concert avec ses alliés, tout prince appartenant à la maison de Bourbon, ils ne purent être admis. Circonstance qui indique assez que le czar, malgré les fautes qu'avait com- mises la première Restauration, regar- dait le gouvernement de Louis XVIII comme le seul rompatible avec les vrais intérêts de la nation française et de l'ordre public européen < La mort inattendue de l'empereur Alexandre, dit M. de Neuville, fournit au comte de Villcle une nouvelle occasion de mon- trer avec quel soin il évitait tout ce qui pouvait amener l'abus des dépôcbes tcIcgraphiqucR. Celle qui annonçait la mort (le ce prince était parvenue an président du Conseil après l'iicurc elle pouvait être utilement arilchée ii la Bourse. Non-seulementle ministre gai'da i à cet épard le secret le plus absolu, ^< mais il pria instammcrit le roi de vou- loir bien agir de même. Grâce à ces précautions, il n'y cul .uicun mouve- ment dans les cours du jour. » {Nolico) sur le comte^e Villèle, p. 13i et 133.

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le morcellement progressif de la propriété foncière. Le roi, en ter- minant, exhortait les pairs et les députés à ne pas s'émouYOir plus que lui-méma «de ces inquiétudes irréfléchies qui agitaient encore quelques esprits malgré la sécurité générale, et promettait de concilier ce qu'exigeait l'exercice des liber- tés légales avec le maintien de l'ordre et la répression de la li- cence. » La première question sur laquelle le président du Conseil eut à prendre la parole fut celle de la traitedes noirs, donlune pélition adressée à la Chambre des députés réclamait la répression efficace. Le comte âe Villèle s'exprima avec énergie à cette occasion sur le droit de visite, et déclara que le gouyernement n'admettrait jamais qu'il s'exerçât sur les bâtiments français , « et qu'ils pussent êtia traités comme pirates sous le bou plaisir des gouvernements étran- gers. » Quelques jours plus tard, le chef du ministère présenta à la Chambre le projet de loi qui réglait la répartition des 150 millions for- mant l'indemnité applicable aux anciens colons de Saint-Domingue, d'après l'ordonnance du 17 avril précédent. Le comte de Villèle exposa que, par le traité du 30 mai 48U, les puissances européennes avaient reconnu au roi de France le droit de ramener sous son obéis- sance, même par la voie des armes, la populationde cette colonie, mais que l'intérêt de riiumanilé, celui du commerce français, celui des colons dépossédés, celui des ha- bitants actuels de l'Ile avait faire préférer à la voie des armes le parti d'une transaction. Aux ter- mes de l'article i-i de .a Ch.irte, la convention intervenue avec l'Lial de Haiii rentrait eiclusive-

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ment comme traité dans les pré- rogatives du pouvoir royal; mais plusieurs de ses conséquences appartenaient à l'examen du pou- voir législatif, et le projet avait pour base de fixer ces conséquen- ces, sur lesquelles les délibérations de la Chambre s'ouvrirent peu de jours après. La discussion fui longue et animée. MM. Agier, Ba- cot de Romans, de Beaumont, de La Bourdonnaye, de Berlhier , tous orateurs de la contre-opposi- tion royaliste , contestèrent au gouvernement le droit d'aiiéuer une portion du territoire apparte- nant à la France; ils blâmèrent comme dépourvue de toute dignité celte reconnaissance faite au nom de la maison de Bourbon, « d'une république d'esclaves révoltés.» et comme illusoires les conditions pécuniaires imposées à l'Éiat dont on proclamait l'émancipation. Le président du Conseil répondit que les anciens colons, les seuls lésés dans la répartition proposée, n'a- vaient pu exiger que le roi entre- prît pour eux une expédition dont les chances jiouvaient gravement compromettre les intérôis du tré- sor; il soutint, ce qui était fort contestable, que sous l'anciendroit les rois de France avaient toujours pu céder des portions du sol colo- nial sans le concours des états gé- néraux ou des parlements, et ras- sura ses contradicteurs sur l'éten- due des ressources financières de notre ancienne colonie; enlin il in- sista sur l'avantage de soustraire à jamais Haïti, par la reconnaissance (le son gouvernement, aux influen- ces des fauteurs de guerre et de discorde. Un amendement de Ben- jamin Constant, qui voulait (]Uo la Chambre saisit cette occasion de proclamer le principe fondamental

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de l'inaliénabilité du territoire français hors du concours des Chambres (1), ramena à la tribune Villèle. qui fit remarquer que l'ora- teur, sous une forme incidente, ne demandait rien moins qu'une yé- ritable addition au pacte constitu- tionnel ; l'amendement fut écarté, et le projet admis à une majorité de i7o voix. La résolution des députés éprouYa quelques contra- dictions assez sérieuses à laCham- bre des pairs. Le i)rincipe en fut attaqué par MM. de Montalembert, de Chateaubriand, de Lally-Tolen- dal et de Filz-James, et la Cham- bre parut hésiter sur un amende- ment de la commission qui inter- disait aux créanciers des colons toute action pour le paiement d'intérêts jusqu'au jour avait cessé l'effet des sursis accordés |)arles lois. Le ministre des finan- ces fit repousser cet amendement à la majorité d'une seule voix, en déclarant que le gouvernement était dans l'intention de continuer des secours à ceux des colons que l'indemnité ne mettait pas en me- sure de s'en passer. Mais les con- clusions du rapport du baron Mou-

tl) La proposition de Benjamin Cons- tant était, il faut le reconnaître, fondée sur Tancign droit public français. L'as- semblée réuniea Cognac, en 1526, après la captivité de PYançois I", refusa ou- vertement de ratifier le traité par lequel ce monarque avait cédé la Bourgogne à l'empereur Charle^-Quint comme ran- çon de ba lll)erté. Cette assemblée pro- clama nettement que « le roi de France n'avait pas le droit d'aliénei- une por- tion (lu territoire soumis d son scrp- tre, s;ins le double consentement des états généraux et de la province frap- pée de cette distraction. » Nous dou- tons que le comte de Villcle eût pu jus- tifier par des raisons solides la distinc- tion qu'il essayait d'établir entre le sol patrimouiul elle territoire colonial.

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nier, entièrement conformes d'ail leurs au projet ministériel, obtin- rent 135 suffrages sur loi votants. L'ordonnance du 17 avril 1825 et la loi qui en lut la conséquence sontdemeurées aunombre des actes les plus généralement approuvés du régime de la Restauration. Un des détracteurs les plus acharnés de ce régime , les qualifie eu ces termes : « Avantageuse , dit-il à toute une population de proprié- taires dépossédés qui luttaient contre la misère depuis trente-cinq ans, et à qui elle donnait 150 mil- lions à partager, favorable à notre commerce maritime et à la produc- tion nationale , à laquelle elle assurait le monopole d'un riche marché, cette transaction fut une œuvre de bonne administration, autant que de politique intelligen- te (1). /> La faveur accordée par le parti libéral à l'émancipation de Saint-Domingue n'était pasexemp- te sans doute de l'espoir de voir étendre cette reconnaissance aux nouveaux États de l'Amérique méridionale. Le ministère crut devoir y répondre en introduisant des hommes de toutes les nuances politiques dans la commission formée pour la répartition de l'in- demnité. Il est de notre impartia- lité d'ajouter que l'avenir ne jus- tifla qu'en partie les prévisions ministérielles, et que plusieurs esprits sages et éclairés condam- nèrent, dès lors et plus tard, la transaction proposée par le cabi- net et sanctionnée par les Cham- bres. Voici notamment en quels termes un des plus honorables serviteurs de la Restauration, l'a-

(1) Hisi. des deux fiest., par A. de Vaulabclle, t. vi, p. 393.

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miralJurien- Lagravièrft» s'exprime à ce sujet dans ses Souvenirs ré- cemment publiés : « Le recouvre- ment de Saint-Domingue, dit-il, eût été une entreprise facile, si ou l'eût fait précéder d'une recon- naissance absolue et solennelle de la liberté dps noirs... Le gouverneur général des Antilles françaises, le comte Donzelot, répugnait à cette transaction. Il connaissait mieux que le cabinet des Tuileries la situation fmancière de notre an* cienne colonie, et prévoyait qu'on n'en obtiendrait jamais que des promesses, tandis que si Ton savait attendre quelques années encore, la force des choses nous rendrait nécessairement une possession sur laquelle nos droits étaient demeu- rés incontestés (1). « Il serait in- juste toutefois de mettre entière- ment sur le compte de l'impré- voyance du ministère la caducité des résultats de la loi qu'il avait provoquée. Les engagements res- pectifs des deux gouvernements furent bientôt méconnus à la suite de la révolution de 1830; l'in- demnité stipulée fut réduite au tiers environ des 150 millions qui avaient été promis, et les autres conditions du contrat de 1825 fu- rent abandonnées (2). La présen- tation du projet de loi sur le droit d'aînesse et les substitutions vint bientôt fournir aux préoccupations publiques un nouvel et dangereux aliment. Celle mesure, moiiiée par la progression du morcellement de

(1) Revue des Deux-Mondes^ 1" avril 1860.

(2) Souvenirs de radminisl ration financière de M. de Villele, par .M. le marquis d'Audifiet, p. 310 Le traité portant rt'Jacliun de l'indemnité priini- tiyemenl stipulée est du 12 février 1838.

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la propriété foncière, avait pour but de donner à la royauté happai d'une aristocratie territoriale con- tre les envahissements chaque jour plus manifestes de l'esprit démo- cratique. Elle tendait aussi à ravi- ver l'esprit de famille atteint par l'égalité des partages, et à y rame- ner des habitudes de respect trop effacées par les mœurs modernes. Ces vues étaient louables, mai» le succès politique de la conception ministérielle reposait sur une vé- ritable illusion. Une aristocratie fondée sur un point d'appui aussi fragile, aussi éphémère que celui du paiement de l'impôt, ne pou- vait constituer une assistance sé- rieuse. En prévision d'un succès douteux, et sans tenir compte des difficultés pratiques, le projet ten- dait à faire revivre un privilège éteint depuis trente-six ans, et à créer entre les deux sexes, entre les membres d'une même famille, entre les citoyens d'un même pays, une inégalité ouverte- ment opposée aux mœurs actuelles. « On a pu dire souvent, observe à cette occasion M. de Barante, que la nation française ne sait pas bien ce qu'elle veut ; mais, à tort ou i raison, elle sait parfaitement ce qu'elle ne veut pas, et l'on est as- suré de la trouver ombrageuse et récalcitrante, dès qu'elle croit voir la moindre apparence d'un retDur à l'ancien régime (l). » Cette inspiration malheureuse rencontra en effet dans les diverses classes de la société une répulsion univer- selle. De tous les points de la France affluèrent à la Chambre des pairs, le projet de loi fut

{\) La Vie politique de M. Hoyer- CoUard, etc., t. ii, p. 265.

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d'abord porté, des réclamations auxquelles l'esprit départi demeura le plus souvent étranger, et qui ne furent pour le plus grand nombre qu'une honorable expression des susc;-ptibiliîés publiques. Ce fut sous ces râchrux auspices que s'ou- vrit le débat de cette !oi qui, dans toute succession déférée à la ligne ascend:uitc et payant 300 fr. d im- pôt foncier, aliribuail la quotité disponililrf au-prem.er du dé- funt, en cas de silence de sa part. Le projet permettait en outre à cha(iuc citoyen de donner, par acie entre vifs ou testamentaire, avec !a c'narge de les rendre à un ou plusieurs enfants du donataire, les biens dont les articles 913, 91S et 9 1 6 du Code civil lui réservaient la libre disposition. Le président du Conseil ne prit qu'une part secon- daire à celte discussion dont l'iui- tiativH et le poids appartinrent presque exclusivement au garde des sceaux. Malheureusement ce mi- nistre !ui-mè(ne n'avait aucune conlianee dans le mérite ef l'effi- cacité de U mesure qu'il et. il chargé de soutenir. Il a d( claré plus tard, dans une circonstaiice soiemielle, qu'il n'avait fait que céder, en la proposant, au vœu des Chambres, ce qui était vrai, et que le moment d'une pareille loi, « était {)assé (1). >; Le comte de Villele ne parla qu'une fois dans cette disiîussion, el s'attacha surtout à jus'ilier la partie m.:térielle du projet [)iiv la production des docu- ments capables d'établir les pro- grés du inorceliemeiit terriiorial. Il résulta t de ces documents la preuve irrécusable de l'auguienta-

(!) Discours prononcé devnnt l.a cour des pairs, séance de 19 dér. 1830.

tiou générale des cotes et de la réduction de celles qui étaient in- férieures à 1,000 francs; mais le ministre convint que ces variations pouvaient dépendre, de causes di- verses, et que lopération avait em- brassé un nombre d'années trop res- treint pour offrir des résultats con- cluants. Il nppuyaun amendement de la commission qui réduisait dans une forte proportion le nom- bre des fortunes sur lesquelles porterait l'insiitulion du préciput légal, et insista d'ailleurs avec force sur les inconvénients de la division indéfinie et sur les avan- tages de la grande culture. La Chambre des pairs écarta à une faible majorité le principe du pré- ciput légal, et rarlicie 3, relatif à la faculté de substitution, demeuré seul soumis au débat, fut adopté par 1(30 sulTrages sur 213 votants. La loi, ainsi mutilée, fut portée à la Chambre des députés, où, à la suite d'une délibération à laquelle Villèle ne prit aucune part, elle obtint une approbation formulée par 2GI voix contre 76. Ce succès Damériquen(îpaia(îaiblir l'atlcinte que le ministère avait reçue ù la Chambre des pairs. Celle atteinte s'aggrjva de quelques démonstra- tions populaires qui, faibles en- core, servirent néanmoins à eonsta- ler la vitalité de l'esprit de perturbation et d'anarchie. On s'étonna généralement que le cabinet se lilt décidé à saisir la Chambre des députes de la dispo- sition unique à laquelle le vote de l'autre Chambre avait léduit le projet. Fui-ce inspiration d'amour- propre ou répugnance à sacrifier une conquéic importante sur le do- maine de l'opinion démocratique? Qiioï qu'il en soit, entière ou mu- tilée, la tcnlalive, rnal à propos

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qualifiée de loi du droit d'aînesse, fuL une des conceplluns les plus impopulaires du règne de Char- les X (l), une de celles qui onl été le plus reprochées au ministère du 14 décembre, et qui contribuèrent le plus à donner un corps à ce fan- tôme coîitre-révGlutionnaire, dont révocation él :ii d'un effet toujours si puissant sur les classes moyennes de la socit'té. En dehors de q'iel- ques esprits arde 4s ou chiméri- ques, rien de plus pratuit assuré- ment que cette intention prêtée aux royalistes rie ramener la France au régime d'avant 89, et per- sonne n'en était plus convaincu que ceux qui mettaient tant d'in- sislmce a l'accréditer. Mais, depuis longtemps, le parti libéral avait aba[idonué i'arme lente et émoussée de la controverse pour ne plus ■faire appel qu'aux aveugles pas- sions de la multitude. Le dévelop- pement des institutions rcli^îieuses vint bieniùt fournir de. nouveaux aliments a son plan d'agre-sion et Tajeunir la caducité de ses thèmes politi<iues. Il faut ici jeter un re- ■g;ird en arrière et esquisser lapi- dement l'origine et les caractères de ce mysiér eux pouvoir (ji:i, sous le nom de Cnujrcgalion, de- vait occuper une si l.irge pl.ice datis notre histoire conlempor.iine. Cette œuvre avait commencé, sous l'Empire, par la réunion de quel- ques jeunes hommes qui , sans Ostentation, sans arrière -pi'usée poli II que, s'encourageaient sous les eihoriations d'un modeste prêtre,

(I) Il est reniar.piable, toutefois, que la loi sur les siih.>tuul.<iris fui niaiiiiOMiic pciidaiil toute la tiiu'ée ilu giiuvemc- ni»;i'l de Loiiis-lMiilippe, et ne dut t-on abolition (lu'au ré^iiuf transitoire de la RépublKiue, leOmai 18i9.

l'abbé Le,?ris-Dnval, à pratiquer en commun d^'s actes de piété, à une époque <■< la raligion était tolérée comme une néce^sité, mais l'exercice de ses devoirs était dédaigné commeunefaii)lesse(i).» Cette association, purement reli- gieuse, n'avait guère que ce point d'afflnité avec les aftiliations roya- listes qui, formées à l'époque Napoléon avait persécuté le sainl- siége, s'étaient développées plus tard sous l'influence de la Restau- ration,eidonirindi visible cohésion avait plusieurs fois, en 1813, em- barrassé la marche du pouvoir. Soit calcul, soit ignorance, ces deux associations furent facilement con- fondues, et cette confusion fut ac- ceptée et propagée avec ardeur par les ennemis collectifs du trône et de l'autel. Ceux-ci ne manquè- rent pas de présenter la congréga- tion comme une espèce de franc- maçonnerie dont l'objet était d'as- servir l'État au clergé et de coucenirer entre ses seuls adeptes ces emplois publies et ces faveurs, dont la disir.bulion fut de tout temps en Fr.ince un des ressorts les plus actifs du gouvernement. Une ciiconstaiice aida singulière- ment au succès de ces manœu- vres. L'ordre des jésuites dont riiltîlise, d'accord en ce point avec le ch 'f de l'iùnpire, avait laissé les débris se réunir au commencement de ce siècle . ous les noms divers de Pacanarislex , (\e Pères de la foi, avait été publiquement rétabli par le pape Pie Vil, à soii retour dans ses Étals. « Cet ordre, dit l'écrivain auquel nous empruntons ces dé- tails, avait aussitôt retrouvé 1 éner-

(I) Jlht. do France, par M. Lau- riiitie, 1857, t. vin, p. :30.

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g\e de sa Tocation, et, en peu d'années, s'était révélée eu France la fécondité de son prosélytisme. Des écoles et des œuvres s'étaient formés, double action sur la so- ciété par l'éducation et la cha- rité (1). » On conçoit aisément quel parti sut tirer la presse libé- rale de cette résurrection d'un ordre dont l'existence avait, de tout temps en France, suscité laut d'ombrages, et combien il lui fut facile de pré- senter, comme une vaste conspi- ration ourdie contre la société mo- derne, cet ensemble d'institutions religieuses, dont la puissance était encore accréditée par l'austérité personnelle et les pratiques pieuses du successeur de Louis XVllI. l.a célébration des cérémonies du ju- bilé, qui avait lieu pour la première fois depuis l'ouverture du xix* siè- cle, vint prêter une nouvelle force à ses accusations. Ces solennités (février), auxquelles assistèrent le roi, les princes, les maréchaux, un clergé immense et une foule plus nombreuse que recueillie, furent, dans plusieurs villes des départe- ments et notamment à Lyon, à Brest et 2i Rouen, l'occasion de quelques désordres causés ou prétextés par les prédications des missionnaires. On répandit des caricatures la majesté royale était insultée par les travestissements les plus gro- tesques. Des pièces de 5 francs circulèrent avec l'effigie de Char- les X surmontée d'une calotte de jésuite. Cl des esprits , éclaires d'ailleurs, accréiJilèrenl de bonne foi un bruit populaire bien digne de cette époijue d'astuce et de cré- dulité : c'est que le roi de France

(\) Hisl. (le France, i>ar M. Lauren- tic, 1857, t. MM, p. -':iO.

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avait obtenu du ])ape la permission de dire lui-même la messe dans ses appartements. Cette industrie sub- Tersive s'enrichit bientôt d'une arme puissante dans la publication du Mémoire à consuUer sur «n sys- tème religietis et politique tendant à renverser la religion, la société et le trône, par le comte de Montlosier. L'auteur, ancien constituant rentré sous l'Empire, dont il était pen- sionné, s'était fait remarquer jus- qu'alors par l'exaltation de son attachement aux traditions reli- gieuses (1) et féodales, et le Code civil lui-même n'avait pas été mé> nagé dans la vivacité de sa polé- mique. Depuis» soit méconlente- ment individuel, soit abus d'un esprit paradoxal, inconséquent et chimérique, Montlosier s'était pro- gressivement péné:ré d'une incu- rable aversion pour ce q.i'on appe- lait alors le parti prêtre, et le besoin d'en dénoncer les écarts avait at- teint chez lui tous les caractères d'une véritable monoraanie. Le ma- nifeste de Montlosier avait été pré- cédé d'une série d'articles publiés dans un journal royaliste avec l'as- sentiment tacite au moins du minis- tère, et suspendus par son injonc- tion (2). M de Montlosier signalait ik la France la congrégation comme une secte qui, par l'envahissement successif des principales positions de l'État, par un système d'espion- nage pratiqué sur une vaste échelle.

(1) Lorsque le ministère, en 1824, avait présenté sa première loi sur le vol sacrilège, le comte de Montlosier s'était plaint très-vivemrnl par écrit au garde des sceaux de ce qu'elle ne con- tenait aucune disposition contre le blas- phcmf. (Discours de M. de l'eyronnet à la cour des pairs, 19 déc. 1830.)

(2) Hist. (te France, parM.Lauren- tio, \H:H), t, VIII, p. 232.

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menaçait la société d'une domina- tion absolue. A l'en croire, ce corps étendait sur la France entière un réseau dont les mailles envelop- paient toutes les classes de la po- pulation. La magistrature, l'armée, le parlement, l'administration, les rangs inférieurs, tout relevait do cette puissance, d'autant plus re- doutable que l'origine de son action demeurait en quelque sorte imper- ceptible, et qu'elle n'était appré- ciable que par ses effets. Il allait sans dire que, dans le système de l'auteur, l'ordre des jésuites, uni à la congrégation par une étroite affi- nité, lui rendait tout lappui qu'il en recevait, et que ces deux corps marchaient de concert à la con- quête des pouvoirs établis. Tels étaient les périls dénoncés par M. de Montlosier. Ce mémoire, qui prê- tait l'autorité d'un nom monarchi- que et d'un savoir incontestable k des allégations presque sans con- sistance jusqu'alors, produisit une grande sensation. Sept ou huit édi- tions furent enlevées en quelques .semaines, et lapluparl des barreaux de France encouragèrent l'auteur à saisir de sa dénonciation les cours de magistrature (1). iM. Agier, pré- sident à la cour royale de Paris, ayant reproduit ^ la tribune une partie des imputations qui y étaient consignées, les organes du gouver- nement ne crurent pas devoir gar- der plus longtemps le silence. M. Frayssinous, ministre des affai- res ecclésiastiques, entra dans des

(<) M. de Montlosier fut rayé de l'é- tat des écrivanis politiques attachés au dépaitement des uffaircs étrinnères; mais il conserva la pension qu'il avait obtenue on 1801, en indenniitc de sa renonciation au Courrier de Londres, qu'il rédigeait alors on Angleterre.

explications étendues sur les griefs invoqués. Il ne dénia point l'exis- tence de la congrépaiion, et avoua celle des jésuites. Mais il s'attacha k réduire à leur juste valeur les exa- gérations des accusateurs. Ce fut surioui par la pureté de son origine qu il chercha justifier la société attaquée. M. Frayssinous ne con- testa pas d'ailleurs que l'avantage d'appartenir à une affiliation re- commandable par ses vertus et ses œuvres n'eût pu sans injustice con- courir aux préférences du gou- vernement avec d'autres titres d'ap- titude. Quant à la domination si redoutable des jésuites, le ministre la réduisait à la direction de tept petits séminaires, la théologie u'é:ait pas même enseignée, et de- mandait quels périls une existence aussi précaire, aussi dépendante, pouvait faire courir à la sécurité publique. Ces explications péremp- toires et trop différées avaient le tort de s'adresser à des adversaires sans conviction et sans bonne foi. La plupart des censeurs du pouvoir théocratique étaient trop avisés pour redouter sérieusement la do- mination des jésuites dans un siècle de scepticisme et de corruption, et la suite a surabondamment démon- tré que l'extension de leur impor- tance était de nos jours sans danger pour les peuples comme pour les rois. Il y avait, de plus, quelque chose de frivole et même de dérisoire dans ces alarmes sur la propagation de l'uliramonla- nisme affectées par des hommes ouvertement indifférents, pour la plupart, aux dogmes fondamen- taux de la foi catholique, et celles qu'ils témoignaient sur l'envahis- sement des congrégations reli - gieuses n'étaient ni plus sincères, ni mieux fondées. M. Frayssinous

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avnil défié ses contradicteurs de prouver qu'aucune promoiion importante dans l'ordre ecclé- siastique el dans l'ordre civii et militaire eût éié le pro<liiit de leur entremise, et cet appel était demeuré sans réponse. Et de qui partaient la plupart de ces cris de fureur ou d'alarme conire da pai^bles corporations relij,neuses? D'un parti qua n'avait jamais ému l'existence des sociétés se- crètes ni la révélation des com- plots que l'esprit révolutionnaire ne cessait d'y fomenter. Pourquoi tant d'indifférence sur des danj^ers pressants el réels, tant de souci pour des périls éloignés ou imagi- naires? Ce n'est pas cepemiant que tout fût inoxi'ct ou exc-igéré dans les assertious du comte de Montlosier. En opposant l'inlluence des idées et des corps reli'jieux au débordement de l'impiété et des idées révolutionnaires, Char- les X avaii été raù par un senti- ment honorable ; mais il n'avait pas prévu quel champ vaste cette pro- tection excessive ouvrait à l'es- prit d'intrgue, combien il serait facile à la malveillance d'en déna- turer le caractère et de faire tour- ner contre la religion même les moyens mis en œuvre dans son intérêt. Ce double oidre de consé- quences n'avait pas tardé à se pro- duire. En dehors des hommes sérieux que la congrégation comp- tait à sa tèle, eu dessous des Monlmarency , des Rivière, des Damas el de plusieurs autres, une foule d'intrigants de bas étage avaient cherché dans cette affilia- tion recommandable des moyensde fortune et d'élévation. La médiocri- té, le vice même s'éiaient affublés du manteau de la riligion pour dissi- mulerleur insuffisance ou leurs d if-

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formités, et les billets de confes- sion avaient plus d'une fois servi de passeport pour arrirer aux emplois publics. Au bout de plus d'un siècle, les moralités sati- riques de T/r/u/'e semblaient avoir retrouvé un intérêt d'à-propos (1). L'ambition individuelle, celle pas- sion dominante de nos joirs, s'était livrée avec ferveur au courant des idées en crédit. Nous l'avons vue plus tard se faire avec la même industrie des ti- tres moins innocents de ses actes d'agre.-sion contre la monarchie de Charles X, ou de ses sympa- thies pour le glorieux oppres- seur des libertés publiques. Flallé de ce retour d'influence, le clergé de son côté, ne s'était montre que

(1) Quelques fonctionnaires publics eux-mêmes crurent devoir signaler cette exploitation coiidaiiinahle des pratiques religieuses dans rintérêt des an bitions individuelles. Dans sa mercuriale de rentrée de 1826, Al. Morgan de Betliune, procureur généial a la cour d'Amiens, s'exprimait" il ce sujet dans ces lernies : « Nous n'ignorons pas qu'il est des as- pirants à la magistrature qui trompent etïroiilément Dieu et les bununes par une hypocrisie sacrilcgi', dont les exem- ples se sont multipliés sous nos yeux d'une manière révoltante.... ilci l'ora- teur plaidait la peinture fort piquante d'un de ces faux dévots, et ajoutait) : Mais les démarches affectées de cet hy- poî-rite no nous déduiront point; nous le ferons suivre dans l'obscurité dont il va se couvrir : on lui arrachera son masque sur le seuil même du vice au- quel il doit sacritier. » M. de Vaula- belle, qui rapporte ce fragment dans le t. VI de son IJist. des deux Resiau' m lions, aurait aj(uiter qm^ cette véhémente sortie ne fui la source d'au- cune disgrâce piiur le magistrat amovi- ble qui se l'était permise : circonstance qui implique <iu une certaine toléiance du part; congréganisle, ou ime exagé- ration nianifeste dans la supposition de son influence. Nous pourrions citer un grand nombre d'exemples analogues.

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trop enclin à en abuser. Cette dis- position l'avait entraîné, dans plu- sieurs localités, à des actes regret- tables d'intolérance et d'usurpa- tion. Propagés et grossis par la malignité publique, tous ces faits avaient encore accru la haine populaire pour le pouvoir sacer- dotal et pour le r.'gimedont il s'en- courageait. Conséquence fâcheuse sans doute, mais insuffisante tou- tefois pour juslifii^r une révolution comme celle dont la pensée entrait dans un grand nombre d'esprits. L'apparition du mémoire deMont- losier fut bientôt suivi de deux procès également lies à l'influence des idées qui passionnaient alors l'aîieniion publique : l'un intenté par les hL^ritiers du procureur général La Chalotaisà l'ediieur de ['Etoile, qui avait qualifié d'uue manière injurieuse le célèbre ré- quisiioire de ce magistrat contre les jésuitfts; l'autre dirigé coure l'abbé de Lamennais, inculpé d'at- taque envers le gouvernement et les loisdel'État, po iravoircombat- tu leséi.lil->qui ivaieut prescrit l'en- seignement de ladérlaration de 1682 dans les écoles ecclésiasiiq les. Le trib inalcorrec;ionueldelaSeiueac- quitla le journaliste par une tin de iion-recevoiriiréedusilencedelalol sur la transmission héréditaire du droit de plainte eu diffamation (1),

(I) On sait que la coar de cassation, dans '.ni arrêt n-cent iii mai 1800). a adopti; une jurisprudence conlraue. Mais il y a de furies raisons de douter de la slabililé de celle jurisprudencf, qui a soulevé beaucoup d'objections tjravcs, et qui limiterait en certaines circonstances ii un rôle parement pas- sif le privdége et 1.; devoir des liislo- ricns. M. liirville, président honoraire il la cour impériiiU' de Paiis et M. IL de Uiancey, ancien député à

et condamna l'abbé de Lamennais à une peine légère sur le second chef seulement de la préven- tion dont il était l'objet. Soit de leur propre mouvement, soit à l'instigation du ijouver-iement, les cardinaux elles évèques, alors réu- nis k Paris, entreprirent de calmer les esprits par une démarche k laquelle ou ne peut qu'applaudir. Elle consista à dresser collective- ment une profession de principes, qui, sans reproduire le texte ni le tiire de la Déclaration de 1682, rappelait les maximes de ce docu- ment mémorable et condainnait la îeméi ité avec laquelle on cherchait « à faire revivre une opiuiou née autrefois du sein de l'anarchie et de la confusion se trouvait alors lEurope, opinion constamment repoussée par le clergé di France et tombée dans un oubli presque universel.» Cemanifeste, dont l'ini- tiative appartint à Mgr. de Latil, archevêque de R'ims, un des membres les plus impopulaires de l'ordre ecclésiastique, ce manfeste auquel adhérèrent la presque tota- lité des prélats franc t.is, n'adiucil point lin iiaiion (lu'avait fait nai're la publication du Mémoire à con- suiler. Avant d'en dire les suites, il convient de retracer sommaire- ment les derniers travaux qui mar- quèrent la session léi;islative. Le comte de "Villèle eut à s'expliquer, dans la discussion de li loi des douanes, sur le traité de naviga- tion conclu avec l'Angleterre le 20 janvier précédent, et il établit, en repoussant un amendement de Casimir Périer, que ce traité ne

l'Assemblée h^gislative, ontconiballu la docrine de la cour suprême dans des argumentations é<ablie>> avec beaucoup de talent et de solidité.

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grevant le commerce français d'au- cun impAl, la Chambre des dépu- tés ne pouvait s'élever contre celte conveniion sans excéder la limite de ses droits constitutionnels. A Toccasion du débat sur les crédits supplémentaires, le même député proposa de nommer une commis- sion chargée « d'examiner si les rachats faits par la caisse d'amor- tissement et qui avaient lieu uni- quement en trois pour cent , ne constituaient pas une infraction matérielle aux lois, surtout à celle duf'mai 1825.» Cette proposition, appuyée par MM. de La Bourdon- naye et HydedeNeuville,ne faisait guère que reproduire lesobjections présentées à l'autre Chambre par MM. Roy, de Broglie et de Baranie, contre la préférence exclusivement accordée au fonds du 3 pour cent par l'amorlisiement. Le ministre la combattit en motivant celte pré- férence sur la dépréciation impré- vue qui affectait cette valeur, et en fit écarter la prise en considé- ration à une forte majoriié. En présentant à la Chambre élective le budget de i827, le comte de Villéle constata un excédant de 4,200 mille et quelques francs sur les dépenses prévues au précédent budget; mais il évalua à 20 mil- lions l'acroissemenl des recettes de l'année courante, et porta à plus de 19 millions le dégrèvement qu'obtiendraient sur cet exercice les contribuables, lequel, réuni à celui déjà opéré sur les rôles de i82G, produirait un total de près de Î6 millions (1). Ce résultat était

(1) En résumé, les budgets de 1821 à 182'.) présentaient, par voie de compa- raison, les résuMals suivants : 45 millious d'accroissement fournisà divers servic»is; 45 millions de détjrèvement accordés aux

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d'autant plus appréciable que la dotation de la plupart des services publics recevait un notable accrois- sement. En se félicilant de cet élal de choses « qui donnait un écla- tant démenti aux assertions men- songères prodiguées depuis quel- ques mois sur la situation de la France,» le ministre ne dissimu- lait pas l'insuccès des mesures fi- nancières dont il avait provoqué l'adoption; mais il cherchait à l'ex- pliquer par la crise qui avait affecté tous les marchés de l'Europe, et démontrait que le crédit de la France avait été moins ébranlé que celui des autres Étals. De judicieu- ses considérations sur l'impôt qu'il convenait de dégrever de préfé- rence formaient la substance de ce discours, un des plus approfondis que le comte de Villèle eût encore prononcés. Il établissait avec rai- son que cet allégement devait por- ter sur les contributions directes de préférence aux impôts sur les douanes , l'enregistrement et la loterie, parce que des réductions de celte dernière nature ne pou- vaient s'opérer qu'avec la certitude de n'être plus désormais dans la nécessité de les révoquer, a Les motifs les plus puissants comme les plus généreux, disait-il en ter- minant cet exposé, servent aujour- d'hui de garantie à la conservation de la paix générale; elle repose à la fois sur l'expérience, les besoins, les dispositions des peuples et des souverains : aussi se mainlient-elle . en dépit des prédictions sinistres ^i

contribuables; 70 millions d'augmenta- tion dans les services publics; :25 mil- lions de diminution des dépenses publi- ques dépendantes de l'administration, sur la liste civile et sur les pensions payées par l'Etat.

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de ceux qui cherchent e-D vain, dans le besoin qu'ils semblent avoir de troubles et de malheurs, des mo- tifs d'espérer le renversement d'un ordre de choses dont il ne leur est pas donné de comprendre le fon- dement et la solidité. » La plupart des critiques soulevées contre le budget ou, pour mieuxdire, contre l'administration générale du royau- me, partirent du sein de la contre- oppolilion royaliste. M. Agier, en se montrant favorable au sort des ecclésiastiques inférieurs, qu'il ap- pela a les vrais consolateurs du pauvre, les vrais soutiens de la religion,» signala avec énergie les envahissements de la congrégation , et le joug qu'elle faisait peser sur le ministère par son influence sur la distribution des emplois publics. « Après les illusions de 4791 et les horreurs de 1793, disait-il, nous avons eu la corruption du Direc- toire; cellr-là était de boue; nous avons eu la corruption du gouver- nement d<' Bonaparte; celle- Ik était recouverte de gloire militaire; nous avons eu la corruption de ce système de bascule qui a failli per- dre la monarchie et que nous avons tous combattu ; si par-des- sus tout cela, nous avions la cor- ruption de l'hypocrisie, devenue moyeu d'avancement, le carac- tère de loyauté qui appartient à la nation française s'altérerait, et par suite la religion serait com- promise et la monarchie menacée ; car, n'en douions point, la France qui, éblouie par l'éclat des armes, a pu supporter le despotisme mi- litaire, ne pourrait tolérer celui de l'hypocrisie. « L'orateur conjurait en terminant le ministère de « bri- ser décidément le jou^ de cette puissance occulte qui ne tarderait pas à le renverser lui-même. »

MM. de Beaumont et Bacot de Ro- mans s'élevèrent contre les excès de la centralisation, reprochèrent au chef du Conseil d'avoir oublié la promesse de doter la France d'insiilutions municipales si sou- vent réclamées, et M. de Lézar- dières accusa les ministresde s'être séparés des royalistes qui les avaient portés au pouvoir. Le comte de Villèle ne crut pas devoir laisser sans r»^ponse des imputa- tions aussi sérieuses. Il écarta le reproche de déviation des voies constitutionnelles en soutenant que jamais la Charte n'avait été mieux exécutée, que toutes les lois pré- sentées étaient dans l'esprit de ce pacte fondamental, que jamais la liberté n'avait été mieux assurée, la prospérité plus évidente, ce qui était matériellement vrai. Il se montra moins précis dans «^es ex- plications au sujet de l'influence des corporations religieuses, cette grande question du jour, et se borna à établir que la religion ca- tholique n'avait aucun dogme qui fût incompatible avec la Charte; il ajouta fort sensément que « la religion de nos pères était bien plus d'accord avec un gouverne- ment doux et tempéré comme le nôtre, qu'avec un gouvernement absolu par lequel la religion pour- rait être contrariée et comprimée.» Le ministre, s'expliquant sur l'ab- sence d'administrations départe- mentales et communales, regretta, comme ses contradicteurs, la lacune de ces institutions. Mais le cabinet avait toujours reculé devant des difficultés pratiques , notamment devant le mode d'élection des membres appelés les composer, et surtout devant l'incertitude des ressources à l'aide desquelles on pourvoirait aux besoins de ces

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administrations. Voulait -on en défrayer la dépense avec les fonds appiutenant en propre aux loca- lités? Mais, les dotations par les- quelles les administrations pro- Yinciales subvenaient autn^fois à leur exercice avaient disparu, et cet état de choses ne poiivait re- naîire aujourd'hui. Un le! obstacle n'était pas insurmoniable , sans doute, mais il était assez grave pour absoudre le miiiisli'rc de sa résis- tance à un vœu généralement ex- primé el favorable d'ailleurs aux intérêts des populations. En t!T- minau; cette apologie plausible sinon péremptoire de la conduite du cabinet, le président du Conseil ne put contenir l'expression d'un sentiment d'amertume: « Le rôie des ministres, dil-ii, n'est pas un rôle qui doive produire de l'eni- vrement. Non, messieurs, est eni- vrement du pouvoir ne saurait exister; nous céderions plutôt au dégoût el à la lassitude que*doi- venl cnirainer d'aussi injustes attaques au milieu de nos pénibles fondions.» Et comme, après ces paroles le ministre descendait de la triLune. il y fui ramené par une interpellation de C. Périer qui lui objectait le rétablissement de la censure : « Une seule fois, se hàta- t-11 de répondre, la France a joui de la liberté la plus complète de la presse, d'une liberté qui a dégé- néré peut être en licence : cette époque est celle qui s'est écoulée dep.is quii l'ad ninislralion ac- tuelle a été appelée par le roi. On vient de témoigner des craintes surle rétablissement de la censure. Je m'expli<<uerai sur ce point avec .franchise. Si la c»'n>ure n'est pas nécessaire au rcjios du pays, elle n'aura pas lieu; si elle lui est nécessaire, nous ne balancerons

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pas à la proposer. Cette déclara- tion provoqua de nouvelles invec- tives de Benjamin Constant qui défia le ministère de rei'oncer ainsi à «la seule bonne mesure dont il eût le droit de se vanter. » La dis- cussion approfondie des articles du bud;j;et, qui ne dura pas moins de vingt-six jours, rappela plusieurs fois encore Villèl^> sur le terrain parlementaire. M. Royer-ColLvrd, s'armant des bienfaits mêmes de l'administration, reprochaau dé- grèvement proposé de conduire à la limitation successive du droit électoral el par suite Ji la destruc- tion du régime représentatif (1) ; il inculpa le ministère « d'emprun- ter au moyen âge, aux temps d'i- gnorance et d'anarchie, le peu de lois poiiti(iues qu'il soumettait aux délibérations des Chambres. » Le ministre répondit que, môme en admettant le dégièvement, l'impôt direct excéderait encore le taux il s'élevait à l'époque de la ^ promulgation de la Charte; que celui des patentes avait produit depuis lors une augmentation de 8 millions répartis sur un million de contribuables, et qu'ainsi ce plan réduction ne faisait que mettre en harmonie rintervenlioa du corps électoral dans le vote de l'impôt avec le poids de cet impôt. M. Hoyer-Collard navaii pas borné

(I) Les élections du mois de novem- bre \HH démontrèrent bientôt K; défaut absolu de fondenient de celte accusa- tion. On remarqua que, malgré l'effet des déîîrcveiiUMils, auquel il faut ajouter les relus d'inscriptions faits par ladmi- nistraiiou a un grand nnitibre d'élec- teurs plus ou moms en droit, de se faire inscrue, les collèges électoraux furent, en général, presqu'atis^i nombreux qu'aux préce lentes élections. {Annuaire historique de 1H-^.7, p. 2î>9.)

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son système d'opposition à cen- surer amèrement les actes du mi- nistère; il n'avait pas craint de se constituer l'écho de lamalveillance la moins éclairée en lui pi étant, sans aucun fondement, l'intention d'un projt t de loi sur 1-^ mariage, les droits de Tautoriié civile seraient indignement sîicrifiés au pouvoir spirituel , ei qui a ft rait fléchir la souveraineté royale de- vant la souveraineté ecclésiasti- que. » Le présiùenl du Conseil fit à celte insinuation une réponse aussi judicieuse que catégorique : « On parie toujours, dit-il, d'une légis- lation du raariag' qui ferait fléchir l'autorité royale, et qui compro- mettrait la liberté des citoyens par rapport ii leur état civil. Je ne balance pas à dire ma pensée tout entière sur ce point. Comment l'état civil élail-il avant la Révolu- tion entre les mains du clergé? Il y était avec l'appel comme d'a- bus d- vaut les parlements, comme conséquence nécessaire pour ga- rantir l'état civil des ciloyens. Je crois que c'en est assez pour que les personnes qui connaissent ces maiièrt's el qui pounaient conce- voir encore quelque inq.jiéliide, d'après celles qu on cherche à propajjer chaque jour, s'apt'rçoi- veni enfin de l'erreur dans laquelle elles étiienl, et restent convaincues que ceux-là même qu'on suppose très-désireux de soiliiitcr «e qu'on craint de leur voir contier, s'ils étaient consultés, si'raient les pre- miers à n'eu pas vouloir aux con- ditions sans lesquelles on ne peut jamais les leur ailrihuer. » Le budget, adopté à 24 i voix de ma- jorité, fut soumis à la Chambre des pairs. Ses principaux organes réclamèrent avec plus d'insistance qu'on n'a*, ait fait j u^qu'alors contre

cette présentation tardive qui, par la séparation de fair de l'autre Chambre, rendait son e,onirô;e il- lusoire et tendait à concentrer dans une îjssemblée unique toute la puissance financière. Le ministre des financt-s ne put rien opposer de concluant à ces judicieuses ob- jections. Il combattit avec moins de désavantage les accusations portées dans cette Chambre comme au Pa- lais-Bourbon contre l'attiiude prise par le cabinet à l'occasion de la guerrr du Levant, qui commençait à préoccupe: vivemeni les esprits. La brivoure des Grecs appliquée à la défense de leur terri:oire et de leur indéj^endance, c'est-à-iîire, à la plus juste des causes, n'avait pu conjurer la chute de Missoionghi, et cette catastrophe avait excité dans l'Europe entière, un doulou- reux retentissement. Plusieurs royalistes, entrés dans l'opposition la suite de M. de Chateaubriand, tels que MM. Alexis de No.^iiles et Hyde de Neuville, s'étaient pro- noncés, à son exemple, pour que la France intervint activement en faveur des opprimés, et le général Sebastiani availdémoniré quencus étions direciemenl intéresses à ce qu'il s'établit entre l'Europe et ix Syrie un empire iudépentiant qui contint l'Asie et ùvkl des bornes à l'ambition de la Russie. Le prési- dent du Conseil n'estimait pas qu'il fût opportun pour la France de prendre couleur, quant à présent, dans la lutie engagée enire les Hellènes el leurs oppresseurs, et de subsîituer ia diplomatie isolée de la France à la diplomatie de tou>» : un tel syslèiue allircrailsur les victimes de plus grands maux eneore, et a outeraii aux malheurs aclU'ls des chrétiens itiUles les calamités qui résulteraient d'un«

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couOâgration générale entre les peuples chrétiens. Le comte de Villèle se borna donc à rappeler les services individuels rendus par uos flotlesaux Grecs fugitifs, cons- tata que les canons devant les- quels avaient succombé les Sou- lioles de Missolonghi , n'étaient pas des canons français; qu'aucun officier de notre nation n'avait coopéré aux travaux du siège , et que « le pavillon français pou- Tait toujours se présenter dans ces contrées avec l'éclat et la pu- reté de sa couleur. » La question hellénique n'était point encore arrivée au point où, dégagée des élé- ments révolutionnaires qui avaient altéré son origine, elle apparaîtrait à l'Europe monarchique sous son irérilable aspect. Peu de jours après la clôture de la session, le ^8 août, la cour royale de Paris, toutes les chambres assembiéei , prononça sur la Dénonciation portée par le comte de Montlosier. Après cinq heures de délibération, la compagnie , aux deux tiers des voix, se déclara incompétente par le motif que, d'après la Charte constitutionnelle, il n'appartenait qu'à la haute police du royaume de supprimer ou de défendre les congrégations ou autres établisse- ments de ce genre « qui étaient ou seraient formés au mépris des lois. » L'arrêt rappelait à celte oc- casion les édits opposés au réta- blissement des jésuites, a comme fondés sur une incompatibilité re- connue entre les principes profes- sés par celte société et l'indépen- dance de tout gouvernement; prin- cipes bien plus incompatibles encore avec la Charte constilu- tionnelle qui faisait aujourd'hui le droit public des Français. » On verra plus tard quel parti le comte

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de Montlosier tira de cet arrêt qui, sans ordonner aucuue poursuite immédiate, formulait, toutefois, la condamnation la plus directe du rétablissement de l'ordre des jé- suites. La session se rouvrit dans ces circonstances agitées, le 12 dé- cembre, par un discours le roi annonçait plusieurs projets de loi, et notamment un projet répressif des abus de la presse, dont la men- tion produisit un sentiment univer- sel de sollicitude et d'émotion. Les Chambres délibérèrent immédiate- ment sur les Adresses en réponse au manifeste du trône. Ces débats eurent surtout pour objet la poli- tique exiérieure, et les derniers événements qui s'étaient accomplis dans la péninsule ibérique, et qu'on pouvait résumer ainsi. Lors de l'entrée en Espagne de l'armée française, en 1823, gouverne- ment anglais avait obtenu de U France la promesse qu'aucune hos- tilité ne serait commise envers le Portugal, et l'Angleterre promit alors et depuis de veiller ^ ce qu'une paix exacte fût maintenue entre les deux Etats. Cependant, une irruption nombreuse de réfu- giés portugais, auxquels s'étaient réunis plusieurs absolutistes espa- gnols, venait d'avoir lieu sur le littoral portugais, et cette entre- prise, motivée par le désir de dé- truire la constitution libérale de dom Pedro, avait provoqué l'em- barquement immédiat pour le Por- tugal de quinze dix-huit régiments anglais, sur la demande expresse de l'Etat envahi. Le cabinet des Tui- leries, qui pressentait qu'une rup- ture entre les deux royaumes de la Péninsule ne tournerait qu'au profil de l'influence anglaise, déjà si puissante dans cette partie de l'Europe, s'était empressé de con-

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damner la connivence du cabinet espagnol par le retrait de son am- bassadeur. Mais sa conduite n'a- vait pu empêcher que M. Canning, secrétaire d'Etat des affaires étran- gères, n'eût tenu au parlement an- glais un langage hautain contre la France ; les orateurs de l'opposition se prévalaient de ce langage pour accuser le ministère et les troupes anglaises d'occuper le Portugal, et de nous obliger ainsi à une occu- pation indéfinie de l'Espagne. M. de Chateaubriand fit entendre à la Chambre des pairs une élo- quente protestation contre la phi- lippique du ministre anglais (1), et la Chambre vota, à la presque unanimité, une Adresse conforme aux es|>érances pacifiques que le discours du roi avait exprimées. Le comte de Villèle affirma à la Chambre dès députés que toutes les puissances s'étaient accordées à reconnaître que l'Angleterreavait tenu en Portugal la conduite la plus propre au maintien de la paix. Mais cette explication ne sauva pas le cabinet du reproche de cou- descendance envers l'intervention du ministère britannique, cette re- vanche préméditée de la campagne française de 1823 (2), et surtout

(!) Quelques jours après la pronon- ciation de son discours, M. Cunning, obéissant à un seutiment de convenauce, fit disparaître ou adoucit, dans une re- lation ofticielle, 1( s passaijes qui avaient blessé la susceptibilité des orateurs français.

(2) Le prévoyant baron Hyde de Neu- ville écrivait a son gouvcrniinent, dès les premiers mms de 1H24 : Si on n'aide pas 'e roi de Portugal a donner une loi monarchique a sts peuples, avant dix-tiuit mois, on verra a Li>buiine une ( hartc r«publiraine donnée par dom Pedro, et des habils rouges pour la soutenir.

envers Ferdinand, pour n'avoir pas exigé qu'il donna à ses peuples des institutions propres a rétablir la paix en Espagne et la confiance de ses alliés. M. Hyde de Neuville, ambaisadeur en Portuga len 1824, dont la belle conduite, justement récompensée parle minisière, avait fauve cette monarchie d'une révo- lution imminente, se montra l'un des plus véhéments. « Il faut, s'é- cria-t-il, par allusion à une des récriminations les plus blessantes de M. Canniog, il faut que l'An- gleterre sache que, si nous avons un fardeau quelconque, nous n'a- vons en aucune manière besoin qu'on nous aide à nous eu débar- rasser. Il faut que l'Angleterre sa- che que nous ne craignons pas la guerre, et qu'il n'y a plus cher nous de mécontents quand il s'agit de venger l'honneur du pays. » Le président du cabinet fit observer que le ministère français n'avait pas prendre, dans l'affaire de Portugal, l'initiative d'une démar- che qui ne pouvait appartenir qu'à l'Angleterre, son alliée particu- lière; plusieurs amendements pro- posés par la contre -opposition royaliste pour improuver la con- duite du cabinet furent écartés, et la Chambre vota ég ilement, à une grande majorité, une Adresse favo- rable au système politique formulé dans le discours du trône. La préoccupation publique fut bientôt ramenée sur la situation intérieure de la France par les débats que suscitèrent deux objets importants: la dénonciation du comte de Mont- losier et le projet de loi sur la po- lice de la presse. Fort du point d'appui qu'il avait rencontré dans l'arrêt de la cour royale de Paris, Moiitlosier consigna tous les griefs de son premier mémoire dans une

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pélilion à la Chambre des pairs, dont M. le comie Porlalis fut nommé rapporteur. Son travail, fort déve- loppé d'ailleurs, se concentra prin- cipalement sur la qiiesiion légale envisaiîée dans ses rapports avec l'existence des jésuites. Cette exis- tence ayant été formellement re- connue i la tribune par le mi- nistre même des alTaires ec',;lésias- tiques,M. Portails eut peu de peine à démontrer qu'elle blessait les prescriptions des éilits spéciaux rendus sous Louis XV ei sous Louis XVI contre 1.1 Société de Jésus, et des lois générales postérieures qui avaient interdit toutes les as- sociations religieuses d'hommes non autorisées. Le rapporteur con- clut en conséquence ti ce que la pétition flil renvoyée au président du Conseil, « non pour réclamer la sévérité des lois, mais le main- lien de l'urdre légal. » A ces con- clusions, rigoureusement fondées en droit, le cardinal de La Fare, le tluc de Fitz- James et l'évêque d'Hermopolis opposèrent vaine- ment la quuiité tout individuelle des membres de la Société, les tendances ouvertement irréligieu- ses et anarchiques de leurs persé- cuteurs, l'incontestable supériorité des jésuites pour l'éducation de la jeunesse, leurs succès prodigieux dans Ifs missions étrangères, i'ir- réprochablepuretédeleurs mœurs; trois des personnages les plus con- sidérables de la Chambre, MM. Lai- né, P^squier, de B.iranle ne virent dans l'introduction d'un ordre prohibé qu'une infraction aux lois du royaume, et ia Chambre pro- nonça le renvoi demandé à la majorité notable de 113 suffrages «;ouire 73. Le comte de Vilièle ne prit aucune pari ostensible ii ce débat, mais il eut ii s'expliquer, à

la Chambre des députés, it propos d'une autre pétition, sur un inci- dent étrange et inattendu. IL s'a- gissait du refus manifesté par Tam- bassadeurd'Autriche de reconnaître les litres de grands fiefs donnés à des Français par le gouvernement impérial sur des villes ou des pro- vinces passées ou rentrées sous la domination autrichienne. L'op- position n'eut garde de négli- ger celte inconvenance qui avait vivement blessé la susceptibilité nationale, et affecta de 1 1 considé- rer comme une conséquence de la faiblesse du ministère dans ses rapports extérieurs. Le. président du Conseil répondit avec plus de fondement que de fierté * que la France ne pouvait obliger per- sonne, après les événements de 1814, à qualifier tel ou tel de ti- tres qui, appartenant à une loca- lité retranchée de la France, pou- vaient être contestés par ceux qui étaient actuellement m possession de celte localité. » Contraint k de nouvelles explications par l'insis- tance de MM. Méchin, Hyde de Neuville et Sébasiiani, le ministre établit une distinction entre les titres donnés par suite d'une vic- toire, et ceux de fiefs sur une pro- vince ou sur uue ville; il conclut en annonçant que le maréchal dont le nom motivait ce débat, avait obtenu satisfaction complète sur l'objet de sa réclamation. Le pro- jet de loi qiii assurait à la dis- tribution des lettres sur tous les points de la France le bienfait d'un service quotidien, souleva, entre le ministère et l'opposi- tion, quelques escarmouciies du grand combat qui allait se livrer sur la question de la presse. Plu- sieurs orateurs censurèrent la sur- taxe imposée aux journaux comme

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uci entrave apportée à la iilterté de •publication, ei M. Ilyde de Nea- yille, s'inspirant de l'irritalion ex- trême que lui avait causée ia dis- grâce de M. de Chateaubriand, qui- lifia l'esprit du ministère de « délire qui poussait ies Français vers l'a- bîme et les plaçait sous l'influence de quelques pygmées. .. Moi aussi, ajoulaii-il, par allusion à un mot bien connu de Villèle, je joue car- ies sur table, mais je joue toujours avec de bonni^s cartes... L'homme du despotisme elde la gloire disait: « Sauvons au moins la république des lettres. » Si le ministère per- siste dans son funeste système, que sauvera-t-il du naufrage? » Le projet de loi sur la police de la presse avait été présenté le 29 dt cambre à la Chambre des députés par le garde des sceaux, à la suite d'un long exposé le minibire sij:nalaii avec trop de vé- rité les abus croissants de ce nou- veau pouvoir qui, institué pour garantir les libertés publiques, avait tourné contre ces libertés elles-mêmes, et « qui était devenu pour les gpns de bien un instru- ment de crainte et d'oppression.» Les principales dispositions du pro- jet consistaient diins Tobligaiion de déposer tous les écrits de vingt feuilles et au dessous, les uns cinq jour> et ies autres dix jours avant la publication ; une forte amende et la suppression de l'ouvrage at- teignaient le délinquant. Les im- primeurs ttaicnt rendus responsa- bles, et iiivcstis en conséquei-.ce d'un droit de censure sur les écri- vains. La loi limitait à cinq le nom- bre d< s propriét^ii es des journaux, écartait IfS femmes et \e^ mineurs etannalaiireffeldescODlre-leiires, « môme entre les parties (on- traclanles; » les cautionnements,

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les amendes, les peines d'empri- sonnement étaient élevées beau- coup au-dessus des proportions actuelles; les écrits de cinq feuille» et âu-de5sous étaient assujettis au timbre. Enfm, le délit de diffama- maiion, arbitrairement caractérisé et sévèrement puni, pouvait être poursuivi d'office par le ministèrô public sans leconcours ni la plainte de la personne insult^^e : disposi- tion dont la consécration parut exorbitante (1), et qui ne con- tribua guère moins ^ dépopulari- ser le projet que cet ensemble de rigueurs qui affectait tout à coup un si grand nombre d'intérêts. Le comte de Villôle avait montré, dit- on, peu de goût pour cette con- ception pénale à laquelle il aurait préféré l'exercice de la censure fa- cultative ; les orages qu'elle devait sou ever n'avaient point é( happé à sa prévoyance eii'anim;it:ondes dé- bats q'i'rlle venait de susciter au con- seil d'État n'avait pu que fortifier ses pressentiments a cet éirard. Il céda en cette occasion à l'influence de !a majorité du côté droit de la Chambre, et parut se reposer sur l'habdeté de M. de Peyronnel du salut d'niîe lentcitive fortement stimulée, on peut le croire , par les exhortations du clergé. L'agita- tion que produisit un système de répression aussi absolu, aus»i om- brageux , dépassa en rffei l(jut ce qu'on pouvait attendre d une po-

li On peut jiii^er parle soulèvement qu'rxcita cet arUelc, du travail qui s"c- taii opéré datis les e:^p;ib. l.a poursuite d'uriice et sans l'avou de la partie lé- sec^ en cas (le dilTaiiiallon, existait avant la loi de ISIO, cl n'avait jam :is soiitTiTt de diflicuite. (>e pcuiil fut éta- bli >ans conlradiction par M. de Marti- giiac dans le disfours qu'il prou'jnea sur le projet de loi.

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pulaiion profondément lésée dans ses habitudes, dans ses passions et ses inlérêts, el à laquelle il fut fa- cile de représenter i'œuvre minis- lérielle comme un instrument de destruction pour la pensée humai- ne. Les pétitions collectives et particulières affluèrent à la Cham- bre, et l'Académie française, cé- dant à l'entraînement universel, dé$i(;na une commission composée de MM. de Chateaubriand, Ville- main el Lacretelle, pour adresser de respectueuses représentations au roi , protecteur de la Compa- gnie. Mais le bureau de TAcadémie ne fut point admis îi présenter cette supplique, et MM. Villemain, Mi- chaud el Lacretelle furent destitués des fonctions qu'ils remplissaient; mesure également injuste et im- politique, et qui ne fil qu'accroître rimpopularité du projet qui en fut l'occasion. Le gouvernement, de son côté, s'appliquait à justifier son œuvre dans les journaux dont il disposait; mais les feuilles du pouvoir étaient peu lues par la multitude, dont TindifTérence four- nissait ainsi un des arguments les plus puissants contre la liberté illimitée de la presse. Ce fut dans un de ces articles que l'auteur eut la malencontreuse idée déqualifier de loi de justice et d'amour ïti texte de tant de plaintes et d'incrimina- tions,qualification à laquelle M. de Chateaubriand riposta par celle de loi vandale, qu'elle garda commo un stigmate ineffaçable. Organe de la ci)mmission de la Chambre, un estimable jurisconsulte, M. Bonnet, lut 7 février un travail étendu dans lequel, adoptant les bases et les motifs du projet ministériel, il le modifiait pourtant sur plusieurs points importants. La commission écartait la mesure extrême de la

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suppression des écrits déposés hors des délais légaux, et refusait d'éle- ver le taux du timbre pour les jour- naux; elle repoussait d'une mi- nière absolue l'obligation d'y soa- mettre les publications au-dessous de 20 feuilles et d'un format au- dessous de rin-18; mais elle assu- jettissait ces publications au visa préalable de l'autorité. Enfin, la poursuite du ministère public, en cas de diffamation, était subordon- née à l'assentiment de la personne intéressée, et les tribunaux con- servaient le droit d'affranchir les imprimeurs de la responsabilité qui leur était attribuée. Ces amende- ments n'a\aient point été adop- tés par le ministère : circonstance qui livra le projet primitif ^ tous les coups de l'opposition. La dis- cussion s'ouvrit le 13 février par un discours violent de M. de Sala- berry en faveur du projet , que M. de La Bourdonnaye attaqua avec sa passion accoutumée, et M. Royer- Collard, avec l'autorité de sa parole sentencieuse, agressive et fortement accentuée. A l'en croire, cette loi, dont lesrigueurs ont été bien aggra- vées depuis sans arrêter un instant les progrès de l'esprit humain, cette loi tendait inévitablement à rame- ner la France ii la barbarie, et l'ora- teur combattait sérieusement, sous le régime pacifique des Bourbons, l'imminence d'un régime despoti- que auquel le bras puissant de Napoléon n'avait pu imprimer le sceau de la durée : < Conseillers de la couronne, s'écriail-il,en di- rigeant f^on geste vers le banc mi- nistériel, qu'avez-vous fait jusqu'ici qui vous élève 2i ce point au-dessus de vos concitoyens, que vous soyez en état de leur imposer la tyran- nie ? Dites-nous quel jour vous êtes entrés en possession de la gloire,

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quellessontvosbatailles gagnées?... Obscurs et médiocres comme nous, il nous semble que vous ne nous surpassez qu'en lémérué...La loi que je combats annonce donc la présence d'une faction dans le gou- vernement, aussi certainement que si cette faction se proclamait elle- même et si elle marchait devant Dous enseignes déployées. Je ne lui demanderai pas qui elle est, d'où elle vient, elle va, elle menti- rail!... Je ne saurais adopter les amendements que voire commis- sion vous propose , la loi nen est ni digne ni susceptible... Je la re- jette purement et simplement par respeci pour l'humanité qu'elle dégra- de, poi.r la justice qu'elle oulrage.» A ces exagérations, li ces déclama- tions si puissantes sur une société prévenue, le président du Conseil opposa quelques arguments de fait d'une valeur incontesiable. Il rappela que son administration était la première qui, depuis <814, avait spontanément accordé et sou- tenu pendant cinq ans la libenéde la presse; mais il ajouta qu'elle rej^ardait comme un devoir sacré de ne pas exposer le p;<ys à de nouvt-aux déchirements en laissant prendre trop d'intensité à l'action dissolvante dune puissance dont la France n'avait pu à aucune époque supporter le libre usjige sans que iegouvtrnement ne l'eût comprimée ou n'eût été renversé par elle. Au reproche de corruption diri;.^é contre le cabinet, il objecta que le ministre de l'intérieur était jusqu'à présent le seul qui eût fait annu- ler des crédits ouverts pour les dé- penses secrèlesde la police, quand il lui aurait été si facile de les ab- sorber et de les distraire de b'ur destii.alion; que s'il était vrai que la servilité fût la conscquen'-e de

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ce mode de corruption qui s'exerce parla nomination aux emplois pu- blics, jamais il n'avait être moins pratiqué, car jamais il n'y avait moinseu d'instabilité dans les em- plois que depuisdeuxans. Le minis- tre,s'expliqu.'int sur rinsiilution des jésuites, fit observer que leur exis- tence dataitd'une époque deux de ses contradicteurs, MM. Royer- Collard et Bourdeau remplissaient l'un les fonctions de procureur-gé- néral, rai:tre celles de chef de l'u- niversité. « Nous ne voulons pas plus que vous, dit-il, le rétablisse- ment de cette corporation, mais pas plus quevous, nous ne croyons devoir user du pouvoir pourpersé- cuierdes individus sous le [jrétexte d'opinion religieuse... Le gouver- nement du roi n'est asservi à au- cune fyclion, et c'est pourquoi tou- tes se coalisent pour l'attaquer et l'accuser de l'agitation et des dé- sordres qu'elles-mêmes provoquent dans les esprits, quoique tout soit libre, heureux et prospère dans le pays... On nousa accuses de vouloir établir la tyrannie, et, en parlant du ridicule d'une pareille tentative, on n'a pas vu que ce ridicule s'é- tendait à ^accu^ation elle-même. La tyrannie! M. Royer-Collard a gémi sur elle comme nous tous, et il sait fort bien que des tyrans ne se laissent pas dire en face les choses qu'il nous a forcés d'en- tendre. Oui, la France est sous le poids d'une tyr:!nnie qui insulte et voudrait opi)rinier les pouvoiis lé- g. ux, tyrannie qui atiaquelout pour tout dissoudre, pour tout détruire, car il lui est interdit de rien fotider; mais celle tyrannie, messieurs, c'est la tyrannie de la presse! » Villèle défendit avec moins d'avan- tage les articles du projet de loi, et notamment celui qui avait trait 32

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au limbre des petits journaux, dout il r.'commanda sans succès l'ad- mission. Ce ne fut pas s;m3 quel- que surprise qu'on le vil combattre un amendement qui interdisait la circulation de tout écrit pendant les cinq jours qui suivraieiit le dé- pôt prévu par la loi du 21 octobre 1814. Il foûda son opinion sur le motif que cet am.'ndement consti- tuait un système préventif contraire à la Charte, une censure perma- nente inconcili;;ble avec les insti- tutions données au pays : « Ce se- rait, dit-il, sacrifier la liberté à la crainte de l'abus, et nous n'en sommes pas arrivés au point de sa- crifier la liberté pour vous préser- ver de la licence. » Ce memon^ble débatso prolongea jusqu'au < 2 mars ^ travers une exirêrae confusion; et il apparut clairement qu'un assez grand nombre de dcpulés de la droite ministérielle elle-même étaient peu favorables ^ l'aiJoption du projet. Aussi, la majorité qui le convertit en résolution fut-elle nu- mériquement faible. Elle n'atieignil pas 100 voix dans une Chambre le cabinet avait disposé pendant plusieurs années d'un nombre tri- ple de suffrages, et constitua le premier symptôme d'une décadence que devaient r.ipidf-ment accélérer les événements po.^térieurs. Ainsi mutilé et dénaturé dans ses dispo- sitions les plusessentielles, le projet fut présenté à la Chambre des pairs par M. de Peyroniiet, qui en mo- tiva les dispositions maintenues avec une modération de lang.ige perçait la crainte d'un nuuvel et plus ^é^ieuxéehec. Le clioi.\ des commissaires chargés de l'exami- ner était propre a fortilier ces ap- pnhensions, lorsqu'un incident douloureux cl injjjiévu vint dé- tourner momentanémeni l'attention

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de la Chambre et surexciter encore l'agitation des esprits. Un homme qui conciliait les sentiments d'une grande bienveillance personnelle avec une hostilité très-prononcée contre la marche du gouvernementr le duc de la Rochefoucauld-Lian- court, venait de mourir à Paris, dans un âge avancé. La faveur de l'opposition libérale s'éiaii attachée à lui depuis que, par la destitution de tous ses emplois gratuits, le mi- nistère avait voulu punir, en 1823, l'indépendance de ses opinions. Ses obsèques, fixées au 30 mars, avaient attiré une foule considé- rable; des jeunes gens sortis de l'école des arts et métiers de Châ- lons, dont il était le protecteur, portèrent îi bras, sans opposition de sa famille, son cercueil jusqu'à l'église l'office funèbie fut célé- bré, lisse disposaient à reprendre leur vénérable fardeau, lorsqu'un commissaire de police, excipanl d'un ordre de son supérieur, pres- crivit de replacer le corps sur le char qui devait le conduire au château de Liancourt. Une lutte scandaleuse s'engagea entre les élèves et la force armée, et, dans la confusion de ce débat, le cercueil, arraché des mains des jeunes gens, tomba à demi brisé sur le pavé; les insignes qui avaient appartenu à l'illustre défunt furent étalés dans la boue, et il fallut passer une partie de la nuit qui précéda l'inhu- mation k replacer ses membres endommagés! Cet acte de profana- tion excita une indignation géné- rale. La Ch.imbre des pairs, à qui a|)parienait le duc de la Uoch(îfou- cault, chargea sou grand référen- daire de prendre des informations. Le rapport de M. de S moiiville ramena les esprits à une apprécia- tion plus calme ci plus équitable.

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11 en résulta que l'autorité publique avait agi en cette occasion dans la limite rigoureuse de ses devoirs, et que le seul re[)rociie qui lui fût applicable était de s'être départie de cette inflexibilité dans des cir- constances beaucoup moins favo- rables. Quoique étranger aux débats de la glande question qui s'agitait alors, cet incident sembla comme nn augure défavorable au sort du projet ministériel. Dans ces cir- constances, le cabinet crut prudent d'aller au devant d'une défaite en retirant, le 17 avril, ce projet de loi. Cette reculade fut un événe- ment politique dont l'exaltation populaire révéla les véritablis pro- portions. Jamais, depuis longues années, les manifestations publi- ques ne s'étaient montrées si bruyantes. Des bandes d'ouvriers imprimeurs parcoururent en tu- multe les rues de la capitale et occasionnèrent sur quelques points des désordres qu'il fallut répiimer. Les mêmes démonsti'ations se pro- duisirent avec moins d'éclat dans plusieursgrandes villes du royaumf'. Le petit nombie d'hommes qui conservaient leur liberté d'esprit au milieu des fascinations . de l'époque, entrevirent avec eUVoi la portée de ce nouvel encou- ragement donné . par la conni- vence ou l'aveuglemenL des corps de l'État, au débordemcntdes doc- trines irréligieuses et révolution- naires. Le mini:>iére était loin assu- rément (i'èire sans reproche dans •la conception d'un projet qui avait soulevé une hostilité si universelle. Hais ks hommes monarchiques commirent une faute à jam;iis re- grettable en repolissant d'une ma- nière aussi absolue cette bairiere suprême que la sollicit nie du pou- voir Icnlail d'opi'oser aux pro-'iès

continus de la licence. Q.ie de mal- heurs eût conjurés une loi de répres- sion sagement entendue, feimeiiient pratiquée! La France de 1830 ne fût point devenue le théâtre et la vic- time de ce sanglant conflit de- vait s'abîmer une royauté de qua- torze siècles; l'existenee même de la so iété n'aurait pas été jouée dix-huit ans plus tard au j(>u d'une collision civile ; le pays n'eût pas été contraint de chercher dans les rigueurs de la dictature u:i refuge contre Us excès de l'anarchie, et le monde catholique ne stT.iit pas réduit, de nosjours, à implorer de la prudenci! ou de la commiséra- tion des puissances européennes la conservation du dernier asile de son vénérable chef! Les députés demeurés fidèles au minis;ère es- sayèrent de venger eux-mêmes et le ministère de cet échec par la prise en considération d'une mesure proposée quelques jours avant par M. le marquis de LaBoëssiere pour sauvegarder la dignité de la Cham- bre contre les attaques incessantes de la presse. Il s'agissait de la for- mation d'un comité chargé de lui signaler les écrits ou comptes rendus qui paraîtraient devoir pro- voquer l'exercice du pouvoir ré- pressif dont elle était armée par la loi du 25 mars 1822. L.i double op- position se recria vivement contre cette mesure que Benjamin Constant qualifia d'appendice à la loi des- tinée à tuer les journaux et la publicité de la tribune. » Mais elle fut appuyée par le président du Conseil , qui parla plutôt comme député que comme ministre, rt àfiul le discours, dit Al. de Da- ranlc, « lut conveniblc et b en écoulé, » et admise, après une discussion Irès-vive et trè.-.suiméo, à une faibo n:a orilé d? -■' >oix.

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Celle esjîèce de levanohe d'une irié|)arab!e défaite lui une faute de plus. Frappée de défaveur dès son origine, la commission La Boëssière ne fonciionna jamais, et son exis- tence, purement nominale, ne fit qu'ajoaier àrirritaiiondjs esprits. Une oi-casion qui devait enfanter de déplorables suites fut offerte k la population parisienne de faire éclater ses senlimenis. On sait combien Charles X, î\ l'exemple de rainé de ses frères, était jaloux des hommages de la multitude. La décroissance marquée de l'empres- sement populaire l'affectait sensi- blement, et il recherchait avec avidité louies les occasions de constater le retour de sa capitale à de meilleures dispositions. Le 12 avril, jour anniversaire de sa pre- mière entrée à Paris, était une de CCS circonstances cet excellent prince aimait à laisser monter jus- qu'à lui ce parfum de la faveur pubiique dont le mensonge a égiiré tant de rois. Ce jour là, Charles X reconnaissait les témoignages de déout-ment qu'il avait reçus alors de la garde nationale en lui con- fiant le service exclusif de son palais. Le IG avril, jour auquel ce service avait été remis à cause des solennités de la semaine sainte, des détachements de chaciue légion furent réunis dans la cour des Tuileries; le roi , accompagné du dauphin et d'un nombreux état- m^ijor, en passa la revue aux cris répétés de Vive le roi! Vivement touché de cet accueil, Charles X exprima le regret que les légions eiilières n'eussent pas été conviées ^ celle Eûlennilé militaire, et que la célébration de ce mémorable anni- versaire se fût r»' duite à une simple parade. Les encouragemenlsdes of- iiiiers supérieurs qui entouraient

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le monarque, ceux surtout du ma- réchal Oudinot, commandant supé- rieur(l), eurent bientôt transformé ce regret en un engagement formel de passer la revue de la garde na- tionale, réunie au Champ-de-Mars, le 29 avril suivant. Cependant cette résolution occasionna quelques dé- bats au Conseil des ministres. Le projet de loi sur la presse avait été retiré le 17, et les démonstrations excitées par celle mesure présa- geaieniunp réception au moins équi- voque au roi, qui allait se trouver face à face avec la population de sa cipitale. Ci's considérations ébran- lèrent Charles X, et ce prince se montra disposé a ajourner ou même à abandonner sa résolution. Mais le comte de Villèle, persuadé qu'il valait mieux encore affronter les conséquences de celte réunion hau- tement annoncée, engagea le roi à ne témoigner ni regret ni méliance, et k passer la revue (2). Cet avis pré- valut, et le 29, par un temps ma- gnifique, 20,000 gardes nationaux se dirigèrent dans le plus bel ordre vers le Champ-de-Mars, dont près de 300,000 spectateurs bordèrent la vaste enceinte. Le roi parut, ac- compagné du dauphin, des ducs d'Orléans et de Chartres; les prin- cesses suivaient le cortège en ca- lèche découverte. Charles X, à son arrivée, fui salué de nombreuses et vives acclamations, et tout sembla d'abord devoir infirmeries fâcheux pronostics quo celte journée avait inspirés. Mais lorsque le roi com- mença la revue, des cris de : A bas les ministres! A bas les jésuites ! se

(i) Lettre (lu comte de Viliolc, du (> mai 1827.

(2) f^olicG sur le covUe de Villèle ^ par M. de Ncuvi'lo, p. M9.

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mêlèrent à ceux de Vive le roi! Soit calcul politique, soit esprit de con- venance, plusieurs officiers blâ- mèrent ouvertement ces maniffsta- lioiis, que des avis distribués à profusion dans les rangs avaient cherché ïi prévenir. Arrivé devant le front de la 1" légion, le roi y fut accueilli , dit un historien, « par des cris de Vive la charte! proférés avec tant de force et avec une per- sistance si marquée, que ses traits prirent l'expression du méconten- tement; un garde national quittant alors les rangs, s'avança près du monarque et lui dit : Voire Ma- jesté irouve-t-elle donc mauvais que sa garde nationale crie Vive la charte! Je suis venu ici pour recevoir des hommages, et non des leçons, répondit Charles X avec l'accent de la dignité offen-ée. Un cri una- nime de Vive le roi! éclata aussitôt dans tous les rangs de la légion, et le roi continua sa marche (I). » Après iri i evue, Charles X manifesta sa satisfaction de l'ensemble de cette journée, et consentit à ce que le maréchal Oudinot en con- signât l'expression dans l'ordre du jour qu'il se proposait de pu- blier le lendemain. Mais des in- cidents imprcvus devaient donner à sa volonté un autre cours. Quel- ques compagnies qui retournaient dans ieurs quartiers respeclils en passant par la rue de Rivoli et la place Vendôme, (irent entendre avec violence, sous les fenêtres du ministère des finances et de lachan- cellerie, les cris de répulsion que le roi avait si dignen^ent réprimés. Avertis de ces démonstrations lios- tiles, les ministres, alors réunis

(1) Uist. (h fi (u'ux He^slauralion^i. par A. de Vaulabelk', t. vi, p. '8:2.

chez l'ambassadeur d"Auiri(:he, se rendirent au ministère de l'intérieur. le préfet de police leur transmit successivement les rapports qui lui furent présentés sur ces événements. Le Conseil se prolongea assez avant dansia soirée. La majorité fut moins touchée du sens littéral des excla- mations qui avaient été proférées que du caractère révolutionnaire sous lequel elles s'étaient produites. Sur ces entrefaites, le comte de Vil- lèle fut mandé aux Tuileries et in- terrogé par le roi sur le parti qu'il convenait de prendre. Le chef du cabinet conseilla sans hésiter la dissolution immédiate de la garde citoyenne. Cet avis fut adopté par CharlesX, etreportépar le ministre à la réunion de ses collègues qui y adhérèrent, à l'exception de MM. de Chabrol, Frayssinous et le duc de Doudeauville, qui donna sa démis- sion peu de jours après. L'oitlon- nauce de dissolution remplaça, dans le Moniteur, l'ordre du jour que le roi avait d'abord autorisé. Cette mesure, sèchement formulée, et que n'adoucissait la promesse d'aucune réorganisation future , excita une grande rumeur dans Paris. Elle blessa auNif les officiers de la garde nation lie, flattés de l'importance de leur position et dont la plupart étaient demeurés sincèrement at- taclies au régime de la Restaura- tion. Elle provoqua les clameurs affectées de celte partie de la popu- lation i^our liKjaelle le service n'avait jamais été qu'une corvée sans com- pensation. C»itte mesure élailinjuste en ce qu'i lie faisait porlerau corps entier la peine de quelques vocifé- rations individuelles; impolitique. en proclamant un divorce absolu entre le gouvernement cl la popu- lation de sa capitale. Eutin, elle était insuffisante, pui-^que la garde

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licenciée conservait ses armes, cft qui rendait sa dissolution illusoire et même dangereuse. Ces consé- quences se produisirent plus tard avec trop d'évidence dans les fu- nestes journées de juiUet, et, de touies les fautes qui contribu^Tent à la chute du trône de Charles X, aucune n'eut une portée plus fâ- cheuse et pius regreUable. Cette session législative, si constamment agitée, fui marquée néanmoins r.ar d'importants travaux. La confusion des anciens et des nouveaux règle- ments sur l'adminisiralion fores- tière avait fait de celle partie de notre économie publique un véri- table chaos, et l'extrême latitude accordée .--lUX propriétaires pr.r la légis'ation moderne pour la dispo- sition de leurs biens, avait amené un dépérissement sensible dans l'a- ménagement de ce genre d'immeu- bles. Le projet d'un code complet sur la m.itière, élaboré par des hommes (ompét nls et soumis aux observations préalables des corps judiciaires, fui présenté à li Cham- bre des députés, puisa la Chambre des paiis par M. de Martignac, el adoplé par elles à la piesque una- nimité. Les deux Chambres eurent également à s'occuper d'un projet sur rorgaiiisalion du jury, ou plu- tôt sur la formation des listes élec- torales, qui jusqu'alors avait été abandonnée, ou à peu près, à l'ar- bitraii e de i administration. Le plan miniblér el, qui restreignait aux seuls électeurs l'exercice des fonc- lions de juré, subit un remanie- ment romplet, malgré les efforts de Villele, dont ce résultat signala le discrédit prot;ressil ii la Chamhre despair*, qui en prit Tinilialive. La discussion du budget se ressentit de cette disposition des esprits : « Comme on pouvait y parler de

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tout, dit un écrivain grave, les op- posants de la droite saisirent toutes les occasions de blâmer le minis- tère sans nui ménagement, et avec des paroles plus agressives que les orateurs de la gauche (1). » On pourra juger de la violence de leur langage par ce fragment d'un dis- cours de M. dePreissac: «Ministres du roi, s'écriail-il, il vous reste un grand service ^ rendre au trône et au pays, le seul qui puisse réparer le mal que vous avez fait : c'est de vous retirer. Vous êtes destitués de toute force morale; toutes les su- périorités vous effrayent, le cri de Vive le roi vous accuse ; vous voulez effrayer par des coups d'État : per- sonne ne vous craint; vos destitu- tions sont des litres d'honneur. » A de telles déclamations, le prési- dent du Conseil ne pouvait opposer que le tableau de la prospérité ma- térielle du pays, dont les revenus cro'ssaient dans une proportion no- table, et le spectacle de la sécurité extérieure que rien ne troublait d'une manière sérieuse. « Dieu n'a- bandonne pas la Fiance, disait-il, et s'il veut nous affliger par le désordre qu'il laisse pénélrer dans quelques esprits, du moins il pourvoit avec largeur aux besoins de ceux qui, par leurs travaux, élèvent le pays à un haut degré de développement dont chaque jour les bornes re- culent devant nos efforts. » La sin- cérité même des chitfres du budget fut violemment lataquée par M. Laf- fitte, qui alla jusqu'à menacer le ministère d'une accusation directe, dont MM. Labbey de Fompières, Mechin, B. Constant, Pêtou et de Thiard se portèrent les auxiliaires,

(1) La Vil', politique de M. Rayer - Collard, par M. d" n;»rantc, t. ii, p. 329.

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mais qui n'eut aucune suite immé- diate. Attaqué à deux reprises au sujet de la dissolution de la garde nationale, le comte de Villéie re- vendiqua hautement la resp nsa- bilité de celte mesure « comman- dée par l'intérêt du pays qui ne devait pas retomber dans les révo- lutions par la timidité des conseil- lers de la couronne. » Non moins agressif à la Lhambre des pairs que l'avaient été à la Chambre élective AIM. Laffitte et Constant, M. de Chateaubri;ind écarta d'avance, par quelques considérations sévères et menaçmtes, les moyens de salut que le cabinet pouvait tirer d'une augmentation du nombre des pairs ou d'iine prolongation piusou moins étendue de la censure, et, par une prophétie que les événements pos- térieurs devaient se charger de démentir, il proclama hautement Pamour de la France pour la liberté de la presse. » M. de Cha- teaubriand déclara quil voterait contre le bii<'gei, et exhorta vive- ment les Chambres à user de ce moyen extrême, déclaration que qualifia avec sévéïilc M. deLally- Tollendal, et qui ne détermina qi;e rimperceplibie minorité de onze votes nr^^atifs. Ce futd.mscet état d'agi; alion que, le 22 juin, le roi pronon(;a la clôture de la der- nière session à laquelle le comte de Villèle devait prendre part. Deux jours après, une seconde ordonnafue prescrivit le- réta- blissement de la censure, et l'on put dès lors pressentir le com- raencemeut dune crise sérieuse. Le ministère, en effet, se trouvait tal:<iemeiit < onduit à la dissolution de laChdmbre.La majoriicdt^ cette Chami)re était devenue de plus en plus douteuse, et celle de la Cham- bre haute ne lui appartenait plus.

L'adoption de la S'^plennalité, votée par des mandataires élus pour une législature quinquennale, soule- vait en outre certaines oppositions de conscience ou de calcul dont la solution pouvait devenir périlleuse. Plusieurs préfets doimèrent au gou- v(!rnement des espérances favora- bles en cas d'élections générales, et la sécurité personnelle du roi fut encore entretenue par le succès d'un voyage dans les riches dépar- tements du Nord, de bruyantes acclama.ions avaient éclaté partout surson passage. Enfin, au train dont alhiit'nt les choses et en tenant compte du progrès inconltstûble des idées révolutionnaires, qui pouvait répondre que dans deux ans le re- nouvellement intégral de la Cham- bre s'opérât sans danger pour la monarchie? N'était-il pas prudent de tenter cette rdoutable épreuve alors qu'on pouvait en attendre encore une majorité qui ne serait pas trop décidemeiit hostile? La dissolution de la Chambre fut donc résolue. Mais, il fallait déjilaccr la majorité de l'autre Chambre par une promotion dont les éléments devaient être empruntés forcement à la portion la plus influente et la plusdivouée de cet:e assemblée. Celte liste, composée d'abord de cent noms, fut réduite à soixante- seize pur le roi et le dau|)hin. La double mesure de la dissolution de la Chambre et de la promotion des nouveaux pairs fui promulj^uée le 5 novembre; la même ordonnance prononça l'abolition de la censure, laquelle avait clé généralement exercée dans un esprit rigoureux, T'-'xaton-e et irès-propre à ;iug- me;!l»'r l'irritation universelle, [.es élections générales furent lixées au 19 et au 24 du même mois, terme dont la brit;velé accusait l'in-

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tenlion évidente de surprendre l'opposition au dépourvu et de rendre illusoires les réclamations des électeurs dont l'autorité se croi- rait intéressée à contester les droits. Mais ces expédients d'une admi- nistration défaillante manquèrent complètement leur elTet. Par suite de la nouvelle loi sur l'organisation du jury, les listes électorales se trouvaient dressées depuis plusieurs mois. Peu de jours sui'îirent aux meneurs du parti libéral pour s'en- tendre sur leurs candidats, dont plusieurs furent adoptes par la conlre-oppo.siiion de droite. Les libéraux, de leur côté, s'engagè- rent à porter, sous l'étiquette men- teuse de candidats constUiitionnels, certains noms designés depuis de longues années à leurs défiances et à leurs antipathies, mais qui trouvaient grâce à leurs yeux par la chaleur de leur animosité contre le ministère, objet dun ressenti- ment si universel. Ce fut le pre- mier exemple de ces coalitions électorales dont l'immoralité perni- cieuse devait être si largement ex- ploitée quelques années plus tard par les ennemis du régime parle- mentaire. A ces maiiœuvres con- damnables, l'administration se crut fondée i opposer un luxe de séduc- tions ou de rigueurs qui n'était guère moins repréhensible. Tous les moyens furent mis en usage pour faire triompher les candidats présentés par le gouvernement. Divers écrits anonymes, sans nom d'imprimeur, tirés à un nombre considérable d'exemplaires, aux frais de l'État, furent distribués soit sous le couvert des préfets, soit même sous celui des journaux de ro|. position. Tous les ordres de fonctionnaires publics, seule classe dévouée sans incertitude k tous

les régimes qui depuis soixante ans se sont succédé en France, furent requis de coopérer dans la sphère de leur influence, au succès de l'administration. L'ar- deur intéressée de leur concours ne fit pas déf lUt à ce pressant appel. Mais la puissance gouvernemen- tale qui, dans notre système de centralisation moderne, louche à tant d'iutérèls, dispose de taul d'action, fléchit celte fois devant l'indépendance du sentiment pu- blic , surexcitée par l'émancipa- tion récente de la presse périodi- que. Les noms les plus irréconci- liables non-seulement avec le sys- tème ministériel , mais avec la Restauration elle-même, sortirent de l'urne électorale, et le gouver- nement obtint à peine le tiers des candidats qu'il avait présentés comme présidents des collèges d'arrondissement. La proportion de l'opposition coalisée s'était éle- vée au chiflre énorme de 6,690 voix contre 4,1 iO suffrages donnés au parti gouvernemental. Ce pre- mier succès répandit une joie uni- verselle dans tous les rangs de l'opinion libérale. A Paris, dans ce vaste foyer d'opposition, un grand nombre d'habitants des quartiers Saint-Denis et Saint-Martin illumi- nèrent, dans la soirée du 19 no- vembre, les façades de leurs mai- sons, et l'air retentit du bruit de pétards et des cris de Vive laCharte! Vivent nos députés! auxquels vinrent se mêler les cris plus inattendus de Vive Napoléon ! Vive l'empereur I Ces démonstrations ne tardèrent pas à porter leurs fruits. Vers sept heures, une bande composée d'hommes et d'enfants de la lie du peuple, parcourut plusieurs points de la capitale en sommant les cilovens d'illuminer et en lan-

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çant des pierres contre les croisées. On remarqua que les agitateurs ne furent inquiéiés nulle part, si ce D'est par un poste militaire de la place Vendôme qui en arrêta uiie centaine environ; mais ils furent Lieniôl rc'lâohés. La rue Saint- Denis était au même instant le théâtre de désoidres plus graves. Des bandes de vocifôrateurs y iu- sullaif nt les citoyens paisibles, bri- saient les vitres des maisons et couvraient de pièces d'artifice les voilures qui circulaient sur la voie publique. Vers neuf heures, parut un détachement de gendarmerie qui, assaili k coups de pierres, re- foula la multitude dans la direc- tion de l'église de Saint-Leu et vers le passage du Grand-Cerf. Là, les plus échauffés imaginèrent de barrer la ciiculaiion k l'aide de charrettes renversées, d'ouiils de maçon, de moellous et de pierres de taille empruntés à des mai- sons en construction. Ce fut l'o- rigine de c<^s modernes barricades qui devaient jouer un si grand rôle dans les destinées futures de la France. Les ptriuibaieuis cri- blèrent à coups de pierre une patrouille de gendarmes du haut de ces retranchements improvisés, qui ne furent détruits que très- avant dans la nuit par l'emploi successif de plusieurs colonnes for- mées de troupfs de la garde et de la ligue, et à la suite d'un feu bien nourri qui fil plusieurs victimes. Le lendemain, 20, les mémesscènes se répétèrent aux nièmes heures, sur les mêmes lieux, et la plupart des spectateurs qu'elles avaient at- tirés parurent surpris de la longue inaction danr> Lquelle l'auturilé publique assista à ces désordres. Ce ne fui que vers dix heures que des forces suffisantes vinrent occu-

per les boulevards Saint-Denis et Saint-Martin. Les trois barricades, reconstruites sur les mêmes points que la veille, lurent emportées k la suite d'une résistance opiniâtre, qui coula la vie à quelques citoyens inoffensifs, et qui amena l'arresta- tion d'un grand nombre d'anar- chistes. Dans la soirée de ce jour, trois députés nouvellement réélus, MM. B. Constant, Laffite et de Schonen se présentèrent, chez le président du Conseil, qui refusa de les admettre autrement que comme simples individus, parce que la Chambre n'avait encore au- cune cOîisiitulioQ légale. Benjamin Constant insinua que les dé- sordres qui affligeaient la capitale pouvaient être attribués au parti vaincu dans les élections ei pressa le ministre d'y apporter un terme. Cette thèse fut soutenue par M. de Schonen avec l'emportement pro- pre â son caractère; M. Laflittese borna à regretter le licenciement de la garde nationale, dont il de- manda la réorganisation. Le comte de Villele répondit â B. Constant que le parti qui regrettait la disso- lution de la iiarde nationale était encore plus intéressé à fomenter les troubles de Paris que celui qu'il qualifiait de vaincu; que d'ailleurs les tribunaux auraient bientôt à prononcer sur le caractère de la sédition ; qu'au surplus 15,000 hom- mes de troupes étaient mis à l'heure même en mouvement |)Our la répri- mer. B. Constant ayant objecté que ces mesures répressives auraient être prises plus lot, le ministre lui répliqua que, si la rébellion n'avait pas été mise en demeure par des sommations réitérées, on n'eût pas manqué d'attribuer aux troupes la provocation det désordres et l'exaspération des ci-

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toyons, mais que les actes d'agres- sion matérielle auxquels elle avait eu recours all'ranchissaient dès à présent le pouvoir de toute respon- sabilité. La sensation qu'avaient produite les événements de la rue Saiul-Denis à t*aris et dans les dé- parlements fui très-vive. C'était, depuis la journée du 13 vendé- miaire, la première collision sé- rieuse qui eût ensani^lanlé les rues de la capitale. Celle impression exerça une action marquée sur les élections des grands collèges, qui n'ava-ent point encore voté, et dé- termina de leur part une réaction sensible en faveur du ministère. La plupart de ses candidats furent nommés à de fortes majorités, et ce résultat accrédita la supposition que ces troubles avaient été excités ou soudoyés par la police pour ef- frayer les électeurs et détourner des choix hostiles au gouverne- ment. Cette inculpalioii parut au- torisée par la longanimité suspecte afcc laquelle la police était de- meurée spectatrice des premiers mouvements : mais elle ne saurait être léiièrement admise. Que quel- ques zélés subalternes eussent pensé servir les intérêts du minis- tère en favorisant par une tolé- rance calculée le développement de l'insurrection, cette supposition n'a malheureusement rien que de possible, et l histoire de nos trou- bles civils est pleine de manœuvres de celte nature. Mais inférer de celte coFijecture que la police eût provoqué une deraonslralion si conforme, .-iprès tout, aux prati- ques révolutionnaires, c'est une coLcIusion que la raison repousse, et (jui ne SdUraii être jusliliee que par des témoignages précis et irré- cusables. Or, les évi iiements des 19 et 20 novembre donnèrent lieu

U une information approfondie et, de cette enquête, qui se termina sous le ministère le plus constitu- tionnel peut-être (|ue la France ait possédé, il ne ressortit aucun grief sérieux contre, les agents de l'au- torité. L'agitation des esprits fut encore surexcitée par une publica- tion qui n'accusait que trop le désordre des idées et la décadence du pouvoir de Charles X. Un écri- vain libéral, condamné en 1821 pour écrit sédiiieux, M. Cauchois- Lemaire, imprima une lettre par laquelle il exhortait M. le duc d'Or- léans à profiter de la faveur des circonstances pour prendre posi- tion dans la monarchie battue en brèche par tant de passions conjurées. « Le peuple français, lui disait-il, est un grand enfant qui ne demande pas mieux que d'avoir un tuteur; soyez-le.... afin que le char si mal conduit ne verse pas; nous avons fait de notre côlé tous nos etîorts, essayez du vôtre, et saisissons ensemble la roue sur le penchant du précipice. » Malgré la transparence de légèreté dont l'écrivain s'était plu it le voiler, personne ne s'abusa sur la portée de cet appel fait au rejirésentant le plus éminent, sinon le plus dé- cidé, de l'esprit de 1789. L'insinua- tion parut assez directe pour (jue le prince s'empressât, par lui et surtout par ses amis, de répudier cette es- pérance intempesiive dont la réa- lisation devait lui procurer, moins de trois ans plus tard, une domi- nation seraéede plusd'orJiîesencore que celle de Charles X, pour abou- tir comme elle à l'exil et à la pros- cription : destinée trop commune aux pouvoirs modernes, et que les excès de la force, la droiture des intentions, les habilclés de la con- duite semblent également impuis-

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sants à conjurer. Loin d'ailleurs d'avoir été concertée avec le pre- mier prince du sang, comme on l'a cru el répété, la sommation si tranchée de M. Cauchois l'avait ri- vement contrarié. Toujours sus- pect au parti royaliste par son ori- gine et parson entourage, M. It duc d'Orléans n'avait rien tantk cœur que de s'effacer, ostensiblement au moins, de la scène politique et de se maintenir en bonnes relations personnelles avec le roi Charles X. Moins ambitieux poi:r lui-même qu'on ne l'a généralement supposé, ce prinne n'était p?.s insensible sans doute à l'idée de faire entrer dans sa belle et nombreuse famille l'une des plus brillantes couronnes de l'univers; mais cette séduction était balancée chez lui par le sen- timent des avantages et des jouis- sances de sa* florissante situation. « Le soin qu'il apportait à ménager, à se concilier tous les partis, dit un rigoureux appréciateur, pre- nait sa source autant dans son ca- ractère, où manquaient la fran- chise et l'élévation, que dans !a pensée de se réserver une position distincte de celle de ses parents dans les éventualités d'une nou- velle catastrophe dont il avait la prévision co{:fuse(l}. » La condam- nation prono céc contre M. Cau- chois - Lem.wre, quelques jours après, ajouta peu d'éclat k la po- pularité du duc d'Orléans, aiors fort restreinte et coiicenirée, pour ainsi dire, entre quelques sommi- tés du parti libéral i,2}. La politique

(1) Jlisl. (les deux Restaurations^ par A. <lc Vaulabelie, t. vu, p. 2«<;.

(2) Un des chefs secondai le.^ de ce parti, M. de U;iiiibuleau, d puis préfet de la Sciuc, appliquait faïuilioriiiunl au prince celte phrase devenue prover-

étrângère vint apporter une direr- sion momentanée à la vivacité des débets intérieurs. Depuis six ans, la Grèce disputait sa liberté avec une énergie dont |e triomphe n'é- tait suspendu que par le contact empoisonné des passions révolu- tionnaires. Cependant une conven- tion avait été signée ù Londres, le 6 juillet 1827, entre la France, la Russie et l'Angleterre, el un ulli- matum fut envoyé à Conslantinnple, soutenu par les flottes combinées de ces trois puissances. îilais .'e sul- tan se persuada qu'une coalition for- mée d'élr'ments aussi hétérogènes se dissoudrait avant d'agir, et que ces Etats reculeraient devant l'idée d'ouvrir, par ladestructionoumême par l'alfaiblissemenl del'enipire ot- toman, une série de complications périlleuses. Il fit construire dans le port d'Alexandrie, sous la direction même d'ingénieurs européens, une nombreuse flottedesiinée à attaquer, dans l'iled H}dra,le principal bou- levard de l'insurrection hellénique. Les coalisés, de leur cùté, en- voyèrent dans les eaux delà Médi- terranée des forces suffisantes pour neutraliser l'i^clion des deux Klats belligérants. Les trois amiraux pri- rent position, le 18 octobre, dans le port de Navarin, leurs mouve- ments ne furent point inquiétés par la flotte îurco-cgypiiennt*. Mais un parlementaire anglais, dépêché au vaisseau amiral turc, ayant été tué par une balle partie de ce bâti- ment, ce fut le signal du combat. Il dura trois heures et demie et se termina [)ar la destruction presque entière de laûolte ennemie. Quel-

bialc, à propos de (iaston d'Orlcans, qu'il n'ctaii propre (pi'a donner la mam a ses amis pour les faire monter h recliafaud. d

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que populaire que dût être un tel événement en France, la cause hellénique avait généraler^ienl pas- lionné les esprits, l'opposition, dans son injustice, ne put se ré- soudre à en fdire honneur au mi- nistère. On prélendit, non sans quelque fondement peut-être, que l'amiral de Higny et l'amiral Co- drington, t'e derniersurtout, avaient excédé leurs inslrucli< ns (1). On ignorait d'ailleurs combien étaient vives en faveur de la Grèce les sym- pathies personnelles de Charles X, et avec quelle ardeur il se prêtait à toute démonstration utile à son in- dépendance. La victoire de Navarin n'apporta donc aucune force au cabinet, et il fallut aviser sérieuse- ment, en regard de la formidable majorité qui s'avançait. Les comtes de Villèle et Corbière avaient été réélus par leurs collèges; mais M. de Peyronnet avait succombé dans une double candidature. Lors- que le résultat général fut connu, Charles X réunit ses minisires et leur demanda s'ils pensaient pou- voir avec quelques chances de suc- cès affronter l'opposition de la nou- velle Chambre. On lui répondit

v'I; Voici, bur cet événement, une anecdote peu connue, et dont on m'a garanti ryiiliienticité. Les trois puissan- ces avaient donné a leurs amiraux l'or- dre de s'iiiti'idire tout acte d'agression contre la fluUe turco-cgyplieiine. Mais le duc de Clarencc, grand-aniinil d'An- jileierre, ne l'entendit pas ainsi; et, après avoir signé, en sa qualité, les instructions qtie son gouvernement lui prcsciivait d'iidrcsser a l'amiral Co- dhngtoii, (lui commandait la station, il écrivit au-dessous de sa signature ces trois mots: «Itdvcat Ihcm (tombez des- sus). » Codrini^loii, qui ne demandait {»as mieux, s'enundit avec ses deux col- ègues, et la llolle /'gyptiennc fut anéan- tie.

que la session s'ouvrirait proba- blement par la demande du renvoi des ministres; mais que si cette demande était écartée par un refus péremploire, il y avait chance d'obtenir la majorité pour toutes les lois d'intérêt général conformes à l'esprit qui avait présidé aux élec- tions. Les membres du cabinet ac- compagnèrent leur réponse de l'of- fre immédiate du dépôt de leurs portefeuilles; mais ils déclarèrent qu'ils étaient prêts à engager la lutte si le roi le jugeait utile aux intérêts de la monarchie et du pays. Lft roi entretint ensuite particu- lièrement Villèle de diverses com- binaisons ministérielles proposées pour satisfaire l'opinion publique; Villèle insista surtout sur la néces- sité de fixer l'incertitude des es- prits par une prompte détermina- lion dans un sens ou dans l'autre. Au fond , il n'avait aucun es- poir de maintenir l'intégriié de son ministère en présence de la nouvelle Chambre : mais il pou- vait se flatter encore d'apparte- nir k une administration qui ral- lierait le centre droit et la défection, et divers plans, comme on va le voir, furent mis en avant dans cet objet; mais aucun ne put aboutir. Le lendemiin, après la séance du Conseil, le roi déclara au comte de Villèle l'intention de remplacer son ministère, et le consultasur le choix d'un nouveau cabinet. Mais Villèle déclina toute responsabilité à cet égard et consentitseulemenl à man- der à Paris le marquis de Talaru, alors ambassadeur à M-idrid; il pro- mit aussi de l'informer de l'inten- tion où était Charles X de lui con- fier la désignation et la présidence du nouveau Conseil. M. de Talaru vint, mais il répudia tout concours dans la distribution de l'héritage du

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comte de Villèle. Le roi fil appeler M. de Chabrol, ministre àe la ma- rine, serviteur fidèle, administra- teur caj)able et modéré. M. de Cha- brol accepta latâchequi lui était im- posée; ii présenta une liste dont Char- lesX effaça sansbésiterle nomdeM.- de Chateaubriand pour le rempla- cer par celui de M. do Laferronnays. MM. Portails, de Martignac, Roy, deCaux, furent appelés aux dépar- tements de la justice, de l'intérieur, des finances et de la guerre; M. de Chabrol conserva le njinistère de la marine, M.Frayssinouscelui de l'in- struction publique et des cultes, et l'on créa un ministère du commerce pour le confier à M. deSaini-Cricq. Cette combinaison laborieuse ne s'était réalisée que le À janvier 1828. Trois semaines avant, le comte de Villèle écrivait confiden- liellt^menl son fils une lettre on lisait les passages suivants qui ré- fléchissent ai vif les embarras réels de la situation : « Mon honneur et mon devoir m'interdisent d'aban- donner le roi et me prescrivent de l'aider à sortir de l'embarras pres- que inextricable il se trouve, soit en restant pour combattre l'en- nemi... soit en facilitant en tout ce qui dépend de moi les arrang«'menls nécessaires pour notre remplace- ment, si c'est, comme tout me porte à l'espérer, le p;irii qu'il (inita par adopter. Cependant les choses sont bien dilltrentes de ce que tu te fi- gures; cha(jue jour des proposi- tions me sont faites de la part des deux sections de la coalition, (jui m'olTrcnt leur alliance el la majo- rité, à la ronnilion de partager avec quelques-uns des leurs les postes ministériels; le public est dupe par les journaux de la manière la plus honteuse; toutes ces intrigues me font pitié. Le lendemain du jour

je ne serai plus ministre, tout le monde viendra me complimenter, car ce n^est pas à .\f. de Villèle quon en veut, c'est à lautorité; c'est ce que le roi et madame la dauphine surtout sentent à merveille (1), el ce qui retarde la décision après la- quelle nous soupirons... L'affaire d'Orient lire à sa fin, celle du Por- tugal est arrangée, celle d'Espagne terminée, le tout pour le plus grand intérêt du pays. La France est plus prospère qu'elle ne l'a jamais été. On peut quitter sans regret, et sur- tout sans remords ni crainte, une administration sous laquelle ontété amenés de tels résultats, o Le 3 jan- vier, veille de la promulgation du nouveau ministère, il fut teiiu aux Tuileries un dernier Conseil s'a- gita la promotion ^ la pairie des comtes de Villèle, Corbière et Peyronnet. Villèle résista beaucoup, pour sa part, à cette mutation qui privait Charles X de son influence dans la Chambre élective. Le roi lui écrivit secrètement pendant le Conseil que ce refus l'obligerait à lui conserver son portefeuille, cha- cun des nouveaux minisires ayant fait de ^a promotion la condition absolue de >on entrée au cabinet; Villèle ayant persisté, Chant s X lui écrivit de nouveau : « Vous voulez donc vous imposer à moi comme ministre? » Villèle répondit aussi- tôt : « Le roi sait bien le contraire; mais puisqu'il a pu l'écrire, qu'il fasse (Je moi ce qui lui pl.iira; Dieu veuille qu'il n'ait pas à s'eu repen-

' I) Loivquc ccUc princesse eut appvjs ile>a lioii! lie nii-nie de Charles X la ré- solution qu'il avait prise de renvoyer sou iiiuii>lère, el e lui dit : « En aban- donnant M. de Villèle, vous d.smdtv. la pr. iiiiere marche de votre irône. {i\otice de M. de Neuville, p. lU-.)

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lir! » Lorsque le nouveau pair vint prendre congé de M. le dauphin, ce prince lui témoigna les regrels qu'il éprouvait de sa retraite : « iMais, ajoula-l-il , vous étiez devenu si impopulaire' Monseigneur, ré- pondit l'ex-minislre, Dieu veuille que ce soit moi! » Le lendemain même de l'ordonnance, le comte de Villèle écrivit à sou fiis : « Mon cher ami. Dieu soit loué! Me voilà déû- Ditivonicni ariivé au terme de ma carrière politique, me voilà débar- rassé du ministère! On a jugé à propos de m'enterrera la Chambre des pairs; je me soumets et je m'en console par la considération que celle mesure m'assure la plus com- plète j'ouissance de ma liberté. Je viens de faire remise du ministère à M. Roy. Je le laisse en bon état» tout à jour et dans une situation assez prospère pour rester honoré de l'adminislraiion qui m'a été con- fiée pendant six ans (1). L'abandon

(1) Voici dans quelle situation le comte de Villèle, d'après M. d'Aiidiffret, laissnit, au 4 janvier 1828, soi) adminis- tration. « Toutes les créances anté- rieures à son exercice avaient été pres- qu'entiéremcnt soldées, par suite de la célérité que rordonnance du 14 sep- tembre 182:2 avait imprimée à l'acquit- .tenacnt des dé[>enses publiques. La dette flotiante ne s'élevait pas alors au deià (le 1G7 millions de capital; nous pos«-cdioiis, enoutrc, un t,Mge de plus de 100 Dullion sur le gouvernement espa- gnol.— Le budget de l'Ktat n'avyit point atieii.t le cbillrc de 900 millioi/s; sa liaianee ;iniiuellc présenlail un excédant do reeetle sur chaque exercice, en ré- servant encore un accroissement pro- gressif df |dus de 80 millionsau rac hat journalier de la dette imblique. Le poids des eng:igemei.tr> du passé, si lourdement aj^gravé par les gouvernc- meiils anlérieiir> a ISll, jusqu'à concur- rence de lO.'i millidns d'inréra^es, avait été allégé de 'M millions, et .se trouvait réduit, avant la n volulion de IHéfO, a 162 millions de renies, pendant que les

de la vie active ne procura point à Villèle cette tranquillité d'esprit et de corps après laquelle il soupirail. L'importance du rôle qu'il venait de remplir dans la sphère politique l'avait rendu l'arbitre naturel d'une foule de questions sur lesquelles il étaitincessamment consulté soit par les nouveaux ministres, soil par le roi, soit par les députés mêmes dont il avait éprouvé l'hosiililé.Deuxdo ceux-ci, MM. de La Bourdonnaye et de Lalot eurent recours à son influence pour rétablir l'union par- mi le côté droit de la Chambre. II leur répondit qu'il coopérerait fran- chement à celle œuvre sous la seule condition qu'elle aurait pour but imique«ladéfensede Taulorilé mo- narchique, et pour point de départ" la rupture complète des royalistes avecles députés révolutionnaires. » Enfin, il fut averti que l'ouverture prochaine de la session léi;islative allait être marquée par une attaque directe contre son administration, et dut demeurer à Paris pour faire tels au pé.'il. Le vériiable objet de celle attaque était de placer Villèle sous le coup d'une suspicion légale qui écartât de l'esprit du roi toute possibilité de le rappeler aux af- faires, j) Elle eut son prélude dans l'Adresse de la Chambre élective, qui contenait cette phrase, votée par 187 contre 173 voix : t Les vœux de 1.1 France ne demand< ni aux dé- positaires de votre pouvoir que la vérité de vos bienfaits; ses plaintes n'accuseni que le syslme déplorable qui les rendit trop souvent illu- soires. ■ Ce témoignage d'improba-

fonds du :') p. 100, du i et du 4 1/2 se maintenaient au-dessus du pair, et que le 'A p. 100 aUeignait dija le taux de 8G Ir. » (Souvenirs de radministration financière, etc., p. 312 ctsuiv.)

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tion ne permettait plus à MM- Frayssinous et de Chabrol ôc gar- der leurs sièges dans le nouveau ca- binet, lisse retirèrent etfurent rem- placés parMM.Feutrieret Hydede Neuville. Quelques jours avant la présentation de l'Adresse, le comte de Villèle écrivait à son fils: «Loin de redouter Taccusaiion dont on me menace, je la provoquerais de tout mon pouvoir, si dans tout ceci c'était en effet de moi qu'il s'agît; mais on ae cherche par toutes ces menaces et par l'acte lui-même, si on l'exécute, qu'à lancer la Cham- bre dans une voie de violence et qu'à forcer le roi à faire des con- cessions destructives de son auto- rité et fatales au repos du pays. Ce système de concessions, si dan- gereuxsurla pente révolutionnaire se trouvait la France, se réali- sait en eiïet avec une progression de plus en plus alarmante. Le pou- voir perdait dans la suppression des procès de tendance, de la censure facultative et du droit de refuser la créaiiûu de tout nouveau journal, ses armes les mieux trempées con- tre les attaques suJverMves de l'or- dre public, et les e>prits sages purent prcvoir des lors qu'il ne reco:;querrait un jour ces^aranlies qu'au prix de violences déplorables et d'une réaciiou outrée contre les libertés politi(pies. Le 4 juin, M. Lab- bey de Pompières déposa sur le bureau de la Chambre une demande conçue en i es termes : « Je propose d'accuser les précédents mi[iii?trcs de trahison envers le roi q l'ils ont isolé du pays, et de trahison enver's le peuple qu'ils ont isolé de la con- fiance du roi; je les accuse d'avoir atit'utc à la constitution du pays et aux droiisdes citoyens; je les accuse de concussion pour avoir perçu des taxes non volées ei dissipe les de-

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Diers de l'État. » Cette proposition, combattue pour la forme [)arM. de Marliiînar, ministre de l'intérieur, et pour le fond parM.deMonibel.ami particulier du comte de "Villèle, fut réduite aux crimes de trahison etde concussion, et renvoyée i l'examen d'une commission composée en ma- jorité de membres du parti libérai et de la défeciion(l), m.'^is l'on fit entrer M. de Montbel et le co- lonel de Laraezan, parent de l'an- cien chef du Conseil. « I! paraît cer- tain, écrivait le 26 juin l'illustre accusé, que le but est de me placer dans une situation telle, que, pen- dant l'absence des Chambres, le roi ne puisse me reprendre pour mi- nisiie. On a bien de la bonté : il le voudrait en vain; pour rien au monde je n'y consentirais, et cer- tainement il n'y pense pas plus que moi. » Au bout de cinq semaines de recherches et de débats, le rap- porteur de la commission, M. Grod .de l'Ain), présenta, le 21 juillet, son travail à la Chambre. Il an- nonça que les mini:;lres ayant cru de\oir refuser la communication des dO( uments relatifs aux laits in- criminés contreleursprédéces-eurs, la commission s'était vue réduite ii chercher les éléments de sa con- viclio:; dans les notions générairs ou particulières qu'elle avait pu re- cueillir. L'accusation se trouvait ainsi réduite aux incriminations ba- nales que, durant une administra- lion dont le plus grandtort était d'a- voir >éi'u six ans, l'opposition n'avait cessé d'adiessrr aux dernier's con- seillir> de la couronne : la guerre

(1) Les neuf membres de cette con)- missiun étuient M. Maupnm, Cir-o I ('le r\in), de Monll>i'l,Haui:ot,Diitcrir(\ B. Con.4;«nt, de Lalol, ue L:iniczan, Agicr.

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(l't^spagne, la tolérance accordée au retour des jésuites, les deslilu- lions moiivées par les voles élec- toraux, le rétablissement de la cen- sure, la dissolution de la garde naiionale de Paris, tels furent les griefs consignés dans le rapport de M. Girod, qui conclut au nom de la majorité de la commission à ce qu'il fût déclaré par la Chambre « qu'il y avait lieu à instruire, sur Taccu- sation de trahison proposée contre les membi es du dernier ministère. » M. de Montbel repoussa avec force celte espèce d'ajournement caché sous une formule aggravante , et demanda que la discussion eût lieu sans retard. Mais sa proposition, appuyée par la droite tout entière, ne put prévaloir, et le débat fut re- mis jusqu'après la discussion du budget. M. Royer-Collard,qui pré- sidait la Chambre, ayant à celle séance appelé auprès de lui M. de Montbel, qui s'était fait inscrire pour parler le premier sur le rap- port, lui dit : « Non, monsieur, vous ne parlerez pas le premier pour ddfendre M. de Villèle ; ce sera moi ! Je lui suis trop redevable pour ne pas me réserver cet avan- tage; je lui dois la conservation de ma fortune; il l'a oublié, lui, sans doute, mais moi, je m'en souviens, veuillez le lui dire (l).>La(lispersion des membres de la Chambre après le vote du budget, lit subir un nou- veau rela'd à laccusalionde M. de Pompières, qui commentait à s'éva- nouir dans l'impuissance et le ridi- cule, a Dieu donne au roi cl au pays, écrivaii Villèle le 26 juillet, des scrviienrs plus habiles et plus heu- reux 1 Noîis nouvons sans présomp-

(h iV'jf/cj, etc., par M. de Neuville . p. 181.

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lion dire qu'ils n'en auront jamais de plus dévoués ni de plus probes: c'est ce que personne ne nous con- teste. En somme, tout ce que nos ennemis ont tenté a tourné à leur honte; nous avons été tourmentés, mais désormais on nous laissera tranquilles... Je pars le lœur moins centriste depuis que j'ai la preuve qu'en certain lieu on veut bien en- core se souvenir des efforts que je n'ai cessé de faire pour bien servir. J'étais vivemenlaffligé de l'oubli dans lequel les apparences ont semblé quelque temps avoir placé mes bon- nes intentions et mon dévouement... Vous ne sauriez croire àquel point l'opinion se rectifie à mon égard et à celui de Corbière; nos plus grands ennemis sont obligés de dire : « Oh! pour ceux-lh, ce sont d'honnêtes gens. «Ces dernières lignes avaient trait sans doute à quelque indiffé- rence de Charles X envers ces gé- néreux serviteurs de la monarchie, et nous trouvons dans une publi- cation récente la confirmation de cette conjecture. «Depuis le licen- ciement de la garde nationale, dit M. de Barante, le roi avait com- mencé à se dégoûter d'un ministre par qui lui venaient des contrariétés et des embarras; il le voyait en butte à l'opinion publique, et ne voulait point parlagerson impopu- larité (1). » M;»is une telle impres- sion ne pouvait être que passagère dans l'âme d'un prince au'^si éqm- lable que Charles X ; elle fit bientôt place aux sentiments qui depuis si lon;;tempsunissaientle monarque k son ministre. On en jugera par cette lettre écrite le 2 août 1828, trois jours avant le départ du comte de

(1; La Vie polit, de M. lloyer-Col- lard, etc., par M. <1e Darantc, t. ii, p. 351.

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Villèle pour retourner en Langue- doc:» Accoutumé depuis longtemps, mon cher VilIèle, lui disait le roi, à écouter des conseils dictés par un sincère attachement, j'ai renoncé à mon désir de vous voir et de cau- ser avec vous avant votre départ. Vous devez me savoir gré de ce sacrifice. M. de Monlbel a pu vous dire que je lui ai témoigné haute- ment ma satisfaction de la conduite sage et noble qu'il a tenue dans la sale affaire de la prétendue :!ccu- sation. Elle s'est terminée aussi convenablement qu'on pouvait s'y attendre, et je suis convaincu que personne n'osera y revenir. Je ne vous dirai rien sur ce que vous savez aussi bien que moi. Voilà la session finie , et si on s'y prend Lien, je crois que l'on pourra tirer parti des Chambres Tannée pro- chaine. Parlez en paix, mon cher Villèle; je sais que vous ne vous tourmentez jamais inutilement ; aussi jp, suis tranquille pour vous, et j'espère que le repos de la cam- pagne consolidera votre santé. Dites mille choses pour moi à ma- dame de Villèle; il faut que son âme soit en paix comme la votre. Comptez pour la \ie sur tous mes sentiments d'estime , d'affection et de confiance. » Villèle partit le 5 août pour sa terre de Iforville, où, malgré les instances de ses amis, il persista à demeurer pen- dant la session législative de 18i9. Après la présentation des projets de loi sur l'organisation communale et départementale, .M. de Salverle prit la parole et développa l'accu- sation portée contre le dernier mi- nistère. Mais il fut entendu avec inattention et indifférence , et ce fut à peine si l'on put recueillir la conclusion de son discours, auquel M. de Martiguac, minisire de l'in-

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térieur, opposa une fin de non-rece- voirtirée de ce que la clôture de la session avait amené la péremption nécessaire de l'action intentée. La question préalable fut adoptée k une majorité considérable, et 30 ou 40 membres de la Chambre seule- ment se levèrent pour la combat- tre. Mais l'auteur de la proposition primitive, M. Labbey de Pompières, ne put se décider à lâcher prise : il déclara qu'il se réservait de re- prendre sa proposition lorsque la Chambre paraîtrait disposée à l'en- tendre. Ce droit d'ajournement, défendu par MM. Benjamin Cons- tant et Dupin aîné, lui fut contesté par le président, et M. de Montbel s'éleva avec force contre ce déni de justice qui consisterait à laisser planer sur la tête des inculpés la menace d'une accusation dont la prompte solution importait égale- ment h tous les intérêts. M. de Pompières fut réduit à masquer sa défaite en se réservant de repro- duire plus tard sa proposition. Cette déconvenue fut un premier pas vers la réhabilitation de ce ministère, objet naguère d'un décri si uni- versel. Mais ce succès mêi! e réveilla les alarmes que la perspective seule de son retour ne cessait d'in- spirer à toutes les nuances de l'op- position. Ces alarmes étaient d'au- tant plus vives que le cabinet de 1828, mal voulu du côté droit, peu sympathique àCliarlesX, faiblement soutenu par le côté gauche, dont ses concessions n'avaient pu désar- mer les tendances anarchiques. perdait de plus en plus ses condi- titins de viabilité. Le retrait des pj^ojets de loi sur les communes et les départements venait de consom- mer sans retour sa scission avec la majorité de la Chambre. Les ad- versftircsduderiiier ministère, bat-

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lus dans leur première lentatiTc, cherchèrent un nouveau prétexte à leurs hostilités, et ce fut une légère irrégularité dans l'usage des crédits supplémentaires alloués au dépar- tement de la justice qui le leur offrit. Le dernier minisire, M. de Peyronnet, avait tixcédé de quel- ques milliers de francs ce crédit spécial, par des frais d'installation intérieure, appliques à Triôlel de la chaucellerie, qui ne présentaient pasuncardctère suffisant d'urgence; la commission de la Chambre, par l'orgjne de M. Le Peletier d'xVunay, conclut a rallocaliou provisoire du crédit, mais à charge par le minis- tre des linances d'exercer une ac- tion en indemnité contre le minis- tre ordonnateur. Ces conclusions tirent naitre un débat animé. Les grands mots d'abus d:.' pouvoir et même de concussion furent pro- noncés à propos d'un excédant de dépense dont le chilîre modeste et ï'em|)loi désintéressé provoquentau- jourd'hui le sourire, et M. Etienne rappela gravement que « la simpli- cité était de bon goût dans l'habi- tation d'un ministre de la justice.» M. liourdeau , garde des sceaux, n'eut pas de peine à démon- trer qu'il n'y avait eu de la part de son prédécesseur, ni concus- sion, ni dilapidation, et que le fait incriminé ne pouvait donner lieu qu'à riiiflictiond'un simple blâme. M. Hyde de NeuTille, ministre de la marine, s'exprima dans le même sens. M. Sirieys de Mayrinhac fit remarquer que l'ancien garde des sceaux n'avait point excédé le cré- dit eu masse qui lui avait été alloué pour 1827; que l'iliéô'alité repro- chée ne poriait que sur un crédit de détail, et que M. de Piyronnet eût facilement régularisé celte dé- pense si «on existence minisiériplle

se fût prolongée un an de plus; enfin le ministre des finan<*,es ob- jecta l'incompétence évidente des tribunaux pour juger une question de haute administration. Cette ar- gumentation ne put prévaloir sur l'esprit de la Chambre élective. A la Chambre des pairs, M. de Durante se prononça avec plus de dévelop- pements, dans le même sens que M. Roy, et conclut à écarter l'ou- verture d'une action en indemnité, en réservant toutefois, éven'.ueile- ment, la responsabilité prévue par la loi du 2o mars 1817, Celli; sorte de transaction ne fut point admise, mais la Chambre repoussa la réso- lution de la Chambre des députés, et termina ainsi ce misérable débat. Le ministère Martignar fut congé- dié, mais ce ne fut pas les membres de la précédente administration qup le roi rappela au pouvoir. Frappe de cette sentence de M. Uoyer- Collard, qu'il n'y avait dans la Chambre aucun point d'appui, aucune majorité pour aucun mi- nistère, quel qu'il put ôire, Char- les X préfera chercher le salut de la monarcbie dans les voies péril- leuses d'un dévouement ab.-olu , plutôt que de l'abandonner aux inspirations d'uiie habileté patiente et éprouvée. L'avenoment du cabi- net du 8aoùi, composé du j)rincede Polignac, de MM. de La Bourdoii- naye, de Bourmont , Courvoisicr, d'Haussez, de Montbel,de Chabrol, fut accueilli avec une impression universelle d'élonnemenl et d'in- quiétude. Charles X, dont cotte combinaison était le produit per- soimel et spontané, répéta plusieurs fois, alors et depuis(l),que*Villèle

(1) Notice, etc., par M. le .onile de Neuville, p. 187.

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était trop précieux, trop ludispeii- sabîe à son service » pour vouloir le commettre avec des circonstan- ces aussi difficiles, et parut se sou- cier médiocrement de le revoir et de prendre ses conseils. L'ancien chef du cabinet, de son côté, ne témoigna aucun empressement à triompher de cette indifférence, et résista aux instances réitérées de ses amis qui l'exhortaient à se ren- dre à Paris: « On s'aperçoit chaque jour, lui mandait M. de Montbel , qu'un homme seul aurait la vigueur nécessaire pour lutter avec avan- tage, et cet homme dont on recon- naît l'immease capacité, la sagacité merveilleuse, la discussion écrasante pour ses adversaires, cet hommi^ non-seulement n'est pas repoussé par ses anciens ennemis, mais ils disent hautement qu'ils b'eslime- raient heureux de le voir reprendre les rênes. » Quelques jours plus tard, lorsque la déroluiion à M. de Polignac de la présidence du Con- seil eût amené Téloignement de M. de La Bourdonnaye, M. de Monlbel invoqua auprès de son illustre ami la parole autorisée de M. Courvoisier : «Un seul homme, disait l'ancien coryphée du centre gauche, peut soutenir le système et lui donner dans l'opinion une consistance qui lui i)ermetie de se maintenir. Je sais les inconvénients qu'il peut y avoir à son rappel dans le monieni, mais c'est la seulo possibilité, et mon idée à ce .sujet est si bien arrêtée, que moi qui depuis trois mois subis le minisiere sans contiance, sans espoir, je re- prends espoir el coniiaiice, je re- garde le succès coajnie u^biirc... Le roi tombe d'accord de cette né- cessité et indique que lii est sa con- fiance. M. de i'o.igiiac dit de môme; ils examinent sfulement quel est

le moment le plus favorable. Le plus tôt c'est le mieux, disons-nous ; nous sommes par conséquent d'ac- cord qu'il faut que la chose ait

lieu Le temps est venu, vous

jtouvez faire un bien immense à la monarchie. Le chef compte qm vous serez bientôt ici. Mes collè- gues m'ont prié de vous écrire pour vous demander si vous accepteriez de rentrer au ministère lorsque le roi vous appellerait. * Le comte de Villèle répondit que rien, dans le moment actuel, ne pouvait auîo- riser son retour aux alîaires, que, quant à l'avenir, la mesure de l'u- tilité dont il pourrait êlre dicterait sa réponse. Ce qui perce surtout dans cetle correspondance, c'est un profond regret d'avoir éié sé|)aré de la Chambre sur laquelle il exer- çait une utile influence, pour êlre relégué dans une assemblée « sans action sur roj)inion; réduit à des vœux, ajoutait-il, ils sont pour le triomphe de la cause à laquelle est lié le salut de la France ; vous sa- vez que ceux qui la défendront peuvent être sûrs de me trouver toujours dans leurs rangs. « Villè'e blâma 1 Ai!re>se des 221 comme in- convenante, et la j)roiogaLion de la Chambre comme insuffisante, impoIili(iue, et faite pour aecroilre plutôt que pou; diminiier les dan- gers de la siiuatiou. Ce fut à cette époque (23 mars} que des intérêts de famille ramenèrent à Paris. Se» amis accoururent autour de lui et se montrèrent, comme on pense, très-t iBpresses ùe coijuaitje son avii sur les conjonctures criticjues la njyauté .se trouvait engagée. ^Le coiate de Peyroimel lui dit qu'il se commettait tant de fautes qu'on le soup(;onnjii de les inspirer pour avoir l'occasion de se remlre im'co- saire et de se ménager commr uj>

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moyen de salul. u Vous me con- naissez bien mal, lui répondit Vil- lèle, si vous me croyez capable de jouer .'nnsi le rôle de Mazarin , et si vous me supposez doué d'une ambition assez aveugle pour désirer de revenir aux affaires après l'é- preuve que nous avons faite de la faiblesse de caractère du roi, après l'abandon de tous les moyens de défense qui restaient II la couronne.» Villèle ajouta qu'il plai^'uait vive- ment les conseillers de Charles X qui seraient contraints de recourir à des f;oups de force pour repren- dre les garanties dont l'industrie révolutionnaire avait dépossédé le pouvoir, et confirma la sincérité de ses appréhensions en détournant M. de Peyronnet d'entrer dans un ministère « il ne pouvait que se perdre. » Le comte de Villèle parut un soir au jeu du roi, il avait été invité. Quoiqu'il afTeclàt de se tenir à l'écart, Charles X l'aperçut et lui dit en l'abordant: «Pourquoi se faire si petit quand on est si grand? » Quelques paroles furent échangées entre eux, puis leroi lui dit avec affectation: Vous aurez vo- tre audience pour mercredi à midi. Villèle, qui n'avait demandé aucune audience, comprit facilement que Charles X voulait le recevoir sans inspirer d'ombrage aux amis du prince de Polign;ic. Il se rendit au jour indiqué chez le roi, qui l'ac- cueillit avec une graiido bonté, non sans îibsence toutefois d'une cer- taine contrainte , et ne l'enlrelint d'ailleurs que de questions vagues et insigniliaules. A la suite de cette entrevue, la dernière que devaient avoir le faible monarque et son fidèle conseiller, 1h comte de Vil- lèle trouva chez lui deux députés (lu centre gauche*, MM. llimiann et Dumaralhar. cui venaient lui faire

une communication importante. Ils offraient de lui rapporter l'en- gagement souscrit par un grand nombre de députés, de voter le prochain budget moyennant l'appel d'un nouveau ministère formé sous sa direction, et la promesse de se borner à cette seule loi pour la session prête à se rouvrir. Assuré d'un an d'existence, le cabinet aviserait aux moyens de calrner l'opinion et de rétablir l'harmonie entre le gouvernement et la Cham- bre. Les deux délégués exprimèrent de vifs regrets d'avoir voté la der- nière Adresse d'où pouvait, par l'ob- stination de M. de Polignac, sortir une révolution funeste, et la né- gociation qu'ils tentaient en ce mo- ment, et sur le caractère de laquelle le roi ne pouvait se méprendre, n'avait pas d'autre objet que d'en conjurer les conséquences. Le comte de Villèle refusa péremptoirement de se rendre auprès de Charles X le médiateur d'une démarche qui n'a- boutissait qu'à l'imposer au roi et au payscomme unique moyen d'ob- tenir le budget ; il promit de garder le secret sur leurs bonnes disposi- tions, eten les engageante chercher quelque autre moyen de les utiliser, il ajoutaque, pour sa part, il verrait avec joie cesser des divisions dont la durée pouvait causer la perte de la France. MM. de Monthel , de Chabrol et le prince de Polignac lui-même cherchèrent à vaincre la ré.sistance de l'ancien chef du Con- seil, mais sans succès. Villèle ré- pondit à ce diîrnier que le roi, en le rappelant aux affaires, aurait l'air de reculer devant l'Adresse de la Chambre; que le pays n'y verrait qu'une « combinaison fallacieuse et éphémère d'intérêts |)ersonnels, sans aucun principe commun ni pucune chance de durée, » et, pour

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ne laisser au prince aucun cloute sur la fermeté de ses intentions , il lui annonça son départ pour une époque fixe et rapprochée. Dans un dîner chez M. Olivier, ancien député de la Seine, alors pair de France, se trouvaient plusieurs personnagf^s politiques, M. de Pey- ronnet renouvela ses instances k son ancien collègue, et signala sa résistance comme pouvant être fa- tale aux intérêts de la monarchie. Le comte de Villèle opposa de nouveau les difficulté? radicales d'une situation le bien était devenu impossible , maintint son refus et conquit à son opinion la presque totalité des assistants. Il exhorta le comte de Montbel , 'în partant, ^ quitter une administra- lion évidemment disposée à risquer le sort de la France^ dans le jeu périlleux des coups d'État, et revint à Toulouse profondément attristé de tout ce qu'il ayait vu et entendu. Interrogé par ses amis sur la situa- tion : «C'est, leur dit-il, une i)lace minée dans tous les sens que la moindre étincelle fera sauter. » Il mandait li h\ même époque à ma- dame de Villèle: «Je n'avais que deux leviers avec lesquels j'ai été et je pouvais être de quelque utili- té : la confiance des royalistes et celle du roi; les premiers sont en décomposition, le roi s'est livré ii ceux qui nous ont fait le plus de mal, et ses faveurs répandues sur eux améuent dans nos rangs de nouvelles défections.... Je n'ai qu'une position honorable dans de telles circonstances, elle est ici. et j'y resterai. » A l'approche du coup de foiulro (|ui allait briser la monarchie et livrer à de nou- velles oscillations l'avenir et la sécurité de la France, de vifs éclairs s'échappaient de cette intelligence

si lucide et si exercée : « Nous mar- chons, écrivait-il , à une débâcle dans laquelle personne ne con- servera les moyens de nous remet- tre à flot.... » Et un peu plus tard: «Ce qui est déplorable, c'est que, conduit par deux tèt^^s de cette es- pèce (1), ce malheureux prince va être entraîné, et le pays avec lai, dans des coups d'État mal préparés, mal conçus, mal reçus et mal sou- tenus, et qu'il y a de quoi compro- mettre la légitimité, notre honneur et notre salut. » La catastrophe de 1830, trop prédite parle clairvoyant ministre d^* Charles X, le concentra dans une retraite de plus en plus absolue. Son nom, cependimt, ne tarda pas à repr»Mtdre de la publi- cité à l'occasion d'un débat rétros- pectif entre la Gazette de France et plusieurs organes des principes ou des intérêts que la révolution de juillet avait fait prévaloir. La feuille royaliste ne cessait d'oppo er an nouvel établissement, comme une infirmité de son origine, le petit nombre de censitaires dont était i^isue la Chambre qui l'avait pro- clamé, et d'invoquer ce vole uni- versel que devaient adopter, quel- ques années plus lard, dans un autre ordre d'idées, les constitutions de 1848 et de 1852. La Gazette réclamait avec la même insistance la décentralisation et l'émancipa- tion des commu;;es, et soutint que les chefs de la droite de 1815 avaient con>tainment d'^fendu cette thèse, que la chute du ministère de 1827 les avait empêchés de réali- ser. A l'appui de son langage, la Gazette produisit un plan d'ori^aul-

(1) MiM. de Polignac et de Pi'vroii- !iet. Tous ces détails sont extraits de la i\olivj do M. le comte de Neuville, p. 187 et suiv.

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sation municipale, cantonale, dé- partementale et provinciale, que le chef du Conseil se proposait de mettie.à eiéciilion avec, une Cham- bre des pairs reconstituée dans le courant de l'année 1828. On se sou\ient de l'insistance que les ad- versaires de Villèle avaient mise, sous son ministère, à réclanier sur ce point rexécution de ses engage- ments antérieurs. L'organisation conçue par Villèle paraissait dé- couler de ce grand priïicipe posé et dévelo.npé par Portails (1) et par d'autres publicistes, que les hom- mes ne jouissent d'une véritable liberté que « dans les contrées chacun d'eux est compté pour quel- que chose, et a l'opinion fondée et confiante de sa sécurité, » Tous les intéressés étaient appelés à élire leurs conseillers municipaux et cantonaux. Cesfonclionnaires jouis- saient des attributions les plus étendues; leurs délibérations, en certains cas, étaient soumises à l'ap- probation des conseils provinciaux ou généraux et à la sanction du roi. La circonscription départe- mentale était conservée et les pré- fets maintenus dans la gestion des iulérèii locaux, mais avec la créa- tion d'un intendant supérieur pour chaque province formée d'un groupe decinqou six départements, et d'un conseil d'intendance auquel seraient portés les appels des ariêtés rendus par les conseils de préfecture de la province. Les tribunaux d'arron- dissement disparaissaient pourfaire place i un seul tribunal pai- dé- parlement. Le clergé, la magistra- ture et les tribunaux consulaires jouibkaient du droii de présenter

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périodiquement au roi ou aux ordre supérieurs les demandes ou les ob- servations qu'ils jugeaient utiles sur les objets de leur compétence. L'innovation la plus considérable du projet consistait dans la substitu- tion d'une Chambre des pairs non hcrédilaire îi la Chambre existante, et dans le remplacement de la Chambre des députés par des États généraux organisés d'après un projet sj^écia!, et éligibles à des de- grés divers par tous les contri- buables. Le budget de l'État, par suite de cette organisation, se se- rait trouvé réduit îi 69 millions, la liste civile supprimée ; la royauté aurait reçu une dotation immobi- lière, et le traitement du clergé eût été remplacé piir des rentes sur l'État. Ce projet était conforme à plusieurs égards aux vœux consi- gnés dans l'ensemble des cahiers dressés en 1789, et nous voyons dans une histoire contemporaine accréditée que la duchesse de Berri se proposait d'en faire la base fon- damentale de la constitution desti- née à régir la Fraiice, dans le cas l'entreprise tentée par elle en 1832, dans l'intérêt des droits de son fils, aurait été couronnée de succès (<). Malgré les affirmations de la Gazette, il y a de fortes rai- sons de douter que ce plan d'orga- nisation intérieure fût sérieuse- ment arrêté dans l'esprit de Villèle. Il ne constituait rien moins, en effet, qu'une révolution complète dans l'ordre politique du royaume, révolution U laquelle les esprits n'étaient nullement préparés; et, dans l'état de discrédit se trou- vait le ministère de 1827, en prô-

(I I DcCVsagecl de Cabus Je l'esprit m) //i.sf. de Dix Ans, par M. Louis

phtlosuphique, ch. xxrx. jj,^n;.^ ^ ,„^ p. 2(iL

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^ence d'une législature hostile, il n'y avait aucune chance de le faire prévaloir sans recourir a des me- sures extra-légales. Or, on sait combien l'emploi de pareilles me- sures répugnait au cnractère du chef de ce cabinet. Mais, à ne con- sidérer- ce document rétrospectif que comme un simple projet, il mérite d'être consulté pour la pré- voyance remarquable des disposi- tions dont il se compose. Il faut y voir en outre un témoignage non équivoq'ie des aspirations de Vil- lèie vers un ordre de choses qui donnât plus d'essor à l'élément pro- vincial par l'abaissement de ce pou- voir exorbitant que la révolution et l'empire av;:ient élevé , et qui concentrait dans la capitale toute la vie politique du pays. En 1839 et en 1840, la Gnzetle du Latifiuedoc publia et la Gazette de France re- produisit, sous la signature de Let- tres d'un contribuable, quatre arti- rles du comie de Villèle, sur la si- tuation flnancière de la France. L'ancien minisire y établissait qu'au bout de dix ans, en tenant compte des économies introduites dans les divers services et des diminutions opérées par les extinctions person- nelles, la charge de l'impôt public .s*était accrue de 217 millions, et n'hésitait pas à attribuer cet ac- croissement à l'extension du mo- nopole représentatif et administra- tif contre lequel il s'était si souvent élevé. Ces lettres, habilement con- nues et pleines de faits substantiels, produisirent une assez vive sensa- tion, mais bientôt absorbàe par la marche des éNéucmenls, qui , pour les yeux clairvoyanis, ten- daient déjà à converger plus ou moins prochainemenla une nouvelle révolution politi(iue. Ces circons- tances furent les dernières aux-

quelles le nom de Villèle se trouva mêlé. Celte existence naguère si éclatante acheva de s'éteindre dans un oubli complet. De douloureuses infirmités amenèrent graduellement l'altération de ses facultés intellec- tuelles. 11 mourut le 13 mars 1854, à Toulouse, à l'âge de 81 ans et onze mois. De son marir)ge avec mademoiselle Fanon Desbassins, qui lui survécut, étaient nés quatre enfants, un fils et trois filles, dont r;iînéea épousé M. le comte Rioult de Neuville, ancien député, auteur de la notice la plus importante qui ait été publiée sur le comte de Villèle. M. Henri de Villèle, fils du ministre, conseiller-auditeur à la cour royale de Paris, se démit en 1827 de ces fonctions, et n'a plus appartenu depuis lors à au- cune carrière publique. Il ne nous reste, pour compléter cette notice, qu'à achever ce que nous avons dit ailleurs des travaux d'organisation financière de cet habile et infati- gable ministre. Ce fut dix-huit mois avant sa sortie des affaires que Villèle couronna, par une ordon- nance du 9 juillet 1826, la grande œuvre de la comptabilité française. Cette ordonnance ajoutait aux comptes individuels des receveurs et des payeurs déjà soumis à la cour des comptes, un résumé gé- néral de toutes les modifications apportées par les virements d'écri- tures de la com{)tabililé centrale des finances aux résultats dif- féremment exprimés par les pré- posés du trésor. « Coucession gé- néreuse faite par la couronne au libre examen de l'opinion publiïjue, dit un excellent juge, et que les gouvernements antérieurs avaient constamment refusée, autant par les appréhensions du pouvoir que par l'insuffisance et par la lenteur

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des formes descriptives et juslifica- lives de la recelie et de la dépense de l'État (1). » L'ordonnance de 4826 fut précédée d'un rapport au roi, dans lequel VillèJe proclamait avec raison qu'à aucune époque et chez aucun peuple, l'adminis- tration ne se serait livrée elle-même à une épreuve aussi Jifficile, si elle n'était pis le mcillci.r témoignage de la loyauté de ses principes et de la régularité de son action. Quelques mois plus tard, le 1" sep- tembre 1827, il s'appliqua à ren- fermer dans de justes limites le principe de la spécialité législative, qui tentait d'envahir l'action ad- ministrative , en opposant à ces envahissements une nomenclature réglementaire qui divisait en gran- des sections la dépense totale de chaque département ministériel. Le même règlement assujettit les comptes annuels des ordonnateurs à justifier par des explications pu- bliques toules les déviations des crédits ouverts, en attendant qu'ils fussent approuvés par les Chambres à titre de Crédits complémentaires: double combinaison égalem.ent fa- vorable à la libre action du pou- voir et au contrôle de la législature, qui trouvait, dans l'ordonnance de réparliiion rendue avant Touver- >re de chaque exercice, un terme invariable à !a comparaison pres- crite par 1rs lois antérieures (2).

(1) Souven. de VAdmin. ftnanc. de M. le comte de Villèle, par M. le Hiar- quisd'Au:iiffret, p. 29i. Sysl. financ. de la France^ t. m, p. 10.

(2) <v'fsl avec surprise que nous avons vu le plus habile tliéorieieii du régime actuf l.M.'lroplonji, président du Sénat, dans un rapport r6c(;nt a ce corps, qua- lifier l'ordonnanic du 1" novembre 1827 de concession faite par le comte de Vil- lèle pour conjurer les mol»ilit<'s de l'op-

Ges sages dispositions, destinées Si influer si puissamment sur l'ordre, l'économie et la bonne direction de l'administration publique, fu- rent complétées par des réforme» de détr<il dont la suite révéla l'in- telligence et le prix. Villèle sup- prima le directeur des dépenses en réunissant ses attributions aui travaux de la comptabilité générale des finances et au service d'un seul payeur central du trésor chargé de l'acquittement des ordonnances payables à Paris. Il centralisa l'in- dépendance des directeurs géné- raux des régies financières, par la suppression de leurs habitations séparées (-4 nov, 1824), et par la réunion de leurs bureaux dans l'hôtel de son ministère. Il réalisa dans le seul département des fi- nances plus de 30 millions d'éco- nomie annuelle, en simplifiant les rouages de son administration, et en réduisant les frais du personnel de ses bureaux de i 3,423,245 fr. k 6,055,750 francs, et le nom- bre de ses employés de 4,502 à 2,137. L'essor imprimé par sa di- rection habile aux produits indi- rects ajouta, dit M. d'Audiffrcl, au budget de chaque exercice une

position , k la veille du renouvellement de la chambre. Il suffit, ce nous sem- ble, de comparer exactement l'état de choses institué par la loi du 25 mars 1817, avec le nouveau droit établi, pour reconnaître que le comte do Vil- lèle avait entendu fortifier plutôt que désariiier la counmne. Ainsi en a jugé l'homme le plus propre a faire autorité en celte matière, M. d'AudlIfret, et l'on peut croire que si la spécialité créée par le ministère de 1827 eût présenté le caractère d'une concession aussi éten- due, M. Tro[)loi)g eut été moins disposé il la substituer aussi brusquement au régime établi par le sénatus-consulte du 25 décembre 1852.

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augmentation progressive de re- cette qui s'éleva jusqu'à 200 mil- lions :iu terme de sa trop courte carrière rairiistéiielle. Les progrès de cetie prospérité nouvelle furent surtout favorisés par l'inslitulioD d'un conseil supérieur de com- merce (6 janv. 1823), que le minis- tre composa des membres du ca- binet, ainsi que des hommes les mieux accrédités dans l'opinion publique (1), pour la défense des intérêts nationaux, et qu'il dirigeait lui-même de son expérience et de ses lumières. Par furent fécon- dées toutes les sources de la ri- chesse el de la puissance du pays. On vit dès lors s'élever, avec une étonnante rapidité, la valeur des propriétés mobilières et immobi- lières, el se préparer la renaissance de notre uavigaiion marchande el de nos possessions coloniales. Les modilications successives appor- tées au tarif des douanes ten- daient sans cesse à encourager les fertiles entreprises du génie commercial et industriel de nos populations, en les préservant, par l'autorité du savoir, de la pratique et de l'observation, des témérités du libre-échange. C'est également à l'esprit d'analyse et de vérifica- tion de cet habile ministre que la France fut retlcvabie, pour la pre- mière fois, de la publication des tableaux com|)aratifs détaillés des droits fixés |)ar les divers tarifs, avec les produits des impôts et des autres revenus de l'État: docu- ments qui ont été complétés pins tard par tous les renseignements

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relatifs au commerce et à la navi- gation. Enfin, par un règl ment en date du 19 novembre 1826, Villèle coordonna les principes, les règles et les procédés applicables aux diflerentes parties de la gestion des comptables chargés des services de la perceplion de l'impôt direct des virements de fonds du Trésor et de la comptabilité des communes el des hospices. Il compléta ce règle- ment par une instruction générale du 15 décembre de la même année, qui réauma pour la première fois, dans un seul code, toutes les dis- positions en vigueur (1). Joseph de Villèle n'annonçait par au- cun avantage extérieur les quali- tés éminentes dont la nature l'avait poursu. Sa taille était petite et grêle, sa physionomie moins agréable que fine et intelligente; son organe était nasillard et empreint d'une forte accentuation méridionale; son geste n'avait rien d'oîatoire, et sa diction manquait d'éloquence, dans l'acception ordinaire de ce terme. Mais ces désavantages étaient am- plement rachetés par un talent de discussion, par une netteté d'argu- mentation qui faisaient pénétrer la lumière dans les questions les plus compliquées, par une supé- riorité de raison et une liberté d'esprit qui déconcertaient les ob- jections les plus captieuses et les interpellations les plus passion- nées. Nu! ne posséda à un plus haut degré le pouvoir de maîtriser ses impressions personnelles en présence du tumulte des assem- blées et de marquer, sans le perdre

(1) Ce furent .MM. le comte de Syjnt- Cricq, le duc d(> Levis, le comte de Vaublaiic, le comte Mollien, le comte Chaptal, le baron PortMJ. Olivier («le la Seine}, etc.

(I) Ce travail a servi de base à une seconde édition, publiée en 1810, ilit M. d'Audiffret, à qui nous :ivons em- prunté la presque totalité des di'lails ci-dessus.

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de vue, le véritable point du débat au sein des divagations les plus agitées. Quoique doué dans une certaine mesure dataient d'écrire, son improvisation, parfois incor- recte, se distinguait pnr des formes hardies, par des tours heureux qui la rendaient souvent préférable à ses préparations oratoires. Sa con- versation familière, bien qu'entre- coupée de nombreux à parle, était, selon un excellent juge, éminem- ment spirituelle (1). La modéra- tion du caractère n'excluait chez lui ni la fermeté du langage, ni la vivacité de la réplique. Plein de ménagements pour les personnes, il repoussait intraitablement toute transaction avec l'esprit révolu- tionnaire, sous toutes ses formes, et ne voulut jamaisdevoir à aucune composition de ce genre l'exercice ou la prolongation du pouvoir. Vil- lèle ne s'inspirait [las moins à cet égard des intuitions de l'avenir que des impressions du passé. Sa haute clairvoyance pressentait tout ce (jue la France et l'Europe de- vaient attendre des débordements du parti démocratique, quand il aurait renversé, dans le principe de la légitimité, la borne respec- table qui séparait le domaine du fait de celui de Tordre Uioral, et le droit de l'usurpation. La séduc- tion personnelle du comte de Vil- lèle était dans une simplicité de manières qui, rapprochée d'un mé- rite émineut, dictait k M. Canning ceiti; sentence connue : « C'est une lumière qui brille à peu de frais. > Il possédait le grand art découler et de concentrer 5»on at- tention sur les moindres afiaires, comme sur les questions de l'in-

(Ij Madame Swet'.hinc, t. i, p. 22i.

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térôt le plus élevé. Un des plus implacables adversaires de la cause royaliste, le marquis de Chauvelin, au sortir d'une audience particu- . Hère, il avait été vivement im- pressionné par l'accueil du minis- tre, ne put s'empêcher de dire avec un accent de dépit : « Quel homme! Heureusement son parti n'en comprendra jamais la valeur.» L'intégrité persounelle de Villèle est demeurée en quelque sorte proverbiale : mérite peu louable sans doute à une époque la corruption dans les hauts postes de l'État eût passé pour une hon- teuse anomalie. Mais il portait cette qualité jusqu'à un désiniéressement rare dans tous les temps, et dont les actes n'ont été bien connus que longtemps après sa disparition de la scène politique. Il ne voulut ac- ceptiT aucun traitement pendant son ministère sans portefeuille; il refusa les 25,000 francs de frais d'installation alloués aux minis- très titulaires, et, plus tard, le sup- |)lément de ^0,000 francs auquel il avait droit comme présideFil du Conseil; enlin il renonça, en 1830, à la pension de ministre d'État que Charles X lui avait assignée lors de sa sortie du ministère. Il ne voulut devoir l'amélioration de son modeste patrimoine qu'à cet esprit d'intelligence et d'économie qu'il appliqua avec tant de fruit à la ges- tion des intérêts publics. C'est à cet ordre de qualités sans doute plus qu'à des vues vraiment supérieures qu'il faut demander compte de la renommée de Villèle et de la faveur progressive qui s'est attachée à sa mémoire. Administrateur habile, plutôt que ministre éminent, et doué u de plus de savoir-faire que de vigueur, » son mérite consista surtout à « se placer toujours au

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point de vue des choses possi- bles (1^. » L'esprit de conduite et le talent d'organisation lui tinrent lieu de cet esprit d'initiative dont l'emploi, fortement dirigé, consti- tue les véritables hommes d'État. « La génération actuelle, écrivait-il à l'un des esprits les plus honnêtes, mais les plus chimériques de nos jours, ne ^e mène pas par des consi- dérations aussi éloignées du temps qui lui appartient... L'égoisme est partout... Je ne veux pas dire qu'il ne faille rien faire pour améliorer cette triste situation, mais je pense qu'à une société aussi malade, il faut beaucoup de t^mps et de mé- nagements pournepas perdre enun jour letravail et lefniit de tant d'an- nées. ^) On poi'.rrnit reprocher îi Villèle d'avoir pris plus de souci du bien-être matériel que de l'a- mélioration morale de cette société dont il connaissait si bien les plaies. Mais il fiiut tenir compte des con- ditions désavantageuses de son avè- nement. La conllancc tardive de Louis XVIII ne lui avait livré qu'un pouvoir affaibli sur une gé- nération pervertie par six ans de prédications révolutionnaires. A ces obstacles inhérents à la date et k la qualité de son pouvoir, il faut joindre les contradictions aux- quelles sa courte domination ne cessa d'être en butte, et qui ne lui permirent pas même de réaliser les plans d'organisation générale auxquels il avait rêvé toute sa vie. C'est le sort des réformes immatérielles de ne s'accomplir qu'au prix d'une sage lenteur, et nul régime, depuis soixante-dix ans, n'eut assez de durée pour suffire ^ celte importante destination. Il

;1) IIisl.de la ResUiur., par M. Net- tement, t. Il, p. 22G.

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manqua d'ailleurs de la plupart de ses auxiliaires nature's par l'aban- don dans lequel le parti royaliste « usa le seul homme sorti de ses rangs qui eût su lui faire con- quérir légalement et exercer le pouvoir (l). » Nous honorerons volontiers, avec M. Guizol, le comte de Villèle d'avoir répondu à cet inqualifiable abandon par la noble et persistante fixité de ses attache- ments politiques. Mais ce que nous louerons surtout en lui, c'est d'a- voir fait entrevoir à la France et au monde à quel point le régime monarchique pouvait se combiner avec les conditions et les progrès d'une véritable liberté. Ministre de la royauté constitutionnelle à une de ces rares époques où, depuis tant d'années, la puissance s'est trouvée du côté du droit, il sut désarmer l'esprit de faction sans imposer aucun sacrifice aux liber- tés publiques, élever au plus haut degré de prospérité une situation obérée par deux invasions étran- gères, doter la France d'un sys- tème financier dont les bienfaits ont surNécu i trois révolutions, maintenir la paix extérieure sans amoindrir l'honneur national, et, par une loi ce haute moralité po- litique, effacer une distinction odieuse entre les propriétés terri- toriales d'un mémo pays. Quelle république , quel gouvernement absolu enfantèrent jamais en aussi peu de temps de tels résultats ? Et qui |)eut dire à quelle limite se fût arrêtée cette salutaire progression sans le concert insensé qui préci- pita du pouvoir l'intelligent régu- lateur de ce régime d'oidre et de réparation! Les inimitiés qu'accu-

(I) Mon. de M. Cui-ot, t. i, p. :

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mule toujours un long exercice (le l'autorité ne manquèrent pas, comme on l'a vu, au comte de Vil- lèle, et jamais peut-être adminis- tration plus calomniée ne disparut sans laisser après soi la trace d'une impopularité plus universelle. II est des temps difficiles où, pour le redire après Tacite , une grande réputation n'est guère moins péril- leuse qu'une mauvaise (1). A ces détractioDs passionnées succédè- rent bientôt des impressions moins irréfléchies. Les premiers mouve- ments de réaction en faveur de Villèle se manifestèrent dans l'im- puissance de ses accusateurs et dans les instances qui lui vinrent, en 1830, de tous les camps politi- ques, pour reprendre la direction des affaires. Mais ces premières im- pressions s'évanouirent dans les agitations qui remplirent les an- nées suivantes, et l'opinion publi- que conserva la plupart des pré- ventions (pi'elle avait reçues. C'est il notre époque, mieux éclairée par d'amères ex[)érien(:es sur la valeur des gouvernements honnêtes et modérés, qu'il était réservé de ju- ger plus sainement ce ministère de <821, qualifié de déplorable par l'é- garement des partis, et on peut dire 'avec exactitude que le nom de Villèle est un de ceux qui ont le plus jjagné dans leur contact avec la postérité. Parmi les promo- teurs de cette réhabilitation qui ne deyait s'adresser qu'a la mé- moire de lancien conseiller de Charles X, nous aimerons à citer l'émiiienl historien de la Civilisa- lion, doni nous avons souvent in- voqué l'autorité dans le cours de cet article, et M. le manjuis d'Au- difîret, à qui sa double qualité de

(I) Yila Agricvlœ, iv.

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financier distingué et de coopéra- teur assidu du comte de Villèle donnait toute compétence pour par- ler dignement de ses travaux et de son caractère. Parmi les autres écrits publiés sur le même per- sonnage, nous mentionnerons la notice que M. le comte de Neu- ville lui a consacrée en 4835, et qui, bien que tracée par une main partiale, subsistera comme un docu- ment utile pour l'histoire contem- poraine, à raison du grand nombre de particularités intéressantes et pour la plupart inédites qui y sont consignées. Enfin, l'Académie des Jeux floraux vient de mettre au concours, pour. 1862, l'éloge de l'administrateur le plus habile et le plus probe de la France moderne. Lorsqu'un auguste exilé, M. le duc de Bordeaux, apprit la mort de ce serviteur si dévoué de sa famille et de la France, il consigna l'ex- pression de ses regrets dans quel- ques lignes que nous reproduisons comme le témoignage le plus exact, le plus complet et le plus concis qui ait été rendu à sa mémoire. « Après avoir rempli avec im éclat et une supériorité incontestables les fonctions auxquelles l'avait appelé la juste confiance des rois Louis XVllI et Charles X, le comte de Villèle a su quitter dignement les affaires, fidèle aux convictions et aux sentiments de sa vie entière, faisant des vœux pour la prospérité du pays qu'il avait si noblement servi, et toujours disposé it donner dans l'occasion, quand on les lui demandait, les conseils de sa haute raison et de sa longue expérience.» A. B— ÉE. VILLÈLE (GuiLLALMK-AuniN dk), archevêque de Bourges, pair de France, grand-cordon do l'ordre de Charles III , cousin du précédent,

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naquit à Caraman, dans l'ancien Languedoc, le 21 février 1770. Son père avait suivi avec honneur la carrière des armes. Guillaume de Villèle enibrassa de bonne heure l'étal ecclésiastique, et alla àquinze ans compléter au séminaire de Saint-Sulpice son instruction clas- sique par l'étude de la philosophie et de la théologie. Le supérieurgé- néral de cette institution, le véné- rable abbé Emery, ne larda pas à distinguer el à prendre en affec- tion le jeune séminariste, el son avenir s'annonçait sous les plus heureux auspices, lorsque la Révo- lution vint traverser ces favorables espérances. La situation déjà si difficile du clergé empira progres- sivement par suite de sa résistance à la constitution civile qui lui avait été imposée, et les affreuses journées de septembre 1792 révélèrent toute rétendue des périls qui menaçaient ceux de ses membres qui étaient demeurés attachés à l'antique dis- cipline de l'Eglise. Villèle, non en- core engagé dans les ordres, s'ex- patria dés qu'il put franchir la frontière sans danger, et fut or- donné prêtre à Dusseldorf, d'où il alla attendre à Vienne que des jours meilleurs vinssent k luire sur sa patrie. Parmi les liaisons hono- rables qu'il avait formées dans l'é- migralion, il coiHplait celle du car- dinal de Montmorency, évèque de Metz et grand a <monier de France. Ce prélat, (}ui avait apprécié les veitus et les talents de Villèle, lui conféra le titre de vicaire gcncral de son ancien diocèse. C'est sous celle qualité purement nominale qu'il rentra en France dans le courant de 1802. Il reparut Ji Toulouse, mais il eut la douleur d'y perdre son pcre et sa mère peu de jours après son retour. H se rendit alors

à Paris et s'y adonna avec zèle et avec fruit au ministère de la pré- dication. La Restauration de 1814, objet des longues espérances de l'abbé de Villèle, n'apporta aucune interruption à ses travaux. Trois ans plus tard, i la suite du concor- dat de 1817, il fut nommé évêqua de Verdun; mais cette convention n'ayant pas été approuvée piir les Chambres, le nouveau prélat con- tinua de résider à Paris. Le i4 sep- tembre 1820, le roi Louis XVUI, devant qui il avait prêché la sta- tion du carême, l'appela à l'évêché de Soissons, et, le 21 mars 1824 il fut promu au siège archiépisco|)al de Bourges, avec le litre de primat des Aquitaines. Villèle porta dans son administration pastorale le ca- ractère de douceur, de tolérance et de simplicité qu'il avait déployé dans le cours de sa mission aposlo- liquc. Sa parole, rarement véhé- mente et dépourvue d'action ora- toire, se faisait remarquer par une onction à la fois digne et péné- trante et d'autant plus persuasive 'qu'elle était dans un rapport con- stant avec la conduite personnelle de ce Terlueux prélat. Les deux diocèses qu'il administra successi- Yement ont conservé la tradition des nombreux actes de charité qu'il y exerça el des sentiments dalla- chement el de vénération qu'il n'a- vait cessé d'y inspirer aux membres de son clergé. Villèle jouit du pri- vilège rare d'y traverser des foiic- tions délicates en des temps diffi- ciles, sans laisser aucune inimitié sérieuse dans les rangs des ecclé- siastiques subordonnés à sa direc- tioi; et à sa surveillance. On jugera de leurs impressions îi son ég:ird par ht citation suivante, empruntée au discours d'adieu qui lui fut a'iressc lors de son départ de Soissons, par

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imjeune prêtre de ce diocèse: « Rien n'est slablr ni solide ici-bas, pas même les liens de Tamoiir le plus sacré. Autrement, ô mon Dieu, vous laisseriez un père à ses enfants, un bon pasteur h son troupeau, un sage conducteur ^ son peuple, et vous ne nous forceriez pas à pro- clamer nous-mêmes que tout est af- fliclion sous le soleil, jusqu'aux lu- mières et aux vertus qui nous de- viennent aujourd'hui une source inépuisable de i^grels. » Étranger aux débats et aux agitations de la vie politique, Villèle dut à sa bonne renommée plus encore qu'au crédit de son éminent cousin, l'honneur d'être compris dans h promotion de pairs du 5 décembre J 824, pro- motion dont le caractère fui exclu- sivement ecclériaslique. Il parut régulièrement à la Chambre , mais ne prit b parole qu'en une seule occasion : ce fut pour appuyer, en 1828, une pétition relative à l'ob- servation légale du dimanche et des lèies. La révolution de juillet, qu'il vit avec douleur, Téloi^na pour ja- mais d'une capitale ne le rame- naient plus l'alfection ni le devoir. Le pieux archevêque se concentra de plus en plus dans l'administration de son diocèse, et n'entretint avec le nouveau gouvernement que des rapports purement officiels. Le îi mai 1839, une lettre de M. Girod (de l'Ain), ministre de la justice et des cultes, lui apprit que le roi Louis-Philippe, à l'occasion de sa fèle, l'avaii nommé chevalier de la Légion d honneur. Quelques jours plus tard, Villeli' accusa au ministre réceplion dt; sa lettre, |)uis il ajouta ayec une noble simplicité : « J'ai examiner, avant tout, si cette dé- coration me rendrait plus utile au bien de la religion dans mon dio- cèse, cl je me suis convaincu qu'elle

me placerait dans une situation moins favorable au succès de mon ministère; d'après celle considéra- lion, je supplie S. M. de me per- mettre de ne point accepter. » Vil- lèle se montra meilleur courtisan des royautés proscrites que des royautés de fait. Après une lutte sanglante et opiniâtre entre la ré- gente Marie-Christine d'Espagne et son beau-frère don Carlos, ce pré- tendant, affaibli par la mort de Zumalacarreguy et vaincu par la trahison de Maroto, fut contraint, au mois de juillet de cette année, de cher-cher un asile sur le terri- toire français, il ne trouva que des fers. La Providence, qui n'avait pas épargné les épreuves à cette malheureuse famille, lui gardait cei)endani une faveur précieuse. Le gouvernement assigna aux pros- crits Bourges pour résidence. Tou- ché de respect pour une si haute infortune, l'archevêque entoura de ses attentions et de ses égards les augustes captifs et n'épargna rien pour adoucir l'inclémence de leur situation. 11 leur offrit son palais et ses équipages; mais, s'ils pré- férèrent une hospitalité plus mo- deste , ils n'en furent pas moins pénétrés de gratitude pour an ac- cueil aussi cordial et aussi em- pressé. Le 4 mai IS-iO, Villèle reçut du prétendant le grand cor- don de Charles III, distinction que ce prince accompagna d'une lellr(3 pleine de témoignages d'esiime, et quelques jours plus tard, la piin- cease Marie-Thérèse offrit au véné- rable prélat une mitre brodée par ses mains, en affeclanl à ce riche présent une destination toute per- sonnelle (1). Celle réciprocité de

;i) Cette iiitciilion j été resj>ectée, et

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bons sentiments, à laquelle le gou- vernement eut la sagesse de lais- ser un libre cours, devait avoir un terme rapproché. Le 24 novembre 1841, de violents symptômes d'al- tération se manifestèrent tout à coup dans la saïUé de Villèie; ils s'aggravèrent rapidement; le ma- lade perdit la parole et la vue, et le lendemain même, 25, k cinq heures du matin, il expira dans sa soixante- douzième année, en présence de son chapitre épioré , laissant un deuil universel sur tous les points du diocèse qu'il avait administré pendant dix-sept ans, et partout ailleursje souvenir d'une vie aussi pure, aussi irr^^prochable qne pré- cieuse à la religion ei à iliuraa- niîé. Les obsèques de l'illustre prélat eurent lieu le 4 janvier 1842, et son oraison funèbre lut pro- noncée par M. l'abbé Duhou- chat, chanoine honoraire, en pré- sence d'un auditoire étroitement rassemblé dans la vaste basilique de Bouiges. Les princes espaijnols s'y firent remarquer par leur pro- fonde émotion , et honorèrent jus- qu'au tombeau la mémoire de celui qui, selon les expressions de leur auguste chtf , s'était montré pour eux a le représentant d'une Provi- dence consolatrice , le type des cœurs nobles, loyaux cl géné- reux (1). » A. B ÉE.

VILLENAVE (Mattiiieu-Guil- LAUME-TiiKRÈst:), littérateur dis- tingué, un des principaux collabo- rateurs de la Diographie universelle.

la mitre brodée par l'auguste exilée ap- parlieiii auiourd hiiiii rii()ii(>r.iliU'((»mic Kufe'énedt' Villélc.sL'iil dcscciiiliiMtcol a- téral de rarclievôque do Unurijcs.

A) Lrtlre inédite de M. \p comte de Moulbel, '.i septcîubre \>i{'.K

chevalier de la Légion d'hon- neur, etc., était le 13 avril 176Î d'une fîimille honorable mais peu fortunée, à Saint-Féiix-iie-Cara- man, dans raucien Languedoc. Frère aîné de sept autres enfants, et possesseur d'un bt néfice attaché au litre patrimonial, il fu/ d'abord destiné à l'état ecclésiastique, et reçut la tonsure à Tâge de neufans. Il fit de brillantes études au collège de Sorèze, et montra pour la car- rière des lettres un p^^nchaiit pré- coce que ses parents favorisèrent en l'envoyant à Paris au savant abbé Ricard, traducteur de Plu- larque, ami de sa famille. Ricard procura à son jeune protégé l'em- ploi de précepteur des enfants du comte de Pontgibaud. Trois ans après, le duc de Richelieu lui confia l'éducation de set deux fils, les ducs d'Aumont et de Pienne. Il forma dans cette maison d'utiles et hono- rables relations, entre autres avec madame de Staël, dont il aimait à raconter dps traits curieux et pleins d'originalité. Villenave obtint la fa- veur d'être présenté h la reine Marie- Antoinette par sa gracieuse amie, la duchesse de Polignac, et il espé- rait être attaché au(]aui»hiu en (jua- lité de précepteur, quand éclata la rcvolution française. Il quitta l'ha- bit eccbsiastique, qu'il avait porté jusqu'alors, etvintépouserà ÎN'anies, en 1791, une jeune Anglaise, mi^s Tasset, dont il s'était épris sur la simple lerturedesa correspondance avec une amie commune. LIevé par celle alliance i une jiosilion plus indépendante, Villenave se fixa dans la patrie adoptive de sa femme, em- brassa la profession d'avocat, et s'\ fit remarquer surtout par une élo- cutiou facile el animée. Les rap- ports plus ou muins suivis qu'il en- irelenailavec plusieurs personnages

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de la cour de Versailles ne l'avaient point empêché de s'associer avec ardeur au rnouvement de 4789 ; mais celle elTervescence de son âge et de son imagination se calma bienlôt en présence d«*s excès révo- lutionnaires, et fit place ^ des im- pressions tout opposées. Lorsque, ▼ers le milieu de 1792, l'infortuné Bailly vit ses jours menacés par la faction démagogique, ce fut dans la maison de Villenave qu'il ren- contra son abri le plus sur; il passa plusieurs mois sous ce toit hospi- talier, uniquement appliqué à trom- per par de frivoles lectures les trop justes appréheusions qui assié- geaient son esprit. Villenave était demeuré dépositaire d'un grand nombre d'écrits du savant astro- nome, qui fournirent plus lard à M. Arago de précieux matériaux pour la composition de son éloge. Cependant rattilude contre-révolu- tionnaire de Villenave et de sa femme ne larda pas h attirer sur eux lanimadversion des terroristes. Tous deux furent arrêtés au mois de septembre 1793. On renferma madame Villenave au château de Luzancey, sur les bords du fleuve qui seryait de théâtre aux ef- froyables exécutions de Carrier, et son mari fut dirigé sur Paris avec cent trente et un Nantais, suspects aussi d'incivisme, et soumis comme eux k la surveillance la plus étroite et la plus inhumaine. Plusieurs d'entre eux périrent dans le trajet ou dans les prisons; les autres com- parurent, au bout d'un an de dé- t'.Mition, devant le tribunal révolu- oni.'air^. Tous furent acquittés, grficc aux généreux efforts de To- pino-Lebrun, l'un des jurés, le mémo qui, quelques années après, !se trouva impliqué dans un com- plot contre la vie du premier con-

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sul, ctpérilsurl'échafaud.Au mois d'octobre suivant, Villenave, mupar un sentiment d'humanité, coopéra arec Real (voyez ce nom, t. lxxviii, p. 380), depuis préfet de police, et Tronson-Ducoudray, à la défense des membres du comité révolution- naire de Nantes, que le tribunal acquitta également. Villenave re- parut dans cette ville, son mi- nistère eut bientôt à s'exercer au profit d'accusés plus intéressants. Appelé à défendre devant les com- missions militaires la plupart des chefs vendéens que le sort des armes avait livrés au parti répu- blicain, il remplit cette tâche avec zèle et réussit, à en sauver plu- sieurs. Ce furent les derniers dé- bats mémorables auxquels Ville- nave attacha son nom. Il ne s'oc- cupa plus que de réunir les débris de sa fortune, très-endommagée par les événements politiques, et vint avec sa femme habiter Paris, aussitôt que l'ordre et la sécurité commencèrent à renaître. L'exis- tence de Villenave appartint exclu- sivement dès lors à la littérature. Il accepta la direction du Journal des Curés, feuille périodique fondée par le gouvernement impérial dans un esprit conforme aux principes du concordat, mais qui ne put four- nir une longue carrière. Trois ans plus tard, Villenave publia une tra- duction en prose des Métamorphoses d'Ovide, précédée d'une vie du poi'ie (Paris, 180G. 4 vol. in-8'), celui de ses ouvrages qui a le plus contribué à fixer sa réputation comme latiniste et comme érudit. Celle versit^A' sans décourager de nouvelltfclenlaiivfts, conserve au- jourd'hu (uccre une grande va- leur, elles critiques ont générale- ment adopté l'opinion du biographe sur les causes tJsouvent conlro-

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versées de la disgrâce de l'illustre exilé. Villenave traduisit plus tard, non sans mérite, mais avec moins de succès, les huit premiers livres de l'Enéide pour !a Bibliothèque la- tine-française àe Panckoucke. Pas- sant du profane au sacré, il fit suivre ses Métamorphoses d'une Vie des S«?n/s (Paris, 1812, 7 vol. in-8°), compilation pleine dutileset labo- rieuses recherches. Il enrichit suc- cessivement d'annotations criti- ques et biographiques les éditions des œuvres de la princesse de Salm, (le Duclos, de Marmonîel, de Barthélémy, de Thomas et de plusieurs autres écrivains du wuv siècle, et publia des notices plus ou moins étendues sur madame de Car- cado. fondatrice de l'institution en faveur des enfants délaissés, sur madame Talma, sur le pasteur Jean- Jacques Goepp, sur saint Eloi, pa- tron des ouvriers, sur Boiirdalo.ie, sur Garât, ministre de la justice, sur l'académicien Michaud , etc., une histoire intéressanled'IIéîoïseeld'A- bélard,ei lesElojcesdu comiedeLa- cépède, du cardinal de Cheverus, avec lequel il était uni d'amitié. Il écris it en outre une foule d'articles d'économie politique dans \e Jour- nal de la Société de la morale chré- tienne.modelé qu'il présida pendant près d'un quart de siècle et dont il fut l'historiographe le plus zélé. Vil- lenave appartenait encore au coniité de lapaix, au comité grec, àl'œuvre du comité des orphelins, à l'asso- ciation des ouvrieri et des arti- sans,elù la plupart di s inslilutions de bienfaisance établies dans la capitale. Il était menibre et fut plu- sieurs années secrétaire ^^uieral de la société philotechni(}ue, dont il animait les séances pubTniues pur lintérèt de ses couimunicalions que rehaussait le doubl'' prestige

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d'une accentuation sonore, d'une belle et imposante physionomie. Il professa pendant sept ans «i l'A- thénée un cours d'histoir^^ littéraire delaFrancequi attirait de nombreux auditeurs, parmi lesquels on re- marquait plusieurs des notabi- lités de la littérature moderne. Après avoir été plusieurs années rédacteur de la Quotidienne, Ville- nave, qui ne se piquait pas d'une très-gr;indp fixité dans ses doctri n'^s politiques, concourut avecM.'i Barante et M. Guizot à U créatio du Courrier français , par sncces- iion aux Annales politiques et litté- raires. Ami particulier de Michaud, foridateur de la Biographie univer- selle, il avait pris part dès le prin- cipe à la composition de cette vaste galerie figurent, sous son nom, k travers près de 300 autres, les articles Real, Socl, Egerton, Garât, Ovide, Ricard, les derniers ducs d'.Aumon/, madame d'Angiviiler, An- drieux. etc., etc. Un autre recueil, V Encyclopédie des gens du vionde (1833-44), lui dut ceux de Louvois, de Fénelon , de Nicole, de saint Vincent de Paul , df Dannou, ù'Hé- lolse, de Pierre Corneille, etc., et le mol InUitut de Fraucc. Cet infa- tigable écrivain, sur les dernières années de sa vie, chercha plus d'une fois dans la culture de la poésii» des délassements ses doctes et miles travaux. On a de lui de longs fragments d'un poème sur \\ Vie future, brillent, parmi quelques négligences, des beaurs d'un ordre élevé , d'autres fragments d'un poème sur VAmour, un morceau intitulé les Deux genres, quehjnes stances ()leines d'onciion et de poùl sur Vlmitation de Jésus- Christ, etc. Villenave, chargé de présenter au roi des Franv-ais , quelque temps après la révolution

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de 1830, l'Adresse de la société américaine des Amis de la paix, reçut de ce prince nn gracieux ac- cueil, et fut tardivement décoré de ?a croix d'honneur sous le minis- tère de M. de Salvandy. Son sa- lon, tenu avec cette politesse exquise et affectueuse qu'il avait contractée dans les relations de ses j)remiéres années, était insen- siblement devenu le rendez-vous de totit ce que Pai is comptait de plus considérable dans les lettres, l'Église et la politique. La biblio- thèque de Villenave, fruit de qua- rante-six ans d'épargnes et de re- cherches, constituait, parliculière- menl pour les autographes, les livres rares et les dessins originaux des grands maîtres, une des collec- tions les iîius curieuses de l'Europe. Elle renfermait environ 23,000 vo- lumes, et son possesseur avait tou- jours refusé, par esprit de patrio- tisme, de distraire, au profit des collecteurs étrangers, aucun des trésors dont elle se composait, mal- gré les offres les plus séduisantes. Ce vénérable doyen des lettres françaises mourut le 10 mars 1846, a quatre-vingt-quatre ans, dans les ^entiments religieux qu'il avait professés toute sa vie. Il a laissé un fils, auteur de la tragédie de Wals- tein, imitée de Schiller, jouée à rodéon, et d'autres opuscules poé- tiques; (t une fille, madame Méla- iiie Waldor, femme également dis- tinguée comme poète, comme ro- mancière et comme auteur drama- liqui'. A. U—KE.

V!LLi:Ni:UVE - BARGEMO.\ XriRiSToi'Uh:, comte de), conseiller d'État, préfet des Bouches-du- ithùne, commandeur de la Légion dlionneur, e'.c, nc.(iuit au château de IJargemon, dans l'ancienne Pro- vence, le 3 mars 177 ) , au teiii d'une

famille qui sîî glorifiait de compter parmi ses fondateurs un connétable grnnd sénéchal de Provence (Rome de Villeneuve, ino), et un grand- maître de Tordre de Saint-Jean de Jérusalem (Hélion de Villeneuve, 4370). Le jeune Christophe fut élevé à l'école militaire de Tour- non, et entra à seize ans, en qualité de sous-lieutenant, au régiment de Royal-Roussillon infanterie, com- mandé par son cousin deVilleneuve- Trans, premier marquis de France. En 1792, lors de la formation de la garde constitutionnelle du roi , Christophe de Villeneuve fut admis dans ce corps d'élite, destiné à dé- fendre les jours de Louis XVI, et dont les réclamations de l'Assem- blée nationale firent bientôt pro- noncer le liceneiement. Mais plu- sieurs de ces serviteurs dévoués refusèrent de s'éloigner du palais le malheureux monarque était confiné dans la plus étroite et la plus humiliante captivité, et de ce nombre fut Villeneuve. Échappé avec peine aux massacre» du 10 août, il alla attendre à Bargemon que des jours plus heureux vins- sent à se lever sur la France. Lors de l'établissement du Consulat, il fut nommé successivement inspecteur des poids et mesures dans les dé- partements méridionaux, puis, en 1804, sous-préfet de l'arrondisse- ment de Nérac. Il profita de son séjour dans cette ville, berceau de Henri IV, pour recueillir sur la jeunesse de ce grand roi plusieurs particularités intéressantes qui avaient échappé à l'histoire, et publia ces documents sous ce ti- tre : Notice sur la ville de Nérac ; fAgen, 1808.) Villeneuve publia plus tard un Voyage dans la vallée de liarcelonnetie, dédié à Mouseigneur le duc d\\7igoHléme (Agen, 1815,

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în-8"^; puis un antre irayail inté- ressant sur Id géographie ancienne et les antiquités du département des Bassps-Alpes. En 4806, Christophe de Villeneuve fut nommé préfet de Lol-Pt-Garonue. Il administrait ce département en iS14. lors de l'entrée de M. le duc d'Angoulême sur le territoire irançais, et fui un dts premiers prétets qui portèrent à ce prince, pendant son séjour à Bordeaux, l'hommage de leur dé- Tonement. Le duc d'Angouléme distingua ce fonctionnaire et ne larda pas à lui accorder une entière conflance. A la nouvelle du débar- quement de Napoléon sur les côtes de Provence, Villeneuve publia une proclamation vehémenie contre lui et se démit quelques jours plus tard du poste qu'il occupait. li re- prit ses fonction^ a la chute détini- tive duréijime impérial, etsuccéda, le 8 octobre 1815, comme préfet des Bouches-du-Hhône, au comte de Vaublanc, qui venait d'être ap- pelé au miîiistère de l'intérieur. Les soins d'une vaste adminihtraiion et la sollicitude consciencieuse avec laquelle il ne cessait d'en diriger les détails, n'empêchèrent point Villeneuve oe n'preîidre le cours de ses travaux lilteriiires. il pubiiji un Précis historique sur la vie de René d'Anjou, roi de Saples, comte de Provence (Marseille, 1819, in-8); puis il entreprit la statistique de la belle contrée qu'il était appelé à régir, dans des proportions incon- nues jusqu'alors et qui lut permi- rent d'y comprendre tous les faits de nature à intéresser cette localité àun litre (|uelconque. Cet immense travail, précède d'un abrégé de rhi.->loire de Provence et accompa- gné dun volume de caries cl de pians, fut imprime d ;ipres le vœu du conseil gênerai en (jualre vo-

lumes in-folio (Marseille, 1824 >, et a été regardé par un critique éclai- ré (1) comme «la meilleure statisti- que qui ait été publiée en France.» Le comte de Villeneuve administra le département des Bouches-du- Rhone jusqu'il sa mort. Il succomba le ^ octobre <829, objet des regrets universels de tontes les classes de citoyens dont il s'étaitconcilié l'es- time et l'affection par la simplicité de ses mœurs, la droiture et la bonté (le son caractère, l'élévaiioD incontestable de ses talents admi- nistratifs, et qui érigèrent quelques mois plus tard, par voie de sous- cription, un monument \ la mé- moire sur une des places publiques de Marseille. Indépendamment des ouvrages que nous avons mention- nés, on doit îi ce savantadministra- teur un Rapport sur des fouilles faites à Frcjus, en 1803: une Notice sur Théopolis^ ville des Basses-Alpes (1811); une Dissertation sur le lieu qu'occupait dans F Aquitaine le peu- ple désigné par César sous le nom de Sotiates; une Notice sur la peste de Marseille en 1720 et 1721 (Mar- seille 1819, in-8); Adèle ou la jeune Turque à Marseille, nouvelle histo- rique^ {Marseille, 1823, in-8}, etc. Le ( omte de Villeneuve éiait che- valier de Saint-Maurice de Savoie, et il avait clé décoré do l'ordre de Charles III, le 1" janvier 1815, par Ferdinand VII, en reconnaissance des senicrs qu'il avait rendus aux Espagnols prisonniers de guerre ou exilés en France. A. B— ée. VILLE>ELVE - BARGEMON ( EMMANUEL-Ft:ni)iNAND , marcjuis de) frère puîné du i)recédent, préfet de'Ia Somme, député, officier delà Légion d'honneur, naquit îi Carge-

;i) Quoranl, France littéraire.

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mon le 25 décembre 1777; Il entra dans Tordre de Malte et servit dans la marine française jusqu'à la ré- volution de 1789. La conscription l'incorpora dans les armées répu- blicaines, où il fit plusieurs campa- gnes à la suite desquelles il se re- tira dans ses foyers. 11 fut nommé, par le gouvernement royal, sous- préfetde Castellane, etavaitàpeine pris possession de son poste lorsque survinrent les événements de mars 48i;>. Aussitôt qu'il apprit le dé- barquement de Napoléon, Ville- neuve se mil à la tète de la garde nationale de son chef-lieu et entre- prit d'arrêter sa marche sur Parii ; mais il n'jtteignit que quelques traînards qu'il lit prisonniers. Cette tentative courageuse fixa sur lui raltention du ducd'Angoulêmo, qui l'appela à la préfecture des liasses- Alpes; mais il ne put occuper ce poste qu'au second retour des Bourbons. Villeneuve lut ensuite nommék la préfecture des Pyrénées- orientales, d'où il passa successive- ment à celles d(^ la Nièvre et de la Somme. Ce fut dansée dernier dé- partement que la révolution de 1830 vint terminer sa carrière ad- ministrative. Il avait siégé comme député dt-s Basses-Alpes j)endant une grande partie du régime de la Restauration et laissé, dans tout le cours de ses fonctions publiques, la réputalion d'un administrateur aussi intègre que conciliant et éclairé. Le marquis de Villeneuve mourut le 20 jaiivier183.j à Gi as^e, ou il s'était.retiré. 11 avait é|)0usé, en 1800, mad(;moiselle Pauline de Colomb-Scillou, dont il a eu deux enfanti qui lui ont survécu. A. B-tE. VILLE>El Vi: - IîARGEMO> (Jkan-Paul-Alhan, viromie de), préf"î, conseiller d'fial, député,

membre de l'Inslilnt, commandeur de la Légion d'honneur, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, frère des précédents, naquit au château deSaint-Auban (Var) le8 août 1784. La protection du comte de Cessac, son parent, lui ouvrit, très-jeune encore, la carrière de l'administra- tion publique par une place d'au- diteur au conseil d'État. Son ins- truction et sa capacité l'y firent bientôt remarquer. Il fut appelé aux fonctions de sous-préfet à Zicrik- zée, petite ville du département des Bouches- de-l'Escaut, puis à la préfecture de Lérida, en Catalogne, et plus tard k celle de Namur. Per- sonne assurément, pur l'équilc de ses actes et l'aménité de ses ma- nières, n'était plus propre que le jeune intendant k tempérer dins ces pays conquis les rigueurs du régime impérial. Villeneuve re- cueillit partout des témoignages de l'estime et de la confiance de ses administrés. Il fut nommé pré- fet de Tarn-et-Garonne k la res- tauration du gouvernement royal, qu'il salua, ainsi que ses frères, avec un vif empressement. Ville- neuve conserva ces fonctions jus- qu'au débarquement de Napoléon et ne les reprit (ju'après la chute de ce j)Ouvoir dont la résurrection éphémère avait attiré tant de ca- lamités sur notre pays. Il fut char- gé successivement de l'adminis- tration des départements de la Charente, de la Meurthe, de la Loire-Inférieure et du Nord, et laissa dans chacun d'eux des tra- ces d'une direction éclairée et d'un esprit intègre et bienv(;illant. Par- mi les intérêts confiés à sa sollici- tude, les institutions de bienfai- sance aviiien! toujours tenu le premier rang, et l'amélioration du sort des classes indigentes

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n'avait cessé de préoccuper sou alteniion. Il étudiait avec activité les moyens de coloniser le» indi- gents et les mendiants du départe- ment du Nord, et ses plans étaient à la veille de recevoir la sanction du gouvernement, lorsque la ca- tastrophe de 1830 vint en détour- ner le cours. Ce fut i Lille que le surprirent les événements qui la préparèrent. La proclamation des ordonnances de juillet y donna lieu à plusieurs rassemblements que la cavalerie dissipa par des démonstrations énergiques. Les principaux négociants, encouragés par les dispositions bienveillantes du préfet, parvinrent à calmer l'a- gitation populaire, et les nouvelles de Paris achevèrent d'éluigner toute apparence de collision. Atta- ché de cœur et de conviction au régime paternel de la Restauration, Villeneuve ne crut pas devoir con- tinuer ses services au gouverne- ment qui lui succédait. Député du Var aux élections de 1830, il cessa d'apj)artenir à laChambre renouve- lée en 1831, et rentra d.ins la lie privée. Lorsqu'en 1832, Madame, duchesse de Berri, encouragée par les dispositions d'un grand nombre d'habitants des contrées de l'Ouest et du Midi , médita son projet de débarquement sur les cotes de Pro- vence (i), le vicomte de Villeneuve fut pressenti sur Tacceptation éven- tuelle du titre de commissaire royal dans le département du Var; il répondit affirmaiirement , mais sans dissimuler ses incertitudes sur le succès de celte entreprise. Ce

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(1) Tous les détails qui vont suivre sont cnipruntts :uix notes iiKiiiuscrites et inédites du vicomte de Villeneuve, qui m'ont été communiquées par sa fa- mille.

brevet lui fut expédié quelques jours plus t.ird signé de la princesse « au nom de Henri V. » Villeneuve parcourut plusieurs villes du Var el des Bouches-du- Rhône, afin d'étudier Pélat des esprits , et celte exp'.oiation ne releva point ses espérances. 11 consigna ses ob- servations et ses appréhensions dans un mémoire qui fut remis ^ la princesse k son arrivée a Massa. Villeneuve l'y conjurait de ne pas compromettre l'avenir de son fils par une précipitation funeste , el lui demandait de borner son rôle à celui d'un serviteur fidèle résolu à la « défendre au péril de sa vie.» La duchssse fit répondre à Ville- neuve que ses propres idées étaient conformes aux conclusions de son mémoire ; mais elle dut céder aux impatiences de son entourage, et débarqua, le '29 avril, à proximité de Marseille, le vicomte de Vil- leneuve s'était rendu de son côté. La répulsion des troupes pour le drapeau blanc, el une discrétion malentendue envers la population marseillaise, généralement favorable à la dynastie déchue, firent échouer cette première tentative. Villeneuve revint à Aix le 1'^ mai, san^ rap- porter aucune information sur le lieu Madame s'étuii retirée. Mais il reçut bientôt l'avis secret de se rendre auprès du duc dEs- rars, dans un endroit situé îi peu de distance de cette tillo, et là, il apprit (pie Ion comptait sur son dévouement j)0ur accompagner la princesse en Vendée, elle avait résolu d'essayer un nouvel appel aux royalistes de l'Ouest. Le loyal gentilhomme n'hésita point ac- cepter celte mission périlleuse. 11 fut convenu qu'il se trouverait le lendemain, à minuit, enir- Lam- bescel lePonl-Royal, |)Oini duquel

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Madame untreprendrait de traverser la France îi i'aide d'un passe-port que Villeneuve s'était fait délivrer récemment en donnant à sa femme, qoi y liguiait, l'âge et le signale- ment de la princesse. Ces arranje- meuts furent approuves et secon- dés par la duchesse de Vicence, mère de madame de Villeneuve, qui conseilla toutefois de ne rien tenter en Vendée, le temps n'étant pas encore venu, et s'offrit même, dans le cas Madame suivrait ce conseil, à la ramener en Italie, en la faisant passer pour sa fille. iMais le sort en était jeté. Le 3 mai, à neuf heures du soir, Villeneuve partit d'Ail avec un de ses cou- sins, et, après avoir passé Lara- besc et Saint-Cannat, ils s'arrêtè- rent à un point de la route aboutissait un sentier ombragé d'arbres touffus. C'était le lieu con- venu. Ils descendirent de voilure, et le compagnon da Villeneuve, ayant prononcé k haute voix le nom Aq Laurent, il se présenta un groupe de huit personnes, dont six étaient vêtues en bergers, mais armées de pistolets, et de ce groupe se déta- cha utie jeune feiuine enveloppée d'un manteau rayé de noir coiffée d'un chapeau de paille noire couvert d'un voile blanc. C'était la mère du duc de Bordeaux. Villeneuve parut, « baisa respectueusement la main de la piincesse, et se déclara prêt à la suivre au bout du monde. » Cet acte de dévouement était d'autant plus appréciable que sa santé, na- turellement débile, subissait en ce moment même de pénibles attein- tes. Madame lui annonça qu'elle se rendiiil au château du marquis Aymar de D.impierre, dans la Saintonge, à qui sa visite n'était point annoncée. Villeneuve laida à monter dans une voiture préparée

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par le zèle indéfectible de M. de VitroUes, et remit au duc de Lor- ges une redingote de livrée dont il se revêtit aussitôt. Madame fit as- seoir le comte de Mesuard à côté d'elle, Villeneuve en face, et jeta ces mots à son cortège pour dernier adieu : En Vendée! Plusieurs fois, durant ce périlleux trajet, le fidèle compagnon de S. A. R. lui fil part des objections et des offres de la duchesse de Vicence. La princesse déclara qu'elle ne quitterait pas la France après y avoir mis le pied. « Vous verrez, lui avait-elle dit en partant, combien je suis commode en voyage; je dors à merveille en voilure, et de i'eau et du pain me suffisent. « Il y avait dans son accent quelque sentiment d'une mission divine auquel se mê- laient les hallucinations ardentes d'une imagination italienne. Les quatre voyageurs déjeunèrent fru- galement au petit village de Bar- beyra, près de Narbonne. « Ce qu8 c'est, dit la duchesse à ses compa- gnons, qu'une conscience pure et la certitnded'accomplir un devoir! Ja- mais je ne fis undéjeuner meilleur; je suis sûre que je ne mangerais pas d'aussi bon cœur aux Tuileries!» En passant près de Villefranche, on découvrit le château de Mor- ville, habitation de M. de Villèle. « Quelle excellente tête! dit la princesse; ah! si je conquière le trône démon fils,il aura une grande prépondérance dans les affaires... Il n'approuverait pas notre entre- prise; cependant, c'est de son ami M. Corbière que j'ai reçu le plus d'en- couragements. ■ En détaillant les espérances dont il lui avait fait part, « ses yeux brillaient, dit le fidèle narrateur, sespetitesmainsserraient convulsivement ses pistolets... Ah! pourquoi toute la France n'était-

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elle pas Ik pour l'eulendre!... Et pourtant, i travers mon éaiolion, je pressentais trop que cette entre- prise ne serait qu'un illustre mal- heur (le plus! » A Toulouse, Ton mit pied à terre, le duc de LorjiCs fui rencontré et reconnu par un de ses anciens frères d'ar- mes, M. de Puylaroque, qu'il fallut mettre daus le secret. M. de Puy- laroque supplia Madame de s'arrê- ter à Toulouse ei d y encourager, dans une retraite sûre, les disposi- tions favorables de la population, dispositions qui promettaient, dit-il, un plein succès à son entreprise. La princesse ne Youiut point se laisser fléchir. Tour à tour en proie à de douloureux saisisseaients ou à de vives espérances, coiitinue notre narrateur, son sommeil était agité par des rêves auxquels se mê- lait toujours le nom de ses e.ifants. Ce trajet, dont la sécurité dut beau- coup ii l'opinion générale l'on était de rarresiaiiou de la prin- cesse, fut marqué par un de ces piqua:its épisodes qui manquent rarement aux incognito des princes. Ce fut la courte excursion que les voyagrUF:» firent au château de Dampierre, sur les bords de la Ga- ronne, pour s'y informer de la pré- sence à Plassac de celui dont ils allaient bientôt réciam(;r l'hospita- iité. Ils passèrent le fleuve à La Magistère, et s'arrêtèrent dans le manoir habité par le cousin du marquis, qui fixa leurs incertitudes. Mad;ime la comtesse de Darnpierre accueillit gracieusement l'auguste étrangère, sans aucun soupçon de ce qu'elle pouvait être, la(Onduisit à la messe du village, s'inforraa avec une pieuse anxiété de tout ce qu'elle avait pu apprendre sur le sort de la duchesse de Berri, et, après avoir fait servir aux visiteurs

un élégant déjeuner, elle ne les quitta que lorsqu'elle les eut vus remonter en voilure, lis traversè- rent, sans incident, Agen, Ville- neuve, Bergerac, Castillon, Saint- André-de-Cubzac,Blaye enlin,oùla fortune gardait ses derniers coups à l'intrépide héroïne, et ce fut le 7mai,danslanuit, que ienoblecor- tége s'arrêta à Plassac, devant la porte du château de Darnpierre. « Cher chûtelain, ouviezl s'écria le vicomte deVilleneu.e,c'cs/ /a /br/untf de la France. * Le marquis de Darn- pierre reçut la mère duduc de Bor- deaux avec un mélange indescripti- ble de surprise, de joie et d'emolion «et comme un rêve depuis longtemps lorge dans son imagination. » L'in- stallation de Madame sous ce toit hospitalier soulagea d'un poi'Js immense la responsabilité du fidèle historien de cet épisode de nos révolutions modernes. Interrogé par la iiriucesse sur ses intentions ultérieures, Villeneuve lui répondit qu'il était entièrement ^ ses ordres, mais qu'il croyait sa présence plus utile aux intérêt;, royalistes dans le Midi que dans la Bretagne, et, toujours convaincu de l'impuis- sance des efforts qu'elle allait tenter, il s'occupa seciètement de faire préparerua passe-port pour assurer sa retraite en cas de revers. Le len- demain, il prit congé de la prin- cesse, e Monsieur de Villen.'uve,lui dit-elle d'un ton pénétre, vous êtes deceshomm'S auxquels on ne doit pas parler de reconnaissance; mais si jamais nous nous revoyons ..ux Tuileries, je veux que vous soyez biiMi près de nous. » Le vicomte de Villeneuve sortit de celle entre- vue, qui devait être la dernière, emportant, a-t-il dit, « la plus hante idée de son noble couraij'û et de sa haute raison réunis à l'esprit

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le piusgracieux et le plus aimable.» Après quelques mois de séjour en Provence, Villeneuve se fixa irré- vocablement il Paris et s'y adonna avec assiduité à l'élude de rérono- mie politique, science dont l'appli- caîioniuiavailoffertlantderésuitats utiles dans le cours de sa longue carrière administrai ivf. Tl publia en J834 (l-'aris, 3 vol. in-8") V Eco- nomie polilique chrétienne, ou Re- cherches sur la nature el les causes du paupérisme, etc., avec cette épi- graphe tirée de Burke : « Il faut recommander la patience, la fruga- lité, le travail, la sobriété et la re- ligion ; ie reste n'est que fraude et mensonge. » Ce livre fixa, dès son apparition, l'intérêt el l'attention de tous les esprits sérieux. Il mé- rita au vicomte de Villeneuve un des prix Montyon, et lui ouvrit plus tard les portes de l'Académie des sciences morales et politiques. Vil- leneuve y fait observer que le vé- ritable paupérisme, c'esl-à-dire la détresse permanente et progressive des populations ouvrières, a pris naissance en Angleterre, d'où il s'est répandu sur le reste de l'Eu- rope. La source du mal est, suivant lui, dans la concentration des capi- taux, du commerce, de l'industrie, dans le remplacement du travail humain par les machines , dans l'excitation perpétuelle des besoins physiques et la dégradation morale de l'iiomme. Le système de l'auteur consiste à comballre tous ces élé- ments perturbateurs. Il est fondé sur une juste et sage distribution des produits de l'industrie, sur l'é- quitable rémunération du travail, sur le développement de l'agricul- ture, sur une industrie appliquée aux produits du sol, sur la iégéné- ratijii religieuse de l'homme, et enfin sur le grand princijie de la

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charité. La charité cin-étienne mise en action dans la politique, dans les lois, les institutions el les mœurs, peut seule , conclut l'auteur, pré- server l'ordre social des eiîroyables dangers qui le menacent. Quel- ques années plus tard (1841), Al- ban de Villeneuve publia, en deux volumes in-8% une Histoire de l'é- conomie politique, à laquelle il donna pour second titre celui à'Eludes historiques , philosophiques et reli- gieuses sur l'économie politique des peuples anciens et modernes. Dans cet ouvrage, destiné à compléter le premier ou à lui servir de base, l'auteur parait h'êire proposé sur- tout de restituer à la science éco- nomique le caractère moral et re- ligieux dont certains penseurs de î'iOs jours ont essayé de la dépouil- ler. Telle est la vue dominante de son livre. Les esprits judicieux y remarquèrent le mérite d'une mé- thode qui permet d'en saisir sans efforts, .sans contention d'esprit, l'ensemble et les détails. Ville- neuve y analyse successivement l'état de l'économie politique chez les peuples primitifs, chez les Hé- breux, les Perses, les Phéniciens, les Chinois, les Athéniens et les Romains, el décrit ensuite h grands traits l'influence que l'établis.se- mcntdu christianisme, et plus lard, l'introduction de la réforme ont exercée sur ses destinées. Des considérations hibloriques el poli- tiques développées avec l'aulorité d'une haute expérience, une argu- mentation claire etempieinte d'une onctueuse modération , un style constamment pur et élégant, ache- vèrent de fixer le succès de ce li- Yre, appelé k figurer honorable- ment parmi' les ouvrages inspirés par la belle science à la(juelle l'au- teur avait voué les dernières an-

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nées de sa vie. Vers la même époque, Alban de Villeneuve fil paraître le Livre des Affligés (2 vol. in-12), monunaent remarquable des senti- ments religieux de l'auteur et de son amour ardent de l'humanité. Dans cet écrit, véritable physiolo- gie de la souffrance morale , le pieux analyste sonde d'une main pénétrante toutes les ^plaies du cœur de l'homme et leur oppose la résignation chrétienne comme l'unique fondement de toute cou- >Oiation solide et durable. Celte édifiante thèse n'est point neuve, sans doute, mais on doit recon- naitie que Villeneuve réussit jus- qu'à ceitain point à la rajeunir par l'intérêt des développements, par des exemples heureusement choisis et par le charme d'une dic- tion qui n'affecte pas plus les va- gues, aspirations du mysticisme que les froides abstractions de l'é- cole philosophique. I/homme du monde et le gentilhomme se retrou- vent frcquiMumcnt sous i'apùtre, et les exhortations de l'auteur sont d'autant plus sympathiques qu'elles reposent sur une observation au.ssi délicate {[u'a|)profondie de la nature humaine. \x LivrédesAflUgés. pu- blié pour la première fois en I8i0, obtint rapidement plusieurs édi- tions,et a pris place dans la plupart des bibliothèques relii^ieuses. Le vi- comte de Villeneuve avait été élu en i 840 député de l'arrondissement de Hazebrouck, qui lui continua à plusieurs reprises son mandat jus- qu'il la révolution de 1818. Sa mo- destie, la faiblesse de sou organe, l'état constamment précaire de sa santé ne lui permir> nt que très-ra- rement (l'aborder la Iribuue. Ce- pendant il fit violence à ces obsta- cles dans une discussion (jui inté- ressait vivement ses éludes et ses

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inclinations spi'ciales. Il s'agissait du projet de loi destiné à régle- menter le travail des enfants dans les manufactures. Villeneuve pro- nonça k cette occasion (22 déc^-m- bre 18i0) un discours il repro- duisit avec une onction persuasive la [)Iupart des considérations qu'il avait développées dans son pre- mier ouvrage sur la nécessité d'une alliance étroite entre l'industrie et la charité chrétienne; il y adjura le gouvernement de s'occuper sans relâche de ramôlioration des clas- st3s ouvrières, et regretta que la prévision des pratiques religieuses n'entrât pas pour une plus forte part dans le projet essentiellement moralisateur du minislèi o. Ce dis- cours, conçu dans un ordre d'i- dées étranger depuis plusieurs années aux débats législatifs, pro- duisit une sensation vive et favora- ble.— La révolution de 1848 amena le terme de la vie parlementaire d'Alban de Villeneuve , comme celle de 1830 avait marqué la lin de sa carrière administrative. De- puis celte époque, sa santé, natu- rellement faible, ne cessa de dé- cliner. Il mourut à Paris le 8 juin 1850, laissant dans l'Académie des sciences morales, à laquelle il ap- partenait comme membre ordi- naire, un vide diflicile a combler, et là, comme partout ailleurs , la réputation d'un immense amour du bien public servi par un profond savoir et par une intelligence pé- nétrante et exercée. Il avait re- commandé que ses restes fussent transfères à Bargemon et déposés sans aucun appareil dans le caveau de ses ancêtres. Alban de Ville- neuve avait épousé en première noces mademoiselle de Frègose, dont il eut deux filles, et eu se- condes noces mademoiselle de (2a-

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nisy, belle-fille du duc de Vicence; il en a eu un fils et une fille, ma- riée au comte L-nncs de iMoiiie- bello, iroisième (Us du maréchal. M. Jules Nollet, archiviste de la Société lorraine de l'Un ion des Arts, a publié à Nancy, en 1851, une notice étendue sur la vie et les travaux du vicomte de Ville- neuve. M. le comte de Marseille- Civry en a entretenu les lecteurs du Monilcur de l'Avenir dt Bruxel- les, et M. de Godefroy-Mesniî-Glaise lui a consacré un intéressant arti- cle dans les Annales de la Charité. A. B— ÉE. VILLEINEm E - BARGEMON (Louis-François de), marquis de Trans, frère jumeau du précédent, gentilhomme de la chambre du roi Charles X, membre de l'Iuslitul, chevalie:- de Saint-Jean de Jérusa- lem, etc., naquit au château de Saint-Auban, le 8 août 1784. La faiblesse de sa santé et son pen- chant marqué pour la littérature et les arts délournèreni de la car- rière des emplois publics, que ses frèresavaient embrasséeavec éclat. Il consacra sa jeunesse à des études fortes et variées, et publia en 1824, sans nom d'auteur, un roman his- torique intitulé : Lyonnel, ou la Provence au xiu" siècle (Paris, 4 vol. in-12). L'année suivante, Ville- neuve fit paraître une Hisloire de liené d'Anjou, roi de Naples, duc de Lorraine (Paris, 3 vol. in-8"). Cet ouvrage, qui se distingue par un mérite louable d'exactitude et de recherches, obtint du succès et fut particulièrement bien accueilli dans la pairie de l'auteur, le nom du roi René, mort en 1480, avait conservé une populaiité ira- dilionnclle. Lu 1829, le laborieux écrivain fil imprimer une Histoire des monuments des grands -mai 1res

de SauU-Jeau dcJcrusaleniàRliodes et à Malle, avec gravures et por- traits. (Paris, 2 vol. grand in-îol.) Bel et capital hommage îi la gloire d'un ordre auquel sa propre fa- mille avait donné plusieurs grands- maîtres, cl dont l'existence n'avait pas embrassé moins de sept siècles de durée. Il publia en 1836 l'His- toire de Sainl-Louis, roi de France. (Paris, 3 vol. in-8*.) Ce fut à la suite de ce dernier ouvriige, résu- mé sobre et soigneusement com- posé des nombreux documents qui nous restent sur un des règnes les plus glorieux de nos annales, que Villeneuve entra à l'Institut. Il fut élu le 10 janvier 1840, membre libre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, en remplacement du duc de Blacas. Villeneuve ap- pari nait depuis 1821 à l'Académie de Nancy, ville l'avait attiré la présence de son frère Alban, pré- fet du département delà Meuithe, et l'avait fixé définitivement son mariage avec mademoiselle de Montureux-Fiquelmon, issue d'une des familles les plus distinguées de la Lorraine. Cette province, si riche en souvenirs historiques , fournit au marquis de Villeneuve de nouveaux sujets d'exercer son goût pour l'énidilion. 11 avait pu- blié on 1826 et 1827, sous le titre de Chapelle ducale de Nanoj, une notice pleine d'intérèi sur les ducs de Lorraine. En 1838 il lut à l'a- cadémie de Stanislas une autre notice également curieuse sur la tapisserie de Charles le Téméraire, conservée à la cour royale de Nancy, qui fui imprimée, et en 1831J un mémo'wc sur lestombeaux de Charles le Tenter aire à Nancy et à Druyes, mémoire qui a été égaleuient pu- blié. Indépendammiuil de ces ou- vriJges, on porsèdc encore de Ville-

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neuve-Traas un Précis de l'histoire en général jusqu'à nos jours. (Paris, 1821, io-S".)» (les notice» sur René d'ADjoii et sur le sire de Joinville, insérées au Plularque français, et plusieurs discours prononcés par lui comme président du congrès scientifique réuni à Metz en 1837. Enfin, il se proposait de doter sa patiie adoptive d'une histoire gé- nérale de ces ducs de Lorraine dont la valeur et la haute mine faisaient dire a Brauiùme que t<'Usles autres princes paraissaient peuple auprès d'eux, lorsque l'affaiblissenient gra- duel de sa santiî le contraignit d'in- terrompre ses recherches. La mort du vicomte Alban de Villeneuve, son frère jumeau, auquel il était tendrement uni, détermina dans sa situation, à la suite de plusieurs années do lansueur. une crise fa- tale. Trois muis et demi après ce douloureux événement, le 19 sep- tembre 1850, François de Ville- ncuTf s'éteignit à GG ans, dans jes sentiments religieux qu'il avait pui- sés au sein d'une famiile d'élite et auxquels il n'avait cesbé d'èire fi- dèle durant le cours de sa vie. M. du Haldat, au nom de rAcadémie de Nanty, prononçi sur sa tombe une allocution da:.s laquelle il rappela sommairement ses principaux litres à la renomnice historique. Ce sa- vant distingué ne se recommandait pas moins par sou extrême mo- destie que par retendue de ses con- naissances. Doué d'une instruction moins spéciale que son irére Alban, il présentait avec lui d'autres traits de similitude dont la biographie ne saurait négliger robserv;4lion. Tous deux, décores des mêmes or- dres , appartenaient aux mêmes corp^ lillérairefe, professai; ut avec une égale tolérance les même sen- timents religieux et jtolitiques, et

se faisaient remarquer par l'exquise aménité de leurs formes. Lnfin, il existait entre les deux frères, sur- tout dans leur première jeunesse, une ressemblance physique telle- ment complète que les membres de leurs famille, et jusqu à leur propre mère, s'y trompaient eux- mêmes et les confondaient fré- quemment l'un avec l'autre. Le marquisat de Trans, qi^c Fran- çois de Villeneuve avait acqui? par la cession du titulaire, était le plus ancien de France et apparte- nait de temps immémorial à l'une des branches de lafamil e de Ville- neuve. François de Villeneuve avait eu de son mariage deux tUles et un fils qui fera le sujet d'un des articles suivants. A. B— ée. VILLKNELVE - BARGEMOiX (Jean-Baptiste, vicomte de", frère des précédents, capitaiiie de vais- seau, chevalier de Saint-Louis, of- ficier de la Légion d'honneur, chevalier des ordres de l'Eperon d'or et de Saint-Ferdinand, un des marins de nos jours dont la car- rière a été la plus honorable et la mieux remplie, naquit à Bargemon le 28 novembre 1788. Il entra au service maritime à quinze ans, en qualité de simple matt.lot, et fut admis, après s-^pl mois d'embarque- ment dans la rade de Toulon, au grade d'aspirant de 2' classe. 1/a- miril de Villeneuve- Valensole, son parent, étant venu prendre le cora- mandeni: ntde l'escadre de Toulon, le jeurie de Villeneuve fut aliache à son étal-majt)!', et fit sur le liu- ceuîaure, qui portait sou pavillo!), une campagne aux Antilles. Il coopéra, dans les embarcations de ce vaisseau, k la prise et à la des- truction du fo;t le Diamant, les Anglais s'étaient établis pre^ de la Martinique, et assista lu 2:2 juillet

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iSOU au combat du Finistère, dout les résultats furent à peu près in- signifiants de part et d'autre. Le 21 octobre de la môme année, Vil- leneuve prit part à la sanglante et désastreuse bataille de Trafalgar, que ramirai Nelso:], en personne, livra, à la tête de 33 voiles, aux flottes française et espagnole com- binées, sous les ordres des ami- raux de Villeneuve et Gravina, et qui se composaient d'un nombre égal de vaisseaux de ligne, dont quinze espagnols, armés pour la plupart d'équipages peu expéri- mentés. L'amiral anglais fut frappé mortellement d'une balle presque au début de l'action ; mais le vice- amiral Collingwood, qui prit aus- sitôt le commandement, exécuta avec autant de vigueur que d'a- dresse la manœuvre audacieuse conçue par son chef, et par suite de laquelle la ligne française se trouva coupée sur plusieurs points. Au bout de trois heures et demie de combat, l'amiraf de Villeneuve, qui n'avait cessé de déployer la plus ferme intrépidité, voyant son vaisseau totalement démâté et dé- semparé, et reconnaissant l'impos- sibilité de passer sur un autre bord, donna l'ordre d'amener son pavillon. Il fut reçu par la frégate r£î/r?/a/oMs, chargée de le conduire en Angleterre, et sur laquelle, par une destinée trop commune dans la vie militaire, se trouvait égale- ment le corps inanimé de Nelson, séparé de son captif [)ar un simple rideau de serge! L'amiral espagnol Gravina, grièvement blessé, mourut un mois après cette déplorable journée, qui coûta également la vie au contre-amiral Magon et à dix capitaines de vaisseau. L'armée comiiinée y perdit dix-sept vais- seaux ; mais !a plupart coulèrent

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bas par suite de leurs avaries, et les vainqueurs ne purent faire en- trer dans le port de Gibraltrar qu'un seul navire français et trois bâtiments espagnols. Le jeune de Villeneuve sollicita vivement de son parent et de son bienfaiteur la permission d'aller partager sa captivité sur le sol anglais. Mais le généreux amiral refusa obstiné- ment d'associer l\ sa mauvaise for- tune un officier plein d'espérance; il souhaita au jeune marin un « avenir plus heureux que le sien, » puis ilsseséparèrent pour ne plus se revoir. Ou sait que l'infortuné Vil- leneuve, accablé du sentiment de son revers, et redoutant les sévé- rités du gouvernement imj)érial, mit fin à ses jours quelques mois plus tard, dans un hôtel de Rennes il était descendu, au retour de sa captivité. Après diverses campa- gnes au Sénégal , à Cayenne et à la Martinique, Baptiste de Ville- neuve fut admis le 22 décembre 1806 au grade d'aspirant de pre- mière classe, et obtint tiois ans plus tard celui d'enseigne de vais- seau, à la suite de la part qu'il avait prise à la capture (28 fév. 1 809) , delà frégate anglaise la Proserpine, dans les parages de La Ciotat. Ce coup de main hardi, conçu et exé- cuté par le capitaine Dubourdieu, marin plein d'énergie et d'activité, appauvrit la marine anglaise d'un bâtiment de quarante-deux canons et d'une trentaine de combattants. Tout en applaudissant à ce fait d'ar- mes, Villeneuve observa, dit-il, avec un sentiment d'humiliation l'em- pressement par lequel la population loulonnaise vint témoigner com- bien étaient rares à cette époque nos succès maritimes. Les Anglais bloquaient toujours étroitement le port de Toulon, et s'efforçaient en

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vain d'enirainer nos vaisseaux au large par d'impuissantes escar- mouches. L'occasion s'offrit enûn pour Villeneuve d'échapper à cette vie dénuée de gloire et de périls. Dubourdieu fut appelé vers le mi- lieu de 1810 au coranii^ndement des forces uavales de la mer Adria- tique. Il purlii immédiatement pour Venise et demanda au ministre pour aide de camp le jeune enseigne qui l'avait si bien secondé ap com- bat de La Ciotat. Villeneuve rejoi- gnit son chef au mois de décem- bre 1810, avec un de ses amis, le jeune Armand dr Chateauville. Tous deux virent en passant à Sa- vone le pape Pie VII , qui y était exilé, et dont ils fareiit traités avec une bienveillance particulière ; ils arrivèrent à Venise, Villeneuve séjourna jusqu'au mois de mars 18M, époque lixée par Duiiourdieu pour une importante expédition sur Tile de Lissa. Cette petite ile, située au milieu de l'Adriatique, entretenait, sous la protection des Anglais, une foule de corsaires qui portaient un préjudice notable au commerce de ces contrées. L'in- Irépide Dubourdieu pioposa au vice-roi d'Italie d'autoriser une at- taque dont l'objet serait d'enieverce poste à la domination biilannique, et d'en prendre délinitivement pos- session au nom de la Fiance. Plu- sieurs frégates françaises et italien- nes, deux corvettes, un brick et une goélette furent réunis à Aucune à la fln de février 1811, avec quel- ques troupes de débarquement. Le 13 mars, le combat s'engagea vive- ment conire quatre frégates an- glaises qui couvraient l'enlrée du port; peu d'instants a|)res, le hravr capitaine, mortellement alieinl d'un bisi-aïtMi (pli lui avait fracassé la poitrine, tomb^ùt dans les bras en-

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sanglantes de son aide de camp. Le feu continua néanmoins avec acharnement; mais la mort suc- cessive des principaux officiers de l'escadre frani^'/ise et l'echouement de la Favorite, frégate du com- mandement, déterminèrent la re- traite d'ime partie de nos bâti- ments et la prise de quelques au- tres; plus d'un tiers de réquij)age fut mis hors de combat; les ofli- ciers survivants de la Favorite, re- çus à bord d'une embarcation de secours, n'osèrent ramener avec eux la dépouille mortelle de leur infortuné commandant, dans la crainte qu'elle ne tombât aux mains des Anglais; ils préférèrent lui donner la sépulture des flots de l'Adriatique , elle s'abîma dans les flancs incendiés de sa propre frégate. Villeneuve et ceux de ses compagnons qui avaient échappé à ce grand désastre, débarquèrent dansl'ile, et conçurent un moment l'idée de s'y établir et d'en défendre l'accî's aux bâtiments anglais ; mais cette témerilé (il place it la paisible occupation de quelques bû- timents amarrés au quai du bourg Saint-Oorges, capitale de l'ile, sur lesquels ils franchirent létroit pas- sage qui sépare Lissa de la côte d'illyrie. Réduit au dénùment le plus absolu, Villeneuve atteignit à travers des dillicultés inlinie?, au bout de trois jours de marche, le port de Trieste, quehpies per- sonnes qu'il connaissail lui procu- rèrent les moyens de se rendre commodément îi Venise. H y ap- prit qu'un décret impérial du 1" avril 1811 le nonunail chevalier de la Lésion d'honneur, distinc- tion fort enviée à cette époque, parce iju'elle n'élait pas prodiguée, et d'autant plus llalteuse pour Vil- leneuve, alors ii^é de vingt-deux

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ans, qu'il se trouvait le seul luariu de son gracie qui en fût revtMu. Villeneuve fui accueilli avfc une bienveillance marquée par le ^ice- roi, qui lui offrit d'entrer dans la marine italienne avec cie l'avance- mcnt; niais il résista h cette offre (. t retourna àToulon, il fit partie, jusqu'en 18i4.de l'escadre com- mandée par l'amiral Émériau. Ce fut à Monaco que Villeneuve, em- barqué comnne second sur le brick le Faune, apiril les événements qui, en préparant la conc usion de la paix générale, allaient r iidre Ja liberté aux mers. La population de ces contrées, violemment exas- pérée contre le régime impérial par de iongr.es souffrances, exigeait que les officiers du l);i k arboras- sent le draoeau blanc, et Ville- neuve, signalé comme bonapar- tiste, Il raison du i uhan rouge qu'il portait sa boutonnière, courut p.rsonnellcmenl de grands dan- gers. Il fallut ubtr (Je beaucoup de prudence pour prévenir de san- gla»:t< conflits. Villeneuve se ren- dit il ïouion et y fut témoin des iûches et nombreuses apostasies qui se produisirent parmi les au- lorilés ci-.iles et militaires de ce port de mer, à l'occasion de la chute du gouvernement de Napo- léon. ^ Combien de chefs dévoués la veille à la fortune de l'Empe- reur, écrivait- il, le Iraitjient au-

jourd Uui d'tw/fîmtf usurpateur!

La frénésie avait atteint toutes les classes de la société. Les dames les plus considérables de la ville figuraient aux fjrandoles,formaient les rondes autour dfs fcuï de joie dans lesquels on ne m^Jinpiait ja- mais de jeter le buste de Napoléon et le drapeau tricolore, en les y accompi'.gnant de malediclions. Faiigué de ces clameurs incessan-

tes et de ces manifestations fana- tiques, ajoute Villeneuve,* je quit- tais peu mon bâtiment, et le calme de mon attitude me faisait sans doute passer aux yeux des exaltés pour un homme très-froid aux évé- nements nouveaux, tandis que, plus que beaucoup d'autres, je sentais le besoin de paix et de repos que réclamait notre patrie pour ci- catriser ses . plaies, et je rendais grâce à la Providence de consacrer, par le retour du mongrque légitime, ce grand principe d'hérédité qui a préservé la France pendiiUt tant de siècles du danger des usurpa- tions(t). » Le bâtiment que montait Villeneuve fut chargé, au mois de juillet, d'aller nolilier au dey d'Al- ger et i Temperenr du Maroc l'a- vénement du roi Louis XVlll, et de porter au premi-^r de ces souve- rains les présents d'usage. Le jeune officier fut révolté de l'air de dé- dain avec lequel le dey et sa cour reçurent les communications du roi de France, et chacun des en- voyés forma dans le fond du cœur le vœu , qui devait être exauce seize ans plus tard, qu'un jour ar- rivât où une puissance chrétienne se chargerait de détruiie ce repaire de pirates, en y implantant le dra- peau de 11 civilisation. Le dey envoya Ji bord du brick, suivaui l'usage, une embarcation chargée de volailles, de légumes et de quelques moutons pour l'équipage; mais à peine ces prétendus présents étaicnl-iU arrivés sur le brick, que le paiement en était réclamé à la chancellerie de notre consulat. Le «juillet 18U, Villeneuve fut promu au grade de lieutenant de v;iisseau.

(1) Mém. iiié.lils du comte de Yillc- nenve.

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I! étoit eu sialion n Toulon lors- que, dans les premiers jours de mars 1815, se répandit la nouvelle du débarquement de Napoléon au go'fe Juan. Cet événement, accueilli d'abord avec stupeur par la ma- rine et par la {jopuîa'ion, fournil bientôt au parti bonapartiste l'oc- casion de prendre sa revanche sur les manifestations de l'année précédente. La prudence des auto- rités ronlint dans de justes limites ces dangereuses représuiiles, mal- gré certaines excitations révoîn- tionnalres venues de haut {\), et la crise des Cent-Jours, marquée par des excès si déplorables dans les départem.nts voisins, fut franchie sans trop de désordres par cette inflammable population. Après aroir été attaché comm'^ aide de camp à l'amiral Missiessy, préfel maritime de Toulon, l'un des hom- mes qui ont fait le plus d'honueur à la mniine française, VilIeneuTc reçut une destination moins pré- caire. Il futnomme,enoctobre 1815, au commandement de la gabarre VEmulation, d'où il passa, le 1" mars 1810, à celui de la goëlelle le Momus, joli bâtiment de JO ca- nons et de GO hommes d'équipage, qui, après une station de trois mois à Dastia, fut envoyé en croi- sière sur les cotes d'Italie, afin d'y proléger les navires pouliiiia;:i contre les coriaires barbaresqucs. Celte mission, que Villeneuve rem- plit avec Zi'le et succès, lui valut, du pape Pie VU, la décoration de IF'iperon d'or, ordre fo:;dc en 1559 par Pie IV, el qui ne s'accordait dans le priricipe qu'à de grands personnages ou ii d'éminents ser-

(1) M< ni. indits du comte de Ville- ncQve.

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vices. I! reprit ensuite ses l'ouclions auprès de i'amlral. Lors du mariage de ir. duc de Berri avec la princesse Caroline de Naples, le comte de Missiessy ledésii^^ia pouralleroffrir à raug;iste fiancée les hommages de !a marine française. Villeneuve fut reçu à la cour des Deui-Siciles et assista à toutes les fêtes qui y furent données à l'occasion de celle alliance de frimiile dont le dcnoû- ment devait être si funeste. Au mois d'août 1819, Vi.Meneuve, âgé d'un peu plus de trente ans, reçut le brevet de chevalier de Saint- Louis; il fut nommé quelques mois plus tard (juin 1820) commandant du brick le Lézard, et ( hargé de diriger la station de la Guyane fran- çaise, qui se compo.sui: du brick Visère el de deux bâtiments légers. Il jeta l'ancre dans la rade de Cayenne aprèsquarante-deux jours de navigation et s'occupa immédia- tement de resserrer dans cette division les liens fort relâchés de la discipline. .Ses efforts, long- temps contrariés par le caraclèrc alliîr et (.'('spotiquc de M. de Laussal, gouverneur de la colo- nie, furent progressivement cou- ronnés de succès. ne se bornèrent pas les soins persévé- rants de Villeneuve. I! explora les euvirous de la colonie avec !e zèle d'uu observateur at;enlif, remocla jusqu'au Para le beau fl "uve .des Anuxones, parcourut la lîarbade, la Martinique, l'ilc de Crcnade et la Guadeloupe, et recueillit d'iolé- ressantes notions surle.s peuplades plus ou moi us rapprochées du chef- lieu de sa station. 11 s'attacha .^oi- gnwisemeul surtout à observer les rapports des colons avec leurs es- c.a\es, à pénétrer dans les detailg de la vie de ces derniers, h élu îirr 1 nrs !: (p",r«^ et ' meilleur p.irti à

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liier de leur» services, soit dans leur propre intérêt, FOit dans celui du gouYeinement. Villeneuve rédi- gea sur tous ces points, si étroite- ment unis à notre avenir commer- cial et à la prospérité de nos possessions équatoriales, un mé- moire circonstancié, qu'il adressa au ministre de la marine. Ville- neuve fit plus encore : il profita plus tard dHin séjour à Paris pour solliciter, par l'entremise du cardinal de Beausset, son oncle, une audience particulière du roi Louis XVIIl, auquel il transmit ses observations et ses vue». Mais les embarras incessants de la politi- que intérieure ne permirent pas au gouvernement d'accorder à ces importantes communications toute l'attention qu'elles méritaient. Au fcout de vingt mois de séjour ii la Guyane (1), Villeneuve reçut l'or-

(1) Pendant cette station, Villeneuve eut l'occasion de se rencU'o a Tile de Grenade, il aniv;i la veille du jour de Saint-Georges, fôte du roi tP Angle- terre. 11 cite dans ses nîémoires un procédé remarquable de délicatesse et d'originalité dont le lieutenant-général, . sir Thomas Ryat, gouverneur de cette colonie anglaise, usa a son égard en cette circonstance. Ce général invita Villeneuve et son étal-major a un grand repas qu'il donnait a toutes les autori- tés de l'ile , et qui se prolongea pen- dant près de qualie heures. Villeneuve, qui o( cupait la droite du gouverneur, avait remarqué avec surpiisc que les verres placés devant les oflicieis fran- çais étaient tous de couleur foncée, tandi que ceux dont se servaient les Anglais étaient en cristal pur. Il en de- manda le motif a son amphytrion, qui, après l'avoir laissé chercher pendant quelques instants: «Aujourd'hui, grande fête nalion;il<', loi répondit-il, tous nos honorables eompatrioles vont célébrer dignement le nom de notie roi en bu- vant outre mesure. Avant la lin du di- ner, les trois quarts d'entre eux seront complètement ivres et préls a tomber

dre de quitter cette hospitalière et intéressante colonie, et il mouilla dans la rade de Toulon le 10 mars 4822. Quatre mois plus tard, le 17 août, il fut nommé capitaine de frégate, et le 1" janvier 1824, em- barqué comme second sur la Ga- lalée, d'où il passa bientôt au com- mandement de la corvette Visis dé. 20 canons, sur laquelle il fii voile pour les côtes du Levant. C'é- tait l'époque du plus fort de la lutte entre les Turcs et les Grecs. Ville- neuve fut témoin de la plupart des combats acharnés que se livrèrent les marins des deux nations, et il admira de près la bravoure à la fois calme et impétueuse de ce Canaris, dont les exploits passionnèrent l'Europe pour une cause plus inté- ressante par son principe que par le caractère et la moralité du peu- ple au profit duquel elle se débat- tait. Le généreux marin ne manqua point, pour sa part, à la mission d'humanité que la France s'était donnée avant d'intervenir plus ac- tivement dans ce formidable con- flit. Dans les premiers jours de juillet 1823, Villeneuve rencontra au nord d'ipsara la flotte turque qui, sous les ordres du capitan- pacha, se disposait k attaquer cette petite île, importante par ses res- sources maritimes et sa position. Les Turcs débarquèrent sans dilfi-

sous la table. J'ai voulu vous épargner cette honte en vous donnant le moyeu de répondre aux nombreux toasts que l'on vous portera sans vider vos verres, dont la couleur sombre cache le con- tenu ; de celle manière vous pourrez n'en boire que quelques gouttes, et ce soir vous regagnerez votre bâtiment sans que l'on soit dans la nécessité de vous y rappoiter. n Cet exemple do gentle- manic britannique m'a paru assez ca- ractéri»tiquc pour devoir être recueilli.

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culte dans le nord de l'île et firent un massacre affreux des femmes et des enfants que les insulaires, cédant à des forces décuples , avaient abandonnés à la férocité des impitoyables assaillants. Les hommes s'étaient réfugiés, suivis de quelques femmes, dans le fort Saini-Nicolo , situé sur la cime d'une haute montagne et défendu par dix à douze canons. Les Turcs, après avoir accompli par le fer et le feu leur œuvre de destruction, commencèrent à grayir les pentes du rocher et à menacer le fort, qui tirait sur eux sans relâche. Ville- neuve essaya de s'interposer entre les combattants et d'obtenir la ces- sation des hostilités, à condition que les Grecs abandonneraient leurs possessions moyennant la promesse d'être condiiits sous son escorte dans une île neutre. Le chef ottoman acquiesça à ces pro- positions, mais les assiégés les re- poussèrent obstinément et se con- tentèrent de montrer au parlemen- taire le drapeau blanc et bleu, au milieu duquel étaient écrits cei mots : Vaincre ou mourir pour notre liberté. Quand cette résolution fut rapportée au pacha : « Dieu est grand, s'écria-t-il, que sa volonté s'accomplisse! » L'attaque, sus- pendue quelques heures , reprit avec un nouvel acharnement; mais les Turcs, foudroyés par leurs en- nemis, avançaient lentement, et ce ne fut que le troisième jour qu'ils purent se rallier sous les murs de la forteresse pour tenter un assaut décisif. Les assiégés firent passer les femmes et les enfants sous le mur opposé h l'attaque, lequel do- minait un précipice de plus de deux cents pieds à pic sur la mer. Les Turcs s'élancèrent dans les embra- sures du fort , étreignant leurs

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ennemis corps à corps; mais, a ce moment, une effroyable explosion se fît entendre; les Grecs ne vou- lant pas survivre à leur défaite ayaient mis le feu aux poudres! La flotte française vit avec effroi les malheureuses femmes entraî- nées dans l'abîme avec leurs en- fants qu'elles pressaient convulsi- vement entre leurs bras. Ville- neuve envoya sur-le-champ ses embarcations dans l'espoir de re- cueillir quelques-unes de ces mal- heureuses créatures ; mais la mer ne rendit aucune de ses victimes, et ce ne fut qu'à la faveur de fouilles diri- gées avec soin dans toutes lescri- quesdurivage pendant la nuit, qu'il réussit à sauver la vie de cent cinquante-six de ces infortunés, dont le petit nombre so composait de femmes et d'enfants. Villeneuve les reçut à son bord et se mit en devoir de les conduire dans le port de Syra. Il lui fallut dérouter, par l'agilité de ses manœuvres les poursuites d'une grosse frégate turque qui cherchait à serrer de près son bâtiment, pour se saisir sans doute des captifs. Mais ce péril conjuré fit place â un danger plus sérieux. Le capitaine fui in-^ formé secrètement d'un complot ourdi par l'équipage même qu'il avait si généreusement recueilli, dans le dessein de s'emparer de sa corvette et de l'appliciuerau service de la piraterie. Villeneuve refusa d'abord de croire i\ cet excès d'in- gratitude; mais bientôt convaincu par les aveux des conjurés eux- mêmes, il fil melire aux fers les chefs du complot et débarqua ces ipisérables dans le porlde Naiiplie, oîi ils furent remis ù M. Colelli, depuis ambassadeur de Grèce à Paris. Après plus d'un au passé dans les mers du Levant, Ville-

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neuve fut appelé 2U commande- ment de la station de Barcelone, destinée à protéger les intérêts du commerce français et à préserver les côtes de Catalogne de toute tentative de débarquement des insurgés espagnols. Au mois d'oc- tobre 1826, il fut chargé de com- mander la corvette 1 1 Victorieuse, dont la destination était de recevoir quarante-cinq élèves de l'école navale d'AngouK»me et de déve- lopper leurs connaissances nauti- ques par la pratique variée des exercices de la vie maritime. Par- faitement secondé dans cette inté- ressante tâche par l'élat-major et l'équipage de son bâtiment, Ville- neuve dirigea successivement ses explorations sur la Corse, Malte, Milo, Syra, Smyrne, Athènes, Té- nédos, laTroade, Lemnos, Alexan- drie, d'où les voyageurs partirent pour faire un pèlerinage en Pales- tine. Villeneuve adressa les détails de cette dernière excursion a son frère, le marquis de Villeneuve- Trans (voyez l'nrt. précédent), qui les consigna dans son importante Histoire des grands-maîlresde Satnt- Jcan de Jérusalem. A son retour h Alexandrie, l'honorable comman- diint d>^ la Victorieuse reçut la visite spontanée du vice-roi Méliémet-Ali, avec lequel il entretenait de bien- veillants rapports, el qui voulut juger par lui-même de la tenue de 4'e bâtiment et du degré d'aptitude des jeunes élèves. Le résultat de son examen fut d'ordonner Parme- meni immédiat d'une corvette, sur laquf'Me le vice-roi fit installer une école navale établie sur le même pied que recelé française, et qui prépara bientôt une éducation satis- faisante ï qualn'-vinj.Ms élèves de marine empruntés, de gré ou de force, aux pins riches familles du

Caire et de la Haute-Egypte.— Le 5 avril 1827, les utiles services de Villeneuve furent récompensés par le grade de capitaine de vaisseau qui n'appartenait alors à aucun marin de son âge. Cette honorable promotion n'interrompit point le cours de ses explorations. 11 par- courut avec ses élèves les diverses parties de l'Archipel, et ne quitta sa frégate d'instruction que pour faire partie d'une commission d'of- ficiers supérieurs qui se réunit k Paris sous la présidence de l'amiral Mackau pour préparer une ordon- nance sur les équipages de ligne. L'expédition de Morée, résolue par le gouvernement français en 1828, prépara l'affranchissement du sol hellénique, que Charles X n'avait cessé d'appeler de ses vœux et de provoquer par les plus nobles en- couragements. Le 28 août, Ville- neuve fut appelé au commandement de la Didon, magnifique frégate de 60 canons, sur laquelle il embar- qua un bataillon du 29* de ligne, et se renditau port de Coron, la plus grande partie du corps expé- ditionnaire se trouvait réunie sous les ordres du générai Maison. Ville- neuve assista au siég«î et à la prise du fort de Patras, et séjourna quel- que temps d;ius cette ville qu'il quitta pour ramener à Toulon un corps de troupes; puis il rejoignit à Navarin l'amiral de Rigny, et assista k un grand dîner que le gé- néral Maison donnait à Ibrahira- Pacha (1), k la veille de repartir

(1) Je lis dans les mémoires inédits du vicomte de Villei»<'uvc, à propos d'Ibrahim-l*a('!in, l'anecdote suivante, qu'il tenait de M. Bertini , notre agent consulaire k Patras, et qui, dans sa naïve atrocité, bjc paraît tout à fait caractéristique des mœurs orientales, Ibrahim fut saisi un jour de violentes

pour l'Egypte. Peu de jours après, il reçut l'ordre de ramènera Toulon le chef de l'expédition de Morée, devenu maréchal de France pour une campagne qui n'ajouta pas beaucoup à sa renommée militaire. A la suite de quelques mois de re- pos, Villeneuve reprit le comman- dement de la Didon, appelée à faire partie, sous les ordres du vice- amiral Duperré, de la glorieuse expédition d'Alger. Ce bâtiment, désigné, par une faveur spéciale, pour coopérer avec le Breslaw à la destruction du seul fort qui pût contrarier le débarquement de la flotte, reçut à son bord le général Tholosé, sous-chef de l'élat-major, et un olBcier supérieur de la marine anglaise, nommé Anrell, qui avait obtenu de prendre part à l'expé- dition. Mais !e dés;ippointementde l'équipage fut grand, lorsqu'à l'ar- rivée de la Didon devant la baie de Sidi-Ferruk, il s'aperçut q'u* la batterie de ce fort était abandonnée. Le dey d'Alger, dans sa folle pré- somption , n'avait fait aucune dis-

coliques, qui résistaient a tous les moyeDS de soulagement et dont l'inten- sité ci-oissante l'exaspéra par degiésjus- qu'k la furcui-. Interrogé le lendemain matin sur son état par M. Bcrtrni lui- même : « Je souffre toujours beaucoup, dit-il, mais j'ai trouvé le reinèdv. > il ordonna à son aide de camp d'aller lui chercher un chef turr nommé Achnict, déteno au château de Patras pour quel- que désobéissance à ses ordres. Arhmet est iiitroduil. Le pacha se traîne péni- blement de ^m divan sur le palier de son escalier, et lii, du ton le plus sim- ple do monde : Qtkon lui coupe la tcle, dil-il a l'un de ses ser/iteurs. tt la tête du malheureux Acbmet ruule dans des flots de sanj; au bas de 1 escalier. Ibra- him rentra lentement en se frottant l'atMiofuen, et sans paraître ému de l'é- pouvante qu'il venait de cau.^er au con- sul frau(;aJs : « Je me sens mieux, dit- il, cela m'a fait du bien. >

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position pour empêcher le débar- quement de nos troupes! Il fallut se résigner à de faibles escarmouches qui ne retardèrent pas d'une heure la descente ducorpsexpéditionnaire sur les plages africaines ; et le 5 juil- let, aprè.> les victoires de Staoueli, de Sidi-Kalif et la capitulation du fort de l'Empereur, l'armée française fit son entrée dans la capitale de celte régence que le simple redres- sement d'un grief national trans- formait en une splendide et perma- nente concfuête. Ce fut à Mahon, dans les premiers jours d'août, que Villeneuve apprit avec douleur les événements qui venaient de rouvrir en France l'abîme des révolutions , et lachutedu gouvernement auquel il avait voué toutes ses sympathies. Son premier mouvement, de même que celui de la plupart de ses ca- marades, fut de porter i l'amiral Duperré la démission de son com- mandement: mais cet officier gé- néral, qui partageait dans ce premier moment l'impression commune, les engagea à suspendre leur détermi- nation jusqu'à leur retour en France, et Villeneuve , cédant ù l'exemple de la plupart de ses anciens chefs et aux exhortations de sa propre fa- mille, prêta serment de lidéliié au nouveau pouvoir. 11 reçut, au mois de novembre, arec une lettre close du roi Ï.ouis-Philippe, le commande- ment delà station de la mer du Sud. Villeneuve partit de Toulon, le 10 janvier 1831, sur la frégate l'Her- inione , conduisant à Rio-Janeiro la marquise de Loulé, sœur de l'em- pereur dora Pedro, et toute sa fa- mille. Après cinquante jours d'une traversée sans incidents remarqui- bles, Vllermione débarqua la prin- cesse devant le château de son frère, qui montra peu d'empressemenl i la recevoir, et Vilieneure coniinui

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sa navigation vers les côtes inhos- pitalières de la Patagonie. Il allei- gnit ia Terre-de-Feu el coupa, le 13 avril, le méridien du cap Horn, par un froid très-vif el des vents constamment contraires. Pour com- ble de disgrâce, la lourde frégate qu'il montait était tout à fait im- propre à naviguer dans ces mers tempétueuses, et ce ne fut qu'à travers mille obstacles plus ou moins périlleuxqu'il jelarancre,le3 mai, dans la baie de Valparaiso, d'oîi il partit pour Callao et pour Lima; puis il revint prendre à Sainte- Catherine , en remplacement du contre-amiral Grivel, le comman- dement momentané des forces na- vales françaises sur tout le littoral est et ouest de PAmérique méri- dionale. La situation politique du Brésil, si défectueuse et si précaire, attira particulièrement Pattention de Villeneuve, qui, dans plusieurs rapports au ministre delà marine, lui prédit les révolulionsauxquelles celte malheureuse contrée ne devait pas larder à se trouver en proie, et dont il contribua modérer les ex- cès par Patiitude vigilante et ferme desforcesqu'il dirigeait. A près deux ans d'exercice de son haut com- mandement et onze mois environ de station dans la baie de Rio, Villeneuve reçut, au mois de sep- tembre 1832, l'ordre de ramener sa frégate à Toulon, il arriva le 6 décembre. Ce fut sa dernière cam- pagne. Il se concentra exclusive- ment, pendant les trois ans qui suivirent, dans les fonctions séden- taires de son grade. Au mois de mai 183Î), il demanda une audienceàPa- miral Duperré, alors mini>lre delà marine, et se plaignit avec quelque chaleur du peu de cas que le gou- vernemcnl avait fait de ses recom- mandations en faveur des officiers

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de son bâtiment proposés pour la décoration de la Légion d'honneur ; il pria le ministre de se faire re- mettre les rapports sous les yeux. L'amiral Duperré , qui n'était pas endurant, reçut avec hauteur ces observations, el l'entretien s'étant aigri de part et d'autre, Villeneuve lui reprocha de refuser à d'utiles militaires des faveurs « prodiguées jusqu'à Pavilissement à des em- ployés de la police ou à des proté- gés de simples chefs de bureau. » Puis,descendant à des personnalités de plus en plus regrettables, il dé- clara qu'il préférait sa simple croix de légionnaire décernée par l'em- pereur, en 181 1\ aux nombreuses décorations qui ornaient la poitrine du vieux marin. Celle offense, que n'atténuait ni la vivacité d'une tête méridionale, ni même le désinté- ressement personnel de sa récla- mation, mit fin à cet affligeant débat, que Villeneuve fit suivre de la remise immédiate de sa démis- sion. L'amiral Duperré et le roi Louis-Philippe lui-même employè- rent vainement de bienveillants efforts pour le retenir dans les cadres de la marine : il demeura inébranlable. En quittant le service au bout de trente-deux ans d'acti- vité , Villeneuve emportait une sa- tisfaction toute patriotique : celle d'avoir vu la marine française, si défectueuse el presque désorganisée au début de ce siècle, parvenue successivement à un état de progrès tel qu'elle n'avait plus rien à envier à aucune arme étrangère, sans en excepter même celle de la Grande- Bretagne, dont la supériorité avait si longtemps humilié notre orgueil national. Rentré dans la vie prirée, le vicomte de Villeneuve ne voulul pas demeurer inutile ou indifférent aux intérêts de son pays. Il accepta

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les fonctions gratuites de conseiller municipal de sa commune et de membre du conseil général du Var, et fut élu, en 1849, par le suffrage spontané de ses concitoyens, mem- bre de l'Assemblée législative, dont il fit partie jusqu'au coup d'État du 2 décembre 1851. Villeneuve, qui avait conservé ses fonctions locales pendant le pouTOir temporaire du prince Louis-Napoléon, s'en démit lors du plébiscite qui, en l'élevant à l'Empire, bannissait de la France et excluait à jamais du trône la fa- mille des Bourbons. Ce brave marin est mort au Beausset, le 6 août 1861 , laissant, avec la renommée la plus irréprochable, le souvenir de longs et d'importants services rendus à son pays avec autant d'intelligence que de désintéressement et de mo- destie. Le vicomte Baptiste de Villeneuve-Bargemon avait épousé, le 29 janvier 1823, mademoiselle Héliodora de Séran, issue d'une famille noble et ancienne de Nor- mandie', depuis longtemps liée à la lienne. Il en a eu un fils, Raymond, marquis de Villeneuve, qui se fit remarquer par le dévoûmenl exem- plaire avec lequel il secourut, en <844, les cholériijues de son dé- partement, et une fille, mariée à M. le comte de Boigne. A. B— ke. VILLENEUVE- m ANS Hk- LioN - Charles - Alban , marquis DE), à Nancy le 2Gjuinl82G, neveu du précédent, fils de l'his- lorien de Sainl-Louis, nous a paru mériter une place dans ce recueil, moins pour rinlérêt de> faits qui ont rempli sa courte carrière, qu'à raison des circonstances qui l'ont terminée. Nourri dans les principes d'une austère pieté, il s'y montra fidèle à rage m^me l'efferres- cence des passions enfante quel- ques-uns de ces écarts qui rejail-

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lissent souvent sur la vie entière. Sa vocation pour l'état militaire se révéla par le zèle et le courage avec lesquels, simple garde natio- nal, il concourut à Parii, l'a- vaient appelé ses études, à la répression des désordres qui en- sanglantèrent, à plusieurs reprises, le cours de 1848. Cependant il dut faire à sa famille le sacrifice, au moins momentané, de ses inclina- tions belliqueuses. Il entra en 1849 au ministère des affaires étran- gères , et ses premiers travaux y furent couronnés de succès. Il fut chargé du port et de la remise de plusieurs dépêches importantes en Italie, en Espagne, en Russie, en Allemagne. Mais l'intérêt de ces occupations ne les sauvait pas d'une monotonie peu compatible avec son caractère actif, entreprenant, ré- solu. La guerre qui éclata en 1854 entre la France et l'Angleterre coalisées contre la Russie réveilla tous ses instincts militaires; il crut y voir un caractère sacré, et les premiers exploits de nos troupes ayant surexcite son ardeur, il ne songea plus qu'à obtenir de sa mère qu'elle cessât de mettre ob- stacle à une vocation aussi déter- minée. Ilélion entra dans le 1"" chasseurs d'Afrique: il obtint de faire immédiatement partie des es- cadrons de guerre, et débarqua le 17 juin sur cette terre de Crimée, qu'il ne devait plus quitter vivant. L'instant étant encore éloigné son corps de cavalerie aurait i prendre part aux opérations ac- tives, Ilélion se fit admettre comme caporal au 3* régiment de zouaves, lîuit joursaprès, il fut nommé sous- ofllcier adjudaut de tranchée, et charge en cette qualité de concou- rir à une des opérations les plus périlleuses du siège de Sebaslopoi

Il K fit remarquer par sou iutré< pidité et sa bonne humeur dans noUTfîI emploi, dont il dissimula soigneusement les périls à sa mère. Lt 22 juillet, Ters six heures du soir, Hélion occupait auprès du gé- néral Vinay la place de son aide de camp absent, lorsqu'il fut atteint mortellement d'un éclat de mitraille qui lui brisa la mâchoire inférieure. La blessure ne parut point d'abord aussi giave qu'elle l'était en effet. Hélion eut assez de force pour tra- cer le billet suivant, monument à jamais louable de résignation, d'hé- roïsme et de délicatesse filiale : tMa bonne mère, j'ai eu une chance du diable; je vieus d'être louché légèrement k la joue» et il en résul- tera qu'après le mois qu'il me fau- dra pour guérir, je reviendrai tout de suite près de toi : je m'en ré- jouis bien. La première fois, Dam- pierre t'écrira pour moi. J'ai reçu toutes tes bonnes lettres. Je suis en état de grâce (1). Je t'embrasse de toute mon âme. A bientôt... » Plus officieuses que sincères, ces favo- rables espérances ne durent pas se réaliser. Hélion de Villeneuve ex- pira dans la nuit, non sans avoir satisfait, quelques heures aupara- vant, avec une ferveur édifiante, isesdevoirs religieux. Sa dépouille mortelle fut remise k son infor- tunée mère, qui la fil déposer dans le caveau de famille du château de Bargemon. Ainsi disparut à 29 ans, ce digne descendant d'une race chez laquelle s'étaient perpétuées depuis le xu* siècle toutes les tra- ditions de rhonntur, du devoir, du ïcrilablc esprit français, et qui jus- qu'il nos jours a conservé le rare

(1) Ces mots «ont soulignés dans IV riginal.

privilège de peupler l'administra- tion (1), les lettres, la marine et l'armée d'hommes également re- commandables par la solidité de leur mérite, l'uiilité de leurs ser- vices, l'élévation de leurs senti- ments. — M. le comte Anatole de Ségura publié, en un touchant vo- lume, la Vie d' Hélion-Charles-Alban de Villeneuve. (Paris, i 856.) A . Bée. VILLENEUVE (Théodore-Fer- DiNAND Valloude), auteur drama- tique, né à Boissy-Saint-Léger, le 4 juin 1799, de J.-B.-J. Vallou de Villeneuve et de Marie-Elisabeth de Seignerolles, et décédé à Paris, le 26 août 18'38. Dès la première jeunesse , le théâtre lui apparut dans ses rêves d'écolier, et ce fut chez lui un goût si vif, qu'il put le prendre pour une vocation. Aussi se lança-t-il dans cette carrière excentrique de préférence îi toute autre profession plus sûre, mais moins séduisante. Ses premiers essais furent encouragés par le pu- blic, et s'il n'arriva jamais à se placer au premier rang, il se main- tint toujours dans un milieu ho- norable, et attacha son nom à de nombreux succès. Il eut de très- heureuses collaborations avec Scribe, Brazier, Dupeuty, Michel Masson, Gabriel, Lafargue, et d'autres encore dont les noms ne me reviennent pas en mémoire. La liste des ouvrages qu'il donna sur nos meilleures scènes secondaires serait trop longue ici, et on peut, au reste, la trouver dans tous les re- cueils dramatiques. Bornous-nous à ciier, dans le nombre, Yelva, Léo-

(1) Tout le monde connaît le riiot charmant de Loui.s XVlll : Je voudrais avoir autant de VUlcni;uve qu'il y a de départements en France^ j'en ferais quatre-vingt-six préfets!

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nide, le Marchand de la rue Saint-De- nis, le Hussard de Felsheim , la Ferme de Bondy, YAlmanach des 25,000 adresses, et une gentille série de pièces dites à tiroir, à l'intention de mademoiselle Déjazet, au temps cette Mars au petit pied faisait les beaux soirs du Palais-Royal. Villeneuve aimait, du théâtre, jusqu'aux entreprises qui entraî- nent souvent de périlleuses spé- culations : aussi, le vit-on suc- cessivement créer le théâtre Beaumarchais avec Henri de Tully, et s'associer à Anténor Joly dans la direction de la Renais- sance. Une circonstance assez cu- rieuse de son existence mérite, je crois, de trouver place dans cette notice. Un jour de fructueuse in- spiration, et de concert avec son ami Ferdinand Langlé , auteur comme lui, il eut l'idée, non pas d'une comédie, d'un vaudeville, mais d'une affaire qu'on peut néanmoins appeler théâtrale, puis- qu'elle se rattache au dénoûment forcé de la vie. Ces deux joyeux adeptes de la gaie science, sans déserter la scène, prirent une part importante dans l'entreprise des pompes funèbres! N'y a-t-il pas une certaine analogie avec le

cumul de ce bon abbé Pellegrin ? N'oublions pas de dire que, nom- mé à plusieurs reprises membre de la commission des auteurs et compositeurs dramatiques, Ville- neuve y remplit, avec le zèle le plus dévoué , les fonctions de trésorier. Ajoutons que des cir- constances fortuites ayant, un jour, tari les sources de la caisse de secours, le trésorier alla au delà de ses devoirs et pourvut, de ses propos deniers, à tous les embar- ras, sans se préoccuper des risques et périls. Lorsque ce fait, resté in- connu, fut dévoilé par une voix amie^sur la tombe du cher défunt, le spirituel sculpteur que chacun connaît, et qui ne peut pas plus se dispenser d'un bon mot que d'une ravissante statuette, murmura tout bas : « Ce bon Villeneuve, malgré « son talent, voilà le plus joli acte « qu'il ait fait de sa vie. » Ville- neuve est mort sans postérité : II laisse après lui un frère, son aîné, peintre honorablement connu, et membre du comité des aitistes depuis nombre d'années. C'est aux beaux-arts que M. Julien de Villeneuve demande un peu de cette célébrité que Ferdinand a conquise au théâtre. C. D. P.

FIN DU QUATRE-VINGT-CINOUIÈME VOLUME.

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